Affaire no : IT-01-47-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit : M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président

Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba

M. le Juge Carmel Agius

Assistée de : M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le : 18 juin 2003

LE PROCUREUR

c/

ENVER HADZIHASANOVIC
AMIR KUBURA

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE D’AUTORISATION DE MODIFIER L’ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

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Le Bureau du Procureur :

M. Ekkehard Withopf
M. David Re

Les Conseils des Accusés Hadzihasanovic et Kubura :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon, pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon, pour Amir Kubura

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la « Demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié » (la « Demande ») et les corrigenda de l’Accusation à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié (« Prosecution’s Corrigenda to Motion for Leave to Amend the Amended Indictment »), déposés par l’Accusation respectivement les 25 mars et 31 mars/sic/,

ATTENDU que cette Demande vise à modifier l’acte d’accusation modifié à différents égards, comprenant :

1) « [le retrait] de l’acte d'accusation des allégations concernant feu Mehmed Alagic »,

2) l’allégation « outre [de] l’existence d’un conflit armé non défini actuellement invoquée, [de] celle d’un conflit armé international, à titre subsidiaire », et

3) la mise en cause de « la responsabilité de l’accusé Amir Kubura en vertu de l’article 7 3) du Statut du Tribunal pour les crimes qui auraient été commis à Miletići et qui sont déjà reprochés à l’accusé Enver Hadzihasanovic »,

VU l’« Ordonnance mettant fin à la procédure engagée contre Mehmed Alagic » du 21 mars 2003,

VU la « Décision relative à l’exception conjointe d’incompétence » du 12 novembre 2002, par laquelle la présente Chambre de première instance a estimé que « dès 1991, la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique était applicable en droit international coutumier, dans le contexte d’un conflit armé interne »,

ATTENDU que la Défense a interjeté un appel interlocutoire conjoint contre la décision relative à l’exception conjointe d’incompétence (« Interlocutory Appeal on Decision on Joint Challenge to Jurisdiction ») le 27 novembre 2002, et que cet appel est encore en instance devant la Chambre d’appel,

ATTENDU que l’Accusation demande l’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié pour invoquer l’existence d’un conflit armé international, à titre subsidiaire, et ce avant que la Chambre d’appel se prononce sur l’appel interlocutoire en instance,

ATTENDU que la Défense de l’accusé Amir Kubura a déposé le 25 avril 2003 la réponse d’Amir Kubura à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation (la « Réponse d’Amir Kubura »), (« Response of Amir Kubura to Prosecution Motion for Leave to Amend the Amended Indictment »), par laquelle elle s’oppose en particulier à la demande de l’Accusation visant à modifier l’acte d’accusation modifié et à invoquer de nouveau, à titre subsidiaire, un conflit armé international,

ATTENDU que la Défense de l’accusé Enver Hadžihasanović a déposé le 25 avril 2003 une réponse ŕ la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation et une requête aux fins de suspension des audiences (la « Réponse d’Enver Hadžihasanović), (« Defence Response to Prosecution Motion for Leave to Amend the Amended Indictment and Request for Stay of Proceedings »), par laquelle elle s’oppose aussi spécialement à la demande de l’Accusation visant à invoquer de nouveau, à titre subsidiaire, un conflit armé international, soutient que cette requête constitue un abus de procédure et demande, par conséquent, que les audiences soient immédiatement suspendues,

VU la requête de l’Accusation du 1er mai 2003 demandant l’autorisation de déposer une réplique à la réponse de la Défense à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation et à sa requête aux fins de suspension des audiences, et à la réponse d’Amir Kubura à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation, la réponse et la réplique de l’Accusation à la réponse de la Défense à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation et à sa requête aux fins de suspension des audiences, et la réplique de l’Accusation à la réponse d’Amir Kubura à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation, déposées le 12 mai 2003 (« Réponse et Réplique » de l’Accusation),

VU la requête de la Défense demandant l’autorisation de déposer une duplique (« Defence Motion Seeking Leave to Reply »), et la duplique de la Défense à la Réponse et à la Réplique de l’Accusation à la réponse de la Défense à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation et à sa requête aux fins de suspension des audiences, et à la Réplique de l’Accusation à la réponse d’Amir Kubura à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation, déposée par la Défense de l’accusé Amir Kubura le 14 mai 2003 (la « Duplique d’Amir Kubura »),

VU la requête de la Défense demandant l’autorisation de déposer une duplique (« Defence Motion Seeking Leave to Reply »), et la duplique à la Réponse et à la Réplique de l’Accusation à la réponse de la Défense à la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié introduite par l’Accusation et à sa requête aux fins de suspension des audiences, déposée par la Défense de l’accusé Enver Hadžihasanović le 14 mai 2003 (la « Duplique d’Enver Hadzihasanovic »),

