Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 28 février 2007

2 [Audience sur requêtes]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé Gotovina est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 19.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez présenter l'affaire.

7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour. Il s'agit de l'affaire IT-06-90-

8 PT, le Procureur contre Ante Gotovina.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Bonjour à tous.

10 Avant d'en venir au cœur du sujet, je vous dirais aujourd'hui que je

11 préside parce que je suis Juge de la mise en état. La séance d'aujourd'hui

12 a lieu à l'initiative de l'équipe de la Défense du général Gotovina, qui a

13 demandé à pouvoir présenter des arguments oraux complétant la requête

14 écrite sur la question de la compétence.

15 Je me tourne vers l'équipe de la Défense. Avant cela, les parties peuvent-

16 elles se présenter ?

17 M. KEHOE : [interprétation] Oui, bonjour, Monsieur le Président. Bonjour

18 pour le général Gotovina. Je suis Greg Kehoe, avec Me Misetic et le Pr

19 Payam Akhavan. Derrière, le Pr Akhavan se trouve Jelena Madunic.

20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

21 L'Accusation.

22 M. TIEGER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Madame,

23 Messieurs les Juges, Alan Tieger, Laurel Baig, Michelle Jarvis pour

24 l'Accusation, avec Donnina Henry pour notre commis à l'affaire.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Cermak.

26 L'équipe de M. Cermak, peut-elle se présenter ? Non, il n'y en a pas. Très

27 bien.

28 S'agissant de M. Markac peut-être ?

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1 M. SEPAROVIC : [interprétation] Oui, bonjour. Je suis Miroslav Separovic,

2 avocat. Il y a M. Goran Mikulicic et notre commis à l'affaire.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

4 Je vois que l'un des accusés est présent également. S'agit-il de M.

5 Gotovina ?

6 M. KEHOE : [interprétation] En effet, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Général Gotovina, m'entendez-vous dans

8 une langue que vous comprenez ?

9 L'ACCUSÉ GOTOVINA : [interprétation] Oui, je vous entends. Merci, Monsieur

10 le Président.

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

12 Monsieur Kehoe.

13 M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, je suppose que vous

14 souhaitez que nous entamions la discussion sur la question qui nous occupe.

15 J'aimerais me retourner vers le Pr Akhavan, qui va s'exprimer au nom du

16 général Gotovina.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Professeur Akhavan.

18 M. AKHAVAN : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

19 Juges, c'est pour moi un honneur et un privilège de comparaître devant vous

20 au nom du général Gotovina aujourd'hui. L'argument au cœur de la requête

21 est très simple. L'Accusation ne peut pas accuser le général Gotovina de

22 crimes contre l'humanité sans tenir compte des lois régissant une situation

23 de guerre.

24 Le Procureur ne peut pas demander au Tribunal de réécrire le droit

25 coutumier afin de compenser les lacunes de ses arguments. Ayant d'abord

26 affirmé que les lois de la guerre ne sont pas applicables, dans sa deuxième

27 réponse le Procureur dit maintenant que le droit humanitaire est

28 applicable, mais seulement dans une certaine mesure. Là encore,

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1 l'Accusation ignore complètement la jurisprudence contraire du TPIY et sa

2 position opposée à celle-ci telle qu'elle avait été présentée.

3 La théorie fondamentale de l'Accusation dans l'acte d'accusation consiste à

4 dire que le général Gotovina a participé à une entreprise criminelle

5 commune afin d'assurer le nettoyage ethnique des Serbes de Krajina par le

6 biais d'une déportation en masse. Cette campagne de déportation, selon les

7 dires du Procureur, aurait eu lieu en deux phases, avant et après la

8 restauration de l'autorité de l'Etat croate sur la Krajina.

9 Il est dit qu'au cours de l'opération Tempête, une guerre psychologique a

10 été menée. Le pilonnage des civils a entraîné un exode massif des civils

11 serbes. Il est dit également, qu'après la conclusion heureuse pour les

12 attaquants de l'opération Tempête et après l'effondrement de la Krajina

13 Republika Srpska, le retour des civils a été découragé par le biais de

14 colonisation et de la destruction, du pillage de biens. Il est également

15 affirmé que le général Gotovina est responsable de meurtre et de traitement

16 cruel, simplement parce que ces crimes ont été une conséquence possible de

17 l'entreprise criminelle commune, même s'il n'était pas véritablement

18 prévisible de sa part.

19 Le problème fondamental que pose cette théorie, c'est que l'Accusation

20 élimine de manière unilatérale un élément essentiel de la déportation tel

21 que défini à l'article 49 de la 4e Convention de Genève. Il n'est dit nulle

22 part que ces victimes présumées de déportation étaient aux mains des forces

23 croates sur le territoire contrôlé par des Croates.

24 Dans la deuxième réponse de l'Accusation, il est dit que ce critère établi

25 par l'article 49 n'est pas applicable au crime contre l'humanité et que ce

26 pilonnage présumé de zones où se trouvaient des civils était une modalité

27 de la déportation. Si l'Accusation a raison, le Tribunal a compétence vis-

28 à-vis de cet acte d'accusation. Si l'Accusation a commis une erreur, tous

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1 ces arguments relatifs à un nettoyage ethnique ne tiennent plus. Il ne peut

2 pas y avoir d'entreprise criminelle commune si les faits allégués ne

3 constituent pas un crime de déportation.

4 L'Accusation ne tient pas compte de la jurisprudence du TPY du droit

5 humanitaire et la position préalablement exposée par certaines accusations.

6 Dans l'arrêt Stakic, il est dit que l'article 49 c'est "l'instrument sous-

7 jacent --

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Les interprètes vous demandent de

9 ralentir. Monsieur, vous allez trop vite.

10 M. AKHAVAN : [interprétation] Bien sûr, Monsieur le Président, je m'excuse.

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Puisque je vous interromps, je vous

12 inviterais véritablement à vous en tenir à ce qui n'est pas évoqué dans les

13 documents, parce que pour l'instant vous avez répété ce que vous nous avez

14 déjà dit par écrit.

15 M. AKHAVAN : [interprétation] Bien sûr, Monsieur le Président. Je vais

16 développer ce qui figure déjà dans nos documents écrits et je ne vais pas

17 répéter ce qui figure déjà, bien sûr.

18 J'ai dit plus tôt que dans l'arrêt Stakic, il est stipulé qu'il faut que le

19 territoire soit occupé. Ceci est présenté comme un critère. J'ajouterais

20 que dans l'arrêt Naletilic, le plus récent, le Juge Schomburg a déclaré -

21 c'est à la page 225, paragraphe 22 - a déclaré qu'au titre de l'article 5,

22 la déportation doit être "d'une zone placée sous le contrôle effectif d'une

23 des parties belligérantes vers une partie, vers un territoire contrôlé par

24 l'autre."

25 Si les victimes alléguées de déportation n'ont jamais été aux mains

26 de forces croates, et bien, le crime de déportation n'a jamais été commis.

27 L'argument selon lequel le critère d'occupation de l'article 49 ne

28 s'applique pas à la déportation, n'est pas étayé dans l'une quelconque des

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1 sources citées par l'Accusation. Ce qui est encore plus remarquable, c'est

2 qu'avant cette affaire-ci, l'Accusation elle-même, de manière constante et

3 à plusieurs reprises, a affirmé que cet élément de l'article 49

4 s'appliquait effectivement bien au crime d'humanité, à savoir celui-ci,

5 celui de la déportation.

6 Pour vous donner un exemple, dans le mémoire préalable au procès

7 Simic, au paragraphe 97, en se fondant sur le jugement Krnojelac,

8 l'Accusation, catégoriquement, a affirmé, je cite que : "Le contenu du

9 délit sous-jacent de déportation ne change pas, qu'il y ait eu crime de

10 guerre ou crime contre l'humanité.

11 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent à nouveau au conseil de bien

12 vouloir ralentir.

13 M. AKHAVAN : [aucune interprétation]

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si vous avez vos écouteurs à proximité

15 de vos oreilles, vous entendrez ce qui se passe.

16 M. AKHAVAN : [interprétation] Oui, effectivement.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous citez de nombreuses affaires. S'il

18 vous plaît, pourriez-vous indiquer, à chaque fois lorsque vous parlez de

19 déportation ou de transfert forcé, pourriez-vous nous indiquer si vous

20 citez quelque chose qui ressort d'une affaire où il était question de

21 crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre de manière à ce que nous

22 puissions établir une distinction claire entre les deux types de crimes

23 dans les affaires que vous utilisez comme référence.

24 M. AKHAVAN : [interprétation] Certainement. Excusez-moi. Cela fait un

25 certain nombre d'années que je n'avais pu comparer. J'avoue que je connais

26 mal les derniers outils technologiques.

27 Monsieur, la citation provenant du mémoire préalable au procès Simic a

28 trait aux crimes contre l'humanité conformément à

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1 l'article 5(D). Je l'ai dit dans ce mémoire préalable au procès,

2 l'Accusation dit : "Qu'en tant que crime contre l'humanité, la déportation

3 nécessite que soit apporté la preuve des mêmes éléments que ce qui est

4 nécessaire au titre de l'article 49 pour les crimes de guerre."

5 Il y a un autre exemple. Le mémoire préalable au procès Kovacevic, page 32.

6 Le Procureur dit que : "La déportation au titre de l'article 5 reflète les

7 mêmes actes que ceux qui sont envisagés dans l'article 49 de la 4e

8 Convention de Genève."

9 Le Procureur reconnaît que certains critères de nationalité, par exemple,

10 au titre de l'article 4, de la convention de Genève ne s'appliquent pas,

11 mais ceci n'est pas pertinent, en l'occurrence, s'agissant de la question

12 qui nous occupe aujourd'hui. Alors, Monsieur le Président, nous devons nous

13 poser la question suivante : pourquoi le Procureur, soudain, revient-il sur

14 ses positions antérieures ? Pourquoi le Procureur demande-t-il ici qu'une

15 exception soit faite dans le cas du général Gotovina ?

