Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 1er juillet 2013

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 59.

  5   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes dans le

  6   prétoire et en dehors.

  7   Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.

  9   Il s'agit de l'affaire IT-04-75-T, le Procureur contre Goran Hadzic.

 10   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

 11   Nous allons commencer par l'Accusation, pour les présentations.

 12   M. STRINGER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,

 13   Messieurs les Juges.

 14   Pour l'Accusation, nous avons Douglas Stringer, Matthew Olmsted

 15   [comme interprété], notre commis à l'affaire, Thomas Laugel, et notre

 16   stagiaire, Kathryn Fox.

 17   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

 18   Pour la Défense.

 19   M. ZIVANOVIC : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.

 20   Pour la Défense de Goran Hadzic, nous avons Zoran Zivanovic et

 21   Christopher Gosnell.

 22   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci beaucoup.

 23   Faisons entrer le témoin, s'il vous plaît.

 24   Oui, Monsieur Demirdjian.

 25   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Oui. Je voudrais vous rappeler que M.

 26   Adnan Abd El Razek est notre prochain témoin. Si cela n'a pas été consigné

 27   au compte rendu la semaine dernière, j'aimerais remercier les Juges de la

 28   Chambre d'avoir organisé ces audiences supplémentaires.


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  1   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  2   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Merci d'être venu

  3   à La Haye pour aider le Tribunal. Je suppose que vous allez déposer en

  4   anglais, n'est-ce pas ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur.

  6   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci. Est-ce que vous pourriez

  7   décliner votre identité et nous donner votre date de naissance.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Adnan Tawfiq Abd El Razek. Je

  9   suis né le 4 juin 1940.

 10   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci beaucoup. Vous allez prononcer

 11   à présent la déclaration solennelle par laquelle les témoins s'engagent à

 12   dire la vérité. Je dois vous rappeler que vous vous exposez également au

 13   parjure en cas de faux témoignage ou d'information fausse lors de votre

 14   déposition.

 15   Je vous invite à lire votre déclaration solennelle à haute voix et

 16   l'huissier vous remet le texte.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement de dire la vérité,

 18   toute la vérité et rien que la vérité.

 19   LE TÉMOIN : ADNAN ABD EL RAZEK [Assermenté]

 20   [Le témoin répond par l'interprète]

 21   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci, Monsieur Adb El Razek.

 22   Veuillez vous asseoir.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 24   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Monsieur Demirdjian, allez-y.

 25   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Merci beaucoup, Messieurs les Juges.

 26   Interrogatoire principal par M. Demirdjian

 27   Q.  [interprétation] Bonjour, Docteur Abd El Razek.

 28   R.  Bonjour.

 


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  1   Q.  Avant de commencer à vous poser des questions, j'aimerais vous donner

  2   quelques orientations. En effet, nous parlons tous les deux la même langue,

  3   et il nous faudrait ménager une pause entre les réponses et les questions,

  4   comptez jusqu'à trois dans votre tête pour que cela soit respecté, et ce,

  5   pour les interprètes qui sont dans le prétoire et d'autres présentes dans

  6   le prétoire.

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Vous nous avez décliné votre identité. J'aimerais vous demander à

  9   présent de nous dire votre nationalité ou votre appartenance ethnique.

 10   R.  Je suis né en Etat de Palestine. Ma famille est palestinienne,

 11   musulmane, arabe. Nous avons eu la chance de rester dans notre pays en tant

 12   que Palestiniens dans l'Etat d'Israël. Nous sommes une minorité arabe

 13   palestinienne, et nous sommes des citoyens arabes d'Israël à présent.

 14   Q.  Est-ce que vous pourriez nous donner un aperçu de votre parcours

 15   professionnel ?

 16   R.  Avec plaisir, Monsieur. J'ai toujours plaisir à me souvenir de ces bons

 17   moments de ma vie estudiantine. J'ai commencé mes études universitaires à

 18   l'Université de Jérusalem. J'ai décroché un diplôme en affaires sociales.

 19   Ensuite, j'ai été officier pendant sept ans après mon diplôme. Je suis

 20   retourné en ville à l'Université hébraïque après mon diplôme. J'ai été

 21   enseignant en Cisjordanie et à Jérusalem. Ensuite, j'ai décidé de présenter

 22   mon doctorat. Je suis allé à l'Université de Michigan. J'ai fait un

 23   doctorat en sociologie et en affaires sociales. Et j'ai eu mon doctorat en

 24   août 1982. Et ensuite, j'ai travaillé pour les Nations Unies.

 25   Q.  Est-il exact de dire qu'à partir du mois d'octobre 1992 [comme

 26   interprété], vous avez commencé à travailler pour les Nations Unies ?

 27   R.  Le 1er octobre, j'ai déménagé à New York. J'ai commencé à travailler au

 28   sein du département politique. Nous dépendions du département de


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  1   l'assemblée générale. J'y ai travaillé jusqu'à ma retraite, le 1er juillet

  2   2000. Donc j'ai passé toute ma carrière dans ce département, même lorsque

  3   l'on m'a détaché ou lorsque je me suis porté volontaire pour travailler

  4   pour la FORPRONU en 1992.

  5   Q.  Eh bien, revenons sur cette période, Docteur Abd El Razek. Est-il exact

  6   qu'en avril 1992, vous avez été envoyé en mission en ex-Yougoslavie ?

  7   R.  En fait, j'étais censé y aller à la fin du mois de mars de la même

  8   année. Nous sommes arrivés à Belgrade, c'était le 3 avril 1992. Le

  9   personnel pour les affaires civiles était très limité, le groupe était très

 10   restreint. Et je suis arrivé à Belgrade - soit dit en passant, c'est une

 11   très belle ville - et quelque chose s'est passé à l'aéroport de Sarajevo.

 12   L'avion de feu président Alija Izetbegovic a été arrêté et détourné par les

 13   forces locales, et je pense que cela a marqué la période de trouble, pour

 14   ne pas en dire plus, qui a commencé à Sarajevo.

 15   Nous n'avons donc pas pu aller à Sarajevo à cause de cela. J'ai été nommé

 16   conseiller politique, en quelque sorte, de la police civile de la FORPRONU,

 17   et la plupart de nos commandants, commandants civils et commandant

 18   militaire, pour les affaires civiles se trouvaient à Sarajevo. J'étais

 19   censé être posté à Sarajevo, mais nous n'avons pas pu atteindre Sarajevo.

 20   Donc nous sommes restés une semaine à Belgrade, ce qui m'a donné le plaisir

 21   de découvrir cette ville et de discuter avec des personnes de tous

 22   horizons, et je me suis rendu compte alors de la gravité de la situation

 23   économique -- la crise financière. Nous avons séjourné dans un hôtel. Ce

 24   n'était pas un hôtel cinq étoiles, à mon regret; les chambres ont coûté 12

 25   dollars la nuit. Et cette période a été très difficile pour tous.

 26   Q.  Alors, je voudrais revenir sur la période avant votre arrivée à

 27   Belgrade. A New York, avant votre départ, quels ont été les préparatifs ou

 28   la formation que vous avez suivis pour la mission que vous deviez mener à


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  1   Belgrade ?

  2   R.  J'aimerais dire quelque chose qui ne va peut-être pas faire plaisir aux

  3   dirigeants des Nations Unies. La mission a été préparée à la va-vite. Et,

  4   en très peu de temps, les affaires civiles ont dû s'organiser, en quelques

  5   jours, maximum dix jours, et ont dû commencer à planifier et à se préparer

  6   à ce poste. Et à l'origine, nous avions choisi la Bosnie comme territoire

  7   neutre, entre guillemets, pour accueillir le département des affaires

  8   civiles et le commandant de secteur. La logistique se trouvait à Banja

  9   Luka, mais les chefs des opérations les plus importants se trouvaient à

 10   Sarajevo.

 11   La police civile et l'armée ont été envoyées pour se rendre dans les zones

 12   croates occupées. A New York, il n'y avait personne pour nous informer,

 13   mais nous pouvions lire les documents discutés et ensuite approuvés par le

 14   Conseil de sécurité. J'ai moi-même assisté à cela, la délibération de la

 15   première résolution, c'était la Résolution 721/91. Alors, j'insiste sur ce

 16   qui suit la barre oblique, parce que j'ai vu qu'il y a eu beaucoup de

 17   commentaires sur la Résolution 721 du Conseil de sécurité, mais cette

 18   dernière a la cote S3 du Conseil de sécurité.

