Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le vendredi 11 septembre 2009

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   [Le témoin vient à la barre]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est toujours un grand plaisir pour moi

  7   que d'entendre le français sur le canal anglais tous les matins, ce qui est

  8   toujours une surprise.

  9   Je disais donc, Monsieur le Greffier, veuillez citer la cause.

 10   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

 11   Monsieur les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-06-90-T, le Procureur contre

 12   Ante Gotovina et consorts.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Greffier.

 14   Bonjour, Monsieur Corn. J'aimerais vous rappeler que la déclaration

 15   solennelle que vous avez prononcée au début de votre déposition est

 16   toujours valable.

 17   Monsieur Russo, êtes-vous prêt à reprendre le fil de votre contre-

 18   interrogatoire ?

 19   M. RUSSO : [interprétation] Oui, tout à fait, Monsieur le Président.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie.

 21   LE TÉMOIN : GEOFFREY CORN [Reprise]

 22   [Le témoin répond par l'interprète]

 23   Contre-interrogatoire par M. Russo : [Suite] 

 24   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur le Professeur.

 25   R.  Bonjour.

 26   Q.  Nous allons de suite passer à la page 27 de votre rapport d'expert et…

 27   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 28   M. RUSSO : [interprétation]

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  1   Q.  Il s'agit d'une partie de votre réponse à la question numéro 1. Ce qui

  2   m'intéresse, c'est le milieu du deuxième paragraphe avant le bas de la

  3   page, où vous dites :

  4   "Le dossier indique qu'avant le lancement de l'opération Tempête, le

  5   général Gotovina n'avait pas ordonné l'utilisation de tirs indirects contre

  6   des objectifs militaires à Knin, même si ces objectifs étaient à portée de

  7   ses armes de tirs indirects. Il s'agit là d'un facteur important que j'ai

  8   pris en considération, car cela corrobore la déduction suivant laquelle

  9   l'utilisation de ces pièces durant l'opération Tempête faisait partie

 10   intégrante de son concept opérationnel général. De ce fait, il est très peu

 11   vraisemblable que le général Gotovina ait gaspillé cette ressource

 12   précieuse contre un objectif ayant très peu de valeur tactique ou aucune

 13   valeur tactique. Il semble également difficile de ne pas tenir compte du

 14   fait que cela ne fait qu'étayer une déduction, à savoir, le général

 15   Gotovina n'a jamais agi ou n'a jamais eu l'intention d'utiliser ces pièces

 16   pour harceler ou cibler délibérément la population civile de Knin, étant

 17   donné qu'il n'y a pas eu de tirs à Knin avant l'opération Tempête."

 18   Monsieur le Professeur, manifestement, vous avez accordé un poids important

 19   au fait que le général Gotovina n'a jamais pilonné les objectifs militaires

 20   allégués à Knin avant l'opération Tempête, mais ce que j'avance, c'est que

 21   ce fait n'ajoute pas grand-chose à l'analyse de son utilisation de

 22   l'artillerie pendant l'opération Tempête et à son caractère licite. Et je

 23   vais essayer de vous démontrer cela.

 24   Premièrement, si le général Gotovina avait utilisé ces pièces d'artillerie

 25   contre les objectifs militaires allégués à Knin avant l'opération Tempête,

 26   est-ce que vous continueriez à penser qu'il s'agissait d'une attaque licite

 27   ?

 28   R.  S'il avait tiré contre les objectifs militaires et si le résultat

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  1   n'avait pas provoqué énormément de dégâts collatéraux par rapport à

  2   l'objectif militaire, cela aurait été une façon licite d'utiliser les

  3   pièces d'artillerie, certes.

  4   Q.  Je vais essayer d'être un peu plus précis. Lorsque vous avez fait la

  5   déclaration dont je viens de vous donner lecture, est-ce que vous faisiez

  6   référence au fait que le général Gotovina n'avait jamais tiré sur les mêmes

  7   objectifs militaires à propos desquels vous nous donnez votre avis dans

  8   votre rapport d'expert ?

  9   R.  La déclaration que vous venez de lire se fonde une fois de plus sur les

 10   faits et prémisses qui m'ont été fournis, à savoir, la capacité d'appui feu

 11   du général Gotovina était telle que Knin se trouvait à sa portée avant le

 12   début de l'opération Tempête. A mon avis, et c'est ce que j'ai essayé

 13   d'expliquer par ce texte, le fait que ces pièces n'ont pas été utilisées

 14   avant le lancement de l'effort tactique principal --

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je m'excuse de vous interrompre. Ce

 16   n'est pas la question qui vous a été posée. On ne vous a pas demandé de

 17   développer ce que vous entendiez par l'extrait qui vous a été lu, mais on

 18   vous a demandé si vous compreniez, parmi les faits qui ont été mis à votre

 19   disposition, le fait que le général Gotovina n'avait jamais pilonné les

 20   mêmes objectifs militaires à propos desquels vous avez fourni votre opinion

 21   dans votre rapport d'expert, avant, bien entendu, le lancement.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, les faits que j'ai

 23   compris et que j'ai utilisés pour rédiger ce paragraphe se fondent sur le

 24   moment où ces objectifs se trouvaient à portée de ces pièces d'artillerie,

 25   et non, il n'a pas tiré sur les mêmes objectifs militaires avant

 26   l'opération Tempête.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie, Monsieur Russo,

 28   poursuivez.

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  1   M. RUSSO : [interprétation]

  2   Q.  Peut-être que vous allez pouvoir éclaircir ma lanterne. S'il avait

  3   pilonné les mêmes objections sur Knin, cela n'aurait pas changé votre

  4   analyse, parce que d'un côté vous nous dites que s'il n'a pas tiré sur les

  5   objectifs militaires à Knin par le passé, cela corrobore l'utilisation

  6   licite pendant l'opération Tempête; mais par ailleurs, vous nous dites

  7   également, s'il avait tiré sur ces objectifs par le passé, cela aurait été

  8   licite de toute façon, donc je ne vois pas comment vous parvenez à dégager

  9   votre conclusion ou une conclusion autre que celle que vous avez de toute

 10   façon dégagée.

 11   R.  C'est ce que j'ai essayé de vous expliquer. Je ne vais pas utiliser le

 12   mot "retenu." La décision de ne pas utiliser ces pièces avant le début de

 13   l'effort tactique principal est pertinente à mon avis, et ce, pour deux

 14   raisons. Premièrement, s'il avait utilisé ces pièces contre des objectifs

 15   non militaires ou de façon indiscriminée, et cela est conforme à ce que

 16   j'ai déjà déclaré hier, je pense que vous devriez prendre en considération

 17   la totalité des activités lorsque l'on évalue les caractéristiques de

 18   l'utilisation des pièces d'artillerie pendant l'opération. Mais ce qui a sa

 19   pertinence également - et c'est pour cela que j'ai utilisé les mots "partie

 20   intégrante" et "gaspillé" - j'ai essayé d'indiquer que cela était pertinent

 21   parce que cela indiquait que son utilisation véritable de l'artillerie

 22   était conçue pour étayer sa priorité dans l'effort.

 23   Et lorsque je dis que cela faisait partie intégrante "nested", en anglais,

 24   ce que je veux dire c'est que c'est un concept qui est absolument imbriqué

 25   dans l'objectif global. Alors, utiliser ces pièces contre un objectif

 26   militaire tout à fait licite n'aurait pas forcément nécessairement minimisé

 27   la déduction suivant laquelle il s'agit d'une utilisation de quelque chose

 28   qui faisait partie de cet ensemble, mais il faut penser, par exemple, au

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  1   début de l'opération terrestre tactique, et je pense que cela est un

  2   élément extrêmement important lorsque je mène à bien mon analyse de

  3   l'intention qu'il avait pour l'utilisation de ces pièces d'artillerie.

  4   Q.  Monsieur le Professeur, est-ce que vous envisageriez comme une autre

  5   explication, et je fais référence à la discussion qui a eu lieu lors de la

  6   réunion de Brioni, est-ce que vous envisageriez cette discussion comme une

  7   autre explication permettant de comprendre pourquoi il n'y a pas eu de

  8   pilonnage sur Knin avant l'opération Tempête à proprement parler ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Et plus précisément, je fais référence aux observations du président

 11   Tudjman à propos de l'utilisation d'une contre-attaque à partir de Knin

 12   pouvant être utilisée comme prétexte pour l'utilisation des pièces

 13   d'artillerie, je fais référence à ses observations à propos de la situation

 14   politique qui leur était favorable au moment de l'opération Tempête. Est-ce

 15   que cela ne pourrait pas être une interprétation raisonnable qui

 16   permettrait de comprendre pourquoi le général Gotovina n'a pas pilonné Knin

 17   avant l'opération Tempête, mais a plutôt choisi de le faire pendant

 18   l'opération militaire ?

 19   R.  Oui, je pense que cela peut être une explication, effectivement. J'ai

 20   essayé de fournir une opinion et un avis honnête. C'est ce que j'ai fait.

 21   Et puisque je présente une opinion honnête, je pense que la façon dont ces

 22   pièces d'artillerie ont été utilisées est conforme à une prise de décision

 23   rationnelle, et je ne pense pas que ce que ce paragraphe indique soit une

 24   conclusion définitive. Ce n'est qu'une déduction que l'on peut tirer de la

 25   façon dont ils ont utilisé les pièces d'artillerie, mais j'ai essayé

 26   d'insister en prenant en considération l'optique tactique et

 27   opérationnelle, et je pense qu'il y a une certaine logique à lier votre

 28   mission d'appui feu prioritaire par rapport à l'assaut tactique terrestre

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  1   qui est aussi prioritaire. Donc la réponse en un mot est : oui, je pense

  2   que c'est une explication possible. Mais à mon avis, ce n'est pas

  3   l'explication la plus logique.

  4   Q.  Merci, Monsieur le Professeur. J'aimerais maintenant que nous nous

  5   penchions sur la page 29 de votre rapport, alinéa (f), là vous indiquez, et

  6   c'est une supposition, que la HV a observé une évacuation civile qui s'est

  7   déroulée après l'évacuation de Martic à 16 heures 45. Vous voyez de quoi je

  8   parle ?

  9   R.  [aucune réponse verbale]

 10   Q.  J'aimerais dans un premier temps savoir si cela était important pour

 11   votre analyse de l'utilisation de l'artillerie, l'évacuation des civils;

 12   est-ce que cela avait son importance ?

 13   R.  Je pense qu'avant j'avais remarqué que l'une des hypothèses ou l'un des

 14   faits qui m'ont été fournis indique que le général Gotovina pensait ou

 15   supposait ou disposait d'informations qui indiquaient que même avant le

 16   début de l'opération, un exode assez important avait déjà commencé, et

 17   c'était un exode des civils qui quittaient la ville. Je pense que c'est une

 18   considération qui a sa pertinence pour un commandant qui va utiliser son

 19   artillerie dans une zone peuplée.

 20   Q.  Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi est-ce que vous pensez

 21   qu'il s'agit d'une considération pertinente ?

 22   R.  Parce que je pense que tout commandant raisonnable devrait savoir que

 23   plus il y a densité de population, plus la population civile sera exposée;

 24   et plus le moment où l'on attaque est important; il faut donc considérer le

 25   moment où l'opération commence et la population civile, qui sont autant de

 26   paramètres dont il faut tenir compte lorsque vous essayez d'obtenir cet

 27   équilibre entre le résultat que vous prévoyez et les dégâts collatéraux

 28   prévus ou les blessures accidentelles. Et je pense d'ailleurs que dans un

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  1   autre passage du rapport j'insiste sur le fait que tous ces paramètres sont

  2   pertinents lorsque l'on prend la décision à propos des cibles lorsque les

  3   moyens qui sont prévus et qui vont être utilisés dans le contexte de la

  4   guerre sont des tirs indirects sur un centre où il y a une population

  5   civile.

  6   Q.  Je vous remercie, Monsieur le Professeur. Je comprends tout à fait

  7   l'importance du facteur de la concentration de la population civile, en

  8   règle générale, mais en fait je souhaiterais que vous réfléchissiez à ce

  9   fait, donc à cette hypothèse relative à une évacuation civile après l'ordre

 10   de l'évacuation de Martic. Et voilà ce que j'aimerais savoir : pour votre

 11   analyse, est-ce qu'il aurait été important de savoir que l'évacuation

 12   civile, que la HV indique avoir observée d'ailleurs, se serait produite

 13   avant l'ordre d'évacuation de Martic ?

 14   R.  Est-ce que cela aurait son importance ? Ecoutez, ce qui est important

 15   dans le cadre de mon analyse était de savoir si c'était une information

 16   dont disposait le général Gotovina, car s'il n'y avait pas de présence de

 17   civils dans la ville au moment où il lance son opération, mais s'il avait

 18   prévu qu'il y avait présence d'une population importante, à mon avis, c'est

 19   ce fait qui est important, sa connaissance du fait - et pour être beaucoup

 20   plus précis - le droit stipule qu'il doit le prévoir et cela a eu une

 21   incidence sur mon analyse. Et ce que j'ai essayé de faire, comme je vous

 22   l'ai déjà dit, c'est de présenter une opinion à partir d'éléments

 23   d'information dont on m'avait dit qu'il s'agissait d'éléments d'information

 24   qui existaient pour le général Gotovina à l'époque. Donc s'il savait qu'il

 25   y avait eu une évacuation beaucoup plus importante de la population avant

 26   le début de son opération, cela n'aurait pas changé mon analyse, eu égard à

 27   son obligation qui consiste à faire le distinguo entre des objets d'attaque

 28   tout à fait licites et des objets civils, mais cela aurait eu une incidence

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  1   sur la façon dont j'aurais évalué son évaluation de l'équilibre entre les

  2   dégâts collatéraux et les objectifs.

  3   Q.  Mais, Monsieur le Professeur, je vais vous demander de partir d'une

  4   hypothèse, l'hypothèse étant que le général Gotovina est mis au courant de

  5   cette information après qu'il commence le pilonnage de la ville, mais avant

  6   l'ordre de Martic, donc il apprend qu'il y a une évacuation importante des

  7   civils de la ville. Est-ce que cela aurait modifié votre opinion ?

  8   R.  Vous savez, il y a tant de variables. Il y a tant de variables

  9   implicites dans votre question, d'ailleurs. Je vais vous donner un exemple.

 10   S'il avait planifié un tir indirect ou une frappe de tirs indirects sur une

 11   zone, par exemple, pour faire en sorte que cet endroit ne puisse plus être

 12   utilisé, je pense par exemple à un carrefour ou un pont, et qu'il se rend

 13   compte que cette zone, ce carrefour ou ce pont fourmille de civils qui sont

 14   en train d'évacuer la ville, alors là cela aurait dû avoir une influence

 15   considérable sur son analyse menée à bien avant ce moment-là. Mais par

 16   ailleurs, s'il avait envisagé de frapper une cible où se trouvait un

 17   commandant supérieur qui résidait, par exemple, dans un appartement

 18   d'immeuble avec quelque 300 civils et qu'il apprend que tous les civils en

 19   question ont été évacués ou sont partis, alors une cible qui aurait peut-

 20   être exclue auparavant est une cible qui devient viable du point de vue

 21   légal.

 22   Donc tout dépend de l'endroit où se trouvaient les civils, tout dépend des

 23   cibles qu'il prenait en considération, tout dépend de ce qu'il voulait

 24   obtenir comme résultat et tout dépend également de savoir si l'évacuation

 25   aurait eu une incidence sur son évaluation de l'analyse de

 26   proportionnalité. Mais une fois de plus, et je souhaite mettre cela en

 27   exergue, cela ne signifie pas pour autant qu'il aurait pu dire : J'ai toute

 28   liberté, il n'y a plus de civils dans la ville; alors maintenant je peux

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  1   tout attaquer et bombarder et pilonner un peu partout. Parce qu'il n'a

  2   peut-être plus de population civile dans la ville, mais il y a quand même

  3   encore les biens fonciers des civils qui doivent être une des parties de

  4   l'équation.

  5   Q.   Merci, Monsieur le Professeur. Et nous allons maintenant passer à la

  6   page 30, alinéa (d). Là, vous supposez que le général Gotovina s'est retenu

  7   d'utiliser des tirs indirects pour harceler l'évacuation civile ou de

  8   cibler délibérément des civils pendant l'évacuation observée pendant le

  9   premier jour de l'opération. Alors, je suppose que cela est une des

 10   hypothèses que vous, vous aviez indiquée, l'une des hypothèses dont vous

 11   vous souveniez d'après la réunion et vous aviez demandé la permission

 12   d'inclure cela dans votre analyse; n'est-ce pas ?

 13   R.  Oui, oui, je m'en souviens.

 14   Q.  Alors, dans un premier temps, pour préciser un peu la situation,

 15   qu'entendez-vous exactement lorsque vous dites "s'est retenu de harceler la

 16   population civile," qu'est-ce que vous entendez par cela ?

