Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le vendredi 6 septembre 2013

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.

  5   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes

  6   présentes dans le prétoire et à l'extérieur du prétoire.

  7   Madame la Greffière d'audience, veuillez appeler l'affaire, je vous prie.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit

  9   de l'affaire IT-04-75-T, le Procureur contre Goran Hadzic.

 10   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je souhaiterais que les parties se

 11   présentent. Madame Biersay, en commençant par vous.

 12   Mme BIERSAY : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle

 13   Lisa Biersay, je représente l'Accusation, et je suis présente ici avec ma

 14   collègue, Muireann Dennehy, ainsi que notre commis aux affaires, M. Thomas

 15   Laugel.

 16   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Maître Zivanovic.

 17   M. ZIVANOVIC : [interprétation] Me Zivanovic pour la Défense de M. Goran

 18   Hadzic, accompagné de Me Christopher Gosnell.

 19   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je vous remercie.

 20   Que l'on fasse entrer le témoin dans le prétoire.

 21   [Le témoin vient à la barre]

 22   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Loncar. Je vous

 23   rappelle que vous êtes toujours tenu de respecter la déclaration solennelle

 24   que vous avez prononcée.

 25   Madame Dennehy, je vous en prie.

 26   Mme DENNEHY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 27   LE TÉMOIN : MLADEN LONCAR [Reprise]

 28   [Le témoin répond par l'interprète]

 


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  1   Interrogatoire principal par M. Dennehy : [Suite]

  2   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Loncar. Est-ce que vous m'entendez

  3   dans une langue que vous comprenez ?

  4   R.  Oui, oui. Bonjour. Je vous entends et vous comprends parfaitement.

  5   Q.  Docteur Loncar, hier, vous avez dit aux Juges de la Chambre que l'un

  6   des prisonniers avait été castré en partie et que pour plusieurs -- qu'il y

  7   avait d'autres prisonniers et vous pensiez qu'ils ou elles faisaient

  8   l'objet de sévices sexuelles. J'aimerais que nous développions un peu ce

  9   sujet ce matin. Vous avez dit qu'il y avait environ entre 25 à 30 femmes

 10   qui se trouvaient avec les autres prisonniers dans l'étable. Dans quelle

 11   partie de l'étable se trouvaient placées ces femmes ?

 12   R.  Si on prend la perspective de l'endroit où je me trouvais, elles se

 13   trouvaient dans un coin qui était près de l'entrée.

 14   Q.  Et sans pour autant nous donner le nom de ces femmes, est-ce que vous

 15   pourriez nous dire ce qui se passait ou ce qu'il advenait à certaines de

 16   ces femmes le soir ?

 17   R.  Moi-même ainsi que les autres avons remarqué que ces femmes, en fait,

 18   qu'on les faisait sortir fréquemment de l'étable en fin d'après-midi ou

 19   pendant la soirée et elles ne revenaient pas pendant un certain temps assez

 20   long. Parfois elles ne revenaient pas de toute la nuit. Nous, nos soupçons,

 21   c'était qu'on ne les faisait pas sortir pour être interrogées, mais plutôt

 22   qu'elles étaient conduites au commandement du camp ou ailleurs, d'ailleurs

 23   nous ne savions pas où, et qu'elles étaient victimes ensuite, qu'elles

 24   faisaient l'objet de sévices sexuels ou de harcèlement sexuel.

 25   Q.  Et, une fois de plus, sans nous donner le nom de ces femmes, est-ce que

 26   vous avez par la suite appris vers quel endroit elles étaient emmenées ?

 27   R.  Oui. Lorsque j'ai vu le camp de Begejci et que je me suis souvenu de la

 28   vie qui était la nôtre là-bas, je me suis dit qu'au cas où je venais à


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  1   survivre à cette expérience, je consacrerais une partie de mon travail aux

  2   victimes. Et dans ce contexte, après l'échange, j'ai commencé justement à

  3   fournir une aide psychosociale à d'anciens prisonniers de ce camp, dans un

  4   premier temps cela, donc, à Zagreb, et je suis également allé dans les

  5   centres de réfugiés et j'ai parlé à certaines de ces femmes qui avaient

  6   survécu. En fait, elles n'ont fait que corroborer mes soupçons. Elles m'ont

  7   raconté des histoires absolument épouvantables. Certaines femmes n'avaient

  8   non seulement été conduites aux dortoirs des gardes, mais également dans

  9   des hôtels à Zrenjanin. Elles avaient l'impression qu'elles étaient des

 10   prostituées. Non seulement elles étaient forcées à avoir des rapports

 11   sexuels fréquents, mais on les forçait également à procéder à des

 12   fellations et à d'autres types de violence.

 13   Q.  Quelle était la distance entre Zrenjanin et le camp de Begejci ?

 14   R.  Je ne pourrais pas vous dire la distance exacte en kilomètres. Mais je

 15   dirais qu'il y a environ une demi-heure de route en voiture, environ.

 16   Q.  Et quel était l'âge des femmes qui se trouvaient à Begejci, quelle

 17   était la fourchette d'âge, en fait ?

 18   R.  Bon, je dois dire que la fourchette d'âge était assez large. Il y avait

 19   des femmes qui avaient 20 ans et certaines avaient 70 ou 80 ans. Il y avait

 20   des grands-mères de villages, et puis il y avait également un autre groupe

 21   de femmes qui avaient entre 20 et 40 ans, des femmes, donc, qui se

 22   trouvaient dans la période féconde dans leurs vies, comme nous disons en

 23   médecine, et c'était surtout elles qui étaient conduites, que l'on faisait

 24   sortir du camp.

 25   Q.  Vous venez de mentionner des grands-mères de villages. De quels

 26   villages venaient ces femmes ?

 27   R.  Ces femmes, elles venaient de Tovarnik et d'autres villages qui se

 28   trouvent dans la région d'Ilok : Lovas, Berak, Ilok, Sarengrad [phon],


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  1   Bapska.

  2   Q.  Vous venez de donner des noms de villages, Tovarnik, Ilok et Bapska,

  3   alors juste pour confirmer cela à l'intention des Juges de la Chambre, dans

  4   quel pays se trouvent ces villages ?

  5   R.  En République de Croatie.

  6   Q.  J'aimerais maintenant vous montrer une photographie qui va être

  7   affichée sur votre écran.

  8   Mme DENNEHY : [interprétation] Il s'agit de l'onglet 11. Il s'agit du

  9   document 6415 de la liste 65 ter, le document P1641.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. J'ai vu cette photographie à Zagreb. Il

 11   s'agit des femmes qui étaient détenues au camp de Begejci. Je pourrais

 12   peut-être vous donner davantage de renseignements au sujet de cette

 13   photographie. Vous voyez ce groupe de femmes, c'est un groupe de femmes qui

 14   s'est trouvé au camp central, dans cette étable. Et lorsque la Croix-Rouge

 15   était censée arriver, elles ont été transférées dans le bâtiment du

 16   commandement. Et la photographie a été prise dans ce bâtiment, où ces

 17   femmes sont restées pendant un moment.

 18   Mme DENNEHY : [interprétation] Monsieur le Président, je souhaiterais qu'il

 19   soit consigné au compte rendu d'audience les propos que le témoin vient

 20   d'avoir à propos de la pièce.

 21   Q.  Monsieur Loncar, je vous remercie. Et je souhaiterais vous montrer un

 22   autre document, le document de la liste 65 ter 857. Alors, avant que nous

 23   ne parlions du document, je souhaiterais que vous nous fournissiez une

 24   explication à propos de la visite de la Croix-Rouge. Vous avez mentionné

 25   que juste avant l'arrivée de la Croix-Rouge, les femmes que nous avons vues

 26   sur la photographie précédente ont été déplacées dans le bâtiment du

 27   commandement. Combien de fois est-ce que la Croix-Rouge a visité le camp

 28   alors que vous vous trouviez dans le camp de Begejci ?


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  1   R.  Ils sont venus deux fois lorsque je m'y suis trouvé. La première fois,

  2   c'était une visite de routine, ils ont dressé la liste des personnes qui se

  3   trouvaient dans le camp. Donc, nous, dans une certaine mesure, nous avons

  4   eu un certain sentiment de sécurité, en tout cas moi je l'avais, parce que

  5   nous avions l'impression que nous avions été inscrits quelque part sur une

  6   liste et que les gens étaient au courant de notre existence et de l'endroit

  7   où nous nous trouvions.

