Affaire n° : IT-01-48-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Devant :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
22 octobre 2004

LE PROCUREUR

c/

SEFER HALILOVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS D’ADMISSION D’ÉLÉMENTS DE PREUVE EN APPLICATION DE
L’ARTICLE 92 BIS DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

Mme Susan Somers
M. Philip Weiner

Les Conseils de l’Accusé :

M. Peter Morrissey
M. Guénaël Mettraux

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la requête déposée le 8 décembre 2003 par le Bureau du Procureur (Prosecution’s Application Pursuant to Rule 92 bis (A) [of the Rules of Evidence and Procedure of the International Tribunal ("Rules")] — la « Requête »), par laquelle celui-ci demande, en application de l’article 92 bis A) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »), l’admission, en tout ou en partie, des déclarations écrites de soixante-deux témoins et l’admission de quarante et une de ces déclarations sans contre-interrogatoire,

ATTENDU que, dans sa Requête, l’Accusation demande également l’autorisation de supprimer deux témoins de la liste de témoins relevant de l’article 92 bis et d’inclure ceux-ci dans sa liste des témoins qui déposeront à l’audience,

VU la réponse de la Défense à la Requête, déposée le 2 février 2004 (la « Réponse initiale de la Défense »), par laquelle celle-ci s’oppose à l’admission :

a) des déclarations de trente-quatre des témoins, de quelque manière que ce soit, et

b) de six déclarations de témoins sans contre-interrogatoire, mais ne s’est pas opposée à l’admission sans contre-interrogatoire des vingt-deux déclarations de témoins restantes, tout en se réservant le droit de demander un contre-interrogatoire durant le procès,

ATTENDU que, dans sa Réponse initiale, la Défense n’a pas précisé sa position concernant la demande de l’Accusation de citer à comparaître deux témoins qui relevaient auparavant de l’article 92 bis,

VU l’addendum à la Réponse initiale de la Défense (Addendum Qua Response Rule 92 bis Motion), déposé le 23 août 2004 (l’« Addendum de la Défense »), par laquelle celle-ci ne s’oppose pas à la demande de l’Accusation de citer ces deux témoins, pour autant que le droit de l’Accusé de les contre-interroger soit garanti,

ATTENDU que, dans cet Addendum, la Défense a modifié sa position concernant l’admission des déclarations de témoins proposées, en ce qu’elle

a) a levé son opposition à l’admission de vingt-neuf déclarations de témoins pour autant que l’Accusé puisse « au moins » contre-interroger les témoins,

b) a levé entièrement son opposition à l’admission d’une déclaration de témoin sans contre-interrogatoire,

c) a expressément accepté l’admission de sept déclarations de témoins sans contre-interrogatoire, tout en se réservant le droit de demander l’autorisation de contre-interroger ces témoins durant le procès,

d) ne s’est apparemment pas opposée à l’admission de quatre déclarations de témoins sans contre-interrogatoire, alors qu’elle s’était précédemment opposée entièrement à leur admission,

e) a insisté pour contre-interroger treize témoins alors qu’elle avait précédemment accepté que leurs déclarations soient admises sans contre-interrogatoire, et

f) a confirmé qu’elle demandait à contre-interroger les six témoins déjà mentionnés dans sa Réponse initiale,

VU la réplique de l’Accusation à l’Addendum, déposée le 30 août 2004 (la « Réplique de l’Accusation »), par laquelle celle-ci ne s’oppose pas à la demande de la Défense que quarante-trois témoins comparaissent pour être soumis à un contre-interrogatoire, sans reconnaître toutefois la validité des arguments présentés à l’appui de cette demande,

ATTENDU que, dans sa Réplique, l’Accusation ne s’oppose pas non plus au contre-interrogatoire d’un témoin, même si, dans l’Addendum, la Défense a indiqué qu’elle renonçait à son droit de contre-interroger ce témoin,