 17   R.  J'avais pris contact avec le conseil de la Défense à propos de cette

 18   partie du rapport et l'hypothèse était comme suit : à un moment donné

 19   pendant l'évacuation, le général Gotovina a été informé ou a appris qu'il y

 20   avait des militaires ennemis, donc du personnel ennemi, et évidemment, s'il

 21   ne s'agit pas de militaires, ce ne sont pas des ennemis, mais qu'il y avait

 22   donc des militaires ennemis qui s'étaient mélangés à ce flux de population

 23   qui quittait la zone de conflit ou l'espace du champ de bataille, peu

 24   importe quelle est la terminologie que vous souhaitez utiliser. Et moi,

 25   j'ai pensé à ce moment-là que cela avait son importance parce qu'à ma

 26   connaissance, il n'a pas véritablement envisagé de traiter cela comme un

 27   objectif  militaire licite du fait justement qu'il y avait eu mélange de

 28   population militaire et population civile.

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  1   S'il avait considéré cela comme un objectif militaire, manifestement, on

  2   aurait pu être en lieu de se poser la question à savoir est-ce qu'il s'agit

  3   d'une attaque proportionnelle, ce qui d'ailleurs est un dilemme

  4   particulièrement épineux au vu de la situation parce qu'un ennemi qui bat

  5   en retraite n'est pas un ennemi qui a été vaincu, mais ce n'est pas un

  6   ennemi qui est apte au combat. Un ennemi qui se mélange à la population

  7   civile, cela signifie, si vous utilisez des tirs indirects, un nombre

  8   important de civils, un nombre important de victimes. Donc je pense que du

  9   fait qu'il y avait eu ce mélange des populations, il a décidé de ne pas

 10   s'engager sur cette voie-là.

 11   Alors moi, je ne sais même pas s'il a déterminé cela, mais si on suppose

 12   que c'est ce qu'il a fait, je suppose qu'il a été essentiellement mû par

 13   son instinct humanitaire ou peut-être par le fait qu'il voulait avoir une

 14   évaluation opérationnelle, l'évaluation étant : Je veux que les autres

 15   membres des forces ennemies sachent que s'ils choisissent de déposer les

 16   armes et de fuir, ils auront à leur disposition cette sortie de secours. Il

 17   se peut que cela ait été sa motivation principale, mais le fait est que je

 18   pense que le fait qu'il n'ait jamais envisagé de placer sous attaque cet

 19   exode, qu'il n'ait jamais envisagé de tuer ou de harceler les militaires

 20   qui s'étaient mélangés à la population est particulièrement important.

 21   Q.  Monsieur le Professeur, est-ce que vous avez également envisagé une

 22   autre explication qui est comme suit : si le général Gotovina souhaitait

 23   encourager la population civile à fuir, c'est peut-être la raison qui

 24   explique pourquoi il n'a pas pilonné la colonne ?

 25   R.  Ecoutez, tout comme pour la réponse précédente, il ne faut pas oublier

 26   le procès-verbal de la réunion de Brioni. Si vous regardez le commentaire

 27   de l'article 51 et si vous prenez en considération ce que cela signifie, à

 28   savoir l'interdiction d'attaques indiscriminées, le lien entre cette

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  1   interdiction et la distinction qui est faite et puis - et c'est encore plus

  2   important - l'interdiction relative aux attaques dont le but est de semer

  3   la terreur parmi la population civile, si vous prenez les notes du

  4   commentaire, à savoir lorsqu'il y a phénomène de terreur en période de

  5   guerre, terreur parmi la population civile dans une zone où la guerre fait

  6   rage est très souvent une conséquence inévitable des combats. Et

  7   l'interdiction se concentre sur le fait de savoir si le commandant avait

  8   agi avec intention ou non pour provoquer cette terreur.

  9   Si le général Gotovina, lors de la réunion de Brioni - et c'est mon

 10   point de vue - si le général Gotovina, disais-je, disait essentiellement au

 11   président: Il y a une conséquence naturelle en cours, je n'ai pas besoin de

 12   cibler la population civile dans le cadre de mes attaques - et je l'ai dit

 13   hier d'ailleurs - même s'il pensait en tant que principe opérationnel que

 14   l'exode de la population civile, et conformément aux commentaires relatifs

 15   à l'article 51, était une réaction naturelle à ce que la population civile

 16   voit autour d'elle, à savoir les effets de la guerre, même s'il pensait que

 17   cela pourrait avoir une incidence sur la détermination de l'ennemi à

 18   riposter et à combattre, je ne pense pas qu'il soit indu de sa part de

 19   prendre en considération ce résultat. Ce qui aurait été indu c'est

 20   d'utiliser sa capacité de combat pour provoquer cet effet.

 21   Donc oui, je l'ai pris en considération, mais comme vous le saurez de

 22   notre discussion d'hier, je ne pense pas que le procès-verbal de la réunion

 23   de Brioni, placé dans un contexte plus général, nous permet de tirer une

 24   seule déduction raisonnable ou possible, à savoir il a adopté la

 25   proposition suivant laquelle il allait utiliser délibérément sa puissance

 26   de combat pour semer la terreur parmi la population civile et ce afin

 27   d'obtenir un résultat politique stratégique ou un résultat militaire.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ecoutez, j'essaie de comprendre ce qui

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  1   se passe pour le moment. En écoutant vos questions-réponses, vous

  2   fournissez des explications sur votre compréhension de la situation. Vous

  3   vous placez surtout du point de vue du commandement avec des objectifs

  4   stratégiques qui sont les victimes. M. Russo dit et rétorque que si ce

  5   commandant avait tout à fait autre chose en tête, à savoir expulser les

  6   civils et vous, à votre tour, vous expliquez que s'il n'avait pas ceci en

  7   tête, mais si ceci était un effet, ce serait en aucun cas acceptable.

  8   Ensuite, vous expliquez les raisons pour lesquelles vous n'êtes pas

  9   d'accord avec la conviction de M. Russo que ceci était effectivement ce que

 10   le général Gotovina avait en tête. Donc en gros, vous n'êtes pas d'accord

 11   sur ce qu'il avait en tête. On pourrait peut-être raccourcir cette

 12   discussion parce que je pense que vous serez d'accord avec moi - du moins,

 13   c'est ainsi que je comprends votre réponse - d'accord quant au fait que si

 14   le général Gotovina avait en tête l'intention d'utiliser des moyens

 15   militaires pour reconquérir du territoire, mais aussi pour faire fuir la

 16   population civile sans espoir de retour, que ce ne serait pas légitime.

 17   Alors, on revient au point de départ, c'est-à-dire vous vous penchez

 18   surtout sur des explications possibles d'événements, de réunions, et

 19   cetera, ceci pourrait tout à fait s'inscrire dans le cadre d'une opération

 20   légitime. Donc en fait, je vois que vous et lui incarnez deux approches

 21   tout à fait différentes. Vous n'êtes pas forcément en désaccord ou vous ne

 22   divergez pas forcément sur ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Bien

 23   sûr, vous avez dit qu'il faut faire très attention, les systèmes d'armes ne

 24   sont pas forcément illégitimes en tant que tels mais cela dépend des

 25   circonstances. Et quelle que soit la question que vous pose M. Russo, vous

 26   dites à chaque fois, pas forcément.

 27   J'essaie de suivre votre logique qui est très itérative. Serait-il possible

 28   d'abréger ces discussions ? Si votre hypothèse, votre prémisse est juste,

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  1   nous sommes d'accord, mais moi, je ne suis pas convaincu sur la base de ce

  2   que nous avons vu, de ce que nous avons entendu, que c'est la bonne

  3   hypothèse. Je crois que nous savons où nous nous trouvons et moi ici je

  4   fais une analyse de ce que je vois se dérouler ici dans ce contre-

  5   interrogatoire, parce que vous êtes deux partenaires, partenaires dans ce

  6   dialogue que j'entends.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] J'aimerais rebondir sur ce que vous avez dit.

  8   Ayant lu le procès-verbal de la réunion de Brioni, j'avais toujours en

  9   arrière-plan l'idée qu'il pourrait y avoir un motif illicite en arrière-

 10   plan. J'en ai toujours tenu compte et j'ai essayé de dire dans mes réponses

 11   pourquoi, à mon sens, l'ensemble du procès-verbal semble tendre vers une

 12   autre conclusion.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Lorsque M. Russo vous pose une

 14   question, vous dites que c'est complexe, qu'on pourrait tenir compte de

 15   telle thèse ou de telle thèse et que M. Russo, à son tour, en réponse à vos

 16   explications vous répond: Ne serait-il pas possible que et ainsi de suite.

 17   Nous avons assisté à ce genre d'échange depuis environ deux heures. Certes,

 18   ça porte un certain éclairage sur vos positions respectives, mais il semble

 19   que vous ne soyez pas entièrement d'accord sur ce qui serait raisonnable de

 20   retenir comme hypothèses. Ce n'est pas tant une divergence. Vous semblez

 21   diverger quant à savoir ce qui sera légitime ou non légitime en raison de

 22   certaines hypothèses.

 23   Donc je vous demanderais simplement de tenir ceci présent à l'esprit pour

 24   la poursuite de ce contre-interrogatoire.

 25   M. RUSSO : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais répondre

 26   brièvement. Ce que je cherche à faire - et je ne vous ai pas entendu le

 27   dire - je veux être sûr que le témoin comprend bien. J'essaie de démontrer

 28   pour la Chambre et de faire remarquer au témoin le fait que les hypothèses

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  1   et les faits sur lesquels il se fonde et qui lui permettent de dire les

  2   conditions qui sont favorables au général Gotovina, que ces mêmes faits et

  3   hypothèses sont ceux que moi je retiens ne sont pas du tout incohérentes

  4   avec la thèse de l'Accusation vis-à-vis des pièces à conviction.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. C'est parfaitement clair que vous

  6   cherchez à établir cela.

  7   Poursuivez.

  8   M. RUSSO : [interprétation]

  9   Q.  Monsieur le Professeur, vous n'avez reçu aucune information concernant

 10   le rythme du feu d'artillerie à Knin tout au long de la journée, la journée

 11   du 4 août. On vous a dit qu'il fallait tenir compte du fait qu'il y avait

 12   eu une montée en puissance le matin. Si à certains moments au cours de la

 13   journée du 4 août, cela a atteint par exemple quatre ou cinq projectiles

 14   par heure, pouvez-vous nous dire, de votre point de vue, quel serait

 15   l'avantage militaire que le général Gotovina pourrait espérer en retirer ?

 16   R.  Il y a une certaine ironie car lorsque j'envisageais de rédiger ce

 17   rapport, je me trouvais à Buenos Aires et je me suis rendu sur le monument

 18   aux îles Malouines et cela m'a rappelé les événements lors d'un conflit que

 19   j'avais étudié de façon approfondie lors de ma carrière, la guerre des

 20   Malouines, et c'est pour ça que j'ai pu faire une certaine analogie

 21   historique.

 22   Comme je l'ai déjà dit, le but de ce feu sporadique était harceler et

 23   interdire l'accès à une certaine zone. Ceci était lié à l'objectif

 24   opérationnel du général qui consistait à faire la démonstration du

 25   commandement total qu'il avait sur le combat, sur le fait qu'il devait

 26   garder l'initiative et empêcher l'ennemi de prendre l'initiative. Ce sont

 27   des faits qui sont bien établis au début du rapport du général Konings, ce

 28   sont les objectifs classiques de l'artillerie. Ce qui est très intéressant,

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  1   c'est pour ça d'ailleurs que je l'ai inclus dans le rapport, et là encore

  2   je précise qu'il s'agit de mon opinion, il y a ici une analogie entre la

  3   priorité de l'effort au moment tactique de l'attaque, mais également la

  4   nécessité d'interrompre le C3I logistique à l'arrière entre l'opération

  5   Tempête et la phase finale de la bataille des îles Malouines et les

  6   réalités de l'approvisionnement. Presque personne ne sait que lorsque le

  7   général Menendez a capitulé, les obusiers britanniques en étaient réduits à

  8   deux projectiles pour deux obusiers.

  9   Une des hypothèses que j'ai retenue c'est que la priorité de l'effort

 10   c'était la bataille tactique pour le soutien au feu; et la deuxième c'est

 11   que le général disposait d'un approvisionnement limité de munitions pour le

 12   soutien au feu. Donc l'emploi qui a été fait est tout à fait cohérent avec

 13   un effort prioritaire qui serait en soutien du combat rapproché, et on fait

 14   une montée en puissance de l'artillerie au moment où on a besoin d'aveugler

 15   l'ennemi et de le fixer, c'est-à-dire de l'empêcher de bouger, et où cette

 16   nécessité la plus forte. L'autre hypothèse était que le général ne

 17   disposait pas de moyens illimités et en conséquence de quoi à d'autres

 18   moments au cours de la bataille il était obligé d'avoir recours à un feu

 19   sporadique pour maintenir en place l'ennemi, faire en sorte qu'il soit

 20   toujours désorienté, toujours déstabilisé. Et je pense que ceci sera une

 21   explication raisonnable de ce type d'emploi.

 22   Q.  En ce qui concerne le nombre de civils à Knin, on en a déjà parlé, mais

 23   je veux être parfaitement clair sur les hypothèses que vous avez retenues

 24   pour votre rapport. A la page 28, en haut de la page, alinéa (a),

 25   l'hypothèse que vous retenez est la suivante :

 26   "Alors que Knin avait une population se situant autour de 15 000 personnes,

 27   d'après certaines indications, le nombre de civils non mobilisés qui

 28   étaient encore à Knin à la veille de l'opération Tempête ne dépassait pas

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  1   les 3 000."

  2   J'aimerais que vous apportiez un éclaircissement sur cette question, il y a

  3   ici plusieurs nuances, il se peut qu'il y avait une population de 15 000.

  4   Est-ce que votre hypothèse était que la population était à 3 000 ou quelque

  5   part entre 3 000 et 15 000 ?

  6   R.  Non, je n'ai pas supposé que c'était les chiffres exacts, ce qui

  7   explique en préalable ceci c'est que le général Gotovina a dû envisager ou

  8   tenir compte de ces faits liés à la situation sur le terrain. J'ai supposé

  9   que si le général disposait d'un rapport faisant état de la baisse du

 10   nombre de civils à hauteur de 3 000 personnes restant sur place, il

 11   n'aurait sans doute pas dit ou pensé, C'était absolument exact. Un

 12   commandant, dans la position où il se trouvait, sait d'expérience que la

 13   vérité sur le terrain correspond très rarement aux rapports qui sont faits.

 14   Et ça nous ramène à la discussion que nous avons eue hier sur l'ordre

 15   visant à déplacer le poste de commandement. A mon avis, il a pu tenir

 16   compte du fait que le nombre de civils avait baissé de façon très

 17   importante, et on a déjà parlé du couvre-feu et de la fin du couvre-feu,

 18   mais suite au conflit, suite à l'heure du couvre-feu, ceci a pu apporter

 19   d'autres avantages du point de vue de l'endroit où se trouvaient les civils

 20   lorsqu'il a commencé ses opérations.

 21   Voici donc à mon sens ce qui aurait influencé sa décision, et ce n'est pas

 22   le fait de savoir si cela était véridique, si cela était exact.

 23   Q.  Professeur, vu l'importance que vous accordez à juste titre au facteur

 24   de la concentration démographique autour des objectifs ciblés, est-ce que

 25   vous avez cherché à obtenir des informations auprès de la Défense de M.

 26   Gotovina sur les efforts que le général Gotovina a déployés pour essayer de

 27   savoir quelle était la concentration démographique ?

 28   R.  Ce que j'ai demandé à la Défense, d'après eux, qu'est-ce qui pouvait

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  1   être étayé par le procès-verbal par rapport à ce que le général avait pu

  2   savoir à l'époque. Et parce qu'on me demande de donner une opinion, ceci va

  3   être en grande partie influencé par l'applicabilité de la règle de la

  4   proportionnalité, l'un des faits ou l'une des hypothèses sur laquelle

  5   j'escompte avoir des informations et des informations sur la présence de

  6   civils dont il disposait.

  7   La réponse est : non, je ne lui ai pas demandé ce qu'il avait fait pour

  8   vérifier cela, parce que c'était l'hypothèse qu'on m'avait donnée, à savoir

  9   qu'on avait mis à sa disposition cette information. Pour moi,

 10   l'anticipation qu'on peut avoir par rapport à l'application de la loi c'est

 11   que le commandant compte sur les membres de l'état-major qui sont

 12   responsables de fournir des informations sur les cibles et sur les civils.

 13   Et là encore, on le voit dans le commentaire sur l'article 1 [comme

 14   interprété], il est très rare de voir un commandant qui a la possibilité

 15   matérielle de vérifier personnellement tous les faits et toutes les

 16   hypothèses qui lui sont remises par son état-major. Donc pour moi ce qui

 17   était important c'était qu'est-ce que la Défense pouvait me fournir,

 18   qu'est-ce qui avait été établi quant aux informations dont il disposait qui

 19   auraient eu un effet sur sa prise de décision.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pouvons-nous abréger cette discussion.

 21   Je comprends parfaitement ce que vous dites. Vous dites qu'étant donné

 22   certains faits, voici ce qu'un commandant raisonnable aurait envisagé. Moi

 23   je vous le dis de façon très franche, nous partons du principe qu'il y en

 24   avait 15 000 et il en reste 3 000. Donc il faut utiliser des moyens

 25   d'artillerie pour les faire fuir. Est-ce que cette information serait

 26   cohérente avec une telle approche si, et c'est une fois de plus

 27   hypothétique, si c'était l'objectif du commandant ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, si telle était son intention, ce serait

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  1   tout à fait une utilisation possible, ça correspondrait à une utilisation

  2   possible de l'artillerie.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pareil en ce qui concerne l'heure du

  4   couvre-feu, si nous voulons les faire fuir, utilisons l'artillerie au

  5   moment où ils se lèvent, ils s'en vont, après on s'arrête pour permettre

  6   l'exode.

