Affaire n° : IT-01-48-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Amin El Mahdi

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
20 septembre 2005

LE PROCUREUR

c/

SEFER HALILOVIC

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DÉCISION CONCERNANT LES REQUÊTES DE L’ACCUSATION AUX FINS D’EXCLURE LE MÉMOIRE EN CLÔTURE EXPURGÉ D’HALILOVIC ET LE MÉMOIRE EN CLÔTURE DE LA DÉFENSE DANS SA VERSION PUBLIQUE EXPURGÉE

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Le Bureau du Procureur :

M. Philip Weiner
Mme Sureta Chana
M. David Re
M. Manoj Sachdeva

Les Conseils de l’Accusé :

M. Peter Morrissey
M. Guénaël Mettraux

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, SECTION A, (la « Chambre de première instance  ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

SAISIE de la requête aux fins d’exclure le mémoire en clôture expurgé d’Halilovic (Motion to strike Halilovic’s redacted final trial brief), déposée le 9 septembre  2005 (la « Première requête »), dans laquelle l’Accusation soutient que le mémoire en clôture de la Défense1 « n’est pas équitable envers l’Accusation et porte atteinte au principe de l’égalité des armes  »2, dès lors que ledit mémoire est « presque deux fois plus long que la limite »3 fixée par la Directive pratique relative à la longueur des mémoires et des requêtes (la « Directive pratique »)4, et majorée par la Chambre de première instance dans son ordonnance rendue oralement le 30 août  2005 (l’« Ordonnance »)5, et que, par conséquent, le mémoire en clôture expurgé devrait être exclu du dossier de première instance et remplacé par un nouveau mémoire en clôture comptant « au plus 250 pages ou 75 000 mots »6,

SAISIE également de la requête (Motion to strike Halilovic’s Defence final trial brief public redacted version ») déposée le 13 septembre 2005 (la « Deuxième requête »), dans laquelle l’Accusation demande l’exclusion du mémoire en clôture de la Défense dans sa version publique expurgée7, dès lors que, même s’il n’excède pas les 250 pages autorisées, le mémoire demeure, avec 145 061 mots8, « presque deux fois plus long que la limite autorisée »9, ce qui cause un « préjudice irréparable à l’Accusation sur le plan de la procédure  »10,

VU la réponse aux requêtes répétées de l’Accusation aux fins d’exclusion du mémoire en clôture de la Défense (Response to Prosecution repeated motions to strike Defence final trial brief), déposée le 16 septembre 2005 (la « Réponse  »), dans laquelle la Défense affirme notamment que l’Accusation n’a pas fait la preuve du préjudice subi et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice à ce stade de la procédure d’exclure le mémoire de la Défense, que l’article B) de la Directive pratique « se réfère au corps du texte et non aux notes de bas de page » et que l’article C) 4) de la Directive pratique a valeur subsidiaire11 et que, par conséquent, les deux requêtes doivent être rejetées,

ATTENDU que la Directive pratique prescrit des règles de formatage, notamment pour les mémoires en clôture, afin de « fixer une limite à la longueur des mémoires et des requêtes déposées par écrit lors du procès et en appel »12,

ATTENDU que l’article B) de la Directive pratique dispose que « la police est de 12 points avec un interligne de 1,5 »13 et qu’« une page moyenne ne doit pas dépasser 300 mots »14, et que l’article C) 4) prévoit que « les mémoires en clôture n’excèdent pas 200  pages ou 60 000 mots »15,

ATTENDU qu’à la demande de l’une des parties, une Chambre peut l’autoriser à dépasser la limite maximale de pages prévue par la Directive pratique lorsqu’elle justifie de circonstances exceptionnelles 16,

ATTENDU que l’article C) 6) de la Directive pratique dispose clairement que « les titres, notes de bas de page et citations entrent dans le calcul du nombre de mots et de pages » et que rien dans la Directive pratique n’indique que l’article  B de celle-ci ne s’applique pas à la fois au corps du texte et aux notes de bas de pages, comme l’affirme la Défense,

ATTENDU toutefois qu’il est excessif d’exiger que les notes de bas de page soit formatées selon les conditions fixées à l’article B), pour autant que les critères de lisibilité et de présentation soient respectés, ce qui est particulièrement important lorsqu’une partie présente des arguments détaillés de fait et de droit dans les notes de bas de page, comme le fait la Défense en l’espèce,

ATTENDU que la police de huit points utilisée dans le mémoire de la Défense ne satisfait pas pleinement à cette condition,

ATTENDU que la logique de la Directive pratique impose de lire ses dispositions dans leur ensemble et notamment d’apprécier les articles A) et B) au regard de l’alinéa correspondant de l’article C) pour déterminer le formatage et la longueur acceptable d’un mémoire ou d’une requête,

ATTENDU par conséquent que l’argument de la Défense, selon lequel l’article  C) 4) de la Directive pratique constitue une exigence subsidiaire, est sans fondement,

ATTENDU que le mémoire en clôture de la Défense n’est pas conforme à la longueur fixée par la Directive pratique, et majorée par l’Ordonnance, dès lors qu’il atteint presque le double de la longueur autorisée, et que ce dépassement est si flagrant que le Conseil de la Défense ne pouvait pas l’avoir ignoré lors de la rédaction ou de l’expurgation de chaque version dudit mémoire,

ATTENDU que la Défense, nonobstant l’Ordonnance qui détermine sans équivoque la longueur maximale du mémoire en clôture, a déposé deux versions dudit mémoire non conformes aux dispositions de la Directive pratique,

