Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 16 novembre 2005

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 10 heures 02.

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. Beaucoup de

7 temps s'est écoulé depuis que nous nous sommes rencontrés pour la dernière

8 fois dans ce prétoire.

9 Monsieur le Greffier d'audience, je vous prie d'annoncer le numéro de

10 l'affaire dans ce rôle.

11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour. Il s'agit de l'affaire IT-01-48-

12 T, le Procureur contre Sefer Halilovic.

13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

14 Aux fins du compte rendu d'audience, je vais demander aux représentants des

15 parties de se présenter. Pour l'Accusation.

16 M. WEINER : [interprétation] Bonjour. Le bureau du Procureur est représenté

17 par Philip Weiner; à ma gauche, Sureta Chana; David Re; Manoj Sachdeva; et

18 à ma droite est assise notre commise à l'affaire, Ana Vrljic.

19 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

20 Pour la Défense.

21 M. MORRISSEY : [interprétation] M. Halilovic est représenté par moi-même,

22 M. Morrissey, et je suis accompagné de Me Mettraux.

23 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

24 Monsieur Halilovic, êtes-vous en mesure de suivre la procédure dans une

25 langue que vous comprenez ?

26 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui. Oui, Monsieur le Président, je peux suivre

27 ce qui se dit ici.

28 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Si j'ai bien compris, vous venez de

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1 rentrer de votre mise en liberté provisoire. Comment s'est passé votre

2 séjour à Sarajevo ?

3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Grâce à vous, mon séjour s'est très bien passé.

4 Il a été utile également.

5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous rasseoir.

6 La Chambre de première instance I, Section A est réunie aujourd'hui pour

7 rendre son jugement dans l'affaire le Procureur contre Sefer Halilovic.

8 Aux fins de la présente audience, la Chambre de première instance exposera

9 ses constatations et conclusions de manière succincte. Nous tenons à

10 souligner qu'il s'agit uniquement d'un résumé, seule qui fit autorité

11 l'exposé des constatations, conclusions et motifs de la Chambre que l'on

12 trouve dans le jugement écrit dont des copies seront mises à la disposition

13 des parties et du public à l'issue de l'audience.

14 Le procès intenté à l'accusé, Sefer Halilovic s'est ouvert le 31 janvier

15 2005 et a pris fin le 31 août 2005. Au cours du procès, la Chambre de

16 première instance a entendu 41 témoins et admis 14 déclarations de témoins

17 en application de l'Article 92 bis du Règlement; 500 pièces à conviction

18 environ ont été versées au dossier tout au long du procès.

19 Nous allons parler à présent des faits reprochés :

20 L'acte d'accusation dressé à l'encontre de Sefer Halilovic porte sur des

21 meurtres qui auraient été commis par des soldats appartenant à l'armée de

22 la République de Bosnie-Herzégovine - autrement appelée l'ABiH - à

23 Grabovica et à Uzdol, des villages situés dans les régions de Jablanica et

24 de Prozor en Herzégovine. Les faits se seraient déroulés en septembre 1993

25 lors d'une opération militaire baptisée "opération Neretva." Selon

26 l'Accusation, Sefer Halilovic commandait l'opération et, par conséquent,

27 les forces engagées dans l'opération Neretva était placée sous sa direction

28 et son commandement.

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1 L'Accusation affirme que l'opération était commandée et coordonnée depuis

2 le poste de commandement avancé ou IKM situé à Jablanica. L'une des lignes

3 d'attaque comprenait le secteur de Grabovica. Cette partie de l'opération

4 était commandée par Zulfikar Alispago et faisait intervenir des éléments

5 appartenant au 1er Corps d'armée de l'ABiH, notamment, la 9e Brigade

6 motorisée, la 10e Brigade de Montagne et le 2e Bataillon indépendant.

7 Une autre ligne d'attaque traversait le secteur où se trouve le village

8 d'Uzdol. Cette partie de l'opération faisait intervenir le Bataillon

9 indépendant de Prozor sous le commandement d'Enver Buza.

10 Selon l'Accusation, Sefer Halilovic, tout en sachant que la

11 9e et la 10e Brigades étaient tristement célèbres pour leur comportement

12 criminel et incontrôlé, a ordonné que certaines de leurs unités soient

13 déployées en Herzégovine. L'Accusation affirme en outre que les 7 et 8

14 septembre 1993, une Unité de la 9e Brigade, un petit groupe appartenant à

15 la 10e Brigade, ainsi que le 2e Bataillon indépendant se sont trouvés

16 cantonner dans le village de Grabovica.

