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1 Le jeudi 24 juin 2004
2 [Audience publique]
3 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais demander à Monsieur le Greffier de bien
6 vouloir appeler le numéro de l'affaire.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
8 Monsieur le Juge, l'affaire IT-01-47-T, le Procureur contre Enver
9 Hadzihasanovic et Amir Kubura.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Je vais demander à l'Accusation de bien
11 vouloir se présenter.
12 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,
13 Madame, Monsieur les Juges. Bonjour, Madame, Messieurs. Sureta Chana et
14 Tecla Henry-Benjamin, et Andres Vatter, notre commis aux audiences.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Je me tourne vers les avocats.
16 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,
17 Monsieur les Juges. En représentant ici le général Hadzihasanovic, Edina
18 Residovic, et notre assistante, Muriel Cauvin.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Les autres avocats.
20 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. En
21 représentant ici M. Kubura, Rodney Dixon, Fahrudin Ibrisimovic, et Nermin
22 Mulalic, notre assistant juridique.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Pour cette audience de ce jour, la Chambre
24 salue toutes les personnes. Je salue, plus particulièrement, les
25 représentants de l'Accusation, les avocats, les accusés, tout le personnel
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1 de cette salle d'audience, en pensant, notamment, à Mme la Sténotypiste,
2 qui fait un travail important qui nous permet de suivre nos propos à partir
3 de transcripts qui défilent sous les yeux. Je salue également les
4 interprètes.
5 Avant d'entamer la phase de témoignage, je vais donner la parole au Greffe
6 qui veut faire une communication sur la question liée au transport et frais
7 de mission. Je donne la parole au Greffe.
8 M. LE GREFFE : Merci, Monsieur le Président.
9 Monsieur le Président, avec votre permission, je voudrais faire une brève
10 déclaration, au nom du Greffe, au sujet des propos tenus par Me Bourgon
11 lors de l'audience du 23 juin et relatif au voyage de son assistant
12 juridique.
13 Le Greffe estime important d'informer la Chambre de première instance que
14 Me Bourgon a présenté les faits de manière inexacte et incomplète. Etant
15 donné que ces propos suggèrent que la décision prise par le Greffe est sans
16 fondement et, par voie de conséquence, pourrait être interprété comme
17 mettant en cause la crédibilité du Greffe, le Greffe a l'intention de
18 soumettre a la Chambre de première instance, dans les jours qui suivent, un
19 mémorandum circonstancié pour clarifier les faits et pour répondre aux
20 critiques de Me Bourgon.
21 Je vous remercie, Monsieur le Président.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Nous attendons d'avoir ce
23 mémorandum. Bien entendu, Me Bourgon, qui n'est pas là aujourd'hui
24 puisqu'il nous a expliqué qu'il n'était pas là, sera, par ses autres
25 collègues et confrères, informé de la position du Greffe, qui va nous
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1 adresser un mémorandum sur l'ensemble du problème exposé.
2 A cette étape, nous clôturons cette question et nous allons passer à la
3 phase suivante qui est l'audition d'un témoin.
4 Madame l'Huissière, allez chercher le témoin pour l'introduire.
5 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour. Je vais d'abord vérifier que vous entendez
7 bien dans votre langue la traduction de mes propos. Si c'est le cas, dites,
8 je vous entends et je vous comprends.
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous entends et je vous comprends.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez été cité, en qualité de témoin, par
11 l'Accusation pour témoigner sur des faits qui se sont déroulés en 1993 en
12 Bosnie. Avant de vous faire prêter serment, je dois vous identifier et pour
13 ce faire, je vous demande de me donner votre nom, prénom, date de
14 naissance.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Vlado Adamovic, le 3 juin 1959.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous êtes né dans quelle ville ou village ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] A Zenica, Bosnie-Herzégovine.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est votre fonction actuelle ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis juge de la Cour de Bosnie-Herzégovine.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : En 1993, quels étaient à l'époque vos fonctions ou
21 statut ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] A l'époque, j'étais juge du Tribunal militaire
23 du district de Zenica, et je travaillais dans les procès.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Avez-vous déjà témoigné devant ce Tribunal
25 international ou avez-vous témoigné devant une juridiction nationale de
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1 votre pays sur les faits qui se sont déroulés –-
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous demande pardon. Veuillez m'excuser.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Je répète, ne vous excusez pas cela m'arrive
4 également, cela arrive à tout le monde.
5 Je répète ma question –-
6 LE TÉMOIN : [interprétation] On m'a averti de tout sauf cela.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Avez-vous déjà témoigné devant un Tribunal
8 international ou un tribunal national sur des faits et les faits qui se
9 sont déroulés en 1993 ou c'est la première fois que vous êtes appelé à
10 témoigner ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais vous demander de lire le serment que Mme
13 l'Huissière vous présente.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
15 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.
18 LE TÉMOIN: VLADO ADAMOVIC [Assermenté]
19 [Le témoin répond par l'interprète]
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais vous donner quelques éléments d'information,
21 mais comme je m'adresse à un professionnel, les éléments d'information vont
22 être assez réduits. Vous avez été, comme je l'ai indiqué, cité comme témoin
23 de l'Accusation dans le cadre de ce témoignage. Vous aurez à répondre à des
24 questions qui vont vous être posées par le représentant de l'Accusation. A
25 la suite des questions qui seront posées, les défenseurs des accusés, qui
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1 se trouvent situés à votre gauche, vous poseront des questions dans le
2 cadre du contre-interrogatoire. Nous sommes là dans une procédure tout à
3 fait spécifique à la "common law". A la suite des questions qui seront
4 posées par les avocats des accusés, l'Accusation pourra vous poser des
5 questions supplémentaires.
6 Cependant, les trois Juges, qui sont devant vous, pourront -- et cela
7 déroge à la procédure de "common law" -- vous poser à tout moment des
8 questions qui leur apparaissent nécessaires pour la manifestation de la
9 vérité. En règle générale, sauf cas d'exception, les Juges préfèrent
10 attendre que vous ayez fini de répondre aux questions des parties avant de
11 vous poser des questions. Une fois que les Juges ont posé les questions,
12 les parties peuvent reprendre la parole pour vous poser des questions.
13 Voilà, de manière très générale, comment va se dérouler l'interrogatoire.
14 Afin que vous ne soyez pas surpris, je vous indique d'ores et déjà que la
15 nature des questions, si elle est identique pour tous, peut différer
16 lorsque la Défense vous posera des questions car la Défense, conformément
17 aux règlements, peut poser des questions afin de vérifier la crédibilité de
18 vos dires et par ailleurs peut également poser des questions afin
19 d'informer la Chambre sur le contexte politique, militaire, stratégique ou
20 toute autre question qui leur apparaît utile pour leur défense.
21 Si parfois les questions peuvent être complexes et longues, à ce moment-là,
22 demandez à celui qui vous la pose de la reposer de manière compréhensible.
23 Il se peut qu'emporter par la question, celui qui vous la pose ne se rende
24 pas compte que la question est très longue et peut poser des problèmes. A
25 ce moment-là, vous demandez à ce que l'on reformule la question.
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1 Par ailleurs, je dois vous informer de deux autres éléments que j'indique à
2 tous les témoins, quels qu'ils soient. Premièrement, vous avez prêté
3 serment, ce qui, ipso facto entraîne le fait qu'il ne peut pas y avoir de
4 faux témoignages car le faux témoignage peut, devant ce Tribunal, être
5 réprimé par des sanctions qui sont assez sévères puisque la peine maximale
6 peut être de sept ans de prison. Le second élément, de nature également
7 juridique, c'est que, dans cette procédure, il est prévu par notre
8 règlement qui nous régit, que lorsqu'un témoin répond à une question, si le
9 témoin estime que la question est susceptible, par la réponse, un jour, de
10 constituer des éléments à charge contre lui, le témoin peut refuser de
11 répondre. Ce principe est un principe bien connu en droit anglo-saxon, mais
12 également dans plusieurs pays continentaux. Dans cette hypothèse, à ce
13 moment-là, la Chambre a le pouvoir de demander au témoin d'y répondre
14 néanmoins, mais la Chambre garantit, à ce moment-là, au témoin, une
15 impunité pénale. Ces propos ne pourraient, à ce moment-là, être utilisés
16 contre lui dans le futur.
17 C'est peut-être compliqué, mais il fallait que je vous l'explique. Si
18 jamais vous rencontrez un problème, vous me l'indiquez. Nous sommes là
19 également pour trancher tout problème.
20 Il est prévu que vous témoignez toute la journée. Si jamais cette journée
21 ne suffirait pas, il est possible, à ce moment-là, que votre audition se
22 prolonge demain. Je ne peux préjuger de ce qui sera en définitive décidé.
23 Tout dépendra des questions des uns et des autres.
24 Pour éviter de perdre du temps, je me tourne vers l'Accusation, et je leur
25 laisse la parole pour les questions.
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1 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 Interrogatoire principal par Mme Henry-Benjamin :
3 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur le Juge.
4 R. Bonjour.
5 Q. L'Accusation vous a demandé de comparaître ici, en tant que témoin de
6 l'Accusation, afin de parler du rôle que vous avez joué, en tant que juge
7 militaire du tribunal militaire de district. A la lumière de cela, je vais
8 vous poser des questions au sujet des devoirs et des fonctions qui étaient
9 celles du tribunal ou du fonctionnement général du tribunal.
10 Nous savons que vous êtes un professionnel. Nous savons que vous êtes un
11 juge. Je ne vais pas rentrer dans les détails de votre parcours
12 professionnel ou de vos qualifications. Pourriez-vous, s'il vous plaît,
13 dire à la Chambre de première instance à quel moment on a créé ce tribunal
14 militaire de district ?
15 R. Les dates me posent toujours problème. Parfois, je me trompe même pour
16 ce qui est des années et non seulement des mois. Il me semble que c'était
17 en 1992, vers la fin de l'année 1992, par la décision de la présidence de
18 Bosnie-Herzégovine qui, à l'époque, était habilitée à prendre ce genre de
19 décision. Je pense que c'était lors d'une assemblée de Bosnie-Herzégovine,
20 une session de l'assemblée de Bosnie-Herzégovine. Une décision a été
21 publiée dans le journal officiel. La décision portant création du tribunal
22 en question et la décision portant à la nomination des juges de ce
23 tribunal.
24 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, préciser à la Chambre de première
25 instance comment a été créé le tribunal ?
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1 R. C'était peu avant le début de la guerre, au moment du début de la
2 guerre. Le besoin s'est fait sentir de préciser d'une certaine manière la
3 responsabilité des personnes en uniforme, portant uniforme. Pour ce qui est
4 des crimes et délits commis eu égard aux civils ou aux militaires, mais
5 aussi pour ce qui est des civils qui auraient pu commettre des actes quels
6 qu'ils soient, visés à l'Article 20 de l'ex-code pénal de l'ex-fédération
7 yougoslave. Il y avait des discussions à ce sujet. Un groupe de juristes
8 prenaient l'idée que l'on crée des tribunaux militaires, mais militaires
9 uniquement, parce qu'ils allaient poursuivre ou juger des hommes en
10 uniforme. Les lois applicables étaient les lois civiles, qui n'étaient en
11 rien différentes des lois appliquées par des tribunaux civils. Pour ce qui
12 est des procédures en cas de session, ils étaient subordonnés à
13 l'hiérarchie civile. On les a créés selon les districts, mais cette
14 répartition ne suivait pas le découpage administratif du pays dans le sens
15 des compétences administratives de district. Les recours, en deuxième
16 instance, pour ce qui est des décisions ou des jugements en première
17 instance des tribunaux de district, devaient être déposés auprès des
18 tribunaux civils. Par la suite, il y avait une possibilité de recours en
19 cas de session juste en interjetant appel auprès de la Cour suprême de
20 Bosnie-Herzégovine.
21 Lorsque je dis qu'il n'y avait pas concordance entre les tribunaux
22 militaires et la répartition administrative du pays, ceci veut dire qu'un
23 tribunal de district pouvait recouvrir plusieurs municipalités. Celui de
24 Zenica était compétent pour six ou sept municipalités. Je ne suis pas tout
25 à fait certain de leur nombre. Ceci ne correspondait pas à la taille
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1 officielle de district telle que définie d'un point de vue administratif.
2 Parfois, peut-être, il y avait un regroupement absolu. L'idée était que ces
3 tribunaux soient créés dans les localités plus importantes, des centres
4 plus importants où le pouvoir, les autorités étaient capables de les créer
5 à l'époque. Je pense que c'est sous forme de décret qu'on a promulgué cette
6 décision. De toute façon, il y a des traces écrites. On a créé non
7 seulement le tribunal militaire de Zenica, mais aussi celui de Sarajevo,
8 Tuzla, Tesanj, je ne me souviens plus, peut-être.
9 Par la suite, on a décidé de la législation qui allait s'appliquer. En
10 parallèle ou en même temps, la décision de nommer les juges ou la
11 nomination des juges. Au départ, c'était quatre juges, me semble-t-il. Par
12 la suite, le nombre a augmenté. En même temps, on a organisé le bureau du
13 Procureur militaire car, de par la nature de leur travail, ces tribunaux
14 étaient compétents au pénal. D'après la législation en vigueur à l'époque,
15 il fallait que ces tribunaux soient saisis sur l'initiative du procureur.
16 Il fallait bien créer des bureaux du Procureur. Il me semble, qu'à
17 l'époque, il y avait un procureur et son adjoint ou son substitut. Par la
18 suite, l'institution du Procureur s'est développée et a évolué.
19 Q. Il me semble que vous avez répondu déjà par avance à un certain nombre
20 de questions que j'allais vous poser. Vous avez très bien répondu à ces
21 premières questions.
22 Pouvez-vous nous dire quel est le district où vous avez été juge ?
23 R. Avant que je ne sois nommé au tribunal militaire de district depuis le
24 début de ma carrière, j'ai toujours travaillé au tribunal municipal de
25 Zenica. J'étais un débutant d'abord. Par la suite, j'étais un assistant.
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1 Après, je suis devenu juge à la fin. Lorsque j'ai été élu au tribunal
2 militaire de district, j'étais élu aussi, en fait, je ne me rappelle pas
3 exactement du nom, parce qu'on a sans cesse changé de nom. On s'est demandé
4 qui allait être les juges de ces tribunaux de district. A l'époque, il n'y
5 avait pas beaucoup de personnes susceptibles de l'accepter ou compétentes
6 pour le faire.
7 Quant à moi, la situation était un peu bizarre. Je devais commencer à
8 travailler au tribunal régulier. C'était en parallèle qu'il y avait des
9 nominations, à ce moment-là. Le président de ce tribunal m'a envoyé au bout
10 d'un mois ou deux. Je ne me rappelle plus exactement combien de temps s'est
11 écoulé, mais il y a des traces aussi. Il m'a envoyé à l'autre tribunal.
12 J'ai passé la période de 1985 jusqu'à ce que je sois élu en 1985 à ce
13 tribunal. J'ai passé au tribunal municipal.
14 Q. Pouvez-vous nous dire quel est le district où était compétent votre
15 tribunal ?
16 R. C'est le district de Zenica.
17 Q. Quelle était la composition de ce tribunal de Zenica ?
18 R. Au départ, il me semble qu'il y avait quatre juges. Au début, je pense
19 que Zahid Kovac, Hidajet Halilovic. Je ne sais pas qui était le troisième
20 juge à l'époque, au début et moi-même. Il y avait trois Bosniens et un
21 Croate. A l'époque, on essayait d'équilibrer dans toute la mesure du
22 possible la composition ethnique. Par la suite, il y a eu des
23 élargissements. Il y a eu des renforts, de nouveaux collègues sont arrivés,
24 un juge d'appartenance serbe, Mladen Vesljak est venu. Enfin, on était
25 sept, me semble-t-il.
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1 Q. A l'intention de la Chambre de première instance, pourriez-vous nous
2 préciser comment fonctionnait le tribunal, comment siégeaient les juges,
3 les sept juges siégeaient en collège ou comment est-ce que vous
4 fonctionniez ?
5 R. En réalité, c'est la loi qui précisait la manière dont allaient siéger
6 les juges. Les compétences des juges étaient précisées par la loi. Il y a
7 eu quelques modifications par rapport au texte précédent pour ce qui est de
8 l'extension des compétences des juges à titre individuel, c'est-à-dire que
9 là où il y avait des peines prévues allant jusqu'à cinq ans, les juges
10 pouvaient siéger à juge seul. Au-delà de cela, il y avait ce qu'on appelait
11 les petits collèges, petites chambres. La loi précisait qu'il devait y
12 avoir un juge professionnel assisté de deux juges. Pour les crimes les plus
13 graves ce qu'on appelle les grands conseils ou les grandes chambres, il y
14 avait le professionnel, le président de la chambre, un juge professionnelle
15 et trois juges assesseurs. Pour ce qui est du doute, c'était de manière
16 automatique que l'on procédait conformément à la manière dont était rédigé
17 l'acte d'accusation. On savait très bien comment étaient réparties les
18 compétences parce que la loi le précisait.
19 Les dossiers étaient répartis d'une manière aléatoire. Le greffe
20 répartissait les dossiers. Il pouvait y avoir des modifications si on avait
21 l'impression qu'un juge avait été saisi des dossiers beaucoup plus
22 difficiles ou volumineux, du contenu de la situation du fait de la
23 répartition au hasard. Parfois, on pouvait se réunir en collège de tous les
24 juges du tribunal pour se mettre d'accord comment répartir les dossiers de
25 manière plus équilibrée, ou c'est le président du tribunal qui le décidait
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1 pour décharger un juge, en particulier, qui avait reçu une charge trop
2 importante de travail.
3 Q. Vous nous avez dit que c'est par décret qu'on a créé le tribunal. Est-
4 ce qu'il y avait une liste de crimes, délits ou d'infractions pour lesquels
5 le tribunal était compétent ?
6 R. Je crois que c'était précisément la teneur de cette décision. Tout ce
7 que je viens de dire, je le dis avec une certaine réserve, voyez-vous. Il y
8 a des endroits où il était certain que tout cela était réglementé grâce à
9 cette décision, grâce à un autre document. Je crois que cette décision
10 prévoyait bien cela, en effet, la décision relative à la création du
11 tribunal.
12 De façon générale, cette décision portait sur les infractions militaires
13 qui existaient dans le code pénal en vigueur dans l'ex-Yougoslavie par le
14 passé. A l'époque, du temps de l'ex-Yougoslavie, de telles infractions
15 n'étaient pas prévues dans la législation des républiques de l'État.
16 Lorsque je parle des républiques, je parle également de ce qui est devenu
17 des nouveaux états par la suite; des parties de l'ex-Yougoslavie qui
18 concerne également la Macédoine et la Slovénie, qui vont territorialement
19 de la Macédoine à la Slovénie. Quant à ce qu'on appelait le code pénal au
20 niveau fédéral, celui qui était utilisé par les professionnels, je crois
21 que selon l'Article 20, prévoyait que ce tribunal était compétent pour
22 juger de ce type de crimes.
23 Q. Qu'en est-il des catégories de personnes que ce tribunal avait
24 compétence pour juger ? Pourriez-vous nous parler de cela, je vous prie ?
25 R. Il s'agissait des membres de l'armée, des personnes portant uniforme,
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1 avec une seule exception, à savoir, les jeunes gens qui étaient dans
2 l'obligation de rejoindre les rangs de l'armée, qui ne le faisaient pas;
3 ceux qui échappaient à leur devoir d'effectuer le service militaire et ne
4 portaient pas l'uniforme. Le tribunal pouvait exiger d'avoir compétence sur
5 ces hommes également.
6 Cependant, plus de 90 % des affaires jugées par ce tribunal impliquaient
7 des personnes en uniforme. D'ailleurs, le port de l'uniforme qui donnait
8 compétence à ce tribunal pour juger ces hommes. On pourrait définir ce
9 tribunal comme étant un tribunal apte à juger des personnes en uniforme.