ATTENDU que, compte tenu du libellé clair de la Directive pratique et de l’Ordonnance, si la Défense avait eu le moindre doute quant à la conformité de son mémoire en clôture aux limites fixées par la Directive pratique, et majorées par l’Ordonnance, elle aurait pu demander des éclaircissements à la Chambre de première instance, ce qui aurait permis à toutes les parties en cause de faire une importante économie de temps, d’efforts et de ressources,

ATTENDU PAR CONSÉQUENT que la Défense a enfreint les dispositions de la Directive pratique et de l’Ordonnance,

ATTENDU que, suite au dépôt par la Défense, le 25 août 2005, de la première version de son mémoire en clôture, qui comptait 244 pages et 147 566 mots, l’Accusation a demandé le report d’un jour de la présentation de son réquisitoire, prévue pour le lundi 28 août 2005, « jour supplémentaire qui donneSraitC aux parties le temps nécessaire pour préparer une réponse appropriée »17,

ATTENDU que la Chambre a fait droit à la requête de l’Accusation et que le réquisitoire et les plaidoiries ont été prononcés les mardi 30 et mercredi 31 août  2005,

ATTENDU qu’avant la présentation du réquisitoire et des plaidoiries, l’Accusation a eu la possibilité de demander un report plus long, et qu’à défaut d’une telle demande, la Chambre de première instance conclut que, dans l’esprit de l’Accusation, ce délai supplémentaire d’un jour était suffisant pour examiner le mémoire en clôture de la Défense18,

ATTENDU que l’argument de l’Accusation, selon lequel si « elle avait su à l’avance que la Défense souhaitait déposer un mémoire [expurgé] presque deux fois et demi plus long que la norme, […] l’Accusation aurait demandé l’autorisation de dépasser le nombre de pages fixé » est dénué de fondement, dès lors que, nonobstant l’existence d’une telle demande de la Défense, l’Accusation avait la possibilité de demander pareille autorisation si elle estimait que le nombre de pages fixé par la Directive pratique était insuffisant pour présenter ses moyens ; et ATTENDU à cet égard que la version expurgée et la version publique expurgée du mémoire en clôture de la Défense sont en fait moins volumineuses que la première version du mémoire déposée le 25 août 200519,

ATTENDU que l’argument présenté par l’Accusation dans la Première requête, à savoir qu’elle « n’est pas en mesure de répondre d’une façon détaillée et approfondie aux arguments de fait et de droit exposés dans les quelque 233 pages supplémentaires déposées », est erroné, voire sans intérêt, dès lors qu’après avoir obtenu la prorogation de délai demandée, l’Accusation a répondu à la première version du mémoire en clôture, qui était la version la plus longue des trois, et que les débats étaient clos au moment du dépôt de la première requête, conformément l’article 87 A) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

ATTENDU enfin que, même si le mémoire en clôture de la Défense n’est pas conforme à la limite fixée par la Directive pratique et majorée par l’Ordonnance, la Chambre de première instance ne voit pas en quoi l’Accusation aurait subi un quelconque préjudice ou dommage à ce stade de la procédure alors que les débats sont clos,

RAPPELANT la déclaration de la Chambre de première instance à l’audience du 30 août 2005, selon laquelle « aucune nouvelle requête ne serait acceptée ou examinée, sauf s’ils existe des circonstances exceptionnelles ou des questions qui n’ont pas été élucidées pendant le procès »20,

ATTENDU qu’à ce stade de la procédure, il n’est ni dans l’intérêt de la justice, ni dans celui de l’économie procédurale, de faire droit aux requêtes,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 54 du Règlement,

REJETTE les deux Requêtes.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Liu Daqun

Le 20 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Déposé le 7 septembre 2005.
2 - Première requête, par. 16.
3 - Première requête, par. 12. L’Accusation fait valoir que le mémoire en clôture expurgé compte 145 070 mots, ibidem. par.5
4 - IT/184/Rev.1, 5 mars 2002, voir plus loin pour les dispositions applicables de la Directive pratique.
5 - 30 août 2005, CR, p.12, ordonnant à la Défense de « déposer à nouveau son mémoire en clôture [qui] ne devra pas comporter plus de cinquante pages supplémentaires par rapport à la limite maximale et […] devra également respecter le formatage prévu par la Directive pratique en particulier dans son article A ».
6 - Première requête, par. 19 et 20.
7 - Déposée le 12 septembre 2005.
8 - Deuxième requête, par. 4.
9 - Deuxième requête, par. 1.
10 - Deuxième requête, par. 1.
11 - Réponse, par. 4 à 6, 8, 10 et 9 respectivement.
12 - Directive pratique, préambule.
13 - Directive pratique, article B).
14 - Directive pratique, article B).
15 - Directive pratique, article C) 4).
16 - Directive pratique, article C) 7).
17 - Prosecution Motion to postpone scheduling order for closing arguments, 26 août 2005.
18 - À cet égard, la Chambre de première instance relève qu’à l’issue du réquisitoire et des plaidoiries, le juge président a demandé directement à l’Accusation si elle avait quelque chose à ajouter et que celle-ci a répondu : « Rien votre Honneur. Notre argumentation est terminée. », 30 août 2005, CR, p. 109 (version française).
19 - Première requête, par. 16.
20 - 3[1] août 2005, CR, p. 120 (version française).