Affaire No : IT-01-47-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président

Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Carmel Agius

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
12 novembre 2002

LE PROCUREUR

c/

ENVER HADZIHASANOVIC
MEHMED ALAGIC
AMIR KUBURA

___________________________________

DÉCISION RELATIVE À L’EXCEPTION CONJOINTE D’INCOMPÉTENCE

___________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Ekkerhard Withopf

Les Conseils des accusés :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
Mme Vasvija Vidovic et M. John Jones pour Mehmed Alagic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. QUESTION 1 : LA RESPONSABILITÉ DU SUPÉRIEUR HIÉRARCHIQUE DANS LE CADRE DE CONFLITS ARMÉS NON INTERNATIONAUX

A. Arguments des parties

1. La Défense
2. L’Accusation

B. Principes généraux
C. Évolution du principe de responsabilité des supérieurs hiérarchiques

1. Développements antérieurs à la création du Tribunal
2. Création du Tribunal international
3. Jurisprudence du Tribunal international
4. Développements intervenus depuis l’adoption du Statut du Tribunal international

D. Examen
E. Conclusion

III. QUESTION 2 : LA RESPONSABILITÉ DU SUPÉRIEUR HIÉRARCHIQUE DU FAIT DE CRIMES COMMIS AVANT QUE N’EXISTE LE LIEN DE SUBORDINATION

A. Arguments des parties

1. La Défense
2. L’Accusation

B. Examen
C. Conclusion

IV. QUESTION 3 : LA RESPONSABILITÉ DES SUPÉRIEURS HIÉRARCHIQUES POUR MANQUEMENT À L’OBLIGATION D’EMPÊCHER OU DE PUNIR LA PLANIFICATION ET LA PRÉPARATION DES CRIMES

A. Arguments des parties

1. La Défense
2. L’Accusation

B. Examen
C. Conclusion

V. DISPOSITIF

 

I. INTRODUCTION

1. La Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international » ou le « TPIY ») est saisie de l’« Exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié » (Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment) (l’« Exception conjointe » ou l’« Exception préjudicielle  »), déposée au nom des trois accusés (les « Accusés ») par leurs conseils (la «  Défense ») le 21 février 2002 ; dans cette Exception conjointe, la Défense soulevait trois objections quant à la compétence à l’encontre de l’Acte d’accusation modifié déposé par le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») le 11 janvier 2002. Ces trois objections sont les suivantes : 1) durant la période couverte par l’Acte d’accusation modifié, le droit international ne prévoyait pas la mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique dans le cadre d’un conflit armé non international 1 ; 2) l’article 7 3) du Statut du Tribunal international (le « Statut ») ne prévoit pas la mise en jeu de la responsabilité d’un supérieur hiérarchique du fait des crimes commis par ses subordonnés avant que n’existe entre eux un lien de subordination ; et 3) l’article 7 3) ne prévoit nullement la mise en œuvre de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques qui n’ont pas empêché ou sanctionné la planification et la préparation de crimes.

2. La Défense a soutenu que ces trois questions devaient être tranchées avant le procès, dans la mesure où une décision favorable entraînerait le rejet de tous les chefs d’accusation retenus dans l’Acte d’accusation modifié, et où aucun des accusés n’aurait alors à être jugé.

3. L’Accusation a déposé le 27 février 2002 la « Réponse de l’Accusation à l’exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié » (Prosecution’s Response to Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment ), par laquelle elle reconnaissait que « ces questions dev[a]ient être tranchées avant le procès et qu’un calendrier relatif au dépôt de conclusions détaillées [étai]t nécessaire ».

4. Le 25 mars 2002, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance portant calendrier par laquelle elle enjoignait aux parties de déposer, en même temps, des conclusions le 10 mai 2002 au plus tard, des réponses le 24 mai 2002 au plus tard, et des répliques le 31 mai 2002 au plus tard, relativement aux questions soulevées dans l’Exception conjointe, ce qui a été fait2. La Chambre de première instance a autorisé la Défense à déposer une réplique supplémentaire 3. En outre, l’Accusation a déposé un texte de référence supplémentaire suite à une décision rendue par une autre Chambre de première instance4.

5. La Défense a demandé la tenue d’une audience pour aider la Chambre de première instance à se prononcer sur les questions soulevées dans l’Exception conjointe. En raison des écritures approfondies déposées par les parties, la Chambre a jugé cette audience superflue5.

6. La Chambre de première instance fait observer que certaines des questions soulevées dans l’Exception conjointe l’avaient déjà été par la Défense à propos de l’acte d’accusation initial du 6 juillet 2001 (l’« Acte d’accusation initial »)6. En réponse aux arguments que la Défense faisait valoir contre l’Acte d’accusation initial concernant le statut de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique en droit international coutumier pour les crimes commis lors d’un conflit armé interne en violation de l’article 3 du Statut, la Chambre de première instance avait conclu que la décision sur ce point pouvait être reportée au procès7. Selon elle, puisque l’Acte d’accusation initial incluait des chefs fondés sur les articles 2 et 3 du Statut, les Accusés ne seraient aucunement lésés par ce report . En outre, la Chambre demandait aux parties de présenter des conclusions détaillées sur cette question dans leurs mémoires préalables8. Une fois l’Acte d’accusation initial modifié et les chefs fondés sur l’article 2 du Statut supprimés, la Chambre de première instance a convenu suite au dépôt de l’Exception conjointe que cette question devait être abordée avant l’ouverture du procès, comme il a été dit plus haut.

7. La Chambre de première instance prend acte d’une décision rendue par un collège de trois juges de la Chambre d'appel dans une autre affaire9. Dans cette décision, la Chambre d'appel refusait l’autorisation de former un recours contre une décision de la Chambre de première instance rejetant une exception d’incompétence relative à l’article 7 3) du Statut, au motif que la responsabilité pénale établie à l’article 7 3) enfreignait le principe de légalité (nullum crimen sine lege ), la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique n’étant pas une norme de droit international coutumier à l’époque des faits. La Chambre d'appel a écarté l’exception au motif qu’« [elle] ne se rapport[ait]à aucun des points énoncés à l’article 72 D) du Règlement10  ». L’article 72 D) définit l’exception d’incompétence comme s’entendant « exclusivement d’une objection selon laquelle l’acte d’accusation ne se rapporte pas : i) à l’une des personnes mentionnées aux articles 1, 6, 7 et 9 du Statut ; ii) aux territoires mentionnées aux articles 1, 8 et 9 du Statut ; iii) à la période mentionnée aux articles 1, 8 et 9 du Statut ; et iv) à l’une des violations définies aux articles  2, 3, 4, 5 et 7 du Statut11 ». La présente Chambre de première instance considère que l’Exception conjointe met en cause la compétence ab initio découlant de l’article 7 3) du Statut, et estime que l’Acte d’accusation modifié ne peut pas être fondé sur une violation dudit article 7 3) [articles 72 A) et 72 D) iv) du Règlement]12.

8. La Chambre de première instance va maintenant passer en revue les questions soulevées dans l’Exception conjointe puis présenter ses conclusions sur chacune de ces questions .

II. QUESTION 1 : LA RESPONSABILITE DU SUPERIEUR HIERARCHIQUE DANS LE CADRE DE CONFLITS ARMES NON INTERNATIONAUX

9. Il convient tout d’abord de déterminer si, au moment de la création du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, le droit international prévoyait en règle générale la mise en cause de la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques pour les omissions dont ils se seraient rendus coupables lors de conflits armés non internationaux, ce qui aurait permis de poursuivre des personnes sur la base de l’article 7 3) du Statut pour les actes concrets qu’ils auraient commis entre janvier 1993 et janvier 1994 13.

10. Il est allégué dans l’Acte d’accusation modifié que « [d]urant toute la période visée par l’[…]acte d’accusation, la Bosnie-Herzégovine était le théâtre d’un conflit armé14 ». Les événements mentionnés dans ledit acte auraient eu lieu en Bosnie centrale, les parties au conflit étant l’Armée de Bosnie-Herzégovine (l’« ABiH ») et le Conseil de défense croate (« HVO  »). Dans l’Acte d’accusation initial, le Procureur avait allégué que « [d]urant toute la période couverte par l’[…]acte d’accusation, la Bosnie-Herzégovine était le théâtre d’un conflit international armé et [qu’]elle était partiellement occupée 15 ».

11. Dans l’Acte d’accusation modifié, Enver Hadzihasanovic et Mehmed Alagic ont à répondre de sept chefs de violations des lois ou coutumes de la guerre fondés sur les articles 3 et 7 3) du Statut, et Amir Kubura de six. Aucune accusation n’est portée en vertu de l’article 7 1) du Statut.

12. Enver Hadzihasanovic aurait rejoint la Défense territoriale de Bosnie-Herzégovine après le 8 avril 1992. Le 14 novembre 1992, il aurait été nommé chef du 3e corps de l’ABiH, poste qu’il a occupé jusqu’à ce qu’il soit promu chef de l’état-major du commandement suprême de l’ABiH. En décembre 1993, il aurait été promu général de brigade, devenant à ce titre membre du commandement conjoint de l’Armée de la Fédération de Bosnie-Herzégovine16.

13. Mehmed Alagic aurait rejoint, en tant que soldat, la 17e brigade de Krajina du 3e corps de l’ABiH le 13 janvier 1993, et aurait été nommé chef du groupe opérationnel dudit corps le 8 mars 1993. Il est également dit qu’il a été nommé chef du 3e corps de l’ABiH le 1er novembre 199317.

14. Amir Kubura aurait rejoint l’ABiH en cours de formation en 1992 comme chef adjoint d’un détachement à Kakanj, et aurait ensuite été nommé chef d’un bataillon de montagne de l’ABiH dans la même zone. Le 11 décembre 1992, il aurait été muté à la 7e brigade musulmane de montagne du 3e corps de l’ABiH avec le titre d’adjoint au chef d’état -major chargé des opérations et des questions relatives à l’instruction, et serait devenu chef d’état-major le 1er janvier 1993. Du 1er avril au 20 juillet 1993, Amir Kubura aurait remplacé, en son absence, le chef de la 7e brigade musulmane de montagne du 3e corps de l’ABiH, brigade dont il serait devenu le chef le 21 juillet 199318.

A. Arguments des parties

1. La Défense

15. Les conseils des trois Accusés sont largement d’accord sur la présentation de leurs arguments. Leur argument principal est qu’à l’époque des faits, le droit international - tant coutumier que conventionnel - ne prévoyait pas la mise en cause de la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques dans un conflit armé non international, comme le fait l’article 7 3) du Statut international, pour des violations de l’article  3 dudit Statut (violations des lois ou coutumes de la guerre). En conséquence, l’ensemble des chefs de l’Acte d’accusation modifié échappe à la compétence du Tribunal international, telle que définie par le Secrétaire général et entérinée par le Conseil de sécurité .

16. La Défense affirme que rien en droit coutumier ou conventionnel ne vient justifier l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cas de conflits armés internes19, et que cette application enfreint le principe de la légalité. Elle indique que, dans son Rapport sur le TPIY, le Secrétaire général exige que le Tribunal international applique les règles de droit international humanitaire qui font partie « sans aucun doute possible » du droit coutumier20.

17. La Défense ne conteste pas l’applicabilité du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cas de conflits armés internationaux, et invoque à ce propos tant le droit conventionnel que le droit coutumier21. La Défense a passé en revue les sources invoquées dans le Jugement Celebici 22 pour établir que la responsabilité du supérieur hiérarchique faisait partie du droit international coutumier. Elle affirme que, dans ce jugement, la Chambre de première instance « a résolument fondé son interprétation » sur les articles 86 et 87 du Protocole additionnel I23, qui est applicable aux conflits armés internationaux et prévoit précisément une action disciplinaire ou pénale lorsqu’un commandant n’a pas empêché ses subordonnés de commettre des infractions ou lorsqu’il ne les a pas réprimées, tandis que le Protocole additionnel II24 reste muet sur la question25.

18. En outre, la Défense soutient que le Protocole additionnel I prévoit une « responsabilité pénale ou disciplinaire, selon le cas », la conjonction « ou » permettant des sanctions autres que pénales. Elle affirme que le silence du Protocole additionnel II sur la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique indique clairement que les « États n’ont jamais eu l’intention [de l’] appliquer dans le contexte de conflits armés internes26 ». Selon la Défense, ce silence « reflète les craintes de nombreux États à l’idée que l’application du droit international humanitaire s’étende à des conflits mettant en cause leurs affaires intérieures27 ».

19. La Défense affirme également que « le fait qu’une norme du droit international coutumier soit applicable dans le contexte d’un conflit armé international ne signifie pas qu’elle soit également applicable ipso facto dans le cadre d’un conflit armé non international28  ».

20. La Défense estime que les textes empruntés par l’Accusation au droit conventionnel ou aux traités pour justifier l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans des situations de conflit armé interne sont « erronés  »29.

21. La Défense affirme qu’aucune jurisprudence d’une institution judiciaire internationale n’évoque la responsabilité du supérieur hiérarchique dans un conflit armé interne . Elle estime que les précédents émanant des tribunaux de Nuremberg et Tokyo et l’affaire Yamashita « sont hors sujet » puisqu’ils concernaient des conflits armés internationaux30.

22. En outre, la Défense estime qu’il n’y a pas, dans l’ordre interne, de supérieurs hiérarchiques qui aient été jugés pour ne pas avoir empêché ou sanctionné des crimes de guerre commis dans le cadre de conflits armés internes31. Elle réfute les affaires jugées après la Deuxième Guerre mondiale mentionnées par l’Accusation au motif qu’elles « n’ont aucun lien avec l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique au cours de conflits armés non internationaux 32 ». La Défense affirme que les exemples donnés par l’Accusation se rapportent à des conflits armés internationaux ou à des cas de sanctions disciplinaires et non pénales33.

23. Pour juger de l’applicabilité au regard du droit international coutumier de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique à des conflits armés internes, la Défense a passé en revue législations nationales, manuels militaires et jurisprudences internes pour déterminer quelle était en ce domaine la pratique des États. Elle a conclu que rien ou quasiment rien dans ces sources ne permettait de conclure à l’existence, parmi les États, d’une pratique constante, largement répandue et représentative qui les rapproche du Tribunal international en ce qu’ils appliquent la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cas de conflits armés internes. La Défense fait toutefois observer que de nombreux États reconnaissent sur la base du Protocole additionnel I le devoir des supérieurs hiérarchiques d’empêcher ou de réprimer les crimes commis par leurs subordonnés dans le cadre de conflits armés internationaux34.

24. En outre, la Défense soutient que des chefs miliaires n’auraient pas pu être tenus pénalement responsables de crimes de guerre sur la base de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique en vertu de lois pénales nationales. En 1993, seul un pays, la Belgique, disposait de pareille loi35. Les États qui ont opéré des changements après l’entrée en vigueur du Protocole additionnel  I ont reconnu le devoir des supérieurs hiérarchiques d’empêcher ou de réprimer les crimes commis dans le cadre de conflits armés internationaux, mais peu disposent des lois nécessaires pour poursuivre les supérieurs hiérarchiques qui ont failli à leur devoir lors de conflits armés internes36. La Défense affirme que lorsque les États adoptent une loi ratifiant le statut de la Cour pénale internationale (« CPI »), ils doivent souvent faire une exception ou promulguer de nouvelles lois prévoyant, comme l’article 28 du Statut de la CPI 37, la mise en cause de la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques, car ce principe n’était pas auparavant reconnu dans leur droit interne38.

25. La Défense soutient qu’aucune loi nationale ne prévoit la mise en œuvre de la responsabilité pénale de chefs militaires « comme s’ils avaient eux-mêmes commis les crimes39 ». La sanction pour manquement aux devoirs ou pour une infraction similaire par omission « est hors de question » puisque ces infractions n’ont fondamentalement rien à voir avec la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique visée à l’article 7 3) du Statut. S’agissant de l’article 7 3), la Défense affirme qu’il faut établir que le chef militaire avait le devoir d’empêcher les crimes et de les sanctionner, et qu’il ne s’en est pas acquitté, ce qui a engagé sa responsabilité pénale40. En outre, la Défense soutient que si le manquement à l’obligation de prévenir ou de punir représente une forme de complicité par aide ou instigation, il tombe sous le coup de l’article 7 1) et non 7 3) du Statut41. Concernant les conclusions de l’Accusation, la Défense rétorque qu’elles sont insuffisantes tant quantitativement que sur le fond pour conclure que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique est applicable dans le cas de conflits armés internes en droit international coutumier42.

26. La Défense soutient que le Code pénal de la République de Bosnie-Herzégovine de 1993 ne contenait aucune disposition permettant l’engagement de poursuites pour crimes de guerre « simplement » pour manquement à l’obligation de prévenir ou de punir. Il était criminel d’« ordonner » ou de « commettre » des violations du droit international humanitaire pendant un « conflit armé » ; toutefois, selon la Défense, ce code pénal ne contenait aucune disposition précise sur la responsabilité du supérieur hiérarchique43.

27. La Défense affirme également que les manuels militaires nationaux ne constituent pas des lois de la guerre, et que même s’ils offraient une source de pratique interne 44, ils ne contiennent aucune disposition relative à la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cadre de conflits armés internes qui institue une responsabilité du fait de ses subordonnés45.

28. En outre, la Défense cite un « Accord spécial » conclu le 22 mai 1992 par les différentes parties au conflit en Bosnie-Herzégovine en application de l’article  3 commun aux Conventions de Genève de 1949 (l’« Article 3 commun »)46. Dans cet Accord spécial, les parties convenaient d’appliquer certaines dispositions des Conventions de Genève et du Protocole additionnel I relatives aux conflits armés internationaux. La Défense affirme que les articles 86 et 87 du Protocole additionnel  I n’en faisaient pas partie et que les parties n’étaient donc pas liées par eux47. L’Accord spécial ne contient aucune disposition sur la responsabilité pénale, mais « seulement » une disposition appelant à prendre « les mesures nécessaires pour mettre fin aux violations présumées ou à éviter leur réapparition et à punir leurs auteurs conformément à la législation en vigueur »48.

29. En réponse aux arguments de l’Accusation selon lesquels la nature du conflit n’entre pas en ligne de compte pour déterminer si la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique est applicable aux termes du Statut, la Défense soutient que « les États ont souligné qu’il fallait maintenir une distinction claire entre les conflits armés internationaux et non internationaux, et veiller à ce qu’une nette différence existe entre les droits applicables dans chaque cas49  ». Elle affirme qu’au moment de l’adoption du Statut, cette distinction, trouvant sa source dans les traités et conventions alors en vigueur, était pertinente, et qu’elle le reste aujourd’hui, comme l’indique le libellé du Statut de la CPI50. Selon la Défense, on le doit à l’« intention expresse des États de maintenir des garanties suffisantes pour assurer le respect de la souveraineté nationale et l’application du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures51  ».

30. S’agissant de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique appliquée par le Tribunal international, la Défense d’Alagic affirme qu’elle est unique à un double titre : premièrement, le crime est un crime distinct, un crime par omission et, deuxièmement, le supérieur est tenu responsable des actes matériels commis par ses subordonnés52. La Défense cherche ainsi à faire la distinction entre la responsabilité découlant de l’article 7 3) du Statut et les différentes formes de responsabilité - « intentionnelle » selon elle -, en particulier la responsabilité pour complicité, tombant sous le coup de l’article 7 1). Elle soutient que les « autres formes » de responsabilité du supérieur hiérarchique – cas du supérieur tenu responsable pour les ordres (illégaux) donnés à ses subordonnés, de celui qui manque à son devoir et se voit infliger des sanctions disciplinaires et non pénales, ou encore de celui qui est tenu pénalement responsable pour ne pas avoir contrôlé ses subordonnés, autrement dit de supérieurs considérés comme coupables d’un crime distinct, le manquement à ses devoirs, et non pas des actes matériels commis par ses subordonnés – n’ont fondamentalement rien à voir avec la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique appliquée par le Tribunal international et qu’elles sont donc « sans rapport » avec la question posée à la présente Chambre de première instance53.

31. La Défense soutient également qu’il n’existe au Tribunal international aucun précédent en la matière, et de faire valoir qu’aucune chambre n’a expressément dit que l’article 7 3) du Statut s’appliquait en cas de conflits armés internes54. La Défense constate qu’aucun accusé n’a été déclaré coupable sur la « seule » base de l’article 7 3) dans le cadre d’un conflit armé non international. Dans l’affaire Aleksovski, l’accusé a été reconnu coupable en vertu des articles 7 1) et 7 3) du Statut pour des violations sanctionnées par son article 3 dans une affaire où il y aurait eu conflit armé international, ce qui reste à établir. En outre, la Défense de Kubura allègue qu’Aleksovski a pris part directement aux crimes et qu’il était donc tenu responsable « principalement » sur la base de l’article 7  1)55. En réponse à l’Accusation, la Défense commente d’autres affaires jugées par le TPIY. Elle fait observer que dans l’affaire Krnojelac, où l’accusé a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation sur la base de l’article 7 3) dans le cadre d’un « conflit interne56  », la Chambre de première instance « n’a pas abordé la question de savoir si la responsabilité d’un accusé pouvait être engagée sur la base de l’article 7 3) du Statut dans le cadre d’un conflit non international57  ». Dans l’affaire Krstic, la Chambre de première instance a jugé l’accusé responsable aux termes tant de l’article 7 1) que de l’article 7 3) dans le cadre d’un conflit armé interne. La Défense rejette ce jugement en faisant valoir qu’il n’est pas pertinent en l’espèce puisque les faits de cette affaire se situent «  bien après l’époque couverte par le présent acte d’accusation58  ».

32. En outre, la Défense soutient que les affaires dans lesquelles l’article 7 3 ) du Statut a été appliqué à des accusations de génocide et de crimes contre l’humanité sont distinctes de la présente espèce où les accusations sont fondées sur l’article  3 du Statut. Elle affirme que la conclusion tirée dans l’Arrêt Tadic relatif à la compétence, selon laquelle l’Article 3 commun entraîne une responsabilité pénale individuelle, portait sur une question différente de celle examinée par la présente Chambre de première instance. Selon la Défense, la Chambre d'appel Tadic était « en droit » d’estimer que les interdictions édictées à l’Article 3 commun seraient vaines si on ne pouvait pas les faire respecter, et donc de conclure que la responsabilité pénale individuelle en est le corollaire ; la Défense soutient également que, dans la mesure où il existe à l’évidence des moyens de faire respecter ces interdictions, il est inutile d'étendre la responsabilité pénale individuelle au point de mettre en cause la responsabilité du supérieur hiérarchique59.

33. La Défense réfute l’argument de l’Accusation pour qui la responsabilité du supérieur hiérarchique est une « conséquence logique » de la responsabilité pénale individuelle pour violations du droit international humanitaire60. Elle rejette également l’affirmation du Procureur selon laquelle la responsabilité du supérieur hiérarchique procède naturellement du « commandement responsable »  ; il est en effet inacceptable selon elle de relier ces deux notions, la deuxième n’entraînant aucune responsabilité pénale individuelle. Le commandement responsable n’inclut pas à la fois devoir et responsabilité, contrairement à la responsabilité du supérieur hiérarchique ainsi qu’il ressort des articles 87 et 86 du Protocole additionnel I61. La Défense affirme qu’il joue un rôle totalement différent en droit international coutumier : c’est une condition nécessaire à l’application du droit international humanitaire à une armée, et il sert de base à la réciprocité entre armées62.

34. S’il est vrai que l’article 6 3) du Statut63 du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le « TPIR »)64 prévoit l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cadre du conflit armé interne qui s’est déroulé au Rwanda, la Défense affirme que ledit Statut a été adopté après la période couverte par l’Acte d’accusation modifié et qu’il n’est donc pas pertinent en l’occurrence65. En outre, l’inclusion de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le Statut du TPIR n’indique en rien quel est le statut de cette doctrine en cas de conflits armés internes en droit international coutumier puisque, dans son rapport sur le TPIR, le Secrétaire général déclarait que la compétence ratione materiae dudit tribunal ne se limitait pas aux instruments internationaux qui étaient considérés comme faisant partie du droit international coutumier ou dont la violation engageait généralement la responsabilité pénale individuelle66. La Défense soutient que le Statut du TPIR ne peut pas être considéré comme une source normative en ce qui concerne la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cadre de conflits armés internes. Elle indique également que personne n’a été déclaré coupable sur la « seule » base de l’article 6 3) dudit Statut.

35. Enfin, la Défense affirme qu’aucun publiciste faisant autorité ou hautement qualifié n’a abordé cette question en détail67.

36. Après avoir affirmé que le droit international coutumier ne prévoyait pas l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique en cas de conflits armés non internationaux à l’époque des faits, la Défense conclut à la violation du principe de légalité. Elle soutient que, selon ce principe - ici appelé nullum crimen sine lege - personne ne peut être déclaré coupable d’un crime pour un acte ou une omission qui ne constituait pas une infraction pénale en droit international à l’époque des faits68.

37. La Défense s’inspire de la jurisprudence du Tribunal international69 et du Statut de la CPI pour détailler les attributs du principe de légalité, à savoir l’interdiction de l’application rétroactive du droit pénal, la nécessité d’une définition précise des infractions pénales et l’interdiction d’établir l’existence d’une infraction pénale par analogie70. Un des Accusés a affirmé que l’interdiction de toute ambiguïté impliquait que le droit soit écrit , ce qui exclurait donc le droit coutumier comme source d’incriminations71.

38. La Défense affirme que c’est dans le Projet de statut de la CPI adopté en 1994 par la Commission du droit international (la « CDI ») de l’Organisation des Nations Unies et le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de la CDI en 1996, c’est-à-dire après la période couverte par l’Acte d’accusation modifié, que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique a été évoquée pour la première fois à propos des conflits armés internes, et que ces deux textes ne rendent donc pas compte de l’état du droit coutumier à l’époque des faits72. La Défense soutient également que l’inclusion de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le Statut de la CPI n’est d’aucune aide dans la mesure où il a été adopté après les faits73.

39. La Défense demande l’abandon de toutes les accusations portées en vertu de l’article  3 sur la base de l’article 7 3) du Statut dans le cadre d’un conflit armé interne, abandon qui entraînerait le retrait total de l’Acte d’accusation modifié établi contre les Accusés.

2. L’Accusation

40. L’Accusation soutient que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique faisait partie du droit international coutumier avant 1994, et qu’elle y est apparue au plus tard le 1er janvier 199174. Elle en veut pour preuve l’application de cette doctrine pendant les « procès des criminels de guerre après la Deuxième Guerre mondiale », et sa codification ultérieure dans le Protocole additionnel I de 1977, les Statuts du TPIY et du TPIR, et le Statut de la CPI en 199875.

41. L’Accusation affirme également en s’appuyant sur le Rapport du Secrétaire général sur le TPIY que, si la responsabilité du supérieur hiérarchique est fondée en droit coutumier, il est inutile qu’elle le soit également en droit conventionnel76.

42. Les violations graves du droit international humanitaire engagent la responsabilité pénale individuelle lorsque sont impliqués les membres de forces placées sous un « commandement responsable ». L’Accusation affirme que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique est une conséquence logique de la mise en cause de cette responsabilité pénale individuelle. Selon elle, l’application de cette doctrine est la « conclusion logique » de l’Arrêt Tadic relatif à la compétence qui reconnaît qu’en droit international coutumier, la responsabilité pénale individuelle d’un individu est engagée par des violations du droit international humanitaire commises lors de conflits armés internes77.

43. L’Accusation fait remonter le « concept » de responsabilité du supérieur hiérarchique au xixe siècle, époque marquée par des « guerres civiles internes » en Europe et en « Amérique »78. Elle propose des exemples tirés de divers traités, codes ou conventions pour retracer l’évolution de la notion de « commandement responsable »79. L’Accusation cite le Code Lieber de 1863, adopté par les États-Unis pendant la guerre de Sécession, pour faire valoir que certains crimes de guerre engageaient « une forme » de responsabilité du commandement80.

44. L’Accusation affirme que la responsabilité du supérieur hiérarchique ne se conçoit pas sans un commandement responsable. Elle fait remonter le lien entre ces deux concepts au procès de Nuremberg et aux autres procès de l’après-guerre où elle trouve un fondement à la responsabilité pénale individuelle81. Elle cite également l’article premier du Protocole additionnel II pour « l’importance [qu’il attache à ce] que des groupes organisés soient sous la conduite d’un commandement responsable82 ». L’Accusation assimile le commandement responsable au critère du « contrôle effectif » énoncé dans l’Arrêt Celebici83.

45. L’Accusation se fonde également sur le Commentaire du CICR de l’article 86 du protocole additionnel I pour faire le lien entre le « commandement responsable » et la « responsabilité du commandement » : « L’Accord de Londres du 8 août 1945, qui devait servir de base aux poursuites intentées après la Seconde Guerre mondiale, notamment pour infraction au droit des conflits armés, ne fait pas allusion aux violations résultant d’une omission. Des condamnations n’en furent pas moins prononcées […], sur la base notamment de l’article premier du Règlement de La Haye de 1907, qui prévoit que les membres des forces armées doivent "avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés"84.  »

46. L’Accusation affirme que la jurisprudence du Tribunal international confirme le lien entre le commandement responsable et la responsabilité du commandement. Selon elle, dans le Jugement Blaskic, la Chambre de première instance « a souligné l’importance de l’article 43 1) du Protocole additionnel I pour la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique85  ».

47. L’Accusation estime que la nature du conflit n’est pas à prendre en compte pour juger de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Celle-ci s’applique dès lors que le droit international humanitaire s’applique, les conflits armés pouvant être internes et la doctrine étant reconnue en droit international coutumier. L’Accusation soutient que la distinction faite entre les conflits armés internes et internationaux tend à s’atténuer en droit international. Elle cite à ce propos la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité de 1968 et sur la Convention contre la torture de 1984, qui toutes deux prévoient la mise en cause de la responsabilité du supérieur hiérarchique ou y font allusion86. L’Accusation affirme que celle-ci relève d’un domaine du droit international humanitaire dans lequel la nature du conflit « n’entre pas en ligne de compte87  ».