16 Nous avançons que cette exception demandée s'agissant du général Gotovina

17 revient à une tentative faite par le Procureur de pénaliser, de

18 criminaliser l'opération Tempête sans apporter la preuve qu'il s'agissait

19 là de combats illégaux. S'il s'agit, d'après la thèse du Procureur, d'un

20 effort de terreur et d'une expulsion de civils, il s'agirait d'objectifs,

21 parce qu'il ne s'agissait pas d'objectifs militaires légitimes et

22 l'Accusation n'explique pas pourquoi cinq ans et demi après le premier acte

23 d'accusation contre le général Gotovina, l'accusé n'a pas été mis en cause

24 pour attaque illégale ou pour propagation d'un climat de terreur, ce qui

25 sont des crimes tout à fait appropriés. Maintenant que la lacune

26 fondamentale de l'acte d'accusation a été mise en lumière, l'Accusation

27 nous dit dans sa réponse la plus récente qu'il est prêt à rajouter des

28 chefs d'accusation supplémentaire.

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1 Il se fonde sur la deuxième phase de ce qu'il appelle le nettoyage

2 ethnique et ceci pose des problèmes également. L'Accusation nous parle de

3 destruction ou de pillage de biens après la conclusion de l'opération

4 Tempête, et que pour lui ceci représente une déportation parce que ceci a

5 découragé le retour des Serbes. C'est une théorie très imaginative mais le

6 Procureur ne peut établir ce qu'il dit. Le simple impact de cette

7 destruction excessive ou de ce pillage allégué ne peut pas transformer les

8 crimes dont il est question en des crimes complètement différents de la

9 déportation.

10 Autre lacune fondamentale, c'est l'allégation de crimes de guerre

11 post debilatio. Le seul conflit armé allégué dans l'acte d'accusation,

12 c'est celui qui a eu lieu "dans la région de la Krajina de la République de

13 Croatie," et qui est défini ailleurs dans l'acte d'accusation comme étant

14 une zone protégée des Nations Unies, nord et sud. Il est dit également que

15 dans l'acte d'accusation que d'ici au

16 7 août 1995, il y avait une résistance serbe minime, voire même non

17 existante, et que celle-ci a été complètement surmontée.

18 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent une fois de plus au conseil

19 de bien vouloir ralentir.

20 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

21 M. AKHAVAN : [interprétation] En outre, il est dit qu'au 7 août la

22 résistance non existante ou minimale a été complètement écrasée.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] N'oubliez pas que vous avez dix

24 minutes d'intervention depuis le début de votre intervention et vous frisez

25 la fin de cette période.

26 M. AKHAVAN : [interprétation] Oui, effectivement. C'est sur ces dix

27 minutes-là que j'avais compté sans les différentes interruptions.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez continuer.

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1 M. AKHAVAN : [interprétation]

2 Dans la dernière réponse du Procureur, il est dit maintenant pour la

3 première fois que le conflit armé s'est poursuivi simplement parce que les

4 accords de Dayton et d'Erdut n'avaient pas encore été conclus. Or, d'un

5 point de vue juridique les nouveaux arguments du Procureur ne peuvent pas

6 tenir. L'Accusation concède en réalité qu'il n'y avait pas de conflit armé

7 en Krajina. En réalité, le Procureur tente d'introduire une nouvelle

8 théorie juridique deux mois seulement avant le début du procès.

9 Si les dispositions législatives appropriées à la déportation et au

10 conflit de guerre post debilatio sont appliquées, il ne reste rien pour

11 incriminer le général Gotovina. Il est rare qu'un acte d'accusation ait

12 présenté autant de lacunes, un acte d'accusation contraire au droit

13 coutumier. Nous dirions donc, que juger le général Gotovina sur la base de

14 cette incrimination amènerait à un délit de justice.

15 Monsieur le Président, il ne faut pas non plus ignorer quelles seront

16 les répercussions de cette requête sur l'héritage de ce Tribunal alors que

17 le Tribunal entre dans ses derniers mois d'existence.

18 Monsieur le Président, pour conclure, je sais que depuis la requête

19 Tadic a été présentée et qu'elle a fait l'objet d'une décision, beaucoup de

20 chemins a été parcouru. Mais 14 ans après la création du Tribunal, vous

21 êtes à nouveau confrontés à des questions fondamentales de compétence qui

22 renvoient au premier jour de l'affaire Tadic.

23 La procédure d'aujourd'hui pourrait permettre de répondre à ce qui

24 s'est fait au moment de Tadic. Une dernière occasion pour ce Tribunal

25 d'envoyer un message clair, à savoir que ce Tribunal, sur la base

26 humanitaire, saura où tracer la ligne et ne permettrait pas à des

27 commandants militaires d'être soumis à des poursuites à moins qu'il soit

28 effectivement allégué qu'ils ont violé des dispositions du droit

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1 humanitaire. Ceci conclu la présentation de nos arguments, Monsieur le

2 Président. Merci.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

4 [La Chambre de première instance se concerte]

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Separovic.

6 M. SEPAROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, c'est mon coconseil,

7 Me Goran Mikulicic qui va s'exprimer pour la Défense du général Markac.

8 M. MIKULICIC : [interprétation] Monsieur le Président, je vais mettre

9 l'accent sur un certain nombre des arguments que nous développons dans nos

10 écritures en vue de remettre en cause la compétence de ce Tribunal vis-à-

11 vis de l'acte d'accusation dans la formulation juridique établie par

12 l'Accusation en l'espèce. Afin d'éviter toute répétition de ce qui est

13 écrit dans notre requête et en vue d'éviter de répéter ce qu'a dit le

14 confrère qui s'est exprimé dans le cadre de la défense du général Gotovina,

15 je me permettrai de dire que le général Makrac admet totalement les

16 arguments développés par la Défense Gotovina vis-à-vis de l'existence d'un

17 conflit armé et d'acte de déportation de la population.

18 Par ailleurs, j'aimerais souligner le bien-fondé des principes juridiques

19 qui viennent d'être explicités devant vous. Et étant donné le principe du

20 bénéfice commun, les avantages applicables à un accusé doivent s'appliquer

21 à l'autre. Ce qu'affirme la Défense du général Makrac, c'est qu'en effet,

22 dans la période évoquée dans l'acte d'accusation, en tout état de cause

23 dans la période antérieure au début de l'opération Tempête ainsi que dans

24 la période ultérieure à la fin de celle-ci, dans le théâtre des crimes

25 commis sur ce qu'il est convenu d'appeler le secteur sud de la République

26 autoproclamée de Krajina, il n'y avait pas de conflit armé.

27 Nous avons développé un certain nombre d'arguments de fond pour

28 justifier ce point dans nos écritures, et à cet égard, nous aimerions à

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1 l'heure actuelle ajouter simplement quelques mots de complément.

2 L'Accusation présente notre requête comme une mise en cause de compétence

3 et dit que nous traitons des faits, autrement dit de l'existence d'un

4 conflit armé qui devrait être établi ou infirmé au cours du procès. Or,

5 cette affirmation n'est que partiellement exacte, car cette question de

6 l'existence ou de la non-existence d'un conflit armé est par ailleurs

7 également une question juridique qui occupe un rôle tout à fait central

8 dans le présent procès, puisqu'il permet ou ne permet pas d'affirmer la

9 compétence ratione materiae de ce Tribunal, du TPIY. Nous ne pouvons donc

10 discuter de cette question qu'en nous appuyant sur des critères qui sont

11 développés devant les Juges au moment de la confirmation de l'acte

12 d'accusation, c'est-à-dire dans la situation de la préparation de l'acte

13 d'accusation. Ces critères sont ceux qu'on appelle habituellement des

14 critères prima facie. Pour ce qui nous concerne, nous déclarons et

15 soutenons que la prise en compte de ces critères prima facie que l'on

16 trouve dans les documents à l'appui de l'acte d'accusation soumis par

17 l'Accusation, il n'existe sur cette base aucune possibilité d'avérer

18 l'existence d'un conflit armé dans la période qui intéresse cet acte

19 d'accusation, à savoir à l'époque de l'existence de forces régulières

20 relevant de la République que Croatie ainsi que de forces armées dépendant

21 de la République serbe de Krajina autoproclamée.

22 Nous fondons cette conclusion, avant tout, sur un document qui fait

23 autorité, à savoir les échanges d'écritures entre le Tribunal et le

24 secrétaire général des Nations Unies s'agissant de discuter des événements

25 survenus dans le secteur sud pendant la période antérieure au 20 août 1995.

26 Dans ce rapport, il est dit clairement que le début de l'opération Storm

27 menée par les forces militaires et policières de la République de Croatie,

28 a entraîné un exode et une fuite des dirigeants politiques et autres

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1 dirigeants de la République serbe autoproclamée de Krajina.

2 Un autre document que l'on trouve parmi les documents à l'appui de l'acte

3 d'accusation indique tout le 21e Corps d'armée de la République serbe

4 autoproclamée de Krajina s'est rendu. Ceci permet de tirer la conclusion

5 suivante, à savoir d'abord que toute action armée ultérieure dans ce

6 secteur n'aurait pu avoir aucun degré d'organisation et aucune efficacité.

7 Pourquoi pas d'organisation ? Parce que la direction politique et militaire

8 avait quitté la région, il n'y avait donc plus personne pour organiser une

9 éventuelle insurrection armée et inefficace ou dépourvue d'intensité. C'est

10 mon deuxième argument. Parce que un très grand nombre de soldats de cette

11 armée autoproclamée s'étaient déjà rendus aux forces dépendant des

12 autorités croates.