 19   Quoi qu'il en soit, les cessez-le-feu ont été mis en place dans les zones

 20   protégées, ensuite il y a eu le plan Vance, plan Cyrus Vance, un envoyé

 21   spécial a été détaché. Et nous savions très peu de choses à l'époque.

 22   Google n'existait pas à l'époque. J'ai consulté un atlas,

 23   l'encyclopédie britannique, et j'ai noté les différentes régions à la main.

 24   Donc j'ai recopié tout cela de l'encyclopédie britannique. J'avais la

 25   Croatie, la Bosnie et tous les noms repris dans l'encyclopédie. Et le

 26   premier jour ou la première semaine que j'ai passé à Sarajevo, j'avais en

 27   permanence sur mon bureau cette carte. L'un des officiers de la présidence

 28   les plus haut gradés était venu me rendre visite, il a vu ces cartes et il


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  1   s'est quelque peu fâché parce que pour lui cette carte reprenait

  2   l'appartenance ethnique, et cetera.

  3   Mais, donc, nous en savions très peu de la région.

  4   Q.  Avant de passer à ma question suivante, je vois que vous avez des notes

  5   devant vous, Docteur. Comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, vous ne

  6   passez pas un examen de mémoire, donc à moins de devoir vous rafraîchir la

  7   mémoire, je pense que les Juges de la Chambre préfèreraient que vous ne

  8   consultiez pas ces notes pendant votre déposition. Alors, si vous devez

  9   vraiment vous rafraîchir la mémoire, demandez la permission.

 10   Mais je vous inviterais à ne pas consulter ces notes, même si se souvenir

 11   des dates et des chiffres est compliqué.

 12   R.  Bien. Je ferai preuve de discipline. Je ne suis plus très jeune,

 13   surtout s'agissant des dates et des noms. Et, Messieurs les Juges,

 14   pardonnez-moi si quelquefois je devrais consulter mes notes écrites pour me

 15   rappeler certains noms. Mais je vais fermer mon dossier, pas de problème.

 16   Q.  Merci beaucoup.

 17   R.  Mais je comprends la procédure. Je vais essayer de m'y tenir.

 18   Q.  Mais si vous avez besoin de consulter vos notes, n'oubliez pas que vous

 19   pouvez toujours en demander la permission.

 20   R.  Très bien.

 21   Q.  Vous nous avez expliqué le type de préparatif par lequel vous êtes

 22   passé. Vous avez parlé de résolutions du Conseil de sécurité et de

 23   rapports. Est-ce que vous les connaissiez à l'époque ?

 24   R.  J'ai lu le plan Vance. Je ne suis pas sûr qu'à l'époque j'aie bien

 25   compris tout ce qu'il se passait, et puis il y a toujours une différence

 26   entre ce qu'on lit, la vision du plan quel qu'il soit, les régions, les

 27   fonctionnements, et la réalité, la perception mentale que vous vous en

 28   faites. J'ai compris à l'époque les grandes lignes du plan. Si vous le


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  1   désirez, je peux vous l'expliquer à présent, vous dire ce qui, pour moi,

  2   était ce plan.

  3   Q.  Dites plutôt aux Juges de la Chambre ce que vous avez compris comme

  4   étant votre mission avant de partir de New York, le mandat que l'on vous

  5   avait confié.

  6   R.  Même dans les rapports du Conseil de sécurité, on établissait

  7   clairement les différences qui existaient entre les missions de l'armée et

  8   des civils. Alors qu'auparavant -- je fais un petit retour en arrière,

  9   excusez-moi. Nous venions de terminer notre mission couronnée de succès des

 10   Nations Unies en Namibie, et la Namibie, pour cette mission-là, c'étaient

 11   les civils qui avaient les rênes. Ensuite, des forces de police ont assisté

 12   les civils, et des gardes également.

 13   Mais sur la base des délibérations et des rapports du terrain, le Conseil

 14   de sécurité s'était dit à l'époque que la mission ne pouvait pas être gérée

 15   par des civils. C'est la raison pour laquelle le Conseil de sécurité a

 16   nommé M. Nambiar, un général hautement respecté, d'une intégrité à toute

 17   épreuve, au poste de commandant en chef de cette mission. Et M. Thornberry,

 18   Cedric Thornberry, un citoyen britannique, devait être à la tête des

 19   affaires civiles et devait servir de conseiller ou d'escorte, d'aide et de

 20   guide, guide politique, de M. Nambiar, et c'est ce qui s'est passé. Et il

 21   était censé diriger nos travaux en tant que civils - bien sûr, moi-même,

 22   j'étais un civil. Il était trop occupé à rétablir la hiérarchie aux fins de

 23   gérer cette crise -- pour ce faire, et puis j'ai eu la chance ou l'occasion

 24   de l'accompagner à Belgrade et nous avons alors discuté plus en détail de

 25   notre mission.

 26   A New York, tout le monde était encore euphorique de la mission en Namibie,

 27   et personne ne s'était donné la peine d'analyser dans les détails le

 28   travail qui nous attendait. Et, c'est regrettable, nous n'avions pas de


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  1   connaissances approfondies de ce qui allait nous attendre pendant les mois

  2   ou les années à venir.

  3   Q.  Lorsque vous êtes arrivé à Belgrade, comme vous venez de nous

  4   l'expliquer, vous avez discuté avec M. Thornberry de ce mandat.

  5   Est-ce que vous pourriez nous expliquer en essence en quoi consistait ce

  6   mandat ? Qu'est-ce qu'on attendait de vous dans la région ?

  7   R.  Je peux vous expliquer les grandes lignes, l'ensemble de la mission.

  8   L'ensemble de la mission était clair -- en tout cas, pour nous. Le plan

  9   Cyrus Vance avait été signé -- un cessez-le-feu avait été signé en Croatie

 10   préalablement, et nous devions consolider ce cessez-le-feu, désarmer ceux

 11   qui se trouvaient dans les zones protégées. Nous devions les démilitariser

 12   et assurer la sécurité des civils. Nous avions également eu pour

 13   instruction de nous occuper du retour des réfugiés et de ne pas laisser des

 14   expulsions se passer pour les personnes dans ces régions.

 15   En notre qualité d'affaires civiles, nous devions assister l'armée, et nous

 16   étions censés nous rendre dans ces régions et de faire en sorte que les

 17   civils n'étaient pas ciblés, que les civils n'étaient pas pourchassés,

 18   qu'on ne leur faisait pas de mal, et nous devions également travailler à

 19   l'échange des réfugiés.

 20   Q.  Merci.

 21   S'agissant de ce que vous venez de nous dire, j'aimerais que l'on regarde à

 22   présent un document, qui est le document 5140 de la liste 65 ter. Onglet 41

 23   dans notre liste. Il va apparaître dans quelques instants à l'écran. Si

 24   vous n'arrivez pas à lire ce qui affiche à l'écran, Monsieur, n'hésitez pas

 25   à le dire et nous agrandirons l'image pour vous.

 26   R.  Oui, il faudrait agrandir l'image, s'il vous plaît. Je n'arrive pas à

 27   déchiffrer la police. Voilà.

 28   Est-ce que je peux diriger les choses moi-même ?


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  1   Q.  Non, vous ne pouvez pas modifier l'apparence du document, mais vous

  2   pouvez le demander.

  3   Alors, j'aimerais que l'on se concentre sur le coin supérieur droit. Est-ce

  4   que vous voyez la date --

  5   R.  Oui. Le 15 février 1992.

  6   Q.  [aucune interprétation]

  7   R.  [aucune interprétation]

  8   Q.  Est-ce que vous avez eu l'occasion de passer en revue ce document ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Alors, vous voyez le premier paragraphe où l'on parle de plusieurs

 11   résolutions du Conseil de sécurité --

 12   R.  Oui, c'est la FORPRONU.

 13   Q.  Oui. Et il y a une deuxième partie en bas de la page qui parle des

 14   dernières évolutions.

 15   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Passons à la deuxième page. Agrandissons

 16   encore un petit peu. Voilà.

 17   Q.  Vous allez voir que l'on relate des échanges entre plusieurs dirigeants

 18   politiques.

 19   Alors, j'aimerais que vous vous concentriez sur la page suivante, la page

 20   3, s'il vous plaît. Point 2, intitulé : "Implementation of the plan," "Mise

 21   en œuvre du plan." Et on commence au paragraphe 9.