ATTENDU qu’un élément important de la Demande réside dans le fait que l’Accusation demande l’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié et d’invoquer de nouveau, à titre subsidiaire, l’existence d’un conflit armé international, en plus de la présente allégation d’un conflit armé, et que cette autorisation est explicitement demandée avant que la Chambre d’appel rende sa décision relative à l’appel interlocutoire en instance et par laquelle elle doit trancher la question de savoir si l’article 7 3) du Statut s’appliquait aussi aux conflits armés internes au regard du droit international en 1993,

ATTENDU que le 8 octobre 2001, la Défense a déposé une « Exception préjudicielle présentée conjointement pour vices de forme de l’acte d’accusation », par laquelle elle a affirmé notamment que le droit international humanitaire, tel qu’il existait en 1993, ne reconnaissait pas la responsabilité de commandement dans le cas d’un conflit armé interne,

ATTENDU que la Chambre de première instance a interprété cette partie de l’Exception préjudicielle comme constituant une mise en cause de la compétence du Tribunal et qu’en conséquence elle a rendu, le 7 décembre 2001, une « Décision relative à l’exception d’incompétence » en plus d’une « Décision relative à la forme de l’acte d’accusation »,

ATTENDU que la Chambre de première instance, prenant en considération le fait qu’à cette époque l’acte d’accusation a invoqué à la fois les articles 2 et 3 du Statut, a décidé de reporter au procès la décision relative à la question de la compétence du Tribunal,

ATTENDU, en outre, que le 11 janvier 2002, l’Accusation a déposé un acte d’accusation modifié dans lequel elle a − non pas sur une injonction de la Chambre de première instance mais de sa propre initiative − retiré, « par souci d’économie judiciaire », toutes les accusations fondées sur l’article 2 du Statut,

ATTENDU que la Défense, par une exception conjointe d’incompétence concernant l’acte d’accusation modifié, déposée le 21 février 2002, a soulevé de nouveau la question du principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique au regard du droit international relativement aux conflits armés internes, et que cette contestation a été à l’origine des nombreuses plaidoiries échangées entre les parties et a abouti à la décision de la présente Chambre du 12 novembre 2001/sic/ relative à l’exception conjointe d’incompétence et à l’appel interlocutoire interjeté contre cette décision, actuellement en instance devant la Chambre d’appel,

ATTENDU que la Demande ne fait état d’aucun autre nouvel élément en rapport avec cette question qui n’aurait pas été déjà connu de l’Accusation, de la Défense ou de la Chambre de première instance et que, par conséquent, la probabilité que la Chambre d’appel se prononce sur ladite question dans un sens que l’Accusation semble maintenant appréhender n’a pas changé depuis le moment où l’Accusation a elle-même décidé de retirer toutes les accusations fondées sur l’article 2 du Statut,

ATTENDU, de surcroît, que l’appel interlocutoire étant encore en instance devant la Chambre d’appel, il serait tout à fait inopportun que la présente Chambre de première instance statue maintenant sur cette question, à moins d’y être enjointe par la Chambre d’appel,

ATTENDU que, bien que la demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié avant que la Chambre d’appel n’ait rendu sa décision relativement à l’appel interlocutoire ne soit pas une demande opportune, rien dans cette dernière ne justifierait une suspension des audiences, comme l’a demandé la Défense de l’accusé Enver Hadzihasanovic,

ATTENDU qu’en consultation avec les parties, la Chambre de première instance a décidé de reporter sa décision relative à la réponse conjointe relative à la forme de l’acte d’accusation modifié (« Joint Response on the Form of the Amended Indictment »), déposée par la Défense le 25 février 2002, et aux écritures ultérieurement déposées y afférentes, puisqu’il serait plus judicieux de se prononcer sur les points de contestation contenus dans cette réponse conjointe et concernant l’acte d’accusation modifié, une fois rendue en dernier ressort la décision relative à l’exception d’incompétence,

ATTENDU qu'il serait dans la logique de cette approche que Chambre de première instance attende la décision finale sur l’exception d’incompétence avant de trancher, en tenant compte des conclusions de la Chambre d’appel, toutes les questions encore en suspens concernant la forme de l’acte d’accusation,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 50 du Règlement,

1. REJETTE la Demande de l’Accusation en ce qu'elle vise à obtenir l’autorisation de modifier l’acte d’accusation modifié afin de pouvoir invoquer, à titre subsidiaire, un conflit armé international, avant que la Chambre d’appel n’ait rendu sa décision relative à l’appel interlocutoire conjoint déposé par la Défense le 27 novembre 2002 contre la décision relative à l’exception conjointe d’incompétence, rendue par la présente Chambre de première instance le 12 novembre 2002, à moins d’être enjointe par la Chambre d’appel d’y faire droit,

2. REJETTE la requête aux fins de suspension des audiences déposée par la Défense de l’accusé Enver Hadzihasanovic,

3. DÉCIDE de reporter sa décision définitive relative à la Demande jusqu’à ce que la Chambre d’appel ait statué sur l’appel interlocutoire conjoint et, selon la décision qui aura été rendue par la Chambre d’appel, elle tranchera alors toutes les questions alors encore en suspens concernant la forme de l’acte d’accusation.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
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Juge Wolfgang Schomburg

Le 18 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]