  8   Lorsqu'ils sont venus pour la première fois, donc nous leur avons donné nos

  9   noms et notre profession. La deuxième fois, ils voulaient me parler à moi

 10   puisque j'étais le seul médecin dans cette étable. Et j'ai ensuite parlé au

 11   représentant du CICR dont la langue maternelle était le français. Il était

 12   accompagné d'un interprète professionnel. Et à un moment donné, il m'a

 13   demandé ce à quoi je m'attendais. Je lui ai dit que je m'attendais et

 14   j'espérais faire l'objet d'un échange. Et il m'a dit : "Décontractez-vous

 15   les bras et levez la tête." Alors, ensuite, je me suis décontracté pendant

 16   un petit moment. Je dois dire que j'ai eu en quelque sorte une baisse de

 17   concentration et j'ai oublié qu'il y avait un officier derrière moi, et le

 18   représentant du CICR m'a demandé : "Est-ce que vous avez quoi que ce soit

 19   d'autre à me dire ?" Et je lui ai dit : "Vous savez, ils ont pris ma

 20   voiture." Et l'interprète professionnel a commencé à faire son travail de

 21   façon professionnelle. Et l'officier qui se trouvait derrière moi a

 22   commencé à m'insulter, à insulter ma mère Oustacha, et bon, et cetera, et

 23   cetera. Et l'interprète, lui, a continué à interpréter. Là, je dois dire

 24   que j'ai été saisi d'une effroyable crainte parce que je me suis rendu

 25   compte de ce qui se passait. Mais c'est alors que ce type a montré les

 26   signes d'une grande contrariété parce qu'il s'est rendu compte qu'il

 27   m'avait menacé en présence d'un représentant de la communauté

 28   internationale et il a commencé à expliquer à ce représentant du CICR que


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  1   rien n'allait m'arriver, et cetera, et cetera.

  2   Lorsque ces représentants du CICR sont partis, je ne les ai plus jamais

  3   revus.

  4   Q.  Docteur Loncar, comment est-ce que le comportement des gardes du camp

  5   changeait vis-à-vis des prisonniers avant la visite des représentants du

  6   CICR ?

  7   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Maître Zivanovic.

  8   M. ZIVANOVIC : [interprétation] Il semblerait qu'il y ait une erreur de

  9   traduction, car le témoin a dit qu'il n'avait plus jamais vu sa voiture.

 10   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Est-ce que vous pourriez demander des

 11   précisions au témoin, Madame Dennehy.

 12   Mme DENNEHY : [interprétation] Avant que je ne demande cette précision, je

 13   ne suis pas très sûre d'avoir compris l'objection du conseil de la Défense

 14   à propos de la voiture.

 15   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Que s'est-il passé 

 16   après --

 17   M. ZIVANOVIC : [interprétation] C'est la dernière phrase, la phrase qui

 18   précède votre question.

 19   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Donc c'est en fait : Que s'est-il

 20   passé après le départ de la délégation du CICR ?

 21   M. ZIVANOVIC : [interprétation] Peut-être que le témoin pourrait répéter

 22   toute sa réponse.

 23   Mme DENNEHY : [interprétation]

 24   Q.  Docteur Loncar, apparemment il y aurait un problème d'interprétation de

 25   votre dernière réponse. Pour préciser tout cela, je vais vous poser la

 26   question suivante. Vous avez dit que le représentant du CICR vous a dit :

 27   "Est-ce que vous avez quoi que ce soit d'autre à me dire ?" Et vous avez

 28   répondu, en disant : "Vous savez, ils ont pris ma voiture." Est-ce que cela


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  1   est bien exact, est-ce que c'est bien les propos que vous avez tenus à

  2   l'égard du représentant du CICR ?

  3   R.  Oui, oui. C'est ce que j'ai dit. Et à ce moment-là, l'officier dont

  4   j'avais oublié la présence et qui était debout derrière moi a commencé à

  5   proférer des insultes et des jurons, en me demandant : "Pourquoi est-ce que

  6   tu dis cela ?" Mais je ne vous avais pas donné tout le contexte. Car c'est

  7   le SUP provincial qui a pris ma voiture. Voilà où se trouvait mon véhicule.

  8   Mais je n'avais pas terminé ma phrase.

  9   Après l'échange, ou plutôt, après le départ du CICR et de ses

 10   représentants, je dois dire que j'avais bien trop peur pour reposer cette

 11   question, et je dirais que je n'ai jamais récupéré ma voiture.

 12   Q.  Merci, Docteur Loncar. J'aimerais vous reposer la dernière question que

 13   je vous avais posée. J'aimerais savoir comment changeait l'attitude des

 14   gardes du camp avant les visites du CICR ?

 15   R.  Nos conditions de vie se sont améliorées quelque peu à l'occasion de la

 16   première visite du CICR. Et hier, j'ai mentionné qu'ils avaient commencé à

 17   nous couper les cheveux, à nous raser. L'un des détenus était barbier de

 18   son Etat, coiffeur, donc il nous a coupé les cheveux. Bon, ça, c'était une

 19   chose. Et puis, ils étaient très, très, très prudents et ils ne nous ont

 20   infligé aucune blessure visible, en tout cas il n'y avait plus de blessures

 21   au niveau des parties visibles du corps telles que le visage. Nous, les

 22   détenus, avions un certain sentiment de sécurité, du point de vue

 23   psychologique en tout cas, à partir du moment où nos noms ont été inscrits

 24   sur des listes.

 25   Q.  Docteur Loncar, regardez le document qui se trouve maintenant sur votre

 26   écran. Au milieu de la première page de la version anglaise - et je pense

 27   qu'il en va de même pour la version B/C/S - il est indiqué Zelimir Loncar,

 28   psychiatre de l'hôpital de Vukovar. Est-ce que vous pourriez nous dire si


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  1   vous pensez qu'il s'agit de votre nom ?

  2   R.  Je pense qu'il s'agit d'une erreur. Car cette personne, Zelimir Loncar,

  3   n'existe pas. Je suppose que c'était à moi qu'ils faisaient référence,

  4   Mladen Loncar.

  5   Q.  Et dans ce même paragraphe, il est indiqué :

  6   "Dans le village de Begejci…

  7   "Qui rappelle les camps de concentration de la Deuxième Guerre

  8   mondiale, puisqu'il y a des clôtures en fil de fer barbelé et des gardes

  9   armés qui patrouillent avec des chiens et des lampes…"

 10   A quoi fait référence cette description ?

 11   R.  C'est une description du camp de Begejci dont j'ai parlé à l'époque.

 12   Q.  Et pourquoi est-ce que, Docteur Loncar, vous avez décrit le camp de

 13   Begejci comme étant un camp de concentration ?

 14   R.  Pourquoi, Messieurs les Juges ? L'une des raisons, c'est ce que j'ai

 15   vécu là-bas. A partir du moment où je suis entré dans le camp, j'ai assisté

 16   à une scène épouvantable que je n'avais jamais vue qu'au cinéma jusqu'à ce

 17   moment-là. Et puis, il y avait l'organisation du camp. Dans les films que

 18   j'avais vus et dans les quelques livres que j'avais lus à propos des camps

 19   de la Deuxième Guerre mondiale, la description était quasiment identique.

 20   Dans chaque pièce il y avait un surveillant qui s'occupait de l'ordre et de

 21   la discipline. Il s'agissait de détenus, d'ailleurs. Il y en avait un qui

 22   s'appelait Mirko et l'autre Krasnici. Moi, j'ai été frappé au visage ou

 23   giflé une ou deux fois. Il faut savoir que les surveillants étaient parfois

 24   également battus, nous n'étions pas les seuls à être battus. Cela s'est

 25   passé également pendant la Deuxième Guerre mondiale.

 26   Et puis, il y a également les aspects juridiques, et bien que je ne sois

 27   pas juriste, je pense comprendre certaines choses. Moi, j'avais demandé à

 28   être traduit en justice, et la réponse qui m'avait été faite était qu'il


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  1   n'y avait aucune base pour ce faire. Donc les gens étaient détenus là sans

  2   aucun fondement juridique et ils étaient expulsés en fonction de la

  3   décision arbitraire des autorités de la police et des autorités militaires

  4   tout simplement parce qu'ils étaient de confession différente, qu'ils

  5   étaient d'une appartenance ethnique différente ou qu'ils avaient des points

  6   de vue politiques. Et pourquoi est-ce que je mentionne ceci ? Parce qu'il y

  7   avait également des détenus serbes qui avaient un point de vue politique ou

  8   une opinion politique différente. Voilà pourquoi je décris ce camp comme

  9   étant un camp de concentration.