48. L’Accusation fait observer que le Statut du TPIY inclut une disposition relative à la responsabilité du supérieur hiérarchique et confère au Tribunal une compétence sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide88. Elle estime que la jurisprudence du TPIY étaye la thèse de la responsabilité du supérieur hiérarchique « quelle que soit la classification du conflit89  ». En particulier, l’Accusation cite l’affaire Aleksovski, dans laquelle la Chambre de première instance a conclu au caractère non international du conflit et à la responsabilité de l’accusé sur la base de l’article 7 3) du Statut, conclusion non contestée en appel, ainsi que les affaires Kunarac et Krnojelac, dans lesquelles, selon elle, les juges ont conclu à la responsabilité des accusés sur la base de l’article 7 3) dans le cadre de « conflits armés »90.

49. Tout en affirmant que la nature du conflit n’entre pas en ligne de compte, l’Accusation donne des exemples de l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique en cas de conflits armés internes. Elle affirme qu’il existe une jurisprudence nationale appliquant cette doctrine à pareils conflits. L’Accusation se fonde notamment sur les « affaires anticolonialistes » Santos et Cruz opposant les États-Unis aux Philippines91, et sur l’affaire israélienne de Kafr Qassem92. Elle cite également une affaire fondée sur la Alien Tort Claims Act américaine , dans laquelle la responsabilité du supérieur hiérarchique a servi de fondement à la responsabilité civile délictueuse pour des actes commis à El Salvador93.

50. L’Accusation affirme que divers systèmes de droit internes incluent la responsabilité du supérieur hiérarchique. Elle cite notamment certains manuels militaires et codes pénaux94, y compris des lois adoptées après 199395. Elle réfute l’argument de la Défense selon lequel seul l’article 7 1) du Statut, et non l’article 7 3), fait écho aux lois nationales employant des termes tels que « tolérer » ou « complicité  », et elle mentionne l’utilisation dans le Jugement Celebici de lois incluant les termes « toléré » et « complices » comme une preuve de la « reconnaissance par les parlements nationaux de la responsabilité du supérieur hiérarchique96  ».

51. Selon l’Accusation, le Statut du TPIR, adopté en novembre 1994, expose l’opinio juris du Conseil de sécurité. Elle fait également observer que de nombreuses personnes ont été déclarées coupables en vertu de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cadre de conflits armés internes pour des génocides et des crimes contre l’humanité97.

52. L’Accusation cite les Statuts des tribunaux pour la Sierra Leone et le Timor Oriental, qui sont applicables à des conflits armés internes et contiennent des dispositions particulières concernant la responsabilité du supérieur hiérarchique 98. Selon elle, ces développements postérieurs à 1994 montrent que la communauté internationale a reconnu que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique faisait partie intégrante du droit international coutumier avant 1991, année marquant le début de la compétence ratione temporis du TPIY aux termes de son Statut, et les Statuts susmentionnés ne font que consacrer une norme coutumière préexistante. À ce propos, l’Accusation cite également le Commentaire de la CDI des Nations Unies sur le Projet de code de 199699.

53. Dans sa Réplique, l’Accusation cite des « Accords spéciaux » conclus entre les parties, accords qui, selon elle, indiquent qu’elles n’ont pas considéré la nature du conflit comme un obstacle à l’application des infractions graves et de certains aspects du Protocole additionnel I100.

54. De l’avis de l’Accusation, le rejet de ces arguments ne mettra pas un terme à l’affaire puisque la nature du conflit n’« est pas à prendre en compte » pour l’Acte d’accusation modifié101.

B. Principes généraux

55. Pour répondre à la question qui se pose en l’espèce, et qui est de savoir si , à l’époque des faits, le droit international prévoyait la mise en cause de la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques pour omissions ainsi qu’il est prévu à l’article 7 3) du Statut et, par conséquent, si les accusations de ce type relèvent bien de la compétence du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, la Chambre de première instance est tenue, dans ce contexte plus large, de respecter pleinement le principe de légalité (nullum crimen sine lege). La Chambre observe que dans les faits, la question se limite aux supérieurs hiérarchiques qui servent au sein de forces armées et qui sont tenus responsables à ce titre. Dans son argumentation, la Défense , se fondant sur ce principe, affirme que les Accusés ne peuvent être tenus responsables de violations du droit international humanitaire en tant que supérieurs hiérarchiques, puisqu’en l’espèce, le conflit est qualifié de « conflit armé » et non de conflit armé international.

56. Le principe de légalité est un principe fondamental du droit pénal et de la branche du droit international relative aux droits de l’homme102. Ce principe est consacré par de nombreuses conventions internationales, parmi lesquelles  :

- la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948103, en son article 11 2) ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (« CEDH104 »), en son article 7 ;

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre  1966 (« Pacte international105 »), en son article 15 ;

- la Convention interaméricaine des droits de l’homme du 22 novembre 1969106, en son article 9 ;

- le Deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève, daté du 8 juin 1977 107, en son article 6 2) c) ;

- le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, daté de 1991108, en son article 10 ;

Il ne fait aucun doute que le même principe se retrouve dans quasiment tous les systèmes juridiques du monde. Dans certains systèmes, le principe de légalité est même consacré par la Constitution109.

57. Le Statut du Tribunal international ne contient aucune disposition reprenant ce principe général du droit, mais la Chambre de première instance observe que d’après le Rapport du Secrétaire général,

[i]l va sans dire que le Tribunal international doit respecter pleinement les normes internationales reconnues touchant les droits de l’accusé à toutes les phases de l’instance. De l’avis du Secrétaire général, les normes internationalement reconnues sont notamment énumérées à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques110.

En outre, la condition de compétence inscrite à l’article premier du Statut est inspirée de ce principe :

Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire […].

Dans les commentaires sur le projet de statut de ce Tribunal, le principe de légalité a été discuté eu égard aux infractions fondamentales qu’il était envisagé d’inclure dans le Statut et au degré de spécificité exigé dans celui-ci111. Le Rapport du Secrétaire général indique expressément à ce sujet que :

en confiant au Tribunal international la tâche de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, le Conseil de sécurité ne créerait pas ce droit ni ne prétendrait « légiférer » à cet égard. C’est le droit international humanitaire existant que le Tribunal international aurait pour tâche d’appliquer112.

Plus précisément, le Rapport du Secrétaire général indique, concernant le principe de légalité, que :

l’application du principe nullum crimen sine lege exige que le Tribunal international applique des règles du droit international humanitaire qui font partie sans aucun doute possible du droit international coutumier, de manière que le problème résultant du fait que certains États, mais non la totalité d’entre eux, adhèrent à des conventions spécifiques ne se pose pas113.

58. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour européenne »), que l’article 7 de la CEDH114 n’exclut pas une « clarification graduelle » des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire115. Il n’est pas nécessaire que les éléments d’une infraction soient définis ; encore faut-il que le comportement prohibé soit défini de manière générale116. Dans l’affaire S.W. c/ Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré à propos du principe de la légalité :

Aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. D’ailleurs, il est solidement établi dans la tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres États parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible 117.

La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, dans l’article 7 1) de la CEDH , la notion de « droit » englobe le droit tant écrit que non écrit et « implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité 118 ».

59. L’article 7 2) de la CEDH est ainsi libellé :

Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées 119.

60. La Chambre de première instance saisie de l’affaire Celebici a fait une analyse détaillée du principe de légalité dont les passages suivants sont pertinents  :

402. Les principes nullum crimen sine lege et nulla poena sine lege sont reconnus par les grands systèmes pénaux du monde comme étant des principes fondamentaux du droit pénal. Un autre principe fondamental est l’interdiction des lois pénales postérieures aux faits avec pour corollaire que l’application des lois pénales et des peines ne peut pas être rétroactive. Les termes doivent aussi être explicites et toute ambiguïté doit être bannie des lois pénales. Ces règles constituent les piliers sur lesquels repose le principe de la légalité. Si ces principes ne sont pas respectés, il ne peut y avoir incrimination.

403. Les principes de légalité susmentionnés existent et sont reconnus dans tous les grands systèmes de justice pénale du monde. Nul ne sait avec exactitude dans quelle mesure ils sont admis comme une partie intégrante de la pratique juridique internationale, séparée et distincte des systèmes juridiques internes. La raison en est, pour l’essentiel, que les modes d’incrimination sont différents dans les systèmes internes et dans les systèmes internationaux de justice pénale.

404. Alors que, dans les systèmes internes de justice pénale, le processus d’incrimination dépend de la loi qui fixe le moment à compter duquel la conduite est interdite et le contenu de l’interdiction, le système international de justice pénale atteint le même objectif par des traités ou des conventions, ou lorsque les mesures unilatérales d’interdiction prises par les États passent dans la coutume.

405. Dès lors, on pourrait supposer que les principes de légalité sont, en droit pénal international, différents de ce qu’ils sont dans les systèmes juridiques internes , pour ce qui est de leur application et de leurs normes. Ils semblent être caractérisés par leur objectif clair : tenir la balance égale entre la nécessité de faire preuve de justice et d’équité envers l’accusé et le besoin de préserver l’ordre mondial. À cette fin, l’État ou les États concernés doivent prendre en considération des facteurs tels que la nature du droit international, l’absence de politiques et de normes législatives internationales, les procédures ad hoc de la rédaction technique et l’hypothèse fondamentale selon laquelle les normes en droit pénal international seront transposées dans le droit pénal interne des différents États.

[…]

412. Les juridictions ont toujours eu pour règle de ne pas réparer les omissions constatées dans les lois lorsqu’elles peuvent être considérées comme délibérées. Il semblerait toutefois que, lorsque l’omission est accidentelle, il est d’usage de rétablir les termes manquants pour donner au texte le sens que le législateur entendait lui donner. Le but premier quand on interprète une disposition pénale , ou autre, est de s’assurer de l’intention du législateur. La règle de l’interprétation restrictive n’est pas enfreinte si l’on donne à l’expression sa pleine signification ou un autre sens plus en accord avec l’intention du législateur et traduisant mieux cette intention120.

61. Dans l’Arrêt Aleksovski, la Chambre d’appel a conclu que le principe de légalité exige « qu’une personne ne puisse être déclarée coupable d’un crime qu’à raison d’actes qui étaient illégaux lorsqu’ils ont été commis121  ». Elle a affirmé en outre que ce « principe n’empêche pas un tribunal, qu’il soit national ou international, de trancher une question à travers un processus d’interprétation et de clarification des éléments constitutifs d’un crime donné ; il ne l’empêche pas non plus de s’appuyer sur certaines décisions antérieures qui renferment une interprétation du sens à donner à certains éléments d’un crime122  ».

62. La présente Chambre de première instance considère la maxime nullum crimen sine lege comme un élément constitutif du principe de légalité en ce qui concerne l’aspect criminel que revêt dans les faits un comportement donné. Pour interpréter cette maxime, il est essentiel de déterminer si le comportement en question était punissable à l’époque des faits. L’accent mis sur le comportement et non sur une description précise de l’infraction en droit matériel est de la plus haute importance . La Chambre est confortée dans cette interprétation du principe de légalité par l’adoption subséquente, dans l’article 22 du statut de la CPI, de la formule déclaratoire suivante :

Une personne n'est responsable pénalement en vertu du présent Statut que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de la Cour123.

Cette interprétation trouve également sa confirmation dans la pratique suivie par les états en matière d’extradition. Pour déterminer si la condition de double incrimination est remplie, il faut non pas tant se demander si un comportement donné reçoit la même qualification dans les systèmes nationaux respectifs que rechercher si ceux -ci l’ont tous deux érigé en crime124. La Chambre de première instance est pleinement consciente des différents contextes dans lesquels ces deux principes sont appliqués. Cela étant, elle observe une similarité tant du point de vue du problème sous-jacent que du point de vue des garanties juridiques . Pour que le principe de légalité soit respecté, il suffit que le criminel en puissance ait su et ait pu prévoir que son comportement était punissable à l’époque des faits . Il importe peu à cet égard que ce comportement ait été punissable en tant qu’acte ou en tant qu’omission, ou qu’il ait été susceptible d’entraîner des sanctions pénales, disciplinaires ou autres125.

63. La Chambre de première instance est tenue non seulement de respecter ce principe de légalité mais aussi d’interpréter le Statut conformément à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités et ce,

de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but126.

Pour ce faire, la Chambre de première instance doit tenir compte premièrement de la formulation du Statut et, deuxièmement, de son objet et de son but, tels qu’ils ressortent notamment de l’intention de ses auteurs et du Conseil de sécurité. C’est pourquoi la Chambre va, dans la suite, passer en revue les différentes propositions qui ont servi de fondement au Statut, le Rapport du Secrétaire général, les dispositions pertinentes du Statut et les discussions du Conseil de sécurité à l’occasion de son adoption.

64. En outre, le Tribunal international ayant, aux termes de l’article premier de son Statut, le pouvoir de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, la Chambre de première instance doit également prendre en considération les principes et buts de cette branche du droit international. Le droit international humanitaire a pour principal but de réglementer les moyens et méthodes de la guerre et de protéger les personnes qui ne participent pas activement au conflit armé. Ainsi que l’a affirmé la Chambre de première instance dans le jugement Furundzija, le principe général de respect de la dignité humaine est à la base du droit international humanitaire et des droits de l’homme et en constitue, en fait, la raison d'être127. Si le droit international humanitaire procède pour l’essentiel des traités et des conventions, il comprend également un certain nombre de principes qui, sans avoir été explicitement exposés dans des instruments juridiques, sont néanmoins considérés comme essentiels pour cette branche du droit. On accorde ainsi une importance fondamentale à la clause dite Martens, que l’on retrouve dans de nombreuses conventions en droit international humanitaire, du Règlement de La Haye aux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève. Aux termes de cette clause,

[e]n attendant qu’un Code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par Elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées , des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique128.

Bien que cette formulation ait été utilisée pour la première fois dans le cadre d’une convention applicable aux conflits armés internationaux, on considère depuis qu’elle s’applique généralement à tous les types de conflits armés. À ce titre, on la retrouve également dans le préambule du Protocole additionnel II.

65. L’un des principes fondamentaux du droit international humanitaire est celui de la mise en cause de la responsabilité pénale pour des violations de ce droit. Bien que pareille responsabilité ne soit pas toujours explicitement mentionnée dans les instruments conventionnels du droit international humanitaire, elle a été appliquée pendant le siècle passé par les organes judiciaires internes et internationaux. Comme il est dit plus loin, tout aussi fondamentaux sont les principes de commandement responsable et de responsabilité des supérieurs hiérarchiques. Ces deux principes ont été inclus dans certains instruments conventionnels mais pas dans tous.

66. En dernier lieu, les principes de commandement responsable et de responsabilité des supérieurs ont pour but de favoriser et de garantir le respect des règles du droit international humanitaire. Le supérieur doit agir de façon responsable et encadrer ses subordonnés de façon à s’assurer qu’ils observent les règles gouvernant les conflits armés ; il doit aussi prévenir la violation de ces normes ou, à défaut , veiller à ce que soient prises les mesures qui s’imposent.

C. Évolution du principe de responsabilité des supérieurs hiérarchiques

67. Pour une meilleure appréciation des arguments des parties, la Chambre de première instance estime utile de retracer l’évolution du principe de responsabilité des supérieurs hiérarchiques. Elle s’intéressera tout d’abord à l’évolution de ce concept avant la création de ce Tribunal, pour préciser ensuite sa place dans le Statut et la jurisprudence du Tribunal international. En respectant le principe de légalité, la Chambre de première instance tirera, à la fin de chaque section, des conclusions préliminaires sur l’état du droit international coutumier pour ce qui est du principe de responsabilité des supérieurs dans les conflits armés internes depuis 1991, et donc à l’époque des faits rapportés dans l’Acte d’accusation modifié, c’est-à-dire entre le 1er janvier 1993 et le 31 janvier 1994. La Chambre de première instance n’arrêtera toutefois sa décision qu’à l’issue de l’analyse qui va suivre. En outre , elle examinera brièvement l’évolution ultérieure du principe de responsabilité des supérieurs dans la mesure où elle pourrait être considérée comme pertinente en l’espèce, mais elle précise qu’elle n’entend pas par là résoudre la question qui lui est posée mais compléter l’analyse.

1. Développements antérieurs à la création du Tribunal

68. La question de l’origine de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques ne reçoit pas toujours la même réponse. Pour l’Accusation, elle trouve son fondement dans le Code Lieber, promulgué en 1863 par le Gouvernement de l’Union lors de la guerre de sécession américaine129. La Chambre de première instance saisie de l’affaire Celebici renvoie au contraire aux Conventions de La Haye de 1907130. En dépit des différences terminologiques, on voit se profiler dans ces textes l’interprétation actuelle du principe de responsabilité des supérieurs hiérarchiques. L’article 3 de la Convention IV de La Haye de 1907 est ainsi libellé :

La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée.

L’article premier de l’Annexe à cette Convention (le « Règlement de La Haye ») dispose que :

Les lois, les droits et les devoirs de la guerre ne s’appliquent pas seulement à l’armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires réunissant les conditions suivantes :

1. d’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ;

[…]

4. de se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre.

Dans les pays où les milices ou des corps de volontaires constituent l’armée ou en font partie, ils sont compris sous la dénomination d’« armée ».

En outre, l’article 43 du Règlement de La Haye exige qu’un individu en position d’autorité prenne

toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer, autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publics […].

69. Le Rapport de la Commission internationale des responsabilités des auteurs de la guerre et des sanctions, présenté lors de la Conférence des Préliminaires de Paix qui s’est tenue en 1919, pourrait bien renfermer la première formulation explicite de la responsabilité individuelle encourue pour manquement à l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou punir les infractions au droit des conflits armés. Il recommandait la création d’un tribunal pour la poursuite de toutes les personnes

qui ont ordonné des violations des lois ou coutumes de la guerre ou, alors même qu’elles étaient au courant et avaient le pouvoir d’intervenir, se sont abstenues de les empêcher ou de prendre des mesures pour les empêcher, y mettre un terme ou en punir les auteurs131.

On sait bien que ce tribunal n’a toutefois jamais vu le jour et que ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que le principe de responsabilité des supérieurs pour manquement à l’obligation d’agir a été explicité132.

70. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo et les organes judiciaires subséquents ont appliqué le principe de responsabilité des supérieurs dans un certain nombre de décisions. C’est sur une disposition du statut du Tribunal de Nuremberg traitant de la responsabilité pénale que s’est fondée la jurisprudence relative à la responsabilité des supérieurs hiérarchiques133. L’Acte d’accusation du Tribunal de Tokyo renfermait également un chef d’accusation mettant en cause la responsabilité des supérieurs :

Les accusés […] étant, en vertu de leurs fonctions respectives, responsables du respect desdites Conventions et assurances ainsi que des lois et coutumes de la guerre par les forces armées présentes dans les pays ci-dessous nommés, et ce, à l’égard de plusieurs milliers de prisonniers de guerre et de civils alors au pouvoir du Japon […], ont de façon délibérée et imprudente, négligé leur obligation légale de prendre les mesures adéquates pour en assurer le respect et empêcher les violations et ont par conséquent violé le droit de la guerre134.

Dans l’affaire In re Yamashita, la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a répondu par l’affirmative à la question de savoir

si les lois de la guerre imposent à un commandant de groupe d’armée le devoir de prendre les mesures appropriées qui sont en son pouvoir pour exercer une surveillance sur les troupes placées sous ses ordres afin d’empêcher les actes spécifiés qui constituent des violations des lois de la guerre […] et si sa responsabilité personnelle peut être retenue du fait qu’il a failli à prendre de telles mesures lorsqu’il en résulte des violations de la loi135.

Cette réponse reposait largement sur l’argument selon lequel un supérieur est tenu d’exercer un commandement responsable sur ses troupes136. La Cour a estimé que cette responsabilité trouvait son fondement dans un certain nombre d’instruments juridiques, comme le Règlement de La Haye, en ses articles  1 et 43, la Convention de La Haye (IX) concernant le bombardement par les forces navales en temps de guerre, en son article 19, et la Convention de Genève de 1929 pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne, en son article 26137.

71. La Cour suprême a en outre affirmé que le droit de la guerre avait pour but

de protéger les populations civiles et les prisonniers de guerre contre les brutalités , et [ce but] serait voué à l’échec si le commandant d’une armée d’invasion pouvait impunément négliger de prendre des mesures raisonnables pour leur protection. Partant, le droit de la guerre présuppose que toute violation de ses dispositions doit être évitée grâce au contrôle des opérations de guerre par les commandants qui sont dans une certaine mesure responsables de leurs subordonnés138.

La Chambre de première instance note qu’en 1945, une commission militaire américaine avait déclaré Tomoyuki Yamashita, général du 14e groupe d’armée de l’Armée impériale japonaise aux Philippines, coupable de négligence et manquement illicites au devoir que lui imposaient ses fonctions de commandant de contrôler les actes des membres de son commandement, en leur permettant de commettre des crimes de guerre. Le général Yamashita devait répondre de 64 chefs d’accusation distincts pour des actes concrètement commis par ses subordonnés, à savoir :

1) La privation de nourriture, l’exécution ou le massacre sans jugement, et de façon générale la maltraitance d’internés civils et des prisonniers de guerre ;

2) Le fait de torturer, violer, tuer et exécuter en grand nombre des habitants des Philippines, dont des femmes, des enfants et des membres d’ordres religieux, en les affamant, en les décapitant, en les tuant à la baïonnette, en les battant au bâton, en les pendant, en les brûlant vifs et en les tuant à l’explosif ;

3) Le fait d’incendier et de démolir, sans que ne le justifient pleinement les nécessités de la guerre, un grand nombre de maisons, de commerces, d’édifices religieux, d’hôpitaux , de bâtiments publics et d’établissements d’enseignement.

Le 7 décembre 1945, la commission militaire américaine a déclaré le général Yamashita coupable des crimes qui lui étaient reprochés139.

72. Dans l’affaire Brandt et consorts, le Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg a estimé que :

[l]es lois de la guerre imposent à un officier militaire assumant un commandement l’obligation positive de prendre toutes les mesures en son pouvoir compte tenu des circonstances pour contrôler ses subordonnés afin de prévenir des actes constitutifs de violations de ce droit140.

Dans l’affaire Wilhelm List et consort, le tribunal a jugé que :

[u]n commandant de corps doit être tenu responsable des actes commis par ses commandants subordonnés dans le cadre de l’application de ses propres ordres et des actes dont il avait ou aurait dû avoir connaissance141.

73. Bien que dans les affaires criminelles susmentionnées un certain nombre d’individus aient été reconnus pénalement responsables en tant que supérieur, il n’est pas fait référence au principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans les Conventions de Genève adoptées en 1949. Ces Conventions contiennent toutefois un certain nombre de dispositions pénales. Par exemple, l’article 146 de la IVe Convention de Genève impose aux États l’obligation de promulguer les lois nécessaires pour que toute infraction grave à la Convention soit effectivement sanctionnée au pénal142. L’article 147 définit plus précisément la notion d’infraction grave. Les commentateurs de cette Convention ont noté que les tribunaux alliés ont connu de plusieurs affaires traitant de « la responsabilité que pourraient encourir des personnes qui ne sont pas intervenues pour empêcher une infraction ou la faire cesser » et ont conclu qu’étant donné « le silence de la Convention, on doit admettre que c’est à la législation nationale qu'il appartient de régler cette matière, soit expressément, soit par application des dispositions générales que peuvent contenir les codes pénaux143  ». Au vu de ces dispositions conventionnelles et de leur commentaire, on ne peut que conclure que seules certaines violations des Conventions de Genève constituent des infractions graves et que ce n’est que pour ces infractions que les États sont obligés d’adopter une législation appropriée pour sanctionner les personnes qui en commettraient ou en ordonneraient. Telles qu’elles se présentent, les Conventions laissent aux États le soin de juger de l’opportunité de sanctionner les autres violations des Conventions et la responsabilité des supérieurs hiérarchiques pour les infractions graves ou toutes autres violations des Conventions. Comme il est dit par la suite, cette conclusion peut avoir des répercussions sur l’interprétation et l’appréciation de la pertinence du Protocole additionnel II pour la question de droit posée à la présente Chambre.

74. La « Confirmation des principes de droit international reconnus par le statut de la Cour de Nuremberg » (« Confirmation »), adoptée par l’Assemblée générale en 1946, réaffirme les « principes reconnus dans le statut de la Cour de Nuremberg et dans l'arrêt de cette Cour144  ». On peut y voir élevée au rang de principe du droit international la notion de responsabilité des supérieurs hiérarchiques, en tant que forme de la responsabilité pénale individuelle. La Confirmation appelant au « développement progressif et [à] la codification du droit international », la CDI nouvellement créée a exposé en 1950 les « Principes du droit international consacrés par le statut du tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal145  ».

75. C’est en 1950 que la CDI a entamé ses travaux sur le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (« Projet de code »), à l’invitation de l’Assemblée générale. La CDI a recommandé en 1950 que le principe de responsabilité des supérieurs hiérarchiques soit inscrit dans le Projet de code. Elle a ainsi d’abord examiné la responsabilité des États en droit international et a conclu qu’un « parallèle  » pouvait être établi entre les personnes dépositaires de l’autorité publique — militaire comme civile — et les États : « De même qu’un État est responsable sur le plan international pour les actes et les omissions contraires à la loi de ses organes, ses organes seraient pénalement responsables à raison de ces mêmes actes et omissions146. » Elle a ensuite passé en revue les législations nationales et en a trouvé de nombreuses sanctionnant pénalement les supérieurs coupables d’avoir toléré des débordements de la part de leurs subordonnés147. Elle a invoqué comme précédents en la matière des affaires jugées tant par le Tribunal de Tokyo que par les tribunaux militaires établis à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale 148. La CDI a recommandé, au vu de la pratique susmentionnée, l’adoption du principe suivant dans le Projet de Code  :

Toute personne occupant une situation officielle, civile ou militaire, qui ne prend pas les mesures appropriées qui sont en son pouvoir et de sa compétence, pour prévenir ou réprimer des actes que le projet de code déclare punissables, sera responsable de ce chef selon le droit international et passible de châtiment149.

Figurent au nombre des « actes que le projet de code déclare punissables » le génocide , qui peut être commis en l’absence de conflit armé, et les « violations des lois ou coutumes de la guerre », au sujet desquelles le commentaire de la CDI affirmait  : « à notre avis, toute violation des lois et coutumes de la guerre devrait être considérée comme un crime en droit international150  », ce qui inclurait donc les violations commises dans le cadre de tout conflit armé , qu’il soit international ou interne.

76. Le Projet de code des crimes de 1954 ne contenait que quatre articles151. Il comprenait une disposition relative à la responsabilité pénale individuelle ( article premier), mais ne mentionnait pas la responsabilité des supérieurs hiérarchiques .

77. Depuis le début des années 1950, le droit international humanitaire a peu évolué, tant à l’échelon international que national. On peut en dire de même du principe de responsabilité des supérieurs. Avant la création du Tribunal international, aucun organe judiciaire international ne l’avait appliqué. Cela étant, à l’échelon national , on peut citer l’adoption ou la révision de manuels militaires pour y inclure la responsabilité des supérieurs.

78. Un certain nombre de manuels militaires nationaux mentionnent le principe selon lequel un supérieur est responsable des violations des lois de la guerre commises par ses subordonnés. En République socialiste fédérative de Yougoslavie (« RSFY  ») notamment, le manuel de l’Armée populaire yougoslave (« JNA ») contenait la disposition suivante :

Le commandant est personnellement responsable des violations des lois de la guerre s’il savait ou aurait pu savoir que ses hommes ou les unités placées sou ses ordres s’apprêtaient à violer la loi et s’il n’a pas pris de mesures pour prévenir ces violations. Le commandant qui a connaissance des violations des lois de la guerre et qui n’en a pas mis les auteurs en accusation voit sa responsabilité personnelle engagée. Dans le cas où il n’est pas habilité à les mettre en accusation, sa responsabilité personnelle est également engagée s’il ne porte pas les faits à la connaissance du commandant militaire habilité à le faire.

Un commandant militaire est responsable en tant que participant ou instigateur si , faute d’avoir pris des mesures à l’encontre de subordonnés violant les lois de la guerre, il permet à ses unités subordonnées de continuer à commettre des attaques 152.

79. Le paragraphe 501 du United States Army Field Manual on the Law of Warfare, adopté en 1956 (et modifié en 1976), est intitulé « Responsabilité pour les actes de subordonnés » :

Dans certains cas, les commandants militaires peuvent être tenus responsables de crimes de guerre commis par des membres subordonnés des forces armées ou par d’autres personnes placées sous leur autorité. Ainsi, par exemple, lorsque des soldats se livrent sur la population civile d’un territoire occupé ou des prisonniers de guerre , à des massacres et des atrocités, ces crimes peuvent être imputés non seulement aux auteurs mêmes mais également à leur commandant. La responsabilité de ce dernier est directement engagée lorsque les actes en question ont été commis en exécution de ses ordres. Le commandant sera également tenu responsable si grâce aux rapports qu’il recevait ou à d’autres moyens, il savait effectivement ou aurait dû savoir que des soldats ou d’autres personnes placées sous son autorité s’apprêtaient à commettre des crimes de guerre ou l’avaient fait et s’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour assurer le respect des lois de la guerre ou pour punir les contrevenants [traduction non officielle].