13 J'insiste sur ces deux termes, sur ces deux éléments d'organisation

14 et d'absence d'intensité, car ce sont des éléments qui interviennent dans

15 le droit humanitaire, deux éléments qui permettent de qualifier sur un plan

16 juridique un conflit armé. J'insiste également sur la distinction entre la

17 qualification juridique d'un conflit armé et de ce qu'il est convenu

18 d'appeler par ailleurs des émeutes ou des insurrections intérieures. Nous

19 nous appuyons sur un certain nombre de précédents juridiques émanant aussi

20 bien du TPIY que du tribunal international pour le Rwanda ainsi que sur les

21 commentaires du CICR au sujet des conventions de Genève, qui font désormais

22 partie intégrantes du droit appliqué quotidiennement par tous les systèmes

23 judiciaires du monde. Il existe une différence fondamentale entre un

24 conflit armé et des émeutes ou insurrections internes, et cette différence

25 repose sur l'élément d'organisation et l'élément de l'intensité.

26 Dans les deux cas, nous voyons que les critères développés par

27 l'Accusation entraînent un chevauchement de ces deux critères. Pour notre

28 part, nous affirmons que pour mener un test prima facie, il importe de

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1 démontrer que l'Accusation n'a pas prouvé son affirmation, à savoir que

2 pendant toute la période pertinente dans l'acte d'accusation, sur le

3 territoire de la République serbe de Krajina dans le secteur sud, il aurait

4 effectivement existé un conflit armé. Ce conflit armé, ne pouvant faire

5 l'objet de sanctions pénales, il est démontré par conséquent que les

6 accusations en l'espèce ne permettent pas la tenue d'un procès dans les

7 circonstances qui nous intéressent. L'article du statut concerné ne peut

8 entrer en vigueur que dès lors qu'il existe effectivement un conflit armé,

9 qu'il s'agisse d'un conflit armé interne ou d'un conflit armé

10 international. Or, la chose n'est pas démontrée.

11 Nous concluons donc, à ce que nous avons développé dans nos

12 écritures, que nous maintenons intégralement et nous mettons l'accent sur

13 le fait que, y compris dans les documents à l'appui de l'acte d'accusation,

14 on trouve un grand nombre de preuves qui remettent absolument en cause les

15 bases mêmes de l'acte d'accusation s'agissant de l'existence d'un conflit

16 armé. C'est la raison pour laquelle nous considérons que l'acte

17 d'accusation auquel nous avons à faire face, dans lequel on trouve les

18 qualifications juridiques qu'on y trouve, ne devrait pas être confirmé par

19 le Tribunal, et que par conséquent, les accusations relevant de cet acte

20 d'accusation ne devraient pas être confirmées ou prises en compte par le

21 Tribunal.

22 Je me tiens, bien sûr, à la disposition des Juges pour toutes

23 questions qu'ils pourraient avoir à me poser.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Maître.

25 Monsieur Tieger.

26 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, bien que nous puissions

27 tous les trois nous exprimer dans ce débat, c'est en premier lieu ma

28 consoeur Mme Baig qui présentera les arguments de l'Accusation.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

2 Mme BAIG : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

3 Juges, la seule question que la Chambre a tranchée consiste à savoir si le

4 Tribunal a compétence ou pas pour juger des crimes figurant dans cet acte

5 d'accusation. Compétence, cela signifie que les faits contestés et les

6 qualifications juridiques n'ont rien à voir avec cette question. Il faut

7 que soient pris en compte les éléments de preuve et les arguments

8 développés durant le procès.

9 L'acte d'accusation met en accusation un certain nombre de personnes,

10 de violations de l'article 3 et 5 du Statut dans la période et dans la

11 région qui sont prévues par le Statut. Par conséquent, la définition de la

12 compétence que l'on trouve à l'article 72(D) du Statut est tout à fait

13 respectée.

14 Un exemple, contestations quant à l'existence, la durée, l'intensité du

15 conflit armé. Tous ces éléments sont des questions de faits, très

16 clairement, qui doivent être tranchées sur la base des éléments de preuve

17 qui seront présentés durant le procès. De même, l'hypothèse erronée selon

18 laquelle l'attaque contre les civils aurait été légale ne peut que résulter

19 d'un débat sur les faits. L'Accusation affirme que les accusés ont

20 illégalement attaqué les civils dans les secteurs où ils résidaient et dans

21 les convois dont ils faisaient partie afin de les chasser de la RSK.

22 Ceci est prohibé aux termes du droit humanitaire international. Cela

23 constitue par ailleurs un crime contre l'humanité. Le fait que l'Accusation

24 n'ait pas mis en accusation les pilonnages en tant que crimes de guerre

25 distincts ne signifie pas que cet acte était légal. Le fait de savoir si

26 c'est le pilonnage qui a provoqué la déportation sous la contrainte de la

27 population dans le cadre d'une campagne de coercition, est un fait qui

28 devra être déterminé durant le procès sur la base des éléments de preuve

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1 soumis à la Chambre. Ce ne sont pas des éléments relevant de la question de

2 la compétence.

3 La Défense s'efforce de qualifier le pilonnage subi par les civils

4 comme "légal," selon les lois ou coutumes de la guerre, créant de ce fait

5 une opposition entre crimes contre l'humanité et violations des lois ou

6 coutumes de la guerre. Or, cette opposition n'existe pas. Les crimes contre

7 l'humanité et les lois et coutumes de la guerre fonctionnent

8 harmonieusement les uns avec les autres. La définition du crime contre

9 l'humanité adoptée dans la jurisprudence de ce Tribunal inclut la réalité

10 des violations de crimes de guerre et admet qu'il peut y avoir des attaques

11 qui ne visent pas la population civile; admet qu'il peut y avoir des motifs

12 militaires justifiant des transferts massifs de population et excluant ipso

13 facto toute responsabilité pénale vis-à-vis de crimes contre l'humanité.

14 Les arguments de la Défense n'évoquent aucune question de compétence

15 ou de juridiction susceptible de supprimer cette harmonie entre les deux

16 corps d'éléments juridiques.

17 Par ailleurs, la jurisprudence de la Chambre d'appel a déjà défini

18 les éléments qualifiant les crimes de transfert massif de population et de

19 persécution comme étant des crimes contre l'humanité. La définition en

20 question ne recouvre pas les nouveaux éléments que vient de développer la

21 Défense. Dans l'affaire Stakic, par exemple, la Chambre d'appel a défini

22 l'élément matériel de la déportation comme étant, je cite :

23 "Les déplacements forcés de population par voie d'expulsion ou

24 d'autres formes de coercition hors de la zone où ces personnes sont

25 légalement présentes avec passage d'une frontière d'Etat de jure ou dans

26 certaines circonstances d'une frontière existant de facto, en contradiction

27 avec les fondements autorisés par le droit international."

28 Voilà ce qu'est la définition du crime de déportation comme un crime contre

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1 l'humanité.

2 Il est inexact de dire que les crimes contre l'humanité, qu'il s'agisse de

3 déportation ou de transfert massif de population, peuvent être commis dans

4 le cadre d'un autre mode de responsabilité, si nous nous trouvons dans un

5 conflit interne. La Chambre d'appel a condamné Stakic de responsabilité au

6 titre de l'entreprise criminelle commune, et pas au titre d'avoir ordonné

7 le crime de déportation. Au moins dans cinq autres cas jugés par ce

8 Tribunal, il y a eu condamnation pour déportation en tant que crime contre

9 l'humanité en rapport avec un mode de responsabilité autre que celui

10 d'avoir ordonné le transfert de population. Je veux parler des affaires

11 Simic, Krnojelac, Kupreskic, Brdjanin et Blagojevic.

12 Deuxièmement, il est inexact de dire que la déportation ou d'autres crimes

13 contre l'humanité ne peuvent être commis au titre d'autres modes de

14 responsabilité que les modalités de la guerre. En espèce, le pilonnage ne

15 peut faire partie de l'élément matériel du crime contre l'humanité. Dans

16 l'affaire Stakic, dans l'affaire Blagojevic, dans l'affaire Brdjanin, la

17 déportation a eu lieu au moins partiellement grâce à la terreur qui était

18 due au pilonnage. Pour employer la terminologie de la Défense, l'accusé

19 aurait commis une violation des conventions de Genève par le truchement

20 d'une violation des conventions de La Haye.

21 Troisièmement, le crime contre l'humanité ne se limite pas à une situation

22 d'occupation. Aucun procès jugé par le Tribunal pénal international pour

23 l'ex-Yougoslavie n'a nécessité cet élément tout à fait inédit pour prouver

24 le crime contre l'humanité. Même en droit humanitaire international,

25 l'occupation ou son équivalent n'est pas nécessité pour qu'existe le crime

26 de transfert de population sous la contrainte dans le cadre d'un conflit

27 armé interne. Les tentatives de la part de la Défense pour importer cette

28 nécessité toute particulière dans l'article 49 de la 4e Convention de

Page 152

1 Genève ainsi que dans l'article 17 du IIe Protocole additionnel est

2 contraire à ce que dit très clairement l'article 2 du IIe Protocole

3 additionnel, à savoir que "toutes les personnes subissant le conflit armé

4 constituent le champ d'application du protocole."

5 La logique des nouveaux éléments présentés par la Défense, à savoir que

6 l'article 5 du Statut doit être respecté et défini intégralement pour qu'il

7 y ait crime contre l'humanité, s'appuie sur une interprétation complète et

8 inexacte du principe de la lex specialis. La lex specialis ne signifie pas

9 qu'un élément interdit par le droit humanitaire international serait

10 autorisé en cas de guerre. Ce principe signifie que tous les éléments du

11 droit ne peuvent être interprétés d'une façon allant à l'encontre du droit

12 humanitaire international lorsqu'il y a conflit armé. Ceci n'exclut pas

13 l'application simultanée d'autres corpus juridiques. Lorsqu'il y a silence

14 dans le droit humanitaire international, autrement dit lorsque le droit

15 humanitaire international ne précise pas telle ou telle situation, est-ce

16 que cela veut dire qu'on peut remplir ces silences ou ces lacunes par des

17 éléments inexistants pour assurer la protection des civils et des personnes

18 pendant un conflit ?

19 L'argument selon lequel le droit humanitaire international s'appliquerait à

20 l'exclusion de tout autre droit en cas de conflit armé est tout simplement

21 erroné.