10 A Zenica, il est devenu nécessaire de créer un tribunal de ce type, parce
11 que je me souviens qu'au moment où une réunion de la direction de l'État
12 avait été convoquée, quelqu'un m'a invité à y participer. Ce n'était pas
13 une invitation officielle, c'était plutôt à titre amical parce qu'on me
14 considérait comme une personne qui avait certaines aptitudes, la capacité
15 de créer un tel tribunal. Je me souviens très bien qu'un certain nombre de
16 personnes se sont réunies, qui pour la plupart, relevaient de la profession
17 juridique. Je me souviens que, lors de cette rencontre, j'ai présenté mon
18 idée, à savoir que ce tribunal devrait être un tribunal civil, un tribunal
19 tout à fait comparable aux autres tribunaux, que la seule spécificité de ce
20 tribunal devrait résider dans le fait que les personnes portant un uniforme
21 auraient conscience de l'existence de ce tribunal qui leur serait destiné
22 spécialement, qui serait destiné à juger en fonction de poursuites engagées
23 au niveau de l'armée.
24 A cette époque-là, la grande idée, c'était de faire comprendre à tous ceux
25 qui étaient au sein de l'armée, qu'il existait un organisme concernant
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1 aussi bien les civils que les militaires et qui aurait pour tâche tous les
2 auteurs de crimes.
3 Je me souviens qu'à cette rencontre dont je viens de parler, je me suis
4 fermement opposé à l'idée de créer ce qu'il était convenu d'appeler une
5 cour martiale parce que je me suis rendu compte que certains des
6 participants à cette réunion ne distinguaient pas entre une cour martiale
7 et ce que l'on appelle, de façon beaucoup plus normale, un tribunal
8 militaire.
9 Plus tard, certains règlements ont été adoptés à l'intérieur de l'armée,
10 règlements qui prévoyaient ce que prévoient les organismes appelés au
11 niveau international les cours martiales et qui dont portaient sur la
12 responsabilité hiérarchique des commandants. Au sein de l'ABiH, je me
13 souviens que lorsqu'il était question de cette instance, on ne parlait pas
14 de grades inférieurs aux grades de commandants de brigades. Ce tribunal de
15 type qu'on mentionne ne pouvait s'appliquer aux hommes de grades inférieurs
16 qu'en des circonstances tout à fait exceptionnelles. Je crois que c'est
17 bien ainsi que les choses étaient prévues. Dans des circonstances
18 extraordinaires, ces tribunaux pouvaient même prononcer des sentences de
19 peine capitale. Cependant, il y avait tout de même une réglementation qui
20 mitigeait un peu ces dispositions car il y avait possibilité, pour ces
21 tribunaux de type cour martiale, de renvoyer une affaire devant un tribunal
22 militaire normal. Je me rappelle plusieurs affaires qui ont été entendues
23 par notre tribunal où des verdicts prononcés par des tribunaux militaires
24 ont pu être modifiés, y compris d'ailleurs par une déclaration de non
25 culpabilité. C'est ainsi que je considère qu'il est possible de distinguer
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1 entre cour martiale et tribunal militaire normal.
2 Q. Monsieur le Juge, est-il exact que, selon les réglementations émanant
3 de ce tribunal, l'armée n'était censée exercer aucune influence sur ce
4 tribunal, n'est-ce pas ?
5 R. Non. En effet. Vous avez tout à fait raison. L'armée ne devait avoir
6 aucune influence quelle qu'elle soit sur ce tribunal. D'abord, la
7 compétence de ce tribunal lui avait été octroyée par une décision de la
8 présidence. Il était prévu au niveau hiérarchique que ce tribunal puisse
9 juger des responsabilités qui normalement étaient jugées par des tribunaux
10 civils supérieurs. Les tribunaux militaires se situaient en dehors des
11 structures, en dehors de l'organisation de l'armée. La seule chose qui les
12 liait à l'armée c'était la présence de ce mot militaire dans leur
13 dénomination contrairement à l'organisme similaire qui existait du temps de
14 la JNA. Pour de nombreux officiers dans les rangs de l'ex-JNA, cela a
15 suscité une certaine confusion. Mais nous avons insisté sur la nécessité de
16 nous situer en dehors des structures de la JNA.
17 Ces tribunaux étaient censés être civils par nature, civils dans tous leurs
18 aspects, simplement ils étaient censés juger des hommes faisant partie de
19 l'armée. Ils faisaient partie des structures de l'Etat, ils faisaient
20 partie des pouvoirs de l'Etat. Il y avait des autorités militaires, des
21 autorités administratives, des autorités civiles et une ligne de
22 subordination directe partant en haut de la présidence, c'est-à-dire,
23 l'organe qui avait rendu la décision de créer ces tribunaux et qui
24 descendait en bas jusqu'aux tribunaux militaires de districts ou tribunaux
25 militaires régionaux. Quant aux activités professionnelles exercées par les
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1 ressortissants de ces tribunaux, les tribunaux supérieurs étaient des
2 tribunaux civils, des cours d'appel et dans le cas qui nous intéresse, les
3 tribunaux dont nous parlons ici n'avaient rien à voir avec la structure
4 hiérarchique militaire, hormis le fait qu'ils jugeaient des hommes en
5 uniforme, des hommes faisant partie du personnel de l'armée.
6 Q. Merci. Le tribunal militaire de district ou tribunal militaire régional
7 agissait en toute indépendance par rapport à l'armée ?
8 R. Oui.
9 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] J'aimerais que l'on soumette au
10 témoin la pièce à conviction de l'Accusation P325 ainsi que la pièce P327.
11 Q. Prenons d'abord la pièce P327, Article 2.
12 R. Oui.
13 Q. Ce qui figure à l'Article 2, permet-il de corroborer ce que vous venez
14 de nous dire ?
15 R. Oui. "Les tribunaux militaires régionaux sont indépendants dans la
16 réalisation de leurs fonctions judiciaires et rendent des jugements sur la
17 base de la constitution et des lois." C'est ce qu'on lit à l'Article 2, et
18 ce texte est un décret ayant force de loi et portant sur les tribunaux
19 militaires régionaux. Je ne me souviens pas exactement s'il s'agissait
20 d'une loi ou d'un décret de loi mais je vois à présent dans ce texte que
21 c'était un décret loi qui a été adopté par la présidence.
22 A l'Article 7, nous voyons –-
23 Q. Avant de passer à l'Article 7, j'aimerais que vous regardiez l'Article
24 6.
25 R. Je cite : "Les tribunaux militaires régionaux jugent les suspects
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1 d'infractions criminelles commises du personnel militaire ainsi que les
2 suspects de certaines infractions criminelles commises par d'autres
3 personnes comme stipulé par le présent décret loi."
4 Je crois que j'ai déjà parlé de cela. Peut-être que j'ai déjà dit ce qui
5 figure ici peut-être pas dans des mots identiques, peut-être l'ai-je dit
6 dans les mots qui sont les miens. Il est très difficile de se souvenir
7 exactement du libellé de la loi, mais je peux vous décrire, de façon
8 générale, ce que dit la loi.
9 Q. En fait, tout cela a pour but de confirmer ce qui est à l'origine des
10 pouvoirs qui vous ont été octroyés. Il s'agit ici de confirmer que c'est
11 bien ce décret qui vous donnait les pouvoirs qui étaient les vôtres.
12 Si nous regardons maintenant la pièce à conviction P325, je pense qu'elle
13 traite, de la façon dont ce tribunal fonctionnait et dans la façon dont les
14 rapports circulent dans ce tribunal, n'est-ce pas ?
15 R. Le libellé utilisé dans ce décret loi parle de tribunal militaire
16 spécial et si nous remontons dans le passé, j'ai parlé tout à l'heure des
17 cours martiales. Ces cours martiales peuvent également être considérées
18 comme des tribunaux militaires spéciaux. Le mot "spécial" se rapporte à
19 une situation qui exige des mesures spéciales de la part des commandants et
20 je crois que, dans des cas de ce genre, une partie de la compétence est
21 transférée au commandant militaire en raison précisément de ces
22 circonstances exceptionnelles.
23 Je pense que les cours martiales ne sont pas censées intervenir dans des
24 situations où il existe une menace éminente de guerre. Or, c'est cette
25 situation, qui est décrite à l'Article 2, où nous lisons que : "Le Tribunal
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1 dont nous parlons ici est créé sur ordre du commandant d'un régiment, d'une
2 brigade, sur ordre d'un officier ou d'unité militaire de rang équivalent ou
3 supérieur lorsque les conditions n'existent pas pour que les poursuites
4 criminelles soient menées dans le cadre d'un tribunal militaire normal."
5 Ceci porte, par conséquent, sur des situations où il y a des combats et où,
6 pour des raisons de sécurité militaire, il faut que ces poursuites
7 judiciaires soient engagées sans délai.
8 Afin de bien comprendre tout cela, je prendrai l'exemple d'une unité
9 militaire qui se trouve géographiquement très loin d'une ville ou d'une
10 zone habitée et un crime se produit à cet endroit. Afin de poursuivre un
11 quelconque membre de cette unité, il faut bien se rendre compte que, compte
12 tenu des circonstances extraordinaires, qui d'ailleurs sont décrites dans
13 cet article du texte, la tâche est très difficile. En effet, nous parlons
14 ici d'une situation de guerre, d'une situation dans laquelle il y a des
15 combats, et l'unité militaire en question exige que des poursuites
16 judiciaires soient engagées d'urgence. Dans toute l'histoire, bien sûr, je
17 ne suis pas un historien et encore moins historien de l'armée, mais en tout
18 cas, dans des situations de ce genre, c'est-à-dire, au cours d'une guerre,
19 des tribunaux de ce genre ont été créés pour faire régner la discipline au
20 sein de l'armée, atteindre l'objectif final qui est d'empêcher ce que les
21 tribunaux normaux sont censés empêcher en situation normale et de faire
22 régner la loi. Dans l'affaire qui nous intéresse, il n'est question que des
23 hommes qui sont sous les drapeaux et qui se sont rebellés contre leur
24 commandant et qui ont commis des crimes constituant des violations du droit
25 de la guerre ou qui se sont rendus coupables d'exaction. Le tribunal dont
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1 nous parlons n'a compétence que pour juger des hommes en uniforme qui ont
2 commis, par exemple, des viols ou d'autres crimes de sang prévus également
3 dans la législation habituelle.
4 Dans ce genre de situation, il faut rétablir la discipline au sein de
5 l'armée et c'est dans des situations de ce genre que l'on a besoin du
6 tribunal dont nous parlons parce que c'est ce que dit, d'ailleurs,
7 l'article dont nous discutons, l'article du texte que j'ai sous les yeux.
8 Il y est question de présence de combat et de sécurité de l'unité militaire
9 concernée qui exige que des poursuites soient engagées sans délai au pénal.
10 Vous voyez que c'est dans l'intérêt de l'unité que tout cela se passe.
11 C'est l'unité qui doit être protégée. La situation décrite est une
12 situation caractérisée par l'existence de combat. L'objet de la protection,
13 c'est l'unité militaire et, en raison de cela, une mesure extrême a pu être
14 prise, à savoir, la création de cours martiales. J'étais tout à fait opposé
15 à cette éventualité, notamment, en temps de guerre où de très nombreux
16 commandants n'avaient même pas subi une formation militaire digne de ce nom
17 et étaient encore moins, par conséquent, capables, sur le plan juridique,
18 d'apprécier la nécessité de créer une telle instance.
19 Il convient, à mon avis, de manifester le respect qu'ils méritent aux
20 commandants militaires sortant d'une école militaire, aux officiers qui ont
21 été formés et entraînés comme il se doit pour exercer leur profession de
22 militaire, mais, dans une situation de guerre, il faut tenir compte
23 également des hommes qui ont un autre niveau de connaissance, un autre
24 niveau de compétence. Il faut parler de ceux qui ont besoin peut-être, si
25 je puis m'aventurer à émettre cette hypothèse, d'un certain soutien
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1 psychologique. Il faut que les dirigeants soient de bons dirigeants et le
2 respect leur est dû, non en vertu de l'autorité qui leur a été octroyée,
3 mais en vertu de leur capacité à intervenir comme il se doit dans une
4 situation de ce type. Cependant, dans une disposition comme celle que nous
5 venons de lire, il n'est question que de protection au niveau théorique,
6 c'est-à-dire, une protection qui est due en raison de l'exercice d'un
7 pouvoir théorique, d'un pouvoir officiel, alors que, parfois, la
8 possibilité pour que cela se passe n'existe pas dans la pratique.
9 Le pouvoir personnel, qui est exercé dans le cadre de ce pouvoir officiel,
10 peut laisser une marge de manœuvre pour des exactions, et c'est la raison
11 pour laquelle j'ai insisté pour que l'on prête la plus grande attention à
12 la façon dont cette décision serait prise. En effet, je pensais qu'il
13 convenait d'examiner la réalité des personnalités pour que ces pouvoirs
14 puissent, éventuellement, être octroyés ou décernés au niveau du commandant
15 du régiment parce que j'estimais que les commandants de régiments devaient
16 également être les professionnels, des gens formés, des gens ayant suivi
17 une formation dans des écoles militaires. Dans cette formation dispensée
18 par les écoles militaires, je pense qu'il fallait qu'il y ait également une
19 formation juridique.
20 Q. Merci, Monsieur le Juge. Je vous ai posé cette question --
21 [aucune interprétation].
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Je souhaite intervenir pour lever une ambiguïté qui
23 risquerait, si elle n'est pas levée, de compliquer l'examen de cette
24 juridiction militaire. Je vais m'adresser au témoin.
25 On vous a présenté deux documents, l'un qui crée le tribunal militaire, et
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1 un second, qui crée ce que vous appelez, vous, les cours martiales. Les
2 deux décrets de loi ont été pris le même jour, mais j'ai vérifié, ils n'ont
3 pas été pris sous le même numéro. Les cours militaires, c'est le numéro
4 1276, du 13 août 1992, alors que le texte, qui figure à la cote P325, porte
5 le numéro 1278.
6 Monsieur le Juge, le texte, que l'Accusation vous a présenté, le décret de
7 loi sur les cours militaires spéciales, ce que vous appelez, vous, cour
8 martiale, ces cours sont constituées par un ordre du commandant. A Zenica,
9 cela ne pouvait être que le commandant du 3e Corps. Est-ce qu'il y a eu la
10 constitution de cette juridiction spéciale ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai indiqué la différence qu'il y avait entre
12 ce que j'appelle des cours militaires "régulières" et ces cours
13 "spéciales". J'ai intentionnellement utilisé le terme de cour martiale car,
14 de façon générale, on a l'habitude de les nommer cours martiales, et il y a
15 toujours un lien entre ces cours et l'armée.
16 Mais tout homme, ayant au moins le grade commandant de régiment ou de
17 brigade, était, par ce décret de loi, autorisé à créer un tribunal de ce
18 genre. Je me souviens que, dans la cour militaire régionale de Zenica, une
19 plainte a été examinée ou je ne me souviens même plus si le procès a eu
20 lieu --
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous ne répondez pas à ma question, qui est très
22 précise. Est-ce que, sur le fondement de l'Article 2 de ce texte, le
23 commandement du 3e Corps a créé cette juridiction ? C'est oui ou c'est non.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'efforçais de faire toute la clarté sur ce
25 qui pouvait être considéré comme la base de création d'une cour militaire
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1 spéciale.
2 Je me souviens très bien de cette affaire, qui est arrivée devant la cour
3 militaire, qui corrobore la déclaration de l'Accusation selon laquelle les
4 cours spéciales n'avaient rien de tribunaux parallèles. C'étaient des
5 tribunaux qui faisaient partie de la hiérarchie des tribunaux existants. En
6 appel, une décision d'un tel tribunal pouvait être renversé par un tribunal
7 régulier entre guillemet ou normal.
8 Je crois me souvenir que c'était une affaire qui portait sur la région de
9 Breza. Le verdict dans cette affaire avait été la peine de mort. Je crois
10 que c'est un commandant qui était à l'origine de tout cela. Je ne sais pas
11 à quel tribunal appartenait ce commandant, parce que je ne me souviens plus
12 de la répartition territoriale dans cette affaire. Je sais simplement que
13 l'affaire en question est arrivée devant la cour militaire de Zenica. Cela
14 ne doit créer aucune confusion dans votre esprit parce que, si la cour
15 militaire de Zenica a pu entendre cette affaire, cela ne signifie pas que
16 cette affaire est arrivée du 3e Corps qui était présent à Zenica. Pourquoi
17 est-ce que ce serait le cas ? Il n'y a aucun lien entre les deux choses.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Juge, ma question était très précise.
19 Elle s'appuyait uniquement sur le texte dont je vous ai donné la référence.
20 Dans ce texte que vous avez sous les yeux, il est dit à l'Article 4, que la
21 décision, qui établit cette cour martiale, vous la baptisez vous de cour
22 martiale, il y a le nom, la composition de la cour, mais à la différence
23 des juges qui sont nommés par la présidence, c'est le commandant qui nomme
24 les juges et le procureur.
25 Ma question était de savoir si vous, à Zenica, vous avez à un moment donné
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1 été désigné conformément à cet Article 4 par le commandant du 3e Corps, ou
2 que cette cour spéciale n'a pas existé ? A-t-elle existé ou n'a-t-elle pas
3 existé ? C'est simple.
4 R. Par le biais de ce procès, dont j'ai parlé tout à l'heure, on voit
5 qu'une cour militaire spéciale a été créée en rapport avec une certaine
6 unité militaire sur le terrain, en rapport avec une certaine brigade ou un
7 certain régiment. C'est une indication qu'un certain commandant a fait
8 savoir qu'il créait un tribunal au nom de, et là, j'imagine que vous nous
9 donnez un exemple illustratif.
10 "Au nom de, par exemple, de la 1e Brigade du 1er Corps d'armée, moi,
11 en ma qualité de commandant, j'ai créé une cour militaire. Il aura
12 compétence sur les commandants des unités sous mes ordres, c'est-à-dire, le
13 commandant du 1er Bataillon, du 2e Bataillon, du 3e Bataillon, cette cour
14 jugera tel ou tel homme parce que nous n'avons pas accès dans les
15 circonstances actuelles aux cours militaires régionales normales."
16 Je me souviens que cette situation a existé et qu'un commandant d'une unité
17 a, effectivement, créé un tel tribunal spécial parce qu'il ne pouvait pas
18 avoir accès au tribunal militaire normal. Si je me souviens bien, cela
19 s'est passé dans la région de Breza qui se trouve à 30 ou 40 kilomètres de
20 Sarajevo. Je sais qu'à cet endroit-là, il y a chevauchement de trois
21 juridictions, de trois corps d'armée, 1er, 2e et 3e Corps d'armée. Il est
22 possible que cette affaire ait été entendue également par la cour de
23 Sarajevo ou par la cour de Zenica. C'est arrivé ce genre de chose. On peut
24 d'ailleurs en trouver mention dans les archives de ces tribunaux. Je crois
25 que, dans plusieurs archives de plusieurs tribunaux, on trouvera trace de
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1 cette affaire. Je me souviens que la peine de mort a été évoquée. Je
2 travaillais à cette époque-là dans ma profession et j'estimais que l'homme
3 n'était pas coupable parce que les gens, qui l'ont jugé, étaient des
4 imbéciles.
5 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Je vais vous poser une question,
6 Monsieur le Juge, parce que je pense qu'il y est une certaine confusion
7 dans les débats qui se mènent ici. Nous parlons d'une cour militaire
8 régionale. Le décret relatif à ce type de tribunal vous a été soumis. Il y
9 est écrit que les cours militaires régionales sont indépendantes, et vous,
10 vous apparteniez à un tribunal de cette nature, n'est-ce pas ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
12 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Un autre décret existe, qui porte sur
13 les cours militaires spéciales. Vous avez parlé de cours martiales, donc
14 cours militaires spéciales qui s'occupent de problèmes disciplinaires qui,
15 à l'époque, pouvaient être des infractions criminelles. La question qui se
16 pose --
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
18 M. LE JUGE SWART : [interprétation] La question qui se pose est de savoir
19 si ces cours militaires spéciales ou, dans votre terminologie, ce que vous
20 appelez ces cours martiales ont été créées oui ou non. Vous pensez que oui,
21 n'est-ce pas ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans un cas précis, je me souviens qu'il a été
23 fait référence à ce type d'institution. Je pense qu'il y a des écrits qui
24 étayent ces faits.
25 M. LE JUGE SWART : [interprétation] Qui traite de cours militaires
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1 régionales dont vous étiez membre, vous étiez l'un des membres, l'une des
2 personnes qui travaillait dans ces tribunaux. Le décret 250 porte sur les
3 cours militaires spéciales ou ce que vous appelez les cours martiales.
