Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 20 février 2014

  2   [Jugement - Règle 98 bis]

  3   [Audience publique]

  4   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 15 heures 33.

  6   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous dans le

  7   prétoire et à l'extérieur du prétoire.

  8   Madame la Greffière, je vous prie, veuillez citer l'affaire, s'il vous

  9   plaît, nous allons commencer par cela.

 10   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges, il s'agit

 11   de l'affaire IT-04-75-T, le Procureur contre Goran Hadzic.

 12   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Je vous remercie.

 13   La présentation des parties, s'il vous plaît, à commencer par l'Accusation,

 14   s'il vous plaît.

 15   M. STRINGER : [interprétation] Je vous remercie, Messieurs les Juges.

 16   Douglas Stringer, Sarah Clanton, [inaudible] notre commis à l'affaire, et

 17   notre stagiaire, Andrew Ozanian.

 18   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Merci.

 19   Du côté de la Défense, Maître Gosnell.

 20   M. GOSNELL : [interprétation] Christopher Gosnell, et accompagné de Jolana

 21   Makraiova, et Liane Aronchick, représentant les intérêts de M. Hadzic.

 22   M. LE JUGE DELVOIE : [interprétation] Aujourd'hui, la Chambre de première

 23   instance va rendre sa décision sur la demande d'acquittement présentée par

 24   la Défense en vertu de l'article 98 bis.

 25   Le 16 décembre 2013, la Défense a demandé en vertu de l'article 98 bis du

 26   Règlement de procédure et de preuve du Tribunal l'acquittement

 27   d'accusations précises contenu dans les chefs 2 à 9 de l'acte d'accusation.

 28   L'Accusation a répondu le 18 décembre 2013.


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  1   La Chambre de première instance rappelle que l'article 98 bis, tel

  2   qu'amendé en 2004, prévoit qu'à la fin de la présentation des moyens à

  3   charge, la Chambre de première instance doit, par décision orale et après

  4   avoir entendu les arguments oraux des parties, prononcer l'acquittement de

  5   tout chef d'accusation pour lequel il n'y a pas d'éléments de preuve

  6   susceptibles de justifier une condamnation.

  7   La Défense a présenté des arguments dans le cadre de l'article 98 bis

  8   et a fait valoir que l'article autorise la Chambre à examiner le contenu du

  9   chef d'accusation pour constater si un accusé peut être acquitté pour une

 10   partie du chef. La Défense fait valoir que si la Chambre est de cet avis,

 11   elle doit acquitter Goran Hadzic des accusations précises contenues dans

 12   les chefs 2 à 9 de l'acte d'accusation, à savoir ceux qui portent sur les

 13   événements d'Opatovac, Lovas, Velepromet et Ovcara, car les éléments de

 14   preuve établissant un lien entre Hadzic et les crimes sont insuffisants et

 15   ne permettent pas d'établir une condamnation. La Défense a également fait

 16   valoir que la Chambre de première instance devrait acquitter Hadzic

 17   d'accusations précises contenues dans les chefs 5 à 9 lorsque celles-ci

 18   portent sur les centres de détention qui se situent sur le territoire de

 19   Serbie, car l'Accusation n'a pas su établir que le droit international

 20   humanitaire s'appliquait aux crimes prétendument commis en Serbie.

 21   Dans sa réponse, l'Accusation a demandé à la Chambre de première instance

 22   de rejeter ce qu'elle a décrit comme étant une demande parcellaire et

 23   fondée sur des événements en vertu de l'article 98 bis. L'Accusation a

 24   instamment prié la Chambre de refuser de prononcer un acquittement

 25   s'agissant d'accusations précises contenues dans les chefs 2 à 9 qui ont

 26   été contestées par la Défense. Elle fait valoir que l'approche proposée par

 27   la Défense n'était pas seulement contraire au libellé et à l'intention de

 28   l'article 98 bis, mais également contraire à la manière dont d'autres


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  1   Chambres de première instance ont toujours interprété et appliqué l'article

  2   depuis son amendement en 2004. L'Accusation a fait valoir qu'il y avait une

  3   pléthore d'éléments de preuve de la responsabilité pénale de Hadzic

  4   concernant tous les chefs reprochés et qu'il ne faut prononcer un

  5   acquittement sur aucune des accusations ou des chefs d'accusation.

  6   La Chambre de première instance va maintenant aborder les arguments de la

  7   Défense sur le champ d'application de l'article 98 bis. Même si la Chambre

  8   de première instance a déclaré qu'elle estimait, en se fondant sur

  9   l'ensemble des éléments de preuve, qu'aucun des 14 chefs d'accusation

 10   retenus contre l'accusé n'ont été prouvés, elle n'a pas demandé un

 11   acquittement complet, voire même un acquittement d'un seul chef dans sa

 12   totalité. Au lieu de cela, la Défense a seulement demandé l'acquittement

 13   d'accusations identifiées au sein des chefs 2 à 9 de l'acte d'accusation.

 14   La Défense fait valoir que la Chambre n'est pas tenue par le cadre limité

 15   des chefs d'accusation, tels que développés dans l'acte d'accusation, au

 16   moment de déterminer quelle partie du dossier doit être entendue et que

 17   d'autres Chambres de première instance se sont penchées sur le contenu des

 18   chefs d'accusation pour examiner si une partie d'un chef pouvait être

 19   rejetée en vertu de l'article 98 bis. La Défense a fait valoir que la

 20   Chambre doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour lui permettre

 21   d'identifier et d'analyser les événements individuels reprochés dans l'acte

 22   d'accusation, indépendamment du fait de savoir si lesdits événements ont

 23   été caractérisés comme des composantes d'un chef plus important par

 24   l'Accusation. D'après la Défense, une telle approche convient pour les

 25   besoins de l'article 98 bis et est plus juste envers la Défense.

 26   A cet égard, la Défense fait valoir que la procédure 98 bis est un

 27   instrument d'efficacité qui permet aux Chambres d'éliminer des accusations

 28   ou des chefs d'accusation qui sont sans fondement, n'imposant donc pas à la


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  1   Défense la nécessité de présenter des éléments de preuve en réplique. La

  2   Défense fait valoir qu'il serait paradoxal, au vu de l'objectif de

  3   l'article 98 bis, qu'une Chambre se trouve dans l'incapacité de décider que

  4   certaines accusations particulières, individuelles et identifiables ne

  5   doivent pas être retenues lorsqu'il n'y a pas d'éléments de preuve

  6   susceptibles de justifier une condamnation à l'égard de celles-ci.

  7   La Chambre note qu'avant son amendement, l'article prévoyait expressément

  8   qu'une Chambre de première instance pouvait prononcer un acquittement dans

  9   le cas où la Chambre constatait que les éléments de preuve étaient

 10   insuffisants pour justifier une condamnation à l'égard d'accusations

 11   contestées. La formulation actuelle de l'article insiste sur l'acquittement

 12   de tout chef s'il n'y a pas d'éléments de preuve susceptibles de justifier

 13   une condamnation.