  7   C'est très cynique ce que je fais, mais j'essaie de démêler les choses et

  8   voir pourquoi on prend tellement de temps en essayant d'insérer des faits

  9   par rapport à une théorie présumée.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je pense que ce serait un calcul

 11   illicite. Oui, il y aurait d'autres moments optimaux pour utiliser

 12   l'artillerie, mais s'il voulait utiliser l'artillerie pour montrer : Dès

 13   que vous vous levez, on va vous tirer dessus, on pourrait peut-être dire

 14   que ce serait tout à fait cohérent avec cet objectif illicite.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc nous nous retrouvons au même point

 16   que j'ai décrit tout à l'heure, mais je pense qu'on pourrait arriver au

 17   même résultat plus rapidement.

 18   Monsieur Russo, poursuivez.

 19   M. RUSSO : [interprétation]

 20   Q.  Monsieur le Professeur, je voudrais maintenant que nous nous penchions

 21   sur votre discussion et votre analyse de certains des objectifs militaires

 22   qui ont été établis pour vous par la Défense de M. Gotovina. Et j'aimerais

 23   qu'on commence avec le pilonnage par M. Martic. Passons à la page 23 du

 24   rapport, c'est le début de votre réponse à la question 1. Et la dernière

 25   phrase du premier paragraphe où vous dites qu'ici vous vous appuyez sur

 26   l'hypothèse opérationnelle de M. Gotovina, à savoir que :

 27   "Une pression, voire l'élimination de Martic pourrait avoir une influence

 28   très importante sur la prise de décision de la RSK et des commandants de

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  1   l'ARSK et potentiellement pourrait forcer ou contraindre à une capitulation

  2   avec moins de pertes civiles et militaires."

  3   Je vais essayer ici de rentrer dans le détail parce qu'ici je vois deux

  4   avantages militaires distincts : d'une part de faire pression sur Martic et

  5   d'autre part de simplement l'éliminer. Est-ce que vous êtes d'accord quant

  6   au fait que si le général Gotovina a lancé cette attaque par artillerie sur

  7   Martic uniquement avec pour objectif de le tuer ou de le blesser, est-ce

  8   que vous êtes d'accord que c'est une utilisation proportionnelle de moyens

  9   d'artillerie ?

 10   R.  Je ne suis pas certain d'avoir l'expertise nécessaire sur la capacité

 11   d'un barrage d'artillerie 130-millimètres sur un seul immeuble pour pouvoir

 12   répondre à cette question. Ça dépendrait de l'évaluation qui a été remise

 13   au général Gotovina par ses experts quant à la probabilité de parvenir à

 14   cet objectif ou non et l'importance de cet effet par rapport à la situation

 15   opérationnelle.

 16   Q.  Nous allons passer à l'autre avantage militaire, à savoir une pression

 17   qui serait exercé sur Martic. J'aimerais mieux comprendre votre position

 18   sur cette question. Est-ce que vous pensez que le général Gotovina était

 19   justifié en décidant qu'une attaque par artillerie contre Martic allait

 20   aboutir à l'avantage militaire qui serait tout simplement d'obtenir la

 21   capitulation de celui-ci ?

 22   R.  Non, je ne pense pas que c'est une conclusion qu'on peut tirer

 23   d'office. Mais commençons ainsi : si le général Gotovina pensait que le

 24   fait de tuer ou le fait d'empêcher Martic de participer au commandement et

 25   au contrôle vis-à-vis de son ennemi, s'il pensait que ceci était sans

 26   importance, mais c'est évident, c'est une cible sans valeur. Et le fait que

 27   c'est un immeuble civil, de toutes les façons, signifie que ceci doit être

 28   à l'abri, parce que si vous ne pensez pas que ça vous apporte quoi que ce

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  1   soit, on ne peut pas dire simplement parce que c'est quelqu'un qui est un

  2   militaire que forcément c'est un objectif militaire intéressant. Je présume

  3   que dans son analyse, Martic était très important pour la prise de décision

  4   par l'ennemi.

  5   Et ici on revient à la première journée. Il faut comprendre ce que signifie

  6   l'initiative, ce que signifie la cadence pour ce qui est de s'imposer dans

  7   le combat. S'il estimait que cette personne, Martic, était importante dans

  8   la prise de décision par l'ennemi, dans ce cas, le fait d'empêcher Martic

  9   d'exécuter ses fonctions pourrait sans doute et probablement contribuer à

 10   l'incertitude, à la confusion, et, on l'espérerait, la paralysie de la

 11   structure de commandement de conduite des opérations ennemies. Ça les

 12   déstabilise, ça leur ôte l'initiative et ça préserve l'initiative que lui

 13   veut essayer d'établir pour pouvoir contrôler les modalités du combat.

 14   Voilà ce que j'entendais par le terme de "pression." A mon sens, lorsqu'on

 15   détruit les communications, et cet individu se trouve assez loin de

 16   l'immeuble où se trouve le centre de commandement de conduite des

 17   opérations, et celui-ci ne peut pas être présent, ceci va se faire

 18   ressentir au niveau de ses subordonnés même s'il n'est pas tué, même si les

 19   subordonnés soupçonnent qu'il a été tué, ceci crée déjà un effet; et

 20   l'importance, l'intérêt que ça peut avoir est directement lié au rôle que

 21   celui-ci joue dans le cycle de décision par l'ennemi.

 22   Q.  Dans la section 4 de l'annexe, vous dites que :

 23   "L'avantage obtenu en ciblant un endroit ou un objet doit être 'défini.' Le

 24   but de cette nuance était d'empêcher toute spéculation ou conjecture non

 25   fondée sur la valeur qu'il y aurait à cibler un endroit ou un objet.

 26   Toutefois, un commandant ne peut pas savoir de façon absolue quel intérêt

 27   il y a du fait d'attaquer une cible. Ceci a pour but d'empêcher une

 28   spéculation générale dans le cas d'une valeur moindre d'une cible. Tant que

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  1   le commandant agit en bonne foi, à savoir que le fait d'atteindre cette

  2   cible va permettre d'arriver à un avantage tactique, tangible pour ses

  3   forces, cette nuance, ce distinguo, est satisfait."

  4   Monsieur le Professeur, dans votre propre interprétation, le général

  5   Gotovina devait penser en bonne foi qu'une attaque sur Martic pourrait

  6   permettre d'arriver à un avantage tangible, permettrait d'atteindre; non

  7   pas au conditionnel. Si c'était un avantage potentiel, enfin, ce que j'ai

  8   du mal à comprendre, comment pouvez-vous dire que le fait de faire des tirs

  9   d'artillerie sur Martic allait dans le sens de la capitulation de la RSK,

 10   mais vous dites aussi que ça pourrait encourager au contraire des

 11   représailles. Donc c'est une possibilité, une probabilité. Il n'y a pas de

 12   certitude et c'est ceci qui va à l'encontre de la certitude qu'il est censé

 13   avoir quant à l'utilisation de cette arme lorsqu'il anticipera de façon

 14   certaine un avantage militaire.

 15   R.  Je ne suis pas d'accord avec votre interprétation de la loi et de ce

 16   qui en découle. Dans le commentaire, cette discussion qui explique

 17   l'avantage militaire défini a pour objet d'empêcher la justification d'une

 18   attaque sur la base d'une spéculation. En gros, on peut faire l'analogie

 19   avec l'équation. Si je peux arriver à cet effet, est-ce que de bonne foi je

 20   peux dire que je pense que ça va contribuer de façon significative à mon

 21   effort ?

 22   Je pense qu'il est presque inévitable, lorsqu'un commandant décide

 23   d'attaquer un lieu ou un objet ou même des forces ennemies, il est toujours

 24   possible, on ne peut exclure la possibilité qu'il y ait un effet inattendu.

 25   Par exemple, vous attaquez un ennemi, vous détruisez un pont afin

 26   d'empêcher l'ennemi d'être réapprovisionné ou de recevoir des renforts, en

 27   fait, le résultat peut être que l'ennemi qui se défend est isolé et est

 28   encore plus résolu à se défendre justement parce qu'il ne peut pas battre

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  1   en retraite. C'est toujours un risque dans une situation de guerre.

  2   A mon sens, ce qui est imposé du fait de l'article 51, c'est une évaluation

  3   de bonne foi entre les faits anticipés et l'effort opérationnel qui est

  4   nécessaire. Pour moi, il y a spéculation dans une situation comme la

  5   suivante, dans ce contexte : en vous appuyant sur votre intelligence, vous

  6   savez que même si cette personne est le chef officiel des forces armées, il

  7   ne joue aucun rôle important dans la planification, l'exécution,

  8   l'ajustement des opérations menées par l'ennemi. Mais vous vous dites,

  9   après tout, qui sait ? Peut-être que si je crée de la confusion dans son

 10   esprit ou que si je le tue, l'un des commandants ennemis pourrait se sentir

 11   perturbé par mon action et pourrait donc ne plus diriger la situation aussi

 12   bien. Donc à mon avis ce serait sur le plan spéculatif une manière de

 13   réaliser un effet.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je me permettrais de vous interrompre

 15   encore une fois. Votre réponse, je la comprends de la façon suivante, à

 16   savoir que la règle consiste à éviter de spéculer quant à ce que sera un

 17   effet purement militaire, mais qu'il existe une différence entre de la

 18   spéculation pure et une certitude à 100 % qui n'est pas favorable à la

 19   spéculation. Donc il y a plus de certitude que de spéculation, mais cette

 20   règle, tout de même, n'exige pas que l'on obtienne un résultat certain à

 21   100 %. Et puis, M. Russo, s'agissant de ce que nous disons sur les effets

 22   militaires, a introduit un élément de difficulté supplémentaire, à savoir

 23   que si l'effet militaire dépend d'une prise de décision par des tiers, et

 24   là je ne parle pas d'une décision concernant la destruction d'un pont, je

 25   ne parle pas d'une décision concernant le fait de tuer un ennemi, je ne

 26   parle pas d'une décision concernant le fait de toucher un char de façon à

 27   l'empêcher de bouger complètement, mais si l'effet militaire dépend d'une

 28   décision humaine et de la réaction que cette décision humaine provoquera,

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  1   j'ai à l'esprit des exemples dont nous discutions il y a deux ou trois

  2   jours, à savoir des actions destinées à vérifier si les résultats

  3   recherchés seront obtenus en toutes circonstances. Quand je parle de

  4   résultats, je ne parle pas nécessairement de capitulation immédiate. Je

  5   parle, par exemple, de l'obtention de l'appui de nations étrangères dans le

  6   combat mené contre les Croates.

  7   Donc voilà tout ce qui se trouve dans la balance. Monsieur Russo, il est

  8   clair qu'en ce moment nous discutons d'une balance dans laquelle on met

  9   d'un côté un processus de décision humain qui est peut-être difficile à

 10   apprécier mais qui se trouve dans la balance et qui nécessite que certaines

 11   hypothèses soient faites. Un processus de décision humain est toujours

 12   assez imprévisible, même si l'expérience peut aider celui qui prend la

 13   décision quant à ce à quoi il peut s'attendre et à ce que pourrait être

 14   l'effet militaire qui résultera d'un processus reposant quelque peu sur la

 15   spéculation et qui n'est pas totalement certain. Ça, c'est clair. Donc nous

 16   sommes tout de même dans une discussion un peu abstraite.

 17   Est-ce que vous êtes d'accord avec cela ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Absolument, Monsieur le Président.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous en êtes également

 20   d'accord, Monsieur Russo ?

 21   M. RUSSO : [interprétation] C'est sûr, Monsieur le Président.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il me semble que nous sommes d'accord.

 23   Nous pouvons passer au sujet suivant.

 24   Monsieur Russo, je peux tout à fait imaginer que M. Martic qui était chez

 25   lui, évidemment, pouvait apparaître à la télévision pour influer sur ceux

 26   qui prenaient des décisions sur le terrain. Je pourrais vous donner une

 27   vingtaine, une trentaine, sinon 40 hypothèses de ce genre qui auraient pu

 28   avoir une incidence petite, moyenne ou grande sur la façon d'appréhender la

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  1   réalité. Ce que nous savons, ce que le témoin savait parce qu'il l'a mis

  2   par écrit, c'est que tout de même il reste une zone grise dans ce genre de

  3   discussion avec l'équipe de la Défense qui ne dispose pas de tous les

  4   renseignements nécessaires pour circonscrire davantage cette zone grise.

  5   Donc nous pourrions continuer le débat pendant des heures et des heures

  6   sans la moindre difficulté. Mais est-ce que cela aiderait la Chambre, ce

  7   débat difficile entre certitudes complètes et spéculations ? C'est la

  8   question qu'il est permis de se poser. Et il est peu certain que cela aide

  9   vraiment la Chambre.

 10   Veuillez poursuivre.

 11   M. RUSSO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Je

 12   crains que la Chambre ne se montre quelque peu cynique par rapport à la

 13   façon dont je mène mon interrogatoire. Je n'avais nullement l'intention de

 14   soumettre au témoin de nombreux scénarios quant aux possibilités en

 15   présence. Je souhaitais simplement obtenir les explications du témoin quant

 16   à son admission ou son rejet de certaines certitudes par rapport aux effets

 17   recherchés et aux éléments qu'il avait pris en compte dans son analyse.

 18   Maintenant, nous avons une réponse, je peux poursuivre.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis désolé, Monsieur Russo. Sauf votre

 20   respect, Monsieur le Président, je ne pense pas avoir répondu à cette

 21   partie de la question.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'ai essayé d'établir déjà à plusieurs

 23   reprises ce matin que le désaccord se situe éventuellement dans la zone où

 24   se trouve le témoin lorsqu'il est incapable d'apporter son aide à celui qui

 25   l'interroge, faute d'hypothèses suffisamment solides et étant donné la

 26   nécessité de détails complémentaires pour renforcer ces hypothèses et

 27   obtenir des faits. Par conséquent, je ne dis pas qu'il est inutile

 28   d'établir les avis différents qui peuvent exister quant au fait de savoir

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  1   si telle ou telle personne avait toutes les informations sur certaines

  2   questions, mais je disais simplement que cela peut se faire plus vite, à

  3   mon avis.

  4   Et ma remarque s'adresse à vous également, Professeur Corn.

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, voir où se situent exactement les

  7   difficultés est une chose, voir dans quelle mesure la connaissance experte

  8   du témoin peut nous entraîner dans une direction relativement différente de

  9   ce qu'est la position de l'Accusation est une chose. Mais il est important

 10   de se concentrer sur les événements qui permettent d'apprécier le caractère

 11   raisonnable du commandement, ce qui ne semble pas être tout à fait votre

 12   point de centrage, Monsieur Russo.

 13   M. RUSSO : [interprétation]

 14   Q.  Professeur Corn, j'aimerais vous donner une possibilité de répondre au

 15   commentaire de M. le Président, le Juge Orie.

 16   R.  Bien, je tiens à dire très clairement qu'à mon avis, les faits

 17   anticipés font partie intégrante de l'équation. C'est la raison pour

 18   laquelle un commandant est tenu de décider si oui ou non il peut réaliser

 19   l'effet recherché et si le fait de réaliser cet effet va lui apporter un

 20   avantage militaire significatif. Et les armes font partie du processus de

 21   réflexion, le choix, étant donné qu'il s'agit du choix des moyens destinés

 22   à réaliser l'effet souhaité. Donc je crois que le commandant était tenu de

 23   réfléchir au fait de savoir si les capacités qu'il se proposait d'utiliser,

 24   en tout cas, contre la cible, pouvaient réaliser l'effet souhaité par lui.

 25   Si quelqu'un lui disait, Vous ne pouvez pas réaliser l'effet souhaité par

 26   vous par ces moyens, alors il savait qu'il ne pouvait pas prévoir

 27   l'obtention d'un avantage militaire.

 28   Q.  Professeur, ayant lu la déposition du général de brigade Rajcic, vous

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  1   savez que pendant les combats, l'armée de Croatie a tiré aux canons de 130

  2   sur d'autres lieux, selon les renseignements militaires obtenus, d'autres

  3   lieux où la présence de Martic était présumée. Vous vous rappelez cela ?

  4   R.  Je pense que je m'en souviens, oui.

  5   Q.  Je vais vous donner quelques exemples précis de la déposition de M.

  6   Rajcic.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo, pouvez-vous nous donner

  8   les pages pertinentes.

  9   M. RUSSO : [interprétation] Toutes mes excuses, Monsieur le Président.

 10   Cette partie de la déposition se situe aux pages 16 394 à 16 398 du compte

 11   rendu d'audience.

 12   Q.  Alors, M. Rajcic nous a donné un exemple de cela, à savoir un lieu

 13   particulier qui correspond à ce que je viens de dire, qui était l'ancien

 14   hôpital du centre-ville. Il a dit dans son témoignage que ce bâtiment est

 15   devenu tout à coup une cible pendant que les combats se déroulaient alors

 16   que cela n'avait pas été planifié. Il a dit dans sa déposition que ceci

 17   s'était passé au moment le plus intense des combats, après qu'il ait reçu

 18   de la part de ces responsables du renseignement les coordonnées X, Y, Z

 19   d'un lieu auquel était attaché le mot "Martic" et qu'on lui a dit que

 20   c'était un bâtiment qu'il devait désormais prendre pour cible et sur lequel

 21   il devait tirer.