22 Le droit humanitaire international fournit d'autres principes qui

23 continuent à s'appliquer pour la protection des civils. La clause Martens

24 du préambule des Règlements de La Haye de 1907, est un excellent exemple du

25 fait que le droit humanitaire international reconnaît l'importance d'autres

26 lois humanitaires. On trouve la même situation à la lecture du préambule du

27 IIe Protocole additionnel.

28 La coexistence de deux corpus juridiques a été reconnue clairement

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1 dans la charte de Nuremberg. L'importance de cette reconnaissance est

2 prouvée par l'affaire Djostic [phon] où la Chambre a reconnu que les

3 dispositions comparables de la clause supplémentaire sur les crimes de

4 guerre interdisaient toute atrocité contre la population civile quelle

5 qu'elle soit."

6 Le Statut du TPIY lui-même affirme clairement que les crimes contre

7 l'humanité peuvent être commis en cas de conflit armé. La définition de la

8 déportation tient compte des réalités militaires qui sont régies par le

9 droit des conflits armés. En cas de déportation, la seule chose interdite

10 aux termes de la définition du crime contre l'humanité, c'est le

11 déplacement forcé et infondé que l'on retrouve dans le droit international

12 humanitaire.

13 La réalité de la guerre est construite autour de cette définition. La

14 lex specialis ne signifie pas que le crime contre l'humanité est exclu en

15 cas de conflit armé. Ce que signifie la lex specialis c'est qu'il faut

16 qu'il y ait coïncidence entre la définition du crime contre l'humanité et

17 de la violation des lois de la guerre. Si on limite la définition du crime

18 de déportation et de transfert forcé de population à l'article 5, si on

19 s'en tient à la petite série de situations qui est déjà couverte par le

20 droit humanitaire international, on irait à l'encontre de la logique qui

21 développe le crime contre l'humanité, qui l'étend à tel point qu'on va au-

22 delà de la catégorie restreinte de personnes protégées par le droit

23 humanitaire international pour atteindre la catégorisation appliquée à

24 l'issue de la Seconde Guerre mondiale, à savoir l'application de cette loi,

25 y compris à ses propres ressortissants.

26 La Défense, dans ses arguments, cherche à revenir sur cette

27 évolution. Ce que nécessite le principe de lex specialis est ce que le

28 Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie a déjà exprimé. Les crimes

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1 contre l'humanité doivent être interprétés dans le respect de la lex

2 specialis sur le droit humanitaire international. Accepter les arguments

3 signifiant qu'il existe deux corpus juridiques distincts serait empêcher

4 l'application du droit humanitaire international en cas de conflit.

5 Je vous remercie. Je pourrai répondre à vos questions si vous en

6 avez.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aurais quelques questions.

9 Monsieur Akhavan, vous avez dit qu'au terme de l'opération Tempête,

10 après l'échec et l'écrasement de la Krajina de la Republika Srpska de

11 Krajina, le retour des civils avait été découragé par la colonisation des

12 Croates et par la destruction ou le pillage de propriétés.

13 Si je ne me souviens bien, l'Accusation n'est pas du tout d'accord

14 avec votre interprétation de ces arguments. Bien entendu, elle est à

15 l'origine de la rédaction de l'acte d'accusation. Pourriez-vous me dire

16 exactement, pour que je puisse mieux comprendre votre désaccord, en quoi il

17 réside exactement ?

18 M. AKHAVAN : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge Orie.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

20 M. AKHAVAN : [interprétation] J'appelle votre attention sur le paragraphe

21 36 de l'acte d'accusation où le Procureur affirme je cite : "Une politique

22 démographique a également été mise en œuvre." L'Accusation affirme d'une

23 part que ce sont les pilonnages qui ont provoqué l'exode massif de la

24 population. Egalement, qu'après la prise du territoire par les autorités

25 croates, "il y a eu une politique démographique équivalente à une

26 colonisation des Serbes de la Krajina par les Croates, autrement dit

27 intervention des forces croates dans le secteur abandonné par les Serbes

28 qui ont fui même s'ils ont survécu. Des maisons appartenant aux Serbes

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1 auraient été expropriées, le droit au retour aurait été rendu pratiquement

2 irréalisable, et ce, de façon délibérée."

3 Nous disons que le crime défini à l'article 49 paragraphe 6 de la 4e

4 Convention de Genève, par transfert de population d'un territoire occupé

5 par des autorités déterminées sur un autre territoire occupé par d'autres

6 autorités, nous disons que cette définition ne s'applique pas au conflit

7 armé interne. C'est ce qu'on peut déduire de la lecture de l'article 130 de

8 l'étude du droit coutumier du CICR. La réponse de l'Accusation consiste à

9 dire qu'elle n'a pas poursuivi ce crime particulier. Elle n'a pas entamé de

10 poursuites pour crime de colonisation dans sa dernière réponse.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais --

12 M. AKHAVAN : [interprétation] Ce que dit l'Accusation, c'est qu'elle

13 utilisera cette action comme élément à l'appui de la preuve d'une intention

14 délibérée de persécution et d'une intention de déportation par le biais des

15 déplacements massifs de population serbe destinée à devenir permanents. Ce

16 que nous disons, avec le respect que nous devons au Tribunal, c'est que de

17 ne pas entamer de poursuites vis-à-vis de ce crime en tant que tel, et si

18 effectivement il ne s'agit pas d'un crime d'une violation du droit

19 humanitaire international, alors on ne comprend pas quelles peuvent être

20 les déductions tirées par l'Accusation et quelles sont ses intentons

21 réelles. Nous mettons l'accent sur le fait que sans avoir la moindre

22 intention de contester les questions de faits qui seront discutées au cours

23 du procès, ceci a un rapport direct avec la compétence du Tribunal.

24 Nous devons remarquer que dans l'affaire Martic et dans d'autres

25 affaires jugées par ce Tribunal, l'Accusation a reconnu que près de 100 000

26 Croates avaient subi un nettoyage ethnique dans la région de la Krajina.

27 Revenir maintenant pour dire que le relogement de ces personnes est soit un

28 crime au titre du droit humanitaire international, soit la preuve d'une

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1 présumée colonisation de la part des Croates, est une accusation très

2 grave. Nous disons qu'elle dépasse la compétence du Tribunal, car elle n'a

3 rien à voir avec les règlements appliqués par le Tribunal.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi, je lis le paragraphe 50 de

5 l'acte d'accusation. Je vois que des accusations sont retenues pour

6 "exécution de transfert massif de population et/ou déportation des membres

7 de la population serbe de Krajina hors de la portion habitée par eux dans

8 la région de la Krajina." Il y a un certain nombre d'autres passages où il

9 est question "de menace et/ou d'actes d'intimidation effectifs par la

10 violence."

11 C'est cela le crime qui est mis en accusation. Dans le paragraphe 36,

12 dites-moi si je me trompe ou si mon interprétation est inexacte, on trouve

13 la description d'un certain nombre de circonstances factuelles présentant

14 les Croates comme investissant des maisons abandonnées par les Serbes. Ce

15 qui est de façon tout à fait probante suffisant pour montrer que ces

16 occupants serbes avaient au préalable quitté ces maisons dans une période

17 antérieure. Discutons, si vous le voulez bien, en partant de l'hypothèse

18 que vous pourriez avoir raison et que les Serbes étaient partis, des

19 Croates ayant été déplacés hors d'une région particulière.

20 Si ce territoire est ensuite reconquis par les forces croates, ce

21 n'est qu'une hypothèse, une façon de lire l'acte d'accusation, si vous

22 voulez bien, que les Serbes avaient au préalable quitté ce territoire avant

23 de le reconquérir. Selon vous, est-ce que ce serait autorisé ou est-ce que

24 ce serait un crime de déplacer une population civile et ensuite de

25 décourager son retour en parlant de colonisation croate ? Pour moi, ma

26 lecture de tout cela, c'est que cette population a dû quitter ce territoire

27 au préalable. Est-ce que cela modifierait quelque chose, à votre avis ?

28 M. AKHAVAN : [interprétation] Je devrais peut-être expliciter notre

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1 position. Notre position, c'est qu'au titre de l'article 49, paragraphe 6

2 de la 4e Convention de Genève, il y a eu colonisation ou imposition de

3 certaines réglementations.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cela ne fait pas l'objet d'une

5 accusation dans l'acte d'accusation.

6 M. AKHAVAN : [interprétation] Non, non, non. L'Accusation vient de dire que

7 ce n'était pas une accusation de sa part. Cela n'était pas tout à fait

8 clair à la première lecture de l'acte d'accusation. Le mot "coloniser" a

9 une certaine signification en droit humanitaire.

10 Si on accuse la Croatie d'avoir colonisé son propre territoire cela pose

11 tout de même un problème.

12 Ce que nous disons, c'est que d'une part l'Accusation affirme qu'il y

13 a eu expulsion massive de Serbes par le biais d'un conflit, et en grande

14 partie de pilonnage de civils, ensuite les forces croates sont arrivées

15 dans ce territoire alors qu'une grande majorité de la population serbe

16 l'avait au préalable abandonné. Ensuite, il y a une accusation selon

17 laquelle ce serait en raison de destructions et de pilages aveugles que les

18 civils serbes auraient été empêchés de revenir.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous interrompre. Est-

20 ce que c'est vrai ou pas ? Cela c'est une question de discussion. Ce n'est

21 pas ce que dit l'article 50, n'est-ce pas ? L'article 50 ne dit pas que les

22 personnes qui ont quitté la région l'ont fait dans ces conditions.

23 L'article 50 traite de transfert et de déportation sous la contrainte de

24 membres de la population serbe de Krajina. Il ne parle pas de décourager le

25 retour de ces personnes.

26 M. AKHAVAN : [interprétation] Ces paragraphes sont couverts par la

27 définition que l'on trouve dans le paragraphe 50 qui se lit comme suit, je

28 cite : "Les actes faisant l'objet d'accusation aux paragraphes 12 à 21 et

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1 28 à 47 de l'acte d'accusation sont inclus." Ils sont inclus dans

2 l'accusation de déportation par colonisation présumée de la Krajina. C'est

3 un facteur qui établit la déportation.