 10   Q.  Je vous remercie, Docteur Loncar.

 11   Mme DENNEHY : [interprétation] Et j'aimerais demander que le document de la

 12   liste 65 ter 857 soit versé au dossier.

 13   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Cela sera fait.

 14   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce P2984, Monsieur le

 15   Président.

 16   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

 17   Mme DENNEHY : [interprétation]

 18   Q.  [aucune interprétation]

 19   R.  D'après mon souvenir, le détenu le plus âgé avait environ 80 ans.

 20   Q.  Et le plus jeune avait quel âge ?

 21   R.  Je crois qu'il y avait un garçon qui avait environ 14 ou 15 ans, venant

 22   d'un village entre Vukovar et Ilok, mais je ne me souviens pas exactement.

 23   Je me souviens bien de lui parce qu'on l'a frappé très violemment. Les

 24   équipes de la télévision sont venues plusieurs fois de Belgrade et de Novi

 25   Sad. Il y avait un officier qui se mettait derrière le caméraman, et il

 26   faisait un signe à ce jeune garçon et il disait qu'il avait massacré des

 27   gens, qu'il avait coupé les doigts des enfants pour en faire des colliers.

 28   Il a récité cela comme s'il s'agissait d'un poème. C'est la raison pour


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  1   laquelle je me souviens de ce garçon.

  2   Q.  Et a-t-il cité ce poème ou ce texte sous la contrainte ?

  3   R.  Bien sûr. Il n'aurait pas pu le faire compte tenu de son âge, et de

  4   toute façon il ne l'aurait pas fait. D'après moi, il s'agissait, je crois,

  5   d'un cas limite de quelqu'un qui était un attardé mental. Donc on l'a

  6   contraint à dire certaines choses et il l'a fait pour pouvoir survivre.

  7   Mme DENNEHY : [interprétation] Je demande à ce que le numéro 65 ter 784

  8   soit affiché, s'il vous plaît.

  9   Q.  Monsieur Loncar, vous allez voir dans quelques instants un article de

 10   presse à nouveau à l'écran.

 11   Monsieur Loncar, dans le troisième paragraphe à partir du bas, il est

 12   indiqué que :

 13   "Mladen Loncar a dit lors d'une conférence de presse qui a été diffusée en

 14   direct sur la Radio Zagreb qu'il a vu au moins un homme mourir après avoir

 15   été couvert d'hématomes et de traces de sang lors d'un passage à tabac dans

 16   un camp près de Sremska Mitrovica…"

 17   Est-il exact de dire que ce camp était près de Mitrovica ?

 18   M. GOSNELL : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Ceci est

 19   arrivé plusieurs fois et je ne me suis pas levé pour présenter une

 20   objection, mais maintenant je m'oppose à ceci car il s'agit d'une question

 21   directrice. Ce que nous avons ici, c'est un document qui est présenté au

 22   témoin et on recherche la confirmation du témoin. Nous avons entendu une

 23   intervention assez longue de l'Accusation il y a plusieurs semaines qui

 24   était inappropriée parce qu'il s'agissait d'une question directrice, et

 25   moi, j'étais d'accord.

 26   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Madame Dennehy.

 27   Mme DENNEHY : [interprétation] Je vais reformuler ma question, Monsieur le

 28   Président.


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  1   M. GOSNELL : [interprétation] Monsieur le Président, le fait de reformuler

  2   ne permet pas de résoudre la question. La question doit être demandée en

  3   premier lieu. Si le témoin ne peut pas répondre, dans ce cas-là on peut lui

  4   rafraîchir la mémoire. Mais cela ne doit être fait que si la question

  5   initiale qui est posée n'est pas une question directrice.

  6   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Madame Dennehy.

  7   Mme DENNEHY : [interprétation] Je vais donc écarter ma question et en poser

  8   une autre.

  9   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.

 10   Mme DENNEHY : [interprétation]

 11   Q.  Monsieur Loncar, le troisième paragraphe à partir du bas de ce texte

 12   fait référence à un commentaire que vous avez fait. Qui est l'homme que

 13   vous citez et qui est mort ?

 14   M. GOSNELL : [interprétation] Objection, Monsieur le Président. Ma consœur

 15   refait la même chose qu'elle a faite lors des deux dernières questions.

 16   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je suis d'accord avec Me Gosnell.

 17   Il s'agit simplement de refaire la même chose mais de façon plus détaillée.

 18   Mme DENNEHY : [interprétation] Monsieur le Président, alors je tente de

 19   fournir un fondement pour permettre au document d'être versé. Je peux

 20   sélectionner certains passages de ce document, si la Défense préfère cela.

 21   Les questions que je pose ont été couvertes par la déposition du témoin

 22   dans le cadre de l'interrogatoire principal déjà. Je ne pense pas qu'il

 23   s'agit d'information nouvelle. Je tente simplement de présenter un

 24   fondement pour que ce document puisse être versé au dossier.

 25   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Il s'agit du document qui est à

 26   l'écran ?

 27   Mme DENNEHY : [interprétation] Oui, c'est exact.

 28   [La Chambre de première instance se concerte]


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  1   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Madame Dennehy, nous avons un témoin

  2   ici à la barre des témoins qui, dans une certaine mesure, est capable de

  3   déposer au sujet des événements. Donc, pourquoi, dans ce cas, aurions-nous

  4   besoin d'un article de presse qui nous dit que certaines personnes en ont

  5   parlé -- ont parlé de ces événements ? Cela n'est pas utile. Je pense donc

  6   que vos tentatives qui consistent à faire admettre au dossier ce document

  7   ne sont pas très utiles.

  8   Mme DENNEHY : [interprétation] Monsieur le Président, soit. Je vais passer

  9   à une autre question dans ce cas.

 10   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

 11   Mme DENNEHY : [interprétation] Puis-je demander à ce que soit affiché le

 12   numéro 65 ter 6413, que soit affichée à l'écran la pièce P01639, page 2 à

 13   l'écran, s'il vous plaît.

 14   Q.  Monsieur Loncar, reconnaissez-vous les photographies que vous avez sous

 15   les yeux ?

 16   R.  Oui. Il s'agit d'une photographie qui a été prise pendant qu'existait

 17   le camp de Begejci.

 18   Q.  Si vous regardez la deuxième photographie, la photographie du bas, qui

 19   sont les hommes sur cette photo ?

 20   R.  Il s'agit des premiers détenus que l'on a fait venir dans le camp de

 21   Begejci. Ils viennent de Valpola [phon], et on les a appelés le groupe de

 22   pionniers. Ils portaient des uniformes de la JNA lorsqu'ils sont arrivés

 23   dans le camp, donc ils ressemblaient à des soldats de la JNA.

 24   Q.  Et qu'est-ce que ces hommes devaient faire dans le camp de Begejci ?

 25   R.  Etant donné qu'ils étaient parmi les premiers à arriver dans le camp,

 26   ils étaient couchés en face de moi dans la grange ou l'étable. Et je les ai

 27   contactés. Nous pouvions murmurer, c'est ainsi que nous communiquions. Et

 28   ils nous ont dit que quand ils sont arrivés, c'était un petit groupe


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  1   composé de 20 à 30 personnes et que c'est la police militaire qui montait

  2   la garde. Et ils travaillaient à la construction du camp dans la manière

  3   suivante : ils creusaient, ils plaçaient des poteaux, ils enroulaient

  4   autour de ces poteaux des fils de fer barbelé. Et comme ils l'ont dit à ce

  5   moment-là, les gardiens leur ont dit que "d'autres Oustachi viendraient".

  6   Mme DENNEHY : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je demander le

  7   versement -- que les commentaires du Dr Loncar par rapport à cette pièce

  8   soient bien consignés au compte rendu d'audience.

  9   Maintenant, je demande l'intercalaire numéro 10. Numéro 65 ter 6414, s'il

 10   vous plaît.

 11   Q.  Monsieur Loncar, reconnaissez-vous cette photographie que vous avez

 12   actuellement sous les yeux ?

 13   R.  Oui. Sur le croquis dont j'ai parlé hier, si vous vous en souvenez,

 14   j'ai indiqué à quel endroit se trouvaient différents éléments hier, et j'ai

 15   indiqué que nous avions une pause d'une demi-heure et que nous pouvions

 16   aller nous promener à ce moment-là dans l'enceinte. Vous voyez le fil de

 17   fer barbelé, c'est un petit peu flou sur cette photo, où il y a deux femmes

 18   qui portent des foulards blancs, et entre les deux poteaux on voit la femme

 19   avec un foulard blanc.