 14   La Chambre va maintenant examiner la manière dont les Chambres de première

 15   instance ont appliqué l'article 98 bis suite à son amendement en 2004.

 16   Dans l'affaire Oric, la Chambre a annulé certains chefs dans leur

 17   intégralité. Elle a également déterminé qu'il y avait insuffisance de

 18   moyens à charge, "no case to answer", s'agissant de certaines parties de

 19   certains chefs, lorsque l'Accusation a admis qu'il n'y avait pas d'éléments

 20   de preuve susceptibles de justifier une condamnation.

 21   Dans l'affaire Krajisnik, la Chambre a déterminé qu'il n'y avait pas

 22   suffisamment d'éléments de preuve à l'égard de tous les chefs d'accusation,

 23   notamment à l'égard des accusations et des chefs pour lesquels la Défense a

 24   présenté des arguments précis. Dans l'affaire Krajisnik, la Chambre a noté

 25   que les parties ont convenu que les accusations se rapportant à deux

 26   municipalités ne pouvaient être retenues en raison de preuves

 27   insuffisantes.

 28   La Chambre Mrksic a constaté que l'amendement de l'article avait


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  1   modifié les conditions matérielles de l'article 98 bis et que l'article,

  2   avec sa formulation amendée, exigeait qu'une Chambre de première instance

  3   prononce un acquittement lorsqu'il n'y a pas d'éléments de preuve

  4   susceptibles de justifier une condamnation d'un chef particulier, par

  5   opposition au libellé précédent qui insistait sur les crimes reprochés.

  6   Cette approche fondée sur les chefs a été suivie par la Chambre Martic et

  7   la Chambre Dragomir Milosevic. La Chambre Dragomir Milosevic a considéré

  8   que, compte tenu de la multiplicité des niveaux des actes d'accusation au

  9   Tribunal, l'amendement de 2004 était susceptible d'aller à l'encontre de

 10   l'idée de rapidité contenue dans l'article 98 bis et de rendre la procédure

 11   "quasiment dénuée de toute application pratique au Tribunal."

 12   La Chambre Milutinovic a constaté qu'il n'y avait suffisamment

 13   d'éléments de preuve susceptibles de justifier une condamnation par rapport

 14   à certains lieux de crimes énumérés dans la partie destruction sans motif

 15   et endommagement d'édifices religieux et culturel du chef de persécution,

 16   mais il y avait des éléments de preuve concernant d'autres sites. La

 17   Chambre Milutinovic a donc permis à l'intégralité du chef de résister au

 18   défi de l'article 98 bis.

 19   Dans l'affaire Prlic, dans une exception préjudicielle se rapportant

 20   à la procédure prévue par l'article 98 bis, la Défense a demandé à la

 21   Chambre d'appliquer la version d'avant décembre 2004 de l'article 98 bis,

 22   de sorte que la Chambre puisse faire porter son analyse sur les accusations

 23   plutôt que sur les chefs. La Chambre a rejeté la demande en notant qu'en

 24   vertu de l'article amendé, une Chambre est censée déterminer s'il existe

 25   des éléments de preuve suffisants pour étayer certaines accusations qui

 26   constituent un chef plutôt que des éléments de preuve pour chaque

 27   accusation contenue dans le chef. La Chambre Prlic a donc considéré qu'une

 28   Chambre ne peut que prononcer l'acquittement d'un chef entier de l'acte


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  1   d'accusation.

  2   Dans l'affaire Lukic et Lukic, la Chambre s'est également penchée sur

  3   l'insuffisance des chefs; cependant, dans l'acte d'accusation Lukic et

  4   Lukic, les chefs d'accusation et les accusations étaient synonymes dans le

  5   sens où chaque chef d'accusation comprenait en général une seule

  6   accusation. Par conséquent, la décision Lukic n'est pas directement

  7   pertinente dans le cadre du débat d'aujourd'hui.

  8   La Chambre de première instance dans les affaires Popovic et Gotovina ont

  9   suivi une approche fondée sur les chefs d'accusation, à l'instar de la

 10   majorité de la Chambre dans l'affaire Seselj. Plus récemment, dans

 11   l'affaire Karadzic, comme dans les autres affaires susmentionnées, la

 12   Chambre a abordé la question de l'objection visée à l'article 98 bis en se

 13   fondant sur la suffisance des chefs d'accusation et en faisant référence à

 14   certaines accusations mais pas toutes les accusations et événements précis

 15   contenus dans ces chefs.

 16   Ces affaires illustrent la pratique établie au TPIY par les Chambres

 17   de première de connaître les demandes d'acquittement par rapport aux chefs

 18   d'accusation entiers et non d'accusations individuelles contenues dans un

 19   chef. La Chambre note que les arguments présentés par la Défense ont été de

 20   nature variée, reflétant ainsi le caractère spécifique de chaque affaire

 21   individuelle. Cependant, en règle générale, dans les affaires précédentes,

 22   la Défense a soit demandé un acquittement total de tous les chefs

 23   d'accusation de l'acte d'accusation, soit un acquittement de chefs dans

 24   leur intégralité. Au contraire, en l'espèce, la Défense n'a pas demandé un

 25   acquittement total de l'un quelconque des chefs d'accusation de l'acte

 26   d'accusation.

 27   La Chambre de première instance n'est pas indifférente aux critiques

 28   formulées à l'égard de l'amendement de l'article 98 bis, telles que


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  1   développés dans la décision rendue dans l'affaire Dragomir Milosevic.

  2   Cependant, en se fondant sur l'historique juridique de l'article 98 bis et

  3   la pratique établie par les Chambres de première instance après

  4   l'amendement de 2004, la Chambre de première instance considère qu'il

  5   convient de se connaître d'une demande d'acquittement seulement à l'égard

  6   de tous les chefs d'un acte d'accusation ou des chefs entiers.

  7   Compte tenu du fait que la Défense dans la présente affaire n'a pas

  8   contesté un quelconque chef dans sa totalité, il ne peut y avoir un

  9   acquittement d'un chef entier ou de tous les chefs contenus dans l'acte

 10   d'accusation.

 11   Compte tenu de ce qui précède et en vertu de l'article 98 bis, la

 12   demande de la Défense est rejetée par la présente.

 13   Malgré le rejet susmentionné, la Chambre de première instance estime

 14   qu'il convient dans les circonstances de l'espèce d'aborder les objections

 15   précises de la Défense eu égard à plusieurs lieux de crime contenus dans

 16   l'acte d'accusation.