4 Nous disons que pour qu'il y ait crime de déportation il faut d'abord

5 qu'il y ait les éléments qualificatifs de ce crime. Si l'article 49 des

6 conventions et la jurisprudence de Tribunal, comme l'affirme l'Accusation

7 dans son mémoire préalable au procès, reconnaissent expressément la

8 nécessité que les victimes soient entre les mains d'une partie en conflit

9 pour que rétroactivement soit qualifié le crime de déportation. Alors, il y

10 a un élément majeur de la qualification qui n'existe pas. A cet élément

11 s'ajoute à titre supplétif l'élément de colonisation qui est la base de

12 l'argumentation permettant d'arriver à la conclusion en question.

13 Nous disons qu'il y a là un problème de raisonnement pour démontrer

14 l'existence d'un crime contre le droit humanitaire international.

15 L'Accusation affirme qu'elle n'a pas mis en accusation ce crime en tant que

16 tel, mais qu'elle va s'en servir en tant que moyen de déduire l'existence

17 d'une intention délibérée. Sur le plan juridique, nous développons tout

18 cela dans nos écritures.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je comprends mieux maintenant la façon

20 dont vous interprétez l'acte d'accusation. Cela nous aidera à mieux

21 comprendre votre position. L'un des arguments évoqués pour poursuivre pour

22 crime contre l'humanité au titre de l'article 5 du Statut, pour ne pas

23 priver l'accusé d'une possibilité de se défendre, c'est que les actes mis

24 en accusation étaient légaux. Est-ce que ceci est bien compris ?

25 M. AKHAVAN : [interprétation] Non, nous disons qu'il y a mauvaise

26 interprétation de cet argument. Nous ne disons pas qu'on ne peut pas mettre

27 en accusation des attaques illégales, cela c'est tout à fait possible aux

28 termes de la jurisprudence du Tribunal. L'affaire Galic en est un parfait

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1 exemple. Il y a eu des conflits armés qui ont fait l'objet d'accusation

2 pour crime contre l'humanité. Nous pensons qu'il serait tout à fait

3 inacceptable de créer une lacune dans le droit humanitaire, qui permettrait

4 à des gens d'être présentés comme des victimes de pilonnages aveugles, par

5 exemple, sans qu'il y ait possibilité de mettre ces actes en accusation.

6 Ce que nous disons, c'est qu'il faut que les éléments qualifiant le crime

7 en question existent. Crime de déportation ce n'est pas une accusation

8 retenue dans l'acte d'accusation en l'espèce. Alors, pourquoi est-ce que

9 l'Accusation met en accusation le pilonnage présumé de civils dans le cadre

10 de sa poursuite du crime de déportation par rapport à d'autres crimes qui

11 existent également dans la définition du crime contre l'humanité. On a le

12 crime de meurtre qui fait l'objet d'accusation dans l'affaire Galic où il

13 est présenté comme une accusation sous-jacente à l'accusation principale

14 toujours avec intervention de l'article 5 du Statut. Il y a aussi l'article

15 3.

16 L'Accusation affirme que les violations de la loi de la guerre ne

17 s'appliquent pas aux crimes contre l'humanité lorsque le combat est rendu

18 impossible. C'est l'Accusation qui le dit. Ce que nous disons, c'est qu'il

19 ne peut pas y avoir mise en accusation du pilonnage au titre de l'article 5

20 du Statut sans que soit prouvé l'existence des éléments constitutifs du

21 crime de déportation. Il faut que les deux soient prouvés, en l'absence de

22 preuve c'est illégal.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aimerais mieux vous comprendre. Si on

24 poursuit un crime contre l'humanité, il faut prouver que l'Accusation a les

25 moyens de le faire oui ou non. Je ne sais pas si c'est le cas. Il faut que

26 vous prouviez que le crime a été commis dans le cadre d'une attaque

27 systématique généralisée contre les civils. Les lois de la guerre

28 permettent éventuellement de justifier ou d'excuser cette attaque

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1 systématique ou généralisée contre les civils. Est-ce que c'est cela que

2 vous dites ? J'essaie de vous comprendre.

3 M. AKHAVAN : [interprétation] Ce n'est certainement pas le cas. Je regrette

4 d'avoir donné cette impression. Nous ne sommes absolument pas sur cette

5 ligne d'argument. Le crime contre l'humanité doit, pour être prouvé,

6 s'appuyer sur un élément matériel. La connaissance du contexte plus général

7 de l'attaque généralisée ou systématique et il faut que cet élément

8 matériel existe dans le cas de la déportation.

9 Deux niveaux d'analyse existent.

10 Le premier, quel est le crime de déportation qui doit être prouvé

11 pour que le lien puisse être établi avec l'élément matériel de connaissance

12 de l'existence d'une attaque généralisée ou systématique. Le crime de

13 déportation impliquant l'expulsion sous la contrainte de civils entre les

14 mains d'une partie belligérante. Nous disons que la nécessité de ce lien ne

15 fait aucun doute.

16 Si on ne peut pas prouver l'existence du crime sous-jacent de

17 déportation, alors l'élément matériel justifiant qu'on évoque la

18 déportation n'existe pas, il n'y a pas crime. S'agissant de la connaissance

19 du contexte, on ne peut pas s'appuyer sur un autre acte illégal pour en

20 tirer la conclusion que la déportation existe.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un acte légal, quel acte légal avez-vous

22 à l'esprit ?

23 M. AKHAVAN : [interprétation] Par exemple, il y a l'existence de cibles

24 militaires légales à Knin et l'ordre légal de viser ces cibles militaires

25 dans le cadre du pilonnage des civils qui ont fui ces pilonnages dans des

26 situations de combat normales en cas de guerre. C'est légal que des civils

27 fuient. Ce n'est pas en soi un crime de guerre ou un crime contre

28 l'humanité. Il ne peut pas non plus servir de base à déduire qu'il y a eu

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1 intention criminelle de la part de l'accusé.

2 Il faut établir au préalable que les attaques étaient soit délibérées

3 contre les civils en tant que telles ou qu'il s'agissait d'attaques

4 aveugles ou d'attaques impliquant un recours disproportionné à la force

5 armée.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je me permets de vous interrompre, parce

7 que c'est cela que je voulais vous demander d'expliciter. Qu'est-ce que

8 vous dites ? Vous dites qu'une attaque militaire est une attaque

9 acceptable. Dans ce cadre, des civils peuvent s'enfuir. Ils peuvent

10 éventuellement être tués et qu'il s'agit de dommages collatéraux. Vous

11 dites que si la cible militaire est légitime, ce serait une erreur de

12 mettre en accusation au titre de l'article 5 du Statut parce qu'il n'y

13 aurait pas lieu de le faire. Pouvez-vous m'expliquer comment vous pouvez

14 prouver que cet acte faisait partie d'une attaque généralisée et

15 systématique contre les civils ? En même temps, vous dites plus tard dans

16 votre argumentation, il pouvait s'agir d'une cible militaire légitime

17 justifiée, et ce ne serait en l'occurrence que des dommages collatéraux.

18 Attaquer une cible militaire et constater des dommages collatéraux parmi

19 les civils, comment est-ce que ces deux éléments peuvent se concilier si

20 l'on part du principe que l'attaque systématique ou généralisée contre la

21 population civile est prouvée au préalable ?

22 M. AKHAVAN : [interprétation] Pour prouver l'existence d'une attaque

23 systématique et généralisée, il faut établir qu'il y a eu des actes

24 criminels. Si vous vous contentez d'établir que des circonstances

25 regrettables de guerre, même très violentes, sont une tragédie très

26 regrettable comme le sont toutes les guerres qui font des victimes parmi

27 les civils qui prennent la fuite, si tel est bien le cas, il s'agit de

28 dommages collatéraux. Cela ne change en rien l'argument que nous

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1 développons au sujet des bombardements de l'OTAN au Kosovo ou de

2 l'opération Tempête. Le simple fait qu'il y ait eu des victimes civiles ou

3 que des civils aient pris la fuite ne permet pas d'établir l'existence

4 effective d'une attaque systématique et généralisée.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cela signifie que dans une telle

6 situation il y aurait des dommages collatéraux dans le cadre de l'attaque

7 visant une cible militaire légitime. C'est ce que vous dites. Bien entendu,

8 tous les faits qui sont survenus seraient pratiquement ou automatiquement

9 acquittés au titre de l'article 5 du Statut en raison du fait que l'attaque

10 systématique et généralisée n'a pas pu être prouvée.

11 M. AKHAVAN : [interprétation] Nous évoquons un point de droit. Le point de

12 droit c'est que les circonstances d'occupation au titre de la définition

13 des conventions de Genève sont totalement différentes si on les compare à

14 celles des conventions de La Haye. Il n'y a pas occupation. La grande

15 différence c'est que quelqu'un doit être entre les mains d'une partie

16 belligérante pour que le traitement inhumain soit expressément prohibé.

17 Dans la conduite d'un conflit armé, comme nous le savons sur la base du

18 rapport de l'OTAN, citant le nombre de civils qui ont trouvé la mort au

19 cours des bombardements de l'OTAN --

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce sont des faits que je n'ai pas à

21 l'esprit.

22 M. AKHAVAN : [interprétation] Nous disons que ceci figure dans le rapport

23 de l'Accusation. L'Accusation établit que 500 personnes ont été tuées dans

24 le cadre des bombardements de l'OTAN, et à peu près un millier, blessées,

25 mais décide que personne ne peut être poursuivi pour crimes de guerre ou

26 crimes contre l'humanité dans ce cadre. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas

27 attaque systématique généralisée au sens de la définition du crime contre

28 l'humanité, même si 500 personnes ont été tuées et un millier, blessées.

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1 Nous disons qu'on ne peut pas affirmer que le pilonnage des civils et le

2 départ d'un grand nombre de civils constituent un crime contre l'humanité

3 ou un crime de déportation en tant que tel, si les éléments nécessités par

4 les conventions de La Haye ne sont pas prouvés au préalable, à savoir qu'il

5 y a eu pilonnage délibéré ou aveugle et violences volontaires qui

6 permettent de constituer le crime contre l'humanité.