17 Du 8 au 9 septembre 1993, 33 civils croates de Bosnie auraient été tués à

18 Grabovica. Il est allégué que Sefer Halilovic connaissait la réputation de

19 criminels des soldats de la 9e et de la 10e Brigades et qu'il était présent

20 lorsque, le 8 septembre, Vehbija Karic, l'un des membres de l'équipe

21 d'inspecteurs, avait déclaré que les soldats devraient juger sommairement

22 les civils croates de Bosnie et les jeter dans la Neretva si les villageois

23 refusaient d'accepter que des soldats soient logés chez eux. Compte tenu de

24 cela, après avoir été informé dans la nuit du 8 septembre que des civils

25 avaient été tués, l'Accusation affirme que Sefer Halilovic avait le devoir

26 d'agir de toute urgence pour empêcher que d'autres crimes ne soient commis.

27 Selon l'Accusation, Sefer Halilovic a reçu l'ordre donné par Rasim Delic le

28 12 septembre de reconsidérer la portée de l'opération Neretva 93, d'isoler

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1 les responsables des crimes commis à Grabovica, de prendre des mesures

2 actives et de faire immédiatement un rapport sur les mesures prises. Sefer

3 Halilovic n'aurait pas exécuté l'ordre de Rasim Delic, laissant ainsi les

4 crimes impunis.

5 Dans l'acte d'accusation, il est également indiqué que, le 14 septembre

6 1993, dans le cadre de l'opération, le Bataillon indépendant de Prozor a

7 attaqué le village d'Uzdol et tué 29 civils croates de Bosnie et un

8 prisonnier de guerre, membre du HVO.

9 Selon l'Accusation, Sefer Halilovic, en vertu de sa position et de ses

10 pouvoirs de commandant de l'opération Neretva, exerçait un contrôle

11 effectif sur les unités qui lui étaient subordonnées, donc, la 9e et la 10e

12 Brigades, le 2e Bataillon indépendant et le Bataillon indépendant de

13 Prozor.

14 Sur la base des faits reprochés, Sefer Halilovic devait répondre de

15 meurtre, un crime sanctionné par l'Article 3 du Statut et reconnu par

16 l'Article 3(1)(a) des conventions de Genève. Il ressort de l'acte

17 d'accusation que Sefer Halilovic serait pénalement responsable au regard de

18 l'Article 7(3) du Statut car, malgré les devoirs qui lui incombaient en

19 tant que commandant, il n'aurait pas pris de mesures effectives pour

20 empêcher le meurtre de civils à Grabovica, ni entrepris d'ouvrir une

21 enquête en bonne et due forme pour identifier les responsables des meurtres

22 commis à Grabovica et à Uzdol, et les punir en conséquence puisque c'est

23 lui qui commandait l'opération.

24 Nous allons à présent parler de l'accusé :

25 Le 25 mai 1992, la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine nomme

26 Sefer Halilovic commandant de l'état-major de la Défense territoriale.

27 Après juillet 1992, il devient chef de l'état-major général de l'ABiH. Le

28 18 août 1992, la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine forme

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1 cinq corps de l'ABiH, Sefer Halilovic étant chef de l'état-major principal.

2 Il exerce également les fonctions de chef de l'état-major du commandement

3 Suprême de l'ABiH jusqu'au 8 juin 1993, date à laquelle le président de la

4 République de Bosnie-Herzégovine décide de réorganiser la structure du

5 commandement Suprême de l'ABiH et de créer un nouveau poste, celui de

6 commandant de l'état-major principal auquel est affecté Rasim Delic. Sefer

7 Halilovic conserve les fonctions de chef de l'état-major principal de

8 l'ABiH jusqu'en novembre 1993.

9 Le 18 juillet 1993, Alija Izetbegovic rend une nouvelle décision par

10 laquelle le chef de l'état-major principal exerce désormais les fonctions

11 de commandant adjoint portant ainsi à trois le nombre de commandants

12 adjoints. En vertu de cette décision, les commandants adjoints assument

13 tour à tour les fonctions de chef de l'état-major principal.