4 C'est bien la situation, n'est-ce pas ?
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Je ne suis pas plus éclairé, mais je vous laisse la
7 parole. Continuez.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi. S'il était possible d'utiliser un
9 tableau, je pourrais aisément vous présenter la structure. Si cela peut se
10 faire sur le plan technique, si je peux me servir d'un tableau, un tableau
11 noir, je pourrais vous montrer cela plus clairement.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : On n'a, malheureusement, pas prévu ce cas, mais nous
13 y reviendrons certainement. Poursuivez.
14 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Peut-être pourrait-on demander au
15 témoin de poser une feuille de papier sous le rétroprojecteur. Elle
16 pourrait vous faire ce croquis.
17 R. Je pourrais fort aisément le faire.
18 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Oui. Donnons une feuille de papier au
19 témoin.
20 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je ne veux pas
21 m'immiscer dans le décours de l'interrogatoire principal mené par mon
22 estimée consoeur, mais il se pourrait que je connaisse mieux la loi en
23 vigueur. Nous pourrons peut-être éclairer davantage ce problème au moment
24 du contre-interrogatoire. Si vous avez sentiment que ce serait là la bonne
25 chose à faire, je pourrais évoquer cette question au cours de mon
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1 interrogatoire pour faire une économie de temps maintenant.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : J'étais sûr que vous éclairciriez ce problème. Cela
3 n'empêche, le témoin peut nous faire un croquis très rapide de ce qu'à son
4 sens, il existait comme juridiction à l'époque.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans le cadre des tribunaux civils réguliers,
6 il y avait la Cour suprême au sommet. A un échelon médian, il y avait les
7 tribunaux régionaux ou de grandes instances, et vous aviez ce qu'on
8 appelait les tribunaux municipaux. Enfin, c'était la structure pour les
9 tribunaux civils.
10 S'agissant des tribunaux militaires, ce décret, qui porte le numéro
11 P237, décret de loi portant sur les tribunaux militaires régionaux,
12 présentait l'organisation d'un seul type de tribunal, un tribunal militaire
13 régional. Nous avons expliqué que seul était jugé le personnel militaire.
14 En appel, le dossier était transféré aux tribunaux civils régionaux ou
15 tribunaux supérieurs civils. En vertu de la procédure envisagée, cela
16 pouvait aller jusqu'à l'échelon de la Cour suprême. Voilà comment se
17 présentait la hiérarchie, la subordination et les liens entre les tribunaux
18 militaires et les tribunaux civils. Voilà comment se présentait la
19 situation en condition régulière.
20 Vous avez ici un versant un peu plus sombre de la situation. C'est ce qui
21 se passe en temps de guerre en dehors de zones civiles dans des conditions
22 extraordinaires lorsqu'il n'est pas possible de franchir ces frontières,
23 parce qu'il y a des distances qui l'empêchent parce qu'il y a des
24 opérations de combat, parce que les tribunaux ne sont pas accessibles. Dans
25 de telles circonstances, le commandant, l'échelon le plus bas étant celui
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1 de la brigade, ce commandant peut constituer un tribunal militaire spécial
2 ou ce que j'ai appelé une cour martiale. Il va désigner des officiers
3 faisant partie de l'armée, qui vont avoir la fonction de juges et qui
4 constitueront une chambre. Ce ne sont pas des juges qui sont désignés par
5 la présidence, ce sont des juges qui sont sélectionnés par le commandant de
6 la brigade. Ces hommes vont prendre une décision. S'il n'est pas possible
7 d'avoir accès aux tribunaux réguliers du fait des obstacles qui s'y
8 opposent, à ce moment-là, la loi prescrit les modalités d'exécution d'une
9 telle décision. Dès qu'il est possible de franchir ces frontières, s'il n'y
10 a pas de bois, s'il n'y a pas de distances excessives, s'il n'y a pas
11 situation d'exception, si les routes sont libres, à ce moment-là, ce
12 dossier est renvoyé à un tribunal militaire régulier, lequel va se saisir
13 de l'affaire en révision pour voir si le commandant militaire qui était un
14 juge non professionnel, forcé de devenir juge de terrain, a bien pris la
15 bonne décision. C'est la raison pour laquelle on parle de cours spéciales
16 ou extraordinaires, cours ad hoc. C'est la raison pour laquelle je vous ai
17 fait une présentation assez rudimentaire pour dire que ce commandant
18 militaire qui était peut-être excellent, en tant que commandant militaire,
19 a, effectivement, été un imbécile, en condamnant à mort la personne qu'il
20 jugeait, qu'il a exagéré manifestement.
21 C'est la raison pour laquelle j'ai dit que j'étais opposé à la formation de
22 tels tribunaux, parce qu'il vous faut des gens qualifiés qui sauront
23 comment agir en urgence.
24 Lorsque ce dossier, cette affaire est transmise à un tribunal militaire
25 régulier, une fois de plus, au cours du processus de jugement, il peut y
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1 avoir appel, et il peut avoir renvoi à une juridiction supérieure de ce
2 même dossier.
3 Je vous ai tracé une ligne de séparation pour montrer une situation
4 d'urgence d'un côté à droit. Ceci permet la constitution de tribunaux
5 provisoires ad hoc qui sont prévus par le décret qu'on a à la pièce 325. Ce
6 sont des tribunaux réguliers constitués par la présidence. Les affaires
7 dont ces tribunaux sont saisis, sont vérifiées par une procédure régulière,
8 par des tribunaux civils. J'espère que ceci vous a aidé.
9 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation]
10 Q. Je pense que vous nous avez aidé. Dites-moi, si je me trompe, je pense
11 que la pièce P325, et là, le tribunal militaire spécial qu'il prévoit,
12 n'est constitué que lorsqu'il y a situation extrême. Ce n'est pas un
13 tribunal régulier. Est-ce que j'ai raison de penser de la sorte ?
14 R. Oui.
15 Q. Dites-nous si c'est le cas ou pas.
16 R. Oui, tout à fait.
17 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Je pense que nous n'avons plus besoin
18 de ce document. Pourriez-vous l'enlever.
19 Q. Nous avons évoqué la question de la constitution et de la compétence.
20 Pourriez-vous maintenant aider les Juges de la Chambre en leur disant
21 comment les juges fonctionnaient ? Est-ce que vous étiez saisis de plaintes
22 ? Est-ce que vous avez mené des enquêtes ? Comment avez-vous travaillé pour
23 ce qui est de l'administration de la justice et des tribunaux ?
24 R. Le système était simplement repris du système civil tel qu'il s'était
25 appliqué en ex-Yougoslavie. Il n'y avait pas de procès sans acte
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1 d'accusation, sans mise en accusation, et l'enquête, l'instruction était
2 menée par le Juge d'instruction, ce qui est en parfaite concordance avec le
3 système français traditionnel. Les organes de recherche, c'était la police.
4 Pour un tribunal militaire cela pouvait être la police régulière, mais
5 aussi la police militaire. Il importait peu de savoir qui allait fournir
6 les informations dans le cadre de la recherche.
7 S'agissant des forces de l'ordre, les organes chargés d'appliquer la loi,
8 c'était le bureau du Procureur -- excusez-moi, ceux qui délivraient l'acte
9 d'accusation, c'était le procureur militaire. L'organe des poursuites,
10 c'était le procureur militaire qui délivrait ces actes d'accusation, et le
11 tribunal militaire était saisi de l'affaire.
12 Pour préparer un acte d'accusation, c'était nécessaire dans la plupart des
13 cas, il fallait diligenter des enquêtes. Le procureur s'adressait au juge
14 d'instruction en lui demandant l'autorisation de mener une enquête. Ce juge
15 d'instruction statuait, décidait de l'opportunité d'une enquête ou pas. Si
16 une enquête confirmait des motifs plausibles de confirmer et réunir
17 suffisamment d'éléments de preuve pour dire qu'il y avait plus qu'un doute
18 raisonnable, effectivement, à ce moment-là, l'acte d'accusation était
19 présenté au tribunal. Comme je vous l'ai dit, d'après ce croquis, c'était
20 assigné à un juge seul ou à un président d'une chambre quelle soit petite
21 ou grande, s'appliquait le système continental classique du procès, du
22 jugement.
23 Les procès étaient publics. La loi prévoyait la possibilité d'huis clos
24 afin d'assurer la protection de mineurs d'âge ou en présence d'intérêts
25 spéciaux visés par la loi.
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1 Un jugement était prononcé comme le prévoyait la procédure pénale. Il ne
2 pouvait y avoir appel, puisque les conseils de la Défense intervenaient de
3 façon active dans la procédure en dépit des conditions de guerre. Tout du
4 moins, dans le tribunal régional de Zenica, il n'y a pas eu de procès sans
5 défenseurs, ce qui veut dire que les droits de l'homme étaient protégés,
6 respectés. Au bout du compte, le tribunal supérieur, un tribunal civil, que
7 ce soit au niveau de la région, au niveau de la grande instance ou à un
8 échelon supérieur, c'était cette instance qui se prononçait et statuait de
9 façon définitive et déterminait les décisions.
10 Les tribunaux civils appliquaient les décisions d'autres tribunaux pour ce
11 qui est de l'exécution des peines. Nos décisions, nos jugements étaient
12 envoyés à l'instance chargée de l'application des peines.
13 Ce qu'il y avait de particulier, c'était la participation de la police
14 militaire. Parce que les tribunaux civils pouvaient avoir recours à la
15 police civile, mais pas la police militaire, alors que nous, ils nous
16 étaient possible d'y avoir recours à la police militaire, elle aussi. En
17 effet, dans le cadre du corps d'armée, il y avait toujours une unité de
18 police militaire qui avait pour vocation d'être au service du tribunal, de
19 la cour; en d'autres termes, d'exécuter les décisions prises par ce
20 tribunal pour ce qui est de la sommation des personnes pour ce qui est de
21 la recherche d'individus ou encore d'arrestation. Même si je n'aime pas
22 beaucoup ce terme, c'est souvent comme cela que cette phase est appelée.
23 La police militaire avait également pour obligation, puisque c'était un
24 organe de police par définition, elle avait pour obligation de découvrir
25 les auteurs d'infractions pénales au sein de l'armée. C'est ce que
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1 faisaient aussi des organes de sécurité dans l'armée. Je pense que ceci
2 mérite une petite explication. En effet, il y avait certains chevauchements
3 de leurs compétences.
4 Toute force de police a le devoir de découvrir des auteurs d'infractions et
5 de transférer ces renseignements aux organes de poursuite. Même si ces
6 informations étaient transmises au tribunal, ce tribunal renvoyait ces
7 informations au procureur. C'est comme cela que le système fonctionnait.
8 Nous n'avions pas nos propres forces de police, mais nous nous servions de
9 la police du corps d'armée, laquelle se chargeait aussi de la détention
10 provisoire utilisée par le tribunal militaire régional. Les individus
11 étaient amenés par la police militaire dans ces lieux de détention et c'est
12 là qu'elle les gardait.
13 Q. Monsieur le Juge, qu'en est-il des civils ? Est-ce que vous étiez à
14 même ici de vous saisir de plaintes reçues par des civils ordinaires ?
15 R. Oui. Le bureau des poursuites militaire était saisi de plaintes d'où
16 qu'elles viennent. Il faut opérer une distinction entre l'obligation de
17 recherche d'auteurs présumés et la personne qui dépose une plainte ou une
18 personne qui fait rapport de doutes qu'elle a, pensant que des infractions
19 pénales ont été commises. La police s'en occupe, de façon professionnelle,
20 et cette plainte au pénal est transmise à l'organe des poursuites;
21 cependant, se sont présentés des cas, où des individus sont venus aux
22 tribunaux pour faire état d'infraction pénale. Si c'était le cas, nous les
23 envoyions au bureau du Procureur chargé des poursuites, la saisine de
24 telles plaintes, mais, au fond, la procédure est la même. En effet, le
25 procureur va se tourner vers la police pour qu'elle vérifie les choses ex
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1 posteriori. Ce n'est pas la police qui va être saisie directement de la
2 plainte. C'est au procureur que ceci revient. C'est le procureur qui va
3 recevoir cette information et qui va demander à la police de vérifier les
4 choses. Mais, finalement, cela revient au même parce que le procureur va
5 vérifier des doutes qu'il peut y avoir et qui peuvent avoir été transmis
6 d'infractions pénales qui ont été commises.
7 Q. Les juges du tribunal militaire régional, est-ce qu'ils ont, en
8 personne, effectué des enquêtes ? Je veux dire : est-ce que vous,
9 personnellement, vous êtes parti sur le terrain ? Est-ce que les juges
10 avaient le droit de mener, à titre individuel et seul, des enquêtes ?
11 R. En fait, le devoir qui revient, de façon précise, à un juge
12 d'instruction, au moment où il recueille des éléments d'information, après
13 avoir appris qu'une infraction pénale a été commise, pour que les preuves
14 recueillies soient valables de droit dans la procédure judiciaire, cela
15 doit être consigné, répertorié par le juge d'instruction sous forme
16 d'enquête sur les lieux. Ce qui veut dire que le juge va sur les lieux de
17 l'infraction, et dresse un rapport constat de l'enquête menée, consigne les
18 éléments de preuve qui vont être utilisés plus tard au cours de la
19 procédure. C'est à cela que cela revient.
20 Un exemple : si vous avez une affaire uniquement civile, il y a eu un
21 accident de circulation, plusieurs tués, en résulte que la police informe
22 le juge d'instruction, pendant les heures ouvrables, et en dehors des
23 heures ouvrables, c'est le juge de permanence qui est habilité à agir, en
24 tant que juge d'instruction. C'est lui qui va se rendre sur les lieux,
25 procéder à une inspection, recueillir des éléments de preuve, photographier
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1 les lieux, consigner tout ce qui a été trouvé sur ces lieux, et, en
2 particulier, des éléments qui seront déterminantes pour établir la
3 culpabilité.
4 Ce rapport signé du juge sera transmis à l'organe des poursuites au bureau
5 du Procureur. Celui-ci va déterminer, à ce moment-là, s'il y a des raisons
6 de penser qu'il y a eu commission d'une infraction pénale. Si ce procureur
7 estime que ces raisons ne sont pas présentes, c'est à lui que revient cette
8 décision. Il ne va pas lancer une action. Il ne va pas mettre en branle la
9 machine judiciaire. Mais s'il estime que c'est le cas, il va demander au
10 juge d'instruction l'ouverture d'une enquête, d'une information. Ce juge
11 d'instruction rend une décision sur la tenue éventuelle d'une enquête, et
12 c'est lui-même qui va effectuer cette enquête, suite à une demande faite
13 dans ce sens par le procureur.
14 Le juge est lié par la demande faite par le procureur. Il va citer, il va
15 appeler ces témoins que propose le procureur, il va consigner les éléments
16 de preuve, les recueillir, mais ce juge peut faire un pas de plus dans
17 l'intérêt de la bonne tenue de l'enquête. Il pourrait, en personne, appeler
18 des témoins qui, de son avis, permettraient de jeter toute la lumière sur
19 l'affaire.
20 Au début de mon audition, M. le Président de la Chambre m'a mis en garde
21 s'agissant des droits et des obligations qui valent ici. Je peux vous dire
22 que la procédure, je veux dire que je viens de décrire, elle est abandonnée
23 en Bosnie-Herzégovine. Maintenant, nous avons la procédure qui semble être
24 celle qui prévaut ici, d'après les indications données par le Président.
25 Nous avons un interrogatoire principal, un contre-interrogatoire. Nous
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1 avons fusionné les deux systèmes, le système romano-germanique et le
2 système britannique, dans nos tribunaux réguliers. Il n'y a plus de juges
3 d'instruction. En effet, l'enquête est menée en Bosnie-Herzégovine par le
4 procureur.
5 Q. Je vous remercie.
6 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Est-ce que le moment se prête bien à
7 une pause, Monsieur le Président ?
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui. Il est 10 heures 25. Nous allons faire la pause
9 technique. Nous reprendrons, à 11 heures moins cinq, la continuation.
10 --- L'audience est suspendue à 10 heures 25.
11 --- L'audience est reprise à 11 heures 00.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : L'interrogatoire continue. Madame Benjamin, je vous
13 redonne la parole.
14 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
15 Q. Monsieur le Juge, avant la pause, vous avez mis en exergue la situation
16 eu égard au civil. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous citer un exemple
17 qui concernerait les militaires ?
18 R. Vous souhaitez entendre un exemple de procès intenté à l'encontre d'un
19 militaire.
20 Q. Vous nous avez décrit ce qui se produisait lorsque la plainte émanait
21 d'un civil, et vous avez précisé en détail comment vous agissiez, en tant
22 que juge d'instruction. Pouvez-vous nous préciser ce qui se passait lorsque
23 la procédure engageait un militaire ?
24 R. La procédure était à peu près la même, sauf que la personne qui portait
25 plainte était la personne qui est habilité, conformément à la loi, de le
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1 faire.
2 A savoir d'engager une procédure à l'encontre d'un auteur d'infractions. La
3 police apprenait qu'un crime avait été commis ou une infraction et qu'il y
4 avait des doutes fondés permettant de penser qu'un tel acte avait été
5 commis. On préparait cela sous forme de plainte pénale et on transmettait
6 cela au procureur. Par la suite, le procureur engageait toutes les mesures
7 qu'on a évoquées lorsqu'il venait d'être informé de la commission d'un acte
8 criminel.
9 La différence principale, pour ce qui est des plaintes émanant des
10 structures civiles des citoyens, la différence principale c'est celle qui
11 concerne les obligations. La police était tenue -- était obligée de
12 rechercher, d'identifier les auteurs d'infractions, et elle ne pouvait pas
13 passer sous silence une telle information ou plainte émanant des citoyens.
14 A chaque fois que la police, sur la base de ces plaintes ou sur la base de
15 ses propres informations, apprenait quelque chose, il fallait qu'elle
16 exécute, qu'elle engage des mesures. Il y avait des degrés différents quant
17 à l'appréciation de la nécessité d'engager une procédure. Mais il est tout
18 à fait clair que les infractions ne pouvaient être cachées, que des
19 poursuites devaient être engagées.
20 Une exemple, une information, par exemple, faisant état d'un crime grave
21 qui aurait été commis du genre meurtre, viol, lorsqu'il s'agit de vol
22 aggravé, d'attaque grave à l'intégrité physique, quelqu'un devait engager
23 la procédure et, au premier chef, c'était la police, qui était l'organe de
24 poursuite et, par la suite, intervient le procureur et, ensuite, c'est le
25 juge.
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1 Q. Je vous remercie, Monsieur le Juge. Pour revenir un instant à quelque
2 chose que nous avons déjà évoqué et je tiens à le préciser. Pendant que
3 vous avez été juge d'instruction au tribunal régional militaire de Zenica,
4 est-ce que vous avez jamais appris que le 3e Corps dans cette zone avait
5 créé un tribunal militaire spécial ?
6 R. Il est difficile de l'apprécier aujourd'hui. Je n'ai pas à ma
7 disposition les informations qui concernent la situation des opérations de
8 combat sur le terrain. Car il ressort de ce décret et de son Article 2
9 qu'il convient qu'un certain nombre de conditions soient réunies, c'est de
10 manière cumulative que c'est stipulé.
11 Je me souviens d'un cas -- je me souviens bien d'une affaire dont a été
12 saisi le tribunal. En cette occasion-là, le commandant a estimé qu'il
13 convenait de créer un tribunal militaire spécial, même si je maintiens qu'à
14 cette occasion-là, il a commis une erreur grave car la gravité de
15 l'infraction ne correspondait pas à une peine de mort et nous l'avons
16 corrigé par la suite. Mais je m'appuie là-dessus pour dire que, si un
17 commandant l'a fait, j'estime qu'il est probable qu'il était possible et
18 parfois indispensable de créer des tribunaux militaires spéciaux, en
19 situation de guerre, cause de la nature extraordinaire de la situation.
20 Compte tenu de ces rapports qui étaient disponibles à tout le monde, on
21 voit qu'il y eu des combats menés en Bosnie-Herzégovine à des endroits
22 inaccessibles. Quant à savoir si d'un point de vue militaire, il y avait
23 des situations, où l'accès était limité aux tribunaux réguliers. Il
24 faudrait se pencher sur des rapports de combat et rédiger par des unités.