En outre, le paragraphe 507 de ce manuel, intitulé « Compétence universelle », dispose notamment que :

[…]

b. Personnes accusées de crimes de guerre : Les États-Unis ne sanctionnent normalement les crimes de guerre en tant que tels que s’ils sont commis par des ressortissants étrangers ou par des personnes servant les intérêts de l’État ennemi. Les violations des lois de la guerre commises par des personnes soumises au droit militaire des États-Unis constituent normalement des violations du Uniform Code of Military Justice et, en pareil cas, font l’objet de poursuites en application dudit code . Les violations des lois de la guerre commises sur le territoire des États-Unis par d’autres personnes sont normalement considérées comme des violations du droit pénal fédéral ou de l’État fédéré concerné, et font de préférence l’objet de poursuites en application de ce code. Les chefs d’unité des forces des États-Unis doivent veiller à ce que les crimes de guerre commis par leurs troupes contre des soldats ennemis soient rapidement et dûment sanctionnés [traduction non officielle].

80. Le paragraphe 631 du British Manual of Military Law de 1958 reproduit le texte du paragraphe 501 du US Army Field Manual on the Law of Warfare de 1956, précité, à l’exception de la dernière ligne.

81. En Allemagne, le Ministère fédéral de la défense a publié un manuel de droit humanitaire applicable en cas de conflits armés, au paragraphe 138 duquel on peut lire ce qui suit :

Le supérieur est tenu de veiller à ce que ses subordonnés soient informés des droits et obligations que lui reconnaît le droit international. Il est obligé de prévenir les infractions au droit international et, le cas échéant, d’y mettre un terme ou d’en informer les autorités compétentes (article 87 du Protocole additionnel I). Il est aidé dans cette tâche par le conseiller juridique (article 82 du Protocole additionnel I)153.

82. Bien que ces manuels aient été normalement rédigés pour réglementer le fonctionnement de l’armée dans le cadre d’un conflit armé international, l'US Army Field Manual de 1956 dispose explicitement que :

[l]e droit coutumier de la guerre devient applicable aux guerres civiles dès lors que les rebelles sont reconnus comme des belligérants154.

83. A l’échelon international, plusieurs faits intéressant le droit conventionnel sont à prendre en compte en l’espèce. La Chambre de première instance renvoie tout d’abord à l’article 2 de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité155, aux termes duquel est également engagée la responsabilité pénale de ceux qui « tolèrent  » des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité156.

84. Au début des années 1970, des discussions se sont ouvertes sur la nécessité d’élaborer des protocoles additionnels aux Conventions de Genève. Fait significatif au début de ces discussions, aucune disposition concernant les devoirs des commandants n’a été proposée157. En définitive , le principe de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques a tout de même été codifié, mais seulement dans le Protocole additionnel I. Les articles 86 et 87 de celui-ci disposent que :

Article 86 - Omissions

1. Les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent réprimer les infractions graves et prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux Conventions ou au présent Protocole qui résultent d’une omission contraire à un devoir d’agir.

2. Le fait qu’une infraction aux Conventions ou au présent Protocole a été commise par un subordonné n’exonère pas ses supérieurs de leur responsabilité pénale ou disciplinaire, selon le cas, s’ils savaient ou possédaient des informations leur permettant de conclure, dans les circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre une telle infraction, et s’ils n'ont pas pris toutes les mesures pratiquement possibles en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer cette infraction .

Article 87 - Devoirs des commandants

1. Les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent charger les commandants militaires, en ce qui concerne les membres des forces armées placés sous leur commandement et les autres personnes sous leur autorité, d’empêcher que soient commises des infractions aux Conventions et au présent Protocole et, au besoin , de les réprimer et de les dénoncer aux autorités compétentes.

2. En vue d’empêcher que des infractions soient commises et de les réprimer, les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent exiger que les commandants , selon leur niveau de responsabilité, s’assurent que les membres des forces armées placés sous leur commandement connaissent leurs obligations aux termes des Conventions et du présent Protocole.

3. Les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent exiger de tout commandant qui a appris que des subordonnés ou d’autres personnes sous son autorité vont commettre ou ont commis une infraction aux Conventions ou au présent Protocole qu’il mette en œuvre les mesures qui sont nécessaires pour empêcher de telles violations des Conventions ou du présent Protocole et, lorsqu’il conviendra , prenne l’initiative d’une action disciplinaire ou pénale à l’encontre des auteurs des violations.

85. D’après le Commentaire des Protocoles additionnels, « [l]'importance de la présente disposition [l’article 86] ne saurait être mise en doute158  ». Dans le même temps, le Commentaire précise que le concept lui-même n’était en aucun cas une nouveauté :

La reconnaissance de la responsabilité des supérieurs qui, sans aucune excuse, ne font pas ce qui est en leur pouvoir pour empêcher leurs subordonnés de commettre des infractions au droit des conflits armés, n’est donc pas nouvelle en droit conventionnel . Le principe ne faisait cependant pas l’objet d’une réglementation expresse au titre des sanctions pénales159.

Le Commentaire fait remarquer que bien au contraire, le fait qu’une infraction au droit international puisse résulter d’une omission est « incontesté » et ressort aussi bien de la pratique des États que de la doctrine et de la jurisprudence160. Selon le Commentaire, les condamnations prononcées à la suite de la Deuxième Guerre mondiale trouvaient leur fondement dans « la seule législation nationale, que ce soit par des dispositions expresses ou par application des règles générales que pouvaient contenir les codes pénaux161  ». En outre, au cours des négociations menées lors de la Conférence diplomatique , certaines délégations ont relevé que les dispositions finalement incluses dans l’article 87 se trouvaient déjà dans les codes militaires de tous les pays162. Le délégué canadien a mis en doute la nécessité d’inclure un article relatif aux « omissions », vu la clarté du droit en vigueur sur le sujet : « Par exemple, dans le code militaire canadien, la responsabilité incombe à tout supérieur, quelle que soit sa catégorie163. » De même, le délégué des Philippines a émis des doutes quant à la nécessité d’un article sur les « devoirs des commandants », puisque « dans toute organisation militaire, un commandant a le devoir d’empêcher ses hommes de commettre un acte de caractère criminel sous peine d’être lui-même accusé de négligence criminelle164  ». Il est à noter que le délégué de la Yougoslavie avait fait un commentaire similaire , affirmant que cet article « contenait des dispositions qui se trouvaient déjà dans les codes militaires de tous les pays », mais que son pays votait en sa faveur « en raison de l’intérêt manifesté par certaines délégations sur ce point »165.

86. Ainsi, l’idée, en adoptant l’article 87, n’était pas de créer une nouvelle disposition juridique ou de combler une lacune juridique mais uniquement « de s'assurer qu'elles [les dispositions relatives aux devoirs des commandants] seront rendues expressément applicables à l'égard des prescriptions des Conventions et du Protocole166  ». L’article 87 devrait s’appliquer à « toute personne ayant des responsabilités de commandement », et « [i]l n’existe aucun militaire exerçant un commandement qui ne soit tenu de veiller à la bonne application des Conventions et du Protocole »167.

87. Comme l’ont observé les deux parties, le Protocole additionnel II applicable aux conflits armés non internationaux ne contient pas de dispositions similaires aux articles 86 et 87 du Protocole additionnel I. Cela étant, il traite quand même de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, quoique d’une manière plus générale que le Protocole additionnel I. L’article premier du Protocole additionnel II fait explicitement référence au concept de commandement responsable, lequel figurait également dans divers instruments antérieurs, comme il a été dit plus haut :

Le présent Protocole […] s’applique à tous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l’article premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 2 août  1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d’une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent Protocole168.

À ce propos, on peut lire dans le Commentaire que

[l]’existence d’un commandement responsable implique une certaine organisation des groupes armés insurgés ou des forces armées dissidentes, mais cela ne signifie pas forcément la mise en place d’un système d’organisation militaire hiérarchique similaire à celui de forces armées régulières. Il s’agit d’une organisation suffisante, d’une part, pour concevoir et mener des opérations militaires continues et concertées , de l’autre, pour imposer une discipline au nom d’une autorité de fait( footnote 169 ).

88. La Chambre de première instance renvoie en outre aux dispositions relatives aux « poursuites pénales », figurant à l’article 6 du Protocole additionnel II170. Celui-ci vise principalement à garantir un procès équitable aux personnes accusées d’avoir commis des violations du droit international humanitaire dans le cadre d’un conflit armé interne. Bien que cet article ne soit destiné ni à clarifier ni à compléter les fondements de la responsabilité pénale individuelle, il montre que les auteurs du Protocole additionnel II envisageaient des poursuites contre les responsables de violations du droit international humanitaire en cas de conflits armés internes .

89. À partir de 1980, la CDI a repris ses travaux sur le Projet de code, après que l’Assemblée générale a manifesté un regain d’intérêt pour la question. En 1986, la CDI a présenté une version mise à jour du « Projet d’articles »171 où était insérée dans le chapitre consacré aux « Principes généraux », une disposition traitant de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques. L’article 9, intitulé « Responsabilité du supérieur hiérarchique », disposait que :

Le fait qu’une infraction a été commise par un subordonné n’exonère pas ses supérieurs hiérarchiques de leur responsabilité pénale, s’ils avaient ou possédaient des informations leur permettant de conclure, dans les circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre une telle infraction et s’ils n’ont pas pris toutes les mesures pratiquement possibles en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer cette infraction172.

On peut lire dans le commentaire de cet article :

[L]a Commission peut aussi laisser à la théorie générale de la complicité le soin de couvrir l’hypothèse prévue. Il ne faut cependant pas oublier que l’on est ici en présence d’infractions qui se commettent dans le cadre d’une hiérarchie et où , par conséquent, le pouvoir de commandement intervient presque toujours. Il peut donc paraître utile de donner à la responsabilité du chef un fondement distinct, et une source écrite autonome173.

Parmi les infractions énumérées sous l’intitulé « Crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » figuraient les crimes contre la paix, les crimes contre l’humanité , y compris le génocide, et les crimes de guerre. Il est à noter que le terme «  crimes de guerre » s’applique aux violations graves des lois ou coutumes de la guerre commises dans le cadre des conflits armés tant internationaux qu’internes.

90. En 1987, la mise à jour du Projet de code de la CPI a entraîné une renumérotation des articles, l’article intitulé « Responsabilité des supérieurs » devenant l’article 10174. Commentant cette disposition , la CDI a considéré que la responsabilité des supérieurs constitue « un cas particulier de la théorie de la complicité175  ». Elle a décrit la complicité comme pouvant

résulter aussi d’un ordre donné par une personne qui détient un pouvoir de commandement , ou d’une abstention volontaire de cette dernière, alors qu’elle avait le pouvoir d’empêcher. Elle peut aussi résulter d’une négligence car, en principe, tout chef militaire est tenu de s’informer de la situation des unités placées sous son commandement et des actes qui y sont commis ou projetés176.

L’affaire Yamashita et l’affaire des otages sont citées à l’appui de la reconnaissance des devoirs des commandants et de la mise en cause subséquente de la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques qui n’ont pas empêché leurs subordonnés de commettre des crimes. Il ressort du commentaire que le problème qui se posait n’était pas « un problème de fond mais de méthode177  ». Fallait-il consacrer un article à la question ou « laisser à la théorie générale de la complicité le soin de couvrir les cas prévus par cette hypothèse178  ». Notant que le Protocole additionnel I consacre deux articles à la question, «  qu’il existe une jurisprudence constante et des dispositions conventionnelles en la matière », et que les infractions considérées dans le Projet de code « se commettent dans le cadre d’une hiérarchie179  », la CDI a choisi de traiter la responsabilité des supérieurs hiérarchiques dans un article distinct.

91. En 1988, la CDI a légèrement modifié le libellé de l’article 10180, lequel disposait désormais :

Responsabilité du supérieur hiérarchique

Le fait qu’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité a été commis par un subordonné n’exonère pas ses supérieurs de leur responsabilité pénale, s’ils savaient ou possédaient des informations leur permettant de conclure, dans les circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre un tel crime et s’ils n’ont pas pris toutes les mesures en leur pouvoir, pratiquement possibles, pour empêcher ou réprimer le crime.

92. En 1991, la CDI a retenu le même libellé pour l’article 12 du chapitre intitulé « Principes généraux » du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité181. Selon le commentaire de cet article, le principe de la responsabilité du supérieur du fait des crimes commis par ses subordonnés trouve son origine tant dans des décisions judiciaires internationales que dans le droit international pénal de l’après-Deuxième Guerre mondiale, dont le Protocole additionnel I constitue un exemple. Le commentaire donne en outre des précisions sur les éléments de ce principe et conclut que la responsabilité pénale du supérieur peut être engagée « même s’il n’a pas suffisamment analysé l’information ou si, l’ayant analysée, il n’en a pas tiré la conclusion qui s’en dégageait naturellement182  ». La Chambre de première instance note que le Projet de code de 1991 inclut un large éventail de crimes dont le terrorisme international, le trafic illicite de stupéfiants, les dommages délibérés et graves à l’environnement, ainsi que le génocide et des « crimes de guerre d’une exceptionnelle gravité » commis pendant un conflit armé.

93. Sur la base de ce qui précède, la Chambre de première instance tire les conclusions préliminaires suivantes en ce qui concerne la doctrine de la responsabilité des supérieurs avant que le Tribunal international ne devienne compétent :

i) elle trouve son origine entre autres dans la notion de « commandement responsable  » et les principes fondamentaux du droit militaire ;

ii) elle a été appliquée de façon à ce que les commandants ou les supérieurs voient leur responsabilité pénale individuelle engagée s’ils ne s’acquittent pas de l’obligation qui leur est faite d’empêcher leurs subordonnés de commettre des violations du droit international ou de les en punir après coup ;

iii) il est admis qu’elle fait partie intégrante du droit international coutumier et constitue un principe général du droit international pénal ;

iv) son objectif principal est d’assurer le respect des lois et coutumes de la guerre et du droit international humanitaire en général ;

v) il est admis qu’elle s’applique à des crimes commis dans le cadre d’un conflit armé ou en dehors de tout conflit armé ;

vi) il est admis qu’elle s’applique aux conflits armés tant internationaux qu’internes .

S’agissant des points v) et vi), la Chambre de première instance prend note du fait qu’ils n’ont pas été explicitement codifiés dans un accord ou traité international , si l’on fait abstraction du Protocole additionnel I relatif aux conflits armés internationaux, et qu’ils n’ont fait l’objet d’aucune décision de la part d’un organe judiciaire international, si l’on met à part, là encore, les affaires de conflits armés internationaux.

2. Création du Tribunal international

94. L’article premier du Statut définit comme suit la compétence du Tribunal :

Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, conformément aux dispositions du présent statut .

95. La responsabilité pénale individuelle est définie à l’article 7 du Statut, qui dispose entre autres :

1. Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 5 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.

2. La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’Etat ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine.

3. Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs.

[...]

96. La Chambre de première instance a passé en revue les rapports officiels et les documents préparatoires au Statut susceptibles de l’aider dans l’interprétation de celui-ci, en particulier en ce qui concerne l’étendue de la responsabilité pénale individuelle et la portée de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique .

97. Le Conseil de sécurité a adopté plus de quarante résolutions relatives au conflit dans l’ex-Yougoslavie. Un certain nombre d’entre elles portent principalement sur les violations du droit international humanitaire. Bon nombre de ces résolutions ont été adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Dans la résolution 764 adoptée le 13 juillet 1992, le Conseil de sécurité a réaffirmé que toutes les parties étaient tenues de s’acquitter des obligations découlant du droit international humanitaire et que

les personnes qui commettent ou ordonnent de commettre de graves violations [des] conventions en sont individuellement responsables [...].

Dans la résolution 771 adoptée le 13 août 1992, le Conseil de sécurité a évoqué plus particulièrement les informations qui continuaient de faire état de violations généralisées du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie « en particulier en Bosnie-Herzégovine », a condamné fermement « toutes les violations du droit humanitaire international », et a exigé « que toutes les parties et les autres intéressés dans l’ex-Yougoslavie, ainsi que toutes les forces militaires en Bosnie-Herzégovine » mettent « immédiatement fin à toutes violations du droit humanitaire international183  ». Dans la résolution 780 adoptée le 6 octobre 1992, le Conseil de sécurité a appelé à la constitution d’une Commission d’experts chargée d’examiner et d’analyser les informations concernant les violations du droit international humanitaire, notamment les infractions graves aux Conventions de Genève, commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Le 16 novembre 1992, le Conseil de sécurité a adopté la résolution  787 dans laquelle il condamnait toutes les violations du droit international humanitaire et

réaffirm[ait] que ceux qui commettent ou ordonnent de commettre de tels actes en seront tenus pour individuellement responsables [...].

En outre, plusieurs résolutions ultérieures font référence aux violations du droit international humanitaire, et parfois à la pratique du nettoyage ethnique ainsi qu’à l’interdiction ou l’obstruction de l’accès de la population civile à l’aide humanitaire ou à des services tels que les soins médicaux et autres services essentiels 184. Dans son Rapport intérimaire, la Commission d’experts a indiqué que la création d’un tribunal international spécial pour connaître des événements survenus sur le territoire de l’ex-Yougoslavie « serait conforme à l’orientation de ses travaux185  ».

98. Dans la résolution 808 adoptée le 22 février 1993, le Conseil de sécurité a décidé la création d’un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire. Le Conseil de sécurité a évoqué les informations faisant état de « violations généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie » et a estimé que cette situation constituait une menace pour la paix et la sécurité internationales. En outre, il s’est déclaré résolu à mettre fin à « de tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les personnes qui en portent la responsabilité soient poursuivies en justice186 ».

99. Un examen minutieux de ces résolutions fait apparaître plusieurs points pertinents. Tout d’abord, le Conseil de sécurité ne se prononce à aucun moment sur la nature du conflit armé. Il évoque presque toujours « les violations du droit humanitaire  » sans préciser plus avant de quelles normes il est question. Dans certains cas, il est fait référence aux infractions graves, mais, comme dans la résolution 780, la formule employée est « violations du droit humanitaire, y compris des violations graves ». De l’usage de ces diverses formules, la Chambre de première instance conclut que le Conseil de sécurité s’est délibérément abstenu de se prononcer sur la nature du conflit armé et a délibérément ménagé la possibilité d’appliquer les normes relatives aux conflits armés internes. Cette conclusion rejoint celle formulée par la Chambre d’appel Tadic dans l’arrêt relatif à l’exception d’incompétence :

Sur la base de ce qui précède, nous concluons que les conflits dans l’ex-Yougoslavie revêtent les caractères de conflits à la fois internes et internationaux, que les Membres du Conseil de sécurité avaient clairement les deux aspects à l’esprit quand ils ont adopté le Statut du Tribunal international et qu’ils avaient l’intention de l’habiliter à juger des violations du droit humanitaire commises dans les deux contextes. Le Statut doit, par conséquent, être considéré comme donnant effet à cet objectif dans toute la mesure du possible aux termes du droit international en vigueur187.

La Chambre de première instance constate qu’à maintes reprises, le Conseil de sécurité a évoqué explicitement le conflit armé en Bosnie-Herzégovine, et là encore, il n’a pas tenté de restreindre le champ d’application du droit international humanitaire pour ce qui est de la responsabilité individuelle dans le cas où le conflit armé en Bosnie-Herzégovine pourrait être qualifié d’« interne ».

Ensuite, les termes employés dans les différentes résolutions ont été choisis de manière à exprimer l’intention de traduire en justice les personnes responsables des violations du droit international humanitaire. Aucune distinction n’a été établie entre ceux qui commettent des violations dans le cadre d’un conflit armé interne et ceux qui en commettent dans le cadre d’un conflit armé international. De plus , aucune distinction n’a été établie non plus entre les différentes théories de la responsabilité pénale individuelle. À plusieurs reprises, le Conseil de sécurité a expressément fait référence à « ceux qui commettent ou ordonnent de commettre  » de tels actes, mais il développait par là l’idée que toutes les personnes coupables de violations du droit international humanitaire devaient en répondre, qu’elles l’aient violé par leurs actes ou leurs omissions.

101. Enfin, la Chambre de première instance observe que la plupart des résolutions qui nous intéressent ont été adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et qu’elles s’imposaient donc à toutes les parties et à toutes les personnes impliquées dans le conflit. En d’autres termes, chaque personne partie prenante au conflit, qu’il s’agisse d’un supérieur hiérarchique ou d’un subordonné , et que le conflit soit international ou interne, était tenue de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité.

102. La même approche se retrouve dans le rapport de la Commission d’experts. Le Secrétaire général a joint à sa lettre du 9 février 1993 au Président du Conseil de sécurité le « Rapport intérimaire de la Commission d’experts constituée conformément à la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité188  ». La Commission d’experts a énuméré les accords internationaux et les règles du droit international applicables au conflit dans l’ex-Yougoslavie. La Commission s’est abstenue toutefois de se prononcer sur la nature de ce conflit, et a estimé que le droit applicable aux conflits armés internationaux devait s’appliquer dans son ensemble à la situation dans l’ex-Yougoslavie. À cet égard,

[l]a Commission est d’avis toutefois qu’étant donné la nature et la complexité des conflits armés en cause, ainsi que la multiplicité des accords sur les questions humanitaires que les parties ont conclus entre elles, elle est fondée à considérer que les règles applicables aux conflits armés internationaux peuvent s’appliquer à l’ensemble des conflits armés ayant pour cadre le territoire de l’ex-Yougoslavie 189.

103. La Chambre de première instance constate qu’aux termes de l’« Accord spécial  » conclu le 22 mai 1992 sous les auspices du Comité international de la Croix-Rouge entre les parties au conflit en Bosnie-Herzégovine, celles-ci ont « réaffirmé leur engagement à respecter et à faire respecter les règles du droit international humanitaire ». La Chambre de première instance fait remarquer en outre que cet accord prévoit, entre autres, que

[c]haque partie s’engage, quand elle est informée, en particulier par le CICR, de toute allégation de violations du droit international humanitaire, à ouvrir rapidement une enquête et à la poursuivre diligemment ainsi qu’à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux violations présumées ou pour éviter leur réapparition et pour punir leurs auteurs conformément à la législation en vigueur( footnote 190 ).

104. Dans son Rapport intérimaire, la Commission d’experts a également examiné la question de la responsabilité du supérieur hiérarchique :

En outre, les supérieurs sont individuellement responsables de tout crime de guerre ou crime contre l’humanité commis par un de leurs subordonnés s’ils savaient, ou disposaient de renseignements dont, vu les circonstances, ils auraient pu déduire, que ce subordonné était en train ou sur le point de commettre un tel acte et s’ils n’ont pas pris toutes les mesures qu’ils étaient à même de prendre pour prévenir l’acte ou punir le coupable191..

S’agissant des chefs militaires, la Commission d’experts a constaté que :

Le commandement militaire est tout spécialement tenu, en ce qui concerne les membres des forces armées relevant de son autorité ou les autres personnes soumises à son contrôle, d’empêcher et, si nécessaire, de réprimer les actes de ce genre et de les signaler aux autorités compétentes192.

Pour ce qui est de l’objet de la doctrine de la responsabilité du commandement, la Commission a fait remarquer dans son Rapport final que

[l]a doctrine de la responsabilité du commandement vise essentiellement les chefs militaires étant donné que ceux-ci ont l’obligation individuelle de maintenir la discipline parmi les troupes qu’ils commandent. La plupart des affaires dans lesquelles la doctrine de la responsabilité du commandement a été envisagée ont impliqué des accusés militaires ou paramilitaires. Dans certaines circonstances, les dirigeants politiques et les fonctionnaires de l’État ont été aussi tenus pour responsables en vertu de cette doctrine193.

En conséquence, la Commission d’experts a à l’évidence considéré que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique devait s’appliquer à chaque crime de guerre ou crime contre l’humanité commis dans l’ex-Yougoslavie.

105. Après que le Conseil de sécurité a décidé la création d’un tribunal international, un certain nombre d’États ont soumis des propositions au Secrétaire général en vue de l’élaboration de son Statut. Certaines de ces propositions étaient assorties d’observations concernant la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique qui prônaient non seulement son inclusion dans le Statut, mais aussi une large application . La Chambre de première instance constate que ces déclarations officielles peuvent donner des indications sur l’état du droit coutumier ou les principes généraux de droit.

106. Le gouvernement italien a soumis un projet de statut du Tribunal international , accompagné de notes explicatives194. Ce document renferme une disposition portant sur la responsabilité du supérieur hiérarchique intitulée « Principes régissant la responsabilité pénale » rédigée ainsi :

Le fait qu’un des crimes prévus à l’article 4195 ait été commis par un subordonné ne dégage pas la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques s’ils savaient ou étaient en possession d’informations qui leur auraient permis de conclure, dans les circonstances du moment, que le subordonné était en train de commettre un tel crime ou allait le faire et s’ils n’ont pas adopté toutes les mesures possibles pour l’en empêcher196.

107. Le gouvernement des États-Unis d’Amérique a également adressé au Secrétaire général une lettre accompagnée d’un projet de « statut » pour le Tribunal international . Dans l’introduction de ce document, les États-Unis soulignent que « le tribunal devrait appliquer des règles de droit matériel et procédural internationalement acceptées197 ». Les États-Unis ont inclus la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans leur projet de statut, exprimant ainsi leur conviction qu’elle était « internationalement acceptée  ». Aux termes de l’article 11 de ce projet, « [l]es violations visées à l’article  10 engagent la responsabilité individuelle de leurs auteurs198  ». L’alinéa 11 b) dispose que :

L’accusé doté de pouvoirs ou de responsabilités militaires ou politiques est individuellement responsable des violations visées à l’article 10 si celles-ci ont été commises en exécution de ses ordres, de ses directives ou de sa politique. L’accusé est également individuellement responsable s’il savait effectivement, ou avait des raisons de savoir, grâce à des informations qu’il avait reçues ou à d’autres moyens, que des soldats ou d’autres de ses subordonnés étaient sur le point de commettre ou avaient commis les violations en question, et s’il s’est abstenu de prendre les mesures raisonnables nécessaires pour empêcher ces violations ou punir ceux qui les commettaient199.

108. En réponse à la résolution 808 du Conseil de sécurité, le gouvernement canadien a adressé le 13 avril 1993 une lettre au Secrétaire général à laquelle il a joint des observations relatives au projet de statut. Le Canada a fait savoir qu’il était « essentiel » de respecter le principe nullem crimen sine lege et nulla poena sine lege et que « le comportement prohibé et l’intention qui doit animer son auteur doivent être expressément définis »200. Pour ce qui est de l’inclusion de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique,

Le Canada [...] est d’avis qu’il faut appliquer les principes régissant la responsabilité pénale qui tiennent le supérieur hiérarchique responsable des crimes commis par ses subordonnés201.

Si la lettre ne comporte aucune remarque sur la portée de ce principe, l’interprétation que donne le Canada des « violations graves du droit humanitaire international » se révèle utile. En effet, selon le Canada, la compétence du tribunal s’étend aux violations des lois ou coutumes de la guerre « y compris » aux infractions graves aux Conventions de Genève et au Protocole additionnel I, aux crimes contre l’humanité sanctionnés par le droit coutumier ou conventionnel et aux actes contraires à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et à la Convention contre la torture202.

109. Enfin, le gouvernement néerlandais a également fait part au Secrétaire général de ses « observations » concernant à la création d’un tribunal international spécial. Les Pays-Bas étaient d’avis d’inclure dans le statut une disposition prévoyant d’engager des poursuites pour :

Le fait d’avoir ordonné, autorisé ou laissé se commettre un crime de guerre et/ou un crime contre l’humanité [et] le fait d’avoir été en position « d’influer sur le comportement général » et s’être rendu coupable de ne pas être intervenu pour empêcher les crimes de cette nature. C’est le cas des personnes qui auraient dû être au courant des actes et qui auraient pu les prévenir, y mettre un terme, ou en punir les auteurs, mais qui se sont abstenues de le faire alors que c’était leur devoir203.

Les Pays-Bas ont évoqué la responsabilité des pouvoirs publics en cas de crimes contre l’humanité et de crimes commis

dans le cadre de la persécution délibérée et systématique d’un groupe de particuliers et/ou quand ils visent systématiquement à priver un groupe de ses droits, et quand le gouvernement, auquel le droit interne fait obligation de prévenir et de réprimer ces agissements, tolère, voire seconde, les crimes perpétrés à l’encontre de ce groupe. Les actes de cet ordre portent atteinte aux normes et aux principes de la communauté internationale. En tel cas donc, celle-ci a le droit de s’en saisir, de poursuivre et juger ceux qui les commettent( footnote 204 ).

La Chambre de première instance estime au vu des observations qu’ils ont formulées que les Pays-Bas sont partisans de poursuivre tout haut fonctionnaire ou toute personne investie d’une autorité qui n’ont pas pris de mesures pour prévenir des violations du droit international humanitaire ou pour y mettre fin. La Chambre de première instance note par ailleurs que ces observations n’établissent aucune distinction entre les conflits armés internes et internationaux205.

110. La Chambre de première instance considère ensuite que le Rapport du Secrétaire général relatif au projet de statut du Tribunal international donne des indications utiles pour l’interprétation du Statut. Dans son Rapport, le Secrétaire général rappelle plusieurs résolutions du Conseil de sécurité portant sur l’objet et le but du Tribunal international, et réaffirme en particulier que « ceux qui commettent , ont commis ou ordonné de commettre de tels actes en seraient tenus individuellement responsables206 ».

111. Pour ce qui est du contenu du Statut, le Secrétaire général confirme que

[son] libellé est fondé sur des dispositions d’instruments internationaux en vigueur, en particulier en ce qui concerne la compétence ratione materiae du Tribunal international207.

112. S’agissant de la compétence ratione temporis du Tribunal international , le Statut parle à dessein du 1er janvier 1991. Selon le Secrétaire général, cette date

est neutre ; elle n’est liée à aucun événement précis et vise manifestement à dénoter qu’aucun jugement n’est porté sur le caractère international ou interne du conflit 208.

Comme l’a rapporté la Chambre d’appel Tadic, le Conseil de sécurité était conscient du caractère mixte des conflits dont l’ex-Yougoslavie était le théâtre et a rédigé le Statut en conséquence209.