 22   Professeur, j'aimerais votre avis sur le caractère approprié de viser un

 23   endroit où on pense que Martic se trouve en plein cœur d'une attaque

 24   d'artillerie.

 25   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, permettez-moi. Je pense

 26   que dans l'esprit d'exhaustivité nécessaire, l'Accusation a déclaré que ce

 27   bâtiment était une installation de la police et que ceci est écrit dans

 28   l'acte d'accusation dressé contre Martic. Je pense que cela faisait partie

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  1   des discussions au moment des accords possibles entre les parties dans

  2   l'affaire Martic, à savoir que cet ancien bâtiment dans l'acte d'accusation

  3   Martic était allégué comme étant une installation policière et qu'un débat

  4   assez long a eu lieu à ce sujet.

  5   Si je me trompe, Monsieur Russo, faites-le-moi savoir, mais je pense que

  6   c'était le cas.

  7   M. RUSSO : [interprétation] D'abord, Monsieur le Président, j'objecte au

  8   fait d'informer le témoin quant à ce que Me Kehoe estime avoir été la

  9   teneur des discussions relatives aux stipulations entre les parties.

 10   Laissez-moi finir. Et puis, ceci n'a rien à voir avec la question que j'ai

 11   posée. Je n'ai pas le texte de ces accords entre les parties sous les yeux

 12   en ce moment, donc je ne suis pas sûr si la période correspond, s'il s'agit

 13   bien du 4 août, dont nous parlons pour notre part ici. Mais quoi qu'il en

 14   soit, tout cela n'a pas grand-chose à voir avec la question que je posais.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Kehoe.

 16   M. KEHOE : [interprétation] Dans tous les renseignements dont nous parlons

 17   sur base hypothétique, je pense que l'Accusation pourrait vouloir apporter

 18   une explication complète quant à la nature exacte de ce bâtiment avant que

 19   nous ne nous penchions sur des déclarations.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Kehoe, ce que l'Accusation

 21   souhaite faire appartient à la prise de décision de l'Accusation. Si vous

 22   estimez que l'Accusation n'a pas fourni tous les renseignements

 23   nécessaires, bien sûr, vous pouvez ajouter ce renseignement à ce dont vous

 24   traiterez de votre côté pour voir si cela modifiera l'avis de l'expert. Je

 25   pense que c'est une question qui pourrait être abordée de façon tout à fait

 26   appropriée au cours des questions supplémentaires.

 27   Monsieur Russo, veuillez poursuivre.

 28   M. RUSSO : [interprétation]

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  1   Q.  Professeur, souhaitez-vous que je vous repose ma question ?

  2   R.  Non. D'abord, encore une fois, Monsieur le Président, je tiens à

  3   souligner qu'on m'a demandé de donner un avis sur l'opportunité ou l'aspect

  4   raisonnable de la prise de décision du général Gotovina, et pas sur celle

  5   de Marko Rajcic. Si vous me soumettez hypothétiquement une situation

  6   militaire dans laquelle un commandant ou un officier, en tout cas, un

  7   responsable hiérarchique ordonne une attaque et que vous me demandez s'il

  8   savait qu'un individu se trouvait dans un hôpital, un hôpital fonctionnant

  9   à ce moment-là, je ne m'occupe pas de savoir si c'est le président du pays

 10   ou le commandant général des forces armées qui est concerné; quelle que

 11   soit la personne concernée, cela ne fait pas de cet hôpital un objectif

 12   militaire légitime sur le plan légal. Donc si cet officier ou en tout cas

 13   le responsable de la décision déclare, Voyez-vous, nous avons ordonné de

 14   tuer ou de blesser X personne en particulier, Martic, je pense que nous

 15   sommes en présence d'un acte illicite. Mais je pense que ceci nous renvoie

 16   au fait qu'un commandant a légitimement le droit de s'attendre à certaines

 17   choses et notamment à ce que ses subordonnés exécutent les ordres dans le

 18   respect de la loi.

 19   Alors, il y a d'autres variables à prendre en compte et je suis sûr que le

 20   Tribunal le sait. Si l'ennemi abuse d'un hôpital et en fait un objectif

 21   militaire illégalement, alors la loi exige qu'un avertissement soit lancé à

 22   l'ennemi pour qu'il cesse ses actions ou abandonne dans une situation de ce

 23   genre. Et un tel avertissement va immédiatement nuire aux forces amies, aux

 24   forces alliées. Je ne pense pas que cette situation hypothétique se soit

 25   présentée. Mais si le général Gotovina a identifié le commandant en chef

 26   ennemi comme étant une cible particulièrement de grande valeur et qu'il a

 27   ordonné à ses subordonnés d'agir en raison de cette appréciation, il est

 28   raisonnable de prévoir qu'il n'allait pas attaquer un hôpital pour réaliser

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  1   cet objectif.

  2   Q.  Professeur, c'était ma faute. Je n'avais aucunement l'intention de

  3   laisser entendre que l'hôpital était en fonctionnement au moment des faits

  4   et que donc Martic aurait investi un hôpital en fonctionnement.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Etant donné l'emploi du mot "hôpital",

  6   "bolnica" dans la langue originale, nous venons d'utiliser un long moment

  7   du temps dont dispose cette Chambre.

  8   Bien entendu, Monsieur Russo, vous avez pris le soin de dire un bâtiment

  9   connu sous la désignation "d'ancien hôpital." C'est de là qu'est venue

 10   toute la confusion.

 11   Ce qu'apparemment M. Russo veut vous demander, Professeur, c'est votre avis

 12   quant à la légitimité d'une situation comme celle-ci : vous recevez un

 13   renseignement qui vous indique que M. Martic se trouve à tel et tel

 14   endroit, M. Martic est là, puis là, puis là. Est-ce que cela justifie

 15   d'attaquer les positions en question ? Voilà la question.

 16   Monsieur Russo, lorsque Me Kehoe a soulevé son objection, vous auriez pu

 17   intervenir et régler le problème en reformulant simplement votre question;

 18   cela nous aurait permis de gagner pas mal de temps.

 19   Veuillez poursuivre.

 20   Reposez votre question peut-être, parce que j'ai bien compris votre

 21   question, Monsieur Russo?

 22   M. RUSSO : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] La situation est tout à fait claire. Le fait

 25   de discuter d'hypothèses nous place dans une situation un peu difficile.

 26   Vous parlez de l'intervention du renseignement qui fait d'un lieu une cible

 27   de grande valeur, qui figure sur la liste des priorités pour le commandant

 28   dans une situation particulièrement sensible. Je crois que ce qu'exige la

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  1   loi d'un subordonné du commandant qui exécute la mission en question, c'est

  2   de faire de son mieux en toute bonne foi et sur la base des renseignements

  3   dont il dispose pour apprécier le risque de dommages collatéraux ou de

  4   blessures accidentelles.

  5   Je pense que si je me trouvais moi-même dans une situation de ce

  6   genre, je partirais du principe que tout bâtiment dans lequel l'individu

  7   est entré, sauf si on m'a dit qu'il était entré dans un bâtiment militaire,

  8   je partirais du principe qu'en cas d'attaque, il serait dans ces conditions

  9   inévitable que cette attaque fasse des dommages collatéraux ou des

 10   blessures accidentelles dont serait victime la population civile. Si vous

 11   ne savez pas que vous vous trouvez dans un lieu résidentiel habité par des

 12   civils, si vous ne savez pas avec certitude que le bâtiment est un bâtiment

 13   militaire, vous devez partir du principe que je viens d'indiquer. Par

 14   conséquent, ma réponse à la question sera : quelle est la nature exacte du

 15   bâtiment dans lequel l'individu a pénétré ? De déterminer ce que l'on sait

 16   exactement au sujet de ce bâtiment, comment est-ce que cela peut influer

 17   sur le jugement de la personne à qui la question est posée quant à la

 18   valeur de la cible potentielle et de l'effet militaire recherché et puis,

 19   l'élément suivant devrait consister à déterminer quels seraient les dégâts,

 20   les dommages que l'on infligerait dans une période donnée ?

 21   M. RUSSO : [interprétation]

 22   Q.  Je vous remercie, Professeur. Je vous demanderais votre aide sur le

 23   sujet suivant. Je comprends bien que traiter d'une situation sur base

 24   d'hypothèses comme nous le faisons est particulièrement difficile, mais si

 25   les subordonnés du commandant - et vous avez indiqué que c'était une

 26   situation qui se produisait pendant des combats - si le subordonné du

 27   commandant n'a pas les renseignements nécessaires, vous avez indiqué qu'il

 28   aurait dû partir du principe qu'une attaque ferait des dommages collatéraux

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  1   et des blessures accidentelles. Mais si le subordonné ne sait pas, par

  2   exemple, combien de personnes se trouvent dans le bâtiment en question,

  3   comment est-ce qu'il peut procéder à l'analyse de proportionnalité ? Parce

  4   qu'il ne sait pas quelle sera l'importance quantitative des dommages

  5   collatéraux ou des blessures accidentelles.

  6   R.  A mon avis, la loi exige de lui qu'il formule un jugement de bonne foi

  7   sur la base des renseignements dont il dispose. Meilleurs seront les

  8   renseignements, meilleur sera le jugement. Nous savons bien qu'une telle

  9   hypothèse est très analogue aux efforts déployés par les Etats-Unis pour

 10   tuer Saddam Hussein durant l'opération menée par les Etats-Unis en Irak,

 11   Liberté pour l'Irak. Saddam Hussein se déplaçait d'un endroit à l'autre; le

 12   commandant américain de toute évidence pouvait s'appuyer sur des

 13   renseignements recueillis par des services d'une rare compétence. Si le

 14   commandant avait laissé de côté cette capacité de renseignements, il aurait

 15   été en tort.

 16   Ce que je dis, c'est que le commandant était dans l'obligation de

 17   prononcer un jugement dans le feu des combats en s'appuyant sur les

 18   meilleurs renseignements dont il disposait au moment T en question, encore

 19   une fois, il y a l'élément temps, l'élément lieu, l'élément comportement

 20   des civils qui sont à prendre en compte, comme la Chambre l'a bien indiqué

 21   le premier jour de ma déposition. Si ce commandant est au courant du mode

 22   de comportement des civils ou de la cible, ceci peut intervenir de façon

 23   tout à fait significative dans son processus de réflexion. Mais si vous me

 24   demandez si je pense qu'un commandant doit avoir une certitude absolue ou

 25   pratiquement absolue dans la situation au cœur de laquelle il se trouve

 26   avant d'autoriser une attaque, je pense que ma réponse serait négative. Il

 27   doit agir en déployant les meilleurs efforts possibles, avec la meilleure

 28   bonne foi possible pour obtenir les renseignements qu'il peut obtenir.

Page 21562

  1   M. RUSSO : [interprétation] Monsieur le Président, nous nous apprêtons à

  2   passer à un autre sujet. Une pause serait sans doute bienvenue étant donné

  3   l'heure.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

  5   Je remarque que M. Waespi a assumé le rôle de Me Misetic du côté de la

  6   Défense de Gotovina, à savoir qu'il veille à ce que l'on attende la fin de

  7   l'interprétation avant de reprendre la parole. En même temps, je regrette

  8   qu'il soit nécessaire d'avoir des policiers de la circulation agissant dans

  9   cette fonction des deux côtés du prétoire. Si le débit de parole pouvait

 10   être ralenti de façon à aider les interprètes au mieux, ceci ne pourrait

 11   qu'améliorer la qualité du compte rendu d'audience et de l'interprétation.

 12   Maître Kehoe.

 13   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai une requête orale à

 14   vous soumettre. Je peux le faire en l'absence du témoin.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 16   M. KEHOE : [interprétation] Mais je voudrais le faire avant que nous ne

 17   reprenions les débats ou à quelque moment qu'il vous plaira, Monsieur le

 18   Président.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je demanderais à Mme l'Huissière

 20   d'accompagner le témoin hors du prétoire et vous pourrez poursuivre, Maître

 21   Kehoe.

 22   M. KEHOE : [interprétation] Faites-moi confiance, Monsieur le Président, ce

 23   sera très bref.

 24   [Le témoin quitte la barre]

 25   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais que

 26   nous revenions sur les faits déjà jugés dans l'affaire Martic. Paragraphes

 27   285 à 294 de ce texte. Nous avons demandé à la Chambre au titre de

 28   l'article 94 (B) du Règlement de dresser un constat judiciaire des faits

Page 21563

  1   déjà jugés dans l'affaire Martic, à savoir que le vieil hôpital de Knin

  2   était en fait une installation policière de la RSK. Voilà l'objet de notre

  3   requête. Je vous remercie.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo.

  5   M. RUSSO : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais que me soit

  6   accordé un temps suffisant pour répondre à cette requête. Je n'ai pas

  7   besoin de 14 jours. Je ne vois pas de problème majeur en perspective, mais

  8   j'aimerais tout de même qu'un temps suffisant me soit accordé.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que la pause vous suffira, car Me

 10   Kehoe considère que la réponse à cette requête est pertinente pour la suite

 11   de l'interrogatoire de ce témoin.

 12   M. RUSSO : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Kehoe, vous avez fait référence

 14   aux paragraphes 285 à 294. Ces paragraphes se trouvent où ?

 15   M. KEHOE : [interprétation] Dans le jugement de la Chambre de première

 16   instance, Monsieur le Président.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Le jugement de la Chambre de

 18   première instance, la Chambre en question a-t-elle adopté les faits déjà

 19   jugés ou demandez-vous à la Chambre devant laquelle vous vous trouvez

 20   d'adopter les faits dont il est question dans ces paragraphes du jugement

 21   Martic comme étant des faits déjà jugés ?

 22   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, étant donné qu'il y a eu

 23   constat judiciaire, je demanderais à la Chambre devant laquelle je me

 24   trouve d'adopter les faits déjà jugés par la Chambre de première instance

 25   Martic, en application de l'article 94 (B) du Règlement.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, ce n'était pas tout à fait clair.

 27   M. KEHOE : [interprétation] Toutes mes excuses.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il était difficile de comprendre si la

Page 21564

  1   Chambre Martic avait adopté ces faits comme faits déjà jugés ou si vous

  2   souhaitiez que la Chambre devant laquelle vous vous trouvez les adopte

  3   comme faits déjà jugés par la Chambre Martic.

  4   Bien. Nous allons nous pencher sur cette question avant de rendre notre

  5   décision, et nous entendrons M. Russo.

  6   Pour l'instant, pause. Nous reprenons nos débats à 10 heures 55.

  7   --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.

  8   --- L'audience est reprise à 11 heures 03.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo, avez-vous consulté

 10   le transcript dans l'affaire Martic ou le jugement ?

 11   M. RUSSO : [interprétation] Oui, nous avons consulté les paragraphes

 12   indiqués par M. Kehoe. Nous ne sommes pas d'accord avec le fait qu'il

 13   propose, à savoir, à la page 32 du transcript du compte rendu, lignes 22 à

 14   24, le fait que le jugement disait que l'hôpital était en fait une

 15   installation de la police de la RSK.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puisque j'étais dans une réunion lors de

 17   la pause, je vais tout de suite vérifier ce dont il est question.

 18   S'agit-il d'une formulation ou du fond ?

 19   M. RUSSO : [interprétation] Un peu des deux. Si nous changeons, c'est pour

 20   dire que c'était un centre de détention entre 1991 et 1992 de la RSK, cela

 21   ne posera aucun problème.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kehoe, vous voulez que la

 23   Chambre dresse un contrat judiciaire ?

 24   M. KEHOE : [interprétation] Oui.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Corn, il nous faudra quelques

 26   instants pour obtenir le bon document.

 27   J'ai sous les yeux en version électronique le jugement en date du 12

 28   juin 2007, et vous voulez que nous dressions un constat judiciaire des

Page 21565

  1   paragraphes 285 à 294; est-ce exact ?

  2   M. KEHOE : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quels sont les faits dont vous voulez

  4   que nous dressions le constat judiciaire et dans quel paragraphe pouvons-

  5   nous le trouver ?

  6   M. KEHOE : [interprétation] Les paragraphes seraient intégralement 285 à

  7   294, et nous voulions qu'il soit dressé un constat judiciaire quant au fait

  8   que le centre de détention qui était dans l'enceinte de l'hôpital était en

  9   fait un centre de détention qui était sous l'autorité du ministère de la

 10   Justice.

 11   Outre ce paragraphe, j'aimerais que nous consultions le paragraphe 414 --

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suis maintenant au paragraphe 295. Où

 13   se trouve --

 14   M. KEHOE : [interprétation] La première question --

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 16   M. KEHOE : [interprétation] -- au paragraphe 285 désigne l'ancien hôpital

 17   qui se trouve au centre de Knin.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il est dit :

 19   "A partir de l'été 1991, le ministère de la Justice de la SAO Krajina a

 20   pris sous son contrôle…" et ensuite, en "…1992, l'assemblée de la RSK a

 21   officiellement établit la prison de district de Knin."

 22   Monsieur Russo, il semble que ceci n'ait pas été une décision permanente.

 23   Y a-t-il donc moyen d'établir que ceci a été fait pour une période

 24   temporaire ?