 22   Regardez ce paragraphe 9, s'il vous plaît. On nous dit, je cite, "Le plan a

 23   déjà été soumis le 11 décembre 1991." Regardez à présent le paragraphe 10,

 24   s'il vous plaît.

 25   "Tout d'abord, j'aimerais attirer l'attention sur la disposition du

 26   paragraphe 9 du plan selon laquelle les frontières exactes des zones

 27   protégées des Nations Unies seront décidées par une force des Nations Unies

 28   après consultation avec les dirigeants locaux."


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  1   Est-ce que vous connaissiez, lorsque vous êtes arrivé à Belgrade, ce

  2   concept de zones protégées des Nations Unies ?

  3   R.  Pas dans les détails.

  4   Q.  Qu'est-ce que vous saviez alors de ces zones ? Est-ce que vous saviez

  5   combien il y en avait ?

  6   R.  Il y en avait trois principales et puis une quatrième. Pour le secteur

  7   Sarajevo, c'était la région de Knin. Le secteur est était celui auquel j'ai

  8   été affecté par la suite, et le secteur ouest était plus près de Zagreb. Le

  9   secteur est se trouvait au nord, vers Beli Manastir. Et puis, Erdut, Dalj,

 10   Vukovar et plus bas dans toute cette région. Et nous connaissions mieux

 11   cette région qui était proche d'Osijek parce que c'était là où il y avait

 12   les deux parties qui se rejoignaient dans la région.

 13   Q.  Très bien.

 14   R.  On l'appelait le secteur est. Le commandant au début était Belge, je

 15   pense que c'était un lieutenant-colonel; en tout cas, il n'était pas plus

 16   haut gradé que le grade de colonel. Pour le chef de l'état-major et l'état-

 17   major, il y avait huit personnes maximum. M. Lubin était chargé des

 18   affaires civiles, et il y a aussi un deuxième homme dans ce secteur. Donc,

 19   voilà la situation lorsque nous sommes arrivés dans ce secteur.

 20   Q.  Regardez le paragraphe 11, s'il vous plaît. Deuxième phrase, qui

 21   commence par : "In discussion with", "Lorsque nous avons discuté avec les

 22   parties" --

 23   R.  Est-ce que c'est le paragraphe 11 ?

 24   Q.  Oui. Deuxième ligne, qui commence par : "In discussion with the parties

 25   concerned…", "En discutant avec les parties concernées…"

 26   Est-ce que vous le voyez ?

 27   R.  Oui, je le vois.

 28   Q.  Alors, on nous dit ensuite :


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  1   "Il est ressorti que la façon la plus pratique de gérer les armes des

  2   unités de la Défense territoriale et du personnel basé dans les zones

  3   protégées des Nations Unies serait de les placer sous clé avec un système

  4   de double cadenas, le premier cadenas étant contrôlé par la force des

  5   Nations Unies et l'autre, par le président du conseil de 'opstina'."

  6   Est-ce que vous connaissez ce système ?

  7   R.  Oui, nous l'appelons le double verrouillage. Désolé, mais ça me

  8   rappelle des choses bizarres qui s'étaient passées. Les armes étaient

  9   censées être sous double verrou et nous étions censés avoir, pour une

 10   partie, un contrôle là-dessus.

 11   Alors, pendant l'époque où j'étais à Erdut - je dois vous dire que j'y suis

 12   resté très peu de temps - je voyais des véhicules armés partout. Il n'y

 13   avait pas de verrouillage du tout. Et lorsque je suis parti, j'ai entendu

 14   dire que des gens de chez nous avaient manipulé ces doubles verrous. Mais

 15   je préfère ne pas en parler; cela me fait du mal.

 16   Au début, nous n'avions pas vraiment le contrôle. La JNA était postée à

 17   l'est de Dalj, sur un bateau, et autour de ce bateau se trouvait une grande

 18   forêt qui accueillait un camp militaire disposant d'équipement lourd qui

 19   gardait le bateau mais aussi d'autres choses. On nous a imposé un couvre-

 20   feu et un black-out, et les déplacements se faisaient de nuit. Lorsque nous

 21   sommes allés rencontrer le général sur le bateau, nous avons été escortés

 22   par leurs véhicules, et ils n'avaient pas de lumières. Je me demandais

 23   comment ils pouvaient distinguer la route. Mais quoi qu'il en soit, la JNA

 24   disait clairement que nous étions en dehors de ces régions. Si vous voyiez

 25   des troupes de la JNA le matin autour de notre endroit, eh bien, sachez-le.

 26   Q.  Très bien. Si je vous demande à présent d'examiner le paragraphe

 27   suivant, le paragraphe 12, il y est indiqué la chose suivante :

 28   "En ce qui concerne le paragraphe 22 [comme interprété] du plan, je


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  1   suis arrivé à la conclusion que, pour des raisons techniques et pratiques,

  2   il serait préférable que le quartier général des forces soit situé à

  3   Sarajevo, même si le bataillon logistique serait situé à Banja Luka."

  4   Je pense que vous avez évoqué cela au départ. Est-ce que c'est exact

  5   ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Au paragraphe 13, il est question du fait que le plan prévoit un chef

  8   civil de la mission. Ce paragraphe se poursuit à la page suivante, vous

  9   l'avez lu, et au début de la page suivante, il y a une phrase qui commence

 10   par "I intend therefore" :

 11   "J'ai donc l'intention de confier le commandement général des opérations au

 12   commandant de la force."

 13   Est-ce que c'est cela qui s'est passé ?

 14   R.  J'ai indiqué au début de ma déclaration que, si en Namibie la mission

 15   était gérée par des civils, en ex-Yougoslavie elle était, quant à elle,

 16   commandée par un général -- au départ en tout cas, la première année, qui

 17   était le commandant de la mission, c'était le général Nambiar, alors que

 18   Cedric Thornberry l'aidait pour les affaires civiles. Nous avons été très

 19   surpris. Je vous ai expliqué comment nous étions préparés au sujet de la

 20   région, et nous pensions de manière tout à fait naïve que Sarajevo serait

 21   sûre, que Banja Luka serait sûre, et que nous pourrions travailler à partir

 22   de ces endroits de manière sûre et organisée. Il nous a fallu quelques

 23   semaines pour nous rendre compte que même Sarajevo n'était pas sûre pour la

 24   mission, et Banja Luka ne l'était certainement pas non plus.

 25   Q.  Merci pour vos précisions, Monsieur Abd El Razek.

 26   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Je demande le versement de ce document.

 27   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Il est admis.

 28   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce document 65 ter 05140 recevra la


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  1   cote P2296.

  2   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

  3   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Merci.

  4   Q.  Monsieur Abd El Razek, vous nous avez dit que vous êtes arrivé à

  5   Belgrade, n'est-ce pas ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Avant de passer à Erdut, combien de temps avez-vous passé à Belgrade

  8   approximativement ?

  9   R.  Nous sommes arrivés le 3 avril et nous sommes partis le matin du 11

 10   avril.

 11   Q.  Qu'avez-vous fait comme travail à Belgrade ?

 12   R.  Eh bien, d'abord, nous lisions chaque matin le rapport de situation

 13   élaboré par le contingent militaire. Et nous suivions les nouvelles, nous

 14   suivions également les incidents à Sarajevo, et nous posions la question de

 15   savoir ce qu'il adviendrait de notre mission. Ensuite, M. Thornberry et

 16   trois autres civils se sont posé la question de savoir ce que deviendrait

 17   notre mission, ce qu'il y avait lieu de faire, et cetera. Et cette semaine

 18   a été pour moi une pause qui était la bienvenue, car j'ai pu me pencher sur

 19   la question et respirer un peu avant de commencer le travail. J'étais déçu,

 20   bien entendu, de ne pas avoir été envoyé immédiatement à Sarajevo, mais

 21   ensuite j'ai été envoyé à Erdut.

 22   Q.  Ces rapports de situation que vous évoquez, d'où venaient-ils, de quels

 23   endroits ?

 24   R.  Sarajevo encore, qui était le quartier général. Nous avions à l'époque

 25   un petit bureau à Belgrade, et un encore plus petit à Zagreb. Mais les

 26   rapports de situation provenaient du cabinet du commandant. En général, ils

 27   sont écrits et envoyés par le chef d'état-major.

 28   Q.  En ce qui concerne ces rapports de situation, quel type de


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  1   renseignement concernaient-ils et quelle zone concernaient-ils ?