113. Pour ce qui est de la responsabilité pénale individuelle, le Secrétaire général observe que les propositions des États relatives au Statut s’accompagnent quasiment toutes de remarques sur la nécessité de prévoir la mise en œuvre de la responsabilité pénale des chefs d’États, des hauts fonctionnaires et des personnes agissant dans l’exercice de fonctions officielles. Selon le Secrétaire général, « toutes » les personnes qui participent à la planification, à la préparation ou à l’exécution de violations graves du droit international humanitaire dans l’ex-Yougoslavie «  contribuent à commettre la violation et sont donc individuellement responsables  »210.

114. Le Rapport du Secrétaire général souligne l’importance d’une mise en cause de la responsabilité pénale individuelle des supérieurs hiérarchiques :

Toute personne en position d'autorité devrait donc être tenue individuellement responsable d'avoir donné l'ordre illégal de commettre un crime au sens du présent statut. Mais elle devrait aussi être tenue responsable de ne pas avoir empêché qu'un crime soit commis ou de ne pas s'être opposée au comportement illégal de ses subordonnés . Cette responsabilité implicite ou négligence criminelle existe dès lors que la personne en position d'autorité savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s'apprêtaient à commettre ou avaient commis des crimes et n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ces crimes soient commis ou punir ceux qui les avaient commis211.

Nulle part dans son rapport, le Secrétaire général n’a évoqué l’importance que pourrait revêtir le caractère du conflit pour la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle dont le principe est posé dans le Statut.

115. Par la résolution 827, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité le Statut du Tribunal international le 25 mai 1993212. Dans cette résolution le Conseil de sécurité s’est déclaré

gravement alarmé par les informations qui continuent de faire état de violations flagrantes et généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et spécialement dans la République de Bosnie-Herzégovine [...]

Le Conseil de sécurité s’est dit

résolu à mettre fin à de tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les personnes qui en portent la responsabilité soient traduites en justice.

La Chambre de première instance constate que la formule retenue dans la résolution portant adoption du Statut du Tribunal international, à savoir « pour que les personnes qui en portent la responsabilité soient poursuivies en justice », ne subordonne aucunement la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle à la nature du conflit.

116. Après l’adoption du Statut, plusieurs États ont fait part de leurs observations sur son contenu. Ainsi, la Représentante des États-Unis a déclaré :

Les crimes commis au moment même où je vous parle ne se réduisent pas à des actes isolés perpétrés par des miliciens ivres, mais sont bien souvent des crimes systématiques orchestrés par des officiels, des chefs militaires et des fantassins et artilleurs disciplinés. Les hommes et les femmes à l’origine de ces crimes sont individuellement responsables des crimes commis par ceux qu’ils prétendent contrôler ; le fait qu’ils soient souvent des responsables autoproclamés n’atténue en rien leur culpabilité 213.

Les États-Unis ont également rappelé leur interprétation de l’article 7 du Statut  :

Pour ce qui est de l’alinéa 1 de l’article 7, il est entendu qu’il engage la responsabilité pénale individuelle en cas d’association de malfaiteurs pour commettre l’un des crimes sanctionnés par les articles 2 à 5, ou lorsqu’un supérieur hiérarchique , qu’il s’agisse d’un chef politique ou militaire, ne prend pas des mesures suffisantes pour prévenir ou sanctionner de tels crimess’ils sont commis par des individus placés sous son autorité214.

La Chambre de première instance en conclut que les États-Unis n’ont pas considéré que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique devait se limiter aux conflits armés internationaux. Bien au contraire, la référence aux « hommes et aux femmes à l’origine de ces crimes » qui sont souvent des responsables « autoproclamés  » nous autorise plutôt à conclure que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique devrait assurément s’appliquer aussi aux supérieurs hiérarchiques dans le cadre d’un conflit armé interne.

117. Au cours de la même séance, le Représentant du Royaume-Uni a déclaré :

[i]l est essentiel que ceux qui commettent de tels actes sachent qu’ils en seront sans l’ombre d’un doute, tenus individuellement responsables. Il est essentiel qu’une enquête soit menée sur ces atrocités et que leurs auteurs, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, aient à rendre des comptes215.

En outre,

[l]e Statut ne crée bien évidemment pas un droit nouveau, mais reflète le droit international en vigueur dans ce domaine [...] La création du Tribunal est un message clair envoyé à toutes les parties dans l’ex-Yougoslavie pour qu’elles mettent immédiatement fin aux violations du droit international humanitaire, faute de quoi elles devront en subir les conséquences216.

118. Enfin, le Représentant de la Hongrie a déclaré :

[n]ous notons également l’importance du fait que la compétence du Tribunal couvre tout l’éventail du droit international humanitaire et toute la durée du conflit sur l’ensemble du territoire de l’ex-Yougoslavie. Le Statut du Tribunal permet de poursuivre toutes les personnes, et non les communautés, accusées d’un crime lorsque ce crime a été commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, indépendamment de leur appartenance ethnique. Nous notons également que le statut officiel, quel qu’il soit, d’un individu traduit devant le Tribunal ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale217.

119. En se fondant sur l’historique du projet de Statut de ce Tribunal, la Chambre de première instance fait remarquer que l’intention de ses rédacteurs était de créer un mécanisme par lequel « toutes » les personnes responsables de violations du droit international humanitaire pourraient en être tenues responsables. Les résolutions du Conseil de sécurité relatives au conflit dans l’ex-Yougoslavie, les propositions émanant de plusieurs États, le Rapport du Secrétaire général et les débats au sein du Conseil de sécurité préalables à l’adoption du Statut vont sans conteste dans ce sens. On ne saurait conclure de ces sources que le principe de la responsabilité pénale individuelle des supérieurs hiérarchiques ne pourrait s’appliquer si le conflit armé pouvait être considéré comme interne. Comme il a été dit plus haut, le Rapport du Secrétaire général évoque parfois la nature du conflit armé comme un élément à prendre en compte ; toutefois, il s’agit là d’observations portant non pas sur les différentes théories de la responsabilité pénale individuelle mais sur les conditions de compétence en ce qui concerne les crimes fondamentaux énumérés dans le Statut 218.

120. Cette remarque trouve également sa justification dans l’analyse des termes de l’article 7 3) du Statut. Le texte de cet alinéa fait référence à tout acte visé aux articles 2 à 5. D’après la jurisprudence de ce Tribunal, seul l’article  2 ne s’applique qu’en cas de conflits armés internationaux. Les crimes énumérés à l’article 3, violations des lois ou coutumes de la guerre, et à l’article 5, crimes contre l’humanité, peuvent être commis aussi bien dans le cadre d’un conflit armé interne que d’un conflit international. Le génocide (article 4) n’exige aucun lien avec un conflit armé.

3. Jurisprudence du Tribunal international

121. La Chambre de première instance propose à présent un rapide survol de la jurisprudence afin d’apprécier la manière dont le Tribunal international a interprété et appliqué l’article 7 3) dans les affaires dont il a été saisi. Dans un certain nombre d’affaires la responsabilité pénale individuelle au regard de l’article 7 3) du Statut a été établie. Dans ces affaires, les éléments de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique et le statut de l’accusé, chef militaire versus chef civil , ont été au cœur des débats. Le lien entre la nature du conflit et la responsabilité du supérieur hiérarchique n’a jamais été discuté, contesté ou commenté, que ce soit par l’Accusation, la Défense, la Chambre de première instance ou la Chambre d’appel.

C’est dans le cadre de l’affaire Celebici que le Tribunal international a pour la première fois conclu à la responsabilité pénale individuelle d’un accusé aux termes de l’article 7 3). La Chambre de première instance a estimé que l’un des accusés, Zdravko Mucic, dirigeait un camp de prisonniers pendant un conflit armé international. La Chambre de première instance l’a déclaré coupable de crimes tombant sous le coup de l’article 2 (infractions graves) et de l’article 3 (violations des lois ou coutumes de la guerre), sur la base à la fois de l’article 7 1) et, en tant que supérieur hiérarchique non militaire, de l’article 7 3).

123. Avant de se prononcer, la Chambre de première instance s’est toutefois livrée à d’amples recherches sur l’origine et l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Pour définir cette doctrine, la Chambre a procédé à l’analyse de différents précédents, notamment des Conventions de La Haye et de la jurisprudence née de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale. En outre, la Chambre a renvoyé aux articles 86 et 87 du Protocole additionnel I et à divers manuels militaires. Sur la base de cette analyse, la Chambre a conclu

[q]ue les chefs militaires et les autres personnes investies d’un pouvoir hiérarchique puissent être tenus pénalement responsables de la conduite délictueuse de leurs subordonnés est une règle bien établie du droit international coutumier et conventionnel 219.

La Chambre d’appel, reconnaissant le bien-fondé de cette conclusion, a affirmé que ce principe était « bien établi en droit conventionnel et coutumier220  ».

124. La Chambre de première instance Celebici a fait observer que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique n’avait été appliquée par aucun organe judiciaire depuis l’immédiat après-guerre. Elle a jugé toutefois que cette doctrine n’en était pas moins une norme bien ancrée dans le droit international coutumier  : « [I]l ne fait pas de doute que le concept de la responsabilité pénale individuelle des supérieurs pour omission a aujourd’hui bel et bien sa place dans le corpus du droit international humanitaire221.  »

125. S’agissant de la logique qui sous-tend cette doctrine, la Chambre de première instance Celebici a estimé « qu’il ne peut y avoir responsabilité pénale pour omission que si la loi fait obligation d’agir222  ». La Chambre a cité le Protocole additionnel I comme l’une des sources lui permettant de conclure que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique « est une règle bien établie du droit international coutumier et conventionnel », et aussi comme un exemple de règles du « droit international [qui font] obligation aux supérieurs hiérarchiques d’empêcher les personnes qui se trouvent sous leurs ordres d’enfreindre les règles du droit international humanitaire »223. De plus, la Chambre a estimé que « c’est en dernière analyse, cette obligation qui fonde la responsabilité pénale découlant de l’article 7 3) du Statut et en marque les limites224 ».

126. S’agissant des éléments constitutifs de la responsabilité du supérieur hiérarchique , la Chambre de première instance a jugé que les « éléments essentiels » de la responsabilité du supérieur hiérarchique pour omission étaient :

a) l’existence d’une relation de subordination,

b) le fait que supérieur savait ou avait des raisons de savoir qu’un crime était sur le point d’être commis ou avait été commis.

c) le fait que supérieur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir le crime ou en punir l’auteur225.

127. Pour ce qui est du premier élément, la Chambre de première instance a déclaré  :

Il importe de souligner que la notion de responsabilité du supérieur hiérarchique , et l’exercice de l’autorité correspondante, trouve sa source dans l’existence d’un lien entre supérieur et subordonné226.

Pour cerner le sens de l’expression « supérieur hiérarchique » la Chambre a conclu , au sujet du lien de subordination, qu’il fallait prendre en compte non pas le seul « titre officiel » mais « la possession ou non d’un réel pouvoir de contrôle sur les agissements des subordonnés »227. La Chambre a défini le « contrôle effectif » comme « la capacité matérielle de prévenir et de sanctionner ces violations »228. Sur cette question, la Chambre a conclu en outre que

les personnes qui ont effectivement autorité sur ces structures plus informelles et pouvoir de prévenir et de sanctionner les crimes des personnes qui sont sous leurs ordres peuvent, dans certaines circonstances, être tenues responsables pour n’en avoir rien fait. Ainsi, la Chambre s’accorde avec l’Accusation pour penser que les personnes investies d’une autorité, que ce soit dans le cadre de structures civiles ou militaires, peuvent être tenues pour pénalement responsables en vertu de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique eu égard à leur situation de supérieur de droit ou de fait. Le défaut d’autorité sur les subordonnés au regard de la loi ne devrait donc pas empêcher d’engager cette responsabilité229.

La Chambre d’appel a entériné les conclusions de la Chambre de première instance pour ce qui est de l’autorité de facto comme fondement de l’autorité du commandant ou du supérieur hiérarchique. La Chambre d’appel a estimé qu’un commandant ou un supérieur

est celui qui détient le pouvoir ou l’autorité, de jure ou de facto , d’empêcher un subordonné de commettre un crime ou de l’en punir après coup230.

Elle a également avalisé la conclusion selon laquelle le terme « supérieur » s’appliquait « aux chefs politiques et aux autres supérieurs civils en position d’autorité231  ».

128. Pour ce qui est du second élément, à savoir l’expression « avait des raisons de savoir », la Chambre d’appel a estimé qu’elle ne faisait peser sur les supérieurs aucune « obligation générale de savoir » car

un supérieur ne peut être tenu pour pénalement responsable que s’il avait à sa disposition des informations particulières l’avertissant des infractions commises par ses subordonnés 232.

Selon la Chambre d’appel, cette interprétation est conforme à la conception que l’on avait de l’élément moral en droit coutumier à l’époque des faits, c’est-à-dire en 1992.

129. Pour ce qui est du troisième élément, le « devoir » découlant des fonctions du supérieur hiérarchique, la Chambre de première instance a jugé que :

Tout supérieur hiérarchique est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ses subordonnés de commettre des infractions ou pour les punir s’ils en ont commis233.

En outre, elle a conclu

[qu’] un supérieur ne [pouvait]être tenu responsable que pour ne pas avoir pris les mesures qui étaient en son pouvoir234.

La nature de ces mesures dépend dans chaque espèce des faits et des circonstances entourant le commandant ou le supérieur hiérarchique. Là encore, la Chambre d’appel a suivi cette approche et a ajouté :

Aussi longtemps qu’un supérieur exerce un contrôle effectif sur des subordonnés, et dans la mesure où il peut les empêcher de commettre des crimes ou les en punir après coup, il peut être tenu responsable de ces crimes s’il n’use pas de ses moyens de contrôle235.

130. Rien parmi ces éléments ne donne à penser que la responsabilité du supérieur hiérarchique se limite à un type particulier de conflit armé, ni qu’elle est subordonnée à des conditions de compétence. La manière dont ces éléments ont été appliqués indiquerait plutôt que la nature du conflit, voire l’existence d’un conflit armé, n’est pas à prendre en compte. Telle est la conclusion qui s’impose compte tenu du fait que l’on considère que les éléments décrits s’appliquent non seulement aux supérieurs hiérarchiques militaires mais également civils, et compte tenu aussi de la manière dont il est fait référence à des situations définies comme des « conflits armés  ». La présente Chambre rappelle les observations formulées à ce propos par la Chambre d’appel Celebici :

Dans de nombreux conflits contemporains, il peut y avoir simplement des gouvernements de fait, autoproclamés, et, par conséquent, des armées ou groupes paramilitaires de fait qui leur sont subordonnés. La structure de commandement, mise en place à la hâte, peut très bien être confuse et sommaire. Pour appliquer le droit dans ces circonstances, il faut déterminer la responsabilité non seulement des criminels eux-mêmes mais aussi de leurs commandants ou supérieurs dont il a été établi qu’ils exerçaient un contrôle sur eux, sans pour autant avoir été officiellement nommés ni mandatés. S’il n’acceptait comme preuve de l’autorité d’un chef qu’un mandat officiel, un tribunal pourrait être dans l’incapacité d’appliquer le droit humanitaire à l’encontre de supérieurs de facto bien que, pendant la période considérée , ces derniers aient disposé des mêmes pouvoirs qu’un supérieur ou commandant officiellement nommé236.

La Chambre d’appel a ainsi jugé que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique pouvait s’appliquer aux armées et groupes paramilitaires de fait , ce qui porte largement à conclure que ce principe peut être appliqué aux conflits armés non internationaux.

131. L’affaire Aleksovski a été la deuxième affaire portée devant le Tribunal international dans laquelle la question de l’interprétation et de l’application de l’article 7 3) a été abordée. L’accusé, un directeur de prison, a été déclaré responsable, sur la base de l’article 7 1) et de l’article 7 3), d’une série d’infractions graves commises dans la prison. La Chambre de première instance s’est trouvée confrontée au problème de l’interprétation du terme « supérieur » employé à l’article 7 3). Elle a estimé que la qualité de supérieur hiérarchique n’était pas « réservée aux autorités officielles » et que « [t]oute personne agissant de facto comme supérieur hiérarchique peut voir sa responsabilité engagée en application de l’article  7 3) »237. De plus, la Chambre de première instance a jugé que le « critère déterminant » pour savoir qui est supérieur hiérarchique au regard du droit international coutumier ne résidait pas uniquement dans le statut officiel de l’accusé, mais dans « sa capacité de contrôle, telle que l’expriment ses attributions et ses compétences238  ».

132. La Chambre de première instance a également conclu que la responsabilité découlant de l’article 7 3) ne doit pas être considérée comme une responsabilité du fait d’autrui mais du fait du manquement de l’accusé à ses obligations239. L’obligation d’agir vient de ce que la personne est le supérieur hiérarchique de l’auteur de l’infraction et « qu’elle savait ou avait des raisons de savoir qu’un crime était sur le point d’être commis ou avait été commis240  ». La Chambre de première instance a conclu que « [l]’existence d’un pouvoir hiérarchique constitue le fondement même de la responsabilité241  » au sens de l’article 7 3).

133. La Chambre de première instance Aleksovski a dû se prononcer sur la nature du conflit armé opposant les Musulmans de Bosnie aux Croates de Bosnie. Certes elle a conclu que ce conflit n’était pas international, mais elle a estimé néanmoins que les actes de l’accusé :

constituent une atteinte à la dignité humaine, et plus précisément un traitement humiliant ou dégradant, au sens de l'article 3 commun de ces Conventions [de Genève] , constitutives d'une violation des lois ou coutumes de la guerre au sens de l'article  3 du Statut et pour lesquelles l’accusé doit être tenu responsable sur la base des articles 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal242.

La Chambre de première instance n’a donc rien relevé qui puisse en droit s’opposer à l’application de l’article 7 3) à un conflit armé non international pour des violations sanctionnées par l’article 3 du Statut.

134. L’accusé Aleksovski a fait appel de l’application de l’article 7 3) aux faits de l’espèce et, dès lors, son recours portait sur des questions de fait. En reprenant à son compte la conclusion de la Chambre de première instance, la Chambre d’appel a estimé qu’il importait peu que l’accusé ait été supérieur civil ou militaire, « dès lors qu’il avait les pouvoirs d’empêcher ou de punir mentionnés à l’article 7 3) du Statut243 ».

135. L’Accusation a attaqué la qualification du conflit armé de non international . La Chambre d’appel a conclu que d’une part, la Chambre de première instance n’avait pas appliqué le critère qui convenait pour les chefs d’accusation fondés sur l’article  2 du Statut et que, d’autre part, le conflit était bien international. Aucune des parties n’avait contesté l’application par la Chambre de première instance de l’article  7 3) à un conflit armé non international.

136. Dans l’affaire Blaskic, la Chambre de première instance a, sur la base de l’article 7 1) et de l’article 7 3), déclaré l’accusé, un chef militaire, coupable d’infractions sanctionnées par les articles 2 et 3, infractions commises dans le cadre d’un conflit armé international. La Chambre de première instance s’est fondée sur les éléments de la responsabilité du supérieur hiérarchique définis dans Celebici qu’elle a précisés. Aux fins de la présente décision, deux aspects de cette affaire méritent d’être notés. Tout d’abord, la Chambre de première instance Blaskic a examiné plus avant la situation du supérieur hiérarchique et les responsabilités qui en découlent. Ainsi,

un supérieur hiérarchique peut être tenu pénalement responsable de crimes commis par des personnes qui ne sont pas officiellement ses subordonnés (directs), pour autant qu’il exerce effectivement un contrôle sur eux244.

La Chambre a ajouté :

[I]l ne faut pas nécessairement que le supérieur ait été juridiquement habilité à empêcher ou punir les actes commis par ses subordonnés245.

En outre, le supérieur hiérarchique

a la capacité matérielle d’empêcher ou de punir des crimes commis par d’autres [...]246

137. La Chambre Blaskic s’est aussi appesantie sur l’élément moral qui va de pair avec la responsabilité du commandement, à savoir la nécessité pour le supérieur de savoir ou d’avoir des raisons de savoir que des actes criminels étaient sur le point d’être commis ou avaient été commis. Dans ce contexte, la Chambre a effectué des recherches sur l’origine de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique en droit international coutumier, notamment de la notion du « commandement responsable  » et sa codification dans le Protocole additionnel I. La Chambre a ainsi déclaré  :

La Chambre interprétera donc cette disposition [article 86 2) du Protocole additionnel  I] dans le droit fil de l’article 31 de la Convention de Vienne, c’est à dire « de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». À cet égard, la Chambre estime fondamentale la disposition consacrée par l’article 43 1) du Protocole additionnel  I, aux termes duquel les forces armées doivent être placées « sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés247  ».

138. Dans l’affaire Kordic et Cerkez, la Chambre de première instance a, sur la base de l’article 7 1) et de l’article 7 3), déclaré Mario Cerkez, chef de brigade, coupable d’infractions sanctionnées par les articles 2, 3 et 5, infractions commises dans le cadre d’un conflit armé international. Dans son analyse de l’article  7 3), la Chambre s’est appuyée sur l’Arrêt Celebici. Elle a admis que la responsabilité du supérieur hiérarchique ne procédait pas seulement d’une autorité de jure mais aussi d’une autorité de facto :

Il convient d’abord d’examiner la position officielle qu’occupaient les accusés, même si l’autorité effective ne peut être déterminée par ce seul critère. Qu’elle soit de facto ou de jure, d’ordre civil ou militaire, une position d’autorité doit être évaluée au regard du pouvoir réel détenu par l’accusé en l’espèce . [...] L’existence d’une position d’autorité officielle peut être établie sur la foi d’une nomination officielle ou d’une attribution officielle de pouvoirs248.

139. Dans l’affaire Krstic, la Chambre de première instance a conclu que, dans le cadre du « conflit armé » dont la Bosnie était le théâtre, les éléments de la responsabilité découlant de l’article 7 3) étaient réunis pour l’accusé, le général Krstic. Estimant que la responsabilité découlant de l’article 7 1) rendait déjà pleinement compte du crime et du comportement criminel de l’accusé, la Chambre n’a déclaré ce dernier coupable de violations sanctionnées par les articles 2, 3 et 5249 que sur la base de l’article  7 1), celui-ci absorbant la responsabilité découlant de l’article 7 3). Toutefois , avant d’aboutir à cette conclusion, la Chambre a aussi appliqué directement les éléments de la responsabilité du supérieur hiérarchique aux faits de l’espèce et a estimé qu’ils étaient réunis.

140. Dans trois affaires portées devant le Tribunal international, les Chambres de première instance ont examiné la responsabilité de civils accusés, sur la base des articles 7 1) et 7 3), d’avoir enfreint les articles 3 et 5 au cours d’un «  conflit armé » en Bosnie-Herzégovine250. Aux fins de la présente décision, il est important de tenir compte du fait que les Chambres de première instance saisies de ces affaires ne se sont pas attardées davantage sur la nature du « conflit armé ». Le fait que, dans ces affaires, les chambres ne se soient pas prononcées sur le caractère international ou interne du conflit n’a pas donné lieu à des discussions sur l’impact que celui-ci pouvait avoir sur la responsabilité pénale des accusés au regard de l’article 7 1) ou de l’article  7 3). Il semble toutefois que ces Chambres n’ont pas considéré que la nature du conflit faisait obstacle à l’application de l’article 7 3).

141. Au vu de ce survol de la jurisprudence du Tribunal international, la présente Chambre conclut qu’afin d’appliquer le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique comme base de la responsabilité pénale individuelle pour les crimes sanctionnés par le Statut, une Chambre de première instance doit s’assurer que certains critères sont remplis : le lien de subordination, le devoir qui en découle de prévenir ou sanctionner les crimes d’un subordonné, et le fait que le supérieur savait ou avait des raisons de savoir que son subordonné s’apprêtait à commettre ces crimes ou l’avait déjà fait. S’agissant de la question qui se pose en l’espèce et qui est de savoir si l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique aux violations visées à l’article 3 qui auraient été commises dans le cadre d’un conflit armé non international relève de la compétence du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, la présente Chambre ne trouve dans la jurisprudence du Tribunal aucun obstacle, mais tout au contraire, une confirmation de la compétence de ce Tribunal.

4. Développements intervenus depuis l’adoption du Statut du Tribunal international

142. La doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique trouve sa consécration dans un certain nombre d’instruments adoptés depuis la création du Tribunal international par le Conseil de sécurité en 1993. La Chambre de première instance observe qu’aucune distinction quant à l’application de cette doctrine n’a été établie dans ces instruments entre les conflits armés internationaux et les conflits armés non internationaux .

143. Revenant sur ces faits, la Chambre de première instance est consciente de ce qu’ils ne peuvent permettre de déterminer si le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique était, en droit international coutumier, applicable aux conflits armés internes à l’époque des infractions présumées. La Chambre les évoque plutôt pour montrer que les éléments essentiels de ce principe ont été, dans une large mesure, codifiés de la même manière que dans le Statut et la jurisprudence du Tribunal international.

144. Le premier instrument juridique pertinent en la matière est le Statut du Tribunal international chargé de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 (le « TPIR »), statut adopté par le Conseil de sécurité le 8 novembre 1994. L’article 6 du Statut du TPIR consacré à la responsabilité pénale individuelle est quasiment identique à l’article 7 du Statut du TPIY251.

145. La Chambre de première instance a étudié le Rapport du Secrétaire général sur le TPIR252. Ce Tribunal a été créé pour sanctionner les crimes commis sur le territoire du Rwanda lors d’un conflit armé non international. Le Statut du TPIR est présenté comme une « adaptation » du Statut du TPIY253. Comme le fait également remarquer la Défense, ce rapport précise que

le Secrétaire général /sic/ est allé plus loin que dans celui du Tribunal pour l’ex -Yougoslavie dans le choix du droit applicable et a inclus dans la compétence ratione materiae des instruments qui n’étaient pas nécessairement considérés comme faisant partie du droit international coutumier ou dont la violation n’était pas nécessairement généralement considérée comme engageant la responsabilité pénale individuelle de son auteur254.

La Chambre de première instance observe que cette remarque porte sur le domaine de compétence ratione materiae de ce Tribunal et, plus particulièrement, sur le fait que les crimes ont été commis lors d’un conflit armé interne, et que le TPIR doit dès lors appliquer les normes applicables à de tels conflits, à savoir l’Article 3 commun « lui-même développé à l’article 4 du Protocole additionnel II 255 ». La remarque du Secrétaire général laisse de côté la question de savoir si, en droit international coutumier, ces crimes engagent la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique.

146. Le TPIR a examiné l’interprétation et l’application de l’article 6 3) dans un certain nombre d’affaires256. La jurisprudence du TPIR n’a pas mise en cause, et a même confirmé, le fait que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique s’appliquait dans le cas du Rwanda. Ce principe a été en conséquence appliqué aux règles fondamentales applicables pendant un conflit armé interne et au génocide. De nombreux accusés ont été déclarés coupables sur la base de l’article 6 3) que ce soit à la suite de plaidoyers de culpabilité ou de jugements au fond257. Les analyses portant sur l’article 6 3) ont attribué à la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique les mêmes origines que les Chambres de première instance du TPIY et la Chambre d’appel258. Celle-ci a confirmé chacune de ces déclarations de culpabilité259 et, dans l’affaire Kayishema, elle a analysé l’article 6 3) en détail260. La Chambre d’appel s’est fondée sur l’Arrêt Celebici, faisant sienne ses conclusions relatives à la responsabilité des supérieurs hiérarchiques de facto et a considéré de même que le « contrôle effectif » était un élément déterminant de la responsabilité du supérieur hiérarchique ou de la responsabilité du commandement . Il est à noter que le « contrôle effectif » a été établi en partie par la législation du Rwanda qui a institué une hiérarchie au sein des pouvoirs publics261. Au vu de cette jurisprudence, et dans la mesure où la portée de ce principe était contestée, il est évident que tout cela a été fait pour déterminer si ce principe devait s’appliquer à des autorités civiles, et le TPIR y a répondu par l’affirmative 262.

147. Le deuxième instrument juridique pertinent en la matière est le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, adopté en deuxième lecture par la CDI en 1996263. L’article 6 du Projet de code concerne la responsabilité du supérieur hiérarchique et indique  :

Le fait qu'un crime contre la paix et la sécurité de l'humanité a été commis par un subordonné n'exonère pas ses supérieurs de leur responsabilité pénale, s'ils savaient, ou avaient des raisons de savoir, dans les circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre un tel crime et s'ils n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer ce crime.

La Chambre de première instance constate que bien que le texte diffère légèrement de la disposition du Projet de code de 1991 sur la responsabilité du supérieur hiérarchique 264, il énonce pour l’essentiel le même principe265. La CDI commente l’article 6 comme suit :

Les commandants militaires sont responsables de la conduite des membres des forces armées qui se trouvent sous leur commandement et des autres personnes qui relèvent de leur autorité. Ce principe de la responsabilité du commandement a été reconnu dans la Convention de La Haye de 1907 et réaffirmé dans des instruments juridiques postérieurs. Il exige que les membres des forces armées soient placés sous le commandement d'un supérieur hiérarchique qui est responsable de leur conduite. Un commandant militaire peut être tenu pénalement responsable du comportement illicite de ses subordonnés s'il contribue directement ou indirectement à la commission d'un crime perpétré par ces derniers.

Dans son commentaire du Projet de code de 1996, la CDI a conclu que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique était reconnu par la Convention de La Haye de 1907 et « réaffirmé » dans des instruments juridiques ultérieurs, notamment dans le Protocole additionnel II en son 1er article266. Aussi les conclusions de la CDI constituent-elles une base conventionnelle, une base qui est, faut-il le souligner, antérieure à 1992, du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans les conflits armés non internationaux.