7 Nous ne disons pas que vous devez mettre en accusation soit les crimes de

8 guerre, soit les crimes contre l'humanité. Nous disons que dans un état de

9 conflit armé, pour déterminer s'il y a eu crimes de guerre et matérialités

10 du crime contre l'humanité, il faut que les violations des lois de la

11 guerre soient également prouvées au préalable. Le fait que l'Accusation

12 passe plus de deux mois à dire si vous voulez mettre en accusation des

13 violations des conventions de La Haye, nous le ferons, le prouve de façon

14 tout à fait probante.

15 A notre avis, l'Accusation elle-même établit la distinction entre

16 crime contre l'humanité et violation des lois de la guerre. Dans l'affaire

17 Galic, affaire Milosevic, par exemple, nous n'avons cessé d'entendre les

18 arguments juridiques signifiant qu'il fallait prouver l'occupation pour que

19 le crime soit qualifié. Qu'en est-il des mémoires préalables au procès de

20 l'Accusation qui ressassent inlassablement la nécessité de l'application de

21 l'article 49. C'est de cette façon que nous développons notre argument en

22 disant que le procès est impossible sur la base de cet acte d'accusation.

23 J'ajouterais que l'Accusation a poursuivi pour violations des

24 conventions de La Haye, et que dans ce cas elle pourra faire venir autant

25 de témoins experts qu'elle le voudra et de témoins en chair et en os

26 qu'elle le voudra. Nous ne cesserons de remettre en cause ce fondement, à

27 savoir que les forces serbes auraient utilisé des bâtiments pour lancer des

28 attaques contre la Croatie. Ce genre de chose, il faudra prouver que cela

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1 était possible techniquement au général Gotovina.

2 M. AKHAVAN : [aucune interprétation]

3 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

4 M. AKHAVAN : [aucune interprétation]

5 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

6 M. AKHAVAN : [interprétation] Nous sommes dans un débat tout à fait

7 différent. C'est une chose de dire que des gens ont été expulsés par la

8 force. Le général Gotovina, s'il doit être poursuivi pour violations des

9 conventions de La Haye sans être poursuivi dans le cadre évoqué

10 précédemment, cela crée une lacune s'agissant de la protection assurée par

11 le droit international humanitaire. Le crime de terrorisation [phon] des

12 civils peut suffire à prouver cette affaire.

13 La question c'est que les victimes ne doivent pas être laissées sans

14 protection. La question que nous discutons, c'est si l'accusé fait l'objet

15 de chefs d'accusation acceptables dans le droit coutumier. Le droit

16 coutumier ne peut pas être réécrit à la dernière heure. C'est la raison

17 pour laquelle nous disons que tout cela va au-delà de la compétence de ce

18 Tribunal avec mépris complet de l'article 49 de la convention de Genève, du

19 jugement Stakic et d'autres jugements du TPY.

20 J'ajouterais pour finir, trois affaires citées par l'Accusation,

21 l'affaire Blagojevic, Stakic et Brdjanin, ce sera ma dernière remarque. Si

22 vous regardez d'un peu plus près ces affaires, vous verrez que dans aucune

23 d'entre elles, le Procureur ne met en accusation le pilonnage comme élément

24 de la déportation. Le Procureur a mis en accusation le contrôle par les

25 autorités de la Republika Srpska du territoire en question et en

26 conséquence la déportation systématique de la population. Cela c'est le

27 contenu de l'Accusation.

28 Le jugement en tant que tel n'évoque pas le pilonnage dans son

Page 166

1 traitement des faits relatifs au procès. Elle l'aborde dans la théorie de

2 la coercition par voie de pilonnage, occupation de territoire et

3 déportation de la population, par la pertinence par rapport aux faits. Ce

4 n'est pas ce que fait l'Accusation en l'espèce. Elle dit que le pilonnage

5 est un mode de déportation en tant que tel. C'est la raison pour laquelle

6 nous évoquons tous les précédents cités par l'Accusation pour défendre

7 notre position.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup. Je comprends mieux

9 votre position et pourquoi vous estimez qu'il importe de limiter la

10 possibilité de poursuite judiciaire du Procureur. Nous allons réfléchir à

11 la question.

12 [La Chambre de première instance se concerte]

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous avez quelque

14 chose à dire après les propos de M. Akhavan ?

15 M. MIKULICIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, je ne

16 vous avais pas bien entendu. Je regardais simplement le transcript.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je voulais savoir si vous aviez quoi

18 que ce soit à ajouter à ce qui vient d'être dit par Me Akhavan, mais

19 brièvement.

20 M. MIKULICIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Je suis tout à

21 fait d'accord avec ce qu'a dit M. Akhavan. Je voudrais simplement répondre

22 très brièvement à la théorie exposée par mon éminente consoeur de

23 l'Accusation, au moment où elle s'est adressée à la Chambre. De mon point

24 de vue, l'Accusation s'est lancée dans cette procédure sur la base d'une

25 thèse erronée, comme si ce Tribunal n'avait pas sa propre jurisprudence,

26 lui permettant de juger les auteurs de crimes commis à l'issue de

27 l'opération Tempête parce que nous affirmons qu'il n'y avait pas de conflit

28 armé. Je pense que l'Accusation en tire une conclusion erronée, à savoir

Page 167

1 que ceci rendrait ces actes légaux.

2 Je souhaite affirmer ici très clairement que l'Accusation ne considère pas

3 du tout les événements qui se sont produits à l'issue de l'opération

4 Tempête, et nous savons que des maisons ont été incendiées, qu'il y a eu

5 pillage, qu'il y a eu vols, et cetera, qu'il y a eu des meurtres également;

6 nous ne souhaitons absolument pas nier l'existence d'actes illégaux tels

7 que ceux-ci. Ce que nous essayons de dire, c'est que ce Tribunal n'a pas

8 compétence pour connaître ces crimes puisqu'ils se sont produits hors du

9 cadre d'un conflit armé. Ce sont les autorités judiciaires de la République

10 de Croatie qui auraient autorité pour reconnaître ces crimes. Voilà quel

11 est notre argument.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

13 L'Accusation, y a-t-il une réponse ?

14 M. JARVIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Pour répondre

15 très brièvement aux arguments supplémentaires qui viennent d'être

16 développés par la Défense. D'abord, la distinction qu'ils essaient

17 d'établir entre les violations et conventions de Genève, à notre avis,

18 cette distinction n'est pas pertinente. Elle n'est pas valable non plus.

19 Voici quelle est notre position. Le pilonnage illégal a été mené à bien en

20 tant que moyen ayant abouti à la déportation et au transfert forcé en

21 l'occurrence. L'Accusation doit pouvoir agir sur cette base-là.

22 La définition de la déportation qui a été acceptée par la Chambre

23 d'appel dans cette affaire devant ce Tribunal, reconnaît que la déportation

24 peut être effectuée par le biais d'expulsion ou par tout autre forme de

25 coercition.

26 Ici en l'occurrence, dans ces circonstances factuelles, il s'agissait

27 là d'un acte de coercition qui a ensuite facilité le processus de

28 déportation.

Page 168

1 Nous dirions également qu'il y a un exemple tout à fait clair de

2 violations des conventions de La Haye, pour reprendre la terminologie de la

3 Défense, et qui a été accepté comme fondement de présentation de crimes

4 contre l'humanité. Dans l'affaire Galic, des condamnations pour actes

5 inhumains en tant que crimes contre l'humanité ont été établies sur la base

6 du pilonnage et de tirs isolés qui ont eu lieu à Sarajevo. Il n'y a rien

7 dans la jurisprudence de ce Tribunal qui limite une telle approche en

8 l'occurrence dans la présente affaire.

9 S'agissant maintenant de l'argument de la colonisation développé par

10 la Défense. Je crois qu'il est tout à fait clair maintenant que

11 l'Accusation n'incrimine pas ces actes de colonisation à part entière au

12 titre de l'article 49 de la convention de Genève. La Défense essaie de dire

13 que si ce n'est pas le cas, l'Accusation ne peut utiliser les éléments de

14 preuve ayant trait à la question de la colonisation d'une quelconque

15 manière. Ce que nous disons au contraire, c'est que c'est une approche qui

16 est tout à fait acceptable.

17 Ces questions factuelles, elles ne font pas effectivement l'objet de

18 chefs d'Accusation. C'est peut-être néanmoins les éléments de preuve

19 factuels qui nous permettent d'évaluer un certain nombre de facteurs au

20 moment d'établir si les éléments constitutifs des crimes existent bel et

21 bien. Dans le crime de génocide, par exemple, il peut y avoir des actes

22 particuliers, génocide culturel, incendie de bibliothèques. Ce genre de

23 chose ne pourrait peut-être pas constituer un crime à part entière mais qui

24 n'empêche pas néanmoins qu'on prenne ces éléments en compte au moment

25 d'établir l'intention, l'élément mental du crime de génocide et de

26 l'intention belliqueuse de l'accusé ou des accusés en l'occurrence. Je

27 crois qu'il n'y a pas de différence entre le processus que je prends comme

28 exemple ici et ce qui se passe dans la présente affaire.

Page 169

1 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

2 M. JARVIS : [interprétation] Une dernière chose Monsieur le Président, nous

3 refusons l'argument de la Défense selon lequel il y a une quelconque

4 exigence de contrôle exercé sur un territoire donné, Exigence selon

5 laquelle les victimes doivent être aux mains de la partie opposée au

6 conflit lorsqu'il y a crime de déplacement dans le cadre de conflit

7 interne. Nous rejetons la description faite par la Défense selon laquelle

8 les dispositions pertinentes du droit humanitaire international ont elles-

9 mêmes importé cette exigence ou ce critère. Je crois que nous avons indiqué

10 qu'il y a l'article 17 du Protocole additionnel II et que les dispositions

11 qui y figurent sont particulièrement larges. Il y est question de toute

12 personne qui se trouve sur le territoire sur lequel un conflit armé se

13 déroule. Si vous regardez la terminologie utilisée dans la disposition et

14 tout le commentaire qui l'accompagne, vous verrez qu'il est tout à fait

15 clair et qu'il n'est prévu aucune limite particulière, importée ou non,

16 s'agissant de la protection apportée à ces victimes.