 20   Mme DENNEHY : [interprétation] Je demande à ce que ce numéro 65 ter 6414

 21   soit versé au dossier, s'il vous plaît.

 22   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] S'agit-il là d'un autre document ?

 23   Mme DENNEHY : [interprétation] Oui, oui, tout à fait, il s'agit d'un

 24   document distinct.

 25   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Soit. Nous admettons le versement au

 26   dossier et le document recevra une cote.

 27   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce document reçoit la cote P2985,

 28   Messieurs Les Juges.


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  1   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

  2   Mme DENNEHY : [interprétation]

  3   Q.  Monsieur Loncar, y avait-il des prisonniers étrangers qui étaient

  4   détenus dans ce camp ?

  5   R.  Oui. Ce que je sais, c'est qu'il y avait deux Roumains, mais ils ne

  6   venaient pas de Vojvodine, ils venaient de Roumanie. Ils ne parlaient ni le

  7   croate, ni le serbe. Il y avait également deux hommes plus jeunes. Nous

  8   pensions qu'il s'agissait d'étudiants. Nous avons entendu quelque chose à

  9   cet effet, à savoir qu'ils venaient du Sri Lanka. Leur peau était noire et

 10   ils voyageaient en ex-Yougoslavie.

 11   Q.  Qu'est-il arrivé à ces hommes du Sri Lanka ?

 12   R.  Si nous revenons à ce que j'ai dit hier pendant ma déposition, ils

 13   étaient couchés tout au bout, ou plutôt, près de la porte de l'étable ou la

 14   grange et ont été exposés à des températures fort basses à cet endroit-là.

 15   Ils viennent d'un climat tel qu'ils n'ont pas l'habitude de températures

 16   aussi basses. Ils ont été torturés de façon incroyable. Je peux vous parler

 17   d'une ou deux choses qui étaient arrivées et qui restent gravées dans ma

 18   mémoire. La première chose, c'est qu'ils les ont frappés et les ont

 19   contraints à chanter des chants. Ils ne parlaient ni le croate, ni le

 20   serbe. Ils ne parlaient pas la langue. Ils ne connaissaient pas les chants.

 21   Ils ont été battus très violemment. Ensuite, les gardiens les ont fait

 22   allonger par terre et ils ont appelé leurs noms, et ils les ont frappés si

 23   violemment qu'à un moment donné les deux hommes sont tombés et ont perdu

 24   connaissance. Je me souviens de cela. J'ai eu tellement peur parce que le

 25   gardien a lancé : "Viens ici, Médecin", et j'ai pensé que c'était à mon

 26   tour d'être frappé. Cependant, au moyen d'une insulte, il m'a ordonné de

 27   vérifier si ces singes étaient toujours en vie. Je me suis penché vers eux

 28   et j'ai pris leur pouls. Fort heureusement, ils étaient encore en vie, et


Page 8245

  1   il m'ai dit : "Fous le camp, va-t'en." Ils ont été très violemment battus

  2   dans ce camp. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ces hommes. J'ai posé la

  3   question. Et, prétendument, leurs ambassades les ont recherchés, et je ne

  4   sais pas ce qui leur est arrivé.

  5   Q.  Je souhaite maintenant passer à une époque qui correspond à la période

  6   qui a suivi le temps que vous avez passé à Begejci. Combien de temps au

  7   total avez-vous passé dans le camp ?

  8   R.  Eh bien, je vous ai dit à quel moment je suis arrivé, et ensuite j'ai

  9   été échangé le 10 décembre, trois jours, disons jusqu'au 6 ou 7 octobre

 10   [comme interprété]. Un autocar est arrivé au camp, et ensuite ils ont

 11   commencé à appeler des noms. Ils ont appelé mon nom également. Nous sommes

 12   montés à bord d'un autocar, et ils nous ont dit que nous partions pour être

 13   échangés.

 14   Q.  Monsieur Loncar, je souhaite préciser. Avez-vous dit que vous êtes

 15   resté jusqu'au 6 ou 7 octobre, ou s'agit-il d'un autre 

 16   mois ?

 17   R.  Non, non. Pardon. Décembre. Non, non, décembre.

 18   Q.  Lorsque vous avez quitté Begejci le 6 ou 7 décembre, où vous êtes-vous

 19   rendu ?

 20   R.  Ce bus nous a emmenés jusqu'au camp de Stajicevo. L'autocar était

 21   quasiment plein. Nous étions là pendant une demi-heure. Nous ne sommes pas

 22   entrés dans le camp. Nous ne sommes pas descendus de l'autocar. Mais depuis

 23   la fenêtre, j'ai vu que cela ressemblait ou était quasi identique au camp

 24   de Begejci. Le Dr Emedi, de Vukovar, ainsi que d'autres personnes sont

 25   montées à bord de l'autocar et nous avons poursuivi notre route.

 26   Q.  Et où êtes-vous arrivé, accompagné de ce Dr Emedi de Vukovar ?

 27   R.  On nous a emmenés à Belgrade, à la prison militaire. Nous étions en

 28   détention préventive car nous faisions l'objet d'enquête. Ils nous ont


Page 8246

  1   d'abord placés dans une salle d'audience au rez-de-chaussée. Je ne

  2   connaissais pas ces personnes, ils ont commencé à appeler nos noms et nous

  3   ont emmenés dans différentes cellules.

  4   Q.  Et quand, pour finir, avez-vous été échangé ?

  5   R.  Le 10 décembre 1991.

  6   Q.  Et pourriez-vous nous parler des jours qui ont précédé votre échange à

  7   la date du 10 décembre ?

  8   R.  Lorsque nous sommes arrivés, ils nous ont placés dans différentes

  9   cellules. C'était une prison classique. Et je me souviens qu'à ce moment-

 10   là, j'étais dans la même cellule que le Dr Njavro, qui est mort depuis. Il

 11   y avait également un technicien de l'hôpital de Vukovar --

 12   L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas entendu le nom.

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] -- nous étions tous les trois dans cette

 14   pièce. Si je me souviens bien, il s'agissait du deuxième ou troisième étage

 15   de la prison. Et pendant le temps que j'ai passé là-bas, ces trois jours,

 16   ils nous ont fait sortir pour que nous puissions être échangés, et ils nous

 17   faisaient sortir tous les jours et la police militaire nous passait par les

 18   baguettes. J'étais frappé avec une matraque à chaque fois, à la tête, sur

 19   le corps. Et ensuite, il s'avérait que, pour une raison ou pour une autre,

 20   l'échange ne pouvait pas avoir lieu ou ils disaient que la Croatie ne

 21   voulaient pas de nous, et à ce moment-là nous retournions dans cette prison

 22   militaire de Belgrade. Et on répétait cela un jour après l'autre. Et ce

 23   n'est que le troisième jour après qu'on nous ait passés par les baguettes

 24   qu'ils ont ordonné à l'autocar de venir. Nous sommes allés à l'aéroport

 25   militaire de Batajnica. Et l'autocar était assez proche de cet avion

 26   militaire. C'était un avion de transport. Et on entrait par l'arrière. Ce

 27   n'était pas un avion de passagers, c'était un avion de transport. Et donc,

 28   nous étions passés par les baguettes par la police militaire à cet endroit-


Page 8247

  1   là également, et je me souviens bien qu'avant de monter à bord de l'avion,

  2   la dernière fois que j'ai été frappé par une matraque c'était à la tête et

  3   j'ai eu une douleur très aigue à la tête et près de l'oreille. Et

  4   finalement, nous sommes montés à bord de cet avion.

  5   Je ne sais pas qui était derrière moi à ce moment-là, mais c'était un

  6   général qui est monté à bord de l'avion, la porte arrière a été fermée, et

  7   nous avons décollé en direction de Zagreb.

  8   Q.  Quel était le nom du général qui est monté à bord de l'avion en même

  9   temps que vous ?

 10   R.  Je ne connaissais pas son nom à ce moment-là. Je connaissais son grade.

 11   J'ai déjà dit que j'ai fait mon service militaire dans l'ancienne JNA, donc

 12   je savais à quoi correspondaient les grades. A l'intérieur, il a commencé à

 13   donner des cigarettes à tout le monde, il s'est mis à parler et nous étions

 14   détendus. Nous n'avions plus besoin de garder la tête baissée. Je me

 15   souviens très bien, donc, de son visage. Et je l'ai vu à la télévision, à

 16   la télévision croate, par la suite. C'était le colonel Aleksandar

 17   Vasiljevic.

 18   Q.  Monsieur Loncar, je souhaite maintenant aborder brièvement avec vous ce

 19   que vous avez fait depuis votre remise en liberté. Comment votre détention

 20   a-t-elle eu un impact sur votre carrière professionnelle ?