148. Le troisième instrument juridique pertinent en la matière est le Statut de Rome ou statut de la Cour pénale internationale (la « CPI »). Dans le Statut de la CPI, le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique est inscrit à l’article 28. Cet article s’applique notamment à tous les crimes relevant de la compétence de la CPI, y compris aux crimes commis au cours d’un conflit armé interne ainsi qu’aux crimes commis en l’absence de conflit armé. La Chambre de première instance observe que les discussions relatives à la rédaction de cette disposition ont porté presque exclusivement sur la question de savoir si cette doctrine devait s’appliquer aussi bien aux supérieurs hiérarchiques militaires que non militaires . Durant les débats auxquels a donné lieu la rédaction du projet de Statut, il est apparu clairement au moins dès 1996 que la grande majorité des États étaient favorables à une extension de ce principe aux supérieurs civils. La raison première en était le souhait de codifier un principe effectif de responsabilité du supérieur hiérarchique qui puisse s’appliquer non seulement aux chefs militaires d’une armée régulière, mais aussi aux chefs de forces de facto et aux supérieurs civils. Après que la question eut été réglée, les discussions ont porté essentiellement sur le degré de contrôle et de connaissance exigé du supérieur hiérarchique267.

149. En vigueur depuis le 1er juillet 2002, le Statut de la CPI comporte deux dispositions . L’article 28 a) concerne le supérieur défini comme étant « [u]n chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire » tandis que l’article  28 b) porte sur le chef non militaire268. La Chambre de première instance remarque que bien que les termes utilisés dans les deux dispositions soient quelque peu différents, elles n’en renferment pas moins les mêmes éléments de la responsabilité d’un supérieur du fait de ses subordonnés . Là encore, ces éléments viennent refléter et confirmer la notion de la responsabilité du supérieur hiérarchique telle qu’elle est appliquée par ce Tribunal269.

D. Examen

150. Gardant à l’esprit les principes généraux qu’elle vient d’exposer, la Chambre de première instance va à présent examiner le statut et l’application du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique en droit international. Cet examen doit porter sur la période antérieure à la création du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 et, par là même, sur la question de sa compétence à l’égard des crimes retenus dans l’Acte d’accusation modifié dont la présente Chambre est saisie, crimes qui auraient été commis à partir de janvier 1993. Dans le cadre de cet examen, la Chambre de première instance se penchera également sur l’élaboration du Statut du Tribunal et sur la jurisprudence qui en découle.

151. La Chambre de première instance fait le constat suivant : les premières tentatives faites pour juger des commandants en mettant en cause leur responsabilité de supérieurs hiérarchiques sur la base de divers instruments adoptés après la Deuxième Conférence de la Paix de La Haye en 1907 remontent au lendemain de la Première Guerre mondiale. Après la Deuxième Guerre mondiale, des tentatives similaires, s’appuyant en grande partie sur les mêmes dispositions ou des dispositions analogues, ont été davantage couronnées de succès. Comme il a été dit, plusieurs personnes ont été tenues responsables du fait de leurs subordonnés quand, en tant que supérieurs, elles savaient ou avaient des raisons de savoir que ces derniers s’apprêtaient à commettre des crimes ou l’avaient fait, et qu’elles n’avaient pas pris les mesures qu’elles devaient. Étant donné le caractère international des conflits à l’issue desquels les divers organes judiciaires internationaux ont été créés, il est évident que le principe de la responsabilité du supérieur n’a été utilisé qu’à l’encontre de personnes qui avaient joué un rôle dans le cadre de conflits armés internationaux.

152. La Chambre de première instance rejette l’argument de la Défense selon lequel les précédents de Nuremberg et de Tokyo, ainsi que l’affaire Yamashita, ne sont « pas pertinents en l’espèce » au motif que ces affaires ne portent que sur des conflits armés internationaux. La Chambre n’est pas disposée à retenir cet argument . Tout en accordant à la Défense qu’on ne saurait systématiquement appliquer la jurisprudence en question à des conflits armés internes, la Chambre est convaincue que ces précédents présentent un intérêt dans la mesure où ils rendent compte des progrès dans l’élaboration des principes du commandement responsable et de la responsabilité du supérieur hiérarchique et l’établissement d’un lien entre les deux. Ces aspects présentent un intérêt général. On ne saurait tirer de ces seuls précédents des conclusions péremptoires quant à l’applicabilité de ces principes à des conflits armés non internationaux . Cette jurisprudence met l’accent sur le devoir des supérieurs hiérarchiques, le lien de subordination et le manquement du supérieur à l’obligation de prévenir ou de punir ; aucun de ces éléments n’inclut expressément ou implicitement une condition de compétence, sans parler de la pertinence de la nature du conflit. On peut dès lors en conclure que l’application à un conflit interne de la théorie élaborée pour les conflits armés internationaux ne porte aucunement atteinte à l’intégrité du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

153. Les Conventions de Genève de 1949 ne comportaient aucune disposition relative à la responsabilité du supérieur hiérarchique. Réserve faite de l’Article 3 commun , elles s’appliquaient aux conflits armés de caractère international. La question relevait largement des législations nationales et les Conventions de Genève n’obligeaient pas les États Parties à inscrire ce principe dans leur droit interne.

154. Comme il a été dit, les diverses propositions présentées par la CDI dans les années 1950 pour le projet de code, incluaient une disposition sur la « responsabilité des supérieurs », laquelle s’appliquait aux crimes commis en dehors d’un conflit armé international270. Si la disposition en question n’a pas été insérée dans le Projet de code de 1954, ce n’était pas en raison du rejet de ce principe en tant que principe général du droit pénal, mais de l’adoption d’une version abrégée du projet dans l’attente d’une résolution sur le crime d’agression.

155. Entre les années 1950 et 1970, les faits nouveaux en droit international humanitaire ont été plutôt rares. Aucun nouvel instrument majeur n’a été élaboré. Les discussions sur le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et sur la création d’une cour pénale internationale permanente étaient dans l’impasse . Aucun organe judiciaire international ou national n’a rendu de nouvelle décision sur la question271. L’une des principales raisons en était la guerre froide entre l’Est et l’Ouest.

156. Toutefois, il serait abusif de tirer des conclusions de cette quasi-impasse . Le fait le plus marquant durant cette période a été l’adoption dans l’ordre interne d’un certain nombre de manuels militaires, lesquels comportaient ordinairement, comme il a été dit plus haut, des dispositions sur les obligations du supérieur hiérarchique à l’égard de ses subordonnés, et souvent la responsabilité pénale découlant du manquement à ces obligations. Peu importe que le comportement d’un supérieur hiérarchique ait été on non punissable en vertu de règles sanctionnant un manquement dans l’exercice de ses fonctions. Le manquement à son obligation de prévenir ou de punir et, par là même, le manquement aux devoirs que lui imposaient les manuels susmentionnés, était toujours considéré comme une forme secondaire de participation, voire comme une coperpétration par omission.

157. En 1977, les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève ont été adoptés. Comme il a été dit, le Protocole additionnel I contient deux dispositions, l’article 86 et l’article 87, relatives au principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Bien que ce soit la première fois qu’une convention en fasse explicitement mention, le commentaire de ces articles révèle que ce principe en tant que tel n’était en aucun cas nouveau ou constitutif, mais simplement déclaratoire : il consacrait une règle du droit international coutumier. Si le Protocole additionnel II ne comportait pas pareille disposition, il posait le principe d’un commandement responsable.

158. Comme il a été dit, la Défense attache une grande importance à cette différence entre les deux Protocoles additionnels. La Chambre de première instance n’est pas de cet avis. On ne peut ignorer qu’il existe bel et bien une différence entre les deux Protocoles. Toutefois, il serait abusif d’en venir tout de suite à des conclusions et des raisonnements a contrario quant à l’applicabilité du principe de la responsabilité du commandement en cas de conflits armés internationaux ou non. Il convient d’analyser plus avant les différences existant entre ces deux instruments et de passer en revue un certain nombre d’éléments.

159. Premièrement, la Chambre de première instance observe que la structure et la teneur des deux Protocoles sont fondamentalement différentes. Comme le dit clairement le commentaire du Protocole additionnel II, « [i]l semble qu’il avait été considéré que la réglementation des conflits armés non internationaux était trop récente pour que la pratique des États soit suffisamment développée en la matière272  ». Autrement dit, si les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I peuvent être considérés comme le fruit d’une longue évolution des normes humanitaires relatives aux conflits armés internationaux, les États ont généralement rechigné à énoncer ou à préciser de telles normes pour les conflits armés internes. La crainte que la communauté internationale ne s’intéresse à des questions considérées par beaucoup comme relevant des affaires intérieures ou qu’elle reconnaisse l’existence de groupes armés que les États eux-mêmes préféraient qualifier de « rebelles » ou de « terroristes  » n’a fait qu’accroître les réticences des États à inscrire les normes applicables aux conflits armés internes dans un instrument ayant juridiquement force obligatoire. En conséquence, l’élaboration du Protocole additionnel II devait, par définition, conduire à l’adoption d’une série de normes beaucoup moins développées et détaillées que celles inscrites dans le Protocole additionnel I. L’insertion de l’article 3, dans le Protocole additionnel II, témoigne de cette crainte. Il est ainsi libellé  :

1. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté d’un État ou à la responsabilité d’un gouvernement de maintenir ou de rétablir l’ordre public dans l’État ou de défendre l’unité nationale et l’intégrité territoriale de l’État par tous les moyens légitimes.

2. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée comme une justification d’une intervention directe ou indirecte, pour quelque raison que ce soit, dans le conflit armé ou dans les affaires intérieures ou extérieures de la Haute Partie contractante sur le territoire de laquelle ce conflit se produit273.

160. Deuxièmement, la Chambre de première instance relève qu’il convient de tenir compte de la nature du Protocole II, telle qu’elle est analysée dans son commentaire . Il est ainsi indiqué que « le Protocole II constitue un corps de règles minimales élaboré et accepté par l’ensemble de la communauté internationale274  ». Dans ce contexte, il convient de noter le dernier paragraphe du préambule au Protocole additionnel II, inspiré de la clause Martens examinée plus haut. Le texte de ce paragraphe :

[p]our les cas non prévus par le droit en vigueur, la personne humaine reste sous la sauvegarde des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique .

À propos de cette disposition, le Commentaire des Protocoles additionnels indique  :

« Pour les cas non prévus par le droit en vigueur », soit qu’il se révèle une lacune , soit que les parties ne se considèrent pas liées par l’article 3 commun ou ne soient pas liées par le Protocole II, tout n’est pas autorisé pour autant . « La personne humaine reste sous la sauvegarde des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique » : cette précision empêche une interprétation a contrario( footnote 275 ).

Le Commentaire poursuit :

Même si l’on ne reconnaît traditionnellement la coutume que dans les relations internationales, l’on ne saurait nier cependant tout à fait l’existence de normes coutumières dans les conflits armés internes276.

Le Commentaire cite ensuite l’exemple du code Lieber, élaboré à partir de principes existants du droit de la guerre et utilisé comme modèle pour les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907277.

161. Troisièmement, le fait que le principe consacré aux articles 86 et 87 du Protocole  additionnel I ne soit pas expressément applicable aux conflits armés internes en tant que tels ne signifie pas qu’en pareil cas, les supérieurs n’ont pas l’obligation de superviser et de contrôler les agissements de leurs subordonnés. Il s’agit là d’un principe fondamental du droit de la guerre278. Comme le déclare le CICR dans son Commentaire de l’Article 3 commun lorsqu’il examine les critères applicables à un « conflit armé » (afin de distinguer un véritable conflit armé d’un simple acte de banditisme ou d’une « insurrection inorganisée et sans lendemain »), la Partie rebelle au Gouvernement légitime « possède une force militaire organisée, une autorité responsable de ses actes, agissant sur un territoire déterminé et ayant les moyens de respecter et de faire respecter la Convention279  ». Comme il a été dit, le Protocole additionnel II fait lui-même expressément référence à un commandement responsable dans son article premier. Comme le dit le Commentaire, l’existence d’un commandement responsable implique une organisation suffisante à la fois pour concevoir et mener des opérations militaires continues et concertées, et pour imposer une discipline au nom du gouvernement ou de l’autorité de fait280.

162. En dernier lieu, la Chambre de première instance tient à évoquer brièvement les dispositions de l’article 6 du Protocole additionnel II relatives aux « poursuites pénales ». Le but essentiel de cet article est de fournir des garanties à toute personne accusée de violations du droit international humanitaire dans le cadre d’un conflit armé interne afin qu’elle bénéficie d’un procès équitable et qu’elle ne soit pas condamnée sans procès équitable281. Dès lors, il est clair que cet article n’a pas été formulé dans le but de préciser ou de compléter les règles qui fondent la responsabilité pénale individuelle282. Toutefois, l’absence de toute disposition de ce type dans le Protocole additionnel  II ne remet absolument pas en cause l’existence de ce type de responsabilité pénale individuelle en droit international. Comme le constate le CICR dans son Commentaire , « [à] l’instar de l’article 3 commun, le Protocole II laisse intact le droit des autorités constituées de poursuivre, juger et condamner les personnes, militaires et civiles, qui auraient commis une infraction en relation avec le conflit armé283  ».

163. En conséquence, la Chambre de première instance observe à propos des normes énoncées au Protocole additionnel I et au Protocole additionnel II, que les premières sont en général plus détaillées et plus précises que les secondes. Cette remarque vaut également pour la question qui se pose en l’espèce, celle de la responsabilité pénale d’un supérieur pour manquement au devoir d’agir. Les articles 86 et 87 du Protocole additionnel I prévoient expressément la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle des personnes qui ont failli à leur devoir d’agir. À cet égard , le Protocole additionnel II témoigne d’une réticence à imposer aux États la même obligation de « prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux Conventions ou au présent Protocole qui résultent d’une omission contraire à un devoir d’agir284 ». Toutefois, le fait que le Protocole additionnel II impose au supérieur l’obligation d’exercer un commandement responsable confirme que le droit international offre de bonnes bases pour de telles mesures.

164. Comme l’observe le Commentaire, les négociateurs du Protocole II ont tenté de préserver « l’inviolabilité de la souveraineté nationale des États » tout en veillant à ce que l’exigence fondamentale du droit humanitaire, à savoir la protection des victimes d’un conflit armé, soit respectée285. Le compromis auquel ils sont parvenus s’est traduit par la création d’un certain nombre de règles obligatoires minimales applicables aux conflits armés internes. Comme il a été dit, le Protocole II faisait également référence à la clause Martens dans son préambule. S’il ne prévoyait pas expressément le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique, il posait celui d’un commandement responsable. Comme il a été indiqué, des organes judiciaires internationaux se sont fondés dans le passé sur ce principe pour tenir des supérieurs hiérarchiques pénalement responsables des crimes commis par leurs subordonnés quand ils avaient failli à leur devoir d’agir . Partant, rien dans le Protocole additionnel II ou dans son Commentaire ne pourrait conduire la Chambre de première instance à s’écarter des conclusions formulées et appliquées par les organes judiciaires internationaux qui l’ont précédée et par la jurisprudence de ce Tribunal.

165. En outre, la Défense fait valoir qu’il n’existe pratiquement aucune législation nationale ni aucun manuel militaire traitant de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans le cadre des conflits armés internes. La Chambre en serait d’accord. Mais quelle conclusion en tirer ? Le contexte particulier des conflits armés internes est à prendre en considération. Les réticences ou les craintes qui ont dissuadé les États d’élaborer au plan international des normes spécifiques applicables aux conflits armés internes les ont conduits à s’abstenir de légiférer sur le sujet et à s’en tenir aux dispositions générales de droit pénal ou aux dispositions traitant de l’association de malfaiteurs, de la trahison, du terrorisme, etc. Toutefois, la Chambre est d’avis que le principe de légalité (nullum crimen sine lege) est respecté si le comportement criminel sous-jacent était punissable, quelle que soit la manière dont l’infraction elle-même aurait pu être définie par une loi particulière . Le Tribunal international n’est pas dans la même situation que les États et peut appliquer tous les principes du droit international pénal pour atteindre des objectifs du droit international humanitaire.

166. La Chambre de première instance observe que dans tous les projets qu’elle a présentés depuis 1950 sur le sujet, la CDI n’a jamais limité le champ d’application du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique aux conflits armés internationaux . Elle a, au contraire, affirmé clairement que ce principe devait s’appliquer à tous les crimes commis au cours d’un conflit armé interne ou international, de même qu’en l’absence de tout conflit armé.

167. Il est difficile de dire avec précision à partir de quel moment une norme fait partie intégrante du droit international coutumier ou si elle est encore en cours d’élaboration. Toutefois, pour répondre à la question dont elle est saisie, la Chambre de première instance estime qu’il ne fait aucun doute que dès 1991, la responsabilité du supérieur hiérarchique, en tant que théorie de la responsabilité pénale individuelle , faisait clairement partie du droit international coutumier. Répondre par l’affirmative à la question soulevée par l’exception d’incompétence en l’espèce, qui est de savoir si le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique faisait partie du droit international coutumier pour ce qui est des violations sanctionnées par l’article  3 du Statut, dans le contexte d’un conflit armé interne, ne porte aucunement atteinte à l’intégrité du principe de légalité en ce qu’il a trait à la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique, à ses éléments constitutifs, à son objet et à son but, ainsi qu’à sa reconnaissance en tant que principe général du droit pénal international et partie intégrante du droit international coutumier.

168. Compte tenu du statut des principes du commandement responsable et de la responsabilité du supérieur en droit international, il convient à présent de se pencher sur l’intention des rédacteurs du Statut lorsqu’ils ont défini la compétence du Tribunal international, et sur l’interprétation et l’application que le Tribunal a ensuite fait de ces principes.

169. Toute interprétation de l’objet et du but du Statut devrait bien évidemment commencer par une analyse de ses termes. Comme l’a déclaré la Chambre de première instance dans l’affaire Celebici :

[…] l'idée maîtresse de la théorie et de la pratique de l’interprétation des lois est de garantir l'exactitude de l’interprétation des termes utilisés dans un texte juridique, en tenant compte de l’intention du législateur286.

L’article premier du Statut définit la compétence du Tribunal international et déclare que le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, conformément aux dispositions dudit statut. Il n’est apporté aucune restriction quant à la nature du conflit au cours duquel ces crimes ont pu être commis.

170. L’article 7 3) du Statut consacre le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique et débute ainsi : « Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis […] ». Les articles 3 et 5 donnent une liste d’infractions qui peuvent avoir été commises au cours d’un conflit armé, international ou non. L’article 4 concerne le génocide, qui peut se produire en l’absence de conflits armés. L’interprétation littérale de ces dispositions pertinentes du Statut porterait donc à conclure que tout supérieur peut être individuellement tenu pénalement responsable en application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique quel que soit le conflit armé en cause.

171. Le rapport établi par le Secrétaire général et les discussions qui ont eu lieu au sein du Conseil de sécurité lors de l’adoption du Statut du Tribunal viennent étayer cette interprétation. Il a été clairement dit à plusieurs reprises que le Conseil de sécurité était tenu de respecter pleinement le principe de légalité et de n’inclure que des normes faisant partie du droit international coutumier. À cet égard, la Chambre de première instance renvoie de nouveau au rapport du Secrétaire général déclarant au paragraphe 34 que le Tribunal « applique des règles du droit international humanitaire qui font partie sans aucun doute possible du droit coutumier ». L’inclusion de l’article 7 3) dans le Statut devrait être considérée comme l’expression de l’opinion raisonnable et largement partagée, émise par le Conseil de sécurité et le Secrétaire général, selon laquelle cette norme faisait partie du droit international coutumier durant la période couverte par le mandat du Tribunal international287.

172. Concernant la portée des diverses dispositions statutaires, les développements consacrés plus haut à la création du Tribunal international288 montrent clairement que toutes les personnes considérées comme responsables de violations du droit international humanitaire devraient être tenues pénalement responsables. En outre, la compétence ratione temporis du Tribunal international a été définie comme s’étendant à toutes les violations de ce type quelle que soit la nature du conflit pendant lequel elles pourraient avoir été commises. La Chambre de première instance fait observer que lorsque le Conseil de sécurité a jugé nécessaire de préciser la nature du conflit dans certaines dispositions du Statut, il l’a fait , comme par exemple dans le cas des crimes contre l’humanité289. S’agissant de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique, le Conseil de sécurité a décidé de n’apporter aucune restriction à son application. Au contraire , il a clairement manifesté sa volonté de voir ce principe s’appliquer à « l’un quelconque » des actes relevant de la compétence ratione materiae du Tribunal international.

173. La Chambre de première instance en conclut que le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, entendait clairement créer un tribunal pour juger toutes les violations graves du droit international humanitaire reconnues par le droit international coutumier dans le but d’œuvrer au rétablissement de la paix et de la sécurité en ex-Yougoslavie en usant de tous les instruments de droit pénal existants. Le Tribunal international devrait être en mesure de poursuivre toute personne présumée responsable d’une violation du droit international humanitaire, quelle que soit la nature du conflit au cours duquel cette violation a été commise et que l’accusé soit un militaire ou non, un supérieur ou un subordonné. Une dernière citation devrait suffire ici, empruntée à l’Arrêt Tadic relatif à la compétence. Lorsqu’elle a dû déterminer s’il fallait interpréter les dispositions statutaires traitant de la compétence ratione materiae du Tribunal en dehors de l’article 2 sur les infractions graves comme exigeant un lien avec un conflit armé international, la Chambre d’appel a déclaré ceci :

Il serait, cependant, contraire à l’intention du Conseil de sécurité de voir dans les autres dispositions du Statut traitant de la compétence une condition semblable . Contrairement à l’indifférence apparente des auteurs quant au caractère des conflits en cause, cette interprétation autoriserait le Tribunal international à poursuivre et à punir certains comportements dans un conflit armé international tout en ignorant le même comportement dans un conflit armé interne. […] Cependant, il aurait été illogique de la part des auteurs du Statut de conférer au Tribunal international la compétence de juger la conduite même qui les préoccupait uniquement dans le cadre d’un conflit international, alors qu’ils savaient que les conflits en cause dans l’ex-Yougoslavie pouvaient être classés, à différentes époques et lieux, comme des conflits internes, internationaux ou les deux à la fois290.

174. Rappelant que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique faisait clairement partie du droit international coutumier pendant la période couverte par le mandat du Tribunal international, la Chambre de première instance va à présent examiner les éléments qui doivent être réunis pour que cette forme de responsabilité pénale individuelle puisse être mise en cause. Les éléments qui doivent être établis devant une chambre de première instance au procès sont les suivants : l’existence d’un lien de subordination, le supérieur savait ou avait des raisons de savoir qu’un crime était sur le point d’être commis ou l’avait été, le supérieur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir cet acte ou en punir l’auteur. La Chambre de première instance entend par là insister sur le fait que le but de la responsabilité du commandement est de garantir que les personnes ayant des gens sous leur responsabilité s’acquittent de leur devoir de veiller à ce que leurs subordonnés ne commettent pas d’actes criminels. L’absence d’une restriction — d’un élément supplémentaire ou d’une condition de compétence — expressément formulée à l’article 7 3) du Statut, a été considérée comme la preuve qu’en droit coutumier, la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique pouvait s’appliquer à des supérieurs non militaires. De même, observe la Chambre, l’absence de toute restriction expresse à l’application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique ou, à l’inverse, de l’exigence d’un conflit armé international, indiquerait que cette théorie s’applique quelle que soit la nature du conflit. Si le Statut fixe, dans certains articles, des conditions de compétence qui entrent dans la définition des infractions visées, il n’en prévoit aucune de ce type pour le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

175. Comme la Chambre l’a fait observer, la question de la subordination éventuelle de l’application de cette disposition à la nature du conflit armé n’a pas été examinée dans l’affaire Celebici. Le passage suivant du Jugement Celebici est à cet égard intéressant :

L’exigence d’un lien de subordination qui, selon le Commentaire du Protocole additionnel I, devrait être envisagée « dans une perspective hiérarchique englobant la notion de contrôle » fait problème dans des situations telles que celle de l’ex-Yougoslavie pendant la période considérée où les structures anciennes ont volé en éclats et où, pendant une période de transition, les nouvelles structures de contrôle et de commandement, fruit possible de l’improvisation, peuvent être ambiguës et imprécises . […] la Chambre de première instance estime que les personnes qui ont effectivement autorité sur ces structures plus informelles et pouvoir de prévenir et de sanctionner les crimes des personnes qui sont sous leurs ordres peuvent, dans certaines circonstances , être tenues responsables pour n’en avoir rien fait291.

La Chambre de première instance est d’avis qu’il ressort manifestement de ce qui précède que l’application de cette disposition aux conflits armés non internationaux allait de soi. Si la Chambre Celebici avait considéré que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique ne s’appliquait qu’aux conflits armés internationaux, l’allusion à la désagrégation des structures de commandement n’aurait eu aucun sens.

176. Cette approche large, adoptée par la Chambre de première instance dans le Jugement Celebici et confirmée par la Chambre d’appel, a été également suivie dans d’autres affaires. Comme le montre clairement l’aperçu de la jurisprudence donné plus haut, des accusés ont été dans un certain nombre d’affaires déclarés pénalement responsables de violations dans le cadre d’un conflit armé des lois et coutumes de la guerre sur la base de l’article 7 3) du Statut, alors qu’il y avait eu violations de normes élaborées pour les conflits armés internes, et en particulier de l’Article  3 commun. Aussi la Chambre de première instance ne peut-elle être d’accord avec la Défense lorsque celle-ci déclare qu’il n’y aucun précédent dans la jurisprudence du TPIY établissant que l’article 7 3) est applicable dans le cadre d’un conflit armé interne.

177. Un aperçu général des développements postérieurs à la création du Tribunal confirme la direction prise par ce dernier dans l’interprétation et l’application de l’article 7 3). Le TPIR a, de son côté, tenu des personnes pénalement responsables , en qualité de supérieurs hiérarchiques, de violations du droit humanitaire même si ces crimes avaient été commis lors d’un conflit armé interne. En général, la Chambre de première instance s’accorderait avec la Défense pour admettre qu’il convient d’être extrêmement prudent lorsqu’on détermine quels étaient le statut et le contenu d’une norme avant la création du Tribunal. Cependant, en l’espèce, elle considère que la pratique du TPIR est pertinente dans la mesure où, d’une part, l’inscription du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans l’article 6 3) de son Statut et, d’autre part, sa jurisprudence confirment l’interprétation donnée par le TPIY. On peut également tirer des conclusions similaires de l’article 6 du Projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et de l’article  28 du Statut de la CPI. De l’avis de la Chambre de première instance, on doit considérer que ces instruments, élaborés en 1996 et 1998, confirment l’interprétation du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique, tel qu’il a été appliqué par le Tribunal international.

178. Comme il a été dit, la Chambre de première instance a, dans le Jugement Celebici, conclu qu’en droit pénal international, le principe de légalité a un objectif clair :

tenir la balance égale entre la nécessité de faire preuve de justice et d’équité envers l’accusé et le besoin de préserver l’ordre mondial292.

En l’espèce, la Chambre de première instance observe que cet équilibre est maintenu si l’on interprète l’article 7 3) de la façon dont le Tribunal l’a interprété dans un certain nombre d’affaires précédentes. Il en ressort que les Accusés relèvent de la compétence du Tribunal. Ils peuvent être tenus pénalement responsables des crimes retenus dans l’Acte d’accusation modifié, en application du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique, à condition qu’il soit prouvé que, dans le contexte d’un conflit armé, ils étaient des supérieurs qui savaient ou avaient de raisons de savoir que leurs subordonnés, sur lesquels ils exerçaient un contrôle effectif, s’apprêtaient à commettre ou avaient commis des crimes relevant de la compétence du Tribunal, et qu’ils n’ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ces crimes soient commis ou en punir les auteurs. Il appartiendra à la Chambre de première instance qui jugera les Accusés de poser cette question et d’y répondre. La présente Chambre conclut que le Tribunal international a compétence pour juger les Accusés, et estime donc qu’il est possible qu’une chambre de première instance examine la question au fond.

E. Conclusion

179. Pour les raisons susmentionnées, la Chambre de première instance conclut que dès 1991, la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique était applicable en droit international coutumier, dans le contexte d’un conflit armé interne. L’article 7 3) du Statut est déclaratoire en ce sens qu’il consacre des règles du droit international coutumier, et il n’énonce pas de règles nouvelles. En conséquence, rien ne s’opposait , en droit, à ce que le Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 soit compétent pour appliquer la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique quelle que soit la nature du conflit armé. La présente Chambre conclut donc que les infractions retenues dans l’Acte d’accusation modifié relèvent de la compétence du Tribunal et rejette cette partie de la requête de la Défense.

III. QUESTION 2 : LA RESPONSABILITE DU SUPERIEUR HIERARCHIQUE DU FAIT DE CRIMES COMMIS AVANT QUE N’EXISTE LE LIEN DE SUBORDINATION

180. Dans l’Acte d’accusation modifié, il est allégué que Amir Kubura a pris ses fonctions le 1er avril 1993. Les chefs 1, 2, 5 et 6 énumèrent tous des crimes qui auraient été commis en janvier 1993293. Le paragraphe 58 de l’Acte d’accusation modifié indique qu’en application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique, Kubura est responsable de ces crimes car « [a]près avoir pris le commandement, [il]était dans l’obligation d’en punir les auteurs ».

A. Arguments des parties

1. La Défense

181. La Défense soutient que rien en droit coutumier ou conventionnel ne justifie que l’accusé Kubura soit tenu responsable d’un crime, tel un meurtre qui aurait été commis par des subordonnés avant qu’il ne devienne leur supérieur294.