  2   R.  Les rapports de situation de Belgrade que nous recevions portaient sur

  3   les zones protégées. A Sarajevo, alors, on expliquait ce qui se passait à

  4   Sarajevo. Et pour chacun des rapports, il y avait des rapports de secteur.

  5   On parlait des affrontements, des combats et - malheureusement - également

  6   le nombre de personnes expulsées. La police civile préparait ses propres

  7   rapports, mais ce n'étaient pas des "sitreps", des rapports de situation,

  8   et ils n'étaient pas soumis quotidiennement aux membres de la mission. Et

  9   les affaires civiles, même si elles travaillaient avec eux, m'envoyaient

 10   quelques informations mais très, très peu. Dans les zones plus

 11   mouvementées, telles que Knin, c'étaient les observateurs des Nations Unies

 12   de la Mission d'observation des Nations Unies qui élaboraient des rapports,

 13   mais ces rapports ne nous étaient pas directement soumis. Ils étaient

 14   envoyés au quartier général et ensuite à M. Goulding, qui était responsable

 15   du maintien de la paix.

 16   Q.  En ce qui concerne les rapports de situation dont vous preniez

 17   connaissance à Belgrade, qu'est-ce qu'ils vous ont appris au sujet de la

 18   situation dans les zones protégées ?

 19   R.  J'irais trop loin en disant que je savais tout. Alors, je vais vous

 20   faire part d'impressions -- excusez-moi, si je n'entre pas dans les

 21   détails, car il y a une certaine confusion à ce stade.

 22   Mais l'impression c'est que, premièrement, le cessez-le-feu n'était pas

 23   intégralement respecté; deuxièmement, de temps en temps, il y avait

 24   toujours des combats; et surtout pour notre contingent civil, le nettoyage

 25   ethnique ou l'expulsion des non-Serbes résidant des ces zones se

 26   poursuivait.

 27   Q.  Par rapport à ce que vous nous avez dit, je voulais avec vous examiner

 28   un document.


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  1   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Le document 65 ter 5882. A l'onglet 8.

  2   C'est un document sous pli scellé, donc il faudrait éviter la diffusion de

  3   l'audience à ce stade.

  4   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Le 24 mars.

  6   M. DEMIRDJIAN : [interprétation]

  7   Q.  Oui. Donc c'était avant votre déploiement, une semaine avant

  8   approximativement. Lorsque vous êtes arrivé à La Haye, il y a quelques

  9   jours, est-ce que vous avez pu prendre connaissance de ce communiqué de

 10   presse ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Très bien. On peut voir en haut à gauche "République de Croatie,

 13   ministère de l'Information." Comme vous l'avez dit, 24 mars 1992. Et voici

 14   la première phrase. Il est indiqué que :

 15   "Le bureau des relations interethniques au sein du gouvernement croate a

 16   envoyé une lettre au commandement de la FORPRONU et de la Mission de la CE

 17   leur redemandant de faire des efforts pour éviter des expulsions forcées

 18   des non-Serbes des zones occupées de Croatie."

 19   Vous l'avez évoqué il y a quelque temps --

 20   R.  Hm-hm.

 21   Q.  -- est-ce que c'est le type de renseignement dont vous disposiez

 22   lorsque vous étiez à Belgrade ?

 23   R.  Non, pas ceci. C'est par la presse que nous apprenions cela. Nous ne

 24   recevions pas les informations de la part des Croates. Je n'ai reçu, à

 25   l'époque, aucun rapport croate. Nous n'avions quasiment aucun rapport des

 26   forces combattantes. Nous avions des rapports de nos sources

 27   principalement, la Mission d'observation des Nations Unies et les

 28   commandants des secteurs.


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  1   Q.  En ce qui concerne le contenu de ce rapport, il parle de l'escalade ou

  2   de l'intensification des expulsions. Et il est question des différents

  3   groupes ethniques concernés.

  4   Est-ce que dans vos sources vous aviez des renseignements à ce sujet

  5   ?

  6   R.  Oui, bien entendu. Il y a des rapports de situation de la MOCE, de la

  7   Mission d'observation des Nations Unies, mais pas le 23 mars puisque je

  8   n'étais pas là.

  9   Q.  Absolument.

 10   R.  A Belgrade, nous avions ces rapports -- si vous le souhaitez, je peux

 11   vous dire à quelle date nous sommes arrivés -- en fait, le 11 avril, à ce

 12   moment-là, nous avions des rapports complets sur quatre zones où il y avait

 13   des expulsions. Dalj, Erdut, Beli Manastir, et puis il y a la ville qui se

 14   trouve tout au sud-est de la zone croate. Comment s'appelle-t-elle ? Ça

 15   commence par un P. Enfin, c'est une ville le long du Danube, tout au sud-

 16   est du secteur oriental.

 17   Q.  Très bien. Passons à Erdut.

 18   Vous avez dit que vous êtes arrivé le 11 avril.

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Où êtes-vous exactement arrivé à Erdut ?

 21   R.  Le QG des Nations Unies à Erdut se trouvait tout au nord-est du

 22   village. C'était un ancien camp, il y avait des ruines ottomanes aux

 23   alentours. Il s'agissait de deux bâtiments. Il s'agissait des derniers

 24   bâtiments à l'extérieur juste -- avant l'extérieur du village. Il n'y avait

 25   pas d'autres bâtiments après. Si l'on se dirige vers le nord, on peut voir

 26   si on est à l'étage -- au bâtiment, le fleuve. Il s'agissait d'un bâtiment

 27   qui abritait le commandant militaire de secteur. Je pense qu'il y avait

 28   d'ailleurs une petite route ou une piste en sable, qui n'était pas une


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  1   route tout à fait carrossable.

  2   Le village était de toute façon très petit. On pouvait se rendre à pied au

  3   centre-ville, mais nous étions à une certaine distance des bâtiments

  4   civils. Je ne peux pas vous dire si c'était un ancien camp militaire ou

  5   pas. Je ne sais pas si je le savais ou pas.

  6   Q.  A votre arrivée à Erdut, qui avez-vous trouvé sur place au camp ?

  7   R.  Nous avons été reçus immédiatement par le commandant du secteur et le

  8   commandant des affaires civiles, M. Zitterman, qui était le chef de la

  9   police civile, et M. le Général Hoover -- Houven [phon], qui était le

 10   commandant de secteur, et Jean-Pierre était chef d'état-major. Nous avons

 11   reçu du café, et le général Satish est arrivé pour faire un briefing et

 12   pour nous parler de notre mission. Je ne sais pas, et je ne l'ai pas

 13   demandé, s'il était prévu qu'il vienne nous faire un briefing ou s'il est

 14   arrivé par hasard, mais fort heureusement il est venu et nous avons pu nous

 15   entretenir avec lui, l'écouter et, de cette manière, avoir une idée plus

 16   claire de notre mission.

 17   Q.  Dans les affaires civiles, qui était votre supérieur direct?

 18   R.  Nous étions trois là-bas. Jim Lubin, ressortissant britannique, qui

 19   était fonctionnaire des Nations Unies à la retraite. Après sa retraite, il

 20   a participé à cette mission. Et sa jeune femme. Dont, malheureusement, je

 21   me souviens plus du nom.

 22   Q.  Pas de problème.

 23   R.  Il était responsable civil du secteur. Il s'agit du coordinateur en

 24   chef des affaires civiles pour le secteur, c'était cela son titre. Il y

 25   avait moi-même. Et nous estimions que la "civil police" était de notre

 26   côté, pas du côté militaire. Nous nous entretenions et nous nous occupions

 27   surtout des affaires civiles. C'était une équipe qui était bien. Ce n'était

 28   pas une trop grosse équipe. Pas fantastique, mais c'était bien.


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  1   Q.  Et de qui dépendait Jim Lubin lui-même ?

  2   R.  Notre chef était Cedric Thornberry, CT. Vous verrez que lorsqu'on parle

  3   de lui, on parle de CT, Cedric Thornberry. Il était encore cantonné à

  4   Belgrade à l'époque. Et nous lui soumettions nos rapports.

  5   Administrativement, c'est lui qui signait les rapports, et pas moi, pour

  6   respecter les procédures administratives. Que ce soit une mesure prise par

  7   moi-même, les affaires civiles ou la police civile, c'était M. Thornberry -

  8   - c'était M. Lubin qui dépendait directement de M. Thornberry.

  9   Q.  Avant de parler de votre séjour à Erdut, est-ce que vous pourriez nous

 10   dire combien de temps vous y avez passé ?

 11   R.  Je suis arrivé le 11, l'après-midi, et j'ai quitté l'endroit le 21

 12   avril.