 25   M. RUSSO : [interprétation] Les paragraphes que M. Kehoe indique ne portent

 26   que sur la période 1991-192. En ce qui concerne les pièces dans notre

 27   affaire et quant à l'emploi de cet édifice, je vous renvoie au témoignage

 28   du Témoin 56 dont le témoignage porte la cote 289 sous pli scellé, indique

Page 21566

  1   quel est l'usage qui a été fait de cette installation, de cet édifice.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lorsqu'il s'agit d'adopter des faits

  3   jugés, la Chambre ne peut pas comparer les pièces versées dans cette

  4   affaire.

  5   Monsieur Kehoe, l'objection tient au fait que le jugement dans l'affaire

  6   Martic est trop peu précis pour permettre d'établir que cette fonction du

  7   vieil hôpital perdurait.

  8   M. KEHOE : [interprétation] J'aimerais ajouter au résumé le paragraphe 414

  9   que j'ai cité tout à l'heure.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 11   M. KEHOE : [interprétation] Ma réponse est que nous pouvons tenir compte de

 12   ces faits et les mesurer. Nous demandons que soit dressé un constat

 13   judiciaire de ces faits.

 14   Et nous serions prêts à plaidoyer comment ceci peut jouer dans la

 15   décision d'un commandant, c'est-à-dire de l'évaluation qui aurait été faite

 16   de l'utilisation qui aurait pu être faite de cet édifice, étant donné que

 17   tous sont d'accord que ce n'était pas un hôpital.

 18   Donc nous ne demandons pas un accord entre les parties, nous demandons à ce

 19   que la Chambre dresse un constat judiciaire quant à ces faits jugés, et

 20   après nous allons présenter nos propres arguments quant au poids qu'il faut

 21   leur accorder.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'Accusation a présenté ses arguments.

 23   Les faits jugés, apparemment ceci est un fait, un fait qui irait à

 24   l'encontre des intérêts de l'Accusation, ça ne serait pas avantageux à

 25   l'Accusation et les pièces de l'Accusation ont déjà été versées. Donc

 26   j'essaie de comprendre et j'essaie de voir comment cette procédure, cette

 27   démarche s'inscrit sur le plan de la procédure dans l'adoption d'un constat

 28   judiciaire de faits jugés. Maintenant je lis le paragraphe 414.

Page 21567

  1   [La Chambre de première instance se concerte]

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Sur la base des arguments que vous avez

  3   présentés, la Chambre ne peut pas prendre en compte un fait qui inclurait

  4   le fait que le vieil hôpital était utilisé comme centre de détention en

  5   1995.

  6   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, je demande non seulement

  7   qu'un constat judiciaire soit fait pour cette période, mais je demande

  8   également qu'il y ait constat judiciaire des conclusions factuelles dans le

  9   jugement Martic, et nous procéderons.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous savez très bien comment nous

 11   traitons les faits jugés. Vous décrivez clairement pour quel fait vous

 12   voulez que soit dressé le constat judiciaire et après vous nous indiquez

 13   exactement où cela se situe dans le jugement. Je pense que ceci ne posera

 14   pas de problème, et nous devrons naturellement vérifier qu'il n'y a pas eu

 15   de contestation par voie d'appel. Nous devons être certain qu'il n'y ait

 16   rien sur ce fait dont la décision en appel. Mais vous devez faire en sorte

 17   que vous soyez très précis par rapport aux faits pour lesquels vous voulez

 18   que soit dressé un constat judiciaire. Et je le répète, la Chambre n'est

 19   pas en mesure de dresser un constat judiciaire portant sur le

 20   fonctionnement du vieil hôpital en 1995 qui aurait été utilisé comme centre

 21   de détention, même alors qu'il semble qu'à une période précédente,

 22   effectivement, le vieil hôpital avait été utilisé à titre de centre de

 23   détention.

 24   Monsieur Russo.

 25   M. RUSSO : [interprétation] D'abord, une précision. Nous sommes d'accord

 26   quant au fait que dans le témoignage du Témoin 56, en 1995 les lieux

 27   étaient utilisés comme centre de détention. M. Kehoe a semblé indiquer que

 28   c'était un centre utilisé par la police de la RSK. Pour ce qui est d'un

Page 21568

  1   centre de détention, je suis d'accord.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je commence à voir une lueur au bout du

  3   tunnel. Nous ne pouvions pas dresser un constat judiciaire quant à ce qui a

  4   été dit par un témoin devant cette Chambre, mais il peut y avoir accord

  5   entre les parties. M. Kehoe a dit qu'il ne le souhaitait pas, mais voici

  6   une petite possibilité qui semble s'offrir à nous. Il semble que la "stara

  7   bolnica" en 1995, et plus précisément en août 1995 -- y a-t-il des mentions

  8   plus précises quant aux dates ?

  9   M. KEHOE : [interprétation] Je ne pense pas.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pendant l'opération Tempête, cet édifice

 11   a servi de centre de détention pour la RSK.

 12   M. RUSSO : [interprétation] Par la police civile de la RSK.

 13   M. KEHOE : [interprétation] En fait, c'était utilisé par le ministère de la

 14   Justice --

 15   M. RUSSO : [interprétation] Je n'ai pas d'objection à ça, Monsieur le

 16   Président.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour le ministère de la Justice.

 18   M. KEHOE : [interprétation] Si vous le permettez, on m'indique quelque

 19   chose dans le compte rendu.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Professeur Corn, vous êtes vous-même

 21   avocat, vous êtes soit très heureux d'entendre ce que vous entendez ou ça

 22   vous ennuie.

 23   M. KEHOE : [interprétation] Il y avait d'autres éléments de preuve sous pli

 24   scellé, c'est-à-dire le témoignage du Témoin 56.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous ne pouvons pas traiter de

 26   témoignage sous pli scellé.

 27   Qu'en est-il, Monsieur Russo, est-ce le moment où cette information est

 28   pertinente ? Nous avons déjà établi que M. Martic était en présence et le

Page 21569

  1   mot "hôpital" a été utilisé. Ceci a fait que M. Kehoe s'est levé pour dire

  2   que l'hôpital était en fait un centre de détention. Cette intervention vous

  3   a déplu. Ensuite M. Kehoe a poursuivi en demandant que soit dressé un

  4   constat judiciaire de la chose. Il est clair que cela n'est pas possible.

  5   Et maintenant, je suis contraint de me poser la question : est-ce que ceci

  6   est important ou pertinent pour le reste de ce contre-interrogatoire ?

  7   M. RUSSO : [interprétation] Je ne vais pas poursuivre les questions sur le

  8   centre de détention. Je n'ai pas d'objection si M. Kehoe veut soumettre un

  9   fait présumé.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si, lors de la prochaine pause, vous

 11   estimez qu'il y a quelque chose de pertinent, vous allez vous parler, voir

 12   exactement quel sera l'accord entre les parties que vous serez en mesure de

 13   réaliser.

 14   Nous allons poursuivre maintenant et continuer avec les questions pour M.

 15   Corn.

 16   Monsieur Kehoe, donc votre requête pour qu'un constat judiciaire soit

 17   dressé est retirée ?

 18   M. KEHOE : [interprétation] Oui, elle est retirée. 

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Poursuivez avec les questions.

 20   M. RUSSO : [interprétation]

 21   Q.  La question 3 figurant dans votre annexe, à la page 31, vous parlez du

 22   caractère raisonnable de la décision du général Gotovina pour ce qui est

 23   d'ouvrir le feu sur certains des objectifs militaires se trouvant à Knin.

 24   J'aimerais que nous commencions avec le quartier général de l'ARSK, et vous

 25   dites que :

 26   "Il serait peu probable que des MBRL pourraient parvenir à un effet

 27   'destructeur', leur emploi contre cette cible est compréhensible. Les

 28   effets dans la zone de cette arme auraient pu être escomptés pour la

Page 21570

  1   destruction du C3I pour ce qui concerne la destruction des antennes de

  2   communication des câbles et du matériel."

  3   Monsieur le Professeur, on ne vous a donné aucune information, aucune

  4   hypothèse sur les communications, les antennes ou le matériel qui serait

  5   exposé en dehors du quartier général, donc c'est une hypothèse que vous

  6   avez rajoutée au-delà des informations qu'on vous a données ?

  7   R.  Oui, c'est exact.

  8   Q.  Vous avez reconnu que les MBRL sont des systèmes d'armes et le général

  9   Rajcic a bien témoigné qu'il était préoccupé quant à l'utilisation de ce

 10   type d'armes dans un quartier civil, pourquoi dites-vous qu'ils pourraient

 11   être utilisés pour atteindre une cible comme par exemple un câble ?

 12   R.  Dans mon premier rapport, on m'a directement posé une question quant à

 13   savoir si l'emploi ou l'utilisation d'un lance-roquettes multiples pourrait

 14   être a priori anormale dans une zone peuplée. Je réponds principalement à

 15   l'opinion exprimée dans le rapport du général Konings. J'ai noté que de

 16   façon abstraite, l'utilisation d'un lance-roquettes multiples dans une zone

 17   peuplée serait préoccupante parce que fondamentalement c'est une arme qui

 18   sert à détruire une zone ou interdire l'accès à une zone. Le général

 19   Konings note ceci dans sa discussion des différentes catégories d'engins

 20   d'artillerie. Mais je note, de façon qui est tout à fait cohérente avec le

 21   commentaire sur l'article 51, que quasiment aucun système d'arme n'est a

 22   priori illicite au titre de la prohibition sur les attaques sans

 23   discrimination, et je dis que dans la majorité des situations, ce qui est

 24   beaucoup plus important, c'est la façon dont l'arme est utilisée, l'effet

 25   qui est recherché, et que c'est beaucoup plus important que de parler du

 26   système d'arme en soi. Et ceci est une périphrase du commentaire du comité

 27   international de la Croix-Rouge, à l'article 51, où il est dit que la

 28   préoccupation sur l'utilisation sans discrimination d'armes portait

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  1   essentiellement sur les moyens tels que le recours au feu, à l'inondation

  2   ou même des armes nucléaires.

  3   Donc, dans ma réponse aux conclusions initiales du général Konings :

  4   comment est-ce que l'utilisation d'un système comme un lance-roquettes

  5   multiples pourrait être justifié de façon raisonnable dans un tel scénario

  6   ? Vous m'avez demandé tout à l'heure que j'ai supposé que ceci était dans

  7   le cadre de la vulnérabilité des systèmes de communication, d'antennes, et

  8   cetera. Oui, c'est une hypothèse que j'ai retenue.

  9   On ne m'a pas donné d'informations ou d'hypothèses comme quoi les

 10   officiers, les commandants le savaient ou ne le savaient pas, inversement.

 11   Donc je traite ceci de la façon dont un commandant raisonnable ou un

 12   officier raisonnable aurait réagi face à la cible. Avec les limitations

 13   inhérentes au réapprovisionnement en munitions, la priorité de l'effort,

 14   pour ce qui est du soutien au combat rapproché et l'effet recherché, à

 15   savoir perturber le C3I, je pense qu'il aurait été raisonnable de faire une

 16   évaluation d'une vulnérabilité de la capacité C3I qui aurait pu être

 17   exploitée par l'utilisation d'un lance-roquettes multiples. Ce type d'engin

 18   peut détruire des antennes, peut détruire des câbles, peut détruire des

 19   véhicules qui sont utilisés en soutien à ce type de matériel, peut détruire

 20   des installations qui ne sont pas blindées et qui sont utilisées pour le

 21   C3I.

 22   Si on peut arriver à détruire cela, à ce moment-là, il faudra pour l'ennemi

 23   qu'il rétablisse le C3I et vous allez enfin démontrer à l'ennemi que vous

 24   avez la possibilité d'atteindre et de toucher le quartier général. Ce qui

 25   peut réduire ou détériorer leur capacité à rétablir leurs fonctions.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Professeur, vous avez donné

 27   des raisons pour lesquelles on peut l'utiliser. Je suis certain que vous

 28   seriez en mesure de donner encore beaucoup d'exemples.

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est pour ça que je pense que cela

  2   constitue une utilisation raisonnable.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Certes.

  4   M. RUSSO : [interprétation]

  5   Q.  Vous savez, ma question est un peu plus ciblée que ça. Que pas

  6   seulement les armes de 130-millimètres peuvent être dirigées contre le

  7   bâtiment du quartier général de l'ARSK --

  8   M. KEHOE : [interprétation] J'aimerais savoir exactement où dans le

  9   transcript M. Rajcic a dit cela.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo.

 11   M. RUSSO : [interprétation] Accordez-moi quelques instants, s'il vous

 12   plaît.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo, j'avais cru comprendre

 14   que vous me demandiez un bref instant.

 15   M. RUSSO : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je crois que j'ai

 16   presque trouvé ce que je cherchais.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez déjà trouvé le jour

 18   que vous cherchiez ?

 19   M. RUSSO : [interprétation] Je vérifie mes interrogatoires principaux car

 20   je n'ai pas la citation exacte sous la main.

 21   Monsieur le Président, toutes mes excuses encore une fois. J'ai besoin

 22   d'une seconde supplémentaire.

 23   Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, page 16 284 du compte

 24   rendu d'audience, lignes 11 à 15 : 

 25   "Question : Et s'agissant de ces deux cibles, l'état-major principal de

 26   l'ARSK et le centre de transmission, les canons de 130 et les systèmes

 27   lance-roquettes de 122 étaient-ils capables de tirer ces cibles en ne

 28   touchant que les cibles en question et rien autour de ces cibles ?

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  1   "Réponse : Non."

  2   Q.  Professeur, je reviens à ma question que je vous posais tout à l'heure.

  3   Si le général de brigade Rajcic vous avait dit, en tirant au canon de 130

  4   et au lance-roquettes multiples de 122 sur un bâtiment, on ne va pas

  5   simplement toucher le bâtiment mais également ce qui l'entoure, comment

  6   est-ce que vous diriez que l'on peut utiliser des lance-roquettes pour

  7   toucher un câble qui peut s'approcher de ce bâtiment ?

  8   R.  Parce qu'on ne tire pas la roquette pour toucher le câble. Je vous

  9   renvoie encore une fois au rapport du colonel Koning et à ce qu'il dit des

 10   roquettes et des effets des roquettes. Les roquettes contiennent

 11   normalement des munitions secondaires. C'est la raison pour laquelle on

 12   parle de ces armes comme étant des armes interdisant une zone ou

 13   interdisant la possibilité d'une attaque à partir d'une zone. On tire une

 14   roquette sur une zone. On tire une salve de roquettes et on s'attend à ce

 15   que l'effet de ces roquettes endommage ou détruise certains éléments de la

 16   capacité de l'ennemi qui sont vulnérables à cet effet massif, à cet effet

 17   d'explosion. C'est ce que l'on trouve écrit dans le rappel de la doctrine

 18   fait par le colonel Koning dans son rapport. En page 11, il note :

 19   "Elles," et par elles, il entend les roquettes, "ont tendance à apporter un

 20   tir très soutenu et ont pourtant une certaine difficulté à être tirées avec

 21   équivalence entre la quantité des munitions disponibles et la consommation

 22   de ces munitions."

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Professeur Corn, excusez-moi de vous

 24   interrompre encore une fois. Mais la question qu'on vous a posée, à savoir

 25   si vous pouviez dire que les roquettes pouvaient être utilisées pour

 26   toucher un câble, la réponse manifestement, c'est que vous ne toucheriez

 27   pas un câble très défini du point de vue de sa taille. Mais je crois

 28   comprendre que votre réponse a consisté à dire que si vous tiriez des

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  1   roquettes, les dommages produits par ces roquettes pouvaient être tels dans

  2   un secteur tout entier que tous les câbles qui risqueraient de s'y trouver

  3   pourraient souffrir d'endommagement, et par conséquent, que vous aviez

  4   obtenu l'effet recherché. Est-ce que c'est bien ça que vous voulez dire ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président. Toutes mes

  6   excuses. Le seul point que j'essayais d'indiquer et de mettre en exergue,

  7   c'était que mon appréciation reposait sur la même prise en compte de la

  8   doctrine quant aux effets et à l'utilisation des roquettes que celle que

  9   l'on trouve dans le rapport du colonel Koning, parce que je pense qu'il

 10   était utile de le signaler, tout comme de rappeler le débat sur la

 11   neutralisation et l'effet du harcèlement que peut produire un système

 12   d'appui au feu.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Russo.

 14   M. RUSSO : [interprétation]

 15   Q.  Professeur, même si on part du principe que les armes utilisées contre

 16   le QG pouvaient détruire les matériels de transmission, cela n'aurait eu

 17   d'effet que sur les capacités de transmission du commandement. Donc si ces

 18   mêmes capacités de transmission pouvaient être détruites en détruisant ou

 19   en supprimant la capacité d'une autre installation sans mettre en danger

 20   les civils et sans créer de risques importants pour les forces du général

 21   Gotovina, ne conviendriez-vous pas qu'il lui aurait été obligatoire de

 22   choisir cette autre solution plutôt que d'utiliser des pièces d'artillerie

 23   pour tirer sur le QG afin d'obtenir le même objectif ?