182. La Défense fait valoir que l’article 7 3) exige expressément que l’accusé soit le supérieur hiérarchique des subordonnés au moment où ceux-ci commettent l’infraction , et de citer la disposition en question : « Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale ». Elle soutient en outre que l’article 7 3) « n’autorise pas la mise en cause de la responsabilité de supérieurs pour des actes commis par des personnes devenues « ultérieurement » leurs subordonnés » et que si une telle responsabilité avait été envisagée, l’article  7 3) l’aurait prévue explicitement295. La Défense avance encore que s’il subsiste le moindre doute quant à l’interprétation d’une disposition du Statut ou du Règlement, celle-ci devra être interprétée de la manière la plus favorable à l’accusé296.

183. La Défense allègue que le Protocole additionnel I ne prévoit pas la mise en cause de la responsabilité d’un supérieur pour des crimes commis avant qu’il n’ait pris ses fonctions297. Une interprétation littérale de l’article 86 2) permet d’aboutir à cette conclusion. En outre, ajoute la Défense, le Commentaire des Protocoles additionnels met en lumière la nécessité d’un lien de subordination au moment des faits, ce qui montre que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique ne s’applique qu’au supérieur qui était personnellement responsable de l’auteur des crimes au moment des faits, ce dernier étant alors placé sous son contrôle298.

184. La Défense invoque à ce propos la jurisprudence du Tribunal international. Elle cite en particulier le Jugement Celebici, dans lequel l’article 86 du Protocole additionnel I a été interprété comme prévoyant qu’un

supérieur ne peut être tenu pour pénalement responsable que s’il avait à sa disposition des informations particulières l’avertissant des infractions commises par ses subordonnés. [...] Il suffit que le supérieur ait été poussé à demander un complément d’information ou, en d’autres termes, qu’il ait paru nécessaire de mener des enquêtes complémentaires pour vérifier si les subordonnés commettaient ou s’apprêtaient à commettre des infractions( footnote 299 ).

185. La Défense soutient que si l’article 7 3) peut s’appliquer lorsque le supérieur est informé après coup des crimes commis, le lien de subordination, lui, doit impérativement exister au moment des faits. Renvoyant au Jugement Celebici, la Défense s’attache à la notion de « contrôle effectif » qui doit, à ses yeux, exister au moment des faits :

La Chambre de première instance estime donc que, pour que le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique soit applicable, il faut que le supérieur contrôle effectivement les personnes qui violent le droit international humanitaire, autrement dit qu’il ait la capacité matérielle de prévenir et de sanctionner ces violations300.

La Défense définit l’élément essentiel de la responsabilité du commandement comme étant « l’existence d’un lien de subordination unissant le supérieur à l’auteur du crime au moment des faits » et non lorsque le supérieur a été informé du crime qui aurait été commis301. Elle assigne comme but à la responsabilité du supérieur hiérarchique de garantir que les chefs veillent à ce que les forces placées sous leur contrôle effectif mènent les opérations militaires dans le respect de la loi, et empêchent ainsi celles -ci de commettre des crimes. Elle avance que ce but est atteint en tenant responsables les chefs en mesure de prévenir les crimes302.

186. La Défense fait valoir, en outre, que dans aucune affaire connue portée devant une juridiction internationale ou nationale, un supérieur hiérarchique n’a été déclaré coupable pour des crimes commis par des subordonnés avant qu’il ne prenne son commandement , et ce quel que soit le type de conflit armé. Elle cite à ce propos des affaires jugées au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale qui font apparaître un lien de subordination au moment des faits303, et renvoie en particulier à l’affaire du Haut commandement, dans laquelle , dit-elle, le tribunal a « établi une nette distinction entre chaque période de commandement » et a apprécié la responsabilité du supérieur hiérarchique en se fondant sur les obligations correspondant à chaque période304. La Défense considère que les éléments pris en compte dans l’affaire du Haut commandement, y compris le fait que l’accusé était effectivement le supérieur des auteurs des crimes qui, en outre, se sont étalés sur « une longue période », permettaient de conclure, dans ce cas précis, que le supérieur « approuvait » les crimes. En l’espèce, au contraire, Kubura se voit reprocher de ne pas avoir sanctionné des violations particulières et notamment « l’épisode isolé de Dusina », qui se sont produites des mois avant qu’il ne prenne son commandement305.

187. Même si la Défense ne s’appuie pas sur le Statut de la CPI, adopté en 1998, pour déterminer l’état du droit international coutumier en 1992, elle n’en soutient pas moins que cet instrument « ne modifie en rien » le champ d’application de la doctrine en question qu’il limite à la période où les infractions ont été commises (« en raison des circonstances »), à l’exclusion des infractions antérieures («  commettaient ou allaient commettre ces crimes »)306.

188. La Défense de Hadzihasanovic reconnaît que la Chambre de première instance Kordic avait « en partie raison » d’affirmer qu’un supérieur ne pouvait fermer les yeux sur des crimes commis par des subordonnés placés sous ses ordres307. Elle avance que si le supérieur hiérarchique s’abstient de punir ses subordonnés, il peut être tenu individuellement responsable d’« une » infraction, mais nullement en application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique car il n’était pas responsable des auteurs au moment où le crime a été commis308.

189. En outre, la Défense avance qu’il n’existe aucune disposition dans les législations nationales ou dans les codes militaires mettant en cause la responsabilité d’un supérieur pour des crimes commis lors d’un conflit armé non international par des personnes devenues ultérieurement ses subordonnés309.

190. Enfin, la Défense soutient, sur le plan des principes, qu’on pourrait multiplier « à l’infini » les poursuites contre les supérieurs prenant leurs fonctions après coup, si tous les supérieurs exerçant ultérieurement un contrôle effectif sur les auteurs d’un crime étaient pénalement responsables au regard du droit international 310. Elle affirme que la personne à poursuivre est le supérieur qui exerçait un contrôle effectif sur l’auteur du crime au moment des faits et qui n’a ni prévenu ni sanctionné les crimes311. La Défense ajoute que le commandement n’incombe généralement pas à une seule personne , et que si le supérieur immédiat ne peut plus être poursuivi pour son manquement à l’obligation de prévenir ou punir, c’est un de ses supérieurs qui pourra être tenu responsable312.

2. L’Accusation

191. Pour sa part, l’Accusation est d’avis qu’un supérieur qui prend le commandement après les faits et qui, après coup, en a connaissance ou a des raisons d’en avoir connaissance et ne prend pas les mesures nécessaires pour punir le subordonné auteur du crime, peut être tenu individuellement pénalement responsable313. Elle soutient que la question essentielle qui se pose n’est pas de savoir qui assumait le commandement au moment où les crimes ont été commis, mais qui l’assumait lorsque des informations suffisantes sont parvenues sur ces crimes, et si ce dernier a manqué à son obligation de punir le subordonné auteur des crimes314.

192. L’argument de l’Accusation se fonde sur la jurisprudence du Tribunal international . Ainsi, selon la Chambre de première instance Kordic,

[l]e devoir de punir intervient bien évidemment après la commission du crime. Les personnes qui prennent le commandement après la commission du crime ont la même obligation de punir. Cette obligation impose pour le moins d’enquêter sur les crimes , d’établir les faits et de transmettre un rapport aux autorités compétentes si le supérieur n’est pas habilité à prendre lui-même des sanctions315.

L’Accusation soutient que si l’on limitait l’application du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique ou supérieur du moment, les supérieurs qui lui succéderaient seraient dispensés de punir « quelle que soit la date à laquelle le crime a été commis ou rapporté316 ».

193. L’Accusation affirme que l’élément essentiel de la responsabilité du commandement est l’existence d’un lien de subordination lorsque le commandant a été informé des crimes qui auraient été commis par des subordonnés et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en punir317. De plus, l’Accusation soutient qu’un supérieur engage sa responsabilité lorsqu’il s’abstient de prévenir un crime ou d’en punir l’auteur. Elle ne croit pas que le devoir de punir puisse dépendre d’un manquement antérieur à ce devoir318.

194. L’Accusation avance que si l’on devait retenir l’argument de la Défense, aucun supérieur ne serait puni. Elle fait valoir que dès lors qu’un commandant serait remplacé après que des crimes ont été commis et sans que leurs auteurs en soient punis, personne ne répondrait du manquement à l’obligation de punir et l’article  7 3) perdrait tout son sens319.

195. À la Défense qui fait valoir qu’il n’y a pas de limite aux actions contre les supérieurs ultérieurs, l’Accusation répond qu’un procureur a le pouvoir de décider de poursuivre tel ou tel successeur après examen de certains éléments, comme le laps de temps écoulé entre le crime et la nomination du nouveau chef. Elle ajoute qu’un procureur peut vérifier si les subordonnés se sont déjà rendus coupables de crimes demeurés impunis et s’ils ont continué à sévir sous le nouveau commandement  ; toutefois, l’Accusation ne dit pas clairement s’il serait nécessaire que les activités criminelles ou l’absence de sanctions persistent sous le nouveau commandement. L’Accusation affirme que la présente espèce offre l’exemple d’activités criminelles impunies et persistantes dont le supérieur ultérieur, à savoir Kubura, devrait être tenu pénalement responsable en application de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique 320.

196. L’Accusation soutient que la question de savoir si Kubura avait la capacité matérielle de punir en avril 1992 les auteurs des crimes commis en janvier 1992 est une question de fait qui doit être tranchée au procès321.

B. Examen

197. Comme il a été dit précédemment, le but de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique est d’obliger les supérieurs hiérarchiques à veiller, comme ils en ont le devoir, à ce que leurs subordonnés respectent les principes du droit international humanitaire, en tenant ces supérieurs pénalement individuellement responsables des crimes commis par leurs subordonnés lorsqu’ils savaient ou avaient des raisons de savoir que ces subordonnés s’apprêtaient à commettre un crime ou l’avaient déjà commis, et qu’ils n’ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que le crime ne soit commis ou en punir les auteurs.

198. L’article 7 3) envisage deux situations dans lesquelles la responsabilité pénale individuelle d’un supérieur hiérarchique peut être mise en cause : a) le supérieur savait ou avait des raisons de savoir qu’un subordonné s’apprêtait à commettre de tels actes [ceux visés aux articles 2 à 5 du Statut] et le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ces actes, ou b) si le supérieur savait ou avait des raisons de savoir qu’un subordonné avait commis de tels actes [ceux visés aux articles 2 à 5 du Statut] et le supérieur ne l’a pas puni. En conséquence, la Chambre de première instance interprète l’article 7 3) comme suit : a) lorsqu’un supérieur savait ou avait des raisons de savoir qu’un subordonné s’apprêtait à commettre les actes sanctionnés par les articles 2 à 5 du Statut ET qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ces actes, le supérieur est pénalement individuellement responsable ; OU b) lorsque le supérieur savait ou avait des raisons de savoir qu’un subordonné avait commis les actes visés aux articles 2 à 5 du Statut ET qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour le punir, le supérieur est pénalement individuellement responsable .

199. Dans son Rapport final322, la Commission d’experts analyse ainsi l’élément moral nécessaire pour que le supérieur puisse être tenu responsable : « La Commission estime que, lorsque le commandant n’a pas donné l’ordre de commettre une infraction, l’élément moral nécessaire est que le commandant a) a eu effectivement connaissance de l’ordre, b) a commis une négligence personnelle grave l’ayant amené à ne tenir aucun compte des conséquences éventuelles, ou c) a dû, malgré ses dénégations et eu égard aux circonstances et faits particuliers, avoir connaissance des infractions commises et les avoir approuvées  ». La Commission d’experts a énuméré un certain nombre d’éléments à prendre en considération pour déterminer si un commandant « (devait( avoir connaissance » des actes de ses subordonnés. Cette liste comprend : a) le nombre d’actes illégaux ; b) le type d’actes illégaux ; c) la portée des actes illégaux ; d) le moment où les actes illégaux se sont produits ; e) le nombre et le type de soldats qui y ont participé ; f) les moyens logistiques éventuellement mis en œuvre ; g) le lieu géographique des actes ; h) le caractère généralisé des actes ; i) la rapidité des opérations ; j) le modus operandi d’actes illégaux similaires ; k) les officiers et les personnels impliqués ; l) le lieu où se trouvait le commandant au moment où les actes ont été accomplis323.

200. La Chambre de première instance conclut qu’en droit international pénal, l’objet et le but de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique sont atteints dès lors que les supérieurs ultérieurs qui réunissent les éléments de cette doctrine , sont tenus responsables des crimes commis par leurs subordonnés. Toutefois, la Chambre de première instance estime que le laps de temps écoulé entre les crimes et le moment où le supérieur a eu les auteurs des crimes sous ses ordres est un élément qu’il convient de prendre en compte pour déterminer si les conditions ont été remplies au procès.

201. La question de savoir si les éléments de la responsabilité du commandement sont réunis en l’espèce doit être tranchée au procès. Même s’il est précisé dans l’Acte d’accusation modifié que Kubura n’était pas commandant au moment des faits , ce n’est que lorsqu’elle aura entendu les témoignages portant sur la capacité de l’accusé à exercer un contrôle effectif sur ses subordonnés présumés, qui auraient commis les crimes reprochés, que la Chambre de première instance pourra déterminer si, comme il est dit dans l’Acte d’accusation modifié, l’accusé avait les moyens matériels de punir ces subordonnés pour des crimes commis trois mois environ avant qu’il ne prenne son commandement. En outre, la question de savoir quand Kubura était en mesure d’avoir connaissance ou avait des raisons d’avoir connaissance d’informations relatives aux crimes qui auraient été commis est une question de fait qu’il faudra trancher au procès. Cet élément est nécessaire pour déterminer quelle influence peut avoir le laps de temps écoulé entre les crimes et le moment où l’accusé a été en mesure d’exercer un contrôle effectif sur ses subordonnés, sur la décision de le tenir responsable sur la base du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique .

C. Conclusion

202. La Chambre de première instance conclut qu’en principe, un supérieur hiérarchique peut être tenu responsable sur la base de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique, pour des crimes commis avant qu’il ne prenne son commandement. Elle estime, toutefois, que la question de savoir si ce principe peut s’appliquer en l’espèce, dépend d’une autre question, celle de savoir si les éléments de la responsabilité du commandement étaient réunis, ce qui est une question de fait à trancher au procès . En conséquence, la Chambre de première instance rejette également cette partie de la requête de la Défense.

IV. QUESTION 3 : LA RESPONSABILITE DES SUPERIEURS HIERARCHIQUES POUR MANQUEMENT A L’OBLIGATION D’EMPECHER OU DE PUNIR LA PLANIFICATION ET LA PREPARATION DES CRIMES

203. Aux paragraphes 61 et 66 de l’Acte d’accusation modifié, il est allégué, à propos des trois accusés, qu’ils « savaient ou avaient des raisons de savoir que les unités suivantes de l’ABiH, placées sous leur direction et leur contrôle, s’apprêtaient à planifier, préparer ou commettre » certains actes.

A. Arguments des parties

1. La Défense

204. La Défense soutient que l’article 7 3) du Statut ne prévoit pas d’engager la responsabilité d’un supérieur hiérarchique pour manquement à l’obligation d’empêcher ou de punir la planification ou la préparation d’un crime, mais la commission du crime324. Elle fait valoir que dans de « nombreuses » affaires portées devant le Tribunal international , aucun accusé n’a été tenu responsable sur la base de l’article 7 3) du Statut325, aucun crime n’ayant été dans les faits commis. La Défense reconnaît que le devoir de prévenir préexiste nécessairement à la commission d’une infraction, mais elle soutient que la responsabilité du supérieur n’est engagée que si l’infraction est effectivement commise. Permettre la mise en cause de la responsabilité d’un supérieur alors qu’aucun crime n’a été commis reviendrait à sanctionner une forme de « tentative  », ce que ne prévoit pas le Statut326.

205. La Défense soutient en outre que la responsabilité d’un supérieur ne peut être mise en cause pour planification ou préparation d’un crime et pour complicité que sur la base de l’article 7 1) du Statut. Elle estime donc que les paragraphes 61 et 66 de l’Acte d’accusation modifié constituent un abus de droit327.

206. La Défense demande donc à la Chambre d’ordonner à l’Accusation de supprimer toute référence à la « planification » et à la « préparation » de l’Acte d’accusation modifié328.

2. L’Accusation

207. L’Accusation répond que la jurisprudence du Tribunal international permet de faire figurer dans l’Acte d’accusation modifié des allégations relatives à la «  planification » et la « préparation »329. Elle s’oppose à l’argument de la Défense selon lequel les paragraphes 61 et 66 mettent en cause la responsabilité de l’accusé sur la base de l’article 7 1) du Statut330. Elle déclare en outre qu’il n’est pas dans ses intentions de mettre en cause la responsabilité de l’accusé pour « tentative »331.

208. L’Accusation soutient par ailleurs que la connaissance « de la planification et de la préparation » lui permet de mettre en cause la responsabilité de l’accusé pour manquement à son obligation de prévenir. Elle ajoute que si elle a inclus la « planification » et la « préparation », c’était pour pouvoir établir la connaissance du supérieur hiérarchique332.

B. Examen

209. La Chambre de première instance ne considère pas que les termes « planification  » et « préparation » ont été utilisés dans le but de mettre en cause la responsabilité de l’accusé pour des crimes que ses subordonnés auraient tenté de commettre. L’article 7 3) du Statut est tout aussi clair dans sa formulation que dans son but : « Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs ». La responsabilité pénale d’un supérieur ne peut être mise en œuvre lorsque des subordonnés « s’apprêtaient à planifier ou préparer  » des crimes relevant de la compétence du Tribunal.

210. Les éléments de preuve relatifs à la planification ou à la préparation peuvent être pertinents dès lors qu’une chambre de première instance doit déterminer si un supérieur « savait ou avait des raisons de savoir » qu’un subordonné « s’apprêtait à commettre » un crime et « ne l’en a pas empêché ». La Chambre de première instance conclut que les termes « s’apprêtaient à », « planifier » et « préparer » avant « commettre » figurant aux paragraphes 61 et 66 de l’Acte d’accusation modifié se rapportent à la connaissance que le supérieur avait de ce que ses subordonnés «  s’apprêtaient à commettre », et ils entrent par conséquent dans le cadre de l’article 7 3) du Statut.

C. Conclusion

211. En conséquence, la Chambre de première instance rejette la requête de la Défense lui demandant d’ordonner à l’Accusation de reformuler les paragraphes 61 et 66.

V. DISPOSITIF

Pour ces motifs, et en application de l’article 72 du Règlement, la Chambre de première instance

REJETTE l’Exception préjudicielle dans son intégralité.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 12 novembre 2002,
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_________________
Wolfgang Schomburg

[Sceau du Tribunal]