 13   Q.  Très bien. Et, très brièvement, où avez-vous été envoyé par la suite ?

 14   R.  Dans les jours qui ont suivi, j'ai été envoyé à Zagreb pour informer le

 15   ministre des Affaires intérieures et le chef de police des incidents qui

 16   avaient eu lieu les journées précédentes à Marinci. Je m'y suis rendu avec

 17   le chef de la police civile, qui était un fonctionnaire norvégien, un type

 18   très bien, qui s'appelait M. Johansen, Kjell Johansen plus exactement. Nous

 19   avons signalé au ministre des Affaires intérieures l'attaque qui a eu lieu

 20   et nous avons expliqué comment nous avons aidé des gens dans ce secteur où

 21   il y avait une déportation de 400 non-Serbes. Alors, j'ai expliqué.

 22   Ensuite, c'est Lubin, et non pas moi, qui a reçu les critiques, et nous

 23   avons ensuite passé deux jours à Zagreb.

 24   Ensuite, je suis retourné à Sarajevo. Et comme vous le savez, les

 25   transports pour se rendre à Sarajevo n'étaient pas aussi rapides qu'un

 26   missile, ce n'était pas comme aujourd'hui. Il nous a fallu traverser toute

 27   la Croatie, pour aller jusqu'au littoral et puis revenir à Sarajevo. Il

 28   nous a fallu 14 à 16 heures pour aller de l'aéroport de Zagreb à Sarajevo.


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  1   Q.  Je ne veux pas vous interrompre, mais combien de temps avez-vous passé

  2   à Sarajevo au total ?

  3   R.  L'un dans l'autre, dix jours.

  4   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Je voulais, pour préciser, vous dire,

  5   Messieurs les Juges, que le document P2296 doit être admis sous pli scellé.

  6   C'est ce que l'on a vérifié.

  7   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Oui, oui.

  8   Versé sous pli scellé, Madame la Greffière.

  9   M. DEMIRDJIAN : [interprétation]

 10   Q.  On va revenir à Erdut. Donc, lorsque vous êtes arrivé, vous avez été

 11   reçu par Zitterman --

 12   R.  Zitterman.

 13   Q.  Et est-ce que la FORPRONU était déjà présente dans la région ?

 14   R.  La "civil police" c'était la FORPRONU, mais le commandant de secteur

 15   était là, mais il n'y avait pas encore eu de déploiement massif. Nous

 16   avions un commandant de secteur, un chef d'état-major et quatre ou cinq

 17   assistants, des militaires, et puis il y avait nous trois pour les affaires

 18   civiles et deux responsables de la police civile. Et nous avions un poste

 19   de police civile à Dalj, et il y avait la Mission d'observation des Nations

 20   Unies le long de la frontière avec Osijek. Et voilà tout ce qui constituait

 21   la FORPRONU.

 22   Q.  Vous parliez du secteur est où il y avait un commandant qui appartenait

 23   au contingent belge. Quelle était sa taille ?

 24   R.  Par la suite, et peu à peu, un bataillon belge est arrivé à Beli

 25   Manastir, de l'autre côté du pont, à 40 minutes en voiture à une vitesse

 26   normale depuis Erdut par la route principale. Il y avait un bataillon

 27   belge, commandé par le colonel Joachim [phon], si je ne m'abuse, qui

 28   s'occupait surtout de la zone de Beli Manastir. Je ne les ai pas vus se


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  1   rendre à Erdut ou à Dalj. Ils n'appartenaient pas au reste du contingent.

  2   Ensuite, deux jours après mon arrivée, sont arrivés 20 à 25 jeunes soldats

  3   russes au quartier général -- j'ai oublié de dire que l'adjoint au

  4   commandant du secteur était un colonel russe. Et donc, les forces étaient

  5   affectées non pas pour préparer une bataille. Le QG avait chaque fois un

  6   bataillon provenant de pays déployé sous le pavillon de la FORPRONU. Donc,

  7   dans chaque état-major, vous aviez des gens qui représentaient les

  8   bataillons pour chaque secteur, pas chaque fois mais presque, et chacun

  9   représentait les grandes puissances dans la région.

 10   Donc, à Erdut, vous aviez un bataillon belge, et, donc, le commandant était

 11   un commandant belge.

 12   Q.  Avant de parler des événements spécifiques, pourriez-vous nous dire

 13   quelle était votre mission dans les affaires civiles à votre arrivée ?

 14   R.  Pour être honnête vis-à-vis du Tribunal, je vous dirais que nous

 15   n'étions pas loin de devoir deviner ce qu'il fallait faire le lendemain.

 16   Mais sur le plan théorique, nous savions que, en tant que mission des

 17   affaires civiles, nous devions nous occuper des affaires civiles des zones

 18   protégées sans nous ingérer dans les affaires militaires, notamment le

 19   système de cessez-le-feu, de double verrou, ou pourchasser les combattants.

 20   La force d'observation devait consigner les infractions au cessez-le-feu et

 21   la police civile devait recevoir les plaintes des citoyens.

 22   Nous devions travailler avec ce que nous avions, et ensuite la Croix-

 23   Rouge, ensuite le HCR, Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies,

 24   cherchaient à aider les résidents de la région qui étaient en proie à une

 25   crise, une crise porteuse de stress, et nous espérions qu'en temps voulu

 26   nous pourrions faciliter le retour des réfugiés. Mais nous nous sommes

 27   rendus compte immédiatement après notre arrivée qu'il y avait des

 28   incidents, et nous avons entendu parler dès notre arrivée de trois ou


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  1   quatre incidents impliquant des centaines de personnes expulsées des zones

  2   protégées. En ce y compris à Erdut, le 8 ou 9 avril, deux jours avant notre

  3   arrivée, on avait parlé de 110 personnes d'Erdut ou d'une zone protégée et

  4   de Beli Manastir. Je me souviens que ça faisait 4- ou 500 personnes qui

  5   avaient été expulsées entre le 7 et le 10 avril. Bien entendu, c'était

  6   alarmant, et nous nous sommes dit, Voilà notre mission, on ne peut pas

  7   permettre ça.

  8   Et nous avons commencé notre travail de communication. Je pense le

  9   soir même nous sommes allés rencontrer les deux généraux de la JNA, car la

 10   police civile avait déjà les rapports, donc nous avions des documents pour

 11   pouvoir en parler avec lui. Et ensuite, nous avons également recherché les

 12   autorités civiles pour essayer de faire quelque chose.

 13   Et nous nous sommes concentrés, non pas dans un premier temps sur le

 14   retour des réfugiés, mais sur la prévention, éviter que d'autres personne

 15   ne soient expulsées, avec des moyens et capacités extrêmement limités et

 16   une présence limitée.

 17   En fait, Monsieur le Juge, nous nous sommes rendus là pour aider ces

 18   gens. Nous étions soumis au couvre-feu et à des coupures de courant, et

 19   nous l'avons accepté. Je le regrette. Je regrette que l'on finisse par

 20   accepter une telle situation, alors que vous avez un mandat clair du

 21   Conseil de sécurité, que ce soit le chapitre 6 ou le chapitre 7, cela n'a

 22   pas d'importance, parce qu'au titre 6 il y avait beaucoup à faire. Et nous

 23   l'acceptions. Pourquoi nous l'avons accepté, je ne sais pas. Nous étions là

 24   pour protéger les civils et nous ne pouvions pas nous déplacer le soir, et

 25   la plupart des manœuvres avaient lieu le soir.

 26   Et je vais vous expliquer un petit peu quelle était la manière dont

 27   tout cela se produisait de manière générale.

 28   En soirée, des hommes en armes se rendaient dans des maisons qui


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  1   étaient marquées -- donc, pas à l'encre, hein, mais marquées, des maisons

  2   habitées par des non-Serbes. Ils commençaient par tirer en l'air, vers les

  3   portes, les fenêtres. Ils ont tué des animaux. Je ne sais qu'un soir ils

  4   ont tué deux chevaux. Leur propriétaire pleurait, se disait, J'aurais

  5   préféré qu'on tue mon fils, pas les chevaux. Enfin, c'étaient des chevaux.

  6   Ensuite, ils partaient. Ensuite, la police venait le matin. Ils leur

  7   demandaient, Tiens, qu'est-ce qu'il vous est arrivé ? Il disait, Ta, ta,

  8   ta, voilà. Et la police disait, Ecoute, ce sont des militaires. Ils ne

  9   disaient pas, Des paramilitaires ou des hommes en armes; Ils ne viennent

 10   pas d'ici; Nous ne pouvons vous aider; Nous vous conseillons de vous en

 11   aller; Pour votre sécurité, il vaut mieux que vous vous en alliez.