17 S'il y a d'autres questions, n'hésitez pas à me les poser.

18 [La Chambre de première instance se concerte]

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

20 M. AKHAVAN : [interprétation] Monsieur le Président, je m'excuse, mais

21 j'aimerais pouvoir tirer au clair un certain nombre de points à ce stade-

22 ci, si c'est possible.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce quelque chose que vous n'avez

24 pas encore tiré au clair, Professeur Akhavan ?

25 M. AKHAVAN : [interprétation] Oui, en effet. C'est un nouvel argument qui

26 vient d'être évoqué par l'Accusation s'agissant de l'article 17. Je me

27 disais que je pourrais peut-être en parler brièvement.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Combien de temps ?

Page 170

1 M. AKHAVAN : [interprétation] Quelques minutes.

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quelques, c'est-à-dire ?

3 M. AKHAVAN : [interprétation] Deux minutes.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

5 M. AKHAVAN : [interprétation] Il est tout à fait étonnant de voir que

6 l'Accusation évoque maintenant l'article 17 du Protocole additionnel II,

7 alors qu'elle dit dans ses écrits qu'il n'est pas applicable. L'Accusation

8 dit que la restriction s'appliquant au crime du déplacement forcé ne

9 s'applique pas. C'est ce qu'elle dit dans --

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez ralentir, s'il vous plaît,

11 Professeur Akhavan.

12 M. AKHAVAN : [interprétation] Oui. Revenons à la déclaration du Juge

13 Schomburg. Nous avons entendu que la Chambre d'appel n'exige pas qu'il y

14 ait eu occupation.

15 Voilà ce que dit le Juge Schomburg : "L'article 5 déportation doit

16 être d'une zone sous le contrôle effectif d'une partie belligérante vers

17 une zone placée sous le contrôle effectif d'une autre."

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous l'avez déjà dit tout à l'heure

19 dans la présentation de vos arguments.

20 M. AKHAVAN : [interprétation] Oui. Maintenant j'aimerais conclure sur la

21 chose suivante. La question est de savoir si l'Accusation a un pouvoir

22 discrétionnaire d'incriminer quelqu'un pour un crime donné alors qu'il ne

23 répond pas aux critères établis par la jurisprudence. Je continue à citer

24 la décision Tadic qui établit les critères permettant de déterminer quand

25 l'Accusation n'a pas de pouvoir discrétionnaire pour incriminer telle ou

26 telle personne. Ceci c'est dans l'arrêt Tadic. Il est dit dans cet arrêt -

27 et le conseil cite sans avoir communiqué le texte aux interprètes une

28 nouvelle fois - l'article 72 reconnaît qu'une question aussi fondamentale

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1 de la compétence "ne devrait pas relever d'une décision qui pourrait

2 intervenir au terme d'un procès potentiellement long à haute teneur

3 émotionnelle et coûteux." Par la suite, on lit encore "les intérêts

4 supérieurs de la justice ne peuvent pas être respectés par une décision

5 allant en faveur de l'accusé après que celui-ci ait subi ce que l'on

6 pourrait qualifier de procès non mérité." Voilà ce que dit la Chambre

7 d'appel.

8 La pratique qui semble être suivie par le bureau du Procureur semble

9 aller à l'encontre du droit coutumier. Je crois qu'ici il y a violation de

10 ce principe. Nous pensons qu'il serait impensable d'entamer un procès sur

11 une telle base, particulièrement à une période où les ressources de ce

12 Tribunal sont maigres et qu'elles ne devraient pas être gaspillées dans une

13 procédure qui, vraisemblablement, va à l'encontre des dispositions du droit

14 coutumier. Excusez-moi, Monsieur le Président, je voulais simplement

15 préciser cela.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

17 La Chambre d'appel remercie les parties de la présentation de ces

18 arguments. Nous allons prendre en compte les différentes thèses exprimées.

19 J'aimerais que l'on passe au point suivant. Dans le cadre d'une

20 décision rendue hier, la Chambre de première instance a invité M. Separovic

21 - je vois que vous acquiescez, Monsieur - à répondre. Je suppose que vous

22 avez vu la décision. Etes-vous en mesure de répondre ?

23 M. SEPAROVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La décision dit que vous seriez invité

25 lors de cette audience à nous dire pourquoi la Chambre de première instance

26 ne devrait pas agir conformément à l'article 46.

27 M. KEHOE : [interprétation] Si vous me le permettez, j'aimerais poser une

28 question à cette Chambre avant que mon confrère, Me Separovic s'adresse aux

Page 172

1 Juges.

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Allez-y.

3 M. KEHOE : [interprétation] J'ai pris connaissance de la décision de la

4 cour hier et ma question est la suivante : si le général Gotovina décide de

5 ne pas citer Me Separovic en tant que témoin, est-ce que votre décision

6 serait autre ?

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suis désolé. Votre question

8 intervient tardivement, Me Kehoe. Vous nous avez dit qu'il était probable

9 que vous alliez le citer à comparaître.

10 M. KEHOE : [interprétation] Oui, j'en ai parlé au cours de notre dernière

11 réunion, M. le Juge Moloto. J'ai parlé de l'impérieuse nécessité que le

12 général Gotovina jugeait que M. Separovic devrait continuer à représenter

13 M. Markac. Je vous avais dit également que nous envisagerions la

14 possibilité de nous mettre d'accord sur un certain nombre de faits

15 s'agissant du témoignage de Me Separovic.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Kehoe --

17 M. KEHOE : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Cette Chambre de première instance

19 souhaite que le procès commence dans les plus brefs délais. Ce que vous me

20 dites aurait dû être fait il y a longtemps, cela n'a pas été fait.

21 J'aimerais maintenant que nous permettions à Me Separovic de bien vouloir

22 répondre à la décision que nous avons rendue.

23 M. KEHOE : [interprétation] Oui, simplement je voulais évoquer la

24 possibilité de répondre à ces préoccupations.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous avons pris bonne note de vos

26 préoccupations et de votre proposition. Merci beaucoup.

27 M. SEPAROVIC : [interprétation] Merci. J'ai reçu la décision hier. Je

28 souhaite vous remercier de me donner la possibilité de présenter les

Page 173

1 raisons que je souhaite présenter et pourquoi. Je pense que la conduite que

2 j'ai adoptée jusqu'ici n'a pas été contraire aux intérêts de mon client et

3 n'a pas été non plus inappropriée. Je souhaite vous assurer qu'il ne

4 devrait plus y avoir d'autres mesures à prendre à mon encontre par la

5 Chambre de première instance.

6 Vous avez jugé qu'il y avait conflit d'intérêt, que j'avais un

7 certain nombre d'intérêts personnels en l'occurrence et que je disposais

8 d'informations personnelles. J'aimerais vous expliquer pourquoi je continue

9 à affirmer, quant à moi, qu'il n'y a pas de conflit d'intérêt et que ma

10 conduite n'a pas été inappropriée et que je n'ai pas été à l'encontre des

11 droits de mon client ni manqué de respect à ce Tribunal.

12 Dans la décision de la Chambre d'appel, il est dit très clairement

13 que Separovic, en tant que témoin nécessaire, devrait se retirer de

14 l'affaire à moins qu'il puisse démontrer que le général Markac subirait un

15 préjudice à la suite de cela. Conformément à l'article 26 du code de

16 conduite, j'ai déclaré que mon client subirait un préjudice si son conseil

17 devait se retirer à ce stade-ci de la procédure. Voilà la première raison

18 pour laquelle je pense que m'a conduite n'a pas été indue.

19 La deuxième raison qui me pousse à intervenir devant vous, c'est l'intérêt

20 de mon client. Il m'a demandé, malgré tout conflit d'intérêt éventuel, il

21 m'a demandé de poursuivre dans ma tâche de conseil. Il sait pertinemment

22 que j'ai été ministre de la Justice. Il connaît très bien quelles ont été

23 mes fonctions, quel a été mon rôle en l'occurrence. En dépit de tout cela,

24 il m'a demandé de continuer à le défendre. Dans la décision d'hier de la

25 Chambre de première instance, il semble qu'il y a un nouvel élément. Peut-

26 être que je l'ai mal compris, mais à l'article 14 du code il est question

27 d'intérêt personnel.

28 Il semblerait qu'ici on m'accuse de défendre des intérêts personnels

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1 et que c'est la raison pour laquelle je souhaite continuer à défendre les

2 intérêts de mon client. Je souhaite vous informer que je ne défends aucun

3 intérêt personnel, et que ce qui m'intéresse ici, et la seule chose qui

4 m'intéresse, ce sont les intérêts de mon client. Si j'ai compris ce que

5 vous dites, vous dites que tout membre du gouvernement d'alors est un

6 membre potentiel de cette entreprise criminelle commune. Si c'était le cas,

7 il s'agirait ici de tout membre du gouvernement, de tout membre du cabinet.

8 Ceci évidemment me discréditerait en tant que conseil de la Défense.

9 Toutefois, à ce stade de la procédure il me semble qu'il est tout à

10 fait prématuré de dire qu'il y a eu une entreprise criminelle commune,

11 encore plus de dire que tous les membres du cabinet étaient membres de

12 cette entreprise criminelle commune. Il me semble qu'il y a présomption

13 d'innocence, cette présomption d'innocence s'applique à moi également. Je

14 n'ai jamais fait l'objet de la moindre enquête. Je n'ai jamais été entendu

15 par le bureau du Procureur. Il n'y a pas d'intérêt personnel que je

16 poursuive. Il n'y a pas eu de conduite inappropriée. Il me semble qu'il y a

17 un droit consacré à choisir son propre conseil, conformément à l'article

18 21, paragraphe 4 du Statut, et ceci va au-delà de toute éventualité, encore

19 toute théorique éventualité d'une comparution de témoin me concernant.