1 - Dans sa décision, la Chambre de première instance utilise indifféremment les expressions « conflit armé non international » et « conflit armé interne ». De même, les expressions « responsabilité du supérieur hiérarchique » et « responsabilité du supérieur hiérarchique » devraient être considérées comme synonymes. En outre, sauf disposition contraire, lorsqu’un pronom ou un terme propre à l’un ou l’autre sexe est employé, il devrait être compris comme incluant l’équivalent masculin ou féminin.
2 - Mémoire de l’Accusation concernant les questions soulevées dans l’« Exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié » (Prosecution’s Brief regarding Issues in the « Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment ») (le « Mémoire de l’Accusation ») ; Exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié - Conclusions écrites d’Enver Hadzihasanovic (Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment Written Submissions of Enver Hadzihasanovic) (les « Conclusions écrites de Hadzihasanovic »), 10 mai 2002 ; Conclusions écrites d’Amir Kubura relatives à l’exception d’incompétence déposée par la Défense (Written Submissions of Amir Kubura on Defence Challenges to Jurisdiction) (les « Conclusions écrites de Kubura »), 10 mai 2002 ; Conclusions de Mehmed Alagic relatives à l’exception d’incompétence fondée sur l’application illégale de l’article 7 3) du Statut dans le contexte d’un conflit armé non international [Submissions of Mehmed Alagic on the Challenge to Jurisdiction Based on the Illegality of Applying Article 7 (3) to Non-International Armed Conflict] (les « Conclusions écrites d’Alagic »), datées du 9 mai 2002 et déposées le 10 mai 2002 ; Réponse de l’Accusation aux conclusions écrites de la Défense relatives à l’exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié (Prosecution’s Response to Defence Written Submissions on Joint Challenge to Jurisdiction Arising from Amended Indictment) (la « Réponse de l’Accusation »), 24 mai 2002 ; Réponse d’Enver Hadzihasanovic au mémoire de l’Accusation concernant les questions soulevées dans l’« exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié » (Enver Hadzihasanovic’s Response to the Prosecution’s Brief regarding Issues in the « Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment) (la « Réponse de Hadzihasanovic »), 24 mai 2002 ; Réponse de Mehmed Alagic relative à l’exception d’incompétence (Response of Mehmed Alagic on Challenge to Jurisdiction) (la « Réponse d’Alagic »), 24 mai 2002 ; Réponse d’Amir Kubura au mémoire de l’Accusation du 10 mai 2002 relatif à l’exception d’incompétence (Response of Amir Kubura to Prosecution’s Brief on Defence Challenges to Jurisdiction of 10 May 2002) (la « Réponse de Kubura »), datée du 23 mai 2002 et déposée le 24 mai 2002 ; Réplique de l’Accusation aux réponses de la Défense au mémoire de l’Accusation concernant les questions soulevées dans l’« exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié (Prosecution’s Reply to Defence Responses to the Prosecution’s Brief Concerning Issues Raised in the Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment) (la « Réplique de l’Accusation »), 31 mai 2002 ; Réplique d’Enver Hadzihasanovic à la réponse de l’Accusation aux conclusions écrites de la Défense relatives à l’exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié (Enver Hadzihasanovic’s Reply to the Prosecution’s Response to Defence Written Submissions on Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment) (la « Réplique de Hadzihasanovic »), 31 mai 2002 ; Réplique de Mehmed Alagic relative à l’exception d’incompétence (Reply of Mehmed Alagic on the Challenge to Jurisdiction) (la « Réplique d’Alagic »), 31 mai 2002 ; Réplique d’Amir Kubura à la réponse de l’Accusation relative aux conclusions écrites de la Défense sur l’exception d’incompétence (Reply of Amir Kubura to Prosecution’s Response to Defence Written Submissions on Challenge to Jurisdiction) (la « Réplique de Kubura »), 31 mai 2002. La Chambre de première instance prévient qu’il conviendrait de ne pas interpréter les références faites dans la suite aux arguments d’un accusé comme limitant ou excluant les arguments avancés par un autre accusé sur une question identique ou similaire. Voir Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 3, et Conclusions écrites d’Alagic, par. 4, sur l’adoption d’arguments avancés par des coaccusés.
3 - Duplique supplémentaire conjointe de la Défense concernant les questions soulevées dans la réplique de l’Accusation à l’exception d’incompétence déposée par la Défense (Additional Joint Defence Reply to Issues Raised by the Prosecution’s Reply to the Defence Challenge to Jurisdiction) (la « Duplique supplémentaire de la Défense »), 17 juin 2002.
4 - Source supplémentaire à l’appui de la réplique de l’Accusation aux réponses de la Défense au mémoire de l’Accusation concernant les questions soulevées dans l’exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié (Supplementary Authority to Prosecution’s Reply to Defence Responses to the Prosecution’s Brief Concerning Issues Raised in the Joint Challenge to Jurisdiction Arising from the Amended Indictment), déposée le 27 juin 2002. La Chambre de première instance fait observer que la décision évoquée par l’Accusation (« Décision relative à l’exception préjudicielle d’incompétence déposée par la Défense », Le Procureur c/ Strugar et consorts, affaire n° IT-01-42-PT, 7 juin 2002) est actuellement examinée en appel.
5 - Conférence de mise en état, 18 juillet 2002, compte rendu d’audience en anglais (« CR »), p. 149.
6 - Exception préjudicielle présentée conjointement pour vices de forme de l’acte d’accusation, 8 octobre 2001, par. 31 à 42. Voir les dépôts ultérieurs relatifs à cette exception : Réponse de l’Accusation à l’exception préjudicielle présentée conjointement pour vices de forme de l’acte d’accusation, 22 octobre 2001 ; Réplique à la réponse de l’Accusation à l’exception préjudicielle présentée conjointement pour vices de forme de l’acte d’accusation, 29 octobre 2001 (cette réplique a été déposée par la Défense de Mehmed Alagic ; les conseils des autres accusés s’y sont joints en déposant la « Réplique conjointe à la réponse de l’Accusation à l’exception préjudicielle présentée conjointement pour vices de forme de l’acte d’accusation » le 5 novembre 2001) ; Requête aux fins d’obtenir l’autorisation de déposer un supplément à la réponse de l’Accusation à l’exception préjudicielle présentée conjointement pour vices de forme de l’acte d’accusation, 30 octobre 2001.
7 - Décision relative à l’exception d’incompétence, 7 décembre 2001, par. 7.
8 - Ibid., par. 10 : « Les parties examineront la question suivante dans leur mémoire préalable au procès : Le droit international à l’époque des faits visés dans l’acte d’accusation prévoyait-il la responsabilité pénale du supérieur qui savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés allaient commettre des violations du droit international humanitaire, ou qu’ils l’avaient fait, et qui n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou en punir les auteurs dans le cadre de conflits armés internes ? ».
9 - Le Procureur c/ Milomir Stakic, affaire n° IT-97-24-AR72, Décision relative à la demande d’autorisation d’interjeter appel (la « Décision Stakic »), 19 février 2002.
10 - Décision Stakic, p. 2.
11 - [Non souligné dans l’original.]
12 - Voir Le Procureur c/ Momcilo Krajisnik, affaire n° IT-00-39-AR72.2, Décision relative à l’« Appel interlocutoire de la Défense contre la décision de la Chambre de première instance relative à l’exception préjudicielle d’incompétence », 25 mai 2001. La Chambre de première instance fait observer que cette décision de la Chambre d'appel, par laquelle celle-ci rejetait un recours contre la forme de responsabilité pénale établie par l’article 7 3) du Statut au motif qu’elle enfreignait le principe nullum crimen sine lege parce que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique ne constituait pas une coutume internationale à l’époque du crime allégué, était fondée sur une ancienne version de l’article 72 du Règlement, qui n’incluait alors pas le paragraphe D) iv).
13 - Dans l’Exception conjointe, la Défense soutient qu’aucune des accusations portées en application de l’article 3 du Statut n’engage la responsabilité pénale individuelle aux termes de l’article 7 3) du Statut, et affirme qu’il n’y a aucune différence entre des accusations portées sur la base de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et d’autres accusation formulées en vertu de l’article 3 du Statut, distinction établie dans la Décision du 7 décembre 2001. Voir Réplique d’Alagic, par. 24, et Conclusions écrites de Kubura, par. 13.
14 - Acte d’accusation modifié, par. 11.
15 - Acte d’accusation initial, par. 46.
16 - Acte d’accusation modifié, par. 3.
17 - Ibid., par. 6.
18 - Ibid., par. 9.
19 - La Défense d’Alagic a précisément soutenu que toute règle de droit international humanitaire appliquée par le Tribunal international doit trouver son fondement dans le droit tant conventionnel que coutumier. Voir Conclusions écrites d’Alagic, par. 30. Voir aussi Réplique de Hadzihasanovic, par. 15, à l’appui de cet argument.
20 - Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité (le « Rapport du Secrétaire général sur le TPIY »), 3 mai 1993 (S/25704), par. 34.
21 - Pour ce qui est des « nombreux précédents » concernant la théorie à appliquer dans le cadre de conflits armés internationaux, la Défense cite le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (le « Protocole additionnel I »), 8 juin 1977, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1125, p. 3, articles 86 et 87, ainsi que des affaires jugées après la Deuxième Guerre mondiale à Nuremberg et à Tokyo, et des commissions militaires. Conclusions écrites d’Alagic, par. 65.
22 - Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo (« Celebici »), affaire n° IT-96-21-T, Jugement, 16 novembre 1998 (le « Jugement Celebici »).
23 - Conclusions écrites de Kubura, par. 7.
24 - Protocole additionnel II aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (le « Protocole additionnel II »), 8 juin 1977, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1125, p. 609.
25 - Voir, p. ex., Conclusions écrites d’Alagic, par. 16 à 18.
26 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 49.
27 - Conclusions écrites de Kubura, par. 18, citant les Documents officiels, vol. V, p. 142 et 188, et vol. VI, p. 352.
28 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 46 [non souligné dans l’original].
29 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 16 à 19. En particulier, la Défense conteste l’applicabilité du traité d’armistice de Trujillo de 1820 (qui ne peut pas être considéré comme couvrant les conflits armés internes et n’exige pas que les parties au conflit soient subordonnées à un commandement responsable), du Code Lieber de 1863 (qui reconnaît la responsabilité pénale individuelle pour avoir ordonné ou encouragé, mais écarte toute forme de responsabilité du supérieur hiérarchique), et du Règlement sur la reconnaissance du statut de belligérant établi en 1900 par l’Institut de droit international (relatives à la reconnaissance de la belligérance).
30 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 62.
31 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 10.
32 - Ibid., par. 27.
33 - En particulier, la Défense estime que les affaires citées par l’Accusation portent sur la participation directe d’un accusé à la perpétration des crimes qui lui sont reprochés (Santos ; affaire Kafr Qassem) ; traitent d’événements survenus lors d’un conflit armé international (Santos ; A. Cruz) ; portent sur la complicité(A. Cruz) ; ont trait à une procédure civile et non pénale (États-Unis, affaire Ford fondée sur la Alien Tort Claims Act). Voir Réponse de Hadzihasanovic, par. 27 à 31. En outre, la Défense cite l’affaire du capitaine Medina poursuivi aux États-Unis d’Amérique pour le massacre de My Lai, et la Commission Kahan en Israël qui a pris des mesures disciplinaires suite au massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Shatila au Liban. Voir Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 66.
34 - Voir Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 67, et, en général, par. 65 à 78 sur la pratique nationale.
35 - Conclusions écrites de Kubura, par. 23 ; Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 67 (où l’accusé affirme que la loi belge se limite aux poursuites engagées contre des chefs militaires qui ont omis de prendre des sanctions).
36 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 67.
37 - Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998, A/Conf.183/9, entré en vigueur le 1er juillet 2002.
38 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 68 (citant l’exemple du Canada) ; Conclusions écrites d’Alagic, par. 63.
39 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 62. [non souligné dans l’original]
40 - Voir, en général, Conclusions d’Alagic, par. 14 à 23, et 62.
41 - Voir, p. ex., Conclusions écrites d’Alagic, par. 62 vi).
42 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 35 à 39. La Défense affirme que le Code de justice militaire français vise les supérieurs qui « ont organisé ou toléré » les agissements de leurs subordonnés et qu’il est applicable aux conflits armés internationaux ; le Code pénal fédéral du Mexique de 1931 prévoit la mise en cause de la responsabilité pénale des personnes qui commettent, ordonnent ou tolèrent certains actes perpétrés en dehors d’un conflit armé, et ne vise pas explicitement les chefs militaires ou la responsabilité pénale pour manquement à l’obligation de prévenir ou de punir ; le Code pénal du Congo de 1963 impute tous les crimes commis lors d’une rébellion aux chefs. Voir Réponse de Hadzihasanovic, par. 36 à 39. Dans sa Réponse, au paragraphe 29, Alagic cite également l’affaire suisse Niyonteze c/ Procureur public de 2001, et avance que le Tribunal militaire de cassation suisse a conclu que l’article 108 al.2 du Code pénal militaire suisse ne pouvait pas être appliqué à des conflits armés internes. La Chambre de première instance fait observer qu’en ce qui concerne l’application du Code pénal militaire suisse dans l’affaire Niyonteze c/ Procureur public, qui couvre des infractions commises après la période visée par l’Acte d’accusation modifié en l’espèce, le Tribunal militaire d’appel a infirmé toutes les déclarations de culpabilité prononcées pour des crimes de droit commun, les tribunaux militaires n’étant pas compétents ratione personae aux termes du Code pénal militaire pour juger des civils ; en réponse à l’argument de l’accusé selon lequel les faits allégués ne pouvaient pas être considérés comme des crimes de guerre en l’absence d’un lien étroit avec le conflit armé, le Tribunal militaire de cassation a conclu premièrement que, dans les affaires relatives à des conflits armés internes, la catégorie d’auteur incluait « tous les individus juridiquement investis de pouvoirs et dont on attend qu’ils accroissent l’effort de guerre ou y participent en raison de leur position de représentants officiels ou d’agents de l’État, de personnes occupant des postes de responsabilité, ou de représentants de facto du gouvernement », deuxièmement que le lien entre les infractions et le conflit armé ne devait pas être « vague et indéterminé », et enfin que ces deux conditions étaient remplies dans l’affaire dont il était saisi. Décision internationale : Niyonteze c/ Procureur public, 27 avril 2001, 96 Am. J. Int’1 L.231, p. 234 et 235.
43 - Conclusions écrites de Kubura, par. 25, citant l’article 154 du Code pénal de Bosnie de 1992.
44 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 53.
45 - Voir, en général, Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 67 à 77, sur les manuels militaires et la législations nationales.
46 - Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949, Nations Unies, Recueil des traités, volume 75, p. 31 ; Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, 12 août 1949, Nations Unies, Recueil des traités, volume 75, p. 85 ; Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949, Nations Unies, Recueil des traités, volume 75, p. 135 ; Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, Nations Unies, Recueil des traités, volume 75, p. 287.
47 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 40 et 41.
48 - Voir Duplique supplémentaire, par. 8, et, en général, par. 1 à 11.
49 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 1.
50 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 64.
51 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 2. Dans sa réponse, la Défense admet que la distinction entre les conflits armés internationaux et internes est devenue floue depuis la guerre civile espagnole dans les années 1930 et l’émergence de la branche du droit international relatif aux droits de l’homme, mais qu’elle existe toujours comme, selon elle, le reconnaissait la Chambre d’appel dans l’Arrêt Tadic relatif à la compétence. Voir Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence (l’« Arrêt Tadic relatif à la compétence »), 2 octobre 1995.
52 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 15 à 22.
53 - Voir, p.ex., Conclusions écrites d’Alagic, par. 25 et 26. Alagic affirme que la complicité d’un supérieur dans les crimes commis par ses subordonnés, y compris par omission, constituerait une « responsabilité du type de celle prévue à l’article 7 1) du Statut » et non de celle prévue à l’article 7 3) du Statut. Dans sa Réponse (par. 33 et 34), Alagic avance également que la responsabilité pour complicité relève de l’article 7 1), et non de l’article 7 3). Dans ses Conclusions écrites (par. 16), Hadzihasanovic affirme que la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique est « exceptionnelle » en ce qu’un chef militaire peut être déclaré coupable d’un crime auquel il n’a pris aucune part et qu’il n’a jamais eu l’intention de perpétrer.
54 - Conclusions écrites de Kubura, par. 15.
55 - Conclusions écrites de Kubura, par. 15, faisant référence à Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-T, Jugement (le « Jugement Aleksovski »), 25 juin 1999.
56 - La présente Chambre de première instance fait observer que la Chambre de première instance Krnojelac n’a pas explicitement constaté que le conflit dans cette affaire était un « conflit armé interne » ; elle a conclu simplement à l’existence d’un « conflit armé » dans la République de Bosnie-Herzégovine, fait admis par les parties. Voir Le Procureur c/ Milorad Krnojelac, affaire n° IT-97-25-T, Jugement (le « Jugement Krnojelac »), 15 mars 2002.
57 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 33.
58 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 32, faisant référence à Le Procureur c/ Radislav Krstic, affaire n° IT-98-33-T, Jugement (le « Jugement Krstic »), 2 août 2001.
59 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 50 à 52.
60 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 4.
61 - Voir, p.ex., Réponse de Hadzihasanovic, par. 11 à 15.
62 - Réponse d’Alagic, par. 7 et 8 ; Réponse de Hadzihasanovic, par. 19 à 21.
63 - Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, adopté par la résolution 955 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, 8 novembre 1994.
64 - Le Tribunal international chargé de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations du droit international commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.
65 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 54.
66 - Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 955 (1994) (le « Rapport du Secrétaire général sur le TPIR »), S/1995/134, 13 février 1995, par. 12, tel que cité dans les Conclusions écrites d’Alagic, par. 55.
67 - Conclusions écrites de Kubura, par. 15.
68 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 5 à 12 ; Conclusions écrites de Kubura, par. 4 à 11.
69 - Conclusions écrites de Kubura, par. 4, citant l’Arrêt Tadic relatif à la compétence, par. 143, et le Jugement Celebici, par. 402 à 413.
70 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 9, citant le Statut de la CPI, article 22.
71 - Conclusions écrites d’Alagic, par. 8.
72 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 59 à 64.
73 - Voir, p. ex., Conclusions de Kubura, par. 10.
74 - Mémoire de l’Accusation, par. 4.
75 - Ibid., par. 7.
76 - Réponse de l’Accusation, par. 12 à 15.
77 - Mémoire de l’Accusation, par. 5.
78 - Ibid., par. 9.
79 - L’Accusation cite le traité d’armistice signé à Trujillo en 1820 à l’issue du conflit opposant les forces espagnoles et les rebelles colombiens, et qui, selon elle, était un conflit armé interne ; Déclaration de Bruxelles de 1874 ; Règlements annexés aux Conventions de La Haye de 1899 et 1907, article premier. Mémoire de l’Accusation, par. 10 à 12.
80 - L’Accusation cite l’article 71 qui, selon elle, « rendait passible de la peine de mort quiconque a incité ou ordonné de tuer un ennemi déjà hors de combat, ou de lui infliger d’autres blessures ». Mémoire de l’Accusation, par. 11.
81 - Mémoire de l’Accusation, par. 22 à 25. En particulier, l’Accusation cite l’affaire Yamashita, 327 US 1, p. 14 à 16 (1946) et U.S. v. Pohl.
82 - Ibid., par. 17.
83 - Ibid., par. 31.
84 - Ibid., par. 21 [non souligné dans l’original], citant le Comité international de la Croix-Rouge, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (le « Commentaire des Protocole additionnels ») (Yves Sandoz et al., éd., 1987), par. 3531.
85 - L’Accusation a cité le Jugement Blaskic, par. 327 : « la Chambre estime fondamentale la disposition consacrée par l’article 43 1) du Protocole additionnel I, aux termes duquel les forces armées doivent être placées "sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés" ». Voir Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-T, Jugement (le « Jugement Blaskic »), 3 mars 2000.
86 - Mémoire de l’Accusation, par. 45 et 46.
87 - L’Accusation s’appuie sur les observations de certains commentateurs. Mémoire de l’Accusation, par. 29. Ces commentateurs semblent dire qu’il est « raisonnable » de reconnaître le devoir qu’ont les supérieurs hiérarchiques de veiller à ce que leurs subordonnés respectent la loi lors de conflits armés internes, tout comme ils le doivent dans le cadre de conflits armés internationaux. Voir Morris et Scharf, The International Criminal Tribunal for Rwanda (1998), p. 261.
88 - Mémoire de l’Accusation, par. 47.
89 - Ibid., par. 39.
90 - Mémoire de l’Accusation, par. 39. La présente Chambre fait toutefois observer que la Chambre de première instance Kunarac n’a reconnu Dragoljub Kunarac coupable d’aucune infraction sur la base de l’article 7 3) du Statut [Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, affaire n° IT-96-23&23/1-T, Jugement (le « Jugement Kunarac »), 22 février 2001, par. 629]. Voir note de bas de page 250, infra.
91 - Mémoire de l’Accusation, par. 33 à 35. Voir Santos G.O. 130, 19 juin 1901, Hq. Div. Phil. et Cruz G.O. 264, 9 septembre 1901, Hq. Div. Phil.
92 - Mémoire de l’Accusation, par. 36 et 37. Dans l’affaire de Kafr Qassem, l’accusé paraissait avoir participé à la commission effective des crimes, puisqu’il a donné l’ordre d’abattre les victimes.
93 - Mémoire de l’Accusation, par. 38, citant Ford v. Garcia, 289 F.3d 1283 (30 avril 2002).
94 - Mémoire de l’Accusation, par. 40 à 43 [France (supérieurs accusés en tant que complices) ; Congo (les crimes commis pendant une rébellion seront imputés au commandant) ; Mexique (1931) (en l’absence d’hostilités, les personnes qui ordonnent de tuer ou d’infliger des souffrances ou tolèrent pareils crimes seront également responsables)]. L’Accusation cite également la Torture Victim Protection Act des États-Unis, qui prévoit un recours au civil pour des violations du droit international humanitaire. Voir Mémoire de l’Accusation, par. 44.
95 - Mémoire de l’Accusation, par. 55 à 57 (Belgique, Suède et Bélarus).
96 - Réplique de l’Accusation, par. 18, citant le Jugement Celebici, par. 336.
97 - Mémoire de l’Accusation, par. 47 et 48.
98 - Mémoire de l’Accusation, par. 49 et 50 ; Réplique de l’Accusation, par. 9 (indiquant que la Sierra Leone a demandé en vain que la compétence du tribunal spécial s’étende aux faits remontant à 1991).
99 - Mémoire de l’Accusation, par. 26, citant le Commentaire de la CDI de l’Organisation des Nations Unies sur l’article 6 (responsabilité des supérieurs).
100 - Réplique de l’Accusation, par. 3.
101 - Réponse de l’Accusation, par. 10.
102 - À noter que l’article 15 de la CEDH n’autorise aucune dérogation au principe de légalité en temps de guerre ou autre danger public.
103 - Résolution 217 A (III) de l’Assemblée générale, Doc. ONU A/811 (1948).
104 - Recueil des traités des Nations Unies, vol. 213, p. 221 ; Recueil des traités européens 005.
105 - Recueil des traités des Nations Unies, vol. 993, p. 171.
106 - Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1114, p. 123.
107 - Annuaire juridique des Nations Unies, 1977, p. 135.
108 - Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (tel que révisé par la Commission du Droit international jusqu’en 1991), adopté pour la première fois par la CDI de l’ONU le 4 décembre 1954, Doc. ONU A/46/405 (1991).
109 - Voir, p. ex. Loi fondamentale (Grundgesetz) de la République fédérale allemande, qui consacre le principe de la légalité en son article 103 Abs. II GG : « Eine Tat kann nur bestraft werden, wenn die Strafbarkeit gesetzlich bestimmt war, bevor die Tat begangen wurde » (« Un acte ne peut être puni que si la loi le déclarait punissable avant qu’il n’ait été commis »). Voir également la Constitution des États-Unis d’Amérique, art. 1, sect. 9) 3) : « No bill of Attainder or ex post facto law shall be passed » (« Aucun “bill of attainder”, aucune loi rétroactive, ne pourront être décrétés »).
110 - Rapport du Secrétaire général, par. 106 [non souligné dans l’original].
111 - Voir, p. ex. S/25504, p. 16.
112 - Rapport du Secrétaire général, par. 29.
113 - Ibid., par. 34
114 - L’article 7 1) de la CEDH dispose notamment ce qui suit : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international ». Voir également l’article 22 du statut de la CPI, lequel dispose : « 1. Une personne n’est responsable pénalement en vertu du présent Statut que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de la Cour. 2. La définition d’un crime est d'interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie. En cas d’ambiguïté, elle est interprétée en faveur de la personne qui fait l’objet d’une enquête, de poursuites ou d’une condamnation. 3. Le présent article n’empêche pas qu’un comportement soit qualifié de crime au regard du droit international, indépendamment du présent Statut ».
115 - Cour européenne des droits de l’homme, Arrêt S.W. c/ Royaume-Uni (1995). Les principes fondamentaux affirmés dans l’Arrêt S.W. c/ Royaume-Uni ont été systématiquement appliqués par la Cour européenne. Voir Arrêt Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne (2001), par. 49.
116 - Cour européenne des droits de l’homme, Arrêt S.W. c/ Royaume-Uni (1995), par. 35, citant l’Arrêt Kokkinakis c/ Grèce (1993), par. 52 : « une infraction doit être clairement définie par la loi […]. Cette condition se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité ». Voir également l’Arrêt Handyside c/ Royaume-Uni (1974).
117 - Cour européenne des droits de l’homme, Arrêt S.W. c/ Royaume-Uni (1995), par. 36 [non souligné dans l’original].
118 - Ibid., par. 35.
119 - D’après Harris, O’Boyle et Warbrick, cette disposition implique qu’en l’absence d’un traité liant les parties au litige et si aucune coutume internationale fondée sur la pratique étatique ne s’applique, on peut, pour combler la lacune, avoir recours aux « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées », c’est-à-dire par les États membres de la communauté internationale. David J. Harris, Michael O’Boyle et Colin Warbrick, Law of the European Convention on Human Rights (Londres : Butterworths 1995), p. 282.
120 - Jugement Celebici, extraits pertinents des paragraphes 402 à 412 [non souligné dans l’original].
121 - Arrêt Aleksovski, par. 126.
122 - Ibid., par. 127.
123 - Statut de la CPI, article 22 1) [non souligné dans l’original].
124 - Voir, p. ex. Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen vom 23. Dezember 1982, § 3 Abs. 2 (Loi allemande relative à la coopération internationale en matière criminelle du 23 décembre 1983, section 3 , par. 2) : « Die Auslieferung zur Verfolgung ist nur zulässig, wenn die Tat nach deutschem Recht im Höchstmaß mit Freiheitsstrafe von mindestens einem Jahr bedroht ist oder wenn sie bei sinngemäßer Umstellung des Sachverhalts nach deutschem Recht mit einer solchen Strafe bedroht wäre » (« L’extradition à des fins de poursuites n’est accordée que si le droit allemand sanctionne l’acte d’une peine maximale d’une année d’emprisonnement au moins ou si, après transposition analogique des faits, son auteur serait passible en droit allemand de pareille peine. ») [traduction non officielle, non souligné dans l’original]. Voir Otto Lagodny in Wolfgang Schomburg et Otto Lagodny, Internationale Rechtshilfe in Strafsachen, troisième édition (Munich : C.H. Beck, 1998), § 3 Abs. 2, Rdn. 25-29 ; « Einleitung », Rdn. 64.
125 - Si le principe de légalité semble avoir valeur de présomption en matière d’interprétation dans les systèmes de common law, il se voit accorder généralement plus d’importance dans la tradition romano-germanique. Voir Susan Lamb « Nullum crimen, nulla poena sine lege in International Criminal Law », in Antonio Cassese, Paola Gaeta, John R.W.D. Jones éditeurs, The Rome Statute of the International Criminal Court: A Commentary (Oxford : Oxford University Press, 2002), p. 740. Voir également M. Cherif Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law (Dordrecht : Martinus Nijhoff Publishers, 1992), p. 91. En Allemagne, comme nous l’avons vu, le principe nullum crime sine lege praevia a été élevé au rang de norme constitutionnelle (article 103 Abs. II GG). Pour une discussion faisant autorité, voir Eberhard Schmidt-Aßmann in Theodor Maunz et al., Grundgesetz: Kommentar (Munich : C.H. Beck, 1992), Art. 103 Abs. II GG, Rdn. 163-256. Pour une discussion du principe de légalité en droit international pénal, voir, par exemple, Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law, p. 87 à 146, et Lamb, « Nullum crimen, nulla poena sine lege in International Criminal Law », p. 733 à 766. Sur le principe de légalité en droit américain, voir, par exemple, Paul H. Robinson, Fundamentals of Criminal Law, deuxième édition (Boston : Little, Brown, 1995), p. 117 à 141. Sur le principe de légalité en droit anglais, fréquemment désigné par l’expression « the rule of law », voir, par exemple, Andrew Ashworth, Principles of Criminal Law, troisième édition (Oxford : Oxford University Press, 1999), en particulier p. 70 à 87. Sur le principe de légalité des délits en droit pénal allemand, voir également Claus Roxin, Strafrecht: Allgemeiner Teil, Band I: Grundlagen, Der Aufbau der Verbrechenslehre, troisième édition (Munich : C. H. Beck, 1997), § 5 I Rdn. 3, ainsi que Hans-Heinrich Jeschek et Thomas Weigend, Lehrbuch des Strafrechts: Allgemeiner Teil, cinquième édition (Berlin : Duncker und Humblot, 1996), § 15 IV.
126 - Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1155, p. 331 [non souligné dans l’original].
127 - Le Procureur c/ Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998, par. 183 : « Le principe général du respect de la dignité humaine est à la base du droit international humanitaire et des droits de l’homme et en est, en fait, la raison d'être ; il est désormais si important qu’il imprègne le droit international dans son ensemble. Ce principe a pour but de protéger l’être humain de toute atteinte à sa dignité personnelle, que celle-ci découle de violences corporelles, d'humiliations ou de coups portés à l’honneur, au respect de soi ou au bien-être mental d’une personne ».
128 - C’est là le texte extrait du paragraphe 7 du Préambule de la Convention de La Haye (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe: Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre.
129 - Instructions de 1863 pour les armées en campagne des États-Unis d'Amérique, promulguées par l’Ordre général n° 100 (24 avril 1863) (« Code Lieber »). L’article 71 dispose que « [q]uiconque inflige intentionnellement des blessures supplémentaires à un ennemi déjà complètement hors de combat, tue pareil ennemi, ordonne à des soldats de le tuer ou les incite à le faire est passible de la peine capitale s’il est dûment reconnu coupable et ce, qu’il soit membre de l’Armée des États-Unis ou un ennemi capturé après avoir commis ces crimes » [traduction non officielle].
130 - Jugement Celebici, par. 335. Voir, p. ex., William H. Parks Command Responsibility for War Crimes, 62 Mil. L. Rev. 1, 11 (1973) : « Il est avancé que la Convention IV de La Haye constitue la manifestation et la codification de ce qui était coutumier parmi les nations signataires, et a marqué la reconnaissance précoce des devoirs et responsabilités du supérieur » [traduction non officielle].
131 - Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et des sanctions, Rapport présenté lors de la Conférence des Préliminaires de Paix, Versailles, 29 mars 1919, tel que cité par Burnett, Command Responsibility and Case Study of the Criminal Responsibility of Israel Military Commanders for the Pogrom at Shatila and Sabra, 107 Mil. L. Rev. 77 (1985) [traduction non officielle].
132 - La Chambre de première instance saisie de l’affaire Celebici a signalé que le principe de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques était reconnu dans la législation de deux pays, la France (1944) et la Chine (1946). Voir Jugement Celebici, par. 336 et 337.
133 - L’article 6 du statut du Tribunal militaire international (8 août 1945) dispose notamment : « Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan ».
134 - Acte d’accusation du Tribunal de Tokyo, par. 56 [traduction non officielle].
135 - In re Yamashita, 327 US 1, 15 (1946) [traduction non officielle].
136 - Voir, p. ex., William G. Eckhardt, Command Criminal Responsibility: A Plea for a Workable Standard, 97 Mil. L. Rev. 1, 14 (1982) : « La fonction de commandement comprend au minimum l’obligation d’intervenir s’ils [les soldats] se comportent de manière inacceptable. Cette obligation comprend également le devoir de superviser et celui de rechercher ce qui se passe. Le concept de commandement est totalement incompatible avec “la politique de l’autruche” » [traduction non officielle].
137 - In re Yamashita, 327 US 1, 15-16 (1946). En outre, la Cour a cité deux dispositions internes reconnaissant les obligations du commandant et aux termes desquelles tout manquement à ces obligations est sanctionné par les tribunaux militaires américains. Voir note n° 3, General Orders No. 221, Hq. Div. of the Philippines, 17 août 1901, et General Orders No. 264, Hq. Div. of the Philippines, 9 septembre 1901.
138 - In re Yamashita, 327 US 1, 15 (1946) [non souligné dans l’original].
139 - Procès du général Tomoyuki Yamashita, affaire n° 21 (8 novembre-7 décembre 1945), Law Reports of Trials of War Criminals, vol. IV (Londres : His Majesty’s Stationery Office for the United Nations War Crimes Commission, 1948), p. 4 et 35 [traduction non officielle].
140 - États-Unis d’Amérique c/ Karl Brandt et consorts (« Affaire médicale »), Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunal under Control Council Law No. 10 (« TWC »), vol. II, p. 186 et 212. Si le principe de responsabilité des supérieurs a été appliqué pour la première fois dans le contexte international par les tribunaux de Tokyo et de Nuremberg, il n’a cependant pas été posé par ceux-ci. Voir William H. Parks, Command Responsibility for War Crimes, 62 Mil. Rev. 1, p. 77 (1973) : « Bien que la coutume — l’imputation au commandant de la responsabilité des actes illicites de ses subordonnées — fût-elle antérieure à la Deuxième Guerre mondiale, les actes des commandants et des dirigeants nationaux pendant ce conflit ont tellement choqué la conscience de l’humanité que celle-ci a exigé que soient strictement établies les responsabilités dans l’ouverture des hostilités et de leur conduite […]. Le droit de la guerre et sa branche relative à la responsabilité des supérieurs ont beaucoup progressé grâce à un effort de définition et de délimitation, atteignant sans doute leur apogée alors que des juristes internationaux concentraient leur attention sur la question » [traduction non officielle].
141 - États-Unis d’Amérique c/ Wilhelm List et consorts (« Affaire des otages »), TWC, vol. XI, p. 1230 et 1303. Pour d’autres affaires, voir États-Unis d’Amérique c/ Wilhelm von Leeb et consorts (« Affaire du Haut Commandement »), TWC, vol. X et XI ; Jugement du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, vol. 20 ; États-Unis d’Amérique c/ Toyoda ; États-Unis d’Amérique c/ Milch, LRWTC, vol. VII ; États-Unis d’Amérique c/ Pohl et consorts, TWC, affaire n° 4, vol. V ; Affaire Roechling et consorts (zone d’occupation française), TWC, vol. XIV, Annexe B, p. 1061 (voir p. 1106). Pour un aperçu général de ce type d’affaires, voir Jugement Celebici, par. 338 et 339. La présente Chambre de première instance reprend pleinement à son compte l’analyse exposée dans ce jugement et estime inutile de citer de nouveau la jurisprudence qui y est présentée.