 24   R.  Je serais d'accord avec ce que vous venez de dire à un qualificatif

 25   près. L'effet que recherche un commandant, c'est de supprimer les capacités

 26   C3I pendant une période déterminée. Le commandant peut, par exemple,

 27   estimer qu'un répéteur ou une antenne qui se trouvent dans un autre lieu

 28   que le répéteur sont vulnérables, mais son appréciation doit prendre en

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  1   compte le fait que les engins de transmission sont doublés, sont

  2   redondants. Il faut donc qu'il prenne en compte les possibilités de

  3   restauration du potentiel et des capacités de la part de la cible. Par

  4   conséquent, encore une fois, comme on le trouve mentionné dans le rapport

  5   du colonel Konings, le premier élément utilisé de façon synchronisée doit

  6   être le plus capable d'obtenir l'effet recherché. Si je pars du principe,

  7   et je crois que c'est ce que vous avez l'esprit en posant votre question,

  8   que le commandant a conclu finalement qu'il pouvait réaliser un effet

  9   identique en prenant pour cible un élément qui ne se trouvait pas dans un

 10   quartier habité, alors je pense que le commandant, si telle est son

 11   hypothèse, est dans l'obligation de choisir cette deuxième solution. Mais

 12   l'effet recherché doit être identique et pas seulement la conséquence

 13   immédiate.

 14   Q.  Professeur, je ne voudrais pas que nous nous lancions dans un très long

 15   débat sur ces questions, mais vous soulignez le mot "identique", l'article

 16   57 du protocole additionnel n'exige que l'obtention d'un avantage militaire

 17   comparable; n'est-ce pas ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Est-ce que vous n'êtes pas d'accord avec cela ?

 20   R.  Non, pas du tout. Si j'utilise le mot "identique" et que ce mot est

 21   trop restrictif -- je comprends bien l'article 57 du protocole additionnel,

 22   je le dis dans mon rapport. Mais ce qui est important à prendre en compte,

 23   en tout cas, c'est l'effet, l'effet que le commandant cherche à obtenir. Et

 24   par ailleurs --

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Attendez. Un instant. Ne rallongeons pas

 26   les débats.

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est compris, Monsieur le Président.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que vous avez utilisé le mot

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  1   "identique." M. Russo a appelé votre attention sur le fait que dans

  2   l'article 57, on trouve le mot "comparable", "similar" en anglais. Et vous

  3   avez dit que votre citation n'était peut-être pas entièrement précise;

  4   n'est-ce pas exact ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] En effet, Monsieur le Président.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord.

  7   Veuillez poursuivre, Monsieur Russo.

  8   M. RUSSO : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  9   Q.  Professeur, la seule autre justification que vous proposez dans ce

 10   passage de votre rapport, pour un tir sur le QG de l'ARSK, est la suivante

 11   :

 12   "Les forces ennemies qui ont nécessité de se déplacer dans le secteur et

 13   aux environs du secteur devraient avoir préalablement estimé qu'il y avait

 14   une forte chance qu'elles soient l'objet de futures attaques destinées à

 15   interdire l'accès à la zone ou à dégrader potentiellement leurs capacités à

 16   réaliser leur mission."

 17   Alors, étant donné les mots utilisés dans ce passage, êtes-vous en train de

 18   dire que pilonner le secteur situé autour du QG pour que les soldats aient

 19   une idée préalable importante serait un emploi légitime de l'artillerie ?

 20   R.  Si les circonstances conviennent, ma réponse est oui. En fait, et je le

 21   répète, les citations de la doctrine évoquent l'élimination et portent sur

 22   un objectif qui consiste à ne pas infliger des pertes substantielles à

 23   l'ennemi, mais à réduire sa propre vulnérabilité en contraignant l'ennemi à

 24   réduire ses capacités, par exemple, en se déplaçant ou en retardant une

 25   opération à un moment ultérieur. L'élimination a pour but d'influer sur le

 26   cycle de décision de l'ennemi et bien sûr sur les actions de cet ennemi.

 27   Dans ce même rapport, il est question d'un des effets cités dans la

 28   doctrine, un des effets de l'artillerie qui est l'effet de choc. Par

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  1   conséquent, si l'on veut employer les moyens avec la plus grande économie

  2   et réaliser un effet de choc massif dans une phase particulière du combat

  3   est une bonne solution. C'est ce qu'indique la doctrine qui est reprise

  4   dans le rapport du colonel Konings. Donc gêner la capacité de l'ennemi à

  5   conduire le combat en lui infligeant une crainte psychologique, au

  6   commandant ainsi qu'aux hommes placés sous ses ordres, si cette crainte

  7   psychologique est associée au fait de recourir à l'artillerie, nous sommes

  8   au cœur de la doctrine, s'agissant de l'emploi de l'artillerie et des

  9   roquettes. Et par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, si vous avez un effet

 10   d'explosion important qui endommage les câbles, les antennes et les

 11   équipements de transmission, pour remettre en place le commandement, le

 12   contrôle, les transmissions, il faut réparer du matériel. Donc il faut pas

 13   mal de membres des effectifs militaires. Donc vous dégradez, comme le

 14   stipule la doctrine, la capacité de l'ennemi en le contraignant

 15   éventuellement à retarder sa riposte à votre emploi de l'artillerie sans

 16   produire un effet destructeur.

 17   Q.  Professeur, est-ce que vous croyez franchement que tirer quatre à cinq

 18   salves à l'heure va simplement créer une crainte dans l'esprit des soldats

 19   ennemis qui auront peur de circuler dans le bâtiment et aux environs du

 20   bâtiment ?

 21   R.  Je vous remercie de dire que je ne me suis jamais trouvé au cœur d'une

 22   attaque d'artillerie. Je me suis trouvé dans des opérations qui m'ont donné

 23   l'occasion de me trouver à proximité de tirs d'artillerie indirects et j'ai

 24   vu les impacts de tels tirs. Et oui, je crois que si vous commencez par

 25   tirer des salves d'urgence contre des objectifs militaires dans le cadre

 26   d'une opération, alors votre recours périodique à des attaques contre ces

 27   objectifs vont vous servir à augmenter l'appréhension ressentie par

 28   l'ennemi quant à votre possibilité de dicter à tout moment les conditions

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  1   du combat. Et c'est la raison pour laquelle j'établis une analogie entre

  2   cette attaque et une attaque qui a eu lieu pendant la guerre des Malouines,

  3   car je crois que le dilemme auquel le commandant s'est trouvé confronté

  4   dans les deux cas ainsi que l'action entreprise par les commandants, dans

  5   les deux cas, ont été comparables.

  6   Q.  Professeur, si vous-même, vous avez pu pénétrer dans le bâtiment

  7   pendant la journée, des civils ont effectivement pénétré dans ce bâtiment

  8   pour y chercher abri. Alors je vous demande comment les soldats qui

  9   auraient ressenti une appréhension quant au fait de faire la même chose que

 10   vous-même et les civils auraient pu justifier un risque de dommage

 11   collatéral ou de blessures accidentelles à des civils ?

 12   R.  Parce que le commandant prend une décision en prévoyant l'effet d'une

 13   action déterminée dans le cadre des contraintes opérationnelles auxquelles

 14   il est confronté. Au moment de prendre sa décision, je suis sûr qu'il avait

 15   la capacité de détruire le bâtiment dans le respect de l'IHL et que si cela

 16   avait été le cas, il aurait préféré agir de cette façon. Mais selon mon

 17   appréciation de ce qui était raisonnable quant au fait de prendre cet

 18   objectif ou ces objectifs pour cible durant l'attaque, dans les conditions

 19   analysées dans le cadre de l'analyse des faits et des hypothèses, j'ai été

 20   tenu de penser, de réfléchir au fait de savoir s'il était raisonnable

 21   d'obtenir un effet continu dans les conditions dont je suis en train de

 22   parler et je n'étais pas tenu de réfléchir au fait de savoir si j'étais

 23   certain qu'il réaliserait ou obtiendrait effectivement cet objectif.

 24   Q.  Merci, Professeur. Eu égard au pilonnage du QG de l'ARSK, le 5 août,

 25   c'est-à-dire le lendemain, et à ce que vous estimez toujours trouver dans

 26   la ville à ce moment-là, vous avez dit dans votre déposition, ceci figure

 27   en page 31, lignes 14 à 17 du compte rendu d'hier :

 28   "L'hypothèse dont je partais, et c'était bien cas, Monsieur Russo, c'était

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  1   qu'à 5 heures le lendemain matin, le commandant de l'opération a rendu un

  2   jugement selon lequel il y avait toujours une capacité C3I, même s'il ne

  3   s'agissait que d'une capacité C3I résiduelle dans ces bâtiments qui

  4   abritaient le QG de l'ennemi."

  5   M. KEHOE : [interprétation] Une correction, Monsieur le Président. En

  6   anglais, il ne s'agissait pas de "C3I" mais de C3I.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que tout le monde avait

  8   compris.

  9   Veuillez poursuivre, Monsieur Russo.

 10   M. RUSSO : [interprétation] Je vous remercie.

 11   Q.  Professeur, vous avez formulé cette hypothèse, comme vous l'avez dit,

 12   en vous appuyant sur une autre hypothèse qui vous avait été communiquée par

 13   la Défense Gotovina; n'est-ce pas ?

 14   R.  L'hypothèse, ou plutôt le fait qui m'a été communiqué par la Défense

 15   c'est que l'effort principal dans le cadre de l'attaque a repris le

 16   lendemain matin et qu'il y avait eu un ordre qui avait été porté à la

 17   connaissance du général Gotovina de déplacer le QG de l'ARSK et les

 18   fonctions de commandement et de contrôle de Knin vers un lieu situé sur les

 19   arrières.

 20   Q.  Oui. Et à partir de cette hypothèse qui vous a été communiquée, vous

 21   avez formulé une nouvelle hypothèse selon laquelle le général Gotovina

 22   avait formulé un jugement quant au fait qu'il y avait toujours une capacité

 23   C3I résiduelle à Knin. Ma question est la suivante : est-ce que vous avez

 24   appelé la Défense Gotovina pour lui demander si la nouvelle hypothèse faite

 25   par vous était appuyée par des éléments de preuve, et si oui, pourquoi est-

 26   ce que vous ne l'avez pas dit plus tôt ?

 27   R.  Non, je ne les ai pas appelés. Et la raison à cela réside dans le mode

 28   d'emploi opérationnel auquel j'étais confronté ainsi qu'aux faits et aux

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  1   circonstances qui m'avaient été largement décrits par la Défense. Alors,

  2   l'hypothèse sous-jacente que le but poursuivi en employant l'artillerie le

  3   deuxième jour de l'attaque était analogue au but poursuivi par le premier,

  4   c'est une hypothèse que j'ai formulée, si cette hypothèse est erronée ou si

  5   les faits qui m'ont été communiqués n'appuient pas cette hypothèse, alors

  6   l'avis final peut changer de façon tout à fait importante.

  7   Q.  Je vous remercie, Professeur. Passons maintenant à la caserne du nord

  8   dont vous parlez en page 32 de votre rapport, paragraphe (b). Dans ce

  9   paragraphe, vous dites que la caserne du nord avait la même qualité du

 10   point de vue C3I que le QG de l'ARSK et vous ajoutez :

 11   "Viser cet objectif avait de plus la valeur supplémentaire d'une

 12   possibilité de paralyser les renforts de l'ennemi ou, pour le moins, de

 13   gêner sa capacité de manœuvre et de déplacement."

 14   Un peu plus loin dans le même paragraphe, vous revenez sur ce même avantage

 15   s'agissant de viser les câbles et les matériels, comme vous l'avez indiqué

 16   lorsque vous évoquiez le QG, ou plutôt -- excusez-moi, un peu plus loin

 17   dans ce même paragraphe vous citez une nouvelle fois ce même avantage

 18   s'agissant de l'appréhension créée parmi les soldats quant à leur

 19   déplacement autour de la cible. Pour moi, ces deux descriptions de

 20   l'avantage militaire sont pratiquement les mêmes : immobiliser les renforts

 21   potentiels de l'ennemi et gêner sa capacité à se déplacer. Pour moi, c'est

 22   à peu près la même chose que de provoquer de l'appréhension chez les

 23   soldats lorsqu'ils se déplacent tout près de la cible ou aux abords de la

 24   cible. Est-ce que c'est la même chose ou est-ce qu'il y a une distinction

 25   que je n'ai pas bien comprise ?

 26   R.  Lorsque j'ai écrit cela, je m'appuyais sur une liste non exclusive

 27   d'objectifs militaires potentiels à Knin qui indiquait que l'état-major

 28   principal de l'ARSK était le C2 primaire et que les installations de

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  1   commandement, de contrôle et de transmissions l'étaient également. Par

  2   contraste à cela, le renseignement que j'avais reçu indiquait que dans la

  3   caserne du nord qui était le QG du 7e Corps d'armée de la Krajina, il y

  4   avait aussi des éléments d'une brigade et des unités d'appui. Donc si nous

  5   pensons à l'effet que tout cela pouvait avoir sur le personnel présent dans

  6   le QG, oui, si on est moins enclin à se déplacer pour aller réparer une

  7   antenne ou rétablir une ligne terrestre ou même se rendre sur son lieu de

  8   permanence, alors l'effet qui pouvait être prévu comme étant un effet de

  9   l'artillerie, à mon avis, est un élément à prendre en compte s'agissant du

 10   QG. S'agissant de cette cible bien précise, il y a aussi la question

 11   supplémentaire des éléments qui pouvaient être potentiellement utilisés

 12   pour renforcer une mission ou pour établir un contact et qui nécessitait

 13   d'immobiliser l'ennemi ou de le rendre moins capable de se déplacer. C'est

 14   un élément supplémentaire à prendre en compte dans l'analyse de la cible.

 15   Q.  Professeur, selon les conseils des Juges de la Chambre, je ne vais pas

 16   vous demander si votre avis aurait pu changer en cas d'absence de renfort.

 17   Je considère que si les objectifs se modifient, si la situation factuelle

 18   change, alors votre avis pourrait changer également. C'est bien ça ? J'ai

 19   bien compris ?

 20   R.  C'est ça. S'il n'y a pas de renfort, cette absence de renfort influe

 21   sur cet aspect de l'analyse. Mais il y a encore le QG.

 22   Q.  Je vous remercie. J'aimerais maintenant que nous quittions la caserne

 23   du nord et que nous nous rendions à l'air libre, à savoir ce dont vous

 24   traitez en page 33 paragraphe (i). Là, vous dites :

 25   "Le général Gotovina aurait raisonnablement pu conclure que ce terrain

 26   était l'un des rares lieux à l'intérieur de Knin que les forces ennemies

 27   auraient pu utiliser pour se regrouper avant déplacement afin de nouer des

 28   contacts ou d'obtenir des renforts. En conséquence, viser ponctuellement ce

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  1   lieu aurait entravé la capacité de l'ennemi à se regrouper et aurait

  2   contribué à interdire à l'ennemi toute capacité de manœuvre également."

  3   Professeur, vous avez indiqué cette hypothèse sur le terrain comme

  4   étant une hypothèse visant un des rares lieux, mais ce que j'aimerais

  5   savoir c'est si dans votre avis, vous avez tenu compte de l'appréciation

  6   selon laquelle il aurait été légitime pour le général Gotovina de pilonner

  7   ponctuellement quelque secteur que ce soit dans la ville de Knin où l'ARSK

  8   aurait potentiellement pu se regrouper ?

  9   R.  "Aurait pu," comme vous dites, implique de ma part une réponse

 10   négative. Mais il s'agissait d'un terrain dont on m'avait dit qu'il était

 11   proche de la caserne et on m'avait dit que c'était un lieu qui abritait des

 12   éléments d'une brigade, ce qui, à mon avis, correspond à une unité qui

 13   était d'après moi tenue en réserve par le commandement du corps d'armée

 14   ennemie. Et suite à cela, en raison de la proximité de ce lieu par rapport

 15   à la caserne du nord, il était naturel, à mon avis, de le considérer d'un

 16   point de vue un peu différent et raisonnablement différent d'un lieu à ciel

 17   ouvert à Knin. Encore une fois, cette question n'est traitée que dans le

 18   commentaire au protocole additionnel I et c'est la raison pour laquelle je

 19   dis au début de façon abstraite qu'un terrain à l'air libre semble n'avoir

 20   qu'une valeur militaire faible. Mais même le protocole additionnel I traite

 21   de l'emploi de méthodes et de moyens de guerre visant à interdire l'accès

 22   de certains secteurs à l'ennemi et il reconnaît que dans des circonstances

 23   justifiables, il est logique et classique de recourir à de tels moyens, à

 24   de telles capacités de combat.

 25   Alors ma réponse est oui ou non à votre question, selon le cas. Je ne

 26   crois pas qu'un lieu à l'air libre dans la ville de Knin entre dans la même

 27   catégorie que ce dont nous parlons, en raison de la proximité par rapport

 28   aux forces dont on m'avait dit de partir du principe qu'elles étaient

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  1   proches du bâtiment.

  2   Q.  Donc en ce qui concerne ce à quoi le général Gotovina aurait pu

  3   s'attendre en ce qui concerne l'emploi de l'artillerie, lorsqu'on est dans

  4   une attaque d'artillerie et lorsque des armes antipersonnel et des armes à

  5   cible large vont être utilisées, pensez-vous qu'il est normal que l'on

  6   pense que l'ennemi va décider de se rassembler sur un terrain à ciel ouvert

  7   ?