14 Parlons de Grabovica :

15 La Chambre de première instance constate que, pour mener des opérations de

16 combat en Herzégovine et mettre fin au blocus de Mostar par le HVO pendant

17 la période visée par l'acte d'accusation, des Unités de la 9e et de la 10e

18 Brigades, ainsi que des Unités du

19 2e Bataillon indépendant, toutes subordonnées au 1er Corps de l'ABiH, ont

20 quitté Sarajevo pour être envoyées dans le secteur de Jablanica. Grabovica

21 se situait dans ce secteur qui, à l'époque, faisait partie de la zone de

22 responsabilité du 6e Corps d'armée. La Chambre de première instance estime

23 que les unités en question ont été déployées en Herzégovine à la suite d'un

24 ordre donné par Sefer Halilovic.

25 Le village de Grabovica était peuplé de Croates de Bosnie. La Chambre

26 observe que Grabovica était tenue par l'ABiH depuis mai 1993 et que les

27 habitants de Grabovica et les soldats de l'ABiH qui y étaient cantonnés

28 entretenaient de bons rapports. En l'absence d'autres lieux d'hébergement

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1 pour accueillir les nouveaux arrivants, il a été décidé que ceux-ci

2 prendraient leur quartier chez les habitants du village.

3 Des éléments de preuve ont été présentés à la Chambre de première instance

4 au sujet de la 9e et de la 10e Brigades, tristement célèbres pour leur

5 comportement criminel et incontrôlé, ainsi qu'il est dit dans l'acte

6 d'accusation. Il en ressort que certains membres de l'une ou l'autre de ces

7 brigades se sont montrés peu disciplinés, ont emmené des civils sur la

8 ligne de front pour y creuser des tranchées et se sont livrés à des vols ou

9 à d'autres malversations. La Chambre de première instance estime,

10 néanmoins, que l'on ne saurait comparer ces agissements aux crimes

11 perpétrés à Grabovica. A cet égard, la Chambre prend note du témoignage de

12 Vahid Karavelic, commandant du 1er Corps d'armée, qui, tout en ayant

13 connaissance des fautes commises contre la discipline et des comportements

14 adoptés précédemment par certains membres de ces brigades, a déclaré qu'il

15 ne lui était jamais venu à l'esprit que ceux-ci pourraient commettre des

16 atrocités à l'encontre des civils de Grabovica.

17 Des éléments de preuve ont également été présentés au sujet des problèmes

18 rencontrés par les soldats qui essayaient de se loger chez les habitants de

19 Grabovica. La Chambre de première instance est d'avis que les preuves ne

20 sont pas cohérentes quant aux circonstances dans lesquelles Vehbija Karic

21 aurait tenu les propos allégués. S'agissant notamment du moment, de

22 l'endroit et de la présence ou non de Sefer Halilovic et ne juge pas les

23 témoins dignes de foi sur ce point, la Chambre de première instance a

24 également conclu qu'il n'est pas avéré que Vehbija Karic ait tenu de tels

25 propos, ni que Sefer Halilovic ait été présent à ce moment-là.

26 Les éléments de preuve présentés indiquent que l'arrivée de l'Unité de la

27 9e Brigade a transformé l'atmosphère qui régnait jusqu'alors à Grabovica et

28 que des actes de violence ont commencé à se produire. Pendant toute la nuit

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1 du 8 septembre, des tirs ont été entendus dans le village. Un témoin a

2 déclaré avoir entendu des femmes gémir et pleurer tandis que, pour sa part,

3 elle restait assise par terre sans rien faire, livrée au destin. La Chambre

4 de première instance a constaté qu'aux premières heures de l'après-midi du

5 9 septembre, plusieurs habitants de Grabovica avaient été tués par des

6 soldats appartenant à des unités de l'ABiH qui se trouvaient alors dans le

7 village. La Chambre note, tout particulièrement, la manière impitoyable

8 dont un membre de la 9e Brigade a abattu Pero Maric, alors qu'il était

9 assis à la même table face à sa victime. La Chambre prend également acte de

10 la brutalité avec laquelle Ljubica Zadro et Mladenka Zadro ont été tuées.

11 Ljubica Zadro portait dans ses bras sa fille Mladenka, âgée de 4 ans,

12 lorsqu'elles ont été abattues, toutes les deux, à bout portant par des

13 membres de la 9e Brigade.