 21   R.  Eh bien, tout ce que j'ai vécu et tout ce que j'ai vu m'a affecté. Et

 22   j'ai par la suite aidé ces personnes, d'une part, en protégeant les droits

 23   de l'homme, et d'autre part, en fournissant cette aide psychologique et

 24   sociale. Cet intérêt que j'ai eu s'est avéré être important, parce que

 25   personne ne s'est occupé de ces survivants, de ces victimes. J'ai commencé

 26   à m'occuper de cela tout de suite après mon échange, j'ai commencé à

 27   travailler avec les victimes et les survivants. De façon complètement

 28   spontanée, j'ai commencé à recueillir des déclarations de ces personnes.


Page 8248

  1   D'une part, je rassemblais des éléments d'information sur les violations du

  2   droit international humanitaire et des droits de l'homme; et d'autre part,

  3   c'était thérapeutique en même temps, car lorsqu'on est victime soi-même,

  4   cela n'est pas très agréable. Et lorsque les gens avaient l'habitude de

  5   consigner les choses par écrit, à ce moment-là ces personnes devenaient des

  6   témoins. Une victime se sent mieux, donc. Une victime ne se sent plus

  7   rejetée par la société, punie par la société dans ce cas, et ce sentiment

  8   de culpabilité que les victimes avaient. D'une manière ou d'une autre, pour

  9   la première fois, ces personnes, tout à coup, se sentaient utiles,

 10   socialement parlant, après avoir vécu des choses aussi traumatisantes.

 11   Q.  Quel était le nom de l'organisation que vous avez créée après votre

 12   libération de Begejci ?

 13   R.  Je vais répondre par deux phrases. Etant donné que j'avais rencontré le

 14   Dr Njavro à la prison militaire et que nous avons été échangés le même

 15   jour, je supposais qu'il connaissait le doyen de la faculté de médecine de

 16   l'Université de Zagreb, le Pr Kostic. Donc, moi, je suis devenu un de leurs

 17   collaborateurs et j'ai commencé à travailler pour eux en tant

 18   qu'indépendant. En même temps, j'ai travaillé au sein de ce département qui

 19   était placé sous la tutelle du ministère de la Santé à l'époque, et j'ai

 20   créé le centre médical des droits de l'homme, qui était rattaché à la

 21   faculté de médecine de l'Université de Zagreb.

 22   Q.  Et combien de patients a traités le centre des droits de l'homme depuis

 23   sa création ?

 24   R.  Eh bien, certaines personnes ont été traitées dans nos locaux, mais

 25   nous nous sommes également rendus dans des centres de réfugiés. Entre 3 000

 26   et 5 000 personnes ont été traitées.

 27   Q.  Je vous remercie, Monsieur Loncar.

 28   Mme DENNEHY : [interprétation] J'ai terminé avec cette question-là mon

 


Page 8249

  1   interrogatoire principal.

  2   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je vous remercie.

  3   Contre-interrogatoire, Maître Gosnell.

  4   M. GOSNELL : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.

  5   Bonjour, Messieurs les Juges.

  6   Contre-interrogatoire par M. Gosnell : 

  7   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Loncar.

  8   R.  Bonjour à vous.

  9   Q.  Je m'appelle Christopher Gosnell. J'ai quelques questions à vous poser

 10   ce matin. Si ces questions ne sont pas claires, veuillez m'en avertir et je

 11   ferai de mon mieux pour vous aider. Est-ce que vous m'avez compris ?

 12   R.  Merci.

 13    Q.  Vous avez dit dans votre déposition que vous avez eu votre dernier

 14   interrogatoire au bâtiment du SUP de Novi Sad à la date des 4, 5 ou 6

 15   novembre 1991 - ceci se trouve à la page du compte rendu d'audience 8 204 -

 16   et qu'après cela, vous avez été emmené à Paragovo, dans le secteur de

 17   Fruska Gora; est-ce exact ?

 18   R.  Oui. Mais hier --

 19   Q.  Dans quel pays se trouve Paragovo ?

 20   R.  Paragovo se trouve dans la République de Serbie.

 21   Q.  A quelle distance se trouve Paragovo par rapport à Ilok ?

 22   R.  Eh bien, je n'y ai été jamais moi-même, mais c'est plus proche de Novi

 23   Sad et il s'agit d'une route qui se trouve du côté Srem. Et je peux vous le

 24   dire en termes de temps, il s'agit d'une demi-heure, 45 minutes en voiture.

 25   Il s'agit d'une estimation un peu libre.

 26   Q.  Vous avez dit que lorsque vous étiez à Paragovo, vous avez été

 27   interrogé par trois commandants du KOS. Vous ont-ils jamais donné leurs

 28   noms ou avez-vous jamais entendu prononcer leurs noms lors de ces


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  1   interrogatoires ?

  2   R.  Non. Non, ils n'ont jamais donné leurs noms. Je ne connaissais que

  3   leurs grades parce qu'ils portaient des uniformes avec des grades et des

  4   insignes que je connaissais depuis le moment où j'avais mon service

  5   militaire dans la JNA. C'est la raison pour laquelle j'ai parlé trois

  6   commandants. Je ne connais pas leurs noms.

  7   Q.  Et les installations à Paragovo étaient-elles tenues par la police

  8   militaire ?

  9   R.  Je dois être clair sur ce point. Nous ne pouvions pas circuler

 10   librement, mais oui, il s'agissait de la police militaire qui montait la

 11   garde de cette installation-là. Ils avaient les insignes "VP".

 12   Q.  Et les officiers qui vous ont emmené du SUP de Novi Sad à Paragovo,

 13   s'agissait-il d'officiers de police ? De policiers militaires ? Quelle

 14   était leur appartenance ou leur identité ?

 15   R.  Non, ils étaient en civil. Ils ne portaient pas d'uniformes. Ils

 16   étaient en habits civils et ils voyageaient dans une voiture civile. Donc

 17   il ne s'agissait pas de personnel militaire.

 18   Q.  Hier, vous avez parlé de leur appartenance, vous avez dit qu'ils

 19   appartenaient à la police secrète. Est-ce que vous entendez par là la DB

 20   serbe, le service de Sûreté de l'Etat ?

 21   R.  Oui. Je suis convaincu que c'était le cas. Si vous me permettez de

 22   faire une digression. Nous avons appris certains éléments ou analyses de

 23   médecine légale à la faculté de médecine et nous savions ce que faisait la

 24   police judiciaire parce que nous coopérions avec eux. Je suis sûr que ces

 25   personnes-là ne venaient pas de la police judiciaire mais de la police

 26   secrète, qui rassemblait des renseignements.

 27   Q.  Vous avez dit dans votre déposition hier que - à la page du compte

 28   rendu d'audience qui n'est pas définitif, page 68 - que l'un de ces


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  1   commandants qui vous ont interrogé à Paragovo vous a dit qu'il avait

  2   fouillé votre maison familiale. Est-ce que vous entendez par là votre

  3   maison familiale à Ilok ?

  4   R.  Oui, oui, à Ilok.

  5   Q.  Est-ce qu'ils vous ont expliqué à un moment donné pourquoi ils étaient

  6   intéressés par votre maison familiale à Ilok ?

  7   R.  Non. Non, ils ne recherchaient pas quelque chose de précis. J'ai

  8   toujours dit la vérité. Je leur ai dit que j'étais avant tout médecin, que

  9   je n'avais absolument rien à voir avec aucune activité militaire. Comme je

 10   vous l'ai dit hier et je peux, en fait, modifier ce que j'ai dit, j'ai dit

 11   que j'avais été interrogé par un lieutenant qui ne m'a pas battu, mais

 12   hormis le fait qu'ils n'avaient aucun élément leur permettant de me

 13   traduire en justice, il a également dit que j'étais le chef d'une unité qui

 14   avait un nom croate. Et je lui ai répondu : "Non, je n'ai jamais fait ça."

 15   Parce que même lorsque j'ai fait mon service militaire qui était

 16   obligatoire au sein de la JNA, j'avais été affecté au service médical.

 17   Q.  Mais outre l'information que vous avez reçue de ce commandant qui vous

 18   avait dit que votre maison de famille avait été perquisitionnée à Ilok,

 19   est-ce que vous avez jamais appris d'une source quelconque le rôle que le

 20   KOS aurait pu avoir dans la reddition d'Ilok et dans le départ de la grande

 21   majorité de la population civile à la suite de cette reddition ?

