Affaire n° : IT-01-48-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Amin El Mahdi

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
21 juillet 2005

LE PROCUREUR

c/

SEFER HALILOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE PRÉSENTER DES MOYENS EN RÉPLIQUE

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Le Bureau du Procureur :

M. Philip Weiner
Mme Sureta Chana
M. David Re
M. Manoj Sachdeva

Les Conseils de l’Accusé :

M. Peter Morrissey
M. Guénaël Mettraux

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A (la « Chambre de première instance  ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

SAISIE de la requête aux fins de présenter des moyens en réplique (Prosecution Motion to Call Rebuttal Evidence), déposée le 14 juillet 2005 à titre non confidentiel mais avec une annexe confidentielle (la « Requête »), par laquelle l’Accusation demandait l’admission de la déclaration d’un témoin (la « déclaration de témoin  ») en application des articles 85 A) iii) et 92 bis B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »), et la réponse de la Défense (Response to Prosecution Motion to Call Rebuttal Evidence, la « Réponse »), déposée le 18 juillet 2005 à titre partiellement confidentiel,

VU la demande d’autorisation de déposer une réplique (Prosecution’s Application for Leave to Reply to « Response to Prosecution Motion to Call Rebuttal Evidence  »), déposée par l’Accusation le 20 juillet 2005 à titre non confidentiel avec une annexe confidentielle,

ATTENDU que l’Accusation affirme qu’elle ne « savait pas, jusqu’au 7 juillet  2005 dans l’après-midi [lorsque le témoin J a déposé] qu’un témoin à décharge était en mesure de témoigner au sujet de rapports rédigés par des membres du commandement du bataillon indépendant de Prozor sur les meurtres commis à Uzdol1  »,

ATTENDU que, selon l’Accusation, la déclaration de témoin réfute le témoignage du témoin J « comme simple moyen en réplique [...] réfutant spécifiquement l’un des moyens à décharge dont l’Accusation n’aurait pu prévoir la présentation par la Défense2 »,

ATTENDU que, dans la Réponse, la Défense s’oppose à l’admission de la déclaration de témoin pour plusieurs raisons, dont le fait que « le point que l’Accusation tente de réfuter n’est pas directement et spécifiquement soulevé par les moyens à décharge [et] aurait dû être abordé dans la présentation des moyens à charge3  » ; que l’Accusation n’a pas confronté le témoin J, témoin à décharge, à la déclaration « alors qu’elle était en sa possession4  », et que cette déclaration « ne réfute pas la déposition du témoin J5  »,

VU le critère d’admission établi par la Chambre d’appel pour les moyens en réplique en application de l’article 85 A) iii) du Règlement, qui exige que la réplique « porte […] sur une question importante directement soulevée par les moyens à décharge et que l’Accusation n’aurait pu raisonnablement prévoir6  »,

ATTENDU que l’Accusation est tenue « de produire tous les éléments essentiels à l’établissement de la culpabilité de l’accusé avant de clore la présentation de ses moyens7 », et que l’Accusation « ne peut produire de nouveaux éléments de preuve simplement parce que la Défense lui a opposé certains moyens qui contredisent ses allégations8  »,

ATTENDU qu’il est allégué dans l’acte d’accusation que l’Accusé « n’a pas pris les mesures pour qu’une enquête adéquate soit menée afin d’identifier les auteurs des massacres [...] d’Uzdol et, en sa qualité de commandant de l’Opération, pour les punir9 »,

ATTENDU en outre que, dans la Requête, l’Accusation affirmait, au sujet des massacres d’Uzdol le 14 septembre 1993, que « l’Accusé, Sefer Halilovic, n’avait pas puni les auteurs directs des meurtres, [que l]’ouverture d’une enquête était l’une des premières mesures à prendre dans le processus de punition [et que] sa thèse était que l’Accusé, en sa qualité de commandant des unités responsables des meurtres, n’avait même pas pris les mesures les plus élémentaires pour ordonner l’ouverture d’une enquête sur les faits après avoir eu connaissance emportant obligation de se renseigner sur ces décès10 »,

ATTENDU que, dans son mémoire préalable au procès, la Défense informait clairement l’Accusation que l’un des arguments les plus importants de son dossier était que l’Accusé avait informé ses supérieurs des meurtres commis à Uzdol et avait demandé qu’une enquête soit ouverte au sein de l’Armée de Bosnie-Herzégovine11,

ATTENDU que la Défense a, à plusieurs occasions pendant les contre-interrogatoires menés au cours de la présentation principale des moyens à charge, abordé la question des enquêtes consécutives aux meurtres commis à Uzdol12,

ATTENDU que la déclaration de témoin porte en partie sur la question de savoir si une enquête avait été menée au sujet des meurtres commis à Uzdol,

ATTENDU que la déclaration de témoin date du 17 août 2001, et qu’elle est donc en la possession de l’Accusation depuis plusieurs années,

ATTENDU que l’Accusation aurait dû présenter les éléments figurant dans la déclaration de témoin au cours de la présentation principale de ses moyens dans la mesure où ils ont trait à une question importante pour sa cause et qui n’a pas été soulevée par les moyens à décharge, et que l’on ne saurait combler cette lacune en les soumettant à titre d’éléments de preuve en réplique,

ATTENDU DONC que la déclaration de témoin ne satisfait pas au critère d’admission des éléments de preuve en réplique,

ATTENDU EN OUTRE que, même si ce critère avait été rempli, la déclaration de témoin n’aurait pas permis de réfuter la déposition du témoin J,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 54, 85 A) iii) et 92 bis B) du Règlement,

REJETTE la Requête,

AUTORISE l’Accusation à déposer une réplique, et

REJETTE les demandes formulées aux paragraphes 22 b) et c) de la Réponse.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Liu Daqun

Le 21 juillet 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, par. 9.
2 - Requête, par. 10.
3 - Réponse, par. 5 iv).
4 - Réponse, par. 5 ii).
5 - Réponse, par. 5 vi).
6 - Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, alias Pavo, Hazim Delic, Esad Landzo, alias Zenga, affaire n° IT-96-21-A (l’« affaire Celebici »), Arrêt, 20 février 2001, par. 273.
7 - Le Procureur c/ Vidoje Blagojevic et Dragan Jokic, affaire n° IT-02-60-T, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de verser au dossier des éléments de preuve en réplique et à la requête connexe aux fins d’obtenir l’admission d’éléments de preuve visés par l’article 92 bis du Règlement parmi les moyens en réplique et de reprendre l'exposé des moyens à charge à des fins limitées, 13 septembre 2004, par. 6.
8 - Arrêt Celebici, par. 275.
9 - Acte d’accusation, par. 34.
10 - Requête, par. 2.
11 - Defence Pre-trial Brief Filed in Accordance with Rule 65terF(i)(ii)(iii), 22 mars 2003, par. 90 et 138.
12 - Comptes rendus d’audiences, 8 février 2005, CR, 29 et suivantes ; 24 février 2005, CR, p. 16 et suivantes ; 3 mars 2005, CR, p. 61 et suivantes ; 31 mars 2005, CR, p. 54 et suivantes ; voir aussi pièces à conviction D149, D228 et D234, qui ont été admises pendant la présentation principale des moyens à charge.