14 Maintenant, Uzdol :

15 En 1993, le village d'Uzdol était peuplé exclusivement de Croates de

16 Bosnie. Uzdol regroupait plusieurs hameaux et comptait au total une

17 centaine d'habitants. En septembre 1993, le HVO tenait plusieurs positions

18 à Udzol et dans les environs. La Chambre de première instance constate qu'à

19 l'aube du 14 septembre, les soldats du Bataillon indépendant de Prozor, de

20 concert avec des membres de la police civile du ministère de l'Intérieur,

21 ont attaqué le quartier général du HVO, lequel était situé dans l'école de

22 l'un des hameaux d'Uzdol. Peu après le début de l'attaque, le HVO s'est mis

23 à pilonner Uzdol. La Chambre de première instance estime que, durant

24 l'attaque, nombre d'habitants du village ont été tués par des soldats

25 placés sous le commandement de l'ABiH.

26 La Chambre de première instance observe que certains meurtres commis à

27 Uzdol étaient particulièrement cruels. Rappelons à cet égard le meurtre

28 d'Anica Stojanovic, accroupie par terre, près de sa maison lorsqu'un

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1 soldat, qui se tenait à trois mètres de distance, l'a abattue d'une balle

2 dans la tête. Selon les témoignages, elle aurait crié le nom de son fils

3 avant d'être abattue. La Chambre prend également note des témoignages

4 directs concernant le meurtre de Ruza Zelic et de ses deux enfants âgés, à

5 l'époque, de 13 et 10 ans. Ils avaient fui pour échapper aux soldats, mais

6 ces derniers les avaient rattrapés. Ruza Zelic a supplié les soldats de les

7 épargner mais ils ont, tous les trois, été tués.

8 Nous allons à présent exposer les constations relatives aux faits reprochés

9 :

10 S'agissant des crimes commis à Grabovica, la Chambre de première instance

11 estime que le cantonnement de soldats de l'ABiH à Grabovica, en vue de

12 mener des opérations de combat en Herzégovine, a largement contribué à ce

13 que ces soldats puissent commettre les crimes imputés. Quant aux crimes

14 d'Uzdol, la Chambre est d'avis qu'ils ont été perpétrés au cours d'une

15 attaque lancée contre le village dans le cadre d'opérations de combat.

16 Ainsi la Chambre de première instance conclut à l'existence d'un lien entre

17 les crimes commis à Grabovica et Uzdol et le conflit armé qui se déroulait

18 dans la région.

19 S'agissant des crimes commis à Grabovica, la Chambre de première instance

20 conclut qu'il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que 13

21 villageois, qui ne prenaient pas une part active aux hostilités, ont été

22 tués par des membres de la 9e Brigade et des soldats de l'ABiH dont

23 l'identité n'est pas connue, le 8 ou le 9 septembre 1993. La Chambre de

24 première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au-delà de tout

25 doute raisonnable que 14 personnes dont le nom figure dans l'acte

26 d'accusation ont été tuées par des membres de l'ABiH à Grabovica pendant la

27 période visée par l'acte d'accusation. La Chambre de première instance note

28 que pendant le procès six des victimes présumées recensées dans l'acte

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1 d'accusation en ont été retirés.

2 S'agissant des crimes commis à Uzdol, la Chambre de première instance

3 conclut que 25 villageois ont été tués par des membres d'unités placées

4 sous le commandement de l'ABiH le 14 septembre 1993, et que les victimes ne

5 prenaient pas une part active aux hostilités. La Chambre de première

6 instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au-delà de tout doute

7 raisonnable que deux personnes dont le nom figure dans l'acte d'accusation

8 ne prenaient pas une part active aux hostilités au moment de leur décès le

9 14 septembre 1993. La Chambre est d'avis que l'Accusation n'a pas non plus

10 prouvé au-delà de tout doute raisonnable que deux autres personnes dont le

11 nom figure dans l'acte d'accusation ont bien été tuées par des membres

12 d'unités placées sous le commandement de l'ABiH qui ont attaqué Uzdol le 14

13 septembre 1993. La Chambre de première instance note également qu'à l'issue

14 du procès l'une des victimes présumées recensées dans l'acte d'accusation

15 en a été retirée.