 17   La Chambre note que le critère juridique retenu en vertu de l'article

 18   98 bis est de savoir s'il y a des éléments de preuve sur la base desquels,

 19   s'ils sont admis, un juge du fait raisonnable peut être convaincu au-delà

 20   de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé. Le critère ne

 21   repose pas sur le fait de savoir si une Chambre de première instance

 22   prononcerait une condamnation au-delà de tout doute raisonnable, mais

 23   plutôt si elle pourrait le faire. La Chambre ne retiendra donc que les cas

 24   où il n'y a pas d'éléments de preuve susceptibles de justifier une

 25   condamnation ou les seuls éléments de preuve sont si invraisemblables

 26   qu'ils ne peuvent pas correctement justifier une condamnation, même si les

 27   éléments de preuve présentés par l'Accusation sont appréciés à leur valeur

 28   maximale. A ce stade, la Chambre de première instance ne va ni apprécier la


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  1   crédibilité des témoins ni les forces ou faiblesses des éléments de preuve

  2   contradictoires. En outre, la Chambre estime que si aujourd'hui il existe

  3   des éléments de preuve susceptibles de justifier une condamnation, cela ne

  4   signifie pas pour autant que la Chambre va prononcer un acquittement à la

  5   fin du procès.

  6   La Chambre note que lorsque des éléments de preuve sont cités dans

  7   cette analyse, le fait qu'ils aient été pris en compte ne signifie pas de

  8   façon certaine que la Chambre les admettra en tout ou partie. De même, la

  9   Chambre peut admettre et se fonder sur des éléments de preuve lors de son

 10   jugement définitif même si ceux-ci ne sont pas cités dans la présente

 11   décision.

 12   Aux fins de l'article 98 bis et de cette analyse, il suffit qu'il y

 13   ait des éléments de preuve susceptibles de justifier une condamnation sur

 14   le fondement d'un des modes de responsabilité reprochés dans l'acte

 15   d'accusation. Même si Hadzic a contesté pas un mais plusieurs modes de

 16   responsabilité, la présente analyse porte sur les allégations de

 17   l'Accusation à savoir que Hadzic est responsable en vertu de l'article 7(1)

 18   du Statut du Tribunal au travers de sa participation alléguée à

 19   l'entreprise criminelle commune, ou ECC.

 20   A titre préliminaire, la Chambre estime que l'objection de la Défense

 21   par rapport aux centres de détention en Serbie appelle une question

 22   juridique qu'il ne convient pas d'aborder à ce stade de la procédure.

 23   Même si la Défense concentre ses objections sur la responsabilité

 24   alléguée de Hadzic pour les crimes prétendument commis à Opatovac, Lovas,

 25   Velepromet et Ovcara, la Chambre va néanmoins examiner si l'Accusation a

 26   présenté des éléments de preuve qui permettraient à une Chambre de conclure

 27   que les crimes commis dans ces quatre localités ont effectivement été

 28   commis.


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  1   La Défense conteste la responsabilité de Hadzic pour ce qui est des

  2   accusations se rapportant à Opatovac. La Défense fait valoir qu'à l'époque

  3   des faits allégués, un commandement de ville de la JNA contrôlait les

  4   affaires civiles à Opatovac et que c'était la JNA, des réservistes serbes

  5   et des membres de la TO non-résidents qui étaient impliqués dans la

  6   perpétration de ces crimes. D'après la Défense, il n'y a pas d'éléments de

  7   preuve relatifs au fait que Hadzic avait l'intention de commettre ces

  8   crimes ou que ces crimes ont été commis en l'exécution de l'entreprise

  9   criminelle commune alléguée. En outre, la Défense fait valoir qu'il n'y a

 10   pas de preuve d'une structure organisationnelle ou d'un lien entre Hadzic,

 11   président du gouvernement du district, et les personnes pénalement

 12   responsables des crimes commis à Opatovac.

 13   L'Accusation répond qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour

 14   démontrer que des membres de la prétendue entreprise criminelle commune,

 15   des unités de la JNA, la TO locale, les forces serbes locales et les

 16   groupes paramilitaires serbes ont commis les crimes à Opatovac.

 17   L'Accusation fait valoir qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour

 18   montrer qu'il y a eu coordination et coopération entre les organes des

 19   affaires civiles de la JNA et les autorités civiles dans la région

 20   d'Opatovac. Pour ces motifs, l'Accusation fait valoir qu'en vertu de la

 21   doctrine de l'entreprise criminelle commune, il n'est pas nécessaire de

 22   montrer que Hadzic avait conscience de tous les faits criminels précis à

 23   Opatovac pour le tenir pénalement responsable de ces crimes.

 24   La Chambre note qu'il existe des éléments de preuve qu'au mois

 25   d'octobre 1991, ou vers cette date, à février 1992, la JNA, la TO et les

 26   volontaires serbes ont fait subir des sévices physiques et psychologiques

 27   aux habitants non-serbes au poste de police d'Opatovac. Un couvre-feu a été

 28   imposé aux habitants et des affectations leur ont été données par la JNA et


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  1   la TO. De nombreux non-Serbes ont été contraints à quitter leurs maisons.

  2   Il existe également des preuves de la coopération entre les autorités

  3   civiles et le commandement de ville de la JNA à Opatovac.

  4   La Chambre de première instance conclut donc que l'Accusation a

  5   présenté suffisamment d'éléments de preuve sur lesquels une Chambre

  6   pourrait conclure qu'il y a eu coopération entre les autorités civiles et

  7   le commandement de ville de la JNA qui contrôlait les affaires civiles à

  8   Opatovac, et que la JNA, la TO et les Serbes de la région ont pris la ville

  9   par la force et qu'ils ont ensuite commis différents crimes contre la

 10   population civile reprochés dans l'acte d'accusation. En concluant de la

 11   sorte, la Chambre s'est appuyée sur les dépositions des Témoins Mate

 12   Brletic, Reynaud Theunens, GH-061, GH-085, et la pièce à conviction P327.

 13   La Défense conteste la responsabilité de Hadzic pour ce qui est des

 14   accusations se rapportant à Lovas, et notamment un événement au champ de

 15   mines le 18 octobre 1991. D'après la Défense, en l'absence d'une quelconque

 16   autorité civile établie à Lovas, la JNA exerçait entièrement le contrôle du

 17   village. La Défense fait valoir également que Hadzic n'a visité Lovas

 18   qu'après l'événement du champ de mines et qu'il n'avait pas connaissance de

 19   cela avant ou au moment des événements. Finalement, la Défense fait valoir

 20   que des individus, tels que Ljuban Devetak, à Lovas se sont illégalement

 21   appropriés des titres et des fonctions et que la présence de Devetak à la

 22   réunion du 20 novembre à Velepromet, où Hadzic était aussi présent, ne

 23   constitue pas une preuve probante de la responsabilité de Hadzic.