142 - L’article 146 dispose notamment : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention […]. Chaque Partie contractante prendra les mesures nécessaires pour faire cesser les actes contraires aux dispositions de la présente Convention, autres que les infractions graves définies à l'article suivant. […] ».
143 - Jean Pictet (éditeur), Commentaire de la Convention de Genève IV relative à la protection des personnes civiles en tant de guerre (1956), p. 633 (« Commentaire de la IVe Convention de Genève »).
144 - Résolution 95 (I) de l’Assemblée générale des Nations Unies, 11 décembre 1946, doc. ONU A/236.
145 - Principes du droit international consacrés par le statut du tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal, adoptés par la CDI le 2 août 1950, Doc. ONU A/1316. Voir, de manière générale, les principes I, III et VII.
146 - Rapport de J. Spiropoulos, Rapporteur spécial, A/CN.4/25, 26 avril 1950, par. 88 [non souligné dans l’original].
147 - Rapport de J. Spiropoulos, Rapporteur spécial, A/CN.4/25, 26 avril 1950, par. 88b à 93, citant les législations française, chinoise, néerlandaise et grecque, ainsi que la Loi du Grand-Duché du Luxembourg sur la répression des crimes de guerre. La Chambre de première instance note que certaines de ces lois font référence à la « complicité », que la Chambre de première instance saisie de l’affaire Celebici semble avoir assimilée à une forme de responsabilité des supérieurs ou avoir considérée comme telle. Jugement Celebici, par. 336 et 337.
148 - Ibid. par. 94 à 99. Aux termes de l’Australian War Crimes Act de 1945, les « crimes de guerre » incluaient tout crime de guerre « commis en quelque lieu que ce soit, en Australie ou hors d’Australie, au cours d’une guerre quelconque », par. 75 [non souligné dans l’original, traduction non officielle].
149 - Ibid., par. 100.
150 - Ibid., par. 57 à 82, reprenant le paragraphe 68.
151 - Rapport de la CDI sur les travaux de sa sixième session, 3 juin - 28 juillet 1954, Doc. ONU A/2693 (1954).
152 - RSFY, Secrétariat fédéral à la défense nationale, Règlement concernant l’application du droit international aux forces armées de la RSFY(1988), article 21, reproduit in Bassiouni, The Law of the ICTY, p. 661 [non souligné dans l’original, traduction non officielle]. La Chambre de première instance note que l’article 6 de ce règlement (« Droit international de la guerre et sources sur lesquelles ces instructions se fondent ») parle de « conflit armé ». Voir également le Code pénal de la RSFY, article 22 (complicité) : « Si plusieurs personnes commettent conjointement un acte criminel en participant à sa commission ou d’une autre manière, chacune sera punie de la manière prescrite pour cet acte » [traduction non officielle].
153 - Manuel de droit humanitaire applicable aux conflits armés, Ministère fédéral de la défense de la République fédérale allemande, VR II 3, août 1992 [traduction non officielle]. Pour un commentaire de cet article, voir Christopher Greenwood, « Geschichtliche Entwicklung und Rechtsgrundlagen », in Dieter Fleck (éditeur), Handbuch des humanitären Völkerrechts in bewaffneten Konflikten (Munich : C. H. Beck, 1994), p. 29, ou Christopher Greenwood « Historical Development and Legal Basis », in Dieter Fleck (éditeur), The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflicts (Oxford : Oxford University Press, 1995), p. 35.
154 - Paragraphe 11a du manuel de 1956 [traduction non officielle]. On peut également mentionner dans ce contexte le paragraphe 499 du même manuel, aux termes duquel « toute violation des lois de la guerre est un crime de guerre ». Le British Military Manual de 1958 dispose en son paragraphe 624 que « les crimes de guerre comprennent toutes les violations des lois de la guerre ».
155 - Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, résolution 2391 (XXIII) de l’Assemblée générale de l’ONU, Annexe, Documents officiels de l’Assemblée générale vol. 23 supplément n° 18, p. 40, Doc. ONU A/7218 (1968) (entrée en vigueur le 11 novembre 1970 ; l’ex-Yougoslavie a ratifié la Convention le 9 juin 1970). L’article 2 dispose : « Si l’un quelconque des crimes mentionnés à l’article premier [crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris l’apartheid et le génocide] est commis, les dispositions de la présente Convention s’appliqueront aux représentants de l’autorité de l’État et aux particuliers qui y participeraient en tant qu’auteurs ou en tant que complices, ou qui se rendraient coupables d’incitation directe à la perpétration de l’un quelconque de ces crimes, ou qui participeraient à une entente en vue de le commettre, quel que soit son degré d’exécution, ainsi qu’aux représentants de l’autorité de l’État qui toléreraient sa perpétration ». L’article 3 impose aux États parties l’obligation d’« adopter toutes les mesures internes, d’ordre législatif ou autre, qui seraient nécessaires en vue de permettre l’extradition, conformément au droit international », des personnes visées par l’article 2 de la Convention.
156 - Voir Commentaire des Protocoles additionnels, par. 3526 (relatif à l’article 86). : « Ce n’est pas la première fois que le droit international conventionnel prévoit la responsabilité pénale des personnes qui ont failli à leur devoir d’agir. On peut citer à ce propos la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et crimes contre l’humanité […] ».
157 - Voir Commentaire des Protocoles additionnels, par. 3551. L’adoption de l’article 87 a été proposée en mai 1976 par les États-Unis, au milieu de la troisième session de la Conférence diplomatique, CDDH/I/SR.50, par. 64. Pour justifier l’adoption du nouvel article, le délégué des États-Unis a expliqué que « l’application du Protocole I et des Conventions de Genève dépend en quelque sorte des commandants. Sans une surveillance consciencieuse de leur part, les règles juridiques ne sont guère efficaces ». L’article a été conçu de manière à fournir « aux commandants des indications claires sur ce dont ils sont responsables aussi bien dans la prévention et la répression d’infractions commises au cours d’opérations militaires que dans la prévention et la répression d’infractions grâce à la création de mesures d’information appropriées applicables en tout temps ». Enfin, le mot « commandants » visait « toute personne ayant des responsabilités de commandement, depuis les commandants supérieurs jusqu’aux chefs n’ayant que quelques hommes sous leurs ordres » CDDH/I/SR.50, par. 68 à 70. Il convient de faire remarquer qu’en exprimant le soutien de son pays à l’adoption du nouvel article, le délégué de l’Italie a déclaré qu’il « améliore et renforce, non seulement le système de répression des infractions graves établi par les Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel I, mais aussi le système de répression des infractions simples » CDDH/I/SR.51, par. 5 [non souligné dans l’original].
158 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 3529.
159 - Ibid., par. 3540.
160 - Ibid., par. 3529.
161 - Ibid., par. 3525.
162 - Ibid., par. 3562.
163 - CDDH/I/SR.50, par. 47.
164 - CDDH/I/SR.51, par. 9.
165 - CDDH/I/SR.71, par. 2.
166 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 3562 : « Ces textes ont pour objet de veiller à ce que les commandants militaires, à tous les échelons, exercent, et cela aussi bien à l’égard des injonctions des Conventions et du Protocole que des autres dispositions réglementaires de l’armée à laquelle ils appartiennent, les compétences qui sont les leurs. Dans toutes les armées, les pouvoirs de ces commandants existent […] ».
167 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 3553. 
168 - Article premier, alinéa premier du Protocole additionnel II [non souligné dans l’original].
169 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 
170 - L’article 6 du Protocole additionnel II reprend en grande partie les termes de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et il est comparable à l’article 75 du Protocole additionnel I.
171 - Quatrième rapport relatif au projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, par M. Doudou Thiam, Rapporteur spécial, A/CN/398, 11 mars 1986, Chapitre V, par. 260.
172 - Ibid.
173 - Quatrième rapport sur le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, par M. Doudou Thiam, Rapporteur spécial, A/CN.4/398, 11 mars 1986, Chapitre V, par. 260, p. 84.
174 - Cinquième rapport sur le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, par M. Doudou Thiam, Rapporteur spécial, A/CN.4/404, 17 mars 1987, Chapitre V.
175 - Ibid., 1er paragraphe du commentaire de l’article 10.
176 - Ibid.
177 - Ibid., 4e paragraphe du commentaire de l’article 10.
178 - Ibid.
179 - Ibid., 6e paragraphe du commentaire de l’article 10.
180 - Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarantième session (9 mai - 29 juillet 1988), A/43/10 (« Rapport sur la 40e session »), p. 138.
181 - Projet d’articles du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (tel qu’examiné par la Commission du droit international jusqu’en 1991). Adopté pour la première fois par la CDI de l’ONU le 4 décembre 1954, Doc. ONU A/46/405 (1991).
182 - Rapport sur la 40e session, p. 140, 4e paragraphe du commentaire de l’article 10. La Commission a également fait des commentaires sur la notion de « mesures en leur pouvoir » qui figure dans l’article, concluant que « pour que la responsabilité du supérieur hiérarchique surgisse, il faut qu’il ait eu, et la compétence juridique de prendre des mesures pour empêcher ou réprimer le crime, et la possibilité matérielle de prendre de telles mesures ». Rapport sur la 40e session, p. 140, 5e paragraphe du commentaire de l’article 10.
183 - Non souligné dans l’original.
184 - Cf. notamment la résolution 819 adoptée le 16 avril 1993, la résolution 824 adoptée le 6 mai 1993, la résolution 844 adoptée le 18 juin 1993 et la résolution 859 adoptée le 24 août 1993.
185 - « Lettre, en date du 9 février 1993, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général », Annexe, Rapport intérimaire de la Commission d’experts constituée conformément à la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité (« Rapport intérimaire »), document des Nations Unies S/25274, 10 février 1993, par. 74.
186 - Cf. également la résolution 46/242 adoptée par l’Assemblée générale le 25 août 1992 qui a condamné les violations généralisées du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et « en particulier en Bosnie-Herzégovine » ; la résolution 47/121 adoptée par l’Assemblée générale le 18 décembre 1992 dans laquelle l’Assemblée demandait au Conseil de sécurité de « recommander la constitution d’un tribunal international spécial pour juger et châtier les auteurs de crimes de guerre dans la République de Bosnie-Herzégovine [...] ». Voir également la résolution 820 adoptée le 17 avril 1993 par le Conseil de sécurité dans laquelle il réaffirme sa décision de créer un tribunal international pour poursuivre les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, et de toutes les violations du droit international humanitaire, et déclare que « ceux qui commettent, ont commis ou ont ordonné de commettre de tels actes en seront tenus individuellement responsables » .
187 - Arrêt Tadic relatif à la compétence, par. 77.
188 - Rapport intérimaire.
189 - Ibid., par. 45.
190 - Non souligné dans l’original.
191 - Rapport intérimaire, par. 52.
192 - Ibid., par. 53.
193 - Rapport final du 27 mai 1994, document des Nations Unies, S/1994/674, par. 57.
194 - Lettre datée du 16 février 1993, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de l’Italie auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/25300, 17 février 1993.
195 - L’article 4 concernait les crimes suivants : a) crimes de guerre, tels que les violations des Conventions de Genève, des Protocoles additionnels « ainsi que tout autre crime de guerre prévu par le droit international coutumier ou conventionnel » ; b) crimes de génocide ; c) crimes contre l’humanité consistant en violations systématiques ou réitérées des droits de l’homme ; et d) actes de torture.
196 - Lettre de l’Italie, par. 5 3).
197 - Lettre du 5 avril 1993, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/25575, 12 avril 1993, p. 2.
198 - L’article 10 concernait les crimes suivants : a) violation des lois ou coutumes de la guerre, y compris de l’annexe à la Convention de La Haye (IV) de 1907 et infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949. À cet effet, le conflit dans l’ex-Yougoslavie est réputé avoir pris un caractère international le 25 juin 1991 ; b) i) meurtre, torture, exécution extrajudiciaire et sommaire, détention illégale et viol faisant partie d’une campagne ou d’une offensive lancée contre tout groupe de population civile de l’ex-Yougoslavie pour des motifs nationaux, raciaux, ethniques ou religieux ; ii) acte qui viole la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
199 - Lettre du 5 avril 1993, S/25575, p. 7.
200 - Lettre datée du 13 avril 1993 adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente du Canada auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/25594, 14 avril 1993, par. 7 et 8.
201 - Ibid., par. 12.
202 - Ibid., par. 9.
203 - Lettre datée du 4 mai 1993 adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent des Pays-Bas auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/25716, 4 mai 1993, p. 4.
204 - Idem [non souligné dans l’original].
205 - Voir également les observations jointes à la lettre du Représentant permanent de la Fédération de Russie qui ne renferme aucune disposition portant sur la responsabilité du supérieur hiérarchique. Toutefois, il est précisé qu’on ne saurait exciper de ses fonctions officielles. Lettre datée du 5 avril 1993, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/25537, 6 avril 1993, art. 14.
206 - Rapport du Secrétaire général, par. 11.
207 - Ibid., par. 17.
208 - Ibid., par. 62.
209 - Arrêt Tadic relatif à la compétence, par. 73 et 74.
210 - Rapport du Secrétaire général, par. 55 et 54.
211 - Ibid., par. 56 [non souligné dans l’original].
212 - Procès-verbal provisoire de la trois mille deux cent dix septième séance, 25 mai 1993, S/PV. 3217, p. 6.
213 - Ibid., p. 13 [non souligné dans l’original].
214 - Ibid., p. 16 [non souligné dans l’original].
215 - Ibid., p. 17 et 18 [non souligné dans l’original].
216 - Ibid., p. 19.
217 - S/PV.3217, p. 20 et 21.
218 - Rapport du Secrétaire général, par. 37, 47, 53 et 54.
219 - Jugement Celebici, par. 333 [non souligné dans l’original].
220 - Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Music, Hazim Delic et Esad Landzo (« Celebici »), affaire n° IT-96-21-A, Arrêt, 20 février 2001 (« Arrêt Celebici »), par. 195.
221 - Jugement Celebici, par. 340.
222 - Ibid., par. 334 citant le Projet de code de la CDI de 1996 [non souligné dans l’original].
223 - Ibid., par. 334.
224 - Ibid., par. 334.
225 - Ibid., par. 346.
226 - Ibid., par. 734.
227 - Ibid., par. 370.
228 - Ibid., par. 378.
229 - Ibid., par. 354.
230 - Arrêt Celebici, par. 192.
231 - Ibid., par. 195.
232 - Ibid., par. 241.
233 - Jugement Celebici, par. 394 [non souligné dans l’original].
234 - Ibid., par. 395.
235 - Arrêt Celebici, par. 198.
236 - Ibid., par. 193.
237 - Ibid., par. 76 [non souligné dans l’original].
238 - Ibid., par. 76.
239 - Ibid., par. 72.
240 - Ibid., par. 72.
241 - Jugement Aleksovski, par. 78.
242 - Ibid., par. 228.
243 - Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000 (« Arrêt Aleksovski »), par. 76.
244 - Jugement Blaskic, par. 301.
245 - Ibid., par. 302.
246 - Ibid., par. 335.
247 - Ibid., par. 327 citant dans la note de bas de page l’article 1 du Règlement de La Haye de 1907 et l’article 4 a) 2) de la IIIe Convention de Genève [non souligné dans l’original].
248 - Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-T, Jugement, 26 février 2001 (« Jugement Kordic »), par. 418 et 419 [non souligné dans l’orginal].
249 - Jugement Krstic, par. 605 : « Les faits relatifs à la commission d’un crime peuvent établir que sont réunies les conditions nécessaires pour engager la responsabilité pénale tant en vertu de l’article 7 1) que de l’article 7 3) du Statut. Cela étant, la Chambre de première instance est d’avis que, dès lors qu’un supérieur est mêlé à un crime commis par ses subordonnés, qu’il l’ait planifié, qu’il ait incité à le commettre ou qu’il l’ait ordonné, toute responsabilité qui découle de l’article 7 3) est incluse dans l’article 7 1). La même remarque vaut pour le supérieur dont la responsabilité est engagée par le fait de ses subordonnés en vertu de la théorie de l’entreprise criminelle commune. » [souligné dans l’original], voir également par. 652.
250 - Dans l’affaire Kunarac, la Chambre de première instance devait déterminer si l’un des accusés exerçait un « contrôle effectif » sur les soldats auteurs des infractions reprochées dans l’acte d’accusation « au moment où ils ont commis ces crimes ». Ayant conclu que l’accusé Kunarac n’exerçait pas de contrôle effectif à l’époque des faits, la Chambre ne l’a pas déclaré coupable sur la base de l’article 7 3). Jugement Kunarac, par. 628. Dans l’affaire Kvocka, l’Accusation reprochait à quatre des accusés de s’être rendus coupables de violations des articles 3 et 5 du Statut, et elle mettait en cause leur responsabilité à la fois sur la base de l’article 7 1) et de l’article 7 3). Le Procureur c/ Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mladjo Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac, affaire n° IT-98-30/1-T, Jugement, 2 novembre 2001 (« Jugement Kvocka »). La Chambre de première instance, se fondant entièrement sur une appréciation factuelle de la question de savoir si les accusés avaient exercé un contrôle effectif sur les auteurs des crimes, a estimé qu’aucun des accusés ne pouvait voir sa responsabilité engagée en vertu de l’article 7 3). Concernant la responsabilité de l’accusé Mladjo Radic, la Chambre, ayant estimé qu’il n’était pas « entièrement évident » que l’accusé exerçait un contrôle effectif sur les auteurs des crimes, a jugé qu’il n’était pas « nécessaire » de statuer sur sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique d’autant que sa participation à l’entreprise criminelle commune avait été établie : « [I]l subsiste un doute quant au fait de savoir si, dans le contexte d’une entreprise criminelle commune, un coauteur ou un complice que l’on tient responsable de la totalité des crimes commis pendant son service sur la base de la théorie de l’entreprise criminelle peut être jugé responsable à titre séparé d’une partie de ces crimes sur la base de la théorie de la responsabilité du supérieur hiérarchique énoncée à l’article 7 3) du Statut ». Jugement Kvocka, par. 570. Enfin, dans l’affaire Krnojelac, l’accusé, un civil, directeur d’un centre de détention, a été déclaré coupable, sur la base de l'article 7 1) et de l’article 7 3), de violations des articles 3 et 5, violations commises en Bosnie-Herzégovine alors que celle-ci « était le théâtre d’un conflit armé » entre avril 1992 et août 1993. La Chambre de première instance a appliqué les éléments constitutifs de la responsabilité pénale individuelle découlant de l’article 7 3) tels que développés dans Celebici et a conclu qu’ils « ont été solidement établis par la jurisprudence du Tribunal ». Jugement Krnojelac, par. 92. Pour certains chefs, la Chambre a conclu que des éléments de preuve suffisants ont été produits établissant les éléments exigés par l’article 7 1) et l’article 7 3). La Chambre a estimé en particulier que l’accusé « a[vait] manqué à l’obligation qui lui incombait, en sa qualité de chef, de prendre les mesures raisonnables qui s’imposaient pour prévenir pareils agissements ou en punir les auteurs principaux ». Jugement Krnojelac, par. 318. La Chambre a jugé toutefois qu’il « serait malvenu de le déclarer de ce fait doublement coupable du même chef d’accusation, à raison des mêmes actes ». Jugement Krnojelac, par. 173. Elle a usé de son pouvoir d’appréciation pour décider quelle forme de sa responsabilité rendrait le mieux compte de la culpabilité de l’accusé. Celui-ci a été déclaré coupable de chaque chef sur la base soit de l’article 7 1) soit de l’article 7 3). Jugement Krnojelac, par. 173, 316, et 493 à 498. Lorsque la Chambre a déclaré l’accusé coupable sur la base de l’article 7 1) du Statut, elle a considéré sa qualité de supérieur hiérarchique comme une circonstance aggravante. Jugement Krnojelac, par. 173.
251 - L’article 6 3) du Statut du TPIR dispose : « Le fait que l'un quelconque des actes visés aux articles 2 à 4 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s'il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s'apprêtait à commettre cet acte ou l'avait fait et que le supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs. »
252 - Rapport du Secrétaire général sur le TPIR.
253 - Ibid., par. 9.
254 - Ibid., par. 12.
255 - Ibid., par. 11.
256 - Voir par exemple Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998 (« Jugement Akayesu ») ; Le Procureur c/ Clément Kayishema et Obed Ruzindana, affaire n° ICTR-95-1-T, Jugement, 21 mai 1999 (« Jugement Kayishema ») ; Le Procureur c/ Alfred Musema, affaire n° ICTR-96-13-T, Jugement et sentence, 27 janvier 2000 (« Jugement Musema »).
257 - Voir par exemple Jugement Kayishema, par. 210 à 222 et 513 (« L’article 6 3) a fondamentalement pour objet de garantir qu’un individu moralement coupable soit tenu pour responsable de toute atrocité commise sous son commandement », par. 516) ; Le Procureur c/ Jean Kambanda, affaire n° ICTR-97-23-S, Jugement et sentence, 4 septembre 1998 ; Le Procureur c/ Omar Serushago, affaire n° ICTR-98-39-S, Sentence, 5 février 1999 ; Jugement Musema. Un acquittement a été prononcé par la Chambre de première instance sur la base des constatations faites, Le Procureur c/ Ignace Bagilishema, affaire n° ICTR-95-1A-T, Jugement, 7 juin 2001. Cet acquittement a été confirmé par la Chambre d’appel du TPIR lors d’une audience tenue à Arusha le 3 juillet 2002. De plus, la Chambre de première instance s’est, en une occasion, abstenue de déclarer l’accusé responsable sur la base de l’article 6 3) à cause du manque de précision de l’acte d’accusation. Jugement Akayesu, par. 691.
258 - Voir par exemple Jugement Akayesu, par. 471 ; Jugement Kayishema, par. 215, 220 et 492 ; Jugement Musema, par. 128 à 148.
259 - Voir par exemple Alfred Musema c/ Le Procureur, affaire n° ICTR-96-13A, Arrêt, 16 novembre 2001; Jean Kambanda c/ Le Procureur, affaire n° ICTR-97-23-A, Arrêt, 19 octobre 2000.
260 - Le Procureur c/ Clément Kayishema et Obed Ruzindana, affaire n° ICTR-95-1-A, Motifs de l’Arrêt, 1er juin 2001 (« Arrêt Kayishema »), par. 280 à 304.
261 - Arrêt Kayishema, par. 299 citant le Jugement Kayishema, par. 481.
262 - On peut noter que les Chambres de première instance du TPIR ont eu tendance à appliquer le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique de manière quelque peu différente du TPIY. L’existence d’un lien de subordination est l’élément-clé pour établir la responsabilité pénale individuelle au sens de l’article 7 3) du Statut du TPIY ou de l’article 6 3) du Statut du TPIR. Au TPIY, on considère que les actes d’un commandant ou d’un supérieur lorsqu’il s’agit d’« ordonner » ou d’« aider ou encourager » relèvent de l’article 7 1) de son Statut, comme ce fût le cas dans les affaires Krstic et Krnojelac citées précédemment. Toutefois, les Chambres de première instance du TPIR ont conclu que ces ordres ou ces formes de participation correspondaient à l’élément moral de la responsabilité du commandement (« savait ou avait des raisons de savoir ») dès lors que l’accusé avait lui-même participé au crime ou était présent lors de sa perpétration. Les déclarations de culpabilité prononcées en vertu de l’article 6 3) ont été confirmées en appel (Musema et Kayishema). Si cette différence dans l’application de la théorie ne touche pas directement à la question qui se pose devant la présente Chambre, elle peut permettre d’examiner certains des problèmes soulevés par la Défense concernant l’utilisation dans les manuels militaires ou les lois nationales de termes qui pourraient se retrouver dans l’article 7 1) (par exemple « toléré » ou « encouragé »).
263 - Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, CDI, 1996, A/48/10.
264 - Voir supra, par. 92. La différence entre les deux textes concerne d’abord l’expression « s’ils savaient, ou possédaient des informations leur permettant de conclure » dans le Projet de code de 1991 qui a été remplacée dans celui de 1996 par « s’ils savaient ou avaient des raisons de savoir ». La seconde différence concerne l’expression « toutes les mesures [...] pratiquement possibles » du Projet de code de 1991 qui devient « toutes les mesures nécessaires » dans celui de 1996.
265 - En 1994, les commentaires formulés par le Rapporteur spécial et quelques États ont été inclus dans l’article 12 relatif à la responsabilité du supérieur hiérarchique. Selon le Rapporteur spécial, l’article 12 établit « une présomption de responsabilité » qui pèse sur le supérieur pour des crimes commis par ses subordonnés. Cette présomption de responsabilité pèse sur le supérieur pour « négligence ou défaut de surveillance ou consentement tacite ». Douzième rapport sur le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité par M. Doudou Thiam, Rapporteur spécial, A/CN.4/460, 15 avril 1994, par. 127. Voir également Jugement Celebici, par. 342 : « La validité du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique pour omission a été réaffirmée dans le projet de code de la CDI de 1996 sur les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité qui en donne une définition très voisine de celle de l’article 7 3) », [non souligné dans l’original].
266 - Commentaire de la CDI, par. 1 et note de bas de page 44. De plus, la CDI a cité l’article 43 du Protocole additionnel I.
267 - Per Saland, International Criminal Principles, sous la direction de Roy Lee, The Making of the Rome Statute: Issues, Negotiations, Results, Kluwer 1999, p. 189 et suiv., et plus particulièrement p. 202 à 204.
268 - L’article 28 a) dispose : « Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où : i) Il savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes ; et ii) Il n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites ». L’article 28 b) dispose : «  En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu'il n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où : i) Il savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement ; ii) Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs ; et iii) Il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites ». La Chambre de première instance constate que la différence entre les deux dispositions réside principalement dans la description du lien de subordination et le niveau de connaissance que doit avoir le supérieur des activités de ses subordonnés.
269 - Voir supra, par. 126.
270 - Voir supra, par. 75 à 76 et 89 à 92.
271 - Jugement Celebici, par. 340.
272 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4435.
273 - Que pareille crainte existe encore aujourd’hui c’est ce qu’on peut induire de l’article 8 du Statut de la CPI où, suite à l’insertion de plusieurs normes applicables aux conflits armés internes, les rédacteurs ont ajouté le paragraphe 3, inspiré de l’article 3 1) du Protocole additionnel II, qui dit ceci : « Rien dans le paragraphe 2, alinéas c et d, n’affecte la responsabilité d’un gouvernement de maintenir ou rétablir l’ordre public dans l’État ou de défendre l’unité et l’intégrité territoriale de l’État par tous les moyens légitimes. »
274 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4418 [non souligné dans l’original].
275 - Ibid., par. 4434 [non souligné dans l’original]. Cette disposition figure également à l’article premier, paragraphe 2, du Protocole additionnel I dont le commentaire dit ceci : « […] malgré l’accroissement considérable des matières couvertes par le droit des conflits armés, et malgré le détail de sa codification, il n’est pas possible d’envisager qu’une codification soit complète à un moment quelconque […] ». Commentaire des Protocoles additionnels, par. 55.
276 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4435.
277 - Idem.
278 - Voir, en général, Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 202, The Law of War and the Armed Forces, F. de Mulinen, février 1978, p. 20 à 45 ; William H. Parks, Command Responsability for War Crimes, 62 Mil. L. Rev. 1, 77 : « Dès lors qu’il accepte le commandement, le supérieur a l’obligation de surveiller et de contrôler le comportement de ses subordonnés dans le respect des principes existants du droit de la guerre. » ; Leslie C. Green, War Crimes, Crimes against Hummanity and Command Responsability, in Essays on the Modern Law of War, p. 283 (1999) ; William G. Eckhardt, Command Criminal Responsability: A Plea for a Workable Standard, 97 Mil. L. Rev. 1, 8 (1982) : « Par combattants, on entend les personnes qui répondent aux quatre caractéristiques distinctives suivantes : 1) avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ; 2) avoir un signe distinctif fixe (port de l’uniforme) ; 3) porter ouvertement les armes et 4) se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre. L’existence d’un commandant responsable est la première des conditions. » La Chambre de première instance fait observer que la question de la responsabilité du supérieur hiérarchique dans un conflit armé interne n’a jamais été analysée par aucun éminent publiciste dans aucun ouvrage sur la question. Voir cependant le compte rendu du CICR sur la question (Fact Sheet on National Enforcement of International Humanitarian Law: Command responsability and omission) déclarant à propos des conflits armés non internationaux : « Le droit pénal international reconnaît que le principe de la responsabilité du commandement s’applique également aux actes commis pendant un conflit armé non international. Par exemple, les Statuts des deux tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda reconnaissent expressément la responsabilité du supérieur hiérarchique, notamment dans les cas d’omissions, pour des crimes commis par les subordonnés du supérieur ». Réf. LG 1999-004c-ENG, p. 2 [non souligné dans l’original]. Voir également 10 U.S.C.A. § 162 (a) (Combatant commands: assigned forces; chain of command) ; 10 U.S.C.A. § 164, (Commanders of combatant commands: assignment ; powers and duties).
279 - Commentaire de la IVe Convention de Genève par le CICR, p. 40. Le Commentaire se poursuit ainsi : « Le Gouvernement légitime est obligé de faire appel à l’armée régulière pour combattre les insurgés organisés militairement et disposant d’une partie du territoire national ».
280 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4463 [non souligné dans l’original].
281 - L’article 6 du Protocole additionnel II s’inspire largement de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et ses dispositions sont analogues à celles de l’article 75 du Protocole additionnel I.
282 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4597 à 4618. L’article 6 2) b) du Protocole additionnel II précisant que « nul ne peut être condamné pour une infraction si ce n’est sur la base d’une responsabilité pénale individuelle » a été ainsi libellé pour empêcher toute mise en cause de la responsabilité pénale collective pour des actes commis par un ou plusieurs membres d’un groupe, et non dans le but de préciser la notion de responsabilité pénale individuelle. Voir Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4603.
283 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4597.
284 - Article 86 1) du Protocole additionnel I.
285 - Commentaire des Protocoles additionnels, par. 4436. Voir également par. 4437.
286 - Jugement Celebici, par. 160.
287 - S’exprimant à propos du but du Tribunal international, le délégué du Venezuela a déclaré : « [I]l est créé dans le but de parvenir à juger et punir toute personne dont la culpabilité dans les crimes horribles qui ont été commis en ex-Yougoslavie, sera établie ». S/PV. 3217, p. 8. Le représentant du Maroc a, quant à lui, déclaré : « Nous sommes convaincus que le Tribunal international fera progresser la justice à laquelle nous aspirons tous et renforcera la primauté du droit dans les relations internationales. Le tribunal doit s’efforcer de sanctionner les violations graves du droit humanitaire, prises au sens large de crimes contre la paix et la sécurité. » S/PV. 3217, p. 13 [traduction non officielle].
288 - Voir supra, par. 96 à 120.
289 - Comme l’a souligné l’Arrêt Tadic relatif à la compétence, la référence à un conflit armé, international ou interne, visait à « réintroduire » le lien entre les crimes contre l’humanité et un conflit armé. Voir par. 78.
290 - Arrêt Tadic relatif à la compétence, par. 78 [non souligné dans l’original].
291 - Jugement Celebici, par. 354.
292 - Ibid., par. 405.
293 - Acte d’accusation modifié, par. 59 a).
294 - Conclusions écrites de Kubura, par. 29.
295 - Ibid., par. 30 [souligné dans l’original].
296 - Ibid., par. 31.
297 - Ibid., par. 33. De plus, la Défense soutient que l’article 1 du Règlement annexé à la Convention de La Haye de 1907 qu’elle cite comme étant à l’origine de la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique prévoit également l’existence d’un lien de subordination pour que s’exerce un commandement responsable (« [d]’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés »). Voir Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 86.
298 - Conclusions écrites de Kubura, par. 34 citant le paragraphe 3544 du Commentaire des Protocoles additionnels : « Il ne s’agit pas [...] de n’importe quel supérieur [...], mais seulement d’un supérieur qui a une responsabilité personnelle à l’égard de l’auteur des agissements en question, parce que ce dernier, étant son subordonné, se trouvait placé sous son contrôle ».
299 - Conclusions écrites de Kubura, par. 35 citant le Jugement Celebici, par 393 [souligné par la Défense].
300 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic citant le Jugement Celebici, par. 378.
301 - Réponse de Kubura, par. 9. Voir également Réplique de Kubura, par. 22 ; Réponse de Hadzihasanovic, par. 48.
302 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 48.
303 - Conclusions écrites de Kubura, par. 39 à 42.
304 - Ibid., par. 41 à 45.
305 - Ibid., par. 45.
306 - Ibid., par. 38.
307 - Comme le souligne la Défense lorsqu’elle qualifie cette affirmation d’obiter dictum, le jugement Kordic n’évoque pas le cas du supérieur « ultérieur ».
308 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 49.
309 - Conclusions écrites de Kubura, par. 47.
310 - Ibid., par. 48 et 49.
311 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 48.
312 - Réponse de Kubura, par. 12 ; Réplique de Kubura, par. 20.
313 - Conclusions écrites de l’Accusation, par. 60.
314 - Réponse de l’Accusation, par. 17.
315 - Jugement Kordic, par. 446.
316 - Conclusions écrites de l’Accusation, par. 62.
317 - Ibid., par. 63.
318 - Réplique de l’Accusation, par. 20.
319 - Réponse de l’Accusation, par. 18 et 19.
320 - Ibid., par. 21 et 22.
321 - Ibid., par. 17.
322 - S/1994/674, par. 58.
323 - Idem. Voir également Jugement Aleksovski, par. 80 : « Le poids qu’il convient de conférer à cet indice dépend toutefois des circonstances, notamment de temps et de lieu. Ainsi, plus la commission des faits sera éloignée dans l’espace, plus il sera difficile d’établir leur connaissance par le supérieur en l’absence d’autres indices. À l’inverse, la commission d’un crime en un lieu immédiatement proche de celui où le supérieur exerce habituellement ses fonctions suffirait à créer un indice sérieux de la connaissance par le supérieur de ce crime, a fortiori dans l’hypothèse où des crimes seraient commis de manière répétée. » Pour ce qui est de la « responsabilité des supérieurs » visée à l’article 86 du Protocole additionnel I, le Commentaire des Protocoles additionnels indique au paragraphe 3545 que « [c]haque cas doit être apprécié en fonction de la situation où se trouvait le supérieur intéressé, en faisant notamment une distinction entre le moment où les informations étaient disponibles et celui où l’infraction a été commise, en tenant compte également des autres circonstances qui accaparaient à ce moment-là son attention, etc. »
324 - Exception conjointe, par. 17 ; Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 90 et 91 ; Conclusions écrites de Kubura, par. 50.
325 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 91, citant les Jugements Blaskic et Kordic ; Réponse de Kubura, par. 14 à 16.
326 - Réponse de Hadzihasanovic, par. 50 ; Réponse de Kubura, par. 16.
327 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 92 ; Conclusions écrites de Kubura, par. 51.
328 - Conclusions écrites de Hadzihasanovic, par. 93 ; Conclusions écrites de Kubura, par. 51.
329 - Conclusions écrites de l’Accusation, par. 65, citant le paragraphe 445 du Jugement Kordic : « L’obligation d’empêcher les infractions désigne celle qui incombe à un supérieur hiérarchique, à n’importe quel stade précédant la perpétration d’un crime par ses subordonnés, s’il a connaissance que ce crime est préparé ou planifié, ou lorsqu’il a des raisons suffisantes de soupçonner que ses subordonnés s’apprêtent à commettre des crimes ».
330 - Conclusions écrites de l’Accusation, par. 66.
331 - Réponse de l’Accusation, par. 22.
332 - Conclusions écrites de l’Accusation, par. 66.