 12   Certains comprenaient le message, d'autres pas. Alors, ces hommes

 13   revenaient le soir avec une escalade. Et la police revenait et leur disait

 14   de partir. C'était quelque chose qui était répété de manière régulière, de

 15   manière systématique, à Erdut, Osijek, Beli Manastir. Moi, je me souviens

 16   de deux familles que j'ai aidées à Manastir [comme interprété] qui m'ont

 17   expliqué la même histoire. Le soir, boom, boom, boom. Fenêtres, portes,

 18   animaux, et cetera. Et le lendemain matin, on disait, Ah, votre seul choix,

 19   c'est vraiment de vous en aller. Nous ne pouvons pas assurer votre

 20   protection.

 21   Q.  Revenons à ce que --

 22   M. GOSNELL : [interprétation] Désolé, mais tant que cela est toujours

 23   affiché au compte rendu, j'aimerais revenir sur un mot qui a été utilisé à

 24   la page 24, ligne 11. C'est un mot en serbe, je ne vais pas le citer. Mais

 25   en fait, ce mot n'a pas été dit en serbe. Il a été utilisé dans la

 26   déclaration du témoin en anglais.

 27   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Oui, je vais éclaircir cela.

 28   M. GOSNELL : [interprétation] Merci.


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  1   M. DEMIRDJIAN : [aucune interprétation]

  2   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

  3   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Alors, deux, trois points techniques,

  4   Messieurs les Juges.

  5   Tout d'abord, s'agissant de la pièce qui avait été admise il y a quelques

  6   instants et je vous ai dit qu'il faudrait l'admettre sous pli scellé, eh

  7   bien, je me suis trompé. C'est le document qui se trouvait à l'écran, le

  8   communiqué de presse qui se trouve encore à l'écran, qui ne devrait pas

  9   être diffusé. Je pense que nous l'avons déjà dit tout à l'heure. Mais aux

 10   fins du compte rendu, la pièce P2296 ne doit pas être sous pli scellé. Le

 11   document qui se trouve à l'écran à présent ne doit pas être diffusé. Nous

 12   pouvons expurger le compte rendu si cela est nécessaire. Apparemment non.

 13   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Attendez. Désolé, je ne vous suis

 14   pas.

 15   Vous dites que le communiqué de presse ne devrait pas être diffusé; c'est

 16   cela ?

 17   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] C'est cela.

 18   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Et pour le suivant ? Moi, j'ai

 19   toujours le communiqué de presse à l'écran. Quel est l'autre document ?

 20   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Le communiqué de presse qui se trouvait à

 21   l'écran et qui a la cote 5828 [comme interprété] de la liste 65 ter ne

 22   devrait pas être diffusé, alors que le rapport des Nations Unies que nous

 23   avons déjà versé, qui a été admis, qui est la pièce 2296, peut être un

 24   document public. J'ai commis une erreur. J'avais demandé de le verser sous

 25   pli scellé, mais en fait, il peut être un document public.

 26   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Est-ce que c'est clair pour vous,

 27   Madame la Greffière ?

 28   L'INTERPRÈTE : La greffière acquiesce.


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  1   M. STRINGER : [interprétation] Désolé, je vais peut-être semer encore plus

  2   de confusion. Mais le document sur lequel il y a une erreur est le

  3   communiqué de presse, intercalaire 8, 5882 de la liste 65 ter. Et pour

  4   l'instant, le compte rendu indique de façon erronée qu'il s'agit du

  5   document 5828 de la liste 65 ter. En fait, il s'agit du document 5882.

  6   Donc, deux chiffres ont été inversés. Et je parle ici de la page 16, ligne

  7   9, si cela est exact.

  8   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] C'est exact.

  9   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Donc il ne faut pas que le document

 10   soit diffusé; c'est cela ? Oui. Merci.

 11   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Aux fins du compte rendu d'audience,

 12   Messieurs les Juges, le document 5882 n'a pas été diffusé du tout.

 13   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

 14   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Merci beaucoup.

 15   Q.  Monsieur Abd El Razek, désolé de cette petite parenthèse.

 16   Mais vous nous avez dit tout à l'heure que la première nuit que vous avez

 17   passée, vous êtes allé sur le bateau de la JNA. Est-ce que vous vous

 18   souvenez du nom de l'unité ?

 19   R.  Eh bien, la JNA c'est la JNA, désolé. C'est écrit quelque part. Il

 20   faudrait que je vérifie --

 21   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Monsieur Abd El Razek, un instant.

 22   Monsieur Demirdjian, est-ce que vous êtes à présent en mesure de répondre à

 23   la question soulevée par Me Gosnell sur la terminologie?

 24   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Oui, j'allais le faire.

 25   M. GOSNELL : [interprétation] Désolé. Je ne voudrais pas être trop

 26   concentré sur cette question-là, mais je pense que c'est une erreur au

 27   compte rendu…

 28   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Très bien. Je vais le faire maintenant.


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  1   Q.  Alors, Docteur Abd El Razek, tout à l'heure vous avez prononcé le mot

  2   "milicija", je pense. Est-ce que vous pouvez nous dire quelle est votre

  3   conception de ce mot et nous l'épeler, s'il vous plaît.

  4   R.  Il y a une armée en uniforme, et chaque armée nationale s'identifie, la

  5   police est la police, et cetera. Et puis, il y a des personnes armées qui

  6   se baladent en portant le même uniforme, qui sont armées de mitrailleuses,

  7   de bérets, verts et rouges dans ma région, et nous les appelons milices,

  8   "militia" en anglais, pas "milicija". Milices. Mais si vous préférez, je

  9   peux les appeler combattants ou personnes armées. Je n'ai pas inventer le

 10   terme milice, "militia" en anglais. C'est comme cela que nous les appelons.

 11   Il y avait des milices au Liban, des milices ailleurs. C'est un terme très

 12   courant. Et si MM. les Juges préfèrent utiliser un autre concept, eh bien,

 13   ce n'est pas moi qui ai le brevet de ce mot-là. Je ne l'ai pas inventé.

 14   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Oui, si je peux éclaircir les choses. En

 15   fait, le mot "militia" en anglais avait été utilisé sous son orthographe

 16   B/C/S, "milicija", qui est un autre concept.

 17   Q.  Alors, est-ce que, Monsieur le Témoin, vous pouvez nous confirmer que

 18   vous aviez dit en anglais "militia", avec l'orthographe anglaise ?

 19   R.  Oui. Je ne leur ai pas demandé leurs papiers d'identité, mais c'étaient

 20   des milices, et ces milices appartenaient à des groupes de combattants

 21   serbes, locaux pour la plupart, mais pas exclusivement. Il y en a d'autres

 22   qui venaient de Belgrade pour combattre là-bas. Je ne veux pas vous

 23   raconter toute l'histoire. Mais ces combattants étaient les forces

 24   principales sur le terrain qui se sont prêtées au nettoyage ethnique.

 25   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Monsieur Abd El Razek, vous savez

 26   probablement qu'il y a aussi un mot serbe qui se dit "milicija", et à quoi

 27   l'on fait référence ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui. On parle de la police quand on parle


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  1   de "milicija" en B/C/S.

  2   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Et vous ne parliez pas de cela du

  3   tout ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Exactement. Moi, la police, je n'aurais pas

  5   dit "milicija" pour en parler. En fait, on l'appelle "polica".

  6   M. LE JUGE DELVOIE : [aucune interprétation]

  7   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Je crois que le problème est résolu.

  8   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

  9   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Bien. Continuons.

 10   Q.  Monsieur Abd El Razek, pour les unités de la JNA que vous avez vues sur

 11   le bateau, à combien de reprises est-ce que vous vous êtes rendu là-bas ?

 12   R.  Trois fois, je pense.

 13   Q.  Et qui avez-vous rencontré ?

 14   R.  Alors, tout d'abord, c'était Lubin et moi-même -- le commandant de

 15   secteur et les Belges et moi-même qui y étions allés. C'était l'adjoint,

 16   plutôt, et pas le commandant lui-même qui y était. Nous avons rencontré le

 17   général à deux reprises. Nous l'avons aussi rencontré plus tard, mais c'est

 18   une autre histoire. Donc, pour le bateau, nous y sommes allés trois fois.