 24   L'Accusation répond qu'il n'y a pas de preuve que les autorités

 25   civiles ont été établies peu de temps après la prise de Lovas avec Ljuban

 26   Devetak aux commandes et Milan Radojcic en tant que commandant de la TO de

 27   Lovas. D'après l'Accusation, il existe suffisamment d'éléments de preuve à

 28   l'égard de ces crimes pour établir un lien entre le gouvernement et les


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  1   autres membres de l'entreprise criminelle commune.

  2   La Chambre note qu'il existe des preuves que le 10 octobre 1991, le

  3   village majoritairement croate de Lovas a été attaqué par la JNA et les

  4   unités de Valjevci et de Dusan Silni. Après la prise de contrôle, Ljuban

  5   Devetak s'est autoproclamé président de Lovas. Les Croates et les non-

  6   Serbes ont été transportés au complexe de Zadruga où ils ont été sévèrement

  7   maltraités. Sur ordre de Devetak, le 18 octobre 1991, un groupe d'environ

  8   50 détenus ont été escortés par les unités de Valjevci et de Dusan Silni

  9   pour déminer un champ à l'extérieur du village. Suite à une détonation et

 10   des coups de feu dans le champ de mine, 22 détenus ont été tués. Les

 11   détenus qui ont survécu ont été ramenés par l'unité de Dusan Silni, et

 12   certains d'entre eux sont revenus le lendemain pour enterrer les morts dans

 13   une fosse commune.

 14   La Chambre de première instance constate donc que l'Accusation a

 15   présenté suffisamment d'éléments de preuve sur la base desquels une Chambre

 16   est susceptible de conclure que les crimes commis à Lovas ont été commis

 17   tels qu'allégués dans l'acte d'accusation. En concluant de la sorte, la

 18   Chambre s'est appuyée sur les dépositions des Témoins Zeljko Cirba, Milan

 19   Conjar, Emanuel Filic, Reynaud Theunens, Ivan Mujic, GH-095, GH-113, et GH-

 20   168, et sur les pièces P302, P309 et P298.1.

 21   La Défense conteste la responsabilité de Hadzic à l'égard des

 22   accusations se rapportant à l'emprisonnement illégal telles qu'alléguées,

 23   les traitements cruels et les meurtres de détenus par les forces serbes

 24   dans le centre de Velepromet le 19 novembre 1991 ou vers cette date. La

 25   Défense fait valoir que la JNA contrôlait le centre de Velepromet. La

 26   Défense fait également valoir que la JNA exerçait son autorité sur la TO de

 27   Vukovar et d'autres unités, notamment la police militaire et les

 28   réservistes, qui étaient présentes et qui étaient impliquées dans la


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  1   perpétration des crimes en ces lieux. Finalement, la Défense fait valoir

  2   qu'il n'y a pas de preuve que Hadzic avait une quelconque connaissance de

  3   ce qui se passait à ce moment-là à Velepromet ou qu'il exerçait un

  4   quelconque contrôle effectif sur les auteurs.

  5   L'Accusation répond qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour

  6   démontrer que Hadzic porte la responsabilité de ces crimes parce que les

  7   auteurs avaient un lien avec les membres de l'entreprise criminelle commune

  8   et parce que Hadzic était membre de cette entreprise criminelle commune et

  9   qu'il avait l'intention de commettre ces crimes. Sur ce fondement,

 10   l'Accusation fait valoir qu'il n'est pas nécessaire de montrer que Hadzic

 11   avait connaissance de chaque événement allégué qui s'est produit à

 12   Velepromet entre le 19 et le 21 novembre 1991.

 13   La Chambre note que vers le 10 novembre 1991, un centre d'admission

 14   pour civils et pour la conservation de biens matériels a été créé à

 15   Velepromet par le Groupe opérationnel sud, ou OG sud. Le centre de

 16   Velepromet était dirigé directement par les organes de la sécurité de la

 17   Brigade des Gardes motorisée, qui était subordonnée au commandant Veselin

 18   Sljivancanin, qui était à la tête de la sécurité à la fois de la Brigade

 19   des Gardes motorisée et le Groupe opérationnel sud. Le 20 novembre 1991,

 20   des centaines de non-Serbes ont été emmenés par la JNA de l'hôpital de

 21   Vukovar à Velepromet. Il existe des éléments de preuve relatifs au fait que

 22   Hadzic était à Velepromet ce jour-là, ainsi que Zeljko Raznatovic, alias

 23   Arkan, le commandant du centre de la TO d'Erdut. Les détenus de Velepromet

 24   étaient gardés par une unité de la police militaire du Groupe opérationnel

 25   sud, des officiers de la JNA et des membres de la TO de Vukovar. Il existe

 26   des preuves que certains détenus ont été tués par balle à Velepromet par

 27   des membres de la TO et des volontaires ou paramilitaires serbes et qu'un

 28   détenu a eu la gorge tranchée avec une bouteille cassée. D'autres détenus


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  1   ont été soumis au surpeuplement et à des passages à tabac par des membres

  2   de la JNA et de la TO de Vukovar.

  3   La Chambre de première instance constate donc que l'Accusation a

  4   présenté suffisamment d'éléments de preuve sur la base desquelles une

  5   Chambre peut conclure que les crimes de Velepromet ont été commis par la

  6   JNA, la TO, est les volontaires serbes, tels que reprochés dans l'acte

  7   d'accusation. En concluant de la sorte, la Chambre s'est appuyée sur les

  8   dépositions des Témoins Vilim Karlovic, Reynaud Theunens, GH-126, GH-054,

  9   GH-028, et les pièces à conviction P3003 et P2285.2284.

 10   La Défense conteste la responsabilité de Hadzic pour les accusations se

 11   rapportant aux meurtres allégués d'environ 260 détenus par les forces

 12   serbes sur un site entre la ferme d'Ovcara et Grabovo dans la soirée du 20

 13   novembre 1991, ainsi que la responsabilité de Hadzic pour l'emprisonnement

 14   prétendument illégal dans des conditions inhumaines d'environ 300 non-

 15   Serbes à la ferme d'Ovcara. La Défense fait valoir que la JNA est

 16   responsable de toute l'opération et qu'il n'y a pas d'éléments de preuve

 17   qui montrent que Hadzic savait que ces événements allaient se produire. La

 18   Défense fait valoir que les éléments de preuve concernant une réunion du

 19   gouvernement de la SAO SBSO à Velepromet le 20 novembre 1991 ne permet pas

 20   de montrer que Hadzic savait ou aurait pu prévoir que les détenus seraient

 21   maltraités et tués.

 22   L'Accusation répond qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour

 23   montrer que Hadzic a joué un rôle décisif en mettant la pression sur la JNA

 24   pour qu'elle remette les prisonniers aux autorités de la SAO SBSO et la TO

 25   locale. D'après l'Accusation, la Chambre de première instance pourrait

 26   conclure que Hadzic est responsable de ces crimes en vertu de l'un

 27   quelconque des modes de responsabilité visé à l'acte d'accusation.