16 La Défense a fait valoir que les victimes d'Uzdol étaient décédées des

17 suites du pilonnage mené par le HVO ou avaient succombé aux tirs échangés

18 entre l'ABiH et le HVO lors de l'attaque du village par l'ABiH le 14

19 septembre 1993. La Chambre de première instance a constaté que le HVO avait

20 lourdement pilonné les hameaux du village d'Uzdol, or, les rapports

21 relatifs aux autopsies effectuées sur les victimes ne font état d'aucun

22 élément de preuve indiquant que celles-ci auraient été tuées ou même

23 blessées par des éclats d'obus. La Chambre de première instance estime que

24 les preuves ne viennent pas étayer l'argument avancé par la Défense à ce

25 sujet.

26 Quant à l'argument de la Défense selon lequel les victimes auraient été

27 prises entre deux feux, la Chambre de première instance observe qu'il

28 ressort des preuves produites en l'espèce que des combats intenses ont

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1 opposé les unités placées sous le commandement de l'ABiH et les soldats du

2 HVO dans la région d'Uzdol pendant l'attaque. Les preuves démontrent en

3 outre que les habitants de la région ont abandonné leurs domiciles et se

4 sont enfuis pour avoir la vie sauve. Contrairement à ce que la Défense

5 affirme, la Chambre de première instance est d'avis que les victimes ont

6 été tuées délibérément et note en particulier ce qui suit : plusieurs

7 d'entre elles ont été abattues à bout portant; deux personnes dont l'une

8 était invalide ont été tuées dans leurs lits; l'une des victimes a été

9 mutilée avant d'être tuée; une autre a été sauvagement frappée à la tête

10 jusqu'à ce que mort s'ensuive après avoir d'abord été blessée par balles au

11 thorax et à la jambe; une autre victime encore a succombé aux coups qui lui

12 ont été portés à la tête à l'aide d'un objet à la fois tranchant et

13 contondant; la Chambre de première instance note enfin que des enfants eux

14 aussi ont été tués.

15 Conclusions de la Chambre relatives à la responsabilité pénale individuelle

16 de l'accusé :

17 Après avoir conclu que des meurtres avaient été commis à Grabovica comme à

18 Uzdol, la Chambre de première instance rappelle qu'un procès a non

19 seulement pour objectif d'établir si des violations graves du droit

20 humanitaire international ont été commises, mais aussi, en dernière

21 analyse, de déterminer si l'accusé est individuellement pénalement

22 responsable de ces crimes. La Chambre de première instance a procédé à

23 l'évaluation de la responsabilité pénale individuelle de Sefer Halilovic

24 sur la base de la totalité des éléments de preuve présentés au cours du

25 procès.

26 A titre préliminaire, la Chambre de première instance observe qu'elle n'est

27 pas convaincue que les opérations de combat menées en Herzégovine pendant

28 la période visée à l'acte d'accusation portaient le nom d'opération

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1 Neretva. A l'exception d'une carte, aucune pièce à conviction présentée à

2 la Chambre de première instance ne fait référence aux opérations de combat

3 sous la dénomination "opération Neretva." De plus, la Chambre de première

4 instance relève que plusieurs témoins actifs au sein de l'ABiH à l'époque,

5 dont deux chefs de corps, n'ont jamais entendu utiliser cette dénomination

6 au cours des opérations de combat. La Chambre de première instance a

7 cependant employé le terme d'"opération Neretva" dans le jugement, pour

8 désigner les opérations de combat menées en Herzégovine pendant la période

9 visée à l'acte d'accusation.

10 La Chambre de première instance a conclu que les participants à une réunion

11 tenue à Zenica les 21 et 22 août 1993 et présidée par le chef de l'état-

12 major principal, Rasim Delic n'avaient pas discuté de l'opération Neretva.

13 Il s'agissait d'un briefing des chefs de corps portant sur leurs zones de

14 responsabilité respectives et au cours duquel ils ont exprimé leur

15 inquiétude sur l'orientation prise par le conflit et sur sa direction

16 future. La Chambre de première instance a en outre conclu que, lors de

17 cette réunion, ni Sefer Halilovic, ni qui que ce soit d'autre n'avait été

18 nommé commandant d'une quelconque opération Neretva, ni d'ailleurs d'aucune

19 autre opération. De plus, la Chambre de première instance a conclu que,

20 suite à la réunion de Zenica, Sefer Halilovic avait, avec d'autres,

21 entrepris une mission de réorganisation et de resubordination des unités,

22 et ce conformément à un ordre délivré par Rasim Delic le 1er septembre.