 22   R.  A ce moment-là, ou plutôt, je vais, si vous m'y autorisez, vous

 23   répondre en deux temps. Alors, je vais faire référence à ma détention au

 24   camp, puis ensuite je donnerai des informations que j'ai obtenues par la

 25   suite dans des documents. Pendant que je me trouvais au camp, sur la base

 26   des questions qu'ils me posaient, j'en ai conclu que ce qu'ils les

 27   intéressaient était les questions militaires et que leur objectif était de

 28   s'emparer d'Ilok et des environs d'Ilok. Et c'est ainsi qu'ils ciblaient en


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  1   quelque sorte leurs questions, parce qu'ils me demandaient ce que je savais

  2   à propos d'Ilok et des environ d'Ilok. Et puis, deuxièmement, si les Juges

  3   de la Chambre veulent bien l'entendre, je peux également vous indiquer ce

  4   que j'ai appris lorsque j'ai mené à bien mon enquête à propos des

  5   violations des droits de l'homme.

  6   Q.  Non, Docteur Loncar. Je pense que nous n'allons pas nous intéresser à

  7   cela. Mais je vous remercie de votre réponse.

  8   J'aimerais savoir si les commandants étaient les seuls qui vous ont battu

  9   ou qui ont battu les autres prisonniers ? Ou est-ce que la police militaire

 10   a également participé à ces passages à tabac à Paragovo ?

 11   R.  La police militaire a également participé à cela. Je m'en souviens

 12   parce que je ne m'attendais pas que des officiers si haut gradés tombent si

 13   bas. Voilà comment je m'en souviens.

 14   Q.  Est-ce que vous avez vu -- ou est-ce que vous-même, vous avez pu

 15   constater que l'un ou l'autre de ces trois commandants donnait l'ordre aux

 16   policiers militaires de vous battre ou de rouer de coups les autres ?

 17   R.  Non. Non, non. Ce type d'ordre n'a pas été donné en ma présence, mais

 18   d'après leur façon d'agir, je pouvais en conclure qu'ils n'agissaient pas

 19   de façon spontanée.

 20   Q.  Est-ce que la police militaire vous a roué de coups ou a roué de coups

 21   d'autres personnes en présence de ces commandants ?

 22   R.  Oui, cela s'est passé.

 23   Q.  Est-ce que cela vous est arrivé ?

 24   R.  Non. Non, cela ne m'est pas arrivé. Je n'ai pas été roué de coups en

 25   présence des commandants. Là, je vous parle de Paragovo. Lorsque j'ai été

 26   roué de coups, il n'y avait personne qui était présent.

 27   Q.  Vous avez indiqué que ces commandants vous ont giflé. Est-ce que je

 28   comprends bien ce que vous vouliez dire, que les trois commandants vous ont


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  1   giflé ?

  2   R.  Il y avait ces deux commandants qui étaient présents le premier et le

  3   deuxième jour. Le troisième commandant, qui apparemment avait

  4   perquisitionné ma maison, m'a insulté et a proféré des propos très durs,

  5   mais il ne m'a pas roué de coups.

  6   Q.  Il vous a menacé, le troisième commandant ?

  7   R.  Oui, il y avait quand même des menaces implicites. Les jurons qu'ils

  8   proféraient avaient également une connotation menaçante.

  9   Q.  Est-ce qu'il a menacé votre famille ?

 10   R.  Ils m'ont posé des questions à propos de ma famille. Très heureusement,

 11   ma famille avait quitté Ilok dans le cadre d'un convoi le 17 octobre.

 12   Personne parmi mes proches n'est resté à Ilok.

 13   M. GOSNELL : [interprétation] Est-ce que nous pourrions avoir le document

 14   qui figure à l'onglet 12 de la liste de l'Accusation, qui est le document

 15   P2981.

 16   Q.  Il s'agit du récépissé que vous avez pu examiner lors de votre

 17   interrogatoire principal. Voilà, il va être affiché sur votre écran. Il

 18   s'agit donc de ce récépissé pour des objets qui sont confisqués à titre

 19   provisoire.

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Si vous prenez la page 2 de la version anglaise - mais laissez la

 22   première page de la version B/C/S - et vous regardez ce qui est écrit, il

 23   est écrit :

 24   "Bons pour argent."

 25   Donc, 500 000 dinars, vous avez un premier bon. Ensuite, vous avez 100 000

 26   dinars, 500, puis 100 dinars.

 27   Qu'est-ce que ces bons représentaient ?

 28   R.  Ecoutez, je dois vous dire que là ma mémoire me fait un peu défaut. Je


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  1   ne sais pas. Il y avait d'ailleurs des bons qui étaient en circulation

  2   comme cela, mais je ne sais pas si c'était des bons que l'on pouvait

  3   échanger contre de l'essence ou d'autres biens. Peut-être que c'était des

  4   bons que l'on pouvait échanger contre de la nourriture. Pour autant que je

  5   m'en souvienne, et là je fais appel à ma mémoire, ces bons étaient émis à

  6   la place d'argent pour des produits pour lesquels il y avait pénurie.

  7   Q.  Mais est-ce que vous avez reçu ces bons de la part des autorités d'Ilok

  8   lorsque vous vous trouviez à Ilok pendant le mois de septembre 1991 ?

  9   R.  Non, non. Non, non. Cela s'est passé à Novi Sad.

 10   Q.  Et qui vous a donné ces bons à Novi Sad ?

 11   R.  En fait, je pense que je les ai reçus au travail. Peut-être même par le

 12   biais du syndicat. Je ne m'en souviens pas véritablement. Je sais que ces

 13   bons n'avaient pas une très grande valeur.

 14   Q.  Est-ce que vous vous souvenez qu'il y avait un programme de travail

 15   obligatoire qui était en vigueur à Ilok en septembre 1991 lorsque vous vous

 16   trouviez là-bas ?

 17   R.  Non. Non, je ne suis pas au courant. Enfin, personnellement, je ne suis

 18   pas au courant.

 19   Q.  Je ne vous ai pas demandé si vous y avez participé. Je vous ai demandé

 20   si vous saviez, si vous étiez informé de l'existence de ce programme, si

 21   quelqu'un vous en a parlé, si vous étiez au courant de l'existence de ce

 22   programme de travail obligatoire qui était en vigueur à Ilok en septembre

 23   1991 ?

 24   R.  Non, pas d'après ce que je sais.

 25   Q.  Donc les autorités civiles à Ilok, au vu des circonstances pénibles qui

 26   prévalaient dans cette ville, n'ont pas pris sur elles d'organiser la

 27   population civile pour qu'elle exécute différentes tâches pour la ville ?

 28   R.  Je dois vous avouer, en fait, que je n'avais pas véritablement des


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  1   relations très étroites avec les autorités de la ville parce que mes

  2   activités se limitaient essentiellement au dispensaire. Si vous faites

  3   référence aux logements qui avaient été mis à la disposition des personnes

  4   déplacées qui venaient des villages avoisinants, là je pourrais peut-être

  5   vous dire quelque chose à ce sujet. Mes parents m'avaient dit que chez

  6   nous, nous avions logé entre cinq à dix personnes, parce que nous avions

  7   également un sous-sol. Mais bon, je ne sais pas ce qu'il en est du reste.

  8   Q.  Mais qui avait organisé cela ?

  9   R.  Mes parents ne me l'ont jamais dit. Je pense que cela s'est fait de

 10   façon plus ou moins spontanée, mais bon, c'est une supposition de ma part.

 11   On faisait appel aux gens pour voir s'ils étaient en mesure de recevoir ces

 12   personnes déplacées, si tant est qu'ils le pouvaient. De toute façon, tout

 13   le monde avait peur, donc ils passaient tous les nuits dans les sous-sols

 14   ou dans les caves. C'est ce que mes parents m'ont dit lorsqu'ils étaient

 15   encore en vie.

 16   Q.  Est-ce que vous avez jamais récupéré les objets qui figurent sur ce

 17   récépissé ? Est-ce que vous les avez reçus ou récupérés, ces objets, de la

 18   part des autorités du camp de Begejci ?

 19   R.  J'ai signé un document, mais la seule chose que j'ai récupérée, c'est

 20   ma pièce d'identité, ma carte d'identité, mon permis de conduire et le

 21   certificat d'immatriculation de mon véhicule. Et tout cela, je les ai

 22   ramenés à Zagreb.

 23   M. GOSNELL : [interprétation] Est-ce que nous pourrions avoir le document

 24   qui se trouve à l'onglet 3 de la liste de la Défense. Document de la liste

 25   65 ter 05230.