25 Si l'on voit que les autorités civiles ou militaires étaient inaccessibles,
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1 les tribunaux militaires, fonctionnant dans le cadre de la structure
2 civile, si ces détails existent, il est évident qu'il y avait lieu -- il y
3 avait le besoin de créer des tribunaux militaires spécifiques, spéciaux.
4 Q. Je vous remercie, Monsieur le Juge. Dans le fonctionnement du tribunal
5 militaire régional et, en particulier, de celui de Zenica, à un moment
6 quelconque, le tribunal a-t-il été rattaché au
7 militaire ?
8 R. Il faudrait que je le précise parce qu'une réponse toute simple -- un
9 oui tout simple pourrait vous induire en erreur. Pendant une période
10 donnée, le tribunal militaire n'a pas pu exister pour des raisons
11 logistiques. Par conséquent, en fait, c'était pendant cette période de la
12 guerre, il n'y avait pas de vivres, pas d'eau courante, pas d'électricité,
13 enfin, les infrastructures de base. Il n'y avait pas de papier, il n'y
14 avait pas de moyens permettant de travailler et, à l'époque, la priorité
15 allait à l'armée. Il fallait garantir tous les moyens nécessaires à la
16 défense, c'était cela la priorité. Il fallait que l'armée ait à sa
17 disposition ce qui lui était nécessaire, quelles que soient les quantités,
18 c'était cela la priorité.
19 La présidence, pour maintenir les tribunaux militaires en fonctionnement, a
20 pris une décision -- a décidé d'intégrer les tribunaux militaires dans
21 l'organisation de l'armée. Mais, dans un seul segment, l'armée était tenue
22 de maintenir le fonctionnement des tribunaux militaires. Si on avait besoin
23 de papier, il fallait qu'on nous le fournisse. Si on avait besoin de
24 courant, il fallait qu'on en ait. Les vivres de même, si on avait besoin de
25 quelque chose, qui est indispensable à la vie littéralement, là, l'armée
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1 devait nous le procurer. Cependant, jamais n'a-t-on pris la décision
2 consistant à subordonner les tribunaux militaires, au sein de la hiérarchie
3 militaire, par exemple, que le tribunal militaire soit rattaché à l'armée
4 et que le commandement militaire soit le commandement du tribunal
5 militaire. Les tribunaux sont restés indépendants, autonomes, par rapport à
6 l'armée, sauf qu'à partir de ce moment-là, pour ce qui est de nos besoins
7 vis-à-vis de l'État et de la présidence, on réclamait ce dont nous avions
8 besoin à l'armée. L'armée s'exécutait. Elle répondait à nos demandes,
9 conformément aux requêtes qui étaient présentées -- aux demandes qui
10 étaient présentées par les présidents des tribunaux.
11 Q. Pendant cette période-là, pendant que les tribunaux étaient rattachés à
12 l'armée, pouvez-vous nous aider, en nous disant si, à un moment quelconque,
13 l'indépendance des tribunaux a été entachée ou mis en péril ?
14 R. Il y a eu des tentatives de la part des commandants militaires qui
15 n'avaient pas compris la situation. L'un des commandants de corps d'armée -
16 - un exemple, je vais en parler -- il a téléphoné au juge et il lui a dit
17 quelle était la peine qu'il convenait de prononcer dans quelques affaires,
18 afin de renforcer la discipline militaire. Le juge en question a refusé de
19 suivre ce qu'il lui avait été dit et, finalement, c'est le juge qui a été
20 la victime de ceci et non pas l'officier haut gradé qui en était à
21 l'origine, mais cette tentative de s'immiscer dans les affaires judiciaires
22 n'a pas eu du succès.
23 Q. Je vous remercie. Monsieur le Juge, je voudrais que l'on avance et que
24 l'on passe aux exemples précis qui permettront à la Chambre de comprendre
25 comment fonctionnaient les tribunaux militaires régionaux. Vous nous avez
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1 dit qu'il vous est arrivé de vous rendre sur le terrain pour mener vos
2 propres enquêtes. Ma question, tout d'abord, sera la suivante : où étiez-
3 vous situé physiquement d'un point de vue géographique ?
4 R. Zenica est située au centre de Bosnie-Herzégovine, à 70 kilomètres à
5 peu près au nord de Sarajevo. C'est le centre de la région de Zenica. C'est
6 une ville qui avait avant la guerre environ 120 000 habitants, une
7 industrie lourde très développée puisque c'est le centre de cette région.
8 Le besoin s'est fait sentir de créer un tribunal. D'ailleurs, la tradition
9 des tribunaux civils dans cette zone est très longue. Pendant de nombreuses
10 années auparavant à cet endroit, il y avait le tribunal civil régional. Une
11 population très importante dans les localités aux alentours dépend aussi de
12 ce centre. Entre Doboj et Sarajevo, c'est l'agglomération la plus
13 importante. Doboj est plus au nord, 60, 70 kilomètres à peu près vers la
14 rivière Sava ou plutôt vers la Croatie et plus loin vers la Hongrie.
15 Q. Si je vous ai bien compris, le tribunal était situé dans la ville même
16 de Zenica ?
17 R. Au centre même de la ville.
18 Q. Je vous remercie. Vous-même, vous étiez prêt de l'école de musique de
19 Zenica ? Votre tribunal était-il près de cette école ?
20 R. C'était près dans la mesure où on pouvait voir, de notre fenêtre,
21 l'école de musique de Zenica. C'était à 100, 150 jusqu'à peut-être 300
22 mètres. On pouvait voir l'école du tribunal.
23 Q. La période, à laquelle je me réfère plus particulièrement, maintenant,
24 est celle qui est couverte par l'acte d'accusation, à savoir, entre le mois
25 de janvier 1993 et le mois de février 1994. En tant que juge d'instruction,
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1 à un moment quelconque, avez-vous reçu des plaintes émanant des civils, eu
2 égard à l'école de musique de Zenica ?
3 R. A plusieurs reprises, mais ce n'était pas d'une manière officielle. En
4 fait, les gens venaient se renseigner au sujet de leurs proches. Ils
5 venaient demander au tribunal de les aider. Ils affirmaient que leurs
6 proches avaient été emmenés à l'école de musique de Zenica, d'après les
7 informations qu'ils avaient. Lorsque cela se produisait, lorsque ce genre
8 de "plaintes" était présenté, je n'étais pas le seul à les entendre. Il y
9 avait d'autres juges du tribunal qui ont entendu cela et on les envoyait au
10 procureur militaire pour faire une déclaration, pour décrire la situation,
11 qui ils recherchaient ou quelle était la source de nos informations, que
12 ces gens avaient été emmenées par des membres de l'ABiH.
13 On exigeait que la procédure régulière soit engagée en se fondant sur les
14 doutes présentés par les personnes qui venaient en parler. Ce n'était pas
15 un cas isolé. Je ne pouvais pas dire s'il y en a eu deux, cinq, dix ou 1
16 000, mais il y en a eu un certain nombre. Ce n'était pas quelque chose
17 d'inconnu pour nous au tribunal. Tout le monde était au courant.
18 Q. En tant que juge du tribunal militaire régional, vous aviez des
19 pouvoirs qui étaient assez étendus. Vous avez dit qu'à un certain moment
20 vous vous êtes rendu sur le terrain, en tant que juge d'instruction. Vous
21 est-il jamais arrivé de vous rendre à l'école de musique de Zenica pour y
22 mener une enquête ? Vous n'êtes jamais allé à cet endroit pour voir ce qui
23 se passait ?
24 R. On ne pouvait pas entrer à l'école de musique de Zenica. La sécurité
25 était assurée par l'armée. A plusieurs reprises, j'ai fait connaître mon
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1 intérêt de m'y rendre, mais ceci n'a pas pu se faire. Il fallait recevoir
2 l'autorisation de la part de l'armée; cependant, le juge d'instruction a
3 compétence fonctionnelle lorsqu'une procédure est engagée par le procureur.
4 Lorsqu'il n'y a pas de dossier ouvert, d'après le système accusatoire, le
5 juge d'instruction n'a pas de pouvoir. Il peut voir lui-même de ses propres
6 yeux qu'un meurtre a été commis dans la rue, par exemple, mais il ne peut
7 pas engager la procédure. La seule chose qu'il peut faire, c'est initier
8 auprès du procureur, que le procureur lui-même engage la procédure. Nous,
9 on envoyait au procureur les gens qui venaient, comment dire, "se
10 plaindre", qui venaient se plaindre de l'école de musique. C'est ainsi
11 qu'on épuisait nos moyens. C'est là, sur le plan procédural, qu'on épuisait
12 nos moyens d'agir. Lorsque j'ai dit que j'ai fait connaître mon intérêt de
13 me rendre à l'école de musique de Zenica, il faut bien comprendre que
14 c'était en temps de guerre, que tout le monde essayait d'une certaine façon
15 essayait d'aider pour résoudre un certain nombre de situations -- de cas.
16 Nous avons tous entrepris beaucoup de choses afin d'apporter des solutions
17 dans les différentes situations. A une occasion, quelqu'un est venu,
18 apportant une information, disant : "Voilà, on vient d'emmener quelqu'un à
19 l'école de musique." Comme si au maximum à 300 mètres de distance de chez
20 nous, j'ai dit: "Très bien, on y va. On va s'y rendre, nous, pour voir."
21 Quand on est arrivé, l'armée ne nous a pas laissé entrer et c'est là que
22 cela s'est terminé. On envoyait ces personnes au procureur : "Vas-y, portes
23 plainte, et cetera." Quant à savoir ce qu'entreprenait le procureur dans ce
24 cas-là, les juges ne sont pas en mesure de le vérifier parce qu'ils ne sont
25 compétents que lorsqu'il y a un dossier déjà ouvert. Il doit y avoir des
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1 traces de cela chez le procureur, des traces du fait qu'on a envoyé des
2 gens s'adresser au procureur.
3 Q. A un moment quelconque, avez-vous eu l'impression qu'il relevait de vos
4 compétences ou de vos pouvoirs de soulever ces questions ou de présenter
5 ces plaintes au commandant du 3e Corps ? Est-ce que vous aviez l'impression
6 que cela relevait de vos compétences et que vous auriez dû le faire ? Est-
7 ce que vous, vous en avez jamais parlé au commandant du 3e Corps ?¸
8 R. Directement, je n'étais pas en contact avec le commandant du 3e Corps
9 d'armée, moi personnellement. Quant à ses pouvoirs, ils n'existaient pas
10 dans un lien de subordination directe. Ce n'était pas quelque chose de
11 contraignant, une obligation de tirer au clair ce genre de situation car il
12 n'y avait que le procureur militaire qui était appelé à éclaircir des
13 situations pas claires, pour ce qui est des sources d'informations quant
14 aux doutes, quant aux suspicions, eu égard à des infractions commises au
15 sein des unités militaires. De toute évidence, l'école de musique en
16 faisait partie à l'époque, ou elle était entre les mains de l'armée.
17 J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec M. Hadzihasanovic, le commandant du
18 corps lors d'une réunion. Une réunion qui a été convoquée par les autorités
19 régionales et dont le but était que les organes, qui fonctionnaient sur le
20 territoire de cette région, améliorent leur coopération, qui n'obstruent
21 pas leur travail des uns des autres, que les autorités civiles s'organisent
22 mieux. Je pense que le problème principal qui s'est fait sentir, c'était un
23 manque de coordination entre les autorités civiles et militaires sur un
24 même territoire. Vous savez cela pose toutes sortes de problèmes sur le
25 plan des compétences, des intérêts. C'est pourquoi on a invité à cette
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1 réunion le représentant de tous les organes. C'est une réunion qui s'est
2 tenue à l'hôtel International de Zenica.
3 Je sais qui étaient présents aussi, les observateurs internationaux. Dans
4 la ville, on les appelait marchands de glace parce qu'ils étaient vêtus
5 comme des marchands de glace. Voyez-vous les gens ont trouvé la force de
6 plaisanter en cette situation de guerre parce que ces observateurs de
7 l'union européenne, ils étaient vêtus de blanc. Je pense que c'était
8 l'ambassadeur Thebault qui était en fonction à l'époque. C'est lui et son
9 adjoint qui présidaient la réunion ou qu'ils en co-présidaient avec le
10 président de la région à l'époque.
11 Lorsque le tour est venu du tribunal militaire de parler, c'était le
12 président du tribunal et moi-même qui l'avons représenté. D'après notre
13 accord interne, c'est le président du tribunal qui a pris la parole pour
14 expliquer qu'il était nécessaire de fournir un appui, un soutien au
15 fonctionnement du tribunal d'un point de vue de son fonctionnement, son
16 maintien, un appui logistique, les fonds dont on avait besoin, l'argent.
17 J'étais chargé du volet professionnel : les dossiers, les affaires, tout ce
18 qui concernait le travail sur les affaires. Lorsque j'ai pris la parole, je
19 me suis adressé directement à M. Hadzihasanovic et je l'ai mis en garde. Je
20 l'ai averti de l'existence du problème de l'école de musique et ce, dans
21 les termes dans lesquels je viens d'en parler, à savoir qu'il y a des gens
22 qui viennent se présenter chez nous, en nous disant qu'il y a plein de
23 choses qui s'y produisent, qu'on interpelle, qu'on emmène les gens là-bas.
24 Probablement, les gens voyaient l'armée, les militaires emmener des
25 personnes là-bas. On a entendu dire qu'on passait à tabac des gens à
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1 l'école de musique avec des manches de pelle ou avec d'autres choses,
2 d'autres façons. J'ai demandé qu'au sein de l'armée on se renseigne là-
3 dessus. M. Hadzihasanovic m'a répondu qu'il en a entendu parler et qu'il
4 était en train de l'examiner ou qu'il avait déjà examiné. Lorsque j'ai
5 appris qu'il était au courant et qu'il allait s'attacher à cette question
6 de l'école de musique, cela m'a suffit car c'est une installation
7 militaire. Cela relève de leur structure interne. Mais là, il y avait des
8 doutes sérieux et des raisons d'être suspicieux. Mais je ne me suis pas
9 renseigné pour savoir si c'était véridique. Mon objectif était de signaler
10 un problème, qu'il y avait un problème au niveau du fonctionnement.
11 Un deuxième point que j'ai souligné, à ce moment-là, c'était une charge
12 lourde pour les tribunaux. C'était lorsque les gens se rendaient souvent
13 chez nous pour dire qu'on leur enlevait des véhicules et, notamment, les
14 véhicules qui consommaient du diesel, et j'ai demandé à M. Enver
15 Hadzihasanovic : "Est-ce que vous savez que l'armée confisquait aux gens,
16 au-delà de tout ce qui serait raisonnable, des véhicules ?" Hadzihasanovic
17 m'a répondu que l'armée avait ces besoins.
18 Je lui ai dis que j'avais entendu dire qu'il y avait des unités qui avaient
19 plus de véhicules que de membres parce que j'essayais de dramatiser un
20 petit peu la situation pour lui montrer qu'il y avait des limites à des
21 besoins de l'armée. Je pense que cette partie-là de notre conversation
22 s'est également terminée de cette façon-là, à savoir qu'il fallait faire
23 attention à ce que l'armée ne prenne pas plus de véhicules que nécessaire.
24 Souvent, on parle de mobilisation. C'était le réquisitionnement de moyens
25 pour les besoins de l'armée. Lorsqu'on vous dit qu'une unité a 500 membres,
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1 alors qu'elle a 600 véhicules garés sur son parking, il est évident que
2 c'est un petit peu outrancier.
3 Nous, on n'avait pas de compétence pour vérifier cela. On transmettait les
4 informations aux commandants pour voir de quoi il retournait en réalité car
5 ces informations venaient des gens qui se présentaient au tribunal pour en
6 parler.
7 Pour ce qui est de ce deuxième volet, la question des véhicules et pour ce
8 qui est du réquisitionnement abusif, il y a eu des poursuites. Je suis au
9 courant de quelques cas où le procureur a agi ou des jugements ont été
10 prononcés, des décisions valables lorsqu'on a réquisitionné des véhicules,
11 en particulier. Je sais, grâce à ces entretiens, que ce qui est positif,
12 c'est qu'on a tranché parfois dans certains cas, et qu'il y a eu un petit
13 plus de discipline par la suite. Je ne sais pas si cet entretien a eu un
14 impact direct pour que la situation s'améliore. J'espère, pour ma part, que
15 cela a eu un impact.
16 Pour ce qui est de l'école de musique, je ne suis pas au courant qu'il y
17 ait eu un seul dossier ouvert. Lorsque je suis entré dans les locaux de
18 l'école de musique, ces gens vêtus de blanc, les représentants de l'Union
19 européenne sont venus, et ils étaient à la recherche d'un certain Markovic.
20 C'était un criminologue. Il travaillait au sein de la police scientifique
21 de Zenica. Ses proches ont dit qu'il se trouvait à l'école de musique de
22 Zenica.
23 Pourquoi sont-ils venus demander de l'aide auprès du tribunal ? Je pense
24 que c'était parce qu'ils voulaient savoir si le juge d'instruction était au
25 courant.
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1 Je suis parti avec deux ou trois de ces observateurs. Ils ont la
2 possibilité d'entrer, moi aussi, avec les personnes qui m'accompagnaient.
3 C'est un bâtiment 10 sur 15, de forme classique, deux ou trois étages, avec
4 un grenier, un escalier en colimaçon. Je me souviens que j'étais au seuil
5 de la porte, à l'entrée, et je ne suis pas entré à l'intérieur. Ils m'ont
6 dit qu'ils n'ont rien trouvé. Cela n'a pas pris plus de 30 minutes.
7 Je suis revenu au tribunal. Je n'avais relevé, rien noté. Il n'y avait pas
8 lieu de le faire. Un mois plus tard, l'un d'entre eux est revenu et a dit,
9 on a trouvé, on a fini par trouver ce Markovic. Il avait bien été détenu à
10 l'école de musique à l'époque, mais il était caché au grenier. Même si ces
11 informations provenaient de ces gens-là, c'étaient des informations qui
12 étaient destinées au procureur, donc je n'ai rien entrepris à ce sujet.
13 Enfin, c'est tout ce que je sais à ce sujet et c'est tout ce que j'ai
14 entrepris eu égard à cela.
15 Q. Je vous remercie, Monsieur le Juge. L'Article 7 de ce décret de loi
16 portant sur les tribunaux militaires régionaux, la pièce 327 qu'on vous a
17 montrée il y a un instant, donnait compétence au tribunal de juger des
18 prisonniers de guerre pour toute infraction commise en tant que telle, en
19 tant que prisonnier de guerre. Pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre
20 s'il vous est arrivé d'être saisi d'affaires de ce genre au cours de vos
21 fonctions en tant que juge d'instruction ?
22 R. Est-ce que je pourrais revoir ce décret de loi ?
23 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Je demande à Mme l'Huissière de
24 montrer la pièce de l'Accusation 327 au témoin.
25 Q. Page 4.
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1 R. Oui, je vois. On n'a que l'article, et pas vraiment ce qui est à
2 l'intérieur.
3 Q. Je pense que c'est à la page suivante parce que
4 l'Article 11 commence à la page 3, mais la disposition, elle-même, se situe
5 à la page 4. Les premiers mots sont les suivants : "Les tribunaux
6 militaires régionaux jugeront les prisonniers de guerre."
7 R. Oui.
8 Q. C'est bien la pièce de l'Accusation 327 ? Article 11.
9 R. Article 11, oui, je l'ai trouvé. Le voici. Oui, on parle de personnel
10 militaire qui peut organiser d'autres militaires.
11 Je pense, effectivement, qu'il y a eu quelques affaires qui relèvent de cet
12 article. Il me faudrait connaître la teneur de la référence. On parle de
13 413, 418, les Articles 114, 119. Je ne me souviens plus véritablement de la
14 teneur de cet article auquel on fait référence.
15 Vous avez parlé "des prisonniers de guerre", n'est-ce pas ? "Des
16 prisonniers de guerre qui auraient commis une infraction pénale en tant que
17 prisonniers de guerre"; c'est bien cela ?