  8   R.  Il s'agit d'une opération coordonnée visant à faire une percée dans un

  9   périmètre défensif de l'ennemi qui est un périmètre qui est en train de

 10   protéger en fait le centre vital de l'ennemi, le centre politique et

 11   militaire. Donc si je l'attaque, dans ma planification, je dois anticiper

 12   que si j'arrive à faire une percée, dans ce cas-là, la percée va devenir la

 13   priorité pour l'ennemi, il va décider d'y envoyer tous les renforts dont il

 14   dispose. Donc ma réponse est oui. Je pense qu'il serait parfaitement

 15   raisonnable de dire que même lorsqu'il y a attaque, si le commandant ennemi

 16   se rend compte que l'on a percé sa défense, dans ce cas-là, il va faire

 17   tout ce qui est en son possible pour arriver à boucher cette percée. Une

 18   fois que la percée est sécurisée, parce que là, l'autre camp peut décider

 19   de l'exploiter, on est arrivé à un point décisif de la bataille. Je dois

 20   prendre en compte que mon ennemi le sait aussi bien que moi.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aimerais savoir si vous avez identifié

 22   d'autres emplacements qui auraient pu être utilisés pour rassembler ou

 23   regrouper les forces ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, on m'a juste demandé d'étudier ce terrain

 25   qui est près de la caserne.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais vous dites que c'est le seul d'un

 27   certain nombre d'emplacements, donc vous avez quand même dû vous demander

 28   et vous avez dû analyser le nombre de ces terrains ?

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Mais moi, l'opinion que j'ai donnée est

  2   basée sur ce que l'on m'a dit à propos des forces qui se trouvaient dans

  3   Knin. Et il y avait certaines unités de police, on m'a dit qu'il y avait

  4   aussi des unités de la brigade qui se trouvaient dans la caserne au nord.

  5   Donc mon hypothèse du départ est qu'ils vont se rassembler à partir des

  6   endroits où ils sont cantonnés. C'est comme ça que ça fonctionne.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Poursuivez, Monsieur Russo.

  8   M. RUSSO : [interprétation] Je vous remercie.

  9   Q.  Passons maintenant à la page 32. Vous parlez des PTT de la RSK. Page

 10   32, petite sous-section (d), vous dites :

 11   "Cette cible classique à 'double emploi' était un élément important du

 12   système de capacité de communications de l'ennemi. Arriver à détériorer

 13   l'efficacité des communications fournirait un avantage important aux forces

 14   amies visant à donner le rythme de la bataille et à garder l'avantage."

 15   Donc nous en avons déjà parlé, je crois, lorsque nous avons parlé de la

 16   capacité qu'avait le général Gotovina à arriver à cette même forme et en

 17   pilonnant un autre endroit, mais j'aimerais quand même vous montrer un

 18   passage de la réunion de Brioni.

 19   M. RUSSO : [interprétation] Si nous pouvions, s'il vous plaît, avoir à

 20   l'écran la pièce P461. Page 25 de la version en anglais, s'il vous plaît,

 21   page 45 de la version en B/C/S.

 22   Q.  Je vais m'intéresser aux propos de Mladen Markac.

 23   "Monsieur le Président, dès que nous aurons pris Celavac, qui est un centre

 24   de communications et qui est en fait le centre nerveux de cette partie,

 25   leur système de communication sera détruit et ce sera le chaos."

 26   Un peu plus loin dans la page, les propos de Davor Domazet, dernier

 27   paragraphe :

 28   "…et la destruction de Celavac, nous allons arriver à détruire toutes les

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  1   communications tactiques et opérationnelles dans la zone des 7e et 15e

  2   Corps."

  3   Donc vous savez sans doute que la zone du 7e Corps correspondait à Knin,

  4   n'est-ce pas ?

  5   R.  Oui.

  6   M. RUSSO : [interprétation] Pouvons-nous maintenant avoir la pièce P2625 à

  7   l'écran.

  8   Q.  Il s'agit d'un rapport de l'armée de l'air croate en date du 4 août

  9   1995, paragraphe 2, numéro 1, le relais de radio de Celavac a été éliminé.

 10   M. RUSSO : [interprétation] Ensuite, si nous pouvions avoir la pièce P2623,

 11   à l'écran. Page 5, s'il vous plaît, à la fois de l'anglais et du B/C/S.

 12   Q.  Lorsque l'on voit quelles sont les cibles des opérations aériennes dans

 13   petit alinéa (b), il est écrit :

 14   "Au cours du premier jour, neutraliser les systèmes de communication et de

 15   commande des unités de l'ennemi en utilisant des frappes contre des centres

 16   de communication et des postes de commandement précis."

 17   Vous avez étudié ces comptes rendus de Brioni avant de venir ici, bien sûr.

 18   Avez-vous pris en compte le fait qu'on avait évalué qu'en prenant Celavac,

 19   en détruisant Celavac, on arriverait à anéantir toute capacité de

 20   communication ?

 21   R.  Comme je l'ai déjà dit, j'ai basé mon avis sur les faits et les

 22   hypothèses qui m'ont été donnés par les conseils de la Défense. Je leur ai

 23   demandé d'ailleurs d'évaluer ce qui avait été établi sur la base du compte

 24   rendu. Donc l'hypothèse, pour ce qui est des faits, par rapport aux PTT,

 25   c'était que 40 % des communications militaires étaient passées par cette

 26   zone, ce nœud de communication. Dans le premier rapport que vous m'avez

 27   remontré, j'ai regardé quelle était l'heure et j'ai vu que c'était un

 28   rapport qui avait été fait à 23 heures le 4 août. Si l'armée de l'air rend

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  1   compte de la destruction de ce relais radio, au vu de l'heure du rapport,

  2   cela n'indique pas au général Gotovina, lorsqu'il a lancé son attaque le

  3   matin du 4, si je ne m'abuse, que la capacité a bel et bien été détruite,

  4   ça, on ne sait pas encore.

  5   Mais même si on ne prend pas cela en compte, j'ai écrit cela en me

  6   basant sur l'hypothèse qu'il était certain qu'il pensait au vu du compte

  7   rendu, au vu de ce qui s'était passé, au vu de ce qu'on lui avait dit

  8   surtout, que ce centre de PTT fournissait 40 % des capacités de

  9   communication militaire. Si on va attaquer les lignes terrestres, les

 10   lignes UHG, VHF au QG, on doit bien se dire que de toute façon l'ennemi a

 11   une solution de secours et il va utiliser sa solution de secours.

 12   Ce rapport oublie de dire autre chose : on ne sait pas si l'ennemi est

 13   capable de rétablir ses capacités même si la frappe aérienne a été une

 14   réussite. Donc, dans l'abstrait, comme toujours d'ailleurs, il y a d'autres

 15   faits, d'autres circonstances qui doivent être pris en compte dans la

 16   décision prise par le commandant. Mais moi, j'ai basé mon opinion sur

 17   l'hypothèse que le commandant avait pris en compte et considérait que ce

 18   bâtiment des PTT fournissait bel et bien un système de secours permettant

 19   des communications militaires. S'il n'avait pas su cela, j'imagine que la

 20   question aurait été parfaitement différente, ou s'il n'avait pas, en tout

 21   cas, pensé que c'était le cas.

 22   Q.  Je vous remercie. Passons maintenant à la gare qui se trouve à la page

 23   33, alinéa (h). Vous dites : 

 24   "Le harcèlement et en gênant les mouvements sur ce nœud ferroviaire, on

 25   peut facilement limiter la possibilité de mouvements de troupes ennemies

 26   permettant de renforcer des lignes de front isolées."

 27   Je ne sais pas où l'on vous a dit que la gare était utilisée pour faire

 28   venir des troupes ennemies vers la ligne de front. C'est encore une

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  1   hypothèse que vous avez faite ?

  2   R.  Non, c'est à la page 4 de la lettre, la deuxième phrase en ce qui

  3   concerne la gare, il est écrit :

  4   "Le système ferroviaire devait être utilisé pour évacuer les dépôts de

  5   munitions et pour renforcer les lignes de front."

  6   Q.  En effet, vous avez raison. Je suis désolé de vous avoir posé cette

  7   question. Vous dites qu'il s'agit d'un nœud ferroviaire essentiel. Dans le

  8   même ordre d'idée de ce dont on avait parlé précédemment, si vous pouviez

  9   arriver au même objectif en pilonnant des endroits sur la ligne de chemin

 10   de fer, empêchant un ennemi d'évacuer ses dépôts de munitions et en

 11   l'empêchant ainsi aussi d'amener la relève, il faut le faire, si on peut

 12   pilonner des lignes ferroviaires qui sont moins décisives, n'est-ce pas ?

 13   R.  Oui. Mais enfin, ma réponse sera toujours la même. La réponse est oui.

 14   Mais traditionnellement, lorsque l'on veut détruire la communication, on

 15   veut toujours atteindre le centre nerveux, on veut atteindre le croisement,

 16   là où il y a le goulet, parce que c'est là que l'on peut gêner

 17   principalement. Ce goulet, c'est une intersection, c'est vrai que s'il n'y

 18   a qu'une seule ligne de chemin de fer et vous savez que c'est la seule que

 19   l'ennemi peut emprunter et vous pouvez la détruire en dehors d'une ville

 20   sans courir aucun risque, je suis certain que le protocole vous demande

 21   d'utiliser ce moyen.

 22   Q.  Je tiens à vous dire que j'ai beaucoup apprécié ce contre-

 23   interrogatoire. Je vous remercie de votre patience.

 24   R.  Merci.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

 26   Je regarde l'horloge.

 27   Monsieur Kehoe, d'après vous, combien de temps avez-vous besoin ?

 28   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai pas besoin de

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  1   beaucoup de temps. Mais j'aimerais quand même m'entretenir avec mon client

  2   avant de passer aux questions supplémentaires, mais je n'ai pas besoin de

  3   beaucoup de temps. Deux minutes, 15 minutes, un quart d'heure au plus.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc vous semblez me dire qu'il faudrait

  5   faire la pause tout de suite, c'est cela ?

  6   M. KEHOE : [interprétation] En effet.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En ce qui concerne les autres équipes de

  8   la Défense, j'aimerais savoir si suite au contre-interrogatoire, il y a des

  9   questions supplémentaires.

 10   M. MIKULICIC : [interprétation] Absolument pas.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vois, Monsieur Cayley, que vous non

 12   plus vous n'avez pas de questions à poser puisque vous me faites un signe

 13   de tête.

 14   Donc nous allons faire la pause et nous reprendrons à 1 heure moins 20. 

 15   --- L'audience est suspendue à 12 heures 18.

 16   --- L'audience est reprise à 12 heures 49.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Kehoe, êtes-vous prêt à poser vos

 18   questions supplémentaires ?

 19   M. KEHOE : [interprétation] Oui, tout à fait. Dans le contre-

 20   interrogatoire, nous n'avons pas trouvé de questions méritant des questions

 21   supplémentaires. Donc, non, pas de questions.   

 22   [La Chambre de première instance se concerte]

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Professeur Corn, je vois que vous avez

 24   compris ce qui va se passer. En fait, nous n'avons pas fait de pause.

 25   Enfin, ce qui était la pause était la fin de votre déposition. C'est

 26   terminé. Je tiens à vous remercier d'être venu ici à deux reprises

 27   d'ailleurs pour déposer en début de semaine et déposer en fin de semaine,

 28   et je vous remercie d'avoir répondu à toutes les questions qui vous ont été

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  1   posées par les deux parties et par les Juges de cette Chambre. Et je vous

  2   souhaite un bon retour chez vous.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Je tiens à remercier le Tribunal qui m'a

  4   permis de revenir et d'être présent en ce qui concerne l'engagement que

  5   j'avais en milieu de semaine et de revenir; et je tiens aussi à vous

  6   remercier de votre patience car mes réponses ont été très longues.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

  8   Madame l'Huissière, pourriez-vous, s'il vous plaît, accompagner le témoin

  9   hors du prétoire.

 10   [Le témoin se retire]

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y a-t-il des points qui sont encore à

 12   l'ordre du jour, avons-nous des documents, par exemple, à verser ?

 13   M. KEHOE : [interprétation] Je crois que le seul point qui reste c'est la

 14   pièce D1462, qui a reçu une cote provisoire et nous aimerions vraiment

 15   demander son versement à nouveau. Il s'agit bien de la pièce D14 -- non,

 16   1642, en fait, la pièce D1642. Je suis désolé.

 17   M. RUSSO : [interprétation] 1642.

 18   M. KEHOE : [interprétation] Je suis dyslexique en ce qui concerne les

 19   chiffres.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Monsieur Russo.

 21   M. RUSSO : [interprétation] Nous avons fait des objections à propos du

 22   versement au dossier de certains passages de ce rapport. Nous maintenons

 23   nos objections. De plus, il faut présenter nos arguments par oral tout de

 24   suite ou par écrit plus tard. Faites comme vous voulez.

 25   [La Chambre de première instance se concerte]

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous n'avez qu'à présenter vos arguments

 27   tout de suite.

 28   M. RUSSO : [interprétation] Je vous remercie.

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  1   Maintenant, bien sûr, les arguments que nous avions déjà présentés dans

  2   notre déclaration écrite par rapport au document 94 bis, suite au

  3   témoignage du témoin, nous avons des soucis à propos de la transparence et

  4   des délais qui ont été donnés à l'Accusation. Aussi, comme vous l'avez

  5   remarqué, la présentation orale qui lui a été fournie en décembre 2008 nous

  6   est inconnue, on ne sait pas vraiment ce qu'on lui a indiqué à l'époque.

  7   Lorsque je lui ai présenté certains points, il semblait qu'on n'en avait

  8   pas eu connaissance précédemment. Je pense que ni la Chambre de première

  9   instance ni l'Accusation ne savent vraiment quels étaient les faits qui ont

 10   été donnés à l'expert pour faire son rapport. Ceci a eu un impact très

 11   important sur la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire correct

 12   et le questionner sur sa déposition.

 13   Nous ne savons pas vraiment sur quoi il s'est basé au départ pour

 14   faire son rapport.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ecoutez, Monsieur Russo, vous pouvez

 16   peut-être parler un petit peu moins vite.

 17   M. RUSSO : [interprétation] Oui. Je pense qu'il y a un manque de

 18   transparence évident en ce qui concerne les sources employées par le témoin

 19   dans son rapport et de ce fait nous considérons que la Chambre de première

 20   instance doit refuser de verser au dossier les passages que nous avons

 21   identifiés, y compris le fait que nous n'avons pas eu de délai suffisant en

 22   ce qui concerne les avis qu'il a formulés sur certains documents. La

 23   Chambre a dû attendre l'interrogatoire de l'Accusation pour savoir ce que

 24   le témoin pensait de certains éléments, ce qu'il pensait aussi du compte

 25   rendu de Brioni. Si nous n'avons pas reçu la fiche d'information

 26   supplémentaire, nous n'avons vraiment pas su à partir de quoi il a

 27   travaillé, en fait, dans cette fiche d'information supplémentaire, il n'y a

 28   qu'une ligne qui selon nous ne permet absolument pas de nous faire changer

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  1   d'avis.

  2   De ce fait, nous demandons vraiment à la Chambre de première instance

  3   de ne pas admettre au dossier les passages en question.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Maître Kehoe, vous allez

  5   peut-être pouvoir répondre à M. Russo, si vous avez réussi à le suivre à la

  6   vitesse à laquelle il parlait.

  7   M. KEHOE : [interprétation] Je vais être très bref. En ce qui concerne la

  8   transparence, c'est pour cela que le contre-interrogatoire a été aussi long

  9   et étoffé, pour que l'on sache vraiment quelles étaient les bases employées

 10   par le professeur Corn pour son rapport. Il a dit à la Chambre de première

 11   instance qu'il avait eu un briefing en ce qui concerne le contexte en

 12   décembre 2008. A de nombreuses reprises d'ailleurs, le professeur Corn a

 13   déclaré qu'il avait basé ses avis sur les faits et les hypothèses que l'on

 14   lui avait fournis et qui étaient joints d'ailleurs au rapport. Rien de

 15   plus, donc c'est transparent. Et il y a eu transparence finale de toute

 16   façon étant donné que le professeur corn a dit lors de sa déposition, Il

 17   est vrai, Monsieur Russo, que si on change les faits et les hypothèses de

 18   base, mon avis pourrait être modifié.

 19   L'argument présenté par le conseil de l'Accusation selon lequel il y avait

 20   un manque de transparence parce qu'il n'y a pas eu d'avertissement à propos

 21   de son avis concernant la pièce P1125, l'ordre d'attaque du 3 août, ni sur

 22   ce qu'il pensait du compte rendu de transcript, je tiens à vous dire que

 23   nous ne lui avons pas demandé quel était son avis lors de l'interrogatoire

 24   principal. Lors de l'interrogatoire principal, nous avons été extrêmement

 25   succincts, et tout ceci a été fait pour présenter à la Chambre le rapport

 26   du professeur Corn, c'est-à-dire la pièce D1462, non, 1642. Nous voulions

 27   vraiment présenter ce rapport et rien de plus.

 28   Les déclarations faites par M. Russo ne pèsent pas en ce qui concerne

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  1   l'admissibilité éventuelle de ce rapport. Bon, M. Russo a décidé de son

  2   propre chef de rentrer dans les détails en ce qui concerne cet ordre

  3   d'attaque et aussi les éléments portant sur le compte rendu de Brioni et

  4   sur d'autres éléments. Et nous avons averti le bureau du Procureur que

  5   cette personne avait en effet étudié ces documents. S'il y a des problèmes,

  6   il aurait fallu quand même nous en faire part avant le contre-

  7   interrogatoire. Cela dit, lorsqu'on reprend les choses dès le départ, la

  8   Défense Gotovina a décidé de présenter ce témoin pour pouvoir verser au

  9   dossier la pièce D1642. Tous les éléments qui ensuite en ont découlé ont

 10   été amenés dans le cadre du contre-interrogatoire de l'Accusation, et

 11   absolument pas par la Défense.