 26   Q.  En attendant que ce document ne soit affiché, j'aimerais vous poser une

 27   question, Docteur : est-ce qu'il est exact de dire qu'en 1999, votre

 28   famille est revenue dans son domicile d'Ilok ?


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  1   R.  Oui.

  2   Q.  Et est-ce qu'ils ont pu revenir dans la maison où ils avaient vécu

  3   jusqu'en octobre 1991 ?

  4   R.  Si vous me parlez de ma famille, mon beau-frère est le premier à être

  5   rentré là-bas. Notre maison familiale et la maison de mes deux sœurs et de

  6   leurs familles se trouvent dans la même rue, très proches les unes des

  7   autres. Donc mon beau-frère est revenu et deux personnes âgées serbes se

  8   trouvaient là. Pendant un moment, ils ont vécu ensemble. Et puis, un jour,

  9   après un certain temps, je ne sais pas combien de temps cela a duré, ils

 10   sont partis. Mais pendant cette période, ils ont vécu dans la même maison.

 11   Q.  Et ces personnes âgées serbes, d'où venaient-elles ? Elles étaient

 12   originaires d'où, si vous le savez ?

 13   R.  Je n'en suis pas sûr, mais je crois que ces personnes venaient de

 14   Slavonie occidentale. C'est ce que j'avais conclu d'après ce que m'avait

 15   dit mon beau-frère, mais en tout cas, c'est une hypothèse.

 16   Q.  Vous avez parlé de votre beau-frère qui est rentré, vous avez également

 17   parlé des maisons de vos deux sœurs qui se trouvaient dans la même rue.

 18   Est-ce que je comprends bien que nous parlons ici de trois maisons dans

 19   lesquelles sont revenus les membres de votre famille au total ?

 20   R.  Oui, mais toutes les maisons n'étaient pas dans un état qui permettait

 21   d'y vivre, ce qui était le cas de la maison de mes parents, qui a été

 22   saccagée.

 23   Q.  Et lorsque vous dites "saccagée", que voulez-vous dire exactement ?

 24   R.  Comment puis-je vous le dire ? On avait enlevé les portes et les

 25   fenêtres, et donc il était difficile d'y vivre avant de faire des

 26   réparations.

 27   Q.  La maison n'avait pas été brûlée, n'est-ce pas ?

 28   R.  Non.


Page 8257

  1   Q.  Et dans quel état se trouvaient les deux autres maisons de votre

  2   famille ?

  3   R.  Ces maisons-là avaient été endommagées également, mais je dois ajouter

  4   que mes parents avaient une maison ancienne et une maison neuve sur le même

  5   terrain. Et pour ce qui est de l'ancienne maison où vivaient mes parents,

  6   eh bien, ils y habitaient comme lorsqu'ils ont dû quitter Ilok. Et lorsque

  7   nous sommes revenus, à un moment donné nous avons construit une nouvelle

  8   maison, mais on ne pouvait pas y vire, comme je l'ai dit, parce qu'il n'y

  9   avait pas de portes, il n'y avait pas de fenêtres. Et la maison ancienne

 10   était dans un tel état qu'il a fallu la démolir. On ne pouvait pas procéder

 11   aux réparations nécessaires car les murs de soutènement avaient été fort

 12   endommagés.

 13   Q.  Et donc, la maison de vos parents, cette maison ancienne et cette

 14   nouvelle maison, est-ce que ces maisons étaient vides lorsque vous êtes

 15   revenus ou quelqu'un y vivait-il ?

 16   R.  Oui, ces maisons étaient vides, ces maisons qui appartenaient à mes

 17   parents.

 18   Q.  Donc ces deux maisons qui ont été occupées étaient en meilleur état que

 19   les maisons qui étaient vides, n'est-ce pas ?

 20   R.  Oui.

 21   M. GOSNELL : [interprétation] Est-ce que nous pourrions regarder la page 2

 22   de la version B/C/S du document que nous avons sous les yeux, s'il vous

 23   plaît.

 24   Q.  Il s'agit là, Monsieur Loncar, d'un document qui émane de la RSK et qui

 25   est daté du 15 septembre 1992. Je ne suis pas en train de dire que vous

 26   avez déjà vu ce document. Je suis sûr que vous ne l'avez pas vu. Mais ce

 27   document parle --

 28   R.  Non, je ne l'ai pas vu.


Page 8258

  1   Q.  Ce document parle de ce qui s'est passé lors de l'absence de vos

  2   parents à Ilok sur un plan purement juridique. Et en bas, à la fin du

  3   deuxième paragraphe, il est indiqué que :

  4   "Il n'y a pas eu de cas où la confiscation de biens a été prononcée,

  5   autrement dit, qu'il s'agit d'une peine complémentaire, et rien de ce genre

  6   n'a été consigné."

  7   On parle des biens - je vous demande de bien vouloir passer à la page 3 -

  8   des biens laissés par les réfugiés. Et page 2 de l'anglais :

  9   "D'un autre côté, il faut comprendre qu'un certain nombre d'individus ont

 10   disparu du territoire de la République de Croatie et que ces individus se

 11   sont installés dans des bâtiments de la République de la Krajina serbe qui

 12   avaient précédemment été abandonnés pour différentes raisons par leurs

 13   propriétaires. Cette mesure - à savoir, cette installation provisoire

 14   essentiellement pour des raisons humanitaires - ne donne pas un droit aux

 15   habitants provisoires de considérer que ces biens sont les leurs."

 16   Tout d'abord, je souhaite vous poser cette question-ci : les personnes

 17   âgées serbes que votre famille a rencontrées lorsqu'elle est revenue, ces

 18   personnes ont-elle jamais indiqué qu'elles pensaient être les propriétaires

 19   de ces maisons ?

 20   R.  Non. On ne pouvait pas vivre dans la maison de mes parents, mais pour

 21   ce qui est de la maison de mon beau-frère, eh bien, il y avait ces

 22   personnes et je les ai vues. C'étaient des personnes âgées, elles avaient

 23   des poules et avaient des relations normales avec mon beau-frère pendant le

 24   court laps de temps où ils ont habité là. Et ils ont dit qu'ils allaient

 25   partir dès que leur problème serait résolu. C'est en tout cas ce que m'a

 26   dit mon beau-frère. Je ne sais pas où ils sont allés. Je suppose qu'ils

 27   sont rentrés chez eux.

 28   Q.  Donc ils ont compris qu'ils étaient dans votre maison à titre


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  1   provisoire, n'est-ce pas ?

  2   R.  C'est ce que j'ai compris.

  3   M. GOSNELL : [interprétation] Je demande le versement de ce document, s'il

  4   vous plaît, Monsieur le Président.

  5   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Ce document sera versé au dossier et

  6   recevra une cote.

  7   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agit de la pièce D102, Messieurs

  8   les Juges.

  9   M. GOSNELL : [interprétation]

 10   Q.  Je souhaite maintenant aborder du sujet que vous avez abordé ce matin,

 11   à savoir votre départ de l'aéroport de Batajnica. Et ensuite, vous avez dit

 12   avoir reçu un coup à l'arrière de la tête ou quelque part à la tête à

 13   l'aide d'une matraque et qu'il y avait un général, et vous vous êtes rendu

 14   compte que ce général était là dans l'avion ou derrière vous. Ce général a-

 15   t-il remarqué que vous aviez été frappé à la tête avec une matraque ?

 16   R.  Je suis tout à fait sûr qu'il a dû le voir car la distance n'était pas

 17   très grande. J'étais un des derniers à monter à bord de l'avion et on nous

 18   a passés par les baguettes. Et, bien sûr, j'ai senti ma propre douleur, je

 19   n'ai pas senti la douleur des autres, mais d'autres ont été frappés

 20   également et c'était impossible de ne pas le voir.

 21   Q.  Est-ce que vous dites qu'il aurait certainement vu que vous étiez passé

 22   par les baguettes au moment où tous les prisonniers montaient à bord de

 23   l'avion ?

 24   R.  Oui, c'est mon opinion. Cette rangée que formaient ces hommes allait de

 25   l'autocar à l'endroit où on montait dans l'avion et les derniers dans la

 26   colonne. J'étais le dernier dans la colonne à monter à bord de l'avion, et

 27   à un moment donné j'ai vu cet officier quelque part qui était derrière moi.

 28   Et lorsque j'étais dans l'avion, j'ai vu son visage ainsi que son grade.


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  1   Q.  Vous avez dit par la suite que vous avez reconnu qu'il s'agissait du

  2   général Vasiljevic. Avez-vous entendu le général Vasiljevic dire à ces

  3   soldats qui vous passaient par les baguettes de cesser ce qu'ils étaient en

  4   train de faire ?