18 Q. Oui, voici ce que dit la version en anglais : "Les tribunaux militaires
19 régionaux jugeront les prisonniers de guerre pour des infractions pénales
20 qu'ils auraient commises, en tant que prisonniers de guerre, et pour des
21 crimes contre l'humanité et le droit international." C'est assez étendu
22 comme disposition.
23 R. Quelqu'un devrait avoir le statut de prisonnier de guerre et devrait
24 commettre une infraction au pénal en tant que prisonniers de guerre. Nous
25 avons connu une telle affaire. Il y a eu une personne qui était blessée.
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1 Elle était prisonnier de guerre. Cette personne avait commis une infraction
2 pénale. Cette personne avait blessé quelqu'un. Je ne sais plus exactement.
3 Je ne me souviens plus exactement de l'affaire, mais on peut la retrouver.
4 Q. Fort bien. Passons à l'Article 12, qui donne des compétences en
5 application des conventions de Genève à ces tribunaux militaires de se
6 prononcer. Pourriez-vous nous dire si, dans l'exercice de vos fonctions,
7 vous avez été saisi ou si, à votre connaissance, le tribunal aurait été
8 saisi de telles affaires ? Voici ce que dit la version en anglais : "Les
9 tribunaux militaires régionaux trancheront toute question pénale concernant
10 des personnes participant à un conflit armé et relevant de la compétence du
11 tribunal en vertu des dispositions des conventions de Genève du
12 12 août 1949 et des protocoles additionnels."
13 Pouvez-vous nous aider ? Est-ce que les affaires ont été portées devant
14 votre tribunal ?
15 R. Oui, il s'agit ici d'une disposition générale qui rappelle aux
16 législateurs nationaux qu'ils doivent adapter leurs dispositions et
17 procédures aux dispositions des conventions de Genève. Les lois adoptées, à
18 l'époque, revenaient à dire qu'on reprenait le droit matériel et le droit
19 procédural de l'ex-Yougoslavie, ceci conformément aux conventions de Genève
20 car ce droit l'était s'agissant, notamment, des tribunaux militaires. Ce
21 qui veut dire que
22 ce qui a été repris, était tout à fait en conformité à l'appui des
23 conventions de Genève.
24 Les tribunaux militaires, en vertu de décret portant création de ces
25 tribunaux, avaient compétence pour juger le personnel militaire et les
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1 autres, comme le prévoient ces articles dans le cadre de procédure
2 régulière avec garantie de protection des droits de l'homme, la
3 reconnaissance du statut de prisonnier de guerre, la participation à une
4 armée, même si c'était là une infraction pénale. Par conséquent, le statut
5 d'une personne était tributaire de la situation de guerre. S'agissant de
6 savoir si quelqu'un était civil ou militaire, s'il était membre d'une armée
7 hostile, ce qui, en tant que tel, était une infraction pénale. Par
8 conséquent, les procédures soutenaient les conventions de Genève.
9 Q. Soyons plus précis. S'agissant de l'ABiH, vous souvenez-vous avoir été
10 saisi d'affaires de ce genre ? Vous souvenez-vous si le tribunal a été
11 saisi d'affaires de ce genre plus particulièrement en rapport avec l'ABiH ?
12 R. L'ABiH devrait être considérée ici comme étant une entité qui
13 fournissait des informations. Il régnait un état de guerre. Certaines
14 parties du territoire étaient des parties de territoire où les compétences
15 et attributions étaient exclusivement entre les mains de l'armée soit parce
16 qu'il y avait des actions de combat en cours ou une situation qui est en
17 rapport direct avec la situation de guerre. A ce moment-là, l'organisation
18 ordinaire cesse de fonctionner, cela devient un théâtre de guerre. Cela
19 devient quelque chose qui est en rapport avec des activités de guerre. Le
20 tribunal, le procureur ne pourront jamais découvrir ce qui se passait sur
21 le terrain, sauf si l'armée elle-même, en fait, rapport. Pouvez-vous
22 concevoir une situation où il y a des opérations de guerre quelque part
23 entre Sarajevo et Zenica, dans les collines, sur les hauteurs, où il y a
24 confrontation entre deux armées ? Qui pourrait disposer de la moindre
25 information à propos de ce qui s'y passe, si ce n'est l'armée ?
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1 Eventuellement, un civil qui se trouve par hasard dans la zone, qui
2 parvient à s'échapper, à s'enfuir, qui survit au combat, mais, par
3 contraste avec ce civil susceptible d'apporter des éléments d'information,
4 les militaires avaient dans leurs rangs. La police militaire avait des
5 commandements, avait une voie hiérarchique, des circuits d'autorité.
6 C'était un devoir qui incombait aux commandants. Ils devaient faire rapport
7 à leurs supérieurs en cas de survenue d'événements extraordinaires, même en
8 temps de guerre. La police avait le devoir de traiter de cela et de relayer
9 ces informations au procureur militaire.
10 Il s'est présenté des cas où le procureur militaire a transmis ces
11 dossiers ou cette information au tribunal, ce qui m'a permis d'apprendre
12 que le procureur militaire devait avoir reçu des informations de l'armée,
13 selon lesquelles certaines infractions pénales avaient été commises. Nous,
14 au sein du tribunal, nous n'aurions jamais découvert, à moins que ce qui
15 s'était commis, n'avait été rapporté. De quels moyens aurions-nous disposé
16 pour le découvrir ? Ces moyens, c'était l'armée seule qui les possédait.
17 L'armée aurait pu organiser ces cours spéciales ou cours martiales. Grâce à
18 ce dossier qui parviendrait au tribunal militaire, les circonstances le
19 permettant, à ce moment-là, nous aurions appris que l'armée avait fait
20 passer en cour martiale un certain individu. On disait, par exemple, au
21 cours d'opération de combat, 50 personnes ont été tuées. Ces 50 personnes
22 ont été tuées dans le cadre d'opération de combat, parce que les armes sont
23 imprécises, et les obus ont tué des civils. Il est tout à fait permissible,
24 il est même obligatoire que si c'est en dehors d'action de combat ou
25 pendant ces actions de combat qu'il y a eu des actions illégales, si c'est,
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1 à ce moment-là, que ces crimes ont été commis, à ce moment-là, ces actes
2 étaient répercutés dans un dossier séparé qui était transmis au procureur
3 militaire pour qu'il s'en saisisse. En effet, un crime de guerre ne se
4 justifie pas par des opérations de combat. Il n'y a pas que les crimes de
5 guerre d'ailleurs. Si on a une infraction de droit commun, un assassinat,
6 par exemple, qui se serait produit dans le contexte d'opération de combat,
7 qui n'était pas en rapport direct avec l'opération de combat, l'opération
8 de guerre, si ce crime avait été le fait d'un membre de l'armée, à ce
9 moment-là, ceci aurait dû faire l'objet d'un rapport. Disons, s'il y a au
10 cours d'une bataille, il y a deux officiers qui se querellent au QG, l'un
11 tue l'autre, à ce moment-là, ceci ne se justifie pas par des actions de
12 guerre. Il y a des motifs valables de soupçonner qu'il y a assassinat à la
13 suite de la querelle entre les deux hommes. Ce qui comptait, c'était
14 d'avoir un rapport, un procès verbal. Le procureur verrait s'il fallait
15 poursuivre ce fait ou pas, s'il fallait engager des poursuites ou pas.
16 Nous avons reçu des rapports de l'armée qui faisaient état d'infractions
17 pénales commises sur le front. Quatre, cinq, voire dix jugements ou des
18 meurtres non intentionnels, accidentels, lorsque quelqu'un montait la garde
19 ou nettoyait une arme. Même les juges allaient très près de la ligne de
20 front. Je me rappelle un endroit, où nous sommes allés où l'unité en face
21 était, pratiquement, littéralement, à 50 mètres de la tranchée où nous
22 menions notre enquête.
23 Parce que tous les effectifs étaient, si vous voulez, de garde, ils étaient
24 sur la ligne de front. Tout le monde était dans les tranchées. Il y avait
25 eu par accident quelqu'un qui avait été tué quelqu'un. Un soldat a marché
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1 sur son arme. Les commandants nous ont appelés pour concilier ceci pour
2 qu'il y ait un rapport qui soit effectué, et qu'un jour le procureur puisse
3 déterminer si c'était là une infraction pénale ou pas. Je sais que ce cas a
4 été traité, et je sais que ce jeune homme a été condamné pour assassinat ou
5 homicide par négligence.
6 C'était là le type d'information que nous ne pouvions recevoir que de
7 l'armée, de personne d'autre.
8 Q. Je vous remercie, Monsieur le Juge. Dans le cadre de vos activités à
9 Zenica, est-ce que vous avez rencontré le terme de "Moudjahiddines" ?
10 R. Oui.
11 Q. Est-ce que vous pourriez, à l'attention des Juges, nous dire tout
12 d'abord ceci ? Est-ce qu'ils étaient prévalents les Moudjahiddines dans la
13 zone de Zenica ?
14 R. Peut-être qu'il y a une certaine imprécision linguistique. Ils
15 n'étaient pas prévalents par rapport à la population, mais par rapport à
16 l'armée. On les voyait souvent à Zenica. Cela c'est vrai.
17 Q. Est-ce que votre tribunal n'a jamais eu connaissance de rapports
18 concernant les Moudjahiddines ?
19 R. Il y a eu un cas, où le commandant du Bataillon turc, dans le cadre la
20 SFOR, a fait rapport au procureur et au tribunal, a demandé que le juge
21 aille voir la caserne où étaient cantonnés provisoirement les
22 Moudjahiddines parce qu'il était possible d'entendre des tirs en provenance
23 de la caserne. Il y avait plusieurs véhicules qui étaient en feu.
24 Manifestement, il y avait eu un conflit entre les membres de l'unité.
25 Je me souviens du fait qu'un de mes collègues -- un de mes confrères du
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1 tribunal y est allé, mais n'a rien pu faire parce qu'on lui a interdit
2 d'accéder à cette unité. Je crois qu'il a rédigé un rapport à cet effet.
3 Personnellement, je n'ai jamais vu le moindre cas venant du procureur, à
4 savoir, de poursuites engagées contre une personne, une de ces personnes
5 que vous appelez Moudjahiddines. Jamais je n'ai vu un rapport, un dossier
6 de ce genre.
7 Q. Si vous deviez décrire les Moudjahiddines en un mot ou en quelques-uns,
8 que diriez-vous ?
9 R. On les décrivait comme étant des ressortissants étrangers qui étaient
10 venus aider dans la lutte en Bosnie-Herzégovine. Ils s'étaient rangés du
11 côté de l'ABiH. Ils étaient facilement reconnaissables. Ils portaient des
12 vêtements typiques. Ils avaient souvent un turban ou un foulard sur la
13 tête. En général, ils portaient une barbe longue, et portaient surtout
14 l'uniforme militaire en tout ou en partie. Ils se déplaçaient en groupes
15 petits ou grands. Ils se déplaçaient dans la ville, comme si personne
16 n'avait aucun pouvoir sur eux.
17 C'était bizarre, inconfortable, difficile pour les citoyens de les voir
18 parce qu'ils conduisaient des véhicules sans plaque d'immatriculation, ce
19 genre de chose. De toute façon, il était aisé de les reconnaître. Tout le
20 monde savait facilement que c'était des ressortissants étrangers. Nous,
21 citoyens, nous avions appris qu'ils étaient originaires de divers pays et
22 qu'ils étaient venus en vue de combattre.
23 Il y a eu quelques incidents désagréables en rapport avec eux en ville, du
24 fait des convictions religieuses des membres de cette unité. En effet, à
25 quelques reprises en ville, disons, qu'ils avaient essayé d'imposer leurs
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1 propres règles. Par exemple, ils disaient aux femmes -- ou ils enlevaient
2 des jeunes femmes ou des femmes de la rue parce qu'ils estimaient qu'elles
3 n'étaient pas décemment habillées. Ils ont détruit des commerces, des bars,
4 là où on servait de l'alcool, mais, quelque part, cela s'est terminé aussi.
5 Q. Une dernière chose, diriez-vous que vous avez été satisfait de la façon
6 dont a fonctionné le tribunal militaire régional ? Est-ce que vous étiez
7 satisfait, disons, du procureur, de la façon dont il vous a transmis des
8 dossiers ? Est-ce que vous avez été satisfait de ce fonctionnement ?
9 R. Je ne sais plus, mais que je crois que cela avait trait au conseil de
10 l'Europe ou à l'Union européenne qui a procédé à l'analyse du
11 fonctionnement des tribunaux militaires. Je crois qu'il y a quelque part un
12 document à ce propos. Le tribunal militaire de Zenica a reçu des notes très
13 élevées.
14 Nous avons eu plusieurs jugements dont certains ont été très impopulaires à
15 l'époque; je veux dire dans l'opinion publique. Cela ne fait pas l'ombre
16 d'un doute, ce tribunal a, effectivement, fonctionné comme le fait un
17 tribunal civil. Ce tribunal a pris des mesures chaque fois qu'un dossier
18 lui a été soumis. S'agissant de la qualité du travail de ce tribunal, je
19 pense qu'on ne peut pas en douter; cependant, un tribunal ne peut pas
20 fonctionner si un acte d'accusation ne lui est pas signifié par le
21 procureur ou s'il ne reçoit pas un rapport de police concernant un auteur
22 présumé.
23 Je ne sais toujours pas aujourd'hui, si le tribunal militaire de Zenica a,
24 effectivement, fait tout le travail qu'il aurait dû faire, à traiter, tous
25 les cas qu'il aurait dû traiter.
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1 Q. Je vous remercie.
2 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai ainsi
3 terminé l'interrogatoire principal.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Je me tourne vers la Défense pour les questions dans
5 le cas du contre-interrogatoire.
6 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
7 J'ai quelques difficultés techniques pour ce qui est de l'organisation de
8 mes documents, mais je peux commencer mon contre-interrogatoire.
9 Contre-interrogatoire par Mme Residovic :
10 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Adamovic.
11 R. Bonjour.
12 Q. Je m'appelle Edina Residovic. Nous nous connaissons depuis un certain
13 temps. Aux fins du dossier, je tiens à me présenter une fois de plus. Je
14 représente les intérêts de M. Enver Hadzihasanovic. Comme M. le Président
15 de la Chambre de première instance vous l'a déjà dit, je vais vous poser
16 quelques questions dans le cadre de votre audition, suite à ce que vous
17 avez dit, mais j'aurais peut-être aussi d'autres questions qui sont
18 pertinentes pour la Défense de mon client.
19 Est-il exact de dire, Monsieur Adamovic, que vous êtes juge -- ou que vous
20 étiez juge de la Cour suprême au moment où le général Enver Hadzihasanovic
21 a reçu l'acte d'accusation ? Il vous a fait une déclaration, disant qu'il
22 voulait venir aussitôt à ce tribunal afin que vous n'ayez pas à déclencher
23 la procédure suite à l'acte d'accusation.
24 R. Difficile, cela ne serait juste de vous répondre par oui ou par non.
25 J'ai été juge de la Cour suprême, mais le reste n'est pas exact s'agissant
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1 de ce que vous avez dit. Je dois préciser la chose suivante : lorsque
2 j'étais juge de la Cour suprême, trois représentants -- trois officiers, on
3 pourrait dire -- ont été emmenés dans des circonstances que j'ai trouvées
4 inacceptables. D'après notre législation, il n'y a pas de reddition
5 volontaire. Ces personnes ont été écrouées sans qu'on leur demande si elles
6 étaient prêtes à se livrer car ceci, d'après notre loi nationale, n'existe
7 pas. J'ai affirmé, à l'époque, en vertu de la constitution de Bosnie-
8 Herzégovine, il était possible d'appliquer directement le statut du
9 tribunal, puisqu'il y a un professeur de Zagreb, Krapac, qui a publié un
10 livre, qui m'a enseigné beaucoup de choses sur le tribunal. Je savais que
11 la reddition volontaire et la reconnaissance de la culpabilité, ce sont des
12 éléments très importants lorsqu'il s'agit de fixer les peines. C'est la
13 raison pour laquelle je voulais donner la chance à la personne, qui avait
14 été emmenée devant moi d'avoir un accès équitable, le même accès au
15 tribunal que ce n'est le cas pour tous les autres qui sont mis en
16 accusation. Je les ai informés des droits qui étaient les leurs, même si
17 notre législation ne le prévoit pas.
18 Je crois que je me suis retrouvé dans une minorité totale à la
19 Cour suprême. J'ai soulevé une objection et j'ai demandé que le président
20 autorise un juge. Ce fut moi, en général, celui qu'elle a choisi. J'ai
21 décidé que le général Hadzihasanovic, le général Alagic et Kubura soient
22 délivrés de leurs liens, qu'on leur enlève leurs menottes, qu'à ce moment-
23 là, c'étaient des hommes libres. C'est sur quoi je leur ai demandé : "S'ils
24 voulaient se livrer au tribunal, même si vous avez été amenés ici, je vais
25 ordonner votre libération; cependant, je veux savoir quelle sera votre
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1 décision." Les trois hommes ont dit que, si on le leur avait demandé, ils
2 se seraient présentés de leur plein gré. Ils ont couché ceci sur papier et,
3 pour moi, j'ai estimé que c'était une reddition volontaire.
4 Q. Vous venez de nous donner tout ceci par le menu. Je ne pense pas que
5 les Juges avaient besoin de ce degré de détails. Ma question débouchait,
6 cependant, sur ceci : avec le conseil de Défense, vous les avez escortés
7 jusqu'à l'aéroport, en tant qu'hommes libres, n'est-ce pas ? Après quoi,
8 moi, en tant que conseil de la Défense et vous, le juge, nous n'avons plus
9 jamais discuté de l'affaire.
10 R. C'est exact.
11 Q. Vous nous avez dit avoir été juge du tribunal militaire régional de
12 Zenica. Est-il exact de dire que ce tribunal, avant la guerre, pendant la
13 guerre, et à ce jour aussi, a des compétences qui ont toujours été
14 déterminées par une loi ou un décret de loi ?
15 R. Exact.
16 Q. Vous avez ajouté que ce décret a été délivré par la présidence de
17 Bosnie-Herzégovine au mois d'août 1992, établissant ainsi des tribunaux
18 militaires régionaux dans le cadre de l'appareil judiciaire de Bosnie-
19 Herzégovine.
20 R. Oui.
21 Q. Vous avez aussi ajouté, je le répète, que, conformément à la
22 constitution de Bosnie-Herzégovine, en temps de guerre, la présidence de
23 Bosnie-Herzégovine, sous forme élargie, fait office d'assemblée parce que
24 celle-ci ne peut se réunir et émet des lois et d'autres actes sous la forme
25 de décrets avec force de loi, n'est-ce pas ?
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1 R. Oui.
2 Q. La présidence élargie de la Bosnie-Herzégovine remplit également
3 d'autres fonctions, comme par exemple, celles des juges et d'autres
4 fonctionnaires de la république dans ces circonstances; ceci est-il exact ?
5 R. Je suppose que tel est le cas. J'ai un peu de mal à suivre le détail.
6 Enfin, selon la logique et la situation objective, tout me montre que c'est
7 bien le cas.
8 Q. Sinon, c'est l'assemblée de Bosnie-Herzégovine qui ait lié les juges de
9 la Cour suprême. Quant à vous, vous avez été nommé à votre poste au
10 tribunal régional de Zenica par cette même assemblée parlementaire, n'est-
11 ce pas ?
12 R. Oui.
13 Q. J'aimerais à présent que l'on soumette une nouvelle fois au témoin les
14 pièces à conviction de l'Accusation, P327 et P325.
15 R. J'ai déjà le P327.
16 Q. Que l'on vous remette la pièce P325 dans ce cas. Avant de nous pencher
17 sur le texte de loi, je vous demande s'il est exact, qu'à tout moment, en
18 Bosnie-Herzégovine, comme c'est le cas d'ailleurs dans la majorité des
19 états civilisés du monde, les lois s'appuient sur les tribunaux, n'est-ce
20 pas ?
21 R. Je l'ai déjà dit.
22 Q. D'ailleurs, la compétence des tribunaux est déterminée dans ce même
23 cadre, n'est-ce pas ? Nous l'avons déjà dit d'ailleurs. Vous l'avez
24 confirmé.
25 R. Oui.
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1 Q. La loi prévoit la composition des tribunaux ainsi que la façon dont ils
2 opèrent, n'est-ce pas ?