23 La Chambre de première instance a conclu que l'Accusation n'avait pas

24 démontré que Sefer Halilovic avait été nommé commandant de l'opération

25 Neretva par un ordre donné par Rasim Delic le 30 août, comme cela est

26 avancé dans l'acte d'accusation. En réalité, par cet ordre, Rasim Delic a

27 nommé Sefer Halilovic chef d'une équipe d'inspecteurs sans l'investir d'une

28 autorité de commandement, mais en le chargeant de coordonner et de suivre

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1 les fonctions opérationnelles dans les zones de responsabilité des 4e et 6e

2 Corps, c'est-à-dire, les Corps d'armée qui ont mené des opérations

3 militaires dans les zones susmentionnées où se situait Grabovica et Uzdol.

4 De plus, la Chambre de première instance a conclu que le rôle de Sefer

5 Halilovic dans la mise en œuvre des ordres délivrés par Rasim Delic

6 concernant la réorganisation et la resubordination des unités

7 correspondaient à son rôle de chef d'une équipe d'inspecteurs chargée de

8 suivre et de coordonner les fonctions opérationnelles.

9 La Chambre de première instance a également estimé que les éléments de

10 preuve produits par l'Accusation ne permettent pas de conclure que le lieu

11 où était logé l'équipe d'inspecteurs à Jablanica était un IKM chargé du

12 commandement d'une opération en Herzégovine, comme cela est allégué dans

13 l'acte d'accusation. La Chambre de première instance relève que le terme

14 d'"IKM" était utilisé dans le jargon pour désigner les endroits où se

15 trouvaient des officiers supérieurs.

16 La Chambre de première instance estime que les éléments de preuve présentés

17 au sujet de la position de commandement de l'opération Neretva qu'aurait

18 occupée Sefer Halilovic manque de cohérence. La Chambre de première

19 instance relève en particulier que certains des militaires subalternes

20 ayant déposés devant elle considéraient Sefer Halilovic comme le commandant

21 de l'opération Neretva. La Chambre de première instance a cependant conclu

22 que les dépositions de certains militaires subalternes dans ce sens sont

23 simplement un signe du respect dont jouissait Sefer Halilovic en tant

24 qu'officier supérieur et en tant que fondateur de l'ABiH. La Chambre de

25 première instance ne peut conclure que ces éléments de preuve suffissent à

26 eux seul à accréditer l'allégation de l'Accusation selon laquelle Sefer

27 Halilovic était le commandant de l'opération Neretva.

28 Les témoignages des officiers supérieurs de l'ABiH démontrent de manière

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1 plus cohérente que Sefer Halilovic ne commandait pas l'opération Neretva

2 mais était plutôt chargé de coordonner des activités de combat.

3 La Chambre de première instance observe également que lors d'une réunion à

4 Donja Jablanica, le 4 septembre, Rasim Delic a signé et approuvé des

5 documents relatifs à l'opération. On peut voir la signature de Rasim Delic

6 sur une carte intitulée "opération Neretva." L'Accusation soutient que les

7 signatures figurant sur cette carte, celle de Rasim Delic dans le coin

8 supérieur gauche et celle de Sefer Halilovic dans le coin inférieur droit,

9 indiquent qu'Halilovic était le commandant responsable de l'opération.

10 La Chambre de première instance a cependant conclu que, contrairement aux

11 affirmations de l'Accusation, les signatures figurant sur cette carte ne

12 permettent pas de déterminer qui commandait l'opération.

13 Ayant examiné les éléments de preuve produits au sujet du rôle de Sefer

14 Halilovic sur le terrain en Herzégovine en septembre 1993, la Chambre de

15 première instance a conclu qu'il a mené à bien des missions correspondant à

16 son rôle de chef d'une équipe d'inspecteurs chargée de déterminer l'état de

17 préparation au combat et de coordonner les opérations de combat, comme cela

18 est indiqué dans l'ordre émis par Rasim Delic le 30 août 1993. La Chambre

19 de première instance relève que, lorsqu'il s'agissait de donner des ordres,

20 l'autorité de Sefer Halilovic était limitée à deux titres par l'ordre du 30

21 août. En premier lieu, en ce que pour toute proposition radicale, Sefer

22 Halilovic devait consulter Rasim Delic; et en deuxième lieu, en ce que, de

23 par cet ordre, Sefer Halilovic avait uniquement le pouvoir de donner des

24 ordres conformes à son autorité. La Chambre de première instance relève à

25 ce sujet que la position de Sefer Halilovic au sein de la structure de

26 l'état-major principal avait été compromise par les ordres émis par Alija

27 Izetbegovic les 8 juin et 18 juillet. La Chambre de première instance

28 observe également que l'on ne trouve parmi les éléments de preuve aucun

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1 ordre antérieur de Sefer Halilovic déclanchant des opérations de combat sur