 19   Q.  Et pour que les choses soient claires, comment communiquiez-vous avec

 20   les commandants locaux de la JNA ?

 21   R.  C'est notre commandant militaire qui le faisait.

 22   Q.  Non, je voulais dire en quelle langue ?

 23   R.  Ah. Nous avions un traducteur, un jeune garçon de Beli Manastir, qui

 24   nous accompagnait. Je ne me souviens plus de son nom exactement. Excusez-

 25   moi, cela fait longtemps. J'ai la mémoire des visages, mais… Encore 20 ans

 26   après, je peux vous décrire des endroits, mais les noms…

 27   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Effectivement, ce n'est pas facile.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc nous avions un interprète avec nous,


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  1   c'était un gentil garçon, un garçon intelligent, et il nous accompagnait.

  2   Mais chez les généraux, personne ne parlait anglais.

  3   M. DEMIRDJIAN : [interprétation]

  4    Q.  Bien. Alors, pour les trois reprises où vous vous êtes rendu sur le

  5   bateau pour voir les généraux de la JNA, et s'agissant de vos relations

  6   avec la JNA, est-ce que vous pouvez nous dire quelle était votre impression

  7   du rôle de la JNA dans la région ?

  8   R.  Nous étions frustrés, très frustrés, car on jouait au ping-pong, en

  9   fait. On allait voir la JNA. La JNA disait, Ce n'est pas moi. On allait

 10   voir la police. La police renvoyait la balle sur la JNA. M. Hadzic aussi

 11   disait, Ce n'était pas moi. Donc, personne n'admettait avoir le contrôle de

 12   ce qui se passait dans le secteur. Mais les généraux de la JNA insistaient

 13   fortement, ils voulaient d'ailleurs que nous relayions ce message au siège,

 14   que la JNA était en dehors de ce territoire et que le bateau se trouvait en

 15   dehors de la région, même s'il y avait un camp qui entourait ce bateau. Le

 16   bateau se trouvait en territoire croate. Et, de temps en temps, on voyait

 17   des chars, des véhicules armés. Il ne s'agissait pas de la police, à

 18   l'exception de quelques membres de la police qui ont commencé à utiliser

 19   des véhicules armés, mais c'est une autre histoire. Mais la JNA se trouvait

 20   sur le terrain et niait toute implication dans les plaintes que nous

 21   formulions et que nous transmettions, et nous ne pouvions pas utiliser

 22   l'autorité de la JNA pour mettre fin à ce foutoir où du personnel semi-

 23   militaire circulait, faisait le travail, et nous humiliait même. Il y avait

 24   au moins quatre points de contrôle entre notre QG nord de Beli Manastir en

 25   allant vers Osijek. Ce n'était pas la police, ce n'était pas l'armée, c'est

 26   ce que j'appelle les milices. Et la JNA niait toute responsabilité par

 27   rapport à cela. La JNA niait également avoir une influence politique. Elle

 28   s'en lavait les mains. Elle disait qu'elle n'avait rien à se reprocher.


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  1   Q.  Vous avez évoqué plusieurs sujets. Quels étaient les sujets de vos

  2   conversations avec les commandants de la JNA ?

  3   R.  Nous leur soumettions les plaintes de résidents de l'endroit. Nous leur

  4   présentions nos rapports, les rapports des observateurs militaires des

  5   Nations Unies, nous leur montrions des rapports d'affaires civiles sur les

  6   événements de la veille ou de l'avant-veille ayant trait à ce phénomène, ce

  7   projet de nettoyage ethnique, ces activités de nettoyage ethnique. En tant

  8   que civils, c'est cela que nous faisions. Surtout, nous n'évoquions aucun

  9   sujet militaire.

 10   Q.  Vous nous avez dit précédemment qu'il y avait un couvre-feu qui avait

 11   été imposé. Saviez-vous qui le faisait respecter ?

 12   R.  Lorsque nous sommes arrivés, et avant notre arrivée également, nos

 13   commandants militaires, nos commandants de secteur, nous ont informés du

 14   couvre-feu, et puis la police civile. Nous n'avons jamais cherché à savoir

 15   qui l'avait imposé, et la police civile locale niait avoir quoi que ce soit

 16   à voir avec cela. Donc, pas notre police civile. La police civile locale

 17   dont nous parlions de cela se dédouanait totalement. Après, ils ont évoqué

 18   d'autres personnes qui auraient été responsables de cela.

 19   Q.  Pour en venir à cela, à qui vous ont-ils renvoyés ?

 20   R.  En guise d'introduction, je voudrais vous dire ceci : lorsque vous vous

 21   rendiez à la police, on disait, M. Adnan, M. Lubin, nous comprenons. Et

 22   c'est la même chose en Bosnie, d'ailleurs. Il s'agit très souvent de

 23   personnes honorables, instruites, qui connaissent la législation, donc ils

 24   savent ce que signifie le mot droit, et beaucoup étaient gênés de voir ce

 25   qui se passait, surtout les plus hauts gradés. Mais d'autres étaient

 26   associés. Ils nous disaient, Mais écoutez, nous n'avons aucune maîtrise de

 27   ces gens qui déambulent et qui tirent. Mais après avoir insisté, par la

 28   suite ils nous ont renvoyés chez M. Hadzic et nous ont dit, Si vous voulez


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  1   résoudre ce problème, allez voir M. Hadzic. C'est lui le commandant. C'est

  2   lui le chef. Nous ne pouvons pas le convaincre. Nous ne pouvons pas

  3   l'arrêter. C'est son projet. C'est le projet de M. Hadzic. C'est la raison

  4   pour laquelle nous avons décidé d'aller voir M. Hadzic, puisque la police

  5   se dédouanait et qu'ils nous disaient à demi-mot, même plus qu'à demi-mot,

  6   que c'était M. Hadzic qui était responsable de cela et que c'était à lui

  7   qu'il fallait dès lors aller s'adresser.

  8   Q.  Vous avez dit il y a un instant que vous avez obtenu ces renseignements

  9   à la suite de vos contacts avec la police locale. Alors, quelle était la

 10   fréquence de vos contacts avec la police locale ?

 11   R.  Pendant mon séjour de dix jours, je dirais que nous avons eu au moins

 12   huit réunions avec la police. Je ne m'étais rendu au commissariat; il n'y

 13   en avait pas à Erdut, même s'il y en avait à Dalj. Mais pas à Erdut. Et

 14   donc, lorsqu'il fallait leur parler, ils venaient chez nous. Parfois on se

 15   voyait au [inaudible]. Et ces gens, ces messieurs, nous disaient, Nous

 16   n'avons aucune responsabilité. Je me souviens de l'anecdote de ce

 17   propriétaire de cheval dont les deux chevaux avaient été abattus. Je me

 18   suis rendu à la police et j'ai dit, Pourquoi les chevaux ? Les chevaux

 19   n'ont rien à voir. Et la police m'a répondu, Monsieur Adnan, ce n'est pas

 20   nous, on n'a rien à voir avec cela. C'était une région agricole. Et ces

 21   animaux, c'était leur patrimoine, un patrimoine qui leur servait à gagner

 22   leur vie. Et la police le savait. Mais ils disaient, Ah, mais ce n'est pas

 23   là notre responsabilité.

 24   Q.  Et lorsque vous avez fait part de ces doléances à la police locale,

 25   qu'a-t-elle fait ?

 26   R.  Je pense qu'ils n'ont rien fait. Je sais que certains des résidents

 27   locaux, qui allaient plus tard être expulsés, avaient peur de se rendre à

 28   la police parce qu'ils avaient peur que la police les dénonce à ces


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  1   milices, paramilitaires -- je ne sais pas quoi dire,

  2   L'INTERPRÈTE : Note de l'interprète : Le témoin a dit "militia", milices.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Enfin, c'est l'expression dont nous avons

  4   parlé. Donc ils avaient peur que la police les dénonce à ces milices.

  5   Et donc, en fait, les citoyens ne savaient même pas s'ils pouvaient nous

  6   faire confiance. Ils n'avaient personne en qui faire confiance. Ils étaient

  7   totalement désemparés. Alors, essayez de résoudre une telle situation avec

  8   des coupures de courant, avec un couvre-feu. Et nous étions deux soldats et

  9   trois policiers civils et puis nous-mêmes, avec nos belles cravates, et

 10   rien d'autre.

 11   Q.  Vous avez dit que lorsque vous avez parlé à la police, la police vous a

 12   dit de vous rendre chez M. Hadzic ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Qu'est-ce que vous avez fait alors ?

