Affaire n°: IT-01-47-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
Mme le Juge Vonimbolana Rasoazanany
M. le Juge Albertus Swart

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
4 février 2004

LE PROCUREUR

c/

ENVER HADZIHASANOVIC
AMIR KUBURA

__________________________________

DÉCISION SUR LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION PRESENTÉE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 92BIS A) DU RÈGLEMENT

__________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Ekkehard Withopf
M. Daryl Mundis
M. Chester Stamp
Mme Tekla Henry-Benjamin

Les Conseils de la Défense :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (« Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (« Tribunal »),

SAISIE de la « Requête de l’Accusation présentée en application de l’article 92 bis A) du Règlement, en partie confidentielle », déposée par le Bureau du Procureur (« Accusation ») le 18 décembre 2003 (« Requête »), dans laquelle, l’Accusation prie la Chambre de l’autoriser à verser au dossier, en application de l’article 92 bis A) du Règlement de Procédure et de Preuve (« Règlement »), au lieu et place de témoignages oraux, les déclarations écrites et pièces à conviction y afférentes : a) des témoins 60, 69 et 131, et b) des témoins 10, 15, 21, 27, 28, 36, 45, 65, 72, 82, 94, 95, 96, 101, 103, 114, 115, 116, 125 et 126, et à défaut, a) de l’autoriser à verser au dossier, les passages des déclarations des témoins 10, 15, 21, 27, 28, 36, 45, 65, 72, 82, 94, 95, 96, 101, 103, 114, 115, 116, 125 et 126, qui ne seraient pas susceptibles de se rapporter aux actes ou au comportement des accusés ou ne devraient pas faire l’objet d’un témoignage oral et d’un contre-interrogatoire, et b) de permettre que les autres passages des déclarations soient rapportés oralement et fassent l’objet d’un contre-interrogatoire;

VU la « Réponse conjointe de la Défense à la Requête de l’Accusation présentée en application de l’article 92 bis A) du Règlement », déposée conjointement par les conseils des deux accusés (« Défense ») le 12 janvier 2004 (« Réponse »), dans laquelle la Défense se déclare d’accord avec le versement au dossier, en application de l’article 92 bis A) du Règlement, des déclarations écrites et pièces à convictions y afférentes des témoins 10, 27, 28, 36, 45, 60, 65, 69, 72, 94, 95, 96, 101, 103, 114, 116 et 126, mais s’oppose à la Requête concernant les témoins 15, 21, 82, 115, 125 et 131 et demande par rapport à ces derniers qu’ils déposent oralement et qu’ils soient soumis à un interrogatoire principal et/ou un contre-interrogatoire sur tous les points de leurs déclarations;

ATTENDU qu’en vertu de l’article 92 bis A) du Règlement de Procédure et de Preuve (« Règlement »), la Chambre peut admettre, en tout ou en partie, les éléments de preuve présentés par un témoin sous la forme d’une déclaration écrite, au lieu et place d’un témoignage oral, et permettant de démontrer un point autre que les actes et le comportement de l’accusé tels qu’allégués dans l’acte d’accusation;

ATTENDU que l’article 92 bis B) du Règlement prévoit que la personne certifiant la déclaration écrite aux termes de cet article doit attester a) que le déclarant est effectivement la personne identifiée dans ladite déclaration; b) que le déclarant a affirmé que le contenu de la déclaration est, pour autant qu’il le sache et s’en souvienne, véridique et exact; c) que le déclarant a été informé qu’il pouvait être poursuivi pour faux témoignage si le contenu de la déclaration n’était pas véridique et d) la date et le lieu de la déclaration;

ATTENDU que la Chambre constate que 13 des 23 déclarations écrites soumises par l’Accusation ne portent pas trace de la mention concernant le faux témoignage comme l’exige l’article 92 bis B) ii) c) du Règlement;

ATTENDU néanmoins que ces omissions n’entraînent pas de conséquences d’autant que la Défense n’a formulé aucune observation à cet égard(1);

ATTENDU que, aux fins de l’application de l’article 92 bis A) du Règlement, la jurisprudence du Tribunal fait une distinction entre les actes et le comportement de l’accusé et ceux de ses subordonnés(2), et qu’elle a interprété « les actes ou le comportement de l’accusé » dans le contexte de l’article 7 3) du Statut du Tribunal comme faisant référence à tout élément qui permettrait d’établir que « Sl’accuséC était le supérieur hiérarchique des auteurs effectifs des crimes, ou qu’il savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre des crimes ou l’avaient fait, ou qu’il n’a pas pris les mesures raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs »(3);

