Affaire n° : IT-01-47-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
Mme le Juge Vonimbolana Rasoazanany
M. le Juge Albertus Swart

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
15 décembre 2003

LE PROCUREUR

c/

ENVER HADZIHASANOVIC
AMIR KUBURA

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS D’ACCÈS AUX ARCHIVES DE LA MISSION D’OBSERVATION DE L'UNION EUROPÉENNE

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Le Bureau du Procureur :

M. Ekkehard Withopf
M. David Re
M. Daryl Mundis

Les Conseils de la Défense :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la « Requête conjointe aux fins d’une ordonnance autorisant l’accès aux archives de la Mission d’observation de l’Union européenne », et les Annexes A à E, déposées conjointement par les conseils des deux accusés (« la Défense »), par laquelle la Défense a demandé à la Chambre de première instance d'adresser une ordonnance à « l'EUMM, aux États membres de la Communauté européenne au moment de la création de la MCCE, à la Présidence du Conseil européen, et à la Commission de la Communauté européenne/Union européenne», afin que ceux-ci autorisent la Défense à consulter leurs archives , selon les modalités précisées à l’Annexe B (la « Requête »),

VU la réponse à la Requête, déposée par le Bureau du Procureur (« l’Accusation ») le 12 décembre 2003 (la « Réponse ») conformément à l’ordonnance rendue oralement par la Chambre de première instance le 10 décembre 2003, où l’Accusation s'abstient de prendre position sur la Requête,

ATTENDU que la Requête de la Défense se fonde sur les articles 21 et 29 du Statut du Tribunal, ainsi que sur les articles 54 bis et 73 de son Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

VU les arguments exposés dans la Requête, et notamment celui selon lequel la Chambre de première instance est, en application de l’article 29 du Statut et de l’article 54 bis du Règlement, compétente pour adresser une ordonnance aux fins de la production de documents à la Mission d’observation de l’Union européenne, qui « est une mission établie conjointement par les États membres de l’Union européenne1 »,

VU les arguments de la Défense selon lesquels sa Requête répond aux conditions posées à l’article 54 bis du Règlement et, en particulier, que la Défense 1) a spécifié plus que convenablement les documents de la Mission d’observation de l’Union européenne qu’elle souhaite consulter ; 2) a indiqué dans quelle mesure ces documents sont pertinents par rapport aux accusations portées contre les accusés dans l’acte d’accusation modifié, puisque les observateurs de la MCCE étaient présents sur tout le territoire de la Bosnie durant la période couverte par l’acte d’accusation, c’est-à-dire de janvier à décembre 2003, et nécessaires à la préparation de sa cause et à l’évaluation en toute équité de la responsabilité des accusés ; et 3) a fait preuve de toute la diligence voulue et a entrepris toutes les démarches possibles en vue d’obtenir l’assistance de la Mission d’observation de l’Union européenne,

VU l’argument de la Défense selon lequel l’Organisation des Nations Unies lui a déjà permis d’accéder à des documents semblables de la FORPRONU, et le Royaume-Uni à des documents du Britbat,

VU la position de la Mission d’observation de l’Union européenne telle qu’elle figure dans la dernière lettre que M. Javier Solana, Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne et Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, a adressée à la Défense le 3 décembre 2003, qui constitue l’Annexe A à la Requête, dans laquelle il affirme que l’article 54 bis du Règlement ne s'applique pas à la Mission d’observation de l’Union européenne, que la Requête de la Défense « reste générale » et qu’il incombe à la Défense de donner davantage de précisions sur les documents qu’elle demande à consulter, ajoutant qu’il est possible que la Mission d’observation de l’Union européenne souhaite recourir à la procédure de l’article 70 du Règlement,

VU l’ordonnance confidentielle de la Chambre de première instance aux fins d’accès aux archives de l’EUMM (Request for Access to EUMM Archives) en date du 28 mars 2003 (l’« Ordonnance ») et la « Décision concernant l’accès de la Défense aux archives EUMM », rendue le 12 septembre 2003, par laquelle la Chambre de première instance a rejeté la requête de la Défense aux fins d’exécution de l’Ordonnance,

VU l’article 54 du Règlement, aux termes duquel « [à] la demande d’une des parties ou d’office, un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de […] la conduite du procès »,

VU l’article 54 bis du Règlement, intitulé « Ordonnances adressées aux États aux fins de production de documents »,

ATTENDU que les États membres de la Mission d’observation de l’Union européenne sont tenus de coopérer avec le Tribunal en application de l’article 29 du Statut,

ATTENDU qu’en sa qualité de Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne et Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Javier Solana est habilité à décider s’il convient d’accorder l’accès aux archives de la Mission d’observation de l’Union européenne,

ATTENDU que l’article 54 du Règlement est suffisant pour les besoins de la présente décision, et qu’il n’y a pas lieu de recourir à l’article 54 bis à ce stade de la procédure,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 98 du Règlement, la Chambre de première instance peut « d’office citer des témoins à comparaître »,