 28   La Chambre de première instance note qu'il existe des preuves que le 20


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  1   novembre 1991, la JNA a emmené des centaines de Croates et d'autres non-

  2   Serbes de l'hôpital de Vukovar. De nombreux détenus ont été transportés à

  3   la ferme d'Ovcara. Il existe des éléments de preuve que des représentants

  4   du gouvernement de la SAO SBSO ont négocié avec la JNA pour que ces

  5   prisonniers restent détenus sur le territoire du SBSO plutôt que d'être

  6   transportés dans des centres de détention en Serbie. Certaines de ces

  7   négociations ont eu lieu lors d'une réunion qui s'est tenue à Velepromet le

  8   20 novembre 1991, qui était présidée par Hadzic en présence d'Arkan. En

  9   outre, lors d'une réunion avec la JNA, Arkan a développé sa politique de ne

 10   pas prendre de prisonniers et a indiqué qu'il était inacceptable que la JNA

 11   emmène des prisonniers de guerre croates de la SBSO en direction de la

 12   Serbie.

 13   La Chambre de première instance a entendu des éléments de preuve selon

 14   lesquels, le 20 novembre 1991, des soldats de la JNA, des forces de la TO

 15   serbe locale, et d'autres forces à la ferme d'Ovcara ont soumis des détenus

 16   à l'emprisonnement, la torture, des actes inhumains et en traitements

 17   cruels. Pendant la soirée du 20 novembre 1991, ces auteurs ont transporté

 18   la plupart des détenus vers un site se trouvant entre la ferme d'Ovcara et

 19   Grabovo, où sous la guidance du commandant adjoint de la TO de Vukovar,

 20   Stanko Vujanovic, ils ont ouvert le feu et tué au moins 194 d'entre eux. La

 21   TO de Vukovar, commandée par Miroljub Vujovic et son adjoint, Stanko

 22   Vujanovic, agissaient étroitement avec le Groupe opérationnel sud à

 23   l'époque.

 24   La Chambre de première instance estime, dès lors, que l'Accusation a

 25   présenté suffisamment d'éléments de preuve sur la base desquels une Chambre

 26   pourrait conclure que les crimes d'Ovcara ont été commis, tels que le

 27   décrit l'acte d'accusation. Pour tirer sa conclusion, la Chambre de

 28   première instance s'est fondée sur le témoignage de Dusan Jaksic, Milorad


Page 9121

  1   Vojnovic, Reynaud Theunens, GH-103, GH-054, GH-028, GH-129, et sur la pièce

  2   P1984.1981; ainsi que sur les faits jugés 121, 124, 125, 204, 214, 217,

  3   221, et 222; et sur les faits convenus 103 et 104.

  4   La Chambre de première instance va à présent examiné si l'Accusation a

  5   présenté des éléments de preuve qui permettrait à une Chambre de conclure

  6   que Goran Hadzic est responsable des crimes allégués à Opatovac, Lovas,

  7   Velepromet et Ovcara en examinant l'allégation de l'Accusation selon

  8   laquelle Goran Hadzic a commis les crimes allégués en participant à

  9   l'entreprise criminelle commune.

 10   L'acte d'accusation allègue que l'entreprise criminelle commune a vu le

 11   jour au plus tard le 1er avril 1991 et a continué jusqu'au 31 décembre

 12   1995, au moins; qu'elle avait pour objectif de chasser à jamais la majorité

 13   de la population croate et non-serbe d'une grande partie du territoire de

 14   la Croatie aux moyens de crimes qui constituent une violation des articles

 15   3 et 5 du Statut du Tribunal.

 16   L'acte d'accusation allègue que la participation de Goran Hadzic à

 17   l'entreprise criminelle commune a commencé au plus tard le 25 juin 1991 et

 18   a continué jusqu'au 25 décembre 1993, au moins. Les autres membres de

 19   l'entreprise criminelle commune nommément cités sont : Slobodan Milosevic,

 20   Milan Martic, Milan Babic, Jovica Stanisic, Franko Simatovic, Vojislav

 21   Seselj, Radovan Stojicic, Veljko Kadijevic, Blagoje Adzic, Radmilo

 22   Bogdanovic, Mihalj Kertes, et Zeljko Raznjatovic, alias Arkan. Les autres

 23   membres de l'entreprise auraient été des dirigeants politiques de la

 24   République socialiste fédérative de Yougoslavie et de la République de

 25   Serbie, des membres des dirigeants des Serbes de Croatie et des Serbes de

 26   Bosnie, ainsi que d'autres personnes collectivement appelées les forces

 27   serbes.

 28   La Chambre de première instance va tout d'abord aborder les éléments de


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  1   preuve concernant le deuxième élément matériel de la responsabilité au

  2   titre de l'entreprise criminelle commune, à savoir l'existence d'un projet,

  3   dessein ou plan commun.

  4   La Chambre de première instance a admis des éléments de preuve par le

  5   truchement des Témoins Veljko Dzakula et GH-010, ainsi que la pièce P16,

  6   portant sur les intentions des membres présumés de l'entreprise criminelle

  7   commune. Par exemple, le Mouvement chetnik-serbe, dirigé par Vojislav

  8   Seselj, président du Parti radical serbe, avait dans sa plateforme

  9   politique pour objectif le renouveau d'un l'Etat serbe libre, indépendant

 10   et démocratique dans les Balkans, incluant "toute la cause serbe et les

 11   territoires serbes." Vojislav Seselj a également partagé publiquement ses

 12   idées selon lesquelles "les Croates étaient malhonnêtes."

 13   Dans une séquence vidéo tirée d'un reportage télévisé, Arkan a déclaré, en

 14   présence du lieutenant général Andrija Biorcevic, commandant du Corps de

 15   Novi Sad de la JNA :

 16   "Je pense que nous poursuivons tous un objectif commun, à savoir les

 17   Etats serbes unis, composés de la Serbie, du Monténégro, de la République

 18   serbe de Krajina et de la République serbe de Bosnie, afin de créer l'Etat

 19   serbe uni."

 20   Des éléments de preuve montrent que Goran Hadzic et Arkan étaient des amis

 21   proches et des collaborateurs, qu'on les a souvent vus ensemble et qu'Arkan

 22   était étroitement lié aux cercles politiques serbes. La Chambre de première

 23   instance renvoie au Témoin Christian Nielsen, GH-101 et GH-003, ainsi

 24   qu'aux pièces P117.111 et P1004.

 25   Radovan Stojicic, commandant de la TO de SBSO, a pris contact avec le

 26   gouvernement de SBSO à la demande de ses supérieurs à Belgrade et à celle

 27   du gouvernement de SBSO lui-même afin de discuter de la jonction des forces

 28   à établir dans la région pour prendre Vukovar. Des éléments de preuve


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  1   montrent que Radovan Stojicic était très proche de Slobodan Milosevic. La

  2   Chambre de première instance fait référence au témoignage de GH-016.

  3   Des éléments de preuve montrent que Mihalj Kertes, personnage

  4   politique de premier plan en Serbie, adjoint du ministre fédéral de

  5   l'Intérieur et proche collaborateur de Slobodan Milosevic, a participé à

  6   tous les aspects de la politique du personnel dans la région de la SBSO.