2 les axes d'attaque. De plus, une analyse des éléments de preuve relatifs

3 aux ordres émis par Sefer Halilovic et aux informations qu'il recevait du

4 terrain indique que Sefer Halilovic donnait ses ordres sous l'autorité

5 générale de Rasim Delic en sa qualité de commandant de l'ABiH, et que les

6 ordres de Sefer Halilovic constituaient en général la mise en œuvre des

7 instructions données par Rasim Delic.

8 La Chambre de première instance relève que les éléments de preuve ne

9 comportent qu'un seul ordre relatif à des opérations de combat émis par

10 Sefer Halilovic après la mise en place de l'équipe d'inspecteurs, en

11 l'occurrence l'ordre du 15 septembre 1993. La Chambre de première instance

12 a estimé que ces éléments ne permettent pas de conclure que Sefer Halilovic

13 commandait les opérations de combat en Herzégovine. De surcroît, la Chambre

14 de première instance estime que l'on peut replacer cet ordre dans le

15 contexte de la fonction de coordination de l'équipe d'inspecteurs.

16 En conclusion, la Chambre de première instance a conclu que l'Accusation

17 n'avait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Sefer Halilovic

18 était de droit ou de fait le commandant de l'opération alléguée, dénommée

19 opération Neretva. De plus, la Chambre de première instance est parvenue

20 aux conclusions suivantes.

21 S'agissant de Grabovica, la Chambre de première instance relève que l'ordre

22 de combat portant déclenchement des opérations dans l'axe d'attaque de

23 cette zone a été délivré par Zulfikar Alispago en tant que commandant de

24 l'axe. La Chambre de première instance observe en particulier que l'unité

25 de la 9e Brigade était sous le commandement de Zulfikar Alispago au moment

26 où les crimes ont été commis. La Chambre de première instance a conclu que

27 les éléments de preuve produits ne permettent pas d'établir que Zulfikar

28 Alispago était subordonné à Sefer Halilovic.

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1 La Chambre de première instance a en outre conclu que Sefer Halilovic était

2 au courant des crimes commis à Grabovica dans la soirée du 9 septembre. La

3 Chambre de première instance relève que s'agissant de l'enquête sur les

4 crimes de Grabovica, Sefer Halilovic a, dans la soirée du 9 septembre,

5 donné pour conseil à Namik Dzankovic, membre de l'équipe d'inspecteurs et

6 de l'état-major principal de l'ABiH, de coopérer avec le MUP, ainsi qu'avec

7 d'autres membres du SVB, afin d'enquêter sur les crimes et de tenir

8 Sarajevo informée plutôt que lui-même. Les éléments de preuve montrent qu'à

9 ce moment-là des enquêtes étaient déjà en cours.

10 Les éléments de preuve ne montrent pas que Sefer Halilovic ait été à

11 l'origine des enquêtes ou qu'il les ait fait avancer de quelque manière que

12 ce soit par ses actions. Les éléments de preuve montrent également que le

13 service chargé de la Sécurité au sein du 6e Corps, le bataillon de police

14 militaire du 6e Corps et la police militaire de la 44e Brigade qui se

15 trouvaient à Jablanica ont participé à l'enquête sur les événements de

16 Grabovica. Le chef de la sécurité de l'état-major principal de l'ABiH,

17 Jusuf Jasarevic, a été informé des résultats de leurs enquêtes. La Chambre

18 de première instance a estimé que, sur la base des éléments de preuve

19 produits, on ne peut conclure que Sefer Halilovic avait la capacité

20 matérielle de sanctionner les auteurs des crimes commis à Grabovica.

21 Après examen de tous les éléments de preuve produits et à la lumière

22 de ces constatations factuelles, la Chambre de première instance a conclu

23 que l'Accusation n'avait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que

24 Sefer Halilovic exerçait un contrôle effectif sur les troupes se trouvant à

25 Grabovica, les 8 et 9 septembre 1993, et dont la Chambre de première

26 instance a conclu qu'elles avaient commis les crimes en question.