3 R. Oui, dans le cas qui nous intéresse, c'est un décret qui avait force de
4 loi qui régissait tout cela.
5 Q. Ce décret remplaçait une loi, puisqu'il avait force de loi en temps de
6 guerre. Ce décret créait obligation de la part de l'État d'adopter et de
7 ratifier tous les décrets de loi qui, dans les circonstances en question,
8 avaient le statut de loi, n'est-ce pas ?
9 R. Oui, c'est exact. Je souhaitais être précis pour le compte rendu
10 d'audience car il est écrit dans ce document qu'il s'agit d'un décret de
11 loi, c'est-à-dire, d'un décret qui a force de loi.
12 Q. Il n'est pas contesté, n'est-ce pas, que ces lois doivent créer des
13 tribunaux, établir leur compétence ? Vous avez déjà parlé de la création
14 des cours militaires régionales. Cette loi disposait que ces cours ne
15 jugeaient qu'en fonction des règlements et des lois, et qu'ils avaient
16 toute indépendance sur le plan des décisions rendues, n'est-ce pas ?
17 R. Oui.
18 Q. Je vous ai déjà évoqué certains sujets sur lesquels vous vous êtes
19 exprimé. J'aimerais que nous revenions à présent sur certaines dispositions
20 de cette loi. Pouvez-vous vous penchez sur l'Article 6 du décret de loi
21 portant sur les cours militaires.
22 Est-il exact que les cours militaires régionales jugeaient toutes les
23 infractions criminelles commises par les membres de l'armée, ainsi que
24 certaines infractions criminelles commises par d'autres personnes, n'est-ce
25 pas ?
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1 R. Oui.
2 Q. Ce qui signifie que les cours militaires régionales se distinguaient
3 tout de même un peu des tribunaux réguliers sur le plan de leur compétence,
4 n'est-ce pas ?
5 R. Oui.
6 Q. Afin que tout soit clair, il importe de dire que les tribunaux
7 réguliers civils existaient également pendant toute la guerre, n'est-ce pas
8 ?
9 R. Oui, c'est exact.
10 Q. Leur compétence dépendait de la gravité des crimes commis?
11 R. De quels tribunaux parlez-vous en ce moment ?
12 Q. Je parle de tribunaux réguliers, civils.
13 R. Oui.
14 Q. Les tribunaux réguliers, au niveau inférieur de l'hiérarchie, jugeaient
15 les infractions qui étaient susceptibles de donner lieu à des peines
16 jusqu'à dix ans d'emprisonnement. Quand aux tribunaux supérieurs ou
17 suprêmes, ils avaient compétence dans les cas de crimes pour lesquels les
18 peines envisagées dépassaient dix ans.
19 R. Oui.
20 Q. Les cours militaires étaient responsables de tous les crimes,
21 indépendamment de la peine envisagée par la loi, parce qu'il n'existait pas
22 de tribunal correctionnel militaire, n'est-ce pas ?
23 R. En effet.
24 Q. Il y a un deuxième point que j'aimerais éclaircir avec vous s'agissant
25 du système juridique en vigueur. Est-il vrai qu'avant la guerre et pendant
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1 la guerre, outre les tribunaux réguliers qui faisaient partie du système
2 judiciaire prévu par l'administration de l'État, il y avait également des
3 tribunaux que l'on appelait tribunaux correctionnels, si je puis utiliser
4 ce terme, et que ces tribunaux correctionnels étaient censés juger des
5 personnes ayant commis des infractions mineures de nature disciplinaire ou
6 des délits mineurs par rapport à ceux qui étaient jugés par les autres
7 tribunaux; ceci est-il exact ?
8 R. Oui.
9 Q. Lorsque la cour militaire régionale a été créée, en application du
10 décret de loi d'août 1992, le premier de ces tribunaux était celui de
11 Zenica. Ses compétences étaient censées s'exercer sur un territoire plus
12 important que le strict territoire de Zenica, à savoir, sur la totalité du
13 territoire qui, plus tard, devait être placé sous la responsabilité du 3e
14 Corps d'armée. Nous sommes en
15 août 1992.
16 Compte tenu de la taille importante de cette région, en novembre de la même
17 année, un nouveau décret de loi a été voté, qui créait le tribunal de
18 Travnik, n'est-ce pas ?
19 R. J'ai déjà dit que je n'étais pas sûr qu'il y ait équivalence totale
20 entre la surface territoriale prévue sur le plan administratif et la
21 surface territoriale prévue sur le plan militaire. J'ai dit qu'il y avait
22 peut-être chevauchement entre les territoires affectés aux différents corps
23 d'armées. Je crois qu'il y avait certaines zones qui peut-être n'étaient
24 couvertes par aucun corps d'armée dans tout cela, à savoir, par exemple,
25 que l'on savait quelle était la zone sous la juridiction de Sarajevo, mais
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1 qu'elle pouvait également dépendre de la juridiction de Zenica. Il n'y
2 avait pas de coïncidence parfaite sur le terrain. Je l'ai bien dit. Quoi
3 qu'il en soit, on savait bien et chacun savait que la région 4 du secteur
4 de Zenica recouvrait le secteur de Zenica, Maglaj et Tesanj. Je ne voudrais
5 pas faire erreur, cela doit se trouver par écrit quelque part. On pourrait
6 vérifier, mais il est très difficile de déterminer exactement quel était le
7 territoire qui dépendait du 3e Corps d'armée ou du 2e Corps d'armée par
8 rapport à la répartition prévue sur le plan administratif car il n'y avait
9 pas équivalence complète. En effet, administrativement, la juridiction
10 était prévue par rapport à la division des municipalités. Parfois il y
11 avait correspondance, parfois pas.
12 Q. Je vais vous poser cette question, de façon à être très précise, dans
13 la façon dont je m'adresse à vous et je vous demande si c'est un fait que
14 le 1er janvier 1993, la cour militaire régionale de Travnik a été créée
15 conformément à la loi ?
16 R. Oui, je suis au courant de cela.
17 Q. Etes-vous au courant du fait, Monsieur Adamovic, que, pendant la guerre
18 en 1993, dans certains endroits et, notamment, à Travnik, des organes
19 judiciaires parallèles ont été créés par les instances du conseil croate
20 d'Herceg-Bosna ? Je parle, par exemple, du tribunal du HVO, créé à Travnik,
21 dont le siège a été, ensuite, déplacé à Vitez au mois de juin.
22 R. Je ne sais pas s'il s'agissait de juridiction parallèle. Je sais qu'il
23 s'agissait des juridictions qui existaient et qui opéraient. J'ai entendu
24 parler de l'activité de ces tribunaux, effectivement. Mot "parallèle" cela
25 signifie que cela a un rapport avec les instances normales.
Page 9500
1 Q. Lorsque vous parliez de juridiction ou de compétence géographique pour
2 votre cour régionale, conviendriez-vous avez moi qu'à l'ouest de Zenica, il
3 y avait répartition de la compétence géographique entre la cour régionale
4 de Zenica et la cour régionale de Travnik et que la démarcation entre les
5 deux zones de compétence se situait, en fait, au niveau de la frontière
6 entre la municipalité de Travnik et celle de Zenica ? Ceci est-il exact ?
7 R. Oui, je crois que c'est le cas. Je crois que c'est, effectivement, le
8 cas. Je ne sais pas exactement où se situait la frontière en question, mais
9 je crois que vous avez raison.
10 Q. Compte tenu des dispositions légales et des réglementations en vigueur
11 dans la zone dans laquelle vous exerciez vos compétences de juge sur le
12 territoire de Zenica, pouvez-vous confirmer qu'il existait également dans
13 cette région des tribunaux correctionnels, n'est-ce pas ?
14 R. Oui.
15 Q. Nous avons déjà dit que les cours militaires étaient censées juger les
16 membres des forces armées, indépendamment de la peine envisagée par rapport
17 à l'infraction commise. Est-il vrai que sur le territoire où vous
18 travaillez, en tant que juge, outre les instances judiciaires supérieures
19 dans lesquelles vous exerciez vos fonctions, il y avait également des
20 tribunaux élémentaires à Zenica, Travnik, à Zavidovici, à Kakanj, à Visoko
21 et à Bugojno ?
22 Je crois, effectivement, que ces tribunaux existaient.
23 Q. Dans la déclaration que vous avez faite au bureau du Procureur, et vous
24 l'avez répété oralement durant votre déposition, vous avez déclaré que les
25 cours militaires jugeaient les membres des forces armées et que les cours
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1 civiles jugeaient les civils. Ceci correspond bien, n'est-ce pas, à la
2 réalité s'agissant des compétences de ces différents tribunaux ?
3 R. Oui, de façon très générale, on peut parler ainsi, mais –-
4 Q. Cependant, les procès menés par les tribunaux réguliers se menaient en
5 application du droit en vigueur dans l'ex-Yougoslavie, qui a été adopté et,
6 par la suite, appliqué en Bosnie-Herzégovine comme constituant le droit de
7 Bosnie-Herzégovine ?
8 R. Oui. Ceci est vrai des tribunaux civils et cela s'appliquait aussi bien
9 aux tribunaux civils qu'aux tribunaux militaires.
10 Q. Votre cour militaire appliquait le code pénal, qui auparavant avait été
11 appliqué par les tribunaux réguliers. Ce code pénal reprenait le code pénal
12 de l'ex-Yougoslavie qui, ensuite, a été adopté par la Bosnie-Herzégovine,
13 ainsi que le code pénal de la République de Bosnie-Herzégovine, avant la
14 guerre et pendant la guerre, n'est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. En tant que juge, vous aviez la possibilité légale, prévue par la loi,
17 de travailler en appliquant la constitution et la législation de votre
18 pays, n'est-ce pas ?
19 R. Oui. Dans la partie jugement, procédure pénale de notre travail.
20 Q. Vous nous avez dit également que des modifications mineures sont
21 intervenues dans le code de procédure pénale et vous avez dit que lorsqu'un
22 acte d'accusation était émis par le passé, la démarcation entre les
23 différentes instances judiciaires se situait au niveau d'une peine de dix
24 ans, alors que, par la suite, cette durée a été modifiée pour passer à cinq
25 ans.
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1 R. La responsabilité des juges a été accrue dans une certaine mesure de
2 même que les obligations pesant sur eux. En fait, on aurait fait davantage
3 confiance, compte tenu des circonstances.
4 Q. Dans le droit matériel il y a eu un changement important qui s'est
5 produit en novembre 1992, en effet, pour les crimes commis pendant la
6 guerre, les peines prévues ont été accrues ?
7 R. Oui. Notamment, lorsqu'il était question de crimes visant des biens
8 pour ce genre d'infractions, les peines ont été accrues.
9 Q. La ville de Sarajevo était assiégée et il était très difficile de
10 communiquer, à partir de Sarajevo, avec les autres parties de l'État. A
11 Zenica, il y avait une instance de la Cour suprême de Bosnie-Herzégovine
12 qui vous a permis de mener des procédures en appel contre les décisions de
13 votre propre tribunal ?
14 R. Oui. Je crois qu'il y avait également une telle instance de la Cour
15 suprême à Tuzla. Dans ces instances opéraient des juges, qui avaient une
16 compétence spéciale leur permettant d'agir, en tant que juges de la Cour
17 suprême, dans certaines circonstances particulières.
18 Q. Nous parlons du droit qui s'applique aux cours militaires. Vous nous
19 avez dit quelles étaient les obligations de l'armée en 1993 et 1994, qui
20 devait vous fournir un certain nombre de documents. Est-il vrai que,
21 conformément à la loi régissant les cours militaires régionales au sens
22 administratif plutôt qu'au sens fonctionnel, au début, ces tribunaux
23 dépendaient du ministère de la Défense, qui était responsable de fournir
24 les documents nécessaires ? A la fin de 1993, ces tribunaux ont été reliés
25 au ministère de la Justice, n'est-ce pas ?
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1 R. Oui. Il y a eu quelques modifications du point de vue des instances
2 responsables de fournir aux tribunaux ce dont ils avaient besoin, mais,
3 fondamentalement, il s'agissait d'une modification destinée à faciliter le
4 travail des tribunaux.
5 Q. Vous nous avez déjà dit qu'il n'y avait pas de différence entre les
6 décisions rendues par votre tribunal et les décisions rendues par les
7 tribunaux réguliers car tous les appels, qu'ils proviennent de votre
8 tribunal ou des tribunaux réguliers, étaient entendus par le Cour suprême
9 de Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ?
10 R. Oui, mais la Cour d'appel, s'agissant des verdicts rendus par nous,
11 était la Cour d'appel régulière, c'est-à-dire, la Cour d'appel où opérait
12 des juges civils, si on peut les appeler ainsi, alors que nous nous
13 travaillons dans un tribunal qui était qualifié de militaire. J'aimerais
14 qu'il n'y ait pas de confusion au niveau de la terminologie.
15 Ces juges civils de la Chambre d'appel étaient beaucoup plus malins que
16 nous parce qu'ils étaient civils et ils travaillaient dans une instance
17 judiciaire supérieure et ce qui était prévu, c'est que, finalement, les
18 tribunaux civils soient supérieurs aux tribunaux militaires. Bien sûr, au
19 niveau des tribunaux civils, aux tribunaux réguliers, c'était la Cour
20 suprême qui se situait au sommet de la pyramide.
21 Q. Dans le système judiciaire de Bosnie-Herzégovine, les cours militaires
22 étaient créées en même temps que les bureaux des procureurs militaires et
23 ces bureaux des procureurs militaires avaient pour vocation d'engager des
24 poursuites dans les cas que vous avez indiqués, n'est-ce pas ?
25 R. Oui.
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1 Q. Vous nous avez parlé de cela en détail. Le bureau du Procureur
2 militaire, pour sa part, avait les pouvoirs qui lui étaient décernés par la
3 loi et le code de procédure pénale. Ce texte prévoyait de quelle façon
4 devaient démarrer les poursuites pénales, de quelle façon devaient être
5 émis les actes accusation et définissait tous les autres pouvoirs de ces
6 bureaux du Procureur ? Est-ce bien ainsi que l'on peut décrire les
7 compétences du bureau du procureur militaire de Zenica ?
8 R. Il y avait bien d'autres tâches qui lui incombaient, mais c'est à peu
9 près cela.
10 Q. Comme vous nous l'avez dit, il existait également d'autres instances
11 responsables. Vous nous avez parlé du fait que le procureur militaire était
12 responsable au stade de l'élucidation du crime, dès l'étape tout à fait
13 initiale de l'enquête et que tout cela reposait sur le dépôt d'une plainte
14 au pénal ou en tout cas sur le dépôt d'un document d'information quant au
15 fait qu'un crime avait été commis, n'est-ce pas ?
16 R. Oui.
17 Q. Comme vous nous l'avez dit, la police militaire et les autres instances
18 de l'ABiH étaient responsables du dépôt de la plupart des plaintes auprès
19 du bureau du procureur. Des civils dont des citoyens réguliers pouvaient
20 également déposer de telles plaintes, n'est-ce pas ?
21 R. Oui, en effet. Ou plutôt, excusez-moi. Nous parlions d'un contexte
22 différent. Vous parlez d'un certain nombre de choses, mais il y avait
23 également des documents d'information qui pouvaient provenir du tribunal en
24 tant que tel. Si les gens se rendaient d'abord au tribunal et qu'ensuite,
25 les responsables du tribunal leur disaient de s'adresser au bureau du
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1 Procureur pour déposer leurs plaintes, ils la déposaient auprès du bureau
2 du Procureur.
3 Q. Oui. Tout cela est prévu par la loi, n'est-ce pas ? Est-il exact ? Je
4 peux vous remettre une copie de la loi, Article 148, qui dispose que les
5 instances judiciaires, les tribunaux de l'État, ainsi que diverses
6 entreprises, ont pour devoir de déposer de telles plaintes dans certaines
7 circonstances, et que les citoyens -- les habitants du pays peuvent le
8 faire également, s'ils le souhaitent, n'est-ce pas ?
9 R. Oui, en effet.
10 Q. Lorsque le procureur ne disposait pas de suffisamment de renseignements
11 pour lancer des poursuites, il était tenu par la loi de rechercher des
12 renseignements supplémentaires au sujet du crime en question et de
13 rechercher l'auteur de ce crime et ce, en vertu de l'Article 150,
14 paragraphe III, de la loi en question, n'est-ce pas ?
15 R. Oui. La police est l'organe qui est chargé d'élucider les crimes, et le
16 procureur est chargé de recueillir les renseignements susceptibles de
17 corroborer l'existence de base de fondements suffisants pour qu'il y ait
18 suspicion de commissions de crimes et fondements suffisants pour lancer des
19 poursuites et émettre un acte d'accusation.
20 Q. J'aimerais revenir sur la question qui vous a été posée par
21 l'Accusation s'agissant de l'existence de la cour militaire régionale et
22 des cours militaires spéciales, ainsi que des autres instances judiciaires,
23 qui avaient la responsabilité sur le plan pénal de juger des membres des
24 forces armées.
25 La règle qui s'applique dans le cas présent, dans le cas qui nous
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1 intéresse, est la même que celle qui s'applique à tous les tribunaux,
2 n'est-ce pas, à savoir qu'un tribunal est créé et qu'indépendamment du fait
3 qu'il s'agit d'une cour militaire ou d'une cour militaire spéciale, que
4 vous avez appelé cour martiale ou d'un tribunal correctionnel, de toute
5 façon, c'est toujours la même loi sur laquelle s'appuie la création de ces
6 instances judiciaires, n'est-ce pas ?
7 R. Oui. En tout cas, cela devrait être le cas. C'est la même loi qui
8 devrait être à l'origine de la création de tous ces tribunaux.
9 Q. La loi est également chargée de définir la juridiction de la compétence
10 de ces tribunaux, de tous les tribunaux, n'est-ce pas, et la procédure à
11 suivre dans le travail de tous ces tribunaux, n'est-ce pas ?
12 R. Oui.
13 Q. Pourriez-vous, je vous prie, vous pencher sur la pièce à conviction
14 P325, où vous trouverez un rappel des principes de base que vous
15 confirmerez très certainement, en tant que juriste ?
16 A l'Article 2, dont il a déjà été question ici, vous nous avez dit que,
17 lorsque ces tribunaux étaient créés selon cet Article 2, les tribunaux en
18 question n'étaient pas prévus pour être permanents, n'est-ce pas? Il
19 s'agissait plutôt de tribunaux ad hoc qu'il était possible de créer en
20 vertu de l'ordre d'un commandant de brigade, mais à condition qu'il existe
21 les conditions prévues pour cela par la loi, n'est-ce pas ?
22 R. Oui. Je l'ai déjà dit.
23 Q. Contrairement aux cours militaires régionales et aux cours civiles qui
24 sont des instances judiciaires permanentes, les cours militaires spéciales
25 n'étaient, en fait, que des cours des tribunaux ad hoc créées parce qu'il
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1 existait certaines circonstances prévues par la loi et aux fins d'accomplir
2 un certain nombre d'actions définies également par la loi, n'est-ce pas ?
3 R. Oui, c'est exact.
4 Q. Je vous demanderais à présent de vous pencher sur l'Article 3, page
5 322, là où il y a un certain nombre de sous paragraphes, de tirets. Est-il
6 exact que, dans tous ces tirets -- dans tous ces paragraphes correspondant
7 aux tirets, on parle des compétences précises de cette cour militaire
8 spéciale, à savoir que les différents actes commis par des hommes sous les
9 drapeaux et permettant la création d'une cour martiale sont énumérés à cet
10 endroit du texte et ce sont les actes qui peuvent donner lieu à une peine
11 tout à fait importante, comme, par exemple, la peine de mort. Ce sont les
12 seuls actes pour lesquels la cour martiale peut être compétente, n'est-ce
13 pas, sur ordre d'un commandant militaire ?
14 R. Oui.
15 Q. Ce tribunal ne commence à agir que lorsqu'il y a violations des devoirs
16 de l'homme, qui est sous les drapeaux, n'est-ce pas ? Une unité militaire,
17 en effet, doit agir en vue de défendre la vie de ses membres ou de défendre
18 une partie du territoire. Dans de telles circonstances, le commandant est
19 habilité à créer un tel tribunal ad hoc, n'est-ce pas, dans des cas bien
20 précis ?