  7   Mihalj Kertes a déclaré, lors d'une visite à Borovo Selo, que Slobodan

  8   Milosevic était au courant de l'armement des Serbes sur la rive occidentale

  9   du Danube et le soutenait pleinement. La Chambre de première instance fait

 10   référence aux éléments de preuve des Témoins Borivoje Savic, GH-026 et GH-

 11   015.

 12   Des éléments de preuve font état du fait que Slavko Dokmanovic,

 13   ancien président de la municipalité de Vukovar, a déclaré que : "Vukovar

 14   est effectivement la ville la plus détruite," mais qu'elle sera

 15   reconstruite comme "une vraie ville serbe et ne sera jamais une ville

 16   oustacha." La Chambre de première instance fait référence aux éléments de

 17   preuve des Témoins Hicham Malla et Vesna Bosanac, et à la pièce P1515.

 18   Des éléments de preuve montrent que la JNA est devenue une force

 19   exclusivement serbe. Comme Vojislav Seselj l'a dit : "La JNA est aussi

 20   serbe et c'est notre seule armée." Veljko Dzakula, l'ancien premier

 21   ministre de la Slavonie occidentale et premier ministre adjoint de la RSK

 22   de février 1992 à mars 1993, a, dans sa déposition, déclaré que la JNA

 23   était passée du côté serbe pendant la guerre au fur et à mesure que le

 24   conflit prenait de l'ampleur. La JNA et le MUP serbe ont collaboré

 25   étroitement avec des organisations paramilitaires, et Arkan a participé à

 26   des réunions de la JNA. La Chambre de première instance renvoie aux

 27   éléments de preuve des Témoins Veljko Dzakula et Reynaud Theunens, et aux

 28   pièces P22, P1004 et P2937.


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  1   La Chambre de première instance a entendu des éléments de preuve

  2   selon lesquels les forces serbes en Croatie avaient reçu des fonds

  3   considérables de la Serbie et selon lesquels Goran Hadzic avait contribué à

  4   trouver les fonds nécessaires. Cela se fonde sur les éléments de preuve des

  5   Témoins Morten Torkildsen, GH-016 et GH-021, ainsi que les pièces P37,

  6   P263.253, P216.140, P266.253, P264.263, P266.253, P156, P209.140, P156 et

  7   P209.140.

  8   La Chambre de première instance a entendu des éléments de preuve

  9   concernant le caractère systématique des crimes commis dans les régions

 10   couvertes par l'acte d'accusation et concernant l'expulsion de la

 11   population non-serbe, tels que l'indiquent les éléments de preuve des

 12   Témoins Veljko Dzakula, Herbert Okun, et plusieurs autres témoins oculaires

 13   des crimes reprochés qui auraient été commis en SAO SBSO et en RSK.

 14   A la lumière de ce qui précède, la Chambre de première instance conclut que

 15   l'Accusation a présenté suffisamment d'éléments de preuve sur la base

 16   desquels une Chambre pourrait conclure qu'un projet, dessein, ou but commun

 17   existait, tel qu'il est dit dans l'acte d'accusation, et comment les

 18   personnes suivantes étaient des membres de l'entreprise criminelle commune

 19   : Slobodan Milosevic, Vojislav Seselj, Radovan Stojicic, Zeljo Raznatovic,

 20   Slavko Dokmanovic, Andrija Biorcevic, et Mihalj Kertes. Il s'ensuit donc

 21   que l'Accusation a présenté suffisamment d'éléments de preuve sur la base

 22   desquels une Chambre pourrait conclure que le critère nécessaire à

 23   l'élément matériel d'une entreprise criminelle commune est rempli, à savoir

 24   la pluralité des personnes.

 25   S'agissant de la contribution significative de Goran Hadzic à l'entreprise

 26   criminelle commune présumée et de son état d'esprit, comme l'explique

 27   l'acte d'accusation, il existe des éléments de preuve qui font état du fait

 28   que Goran Hadzic est devenu président de la SAO SBSO le 25 septembre 1991.


Page 9125

  1   Il a présidé des réunions du gouvernement de SAO SBSO et avait autorité

  2   pour nommer des ministres, des commandants de la TO, et des présidents de

  3   conseils municipaux. En temps de guerre, Goran Hadzic a eu la possibilité

  4   de délivrer des ordres et des décisions de son propre chef et en l'absence

  5   de l'assemblée. Des éléments de preuve montrent que le gouvernement de SBSO

  6   avait déclaré un état de guerre imminent en août 1991. La Chambre de

  7   première instance renvoie aux éléments de preuve des Témoins Aleksandar

  8   Vasiljevic et GH-016, ainsi qu'aux pièces P75.50, P1267, P168, P197.140,

  9   L43, L56, et L3.

 10   La Chambre de première instance a entendu des éléments de preuve des

 11   Témoins GH-003, GH-016, GH-015, et GH-024, selon lesquels en septembre

 12   1991, Goran Hadzic avait créé une unité spéciale pour sa sécurité

 13   personnelle, qui a participé à des meurtres repris dans l'acte

 14   d'accusation. La Chambre de première instance fait aussi référence aux

 15   pièces P201.140 et P241 à cet égard.

 16   Conformément à l'ordre du 21 septembre 1991 signé par Goran Hadzic, Arkan a

 17   été nommé commandant du centre de formation de la TO d'Erdut, où Arkan est

 18   resté basé jusqu'en 1993. Les éléments de preuve des Témoins Christian

 19   Nielsen et GH-016, ainsi que la pièce P194.140 atteste de cela.

 20   En septembre, octobre, et novembre 1991, Hadzic a activement participé à la

 21   nomination de Radovan Stojicic au poste de commandant de la TO; lorsqu'il a

 22   informé la TO et la police de la situation politique, de la situation sur

 23   le terrain, et des objectifs stratégiques après ses déplacements à Novi Sad

 24   et à Belgrade; et lorsqu'il a remplacé le personnel de la police. La

 25   Chambre de première instance fait référence aux éléments de preuve des

 26   Témoins GH-016 et GH-015, et à la pièce P251.245.

 27   Lors d'un entretien télévisé au début du mois de novembre 1991, Goran

 28   Hadzic a déclaré que l'appel lancé pour faire venir des volontaires de


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  1   Serbie afin d'aider à l'effort de guerre à Vukovar avait porté ses fruits.

