Affaire n° : IT-01-48-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge György Szénási

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
30 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

SEFER HALILOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE CERTIFICATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Philip Weiner
Mme Sureta Chana

Les Conseils de l’Accusé :

M. Peter Morrissey
M. Guénaël Mettraux

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

Vu la demande de certification (Motion for Certification) (la « Demande ») déposée le 21 février 2005 en application de l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), par laquelle la Défense cherche à obtenir de la Chambre qu’elle certifie l’appel interlocutoire de sa Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’autorisation de modifier sa liste de pièces à conviction déposée en application de l’article 65 ter E) iii) du Règlement (la « Requête de l’Accusation »), rendue le 14 février 2005 (la « Décision »), par laquelle la Chambre a fait droit à la Requête de l’Accusation,

ATTENDU qu’en application de l’article 73 B) du Règlement, deux conditions doivent être remplies pour que la Chambre de première instance certifie un appel interlocutoire : 1) la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et 2) son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire avancer la procédure,

VU les arguments présentés par la Défense à l’appui de sa Demande, à savoir :

1) la Décision compromet l’équité du procès puisqu’elle fait droit à la Requête de l’Accusation, bien que cette dernière ne respecte pas le Règlement et ne présente pas de motifs convaincants à l’appui1,

2) la Décision compromet la rapidité du procès puisque 1) le fait que l’Accusation présente de nouvelles pièces à conviction au procès ; 2) le fait que la Défense a l’intention de contester l’authenticité et/ou l’admissibilité de certaines nouvelles pièces à conviction ; et 3) la prorogation de délai que la Défense pourra demander afin de préparer son dossier sont autant de facteurs « susceptibles de prolonger la durée du procès »2,

3) la Décision compromet l’issue du procès puisqu’elle « permet à l’Accusation de présenter un nouveau dossier à charge contre Sefer Halilović », dossier « qui diffère par son orientation — si ce n’est par son caractère — de celui qu’exposent l’acte d’accusation et le premier mémoire préalable, et qui diffère aussi du dossier présenté par l’Accusation au juge de la mise en état en septembre 20013,

4) le règlement immédiat de la question par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire avancer la procédure car la décision de ladite Chambre « permettrait de réduire la durée du procès et d’en faciliter le déroulement dans une large mesure, tout en évitant de longues contestations à l’audience au sujet des pièces à conviction dans le cas où l’appel de la Défense serait accueilli »4,

ATTENDU que la Demande expose également certains des moyens d’appel potentiels de la Défense, pour « aider [la Chambre] à statuer sur la Demande »5,

VU la réponse de l’Accusation à la demande de certification (Prosecution Response to Defence Motion for Certification) déposée le 25 février 2005 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation argue que la Demande ne remplit aucune des conditions posées par l’article 73 B) du Règlement, et invite instamment la Chambre à la rejeter,

ATTENDU que, par sa décision, la Chambre fait droit notamment à la demande de l’accusation aux fins de déposer de nouvelles pièces à conviction et lui ordonne « de fournir à la Défense une traduction en anglais de ces pièces dès que l’Accusation en disposera » et « de présenter les nouvelles pièces dans le courant du procès pour que la Défense ait le temps de les examiner » ; et qu’elle a informé la Défense que « celle-ci peut, si nécessaire, demander une prorogation de délai pour procéder à l’examen de ces nouvelles pièces »,

ATTENDU que l’Accusation, dans la Réponse, indique que la traduction des nouvelles pièces à conviction a été achevée le 15 février 2005 et que la Défense a reçu toutes les traductions en question « sauf les trois livres et les actes de décès d’Uzdol »6,

ATTENDU qu’en application des articles 20 1) et 21 4) b) du Statut du Tribunal (le « Statut »), l’accusé a droit à un procès équitable et rapide et, plus particulièrement, à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; et que la Défense affirme qu’une modification de la liste des pièces à conviction à charge à ce stade de l’instance est une question susceptible de compromettre l’équité et la rapidité du procès, ou son issue7,

ATTENDU que la Chambre, par sa décision, autorise la Défense, lorsqu’elle le jugera nécessaire, à demander une prorogation de délai pour examiner les nouvelles pièces à conviction que l’Accusation entend utiliser au cours du procès,

ATTENDU que le fait d’autoriser l’Accusation à présenter de nouvelles pièces à conviction ne revient pas à les verser au dossier, et que la Défense peut, en tout état de cause, contester pendant le procès l’authenticité et l’admissibilité de toute nouvelle pièce présentée, en particulier si elle estime que ces pièces ont trait à des questions qui n’entrent pas dans le cadre de l’acte d’accusation,

ATTENDU en outre, comme le soulignent les principes directeurs concernant l’admission des éléments de preuve, adoptés par la Chambre le 16 février 2005, qu’une distinction fondamentale existe entre l’admissibilité d’éléments de preuve documentaires et le poids qui leur est donné en vertu du principe de la libre appréciation des éléments de preuve,

ATTENDU que la Chambre a fait droit à la Requête de l’Accusation aux fins de présenter de nouvelles pièces à conviction par le biais d’une modification de la liste des témoins à charge, modification qui a permis de réduire le nombre des témoins à charge déposant au procès,

ATTENDU qu’en application de l’article 85 du Règlement, l’Accusation peut présenter des moyens de preuve à l’appui de son dossier comme elle le juge opportun, et que la Chambre n’a aucune raison de penser que la présentation des nouvelles pièces à conviction pourrait « compromettre sensiblement […] la rapidité du procès »8,

ATTENDU que, de l’avis de la Chambre, cette question n’est pas « susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue »,

ATTENDU que la Défense n’a pas établi que la première condition exigée pour la certification était remplie et que, dès lors, la Chambre ne juge pas nécessaire d’examiner la deuxième condition,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 73 B) du Règlement,

REJETTE la Demande.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 30 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1. Demande, par. 9.
2. Demande, par. 10.
3. Demande, par. 12.
4. Demande, par. 13.
5. Demande, par. 15.
6. Réponse, par. 4.
7. Demande, par. 9 à 12.
8. Article 73 B) du Règlement, non souligné dans l’original