ATTENDU que, dans le cadre de l’article 7 3) du Règlement, dans certains cas, la preuve des actes ou du comportement des subordonnés de l’accusé permet en même temps d’établir les actes ou le comportement de l’accusé lui-même, et qu’il ne serait pas équitable envers l’accusé de permettre que tels éléments de preuve soient produits par écrit(4);

ATTENDU que, pour statuer sur l’admission d’une déclaration en application de l’article 92 bis A) du Règlement, la jurisprudence a précisé que la Chambre dispose d’un pouvoir discrétionnaire de décider si les éléments de preuve doivent être effectivement admis sous forme écrite(5);

ATTENDU que, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Chambre prend en considération la proximité qu’entretient le subordonné dont les actes ou le comportement sont décrits dans la déclaration avec l’accusé et l’importance de ces éléments de preuve pour la cause de l’Accusation(6);

ATTENDU que, aux termes de l’article 92 bis E) du Règlement, la Chambre décide s’il convient de soumettre un témoin au contre-interrogatoire;

ATTENDU qu’aucune des déclarations soumises en l’espèce ne concerne les actes ou le comportement des accusés aux termes de l’article 92 bis A) du Règlement;

ATTENDU que la Défense n’a pas exprimé dans sa Réponse la volonté de contre interroger les témoins 10, 27, 28, 36, 45, 60, 65, 69, 72, 94, 95, 96, 101, 103, 114, 116 et 126;

ATTENDU que selon les documents produits les déclarations des témoins 21, 115, 125 et 131 ne corroborent que d’autres déclarations déjà présentées oralement devant la Chambre, qu’il n’existe pas de lien proche entre les actes et le comportement décrits dans leurs déclarations et les accusés et que, par conséquent, ces déclarations sont admissibles aux termes de l’article 92 bis A) du Règlement;

ATTENDU que, par conséquent, il n’y a pas de raison d’entendre oralement l’intégralité de leur témoignage;

ATTENDU que, toutefois, les exigences d’un procès équitable demandent en principe d’accorder à l’accusé le droit de contre interroger ces témoins à charge;

ATTENDU que les éléments contenus dans les déclarations écrites des témoins 15 et 82 sont susceptibles d’apporter des indications sur la structure et la composition de la 7e brigade musulmane de montagne et d’autres unités de l’ABiH et sur la subordination des membres de ces unités aux accusés, qu’il existe un lien proche entre ces éléments et les actes et le comportement des accusés et que, par conséquent, la Chambre estime que ces témoignages devraient être présentés dans leur intégralité oralement;

PAR CES MOTIFS

EN APPLICATION de l’article 92 bis du Règlement,

ADMET le versement au dossier, au lieu et place de témoignages oraux, des déclarations écrites et pièces à convictions y afférentes des témoins 10, 27, 28, 36, 45, 60, 65, 69, 72, 94, 95, 96, 101, 103, 114, 116 et 126,

ADMET le versement au dossier des déclarations écrites et pièces à convictions y afférentes des témoins 21, 115, 125 et 131 qui seront soumis à un contre-interrogatoire,

REJETTE le versement au dossier des déclarations écrites des témoins 15 et 82 et

DECIDE que ces témoins 15 et 82 déposeront oralement devant la Chambre.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre
__________
Jean-Claude Antonetti

Le 4 février 2004
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Milosevic, Chambre d’Appel, 30 septembre 2002, Arrêt relatif à l’admissibilité d’éléments de preuve produits par un enquêteur de l’Accusation (« Arrêt Milosevic »), para.18.
2. Le Procureur c/ Galic, Chambre d’Appel, 7 juin 2002, Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis C) du Règlement (« Décision Galic »), paras.9,15; Le Procureur c/ Milosevic, 21 mars 2002, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’admettre des déclarations écrites en vertu de l’article 92 bis du Règlement (« Décision Milosevic ») , para.22; Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, 23 mai 2002, Version publique de la décision confidentielle relative à l’admission de déclarations recueillies en application de l’article 92 bis du Règlement, rendue le 1er mai 2002 (« Décision Brdjanin et Talic »), para.14.
3. Décision Galic, para.10.
4. Décision Galic, paras.14-15; Décision Brdjanin et Talic, para.14.
5. Décision Galic, paras.13,15,17,19; Le Procureur c/ Galic, Décision relative à l’admission de la déclaration écrite d’un témoin décédé, Hamdija ČCavcic, et du rapport connexe en application de l’article 92 bis C), 2 août 2002.
6. Décision Galic, para.13.