  2   Et il a particulièrement remercié les volontaires serbes de Belgrade. A cet

  3   égard, la Chambre de première instance renvoie aux éléments de preuve du

  4   Témoin Borivoje Savic et à la pièce P58.

  5   Le Témoin GH-028 a déposé que, le 20 novembre 1991, au moment où la JNA

  6   avait emmené des centaines de non-Serbes de l'hôpital de Vukovar au centre

  7   de détention de Velepromet, le gouvernement de SAO SBSO s'est réuni à

  8   Velepromet. La séance du gouvernement a notamment compté sur la

  9   participation de Slavko Dokmanovic, Goran Hadzic, Arkan, et de la JNA. Ils

 10   ont discuté du sort des prisonniers. Suite à cette réunion, Goran Hadzic,

 11   arborant le treillis vert de la TO de SBSO, a accordé un entretien à la

 12   télévision; pièce P1731. Dans cet entretien, il a déclaré que l'un des

 13   groupes de prisonniers croates avait déjà été emmené à Sremska Mitrovica et

 14   qu'il avait personnellement entrepris des démarches pour que ces personnes

 15   rentrent en SBSO et y soient jugés, si on pouvait les qualifier de

 16   personnes, a-t-il ajouté. Dans cet entretien, Goran Hadzic a expliqué qu'il

 17   avait été convenu avec les autorités militaires que "ces Oustachi",

 18   resteraient dans des camps aux alentours de Vukovar. La Chambre de première

 19   instance relève que les éléments de preuve concernant l'avenir des

 20   prisonniers qui sont restés en SBSO a été précédemment abordé dans cette

 21   décision dans la partie sur Velepromet et Ovcara. La Chambre de première

 22   instance renvoie également aux éléments de preuve de Borivoje Savic.

 23   La Chambre de première instance a entendu des éléments de preuve selon

 24   lesquels Goran Hadzic a aidé à financer les forces de SBSO en créant des

 25   entreprises dans la SBSO et en obtenant de l'aide de la Serbie. Elle se

 26   réfère aux éléments de preuve des Témoins Milosav Djordjevic, Emerik

 27   Mijatovic, GH-021 et GH-016, ainsi qu'aux pièces P214.140, P215.140 et

 28   P216.140.


Page 9127

  1   La Chambre de première instance a entendu des éléments de preuve montrant

  2   que le 21 septembre 1991, Goran Hadzic et Arkan, accompagnés d'environ 20

  3   hommes, sont arrivés au bâtiment Zadruga à Dalj. Goran Hadzic et Arkan ont

  4   libéré deux détenus. Arkan a transporté les autres détenus dans son camion

  5   militaire, et des éléments de preuve montrent qu'ils ont ensuite été tués.

  6   Lorsque Goran Hadzic s'est vu demander quels étaient les fondements

  7   juridiques justifiant la détention et la libération des hommes, des

  8   éléments de preuve montrent que Goran Hadzic a répondu qu'en sa qualité de

  9   premier ministre, il pouvait tout ordonner et que les détenus étaient des

 10   Oustachi qui avaient tué des Serbes en Baranja. La Chambre de première

 11   instance fait référence aux éléments de preuve des Témoins Slavko Palinkas

 12   et GH-003, ainsi qu'aux pièces P250.254 et P113.1.

 13   Le Témoin Borivoje Savic a déclaré lors de sa déposition que Goran Hadzic

 14   était au courant des événements du champ de mines de Lovas ainsi que

 15   d'autres meurtres et mauvais traitements infligés à la population non-serbe

 16   en SBSO mais qu'il n'avait rien fait à cet égard.

 17   Le Témoin GH-021 a déclaré qu'au début du mois de novembre 1991, cinq

 18   employés non-serbes de l'unité de travail Ratarstvo Klisa - je répète,

 19   Ratarstvo Klisa - avaient été emmenés par les hommes d'Arkan. Le Témoin GH-

 20   021 a ajouté que le directeur par intérim de la DP de Dalj avait dit à

 21   Goran Hadzic que les personnes disparues étaient ses employés et lui avait

 22   demandé où elles étaient détenues. Des éléments de preuve montrent que

 23   Goran Hadzic a répondu que cela ne regardait pas le directeur par intérim

 24   de l'entreprise et qu'ensuite il est parti. Des cinq employés qui ont été

 25   emmenés en novembre 1991, trois n'ont jamais été revus.

 26   La Chambre de première instance a reçu des éléments de preuve du Témoin GH-

 27   016 et de la pièce P144 selon lesquels Goran Hadzic était bien informé des

 28   questions relatives à la sécurité dans la région de SBSO car il effectuait


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  1   des visites dans la région, discutait avec les présidents des différentes

  2   municipalités et avec la TO, la police et les ministres de son

  3   gouvernement. Le Témoin GH-016 a également apporté des éléments de preuve

  4   qui montrent que Goran Hadzic avait mis en place un système de rapport

  5   hebdomadaire entre la TO de SBSO et le gouvernement.

  6   La Chambre de première instance a obtenu des éléments de preuve selon

  7   lesquels lors d'un entretien Goran Hadzic a déclaré que les dirigeants de

  8   SBSO n'accepteraient aucune solution envisageant le maintien de certaines

  9   régions en République de Croatie, même si pour cela il faudrait combattre.

 10   Lors d'une conférence de presse le 21 septembre 1991, Goran Hadzic aurait

 11   dit que Vukovar, la capitale de SAO SBSO, n'avait pas encore été libérée,

 12   mais qu'il espérait qu'elle le soit bientôt. Des éléments de preuve

 13   montrent que le 9 octobre 1991, Goran Hadzic a prononcé un discours au

 14   cours duquel il a affirmé que, quelles que ce soit les négociations, il

 15   raserait Ilok. Des éléments de preuve montrent également que Goran Hadzic a

 16   commenté, lorsqu'il s'adressait à un journaliste à propos des combats à

 17   Vukovar, que "nos unités" contrôlaient près de 50 % de la ville et

 18   progressaient maison après maison pour "nettoyer les villages d'Oustachi."

 19   Les Témoins Mate Brletic et Veljko Dzakula ont fourni cet élément de

 20   preuve, ainsi que les pièces P86.50, P39, P40, P321 et P322.

 21   La Chambre de première instance a admis des éléments de preuve montrant

 22   qu'en 1992 et 1993, les représentants des Nations Unies et les négociateurs

 23   internationaux ont attiré l'attention de Goran Hadzic sur les crimes commis

 24   contre la population non-serbe dans les régions de Croatie sous contrôle

 25   serbe. La Chambre de première instance fait référence aux éléments de

 26   preuve des Témoins Geert Ahrens et John Brian Wilson, et à la pièce

 27   P2432.2398. Des éléments de preuve montrent que lors d'une réunion le 4

 28   septembre 1992 avec Marrack Goulding, qui était sous-secrétaire général


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  1   chargé des opérations de maintien de la paix de l'ONU, Goran Hadzic a

  2   déclaré que les Croates avaient commencé à pratiquer le nettoyage ethnique

  3   en Slavonie occidentale avant les Serbes et que c'est cela qui a mené les

  4   Serbes à penser qu'ils devraient réagir œil pour œil, dent pour dent. Cet

  5   élément de preuve se retrouve dans la pièce P2432.2398.