  5   R.  Cet officier, et je ne savais pas de qui il s'agissait à l'époque, n'a

  6   rien dit. Il est simplement monté à bord de l'avion, et ensuite il a

  7   commencé à nous parler comme si de rien n'était. Ce n'est que plus tard que

  8   j'ai découvert, après avoir enquêté sur la question, et je l'ai également

  9   vu à la télévision, car nous avons été échangés pour ce qui avait été

 10   appelé le groupe Labrador. C'est ce que je sais des médias, hein, ce n'est

 11   pas quelque chose que j'ai vu de mes propres yeux. Ce groupe Labrador était

 12   un groupe du KOS. D'après les reportages dans les médias, ils avaient placé

 13   un engin explosif à l'entrée de l'endroit où vivait la communauté juive de

 14   Zagreb. Et je répète que j'ai appris tout ceci des médias. Ils ont confirmé

 15   que le général Aleksandar Vasiljevic était venu pour nous échanger contre

 16   le groupe Labrador.

 17   Q.  Le KOS avait-il mauvaise réputation, d'après ce que vous saviez en

 18   1991, actes de brutalité, sabotage, actes de violence, et cetera ?

 19   R.  D'après ce que je sais, il n'était pas populaire.

 20   Q.  Alors, veuillez prêter attention à ma question, s'il vous plaît : est-

 21   ce qu'ils avaient la réputation de se livrer au terrorisme, à des actes

 22   brutaux, et cetera ?

 23   R.  Oui, c'est ce que j'ai entendu dire. Je ne peux vous dire avec

 24   certitude qu'ils agissaient ainsi, mais un de mes collègues à l'endroit où

 25   je travaillais m'a dit que le KOS en Slavonie occidentale avait endossé les

 26   uniformes de la HV et avait violemment violé une femme, et ils l'ont filmé

 27   pour montrer comment agissaient prétendument les soldats croates. Mais là,

 28   je vous relate un récit dont j'ai entendu parler.


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  1   M. GOSNELL : [interprétation] 1D773, s'il vous plaît. Onglet numéro 4, s'il

  2   vous plaît.

  3   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Madame Dennehy.

  4   Mme DENNEHY : [interprétation] L'Accusation s'oppose à l'utilisation de

  5   cette pièce, et je crains que mes objections ne puissent être entendues

  6   qu'en l'absence du témoin.

  7   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Bien.

  8   M. GOSNELL : [interprétation] Pardonnez-moi si j'interviens, Monsieur le

  9   Président, mais en réalité, il n'y a aucune raison pour que le témoin

 10   quitte le prétoire et aucune raison pour que ceci soit entendu à huis clos

 11   partiel si nous prêtons attention à la manière dont nous posons nos

 12   questions.

 13   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Eh bien, nous ne le saurons qu'après

 14   avoir entendu les arguments de Mme Dennehy.

 15   M. GOSNELL : [interprétation] Je le suppose. Mais je vais peut-être

 16   demander à mon éminente consœur de vérifier si cela est vraiment nécessaire

 17   ou pas.

 18   Mme DENNEHY : [interprétation] L'Accusation s'est penchée sur cette

 19   question et je ne souhaite pas aborder plus avant cette question en

 20   présence du témoin.

 21   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Monsieur Loncar, nous allons vous

 22   demander de quitter le prétoire pendant quelques instants. L'huissier va

 23   vous raccompagner.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 25   [Le témoin quitte la barre]

 26   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Madame Dennehy, je ne suis pas très

 27   certain, avez-vous demandé à aller à huis clos 

 28   partiel ?

 


Page 8262

  1   Mme DENNEHY : [interprétation] Non, je l'ai pas encore demandé, mais je

  2   souhaite que nous passions à huis clos partiel.

  3   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Huis clos partiel, s'il vous plaît.

  4   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,

  5   Messieurs les Juges.

  6   [Audience à huis clos partiel]

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 13  Pages 8263-8264 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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 22   [Audience publique]

 23   Nouvel interrogatoire par Mme Dennehy :

 24   Q.  [interprétation] Docteur Loncar, mon estimé confrère vous a posé une

 25   question à propos de la présence du général Vasiljevic lors de votre

 26   transfert jusqu'à Zagreb -- enfin, de Belgrade à Zagreb. Alors, voilà ce

 27   que j'aimerais savoir : est-ce que le général Vasiljevic vous a donné quoi

 28   que ce soit, à vous ou aux prisonniers qui se trouvaient avec vous à bord

 


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  1   de l'avion ?

  2   R.  Oui. Dans cet avion, il nous a offert des cigarettes. A cette époque,

  3   je fumais. Nous fumions tous pour la plupart. Et donc, j'ai accepté sa

  4   cigarette.

  5   Q.  Et quel fut son comportement vis-à-vis de vous ou vis-à-vis des autres

  6   prisonniers à bord de cet avion ?

  7   R.  Dans l'avion, son comportement était des plus normaux. Je ne peux pas

  8   vous dire qu'il était arrogant, non. Comment pourrais-je m'exprimer ? Il

  9   nous a parlé tout à fait normalement.

 10   Q.  Je vous remercie, Docteur Loncar.

 11   Mme DENNEHY : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai terminé avec

 12   mes questions supplémentaires.

 13   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je vous remercie.

 14   [La Chambre de première instance se concerte]

 15   Questions de la Cour : 

 16   M. LE JUGE MINDUA : Oui, Monsieur le Témoin, j'ai juste deux petites

 17   questions de clarification. Pendant votre témoignage, vous avez mentionné

 18   que vous avez eu l'occasion de soigner ou d'essayer de réanimer un détenu

 19   au camp de Begejci. Mais lorsque vous avez présenté votre CV, vous aviez

 20   évidemment expliqué que vous êtes psychiatre et spécialiste en

 21   psychotraumatologie. Mais pour mon information personnelle, est-ce que vous

 22   avez aussi étudié la médecine générale ? Vous êtes docteur en médecine ?

 23   R.  Alors, je vous dirais, Monsieur le Juge, que dans un premier temps j'ai

 24   dû avoir un diplôme de médecine générale, à savoir pour devenir un

 25   généraliste. Puis, j'ai dû faire mon internat pendant une année. Donc j'ai

 26   dû dans un premier temps étudier ou me trouver dans différentes cliniques,

 27   et puis ensuite j'ai dû réussir à un examen, un examen d'Etat, un examen

 28   professionnel, afin de pouvoir travailler comme médecin généraliste.

 


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  1   Ensuite, j'ai fait cette formation de psychiatrie pendant trois ans. Donc,

  2   après avoir obtenu mon diplôme médical, je me suis spécialisé dans le

  3   domaine de la psychiatrie pendant trois années supplémentaires.

  4   M. LE JUGE MINDUA : Merci beaucoup. Ça, c'est merveilleux.

  5   Ma deuxième petite question. Lorsque vous avez été arrêté devant le

  6   domicile de votre ami - c'était, je crois, à Novi Sad - les policiers vous

  7   ont posé la question de savoir si vous aviez des liens avec la communauté

  8   hongroise. Savez-vous pourquoi cette question vous avait été posée ?

  9   R.  Monsieur le Juge, vous savez, je peux tout simplement me livrer à des

 10   conjectures. L'une des suppositions que j'ai à propos de cette question, et

 11   pourquoi ils m'ont posé la question, c'est qu'en Vojvodine il y avait une

 12   forte résistance à la mobilisation à l'époque. Et cela, donc, parmi la

 13   population serbe, mais également parmi les minorités ethniques et parmi la

 14   population serbe qui ne voulait pas aller à la guerre. Alors, est-ce que

 15   c'est pour cela qu'ils voulaient découvrir quelque chose ? Je n'en sais

 16   rien. C'est une supposition de ma part.

 17   M. LE JUGE MINDUA : D'accord. Merci beaucoup. Merci.

 18   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Monsieur Loncar, vous êtes maintenant

 19   arrivé au terme de votre déposition. Je vous remercie d'être venu à La Haye

 20   pour répondre à nos questions. Vous pouvez maintenant disposer en tant que

 21   témoin, et nous vous souhaitons un bon retour chez vous. M. l'Huissier va

 22   vous accompagner hors du prétoire. Merci.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.

 24   [Le témoin se retire]

 25   M. LE JUGE DELVOIE : [aucune interprétation]

 26   --- L'audience est levée à 10 heures 44 et reprendra le lundi 9

 27   septembre 2013, à 9 heures 00.

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