 12   Si on en revient aux règles : a-t-on établi une base suffisante au titre de

 13   la procédure pour que la Chambre de première instance puisse prendre en

 14   compte ce rapport et lui donner le poids qu'il mérite. Je vous dis en fait

 15   que la Défense Gotovina a fait plus qu'établir une base permettant

 16   d'admettre ce rapport.

 17   Vous voulez que je sois encore plus clair, je peux le faire, je pourrais le

 18   faire par écrit si vous voulez que je vous présente mes arguments

 19   supplémentaires.

 20   [La Chambre de première instance se concerte]

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kehoe, vous avez souligné le

 22   fait que l'examen du transcript de Brioni était un exercice auquel se

 23   livrait l'Accusation. Je vous demande quel est votre avis sur la question

 24   suivante. Le procès-verbal de Brioni suscite quelques questions

 25   d'interprétation. Ce que le président Tudjman a dit, comment il convenait

 26   de comprendre ses réponses à la lumière de ce qui avait été dit et ainsi de

 27   suite. J'ai une certaine impression - je dois encore un petit peu digérer

 28   ce qui a été dit - selon laquelle cette interprétation du témoin pouvait

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  1   avoir une influence sur l'opinion qu'il s'est faite des événements. Nous ne

  2   trouvons pas de conclusions précises de la part du témoin sur le procès-

  3   verbal de Brioni, sur les questions auxquelles je viens de faire référence,

  4   et cependant ceci a joué un rôle dans l'évaluation qu'il a faite de la

  5   situation par la suite.

  6   J'en viens à ma question. Pensez-vous, en ce qui concerne la transparence

  7   des méthodes et de l'articulation de la pensée de l'expert, du témoin,

  8   qu'il aurait été préférable que ce soit expliqué avant le contre-

  9   interrogatoire ? Parce que maintenant vous dites, C'est votre problème,

 10   Monsieur Russo, c'est vous qui l'avez soulevé, votre position est que si M.

 11   Russo n'avait pas soulevé ça, vous auriez estimé que la Chambre aurait été

 12   suffisamment informée quant à la façon dont le témoin était arrivé à ses

 13   opinions sans savoir quelle était son interprétation - je me réfère à ce

 14   seul document dont il avait tenu compte pour arriver à son avis.

 15   M. KEHOE : [interprétation] Vous soulevez plusieurs questions. Je vais les

 16   prendre en ordre. D'abord, en ce qui concerne le procès-verbal de Brioni ou

 17   tous les autres documents qui apparaissent sur la feuille d'informations

 18   supplémentaires, aucun de ces documents n'a été remis au professeur Corn

 19   avant qu'il n'ait déposé la première partie de son rapport et l'annexe.

 20   Aucun de ces documents n'ont fait l'objet d'une discussion. La position

 21   dans laquelle on était placé devant la Chambre était concrétisée avant même

 22   qu'il n'y ait de discussion sur ces documents.

 23   Nous avons abordé ces documents lorsque nous avons parlé de cette question

 24   avec le professeur Corn pour que celui-ci sache ce qui se passait dans le

 25   courant du contre-interrogatoire. Vous vous souviendrez de la motion qui a

 26   été déposée par l'Accusation qui nous interdisait d'utiliser, par exemple,

 27   P1125. J'ai dit au greffier que nous n'allions pas aborder ces documents et

 28   nous n'allions pas non plus soulever ou aborder le procès-verbal de Brioni.

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  1   La Chambre et l'Accusation ont bénéficié d'une pleine transparence en ce

  2   qui concerne les documents sur lesquels se fondait le professeur Corn pour

  3   son rapport et son annexe. Nous n'allions pas entamer une discussion sur

  4   l'ordre d'attaque sur Brioni ou sur les autres documents, c'est

  5   l'Accusation qui a décidé de le faire. Je comprends parfaitement que vous

  6   essayez de démêler les choses, mais cela nonobstant, le document de base

  7   D1642, c'est le rapport du professeur Corn présenté à la Chambre.

  8   Si l'Accusation n'avait pas posé de questions sur Brioni ou sur

  9   l'attaque, nous n'aurions pas eu ces discussions longues. En même temps,

 10   L'Accusation voulait nous empêcher de procéder à des questions

 11   supplémentaires et nous avons effectivement décider d'opter pour cela parce

 12   que nous ne voulions pas, justement, rentrer dans la discussion de savoir

 13   si le professeur Corn présentait une certaine opinion sur ces documents

 14   qui, effectivement, n'apparaissaient pas ou ne figuraient pas dans ce

 15   rapport.

 16   La position de l'Accusation semble être à double tranchant. En effet,

 17   on n'est pas censé montrer ces rapports, mais nous voulons le faire. Mais

 18   ce n'est pas comme ça que ça doit se passer parce que l'Accusation a

 19   entendu les témoins pendant plus d'un an en disant que ces questions vont

 20   être débattues lors du contre-interrogatoire. Par esprit de transparence,

 21   c'est exactement ce qu'il faut faire. Ils nous ont fait exactement la même

 22   chose.

 23   Mais je le répète, dans notre interrogatoire principal, nous nous sommes

 24   fondés uniquement sur le rapport du professeur Corn, ni plus ni moins.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] N'est-il pas exact qu'au début de

 26   l'audition de ce témoin, nous étions saisis d'un rapport sans que le témoin

 27   n'ait lu le procès-verbal de Brioni ou les autres documents, mais il est

 28   aussi vrai que comme M. Russo l'a dit, qu'ayant vu ces documents, ceci

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  1   n'aurait pas pour autant changé ses conclusions, ce qui est ressorti du

  2   contre-interrogatoire. Vous soulignez que ce rapport a été produit sans

  3   cela et vous pourriez naturellement soutenir que la mission d'un rapport

  4   c'est de faire rapport. Mais ce qui vaut pour un rapport d'expert vaut

  5   également pour le témoignage de l'expert, c'est-à-dire que la Chambre a la

  6   possibilité d'avoir pleinement accès aux raisonnements, aux méthodes, aux

  7   approches utilisés, et que la Chambre d'ailleurs ici - vous faites ce

  8   reproche à M. Russo - aurait pu vouloir savoir quelle interprétation du

  9   document se trouvait à l'origine du rapport. Mais cela ne change pas mon

 10   opinion parce que ceci nécessitait un gros effort de réflexion, si je dois

 11   comprendre le rapport du témoin.

 12   M. KEHOE : [interprétation] Je veux dire d'entrée de jeu que je ne fais

 13   aucun reproche à l'endroit du conseil de l'Accusation. Il a préparé ses

 14   témoins d'une façon tout à fait analogue, ils préparent leurs témoins aux

 15   fins du contre-interrogatoire, ce que tout bon conseil fait. Ils ont fait

 16   la même chose. Cette fiche supplémentaire, essentiellement, portait sur la

 17   question de la transparence. Vous avez posé des questions lors du contre-

 18   interrogatoire sur la transparence. Nous pensions qu'il nous appartenait de

 19   ne pas dire que ce témoin avait soumission d'un document en se préparant

 20   pour cet interrogatoire qui a commencé lundi. Et c'est dans ce but que nous

 21   avons fait une liste de tous les documents que le témoin a eu l'occasion de

 22   voir.

 23   Mais quant à savoir quand et à partir du moment où il a formé son

 24   opinion, nous avons eu quatre jours de contre-interrogatoire sur ce point

 25   et cela en est la raison fondamentale. On aurait pu creuser cela, savoir si

 26   ceci a eu un effet sur son opinion et si, dans la négative, pourquoi pas ?

 27   On l'a fait dans une certaine mesure avec P1125. On ne l'a pas fait avec

 28   les autres documents, parce que l'Accusation a décidé de procéder

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  1   autrement, comme il lui appartient, c'est sa liberté d'appréciation. Quoi

  2   qu'il en soit, ce qu'on a voulu faire d'entrée de jeu c'est d'arriver à la

  3   transparence, c'est de montrer quelle est la procédure, de montrer

  4   exactement ce qui s'est passé, quand cette personne a eu une conversation

  5   avec le conseil du général Gotovina, quand il a pu voir des conclusions,

  6   des aspects auxquels il a eu accès suite à cet examen, chose qui doit être

  7   portée à l'attention de l'Accusation et de la Chambre également.

  8   Lors du contre-interrogatoire, on aurait pu procéder ainsi.

  9   L'Accusation a choisi de ne pas le faire. S'il y a des questions sur cela,

 10   je pense que le professeur est toujours ici à La Haye, on pourrait tout à

 11   fait poursuivre, le faire revenir et lui poser encore d'autres questions à

 12   ce propos. La Défense de M. Gotovina s'intéresse à la transparence absolue

 13   ici, ceci est indispensable et nous invitons la Chambre à procéder ainsi

 14   pour absolument lever le doute, ceci est extrêmement important. Et nous

 15   avions toujours conscience, lorsque nous avons préparé cette fiche

 16   supplémentaire, l'Accusation a  choisi de ne pas poser ces questions lors

 17   du contre-interrogatoire; telle a été sa décision, mais cela ne veut pas

 18   dire pour autant qu'on peut conclure qu'il n'y a pas eu transparence dans

 19   la matière des conclusions et des réponses du témoin devant cette Chambre

 20   au cours des quatre journées qui viennent de s'écouler.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Russo.

 22   M. RUSSO : [interprétation] Je serai bref, Monsieur le Président. Je ne

 23   suis pas d'accord avec le distinguo établi par M. Kehoe entre les questions

 24   qu'il a posées au professeur Corn lors de son interrogatoire principal et

 25   les questions posées dans l'examen du document D1643. Lorsque ceci a été

 26   versé au dossier, ceci a dirigé l'opinion qu'il avait tenu compte du

 27   transcript de Brioni et des autres documents et que ça n'a pas changé son

 28   opinion. Le fait qu'on ne lui a pas posé ces questions ne change rien.

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  1   Donc cette objection qui a été faite, il y a eu présomption sur cet

  2   argument quant au fait qu'on lui avait déjà posé la question. Cette opinion

  3   a été obtenue lors de l'interrogatoire principal par des questions visant à

  4   obtenir ces éléments de réponse. Si cette opinion n'avait pas été obtenue

  5   ainsi, dans ce cas, l'Accusation n'aurait pas évoqué l'ordre d'attaque ou

  6   le procès-verbal de Brioni ou les autres documents sur lesquels nous avons

  7   obtenu une opinion tardive sur ses conclusions.

  8   Maintenant, quant au dernier commentaire du conseil de la Défense, je

  9   ne comprends pas très bien ce qu'il a dit lorsqu'il parle de ce nous avons

 10   choisi de ne pas faire en examinant le fondement de son opinion. J'ai

 11   demandé au témoin de nous dire tout ce dont il avait souvenir quant aux

 12   informations qu'il avait reçues lors de la présentation orale. Bien sûr, la

 13   faute n'est pas la sienne, il ne peut pas nous rendre compte pleinement de

 14   ces informations et c'est la situation dans laquelle l'Accusation se trouve

 15   aujourd'hui ainsi que la Chambre, ceci du fait de la méthode que la Défense

 16   a choisi d'utiliser. Ils auraient pu choisir de nous fournir soit un

 17   procès-verbal, un transcript, quelque chose montrant la discussion qu'ils

 18   ont eu avec lui exactement.

 19   M. KEHOE : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais répondre,

 20   avec tout le respect que je vous dois.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un instant.

 22   [La Chambre de première instance se concerte]

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kehoe, la Défense soumet le

 24   rapport. M. Russo a soulevé une objection. Il a été le dernier à prendre la

 25   parole puisqu'il était en réplique. Vous aurez tous les deux une minute.

 26   Vous d'abord, et ensuite M. Russo, et ensuite nous allons mettre un terme à

 27   cela.

 28   M. KEHOE : [interprétation] Si vous tenez compte de la séance de récolement

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  1   --

  2   En ce qui concerne la fiche supplémentaire D1643, le sujet a été

  3   soulevé par la Chambre. M. Russo a soulevé une objection à la dernière

  4   partie du paragraphe 2 et au paragraphe 3. Il n'a soulevé aucune autre

  5   objection. Donc ceci a été téléchargé sur e-court et ceci a été versé au

  6   dossier à titre de preuve, il n'avait pas d'autre objection. Nous pouvons

  7   vérifier le procès-verbal exactement pour savoir ce qu'a dit M. Russo. Je

  8   ne l'ai pas sous les yeux, mais je suis fermement convaincu que telle avait

  9   été sa prise de position.

 10   Cela étant, il y aurait eu possibilité de soulever une objection globale,

 11   mais il a choisi de ne pas le faire. Et maintenant nous nous trouvons en

 12   mode de révision de l'histoire et nous voyons qu'il essaie de faire le

 13   contraire de ce qu'il a fait. Il n'a pas soulevé d'objection. Nous avons

 14   pris ce à quoi il avait fait objection en même temps que le résultat des

 15   consultations des Juges de la Chambre et nous avons admis la pièce D64, il

 16   n'a pas fait objection à cette partie de la feuille de renseignements

 17   supplémentaires admise par le professeur Corn et au sujet desquels le

 18   professeur Corn avait dit que l'examen de ces éléments n'allait pas

 19   modifier sa position.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mon jugement c'est que vous aviez besoin

 21   de deux minutes et ce jugement est exact, Maître Kehoe.

 22   Monsieur Russo, deux minutes pour vous également.

 23   M. RUSSO : [interprétation] Monsieur le Président, tout ce que je peux dire

 24   en réponse c'est que nous avons déjà nos écritures au sujet des objections

 25   soulevées par nous quant à l'admissibilité des avis relatifs à ces trois

 26   documents particuliers. Je ne pense pas que sur le plan de la procédure,

 27   nous soyons dans l'obligation de redire la nature de nos objections. Nos

 28   écritures sur ce sujet ont été communiquées aux Juges de la Chambre. Dans

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  1   les écritures de la Défense relatives à ce document, je crois comprendre

  2   que la décision de la Chambre a été renversée par rapport à nos objections.

  3   Quoi qu'il en soit, nous avons présenté nos objections à la Chambre de

  4   première instance au sujet de l'admission de ces documents. Et en ce

  5   moment, je ne crois pas que nous soyons dans l'obligation de répéter ces

  6   objections.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Russo.

  8   La Chambre se penchera sur la question et rendra sa décision.

  9   Nous ne siégeons pas cet après-midi et nous ne siégeons pas lundi.

 10   Y a-t-il une question qui devrait être évoquée avant mardi, date à laquelle

 11   nous entendrons le prochain témoin de la Défense Gotovina ?

 12   M. MISETIC : [interprétation] Monsieur le Président, je ne sais pas si nous

 13   pouvons admettre les déclarations 92 bis maintenant. Je crois qu'il en

 14   reste sept. Souhaitez-vous que nous en parlions maintenant ou à un autre

 15   moment ?

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si vous souhaitez les faire admettre,

 17   c'est ce que je crois comprendre à la lecture du compte rendu d'audience.

 18   M. MISETIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, mais nous pouvons

 19   vous soumettre notre demande maintenant ou plus tard. Il y a 11 --

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, quatre témoins étant devenus des

 21   témoins 92 ter, n'est-ce pas ?

 22   M. MISETIC : [interprétation] Exact.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Certains témoins restant dans la

 24   catégorie des témoins 92 bis. Souhaitez-vous présenter des écritures

 25   complémentaires ou souhaitez-vous que nous admettions ces documents

 26   immédiatement ou que nous les refusions immédiatement ?

 27   M. MISETIC : [interprétation] Je ne voudrais pas --

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est à la Chambre de décider.

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  1   M. MISETIC : [interprétation] Bien entendu. Je crois comprendre la position

  2   de l'Accusation - je me trompe peut-être - comme consistant à dire que

  3   celle-ci souhaite contre-interroger quatre témoins et qu'elle n'a pas

  4   d'objection à l'admission des déclarations des autres témoins 92 bis.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais même dans ces conditions, la

  6   Chambre a la tâche de décider, mais la position de l'Accusation, c'est

  7   qu'elle n'a pas d'objection par rapport à l'admission si vous souhaitez

  8   contre-interroger quatre de ces témoins.

  9    M. RUSSO : [interprétation] Monsieur le Président, je dois dire que je ne

 10   connais pas tout du langage exact utilisé dans nos dépôts d'écriture, mais

 11   nous n'avons certainement pas modifié notre position par rapport à nos

 12   écritures.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc la Chambre peut poursuivre et se

 14   pencher sur la question en partant du principe que les écritures de

 15   l'Accusation sont toujours valables.

 16   Nous rendrons notre décision sur l'admission, nous le ferons le plus

 17   rapidement possible.

 18   D'autres questions ? Non. Dans ce cas, nous suspendons l'audience et nous

 19   reprendrons nos débats mardi 15 septembre à 9 heures, en salle d'audience

 20   numéro I.

 21   --- L'audience est levée à 13 heures 21 et reprendra le mardi 15 septembre

 22   2009, à 9 heures 00.

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