21 R. Il est très difficile pour moi de vous dire que si ceci est exact ou
22 pas, en raison du fait qu'au début vous avez parlé de discipline. Il est
23 vrai que nous parlons ici de responsabilité disciplinaire, il a été
24 souligné que le commandant était tenu de faire en sorte que l'unité
25 militaire, placée sous ses ordres, atteigne l'objectif qui était le sien.
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1 Mais il y a quelque chose ici qui n'a rien à avoir avec la discipline. Par
2 exemple, si l'on déserte ou qu'on rejoint les rangs de l'ennemi. C'est un
3 acte d'opposition à l'unité dont on fait partie, qui est contraire au
4 règlement de son unité. De façon générale, on peut dire que c'est un acte
5 qui nuit à la situation en vigueur. Si l'unité a le pouvoir de punir
6 l'homme qui appartient à ses rangs et qui a commis cette infraction parce
7 qu'il a porté atteinte à l'unité de la formation militaire à laquelle il
8 appartient, il y a supériorité sur le plan judiciaire des compétences de
9 l'unité par rapport à qui que ce soit d'autre.
10 Q. Cependant, vous conviendrez avec moi que toutes les situations, qui
11 sont énumérées ici dans ces tirets, sont celles qui peuvent donner lieu à
12 intervention de ce tribunal, et que les compétences de ce tribunal ne
13 peuvent pas être élargies à d'autres actes que ceux qui sont envisagés ici
14 dans le cadre de la loi ?
15 R. Le commandant de régiment ou de brigade, dont il est question à
16 l'Article 2, s'il veut organiser -- mettre en place un tel tribunal
17 militaire spécial, doit disposer d'un texte comme celui-ci. En raison du
18 grand nombre de choses qui sont énumérées au point 2, Article 2 de ce
19 texte, le commandant est tenu d'émettre un ordre uniquement lorsqu'il a
20 lui-même reçu un ordre de son supérieur direct.
21 Par exemple, un commandant de régiment, s'il est confronté à une situation
22 où cinq hommes sont passés du côté de l'ennemi et certains sont capturés,
23 mais tout cela a eu une influence très négative sur l'unité, il y a parmi
24 ces hommes des soldats qui sont de très bons soldats, qui peuvent avoir une
25 influence importante sur leurs camarades. Dans ce cas, je décide, en tant
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1 que commandant de créer une cour martiale. Je ne vais pas pouvoir porter
2 plainte auprès d'un tribunal régulier, mais je veux que ces hommes soient
3 punis. Si le supérieur direct est un général, je m'adresserai au général
4 pour obtenir son autorisation afin de créer une cour martiale. Si toutes
5 les allégations sont conformes à la réalité, le général émettra l'ordre de
6 créer une cour martiale. Mais, si le général n'est pas d'accord avec la
7 création de cette cour martiale, elle ne peut pas être créée.
8 Enfin, excusez-moi, j'ai sans doute des déformations professionnelles. Je
9 parle trop.
10 Q. Lorsque vous parlez de cour militaire spéciale, nous voyons clairement
11 que ces cours sont distinctes de celles qui existaient dans le cadre de
12 l'ABiH, qui avaient compétence spécifiées et définies clairement par la loi
13 que nous avons sous les yeux en ce moment, n'est-ce pas ?
14 R. Oui.
15 Q. Est-il vrai qu'au sein de l'armée de même que, dans la vie civile, il y
16 a des infractions mineures qui ne sont jugées ni par les tribunaux
17 militaires réguliers ni par les tribunaux militaires spéciaux, mais par des
18 cours militaires disciplinaires, n'est-ce pas, dès lors que le sang n'ait
19 pas coulé, qu'il ne s'agit pas de crimes de sang ?
20 R. Là, nous entrons dans la description des structures de l'armée où il
21 est question de règlements de service, d'hiérarchie militaire, et cetera.
22 Tout cela dépend des structures de l'armée et de la chaîne de commandement
23 au sein de l'armée.
24 Q. J'aimerais que vous vous penchiez sur la pièce à conviction de
25 l'Accusation numéro 325, page 333, Articles 44, 45, 46, 47 et ultérieurs.
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1 Nous trouvons là dans notre disposition des règles de discipline militaire
2 adoptées en vertu du décret de loi applicable au service dans les rangs de
3 l'ABiH. Est-il vrai que cette disposition de l'Article 45 envisage la
4 création de tribunaux militaires disciplinaires ou de cours militaires
5 disciplinaires ?
6 R. Oui, ceci confirme ce que je viens de dire. Il y a un manuel distinct,
7 un manuel séparé qui contient le règlement de discipline militaire,
8 applicable dans les rangs de l'armée, qui dépend de la structure
9 hiérarchique de l'armée.
10 Q. A l'Article 46, nous lisons que ces cours disciplinaires ont été créées
11 par le ministre de la Défense par le passé et, plus tard, par les corps
12 d'armée.
13 Si l'on souhaite sortir des structures militaires, qui sont susceptibles de
14 juger les militaires, il faut s'adresser aux cours militaires régionales
15 pour toutes les infractions commises par les soldats et, éventuellement,
16 aux cours militaires spéciales qui sont des cours ad hoc destinées à
17 intervenir dans des circonstances exceptionnelles. Les cours disciplinaires
18 sont créées dans les rangs de l'armée pour juger des infractions mineures à
19 la discipline militaire.
20 Je pense que l'heure de la pause est arrivée. Nous pourrions poursuivre
21 après la pause, Monsieur le Président.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est midi 30. Nous reprendrons aux environs d'une
23 heure moins 5.
24 --- L'audience est suspendue à 12 heures 30.
25 --- L'audience est reprise à 12 heures 59.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Avant de donner la parole à la Défense, on va
2 reprendre nos calculettes pour savoir sur la durée du temps. Il vous faut
3 combien de temps encore pour poser vos questions ?
4 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai terminé
5 avec un tiers de mes questions, je pense qu'il nous faudra deux heures en
6 tout. Jusqu'à présent, c'est 45 minutes que j'ai utilisées.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : On ne terminera pas aujourd'hui.
8 Les autres Défenseurs, il leur faudra combien de temps ?
9 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Si nous
10 avions des questions, il ne nous faudrait que quelques minutes pour les
11 poser.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Comme, par ailleurs, les Juges auront des questions
13 vous vous en doutez. L'audience se poursuivra demain. Cela risque de poser
14 un problème avec l'enquêteur qui est prévu. A ce moment-là, il faudra peut-
15 être commencer demain avec l'enquêteur et poursuivre lundi avec lui.
16 Madame Benjamin, pouvez-vous nous apporter des
17 éclaircissements ?
18 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Monsieur le Président, l'enquêteur
19 est ici, il est présent tout le temps. Nous ne pensons pas que nous aurons
20 quelqu'un lundi. Peut-être pourrait-on terminer avec l'interrogatoire du
21 juge pour qu'il puisse partir, et nous allons interroger l'enquêteur lundi.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Je pense que cela serait une bonne chose
23 puisque l'enquêteur est à disposition. S'il est présent, il n'y aura aucun
24 problème pour qu'il soit entendu lundi.
25 Nous avons du temps. Je vous redonne la parole.
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1 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
2 Q. Monsieur le Juge, avant la pause, nous évoquions les compétences
3 principales du tribunal militaire régional où vous avez siégé comme juge;
4 cependant, la loi, comme dans de nombreuses autres situations, prévoit
5 aussi des exceptions. Ainsi, cette loi a prévu des exceptions, lorsque les
6 militaires ne sont pas jugés par le tribunal militaire ou aussi lorsque le
7 tribunal militaire juge des civils. C'est la pièce P327 que nous allons
8 examiner maintenant. Tout d'abord, l'Article 9, page 319.
9 Est-il exact que la loi prévoit, et que ceci s'est produit dans la
10 pratique, car les tribunaux ont appliqué absolument la loi que, dans les
11 cas où un civil et un militaire ont commis un crime, en tant que co-auteur
12 ou en tant que complice ou personne ayant encouragé ou aidé, que dans ce
13 cas-là, c'était le tribunal régulier qui était compétent pour juger le
14 militaire et le civil. Le militaire, qui était le co-auteur, était jugé de
15 cette manière-là ?
16 R. C'est ce qui est prévu par la loi.
17 Q. C'était une exception lorsque les tribunaux réguliers étaient
18 compétents de juger les militaires. Ainsi, pendant la guerre à Zenica, il
19 s'est produit, qu'en plus du tribunal militaire régional, les militaires
20 soient jugés pour des infractions mineures par des tribunaux de police ou
21 dans des cas plus graves, par des tribunaux d'instance plus élevée lorsque
22 les conditions prévues par cette loi étaient réunies ?
23 R. Oui, je suppose que de tels cas se sont produits.
24 Q. Je vous prie d'examiner maintenant l'Article 7. C'est l'article qui a
25 été abordé avec vous, mon éminente collègue également. C'est une situation
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1 où le tribunal militaire qui, en règle générale, juge les militaires, juge
2 aussi des civils. Est-il exact que cet article stipule de manière tout à
3 fait précise, quelles sont les circonstances où le tribunal militaire et
4 compétent eu égard aux civils ? Commençons par l'alinéa final. Il y est
5 prévu une situation où votre tribunal était compétent de juger des civils
6 qui avaient travaillé comme employés pour l'armée, et qui ont commis une
7 infraction dans le cadre de l'exercice de leur fonction; est-ce
8 exact ?
9 R. Oui.
10 Q. Je ne sais pas si vous avez rencontré dans la pratique ce genre de cas
11 pendant la guerre.
12 R. Je ne m'en souviens pas. Il est possible, mais je ne m'en souviens pas.
13 Q. Cependant, à l'Article 7, premier alinéa, l'on voit une énumération des
14 infractions qui figurent à la loi qui a été adoptée de l'ex-fédération
15 yougoslave. Je demanderais à l'Huissière de remettre à M. le Juge cette loi
16 pour qu'il puisse l'examiner.
17 R. Merci.
18 Q. Ma seule question sera la suivante, et c'est une question cumulative.
19 Est-ce que c'est vrai qu'il s'agit de l'Article 114, acte
20 anticonstitutionnel, et 118, 119 et 121, les Articles suivants ? Il s'agit
21 d'actes, lorsque l'on empêche la défense ou toute action contre l'ennemi,
22 aider à l'ennemi. Article 123, entrave au pouvoir de défense, rébellion
23 armée; Article 125, terrorisme à l'encontre d'installations militaires,
24 diversion et espionnage à l'encontre des installations militaires,
25 révélation de secrets militaires lorsqu'il s'agissait de secrets
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1 militaires. Par la suite, atteinte à l'intégrité territoriale et tous les
2 actes criminels que vous avez précisés, qui concernaient directement la
3 désertion, la non-réponse à la mobilisation, tout ce qui concernait
4 directement nos services dans les rangs de l'armée. S'agit-il là de crimes
5 pour lesquels le tribunal militaire régional, s'il y avait un doute
6 raisonnable ou si un acte d'accusation était dressé ? Est-ce que c'était le
7 cas où ce tribunal jugeait les civils ?
8 R. Oui, c'est ce qui figure à l'Article 7.
9 Q. Vous avez aussi diligenté des enquêtes ou une enquête à l'encontre d'un
10 certain nombre de personnes, un grand nombre de personnes pour rébellion
11 armée. Plus tard, cette procédure a été stoppée; est-ce exact ?
12 R. Pouvez-vous répéter votre question ?
13 Q. Une demande est venue et a été soumise au tribunal pour lancer une
14 enquête à l'encontre des membres des armées du HVO. L'accusation était
15 qu'ils avaient tenté une rébellion armée ?
16 R. Oui, c'est exact.
17 Q. Ils étaient considérés comme civils parce qu'ils avaient été désarmés.
18 Conformément aux dispositions de cet article, vous étiez compétent de les
19 poursuivre -- de les juger ?
20 R. Oui.
21 Q. Il me semble que nous en avons terminé avec la question, qui porte sur
22 les compétences du tribunal militaire, où vous avez siégé eu égard au
23 décret, à la décision portant création de ce tribunal.
24 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, puisque je souhaite
25 poser au témoin un certain nombre de questions, qui concernent les
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1 compétences des juges, conformément à la loi portant sur la procédure
2 pénale, comme vous avez exprimé le souhait que l'une des parties en
3 l'espèce vous présente le texte, le texte du code pénal, nous, nous avons
4 trouvé un exemplaire du code pénal qui s'appliquait en Bosnie-Herzégovine.
5 Si vous l'acceptez, je vous remettrais cet exemplaire et je poserais des
6 questions, par la suite.
7 Aussi, comme M. le Juge vient de le dire, comme l'on ne juge pas uniquement
8 en se fondant sur la loi de l'ex-fédération yougoslave, mais aussi en se
9 fondant sur la loi de Bosnie-Herzégovine, où tout autre acte au pénal était
10 prévu aussi, nous avons aussi la traduction de ce code pénal de Bosnie-
11 Herzégovine. Si la Chambre le juge utile, nous ne nous proposons pas de le
12 verser au dossier, mais nous pourrions peut-être vous remettre un
13 exemplaire si cela peut vous aider.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Madame Benjamin, pas d'objection ?
15 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Nous n'avons aucune objection.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : La Défense pourrait aussi demander le versement des
17 pièces.
18 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Nous avons une version anglaise pour
19 chacun des membres de la Chambre de première instance, un exemplaire pour
20 le Greffe et un pour l'Accusation. Nous n'avons que des extraits en
21 bosniaque pour les autres parties présentes et pour le témoin parce que,
22 bien entendu, je ne poserai pas mes questions au sujet de toutes les
23 dispositions de cette loi. Seuls quelques articles ou quelques dispositions
24 m'intéresseront.
25 Aussi, serait-il peut-être utile que je remette le texte intégral de la loi
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1 à M. le Juge ? Ceci faisait partie de sa pratique quotidienne. Il lui sera
2 peut-être plus facile de se repérer si je lui remets cet exemplaire.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Surtout qu'il doit connaître par cœur ce document.
4 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, la règle voulait
5 qu'on le connaisse par cœur, mais qu'on en ait toujours un exemplaire pour
6 le relire si besoin était.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, les juges, un peu
8 plus expérimentés, n'aiment toujours pas voir les jeunes juges sans leur
9 exemplaire à la main.
10 Mme RESIDOVIC : [interprétation]
11 Q. Est-il vrai, Monsieur le Juge, que cette loi était en vigueur en
12 Bosnie-Herzégovine, avec quelques modifications insignifiantes pendant tout
13 le temps de la guerre et lorsque vous étiez juge ?
14 R. Oui, c'était la loi de l'ex-fédération yougoslave qui était en vigueur.
15 C'est le code aux procédures pénales.
16 Q. Ce code précise aussi les compétences du procureur, les organes du
17 ministère de l'Intérieur et du juge, également, de la Défense, de l'accusé,
18 le témoin, de toutes les parties présentes.
19 R. Oui, de toutes les parties.
20 Q. A présent, je voudrais préciser un petit peu ce que vous avez déjà
21 évoqué en parlant de la police militaire.
22 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, la partie que je
23 viens de fournir, à savoir, les extraits, ne concerne que le code de
24 procédure pénale et non pas la deuxième partie que je vous ai remise aussi,
25 à savoir, le code pénal de Bosnie-Herzégovine, car je ne poserai aucune
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1 question sur la deuxième loi. Je pensais qu'il était utile que je vous
2 remette une traduction de ce code aussi.
3 Q. Précédemment, nous avons parlé des obligations de porter plainte. Je
4 vous demanderais de vous reporter aux dispositions des Articles 149, 150,
5 ainsi que 151, 148, 149, 150 et 151. Est-ce que l'on voit là les
6 dispositions, qui régissent les questions qui sont celles de savoir qui
7 porte plainte et aussi de quelle manière cette plainte doit être déposée ?
8 R. Oui.
9 Q. L'Article 151 précise les compétences des organes du ministère de
10 l'Intérieur. Comme vous l'avez déjà dit, les organes de sécurité militaire
11 -- la police militaire avait, en réalité, devant le tribunal militaire, les
12 compétences qui étaient celles de la police devant un tribunal régulier;
13 est-ce exact ?
14 R. Oui.
15 Q. Hélas, les interprètes me demandent si j'ai une traduction anglaise,
16 mais je ne l'ai pas. Excusez-moi, Monsieur le Président. J'ai quand même
17 mon exemplaire du code. Mon assistant remettra cette version aux
18 interprètes.
19 Monsieur le Juge, est-il vrai que les organes du ministère de
20 l'Intérieur, c'est-à-dire, les organes de sécurité de la police militaire,
21 par définition, devaient prendre un certain nombre de mesures afin
22 d'identifier l'auteur d'un acte présumé ?
23 R. Oui.
24 Q. Ces organes étaient habilités à convoquer un certain nombre de
25 personnes afin de recevoir des informations, et sans procédure spéciale,
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1 ils pouvaient retenir ces personnes pendant 24 heures.
2 R. Oui.
3 Q. La police, qu'elle soit civile ou militaire, réunissait des
4 informations qui ne pouvaient pas être utilisées, en tant que preuves,
5 pendant la procédure, et le juge ne pouvait jamais les voir.
6 R. Oui, à titre exceptionnel, en cas de décès, il y avait des dispositions
7 que précisaient ces cas très exceptionnels où c'était possible.
8 Q. La police, qu'elle soit civile ou militaire, et les organes chargés de
9 la sécurité, et ce, conformément à cette loi, pouvaient -- au sujet d'un
10 individu sur lequel posait un doute comme quoi il aurait commis un crime,
11 pouvaient le placer en détention et le garder en détention jusqu'à trois
12 jours.
13 R. Oui.
14 Q. Par la suite, s'ils estimaient que cette détention devait être
15 prolongée, ils devaient en informer le tribunal et le procureur, et
16 demander que le juge se prononce sur la détention.
17 R. Non, c'était à partir de ce moment-là que la détention était prononcée.
18 Jusqu'à ce que le juge ne se prononce, ils étaient retenus simplement. Il
19 s'agissait simplement d'une garde-à-vue qui relevait de la compétence de la
20 police. Par la suite, c'est le juge qui décidait de placement en détention.
21 Q. La police militaire, c'est-à-dire, les organes de sécurité militaire,
22 s'il y avait un doute raisonnable, comme quoi des civils auraient commis
23 des infractions qui relevaient de la compétence du tribunal militaire, et
24 ce, au titre de l'Article 7 que nous venons de voir, ils pouvaient aussi
25 convoquer des civils afin de recueillir des informations de leur bouche,
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1 c'est-à-dire, qu'ils pouvaient les garder à vue jusqu'à trois jours ?
2 R. Ils pouvaient demander l'assistance de la police régulière, car je ne
3 sais pas de quelle manière cette pratique s'est installée, mais c'était
4 toujours très positif. Les polices militaires et civiles s'informaient
5 mutuellement. Lorsqu'il s'agissait aussi parfois de co-auteurs civils et
6 militaires, il y avait une possibilité ou cela ouvrait des possibilités
7 multiples d'identifier des auteurs. Il y avait une coopération entre les
8 deux.
9 Q. Vous êtes témoin d'une pratique qui montrait cette entraide entre les
10 deux polices civile et militaire afin que l'on respecte dans toute la
11 mesure du possible les droits des citoyens et que l'on trouve des
12 informations importantes.
13 R. Oui.
14 Q. Comme vous venez de le dire, c'était une pratique positive, louable.
15 C'était aussi une pratique tout à fait conforme à la loi, si des organes
16 civils ou militaires convoquaient des civils afin de recueillir leurs
17 déclarations s'il y avait un doute au titre de l'Article 7.
18 R. Oui, c'était possible. J'ai ajouté quelque chose à votre explication,
19 quelque chose que j'ai pu voir grâce à une coordination entre les organes,
20 lorsque vous aviez affaire à des gens normaux qui voulaient travailler
21 ensemble.
22 Q. Vous avez expliqué à ma collègue le rôle qui a été joué par les juges
23 dans la procédure pénale. Vous avez dit que les tribunaux tout d'abord,
24 menaient une enquête en se fondant sur une requête émanant du procureur
25 militaire au sujet d'un individu donné et au sujet d'un acte donné
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1 demandant qu'une enquête soit diligentée, et que les tribunaux étaient
2 saisis d'une affaire après sur demande du procureur.