20 La troisième raison que j'aimerais évoquer, c'est le fait que je ne pense

21 pas que ma conduite ait été inappropriée. Je pense qu'il est dans l'intérêt

22 de mon client que je continue à le représenter. Il me semble qu'il y a un

23 certain nombre de normes et de précédents de ce Tribunal qui ont été

24 appliqués. J'ai d'ailleurs présenté mes arguments à cet égard, et je pense

25 qu'il doit y avoir un équilibre de ménagé entre les intérêts de la justice

26 et le droit d'un accusé à choisir son propre conseil. Il me semble que mon

27 retrait entraînerait un déséquilibre au détriment de mon client. Il faudra

28 également déterminer si oui ou non je suis un témoin nécessaire.

Page 175

1 Je ne le suis pas. Je n'ai pas de connaissance particulière. Je

2 n'étais pas un ministre américain de la Justice; je n'avais qu'un poste

3 administratif s'agissant du système judicaire.

4 En outre, il y a les précédents qui existent au sein de ce Tribunal. Je

5 vous renvoie à l'affaire IT-95-9-PT, le Procureur contre Simic. Le Juge

6 May, maintenant décédé, a présidé aux débats de cette affaire. Je vois

7 qu'aucune référence à cette affaire ne figure dans la décision. L'avocat,

8 M. Pisarevic, a été un témoin oculaire des événements qui ont eu lieu dans

9 le camp et pour lesquels son client a été incriminé. Il a été reconnu par

10 des témoins en audience, et le Juge May a conclu que M. Pisarevic était un

11 témoin fondamental, nécessaire, qu'il y avait conflit d'intérêt. Mais

12 l'accusé Simic a fait une déclaration qui a soulevé la difficulté posée par

13 ce conflit d'intérêt à la lumière de l'article 14 du code déontologique

14 s'appliquant au conseil de la Défense.

15 Si l'article 21 du Statut dit que toutes les personnes sont égales devant

16 le Tribunal, pourquoi l'accusé Simic serait-il plus égal que mon client, M.

17 Markac ? Pourquoi M. Pisarevic - oui, pour lequel un conflit d'intérêt a

18 été établi, qui était reconnu par le témoin, qui a été reconnu comme témoin

19 nécessaire - pourquoi aurait-il eu autorisation de rester ? Pourquoi son

20 coconseil aurait-il eu l'autorisation de procéder au contre-interrogatoire

21 de ces témoins et que je n'obtiendrais pas cette autorisation. C'est la

22 quatrième raison pour laquelle je ne pense pas que ma conduite ait été

23 inadéquate. Il me semble que ma position est tout à fait justifiée.

24 Enfin, mon dernier argument, c'est quelque chose qui m'a été dit par le

25 général Gotovina, qui a été publié dans la presse croate, il a été décidé

26 que finalement je ne suis plus un témoin nécessaire et que la question ne

27 serait plus posée, à savoir que l'on ne me citerait pas à comparaître.

28 Alors, je ne comprends pas. Je ne comprends toujours pas le point de vue

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1 défendu par l'équipe du général Gotovina. Je ne sais pas si je suis

2 considéré comme témoin nécessaire ou pas, et je vous invite, Monsieur le

3 Président, Madame, Messieurs les Juges, à poser la question à l'équipe de

4 la Défense du général Gotovina.

5 Je crois que j'ai agi de manière tout à fait honorable dans la défense des

6 intérêts de mon client. Je pense que ma conduite n'a pas été inappropriée

7 ni contraire aux intérêts de ce dernier. J'attends la décision de la Cour.

8 Bien entendu, j'invoquerai mon droit à faire appel si nécessaire. Mais

9 conformément à l'article 46 du Règlement de procédure et de preuve, je vous

10 demanderais de bien vouloir rendre une décision. Si l'on juge que la

11 déclaration du général Markac n'a pas le même poids que la déclaration qu'a

12 faite M. Simic, je me retirerai. Bien entendu, j'invoquerai mon droit à

13 faire appel si nécessaire.

14 Merci, Monsieur le Président.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

16 [La Chambre de première instance se concerte]

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Separovic, la Chambre d'appel a

18 expliqué que l'une des questions se posant dans le cadre de la procédure

19 engagée contre les trois accusés serait la question de la responsabilité du

20 ministère de la Défense, du ministère de la Justice, responsabilité dans le

21 fonctionnement du système militaire. Serait-il dans l'intérêt de votre

22 client ou des autres accusés, lorsqu'ils étaient principalement liés au

23 ministère de la Défense, de faire porter la faute sur un autre ministère

24 plutôt que sur le sien pour les disfonctionnements ou pour leur implication

25 dans les événements ou dans leur manquement à réagir face à ces

26 événements ?

27 M. SEPAROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je crois que je ne

28 vous ai pas bien compris, malheureusement. Permettez-moi tout de même de

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1 répondre. Le ministère de la Justice n'avait pas la capacité d'intervenir

2 sur le déroulement des événements tel qu'en tout cas on le dit. Je n'ai pas

3 du tout compris votre question.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Effectivement. Je suppose que vous ne

5 l'avez pas comprise. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas ici à même

6 d'introduire des faits qui n'ont pas été établis que ce soit positivement

7 ou négativement. Voici quelle était ma

8 question : il ressort clairement de l'acte d'accusation que les trois

9 accusés en l'espèce fonctionnaient, disons, ou opéraient, disons, dans le

10 cadre -- enfin qu'ils occupaient tous des fonctions militaires, et nous

11 savons tous qu'en général c'est le ministère de la Défense qui est

12 compétent en matière militaire.

13 Alors, l'une des questions fondamentales, ou en tout cas, l'une des

14 questions qui se posent en l'espèce, c'est de savoir si c'était le ministre

15 de la Défense ou le ministère de la Justice, qui était responsable du

16 fonctionnement de la justice militaire. Ma question était la

17 suivante : Seriez-vous d'accord avec moi pour reconnaître que les trois

18 accusés, tous liés au ministère ou au ministre de la Défense, pourraient en

19 quelque sorte se voir un peu lavés si l'on pouvait rejeter la faute sur un

20 autre ministère, si l'on pouvait dire, ce n'était pas nous qui étions

21 responsables, nous, à savoir le ministère de la Défense, mais d'autres que

22 nous. Ne pensez-vous pas que ceci pourrait aider à leur défense.

23 M. SEPAROVIC : [interprétation] Monsieur le président, certainement. C'est

24 possible. Toutefois, ce que je dis, c'est que les faits qui doivent être

25 établis ne sont pas les faits dont j'ai connaissance exclusive. Ce que je

26 dis, c'est que mon témoignage ne viendrait pas véritablement contribuer à

27 l'application de la justice. Cette possibilité toute théorique que vous

28 évoquez ne peut pas primer sur les intérêts de l'accusé.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui. Ici, vous parlez de l'article 26

2 du code, où il est dit que si vous êtes un témoin nécessaire, vous ne

3 devriez pas intervenir à moins que certaines circonstances exceptionnelles

4 se présentent. Ce qui m'intéresse, c'est l'article 14. Je dis qu'il serait

5 peut-être dans l'intérêt des accusés de faire porter la faute ailleurs que

6 sur le ministère de la Défense. Si la Chambre d'appel a évoqué cette

7 question qui pourrait se poser, à savoir la détermination de la

8 responsabilité du ministère de la Défense ou du ministère de la Justice, et

9 bien, n'est-il pas vrai qu'il y aurait un risque objectif à ce que vous

10 fassiez porter la faute sur un autre ministère, même peut-être celui qui

11 est mentionné comme étant le ministère compétent.

12 M. SEPAROVIC : [interprétation] Mais pourquoi moi ? Excusez-moi. Mais

13 pourquoi moi ? Pensez-vous que je suis suspect potentiel dans cette

14 affaire ? Je ne comprends pas. Pourquoi pensez-vous que je doive répondre ?

15 Suis-je membre ? Ai-je participé à une entreprise criminelle commune ? Est-

16 ce que c'est comme cela que l'on me voie ? Je ne vois pas pourquoi je

17 devrais répondre à la question ? Pourquoi est-ce que je suis la personne

18 qui doive répondre à cette question ? Malgré de grands efforts que je

19 consens, je ne comprends pas très bien. Parce que j'étais ministre de la

20 Justice, j'aurais été membre éventuel d'une entreprise criminelle commune

21 et ceci me disqualifie en tant que conseil de manière automatique. Ce n'est

22 que de ce point de vue-là que j'arrive à comprendre ce que vous dites. Si

23 ce n'est pas la position que vous adoptez, je ne peux être qu'en désaccord

24 avec vous.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Non, non, bien sûr. Je comprends tout

26 à fait. C'est une autre question. La question a trait à votre liberté,

27 disons, de faire porter la faute sur d'autres cercles où vous jouiez un

28 rôle important, autres cercles que les cercles de la Défense, les cercles

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1 militaires. C'est cela la question. Vous comprenez ?

2 M. SEPAROVIC : [interprétation] Oui. Excusez-moi. Je comprends, mais

3 personne ne va faire porter la responsabilité sur quelqu'un d'autre. Vous

4 avez vu que le général Markac a fait une déclaration. Même si quelqu'un

5 faisait porter la responsabilité par d'autres, ce ne serait pas moi; ce

6 serait le général Markac. Il ne le fera pas non plus d'ailleurs parce qu'il

7 a déjà fait une déclaration. Cela ne me serait jamais venu à l'esprit moi-

8 même. Si quelqu'un va le faire, c'est lui; ce n'est pas moi. C'est la

9 raison pour laquelle je ne vois pas pourquoi en tant que conseil de la

10 Défense je devrais témoigner là-dessus. Je ne comprends pas.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

13 Il n'y aura pas d'autres questions pour aujourd'hui.

14 Nous sommes arrivés au terme de notre audience et je suspends

15 l'audience.

16 --- L'audience sur requêtes est levée à 15 heures 51.

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