ATTENDU que l’article 92 bis A) du Règlement permet à une Chambre d’admettre, en tout ou en partie, les éléments de preuve présentés par un témoin sous la forme d’une déclaration écrite, au lieu et place d’un témoignage oral, et permettant de démontrer un point autre que les actes et le comportement de l’accusé tels qu’allégués dans l’acte d’accusation,

ATTENDU que la Chambre d’appel a indiqué clairement que toute décision prise en application de l’article 92 bis du Règlement nécessite de répondre à trois questions : [i]) la déclaration peut-elle être admise en application de l’article 92 bis, ii) dans l’affirmative, existe-t-il d’autres raisons pour lesquelles la Chambre de première instance, exerçant son pouvoir discrétionnaire, devrait décider de ne pas l’admettre, et iii) au cas où la déclaration est recevable, le témoin dont le témoignage est consigné dans cette déclaration doit-il être cité à comparaître pour être soumis à un contre-interrogatoire en application de l’article 92 bis E) du Règlement1 ?

ATTENDU que, s’il incombe clairement au Juge et à la Chambre chargés de la mise en état de l’affaire de prendre toutes les mesures nécessaires à la tenue d’un procès équitable et rapide2, la présente Chambre de première instance estime qu’il appartient à celle qui jugera l’affaire de se prononcer sur la Requête, dans la mesure où la décision nécessite un examen critique du contenu des éléments de preuve et de la manière dont ils seront présentés au procès,

ATTENDU que, lorsqu’une déclaration est jugée recevable en application de l’article 92 bis du Règlement, la Chambre de première instance doit encore exercer son pouvoir discrétionnaire et décider si elle l’exclut ou si l’élément de preuve présenté sous cette forme nécessite de citer le témoin pour qu’il soit soumis à un contre-interrogatoire, et qu’il est préférable de laisser la Chambre de première instance saisie de l’affaire se prononcer sur ces deux questions,

ATTENDU que l’article 65 ter K) du Règlement dispose, dans sa partie pertinente, qu’« [u]ne requête présentée au cours de la phase préalable doit être tranchée avant l’ouverture des débats, sauf si le juge [de la mise en état], pour des raisons valables, ordonne qu’elle le soit au procès », et que la Chambre de première instance estime que des raisons valables justifient que la question soit tranchée au procès,

ATTENDU que le paragraphe C) 7) de la Directive pratique relative à la longueur des mémoires et des requêtes (la « Directive pratique3 »), dispose qu’une partie demandant l’autorisation de dépasser le nombre limite de pages « doit expliquer les circonstances exceptionnelles qui justifient le dépôt d’une écriture plus longue »,

ATTENDU que, dans les circonstances de l’espèce, les conditions énoncées au paragraphe C) 7) de la Directive pratique sont remplies et que les modifications demandées se justifient,

ATTENDU que l’article 127 A) ii) du Règlement permet à la Chambre de première instance de reconnaître la validité de tout acte accompli après l’expiration des délais fixés lorsqu’une requête présente des motifs convaincants,

EN APPLICATION des articles 54, 65 ter et 127 A) ii) du Règlement et du paragraphe C) 7) de la Directive pratique,

ORDONNE CE QUI SUIT :

1. La Défense est autorisée à dépasser le nombre limite de pages fixé par la Directive pratique relative à la longueur des mémoires et des requêtes ;

2. La Défense est autorisée à déposer son Addendum après l’expiration du délai fixé pour le dépôt d’une réponse à la Requête de l’Accusation ;

3. La Requête de l’Accusation sera tranchée par la Chambre qui jugera l’affaire.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 22 octobre 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1. Voir Le Procureur c/ Galic, affaire n° IT-98-29-AR73.2, Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis C) du Règlement, 7 juin 2002, par. 10, 13 et 17.
2. Voir l’article 65 ter, alinéas B) et M) du Règlement.
3. IT/184/Rev. 1, 5 mars 2002.