  6   Compte tenu de ce qui précède, la Chambre de première instance estime que

  7   l'Accusation a produit suffisamment d'éléments de preuve sur la base

  8   desquels une Chambre pourrait conclure que Goran Hadzic a largement

  9   contribué à l'objectif commun de l'entreprise criminelle commune allégué et

 10   que Goran Hadzic a partagé l'intention des autres auteurs présumés de

 11   l'entreprise criminelle commune de mener à bien cet objectif.

 12   La Chambre de première instance va à présent analyser si l'Accusation a

 13   fourni suffisamment d'éléments de preuve sur la base desquels une Chambre

 14   pourrait conclure que les crimes reprochés à Opatovac, Lovas, Velepromet et

 15   Ovcara pourraient être imputables à Goran Hadzic ou à un autre membre de

 16   l'entreprise criminelle commune alléguée en exécution du projet, du dessein

 17   ou du but commun lorsque les auteurs matériels ont été utilisés.

 18   Comme déjà abordé plus haut, l'Accusation a produit suffisamment d'éléments

 19   de preuve sur la base desquels une Chambre pourrait conclure que la JNA, la

 20   TO et les volontaires serbes locaux ont commis les crimes à Opatovac,

 21   Velepromet et Ovcara. Des éléments de preuve montrent que lors d'une

 22   réunion à Bobota entre la TO et les commandants de la police de SAO SBSO

 23   les 5 et 6 août 1991, Radovan Stojicic s'est présenté comme étant un

 24   représentant de la police spéciale du MUP serbe et a déclaré qu'on l'avait

 25   envoyé de Belgrade pour officier en tant que commandant de la TO de SBSO.

 26   Goran Hadzic a nommé Radovan Stojicic commandant de la TO de la SBSO à la

 27   fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre 1991. Ce dernier a

 28   ensuite commencé à transformer la TO en organisation militaire et bien


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  1   structurée. Des éléments de preuve montrent qu'avant l'arrivée de Radovan

  2   Stojicic en SBSO, la JNA avait planifié des opérations sans la

  3   participation de la TO. Après son arrivée, le commandant de la TO a

  4   participé au processus décisionnel régulier du Corps de Novi Sad de la JNA.

  5   Des officiers du Corps de Novi Sad de la JNA ont rendu visite à Radovan

  6   Stojicic à Erdut. Des éléments de preuve montrent une étroite collaboration

  7   entre la TO, les volontaires serbes, notamment les hommes d'Arkan et de

  8   Vojislav Seselj, et la JNA. Comme nous l'avons relevé précédemment, au fur

  9   et à mesure que le conflit s'intensifiait, la JNA est devenue une armée

 10   serbe. En outre, des éléments de preuve montrent que Goran Hadzic et Arkan

 11   étaient présents à Velepromet pendant un certain temps le 20 novembre 1991

 12   lorsque des centaines de non-Serbes y étaient détenus. La Chambre de

 13   première instance renvoie aux éléments de preuve de Reynaud Theunens, GH-

 14   003 et GH-016, ainsi qu'à la pièce P121.111.

 15   A la lumière de ce qui précède, des éléments de preuve montrent que Radovan

 16   Stojicic, Arkan et Andrija Biorcevic étaient des membres de l'entreprise

 17   criminelle commune alléguée et qu'ils ont utilisé des membres de la TO et

 18   de la JNA comme instruments pour exécuter l'entreprise criminelle commune

 19   alléguée.Attendu qu'il existe suffisamment d'éléments de preuve montrant

 20   que Goran Hadzic est pénalement responsable au titre de l'article 7(1) du

 21   Statut des crimes allégués à Opatovac, Velepromet et Ovcara.

 22   S'agissant de Lovas, Ljuban Devetak a été mentionné comme président du

 23   village, le maître officieux et l'alpha et l'oméga de Lovas suite à la

 24   prise de Lovas. Dans des procès-verbaux de réunions entre des représentants

 25   du village et des hauts représentants du gouvernement, Ljuban Devetak était

 26   repris comme le commandant du village de Lovas. Des éléments de preuve

 27   montrent que les volontaires envoyés à Lovas étaient sous le contrôle de

 28   facto du gouvernement local que Ljuban Devetak dirigeait. Milan Radonjic,


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  1   le commandant de la TO de Lovas, et Milan Devcic, le chef de la police

  2   locale et le neveu de Ljuban Devetak, étaient ses bras droits. Des éléments

  3   de preuve montrent aussi que Ljuban Devetak exerçait un contrôle de facto

  4   sur les unités de Valjevci et de Dusan Silni, qui ont participé aux

  5   événements du champ de mines le 18 octobre 1991. Habillé de l'uniforme de

  6   la TO, Ljuban Devetak a participé à la réunion du 20 novembre 1991 à

  7   Velepromet. La Chambre de première instance fait référence aux éléments de

  8   preuve des Témoins Ivan Mujic, Emanuel Filic, Milan Conjar, Aleksandar

  9   Vasiljevic, GH-095, GH-113 et GH-028, ainsi qu'aux pièces P79.50 et P2979.

 10   Sur la base des éléments de preuve concernant la position de Ljuban Devetak

 11   à Lovas, des crimes commis pendant son règne là-bas et de son interaction

 12   avec d'autres membres de l'entreprise criminelle commune alléguée, il

 13   existe suffisamment d'éléments de preuve montrant que Ljuban Devetak était

 14   membre de l'entreprise criminelle commune alléguée et qu'il a utilisé les

 15   forces qu'il contrôlait comme instruments pour exécuter l'entreprise

 16   criminelle commune. Attendu qu'il existe suffisamment d'éléments de preuve

 17   montrant que Goran Hadzic est aussi membre de l'entreprise criminelle

 18   commune alléguée, il existe suffisamment d'éléments de preuve montrant que

 19   Goran Hadzic est pénalement responsable au titre de l'article 7(1) du

 20   Statut des crimes allégués commis à Lovas.

 21   En conséquence et par ces motifs, même si la Chambre de première instance

 22   avait retenu l'approche préconisée par la Défense concernant l'article 98

 23   bis du Règlement, en examinant les demandes d'acquittement sur la base des

 24   accusations sous-tendant les chefs, elle aurait rejeté la demande de la

 25   Défense dans son ensemble.

 26   La Chambre de première instance rendra sous peu une ordonnance portant

 27   calendrier concernant la préparation et le début de la présentation des

 28   moyens à décharge.


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  1   L'audience est levée.

  2   --- L'audience est levée à 16 heures 54.

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