27 S'agissant de Uzdol, la Chambre de première instance a conclu que les

28 crimes avaient été commis par des membres d'unités placées sous le

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1 commandement de Bosnie-Herzégovine participant à l'attaque des positions du

2 HVO à Uzdol et dans les environs. La Chambre de première instance a conclu

3 que ces unités étaient constituées par le Bataillon indépendant de Prozor

4 et par des membres des forces de la police civile du MUP, unité placée sous

5 le commandement du commandant du Bataillon indépendant de Prozor, Enver

6 Buza. La Chambre de première instance a conclu que les éléments de preuve

7 produits ne permettent pas d'établir qu'Enver Buza était subordonné à Sefer

8 Halilovic.

9 De plus, la Chambre de première instance a estimé que les éléments de

10 preuve qui lui ont été présentés ne montraient pas que Sefer Halilovic

11 avait joué un rôle quelconque dans les enquêtes sur les crimes commis à

12 Uzdol. Ces enquêtes ont été menées par les services de Sécurité du 6e Corps

13 et par le Bataillon indépendant de Prozor. Une fois encore, le chef de la

14 sécurité de l'état-major principal, Jusuf Jasarevic, a été informé des

15 résultats des enquêtes.

16 La Chambre de première instance a conclu que, sur la base des éléments de

17 preuve présentés, on ne peut pas conclure que Sefer Halilovic avait la

18 capacité matérielle de sanctionner les auteurs des crimes commis à Uzdol.

19 Après examen de tous les éléments de preuve produits et à la lumière de ces

20 constatations factuelles, la Chambre de première instance a conclu que

21 l'Accusation n'avait prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Sefer

22 Halilovic exerçait un contrôle effectif sur les unités placées sous le

23 commandement de l'armée de Bosnie-Herzégovine dont la Chambre de première

24 instance a conclu qu'elles avaient commis les crimes de Uzdol.

25 Enfin, la Chambre de première instance a conclu que Sefer Halilovic

26 possédait une certaine influence en tant que haut gradé de l'armée de

27 Bosnie-Herzégovine et l'un de ses fondateurs; cependant, la Chambre de

28 première instance estime que l'influence de Sefer Halilovic est loin

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1 d'avoir le niveau requis pour établir l'existence d'un contrôle effectif.

2 Aux termes de l'un des principes du droit pénal international, un supérieur

3 hiérarchique ne saurait être tenu responsable des crimes de personnes qui

4 n'étaient pas sous son commandement au moment des faits. La Chambre de

5 première instance a conclu que l'Accusation n'avait pas prouvé au-delà de

6 tout doute raisonnable que Sefer Halilovic était de droit ou de fait le

7 commandant de l'opération dénommée opération Neretva dont l'Accusation

8 allègue qu'elle a été menée en Herzégovine.

9 La Chambre de première instance a également conclu que l'Accusation n'avait

10 pas établi que Sefer Halilovic exerçait un contrôle effectif sur les

11 troupes qui ont commis les crimes dans les zones de Grabovica et Uzdol. La

12 Chambre de première instance a donc conclu que l'Accusation n'avait pas

13 démontré que Sefer Halilovic était responsable au titre de l'Article 7(3)

14 du Statut des meurtres commis à Grabovica et Uzdol.

15 Nous arrivons maintenant à la fin de ce résumé, à savoir, le dispositif.

16 Je vais demander à M. Halilovic de bien vouloir se lever.

17 [L'accusé se lève]

18 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Par ces motifs, la Chambre de première

19 instance a conclu ce qui suit :

20 L'accusé, Sefer Halilovic, est déclaré non coupable et donc acquitté

21 du chef de meurtre, une violation des lois aux coutumes de la guerre qui

22 lui était reprochée dans l'acte d'accusation.

23 En vertu de l'Article 89 du Règlement, la Chambre de première instance

24 ordonne la mise en liberté immédiate de Sefer Halilovic du quartier

25 pénitentiaire des Nations Unies, une fois prise, les dispositions pratiques

26 nécessaires.

27 Vous pouvez vous rasseoir, Monsieur Halilovic.

28 [L'accusé s'assoit]

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1 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous en avons terminé de la lecture du

2 résumé du jugement.

3 L'audience en l'espèce est suspendue.

4 --- L'audience est suspendue à 10 heures 49.

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