 15   R.  Nous avons demandé à la police d'organiser une réunion avec M. Hadzic.

 16   Q.  Et qu'est-ce qui s'est passé ?

 17   R.  Alors, ce qui s'est passé, c'est que M. Lubin, sa femme, moi-même et

 18   l'interprète, nous sommes partis, nous avons été envoyés à la police, qui

 19   nous a confiés au personnel armé. Et on nous a pris à son bureau.

 20   Q.  Où était son bureau ?

 21   R.  C'est un petit peu cocasse. Parce que, bon, c'était une zone vinicole.

 22   Et puis, il y avait un château. Et nous nous sommes rendus au bâtiment,

 23   mais pas au château. Je me souviens que nous avons passé les portes et puis

 24   que nous avons été accompagnés dans son bureau.

 25   Q.  Pouvez-vous décrire ce bureau.

 26   R.  C'était un bureau simple, pas de fioritures. Enormément de gens ne

 27   pouvaient pas avoir un peu d'intimité, on parlait beaucoup, et M. Hadzic

 28   était tout simplement là. Il avait une barbe plus noire. Hein, nous


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  1   vieillissons tous. Il était là. La première fois, nous avons eu un

  2   entretien de 45 minutes approximativement et nous lui avons fait état des

  3   événements qui survenaient la nuit, la journée, les expulsions forcées et

  4   le nettoyage ethnique. Et, bien entendu, nous avons parlé des questions

  5   liées au Nations Unies, du quartier général, qu'est-ce que ceci, qu'est-ce

  6   que cela. Mais en général nous nous rendions chez lui pour nous plaindre et

  7   pour lui demander de mettre fin à ce nettoyage ethnique.

  8   Q.  Qui était présent lors de vos réunions avec M. Hadzic ?

  9   R.  En plus de Lubin, sa femme, moi-même et l'interprète, énormément de

 10   gens, mais je ne peux pas dire qui. La police n'entrait pas avec nous.

 11   Q.  Lorsque vous dites "beaucoup de gens", à quoi ressemblaient-ils ?

 12   R.  Ceux que j'ai décrit comme étant la milice --

 13   Q.  A quoi ressemblait-elle, cette milice ?

 14   R.  Ça dépend de la zone. Je ne peux pas parler de caractéristique ethnique

 15   et -- et je ne veux pas me livrer à des descriptions empreintes de jugement

 16   de valeurs. Mais certains d'entre eux avaient l'air négligés, ne faisaient

 17   pas très sérieux, mais ils étaient armés jusqu'aux dents. Certains avaient

 18   l'air peut-être un petit peu instruits. Certains n'avaient pas vraiment

 19   l'air de paysans et d'autres avaient l'air de paysans, pour utiliser cette

 20   expression.

 21   Q.  Comment étaient-ils vêtus ?

 22   R.  Presque kaki, mais pas camouflage, pas vraiment, et vert. Dans notre

 23   zone, surtout vert. Vert gris. Et certains, pas vraiment portant la barbe,

 24   mais pas bien rasés, mais pas barbus. Il y en a un que j'ai rencontré au

 25   village, il était barbu. Mais je ne veux pas apparaître comme mettant les

 26   gens dans des cases ou je ne veux pas prétendre être capable d'identifier

 27   les gens sur la base de leur seul aspect -- mais est-ce qu'il y a des

 28   différences entre les vrais Chetniks et les nouveaux dans la milice, je ne


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  1   sais pas. A Belgrade, il y avait peut-être des gens qui ressemblaient à des

  2   Chetniks, ils étaient vêtus de manière spéciale. Mais je ne peux pas dire

  3   la différence. Alors, est-ce que c'est les caractéristiques corporelles, je

  4   ne peux pas vraiment le dire.

  5   Q.  Ce n'est pas un problème. Avant de lever la séance pour aujourd'hui,

  6   pourriez-vous nous dire quelle suite M. Hadzic a donnée à votre

  7   intervention ?

  8   R.  Il était très ferme dans son déni. Il a dit, Non, ce ne sont pas mes

  9   hommes. Comment ça se fait ? Je n'en sais rien.

 10   Et donc, nous avons convenu avec lui que la prochaine fois que des gens

 11   veulent quitter les lieux de manière volontaire, la police viendrait avec

 12   nous pour que chacun ait l'assurance que ce départ était volontaire et non

 13   forcé. Ce n'était pas un accord écrit, c'était un "gentlemen agreement", un

 14   accord oral. M. Hadzic s'est engagé à ce que ses hommes -- et ne me

 15   demandez pas s'il a défini qui étaient ses hommes. Il ne les a pas définis.

 16   Mais il a dit que ses hommes et la police nous aideraient à aider ces gens

 17   et à vérifier s'ils quittaient la région volontairement et pas sous la

 18   contrainte.

 19   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Je pense que le temps est venu --

 20   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Effectivement, Monsieur Demirdjian.

 21   Monsieur Abd El Razek, ceci met un terme à l'audience d'aujourd'hui. Nous

 22   vous reverrons demain matin à 9 heures pour l'audience du matin. Vous êtes

 23   toujours témoin du Tribunal. De ce fait, vous n'êtes pas autorisé à parler

 24   avec quiconque de votre déposition et vous n'êtes pas non plus autorisé à

 25   vous entretenir avec l'une ou l'autre des parties.

 26   Est-ce que vous comprenez ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne vous décevrai pas, Monsieur le Juge.

 28   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Très bien. Vous allez être accompagné

 


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  1   jusqu'à l'extérieur du prétoire.

  2   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

  3   M. LE JUGE DELVOIE : [aucune interprétation]

  4   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

  5   M. LE JUGE DELVOIE : [aucune interprétation]

  6   [Le témoin quitte la barre]

  7   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Monsieur Demirdjian, une indication

  8   sur la longueur de votre interrogatoire principal ? Est-ce que vous êtes

  9   dans les temps ? Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire ?

 10   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Oui. Nous n'allons pas utiliser les quatre

 11   heures que nous avions annoncées au départ, et je pense avoir fini pendant

 12   la première session de demain matin. Selon les réponses, mais je comprends,

 13   et si c'est nécessaire, nous allons recadrer le témoin.

 14   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je suis heureux de l'entendre que le

 15   cas échéant, vous allez recadrer le témoin.

 16   S'il n'y a pas d'autres questions.

 17   [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent] 

 18    M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Alors, Monsieur Demirdjian, est-ce

 19   que vous voulez demander le versement au dossier du communiqué de presse ou

 20   pas ?

 21   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Ah, oui, c'est vrai, nous ne l'avons pas

 22   versé. Oui, j'en demande le versement.

 23   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Maître Gosnell.

 24   M. GOSNELL : [interprétation] J'ai une objection.

 25   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Ah. J'aurais dû poser la question.

 26   M. GOSNELL : [interprétation] La source, c'est un communiqué de presse du

 27   ministère de l'Information de la République de Croatie, avec toute une

 28   série d'affirmations assez chargées et des informations spécifiques que ce


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  1   témoin n'a pu confirmer. Le témoin, d'ailleurs, a dit lui-même n'avoir

  2   jamais vu ce communiqué de presse ou d'autres communiqués de presse

  3   puisqu'il a dit que ce n'était pas pour lui une source d'information.

  4   Donc, par rapport à ce que savait le témoin et par rapport à ce que

  5   figure comme information dans ce communiqué de presse, eh bien, il n'y a ni

  6   la base pour demander le versement et le document, par ailleurs, n'est pas

  7   recevable.

  8   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Ma question était d'ordre purement

  9   technique. Je voulais savoir si ça avait été un oubli de la part du bureau

 10   du Procureur, mais tout à coup, Monsieur Demirdjian, cela devient quelque

 11   chose d'autre.

 12   M. DEMIRDJIAN : [interprétation] Oui.

 13   Je ne vais pas insister. Le témoin a répondu. Il a dit qu'il n'avait jamais

 14   vu de document à l'époque. Et donc, nous sommes satisfaits des réponses qui

 15   figurent au compte rendu d'audience.

 16   Donc je retire ma demande de versement.

 17   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci. Cela me semble frapper au coin

 18   du bon sens, Monsieur Demirdjian.

 19   S'il n'y a pas d'autres questions, la séance est levée.

 20   --- L'audience est levée à 16 heures 34 et reprendra le mardi 2 juillet

 21   2013, à 9 heures 00.

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