3 R. Oui.
4 Q. Est-il exact, je vous demanderais de vous référer à l'Article 156, sous
5 l'alinéa 1, du code de procédure pénale, est-il exact qu'il était prévu que
6 le juge d'instruction, après avoir reçu une information qu'un crime a été
7 commis, cette information normalement émanait de la police militaire ou de
8 toute autre personne -- est-ce qu'il est exact que le juge d'instruction
9 pouvait diligenter une enquête même avant qu'il n'y ait une requête
10 officiellement présentée par le procureur ?
11 R. Même avant que le procureur ne le demande, c'est de cette manière-là
12 que vous l'articulez. A l'Article 156, ce qui est précisé, ce sont les
13 activités du juge d'instruction pour ce qui est de ses compétences réelles.
14 Il doit examiner la requête du procureur. C'est sa compétence réelle.
15 Lorsqu'il s'agit d'un juge d'un tribunal d'instance inférieure qui n'a pas
16 de compétence réelle et qui normalement ne pourrait pas prendre part à
17 cette procédure, ne pourrait pas juger, ne pourrait même pas être juge
18 d'instruction, cela lui permet d'entreprendre un certain nombre de mesure,
19 de faire certaines activités, qui elles, doivent permettre de recueillir
20 des éléments de preuve, qui, sinon, ne pourraient pas être recueillis,
21 parce qu'il y aurait un risque de report ou de délai. C'est cela qui est
22 précisé : danger de report ou de délai.
23 S'il y a un danger qu'on perde des éléments de preuve, il est dit quel que
24 soit le juge présent, qu'il soit d'instance inférieure ou supérieure, il
25 est dans l'intérêt de la procédure qu'il agisse. C'est de cela que parlent
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1 ces dispositions.
2 Q. C'est précisément la question que je voulais vous poser. Ce sont
3 précisément les cas que vous avez cités lorsque vous avez répondu à mon
4 éminente collègue. C'est là où on se rendait sur les lieux lorsqu'il y
5 avait un assassinat, un incendie. Dans ces cas-là, un juge d'instruction se
6 rend sur les lieux pour entreprendre des actions qui sont prévues par la
7 loi.
8 R. Oui.
9 Q. C'est le procureur, la police civile et militaire qui prenaient part.
10 Indépendamment de cela, le juge était tenu d'informer immédiatement le
11 procureur militaire de toutes les actions entreprises; est-ce bien exact ?
12 R. Les juges ne pouvaient pas engager une procédure. Les juges pouvaient
13 vérifier les éléments de preuve réunis pour avoir des éléments de preuve
14 fiables. Celui qui lance la procédure ne peut pas garantir la valeur des
15 éléments de preuve. Pour qu'avant le procès on puisse garantir cela, le
16 juge se rendait sur les lieux, parce qu'on fait confiance aux juges. Or, le
17 juge ne fait pas confiance à celui qui porte plainte.
18 Q. Cependant, même si vous transmettiez au procureur ce constat et les
19 éléments de preuve, vous gardiez au tribunal une copie de ce que vous aviez
20 entrepris. C'est sous le numéro 3 que c'était enregistré.
21 R. Oui, c'était une trace de l'activité des juges. Aussi, c'était une
22 possibilité de contrôler la procédure engagée car, si quelqu'un s'est vu
23 violer ses droits pendant la procédure, si au bout d'un certain temps il
24 s'adresse au procureur pour réexaminer ce qui a été fait pour voir si ce
25 dossier a existé, si le dossier s'était perdu, ou perdu de manière
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1 intentionnelle, ou il y a eu un abus de la part du procureur, il y avait
2 toujours une possibilité de se rendre au tribunal. C'étaient des archives
3 séparées, des registres séparés, et c'était là qu'on pouvait prendre
4 connaissance de ce dossier.
5 Q. Si, pendant qu'il faisait ce constat sur les lieux, le juge rencontrait
6 des témoins de l'acte, il pouvait recueillir rapidement leurs déclarations,
7 et pouvait recueillir leur identité et les éléments sur eux pour pouvoir
8 les retrouver et les contacter par la suite.
9 R. C'est l'Article 156 que vous avez cité, n'est-ce pas ? En fait, c'est
10 238. On dresse le constat. Le témoin donne lecture du texte de la loi.
11 C'est de l'Article 238 qui donne la possibilité au juge de se rendre sur
12 les lieux. A l'article que vous avez cité, on donne cette possibilité aussi
13 au juge du tribunal qui n'a pas compétence. Ici, on le précise dans
14 l'intérêt de la procédure.
15 Q. Vous recueilliez également des données ne portant sur les éventuels
16 témoins de l'acte et vous preniez note de cela. Vous le conserviez.
17 R. Oui. Lorsque c'était possible, on pouvait avoir un entretien. Il y
18 avait là justement un danger de reporter ou de perdre toute possibilité de
19 traiter le dossier, une personne pouvait décéder, pourrait se rendre à
20 l'étranger. Il était toujours important de faire cela en présence d'un
21 juge.
22 Q. Je présente mes excuses, nous avons trop accéléré. Sur place le juge
23 pouvait décider de placer les suspects en détention. Il pouvait décider de
24 ces détentions sur le champ.
25 R. Oui. C'était la police qui était chargée de la garde-à-vue. La
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1 détention était décidée par le juge ou par le procureur -- était demandée
2 par le procureur qui se fondait sur sa suspicion qu'une infraction a été
3 commise. Le procureur devait avoir suffisamment de temps pour examiner ce
4 qu'il venait de réunir comme éléments.
5 En général, on peut dire que le juge pouvait garder à vue ou détenir. En
6 résumé, on pourrait dire priver de liberté un individu suspect.
7 Q. En plus, le juge pouvait aussi émettre une ordonnance ou décider à
8 d'autres organes d'entreprendre d'autres actions, concernant l'enquête, par
9 exemple, l'exhumation ou autres expertises et tout cela afin de garantir
10 qu'on puisse réunir les éléments de preuve en vue de procédures à venir ?
11 R. D'après la nouvelle motion de la loi, ceci est précisé et ces actions
12 ne sont plus du tout les mêmes que dans le texte ancien. Cela concernait
13 uniquement le constable et s'est immédiatement dressé sur les lieux. C'est
14 cela qui exigeait la présence ou l'activité du juge.
15 Tout le reste de ce que vous venez d'énumérer, cela faisait partie de la
16 procédure par la suite. Mais s'il y avait un doute raisonnable qu'un tel
17 porteur d'un revolver a commis un meurtre et qu'il a été surpris, arme à la
18 main, tout juge pouvait décider du test de volcaire [phon] -- il me semble
19 que c'est ainsi que cela s'appelle -- puisque les particules restent, les
20 traces des particules restent, uniquement pendant un certain temps.
21 Q. Le fait qu'un juge soit sur les lieux et que dans 99 % des cas le
22 procureur le soit aussi, et c'est le juge qui recueille toute la
23 documentation et la remet au procureur, tout ceci se passait et cette
24 procédure était engagée sur ordre du procureur ?
25 R. Oui, avec l'accord préalable du tribunal.
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1 Q. Je vous remercie. Maintenant je voudrais vous poser quelques questions
2 à propos d'éventuels problèmes qui pouvaient surgir pour ce qui est de la
3 recherche de l'enquête et du jugement. Vous aviez parlé des conditions très
4 difficiles dans lesquelles vous avez exercé votre métier, sans papier, sans
5 ressource quelconque. Pourriez-vous confirmer qu'en 1993 et 1994, toutes
6 les instances chargées de l'application de la loi à Zenica, se sont
7 trouvées en butte, à un problème énorme ? Ce qui a rendu l'exercice de vos
8 fonctions des plus difficiles ?
9 R. Vous savez que la guerre produit toujours des conditions extrêmes et
10 tous les organes ont travaillé dans des conditions très difficiles.
11 Q. Outre ces problèmes liés aux ressources, vous, en tant que juge, vous
12 avez été face à un autre grand problème, c'est qu'il y avait un énorme
13 afflux de réfugiés et d'énormes fluctuations démographiques dans la région.
14 Il vous était très difficile de déterminer, d'établir l'identité, le lieu
15 de résidence de certains suspects, de certains témoins, pour des affaires
16 futures ?
17 R. C'est vrai. Ce fut là un des nombreux problèmes que nous avons
18 rencontrés pour ce qui est des crimes de guerre et des crimes en général.
19 Q. Mis à part tout cela, comme vous l'avez déjà dit, les problèmes
20 venaient aussi de la situation de guerre, non loin de Zenica, en effet, se
21 déroulaient des opérations de combat et il y avait des lignes de front tout
22 près, surtout en 1993, devant l'armée de la Republika Srpska, avec aussi le
23 conseil croate de Défense, le HVO.
24 R. Exact.
25 Q. Il y avait aussi, comme autre obstacle, le nombre -- le fait que
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1 beaucoup de crimes ont été commis de nuit, de la part d'inconnus, et très
2 souvent la police militaire -- les organes de sécurité se sont plaints,
3 disais-je, des grandes difficultés qui y avait à recueillir des éléments de
4 preuve permettant de déterminer l'identité des auteurs présumés.
5 R. Oui, il n'y a pas de règles à la commission de délits. Cela peut se
6 faire le jour, la nuit, l'après-midi. En général, on se plaignait du fait
7 que les conditions de travail étaient rendues plus difficiles par la
8 situation de guerre. Tout ce qui est normal en temps de paix, tout ce qui
9 peut se faire rapidement en temps de guerre, tout d'abord ne serait-ce que
10 l'établissement de transmission, le déplacement, le transport sur les lieux
11 de l'infraction, tout ceci est ralenti, voire rendu impossible, vu les
12 conditions de guerre ?
13 Mais il arrivait aussi que nous soyons informés de quelque chose tout à
14 fait impossible et on allait à la police et on voyait les policiers en
15 train de jouer aux cartes. Le commandant leur ordonnait l'ordre d'aller
16 quelque part. Mais, quelquefois, ils ne se dérangeaient même pas. Ils ne
17 voulaient même pas partir, aller sur les lieux du crime.
18 Q. De plus, en qualité de Juge, est-ce que vous avez rencontré des
19 situations où des gens portaient des armes illégalement ? Est-ce qu'il n'y
20 avait pas aussi des gens en uniforme, alors qu'ils n'étaient pas membres de
21 l'armée ? N'y avait-il pas aussi des fausses identités, des personnes qui
22 voulaient entrer par infraction dans l'appartement d'autrui et qui avaient
23 des pièces d'identité fausses ?
24 R. Oui. C'est arrivé dans notre pratique judiciaire; cependant, au
25 quotidien, il fallait se demander qui avait les responsabilités. La police
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1 civile a très bien réglé de tels cas; cependant, quiconque se trouvait en
2 uniforme portait aussi des armes. Qui est-ce qui a vérifié l'identité de
3 ces individus ? Nous, ils nous étaient impossibles de le savoir.
4 Lorsqu'on rencontrait un individu en uniforme, portant des armes, un homme
5 ordinaire aurait pensé aussitôt que c'était là un soldat. Il n'y avait que
6 l'armée ou la police militaire qui pouvait, effectivement, effectuer des
7 vérifications. Il était difficile de voir si un civil avait des armes et la
8 police civile, si c'était le cas, réagissait immédiatement.
9 Vous venez parler des informations, mais des informations qu'on trouve dans
10 certains documents judiciaires. Il arrivait que des individus nous
11 informent -- nous donnent des informations sur des gens qui portaient
12 illégalement des armes et qui n'étaient pas des soldats, qui avaient pris
13 une fausse identité, tout simplement pour pénétrer par infraction dans
14 l'appartement d'autrui.
15 Q. Est-il vrai de dire qu'il y avait un autre problème qui rendait plus
16 difficile le travail d'enquête. Je parle du fait que beaucoup de personnes,
17 surtout des environs de Zenica, et de Zenica même, allaient dans les zones
18 contrôlées par le HVO et que ces zones étaient interdites d'accès à la
19 police militaire, aux procureurs militaires, ou à vous, en tant que juges.
20 Aucun de vous ne pouvait se rendre dans ces zones pour effectuer les
21 enquêtes; est-ce exact ?
22 R. Vous savez, le crime n'a pas de frontière, c'est vrai dans tous les
23 pays du monde, même pas dans la guerre. Il faudrait voir dans quelles
24 mesures ceci a été vrai en Bosnie-Herzégovine. Il s'est présenté des cas de
25 gens qui ont fui en territoire ennemi, bien sûr.
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1 Q. Très souvent il était même impossible d'interroger les victimes. En
2 effet, ces victimes partaient aussi dans des zones contrôlées par le HVO.
3 Vous, en tant que juges, vous n'aviez pas les ressources pour les citer en
4 vue d'un interrogatoire devant le tribunal ?
5 R. Si je voulais vous répondre, je devrais citer certains de mes dossiers.
6 Je ne me souviens pas d'un dossier où j'aurais été dans la possibilité
7 d'entendre quelqu'un. Il était toujours possible de partir à la recherche
8 de quelqu'un qui était passé de l'autre côté, mais ceci s'appliquait moins
9 aux victimes qu'aux criminels, indépendamment de leur origine ethnique. Ces
10 criminels partaient souvent, fuyaient sur un territoire, où ils étaient
11 sûrs de ne pas être arrêtés. Il n'y avait quelques lieux de passages de la
12 frontière que les criminels pouvaient toujours traverser pour vaquer à
13 leurs occupations. Ce n'est pas vrai des citoyens ordinaires. Ce sont ces
14 endroits-là où il y a eu le plus grand abus, en matière d'utilisation
15 d'uniforme et d'armes.
16 Q. Est-il vrai que la police militaire, même si elle disposait
17 d'information, selon lequel quelque chose s'était passé, que cette police
18 militaire n'arrivait pas toujours à recueillir suffisamment d'éléments de
19 preuve, suffisamment de renseignements permettant de montrer que c'était
20 bien une infraction et pas un accident. Est-il vrai de dire qu'à ce moment-
21 là, la police militaire n'avait pas suffisamment d'éléments que pour
22 entraîner le dépôt d'une plainte au pénal. Il conservait ce dossier
23 jusqu'au moment où les éléments de preuve seraient suffisants que pour être
24 transmis au procureur. Etait-ce vrai ?
25 R. Je ne sais pas ce que la police militaire a fait à cet égard. Je n'ai
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1 pas collaboré dans ce sens avec la police militaire. Je sais que, chaque
2 fois qu'un juge était appelé sur les lieux, après un certain temps, ce juge
3 demandait à voir ce qui avait été fait s'agissant des ordres qui venaient
4 de l'enquête sur les lieux. On essayait de maîtriser le dossier et de
5 terminer le travail.
6 Vous avez mentionné un exemple. Dans ce cas-là, il est fort possible qu'un
7 certain nombre de dossiers fût rendu plus compliqué par la difficulté
8 d'obtenir des éléments de preuve car il faut un certain nombre d'éléments
9 de preuve réunis pour pouvoir mettre en accusation. Les rapports avec le
10 procureur -- du procureur avec la police devraient être tels qu'il ne
11 fallait pas trop retarder les choses.
12 Le procureur devait exercer un certain contrôle, voir pourquoi tel ou tel
13 dossier n'était pas suivi parce que, si cela n'a pas été fait, la porte
14 était ouverte à tous les excès. Imaginez une situation où le procureur
15 appelle la police militaire pour voir ce qui s'est passé, la police
16 militaire dit : "Nous n'avons pas suffisamment de preuves." Si c'était le
17 cas, il faudrait -- il aurait fallu qu'un ordre soit donné pour que
18 d'autres moyens soient utilisés afin d'obtenir des éléments de preuve.
19 Si, par ailleurs, la police disait à l'accusation : "Voila, on s'est rendu
20 sur les lieux, on n'a rien trouvé, ni rien, ni personne." A ce moment-là,
21 effectivement, cela pouvait être un abus de pouvoir.
22 Il vous est arrivé de déposer une plainte au pénal contre la police
23 militaire pour exaction ou pour excès dans l'armée, abus de leur pouvoir au
24 sein de l'armée, et c'était consigné. Nous l'avons fait parce que nous
25 avons constaté que certains membres de l'armée s'étaient un peu servis de
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1 leurs autorités et avaient abusé de leur situation. Nous voulions le faire
2 pour montrer à la police qu'elle ne pouvait pas se comporter de telle
3 façon.
4 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent qu'il y ait des pausés ménagées
5 entre les questions et les réponses.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voudrais terminer ce que je disais. Tout
7 était possible. Tout était prescrit par la loi. Tous les services
8 existaient, et j'affirme, avec le plus grand sérieux, que tout dépendait du
9 nombre de personnes qui étaient prêtes à faire. Est-ce qu'ils se semaient
10 des embûches ? Est-ce qu'ils étaient sérieux ou pas ? Il y avait un
11 système. Il y avait la police de recherche -- d'enquête. Il y avait
12 également le procureur, qui devait engager des poursuites. Il y avait les
13 tribunaux, qui devaient juger. Mais tout -- est-ce que chacun de ces
14 éléments de la structure auraient dû agir correctement et ne l'a pas fait,
15 cette question on peut la constater aux différents stades de la procédure.
16 Si vous entrez dans un prétoire, vous voyez un dossier où tout a été
17 consigné, acté, et vous voyez tout ce qui a été nécessaire pour un
18 jugement, il faut voir, dans le dossier du procureur, s'il a reçu tous les
19 rapports ou procès-verbaux et les a transmis au tribunal, au juge. Est-ce
20 qu'il a transmis ces dossiers ou est-ce qu'il a déclaré un non lieu parce
21 qu'il estime qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour engager des
22 poursuites ? Tout ceci doit avoir été consigné quelque part et répertorié.
23 Il y a la police. Il faut voir les plaintes déposées par les citoyens, les
24 choses qui sont notoriétés publiques. Il faut voir si tout ceci a été
25 consigné dans les archives de la police. Vous verrez, à ce moment-là, ce
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1 qu'a fait chacun des segments, chacun des maillons de la chaîne, ou ce
2 qu'elle n'a pas fait.
3 Mme RESIDOVIC : [interprétation]
4 Q. Merci de cette réponse longue et détaillée. Vous savez, sans doute,
5 tout comme moi, qu'on a ici un certain taux de criminalité, qu'on a des
6 chiffres en la matière.
7 R. Je ne parle pas de cela. Je parle de la question de savoir dans quelle
8 mesure chaque segment a fait son travail sérieusement.
9 Q. Lorsque c'est la guerre, il y a davantage de criminalité. Il est plus
10 difficile d'obtenir des informations qu'en temps de paix.
11 R. Il fallait s'attendre à ce que la criminalité augmente, de façon
12 spectaculaire, vu la guerre -- les conditions de guerre. Pourtant -- et je
13 l'ai expliqué à une réunion professionnelle -- il n'y a pas eu
14 d'augmentation de la criminalité en Bosnie-Herzégovine, dans la mesure
15 attendue. Je ne sais pas à quoi c'est dû, mais disons qu'il n'y a pas de
16 correspondance avec d'autres chiffres qu'on trouverait dans d'autres pays
17 qui étaient en guerre, y compris des pays plus civilisés.
18 Q. Passons à autre chose. Je reviendrai à cette question un peu plus tard,
19 en me servant de quelques chiffres. Est-il vrai de dire, Monsieur Adamovic
20 --
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Vu l'heure, on continuera demain.
22 Monsieur le Juge, d'ici demain, vous ne rencontrez personne puisque, comme
23 vous avez prêté serment, vous êtes maintenant le témoin de la justice. Vous
24 n'appartenez plus à aucune des parties. Je vous invite à revenir pour
25 l'audience, qui se tiendra demain matin à neuf heures. Je pense que nous
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1 aurons terminer, dans la journée de demain, votre audition, au plus tard, à
2 13 heures 45.
3 S'il n'y a aucune autre question à l'ordre du jour, je lève l'audience et
4 je vous invite à revenir tous demain pour 9 heures.
5 Je vais rendre à M. le Greffier deux pièces qu'il m'avait données, qui sont
6 enregistrées et que je lui restitue.
7 --- L'audience est levée à 13 heures 45 et reprendra le vendredi 25 juin
8 2004, à 9 heures 00.
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