ATTENDU que la Chambre de première instance estime que la Défense a convenablement indiqué les documents auxquels elle demande à avoir accès dans l’Annexe B à la Requête (aux paragraphes 6, 8, 10, 12, 14 et 16), puisqu’elle y précise la catégorie générale à laquelle ils appartiennent, leur date, le lieu où ils se trouvent, leur source et qu'il ne semble pas raisonnable de lui demander des précisions supplémentaires alors qu'elle n’a pas examiné les documents,

ATTENDU que la période comprise entre janvier et décembre 1993 ne semble pas être excessivement large ou imprécise puisque la zone géographique (Bosnie centrale) et les sources des documents (diverses unités de la MCCE) sont précisées,

ATTENDU que les documents décrits à l’Annexe B semblent être très pertinents par rapport aux accusations portées contre les accusés, puisque les observateurs de la MCCE étaient présents en Bosnie centrale durant toute la période couverte par l’acte d’accusation modifié, qu’ils ont pu approcher tous les protagonistes des événements et qu’ils ont rédigé un certain nombre de rapports,

VU les nombreuses démarches entreprises par la Défense, exposées à l’Annexe E à sa Requête, les deux décisions déjà rendues par la Chambre de première instance sur la question, l’assistance fournie par l’Accusation, et la position de la Mission d’observation de l’Union européenne telle qu’elle l’a exposée dans sa correspondance avec la Défense,

ATTENDU que nombre des témoins qui figurent sur la liste de témoins de l’Accusation et qui seront cités à comparaître au procès sont d’anciens observateurs ou chefs de la MCCE,

ATTENDU que le procès et la présentation des moyens de preuve à charge ont commencé le 2 décembre 2003,

ATTENDU, par conséquent, que l’accès de la Défense à des pièces déterminées des archives de la Mission d’observation de l’Union européenne, comme décrit à l’Annexe B, est nécessaire pour garantir aux accusés un procès équitable,

ATTENDU que la procédure convenue en ce qui concerne l’accès de la Défense à des documents de la FORPRONU2, à savoir la procédure selon laquelle la Défense obtient l’accès aux archives concernées, à la suite de quoi les documents qu’elle sélectionne sont examinés par l'Organisation des Nations Unies qui, le cas échéant, les expurge de certains éléments afin de garantir qu’il ne soit pas porté atteinte aux intérêts de l’Organisation et de ses États membres, semble être raisonnable et de nature à servir tant les intérêts de la Défense que ceux de l’entité permettant la consultation de ses archives, en particulier en répondant aux préoccupations éventuelles de cette entité au sujet de la confidentialité des documents,

ATTENDU, par conséquent, qu’il serait judicieux de suivre une procédure similaire pour permettre à la Défense de consulter certaines pièces figurant dans les archives de la Mission d’observation de l’Union européenne,

ATTENDU que l’article 70 du Règlement prévoit que certains documents en la possession de l’accusé ou du conseil de la défense sont confidentiels,

EN APPLICATION de l’article 54 du Règlement,

REJETTE la Requête, MAIS

INVITE M. Javier Solana, Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne et Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, à autoriser la Défense à accéder à des pièces déterminées des archives de la Mission d’observation de l’Union européenne à Zagreb, à examiner les documents indiqués à l’Annexe B à la Requête (aux paragraphes 6, 8, 10, 12, 14 et 16) et à spécifier les documents auxquels elle souhaitait avoir accès,

DEMANDE à M. Javier Solana, le cas échéant en consultation avec les États membres de la MCCE lors de sa création, d’examiner, à ce stade de la procédure, les documents indiqués par la Défense, de les expurger avant de les lui communiquer afin de répondre à toute inquiétude éventuelle de la Mission d’observation de l’Union européenne en matière de confidentialité, et de faire rapport à la Chambre de première instance avant le 30 janvier 2004, ET

ENJOINT au Greffier de signifier la présente Décision à M. Javier Solana accompagnée de la Requête de la Défense et des Annexes.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Jean-Claude Antonetti

Le 15 décembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. La Chambre de première instance a pris note des références faites dans la Requête à la « Décision relative à la requête aux fins d’assistance judiciaire de la part de la SFOR et d’autres entités », rendue dans l’affaire n° IT-95-9, Le Procureur c/ Blagoje Simic et consorts, le 18 octobre 2000, et à l’« Ordonnance [ex parte partiellement confidentielle] aux fins de production de documents par la Mission de contrôle de la Communauté européenne et ses États membres » rendue dans l’affaire n° IT-95-14/2, Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, le 4 août 2000.
2. La Défense indique dans sa Requête qu’une procédure similaire sera suivie le 12 décembre 2003 en ce qui concerne les archives du Britbat.