Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mardi 27 octobre 2009

  2   [Déclaration liminaire de l'Accusation]

  3   [Audience publique]

  4   [L'accusé est absent]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vais demander au greffier de citer

  7   l'affaire inscrite au rôle.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci. Madame et Messieurs les Juges,

  9   affaire IT-95-5/18-T, le Procureur contre Radovan Karadzic.

 10   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.

 11   Bonjour. J'aimerais tout d'abord demander à l'Accusation de se présenter.

 12   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Alan Tieger,

 13   Hildegard Uertz-Retzlaff et Iain Reid au nom de l'Accusation.

 14   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger.

 15   Je constate que M. Karadzic, l'accusé, n'est de nouveau pas présent,

 16   en dépit de la demande tant écrite et orale qu'a faite la Chambre et en

 17   dépit de la mise en garde de la Chambre. La Chambre regrette la décision

 18   qu'a prise l'accusé. Il a décidé de s'absenter une fois de plus des débats.

 19   C'est un choix qu'il a fait. Il doit, par conséquent, en accepter les

 20   conséquences inévitables. Nous lui rappelons la mise en garde que nous

 21   avions formulée. Dans certaines circonstances, la Chambre va éventuellement

 22   décider de procéder à la poursuite des débats en l'absence d'un accusé et

 23   peut décider d'imposer un conseil. Je relève ceci, même si un accusé a le

 24   droit, droit fondamental d'être présent au procès qui lui est intenté, nous

 25   reconnaissons aujourd'hui que ce droit n'est pas un droit absolu. De plus,

 26   lorsqu'un accusé décide, choisit de mettre en exergue et d'exercer le droit

 27   de ne pas être présent, la Chambre peut considérer qu'il renonce par là à

 28   ce droit.

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  1   Ici, en l'occurrence, même si l'accusé a été dûment informé de la

  2   date d'ouverture du procès, l'accusé a décidé de ne pas être présent. Hier,

  3   nous l'avons informé également du fait que la Chambre allait commencer

  4   aujourd'hui ce qui est le début des moyens à charge, le préliminaire, qui

  5   est effectivement la présentation de la stratégie de l'accusé, mais n'est

  6   pas un élément de preuve.

  7   Et vu cette décision qu'a prise de façon unilatérale l'accusé de ne

  8   pas être présent, nous décidons qu'il est possible de procéder en son

  9   absence. Une fois de plus, la Chambre demande au greffe de fournir le

 10   compte rendu de l'audience et la bande sonore de cette audience à l'accusé

 11   ainsi qu'à ses conseilleurs juridiques.

 12   S'il persiste à vouloir rester absent des débats, et s'il n'est pas

 13   là au moment de la fin du propos liminaire de l'Accusation à l'audience

 14   prochaine prévue mardi prochain dans l'après-midi, la Chambre décidera

 15   peut-être que le procès se poursuivra en son absence. De surcroît, un

 16   conseil peut, dans l'intérêt supérieur, être désigné pour le reste de la

 17   procédure en application de l'article 45 ter du Règlement de procédure et

 18   de preuve.

 19   La Chambre de première instance prendra une décision en la matière à la fin

 20   du propos liminaire de l'Accusation qui se terminera la semaine prochaine

 21   et après avoir entendu les parties. Mais nous en rediscuterons à la fin de

 22   l'audience d'aujourd'hui.

 23   Je vais bientôt demander à l'Accusation de commencer la présentation

 24   de son propos liminaire, mais je précise que nous allons faire deux pauses

 25   cet après-midi pour des raisons techniques. La première pause se fera à 15

 26   heures 35. Ce sera une pause de 25 minutes. La deuxième, ce sera à 5 heures

 27   20 et elle durera elle aussi 25 minutes. Voilà, je vous remercie.

 28   Monsieur Tieger, vous pouvez maintenant commencer votre propos liminaire. -

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  1   - excusez-moi, je vous vois, Madame Uertz-Retzlaff.

  2   Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, ce n'est pas moi qui vais

  3   procéder à ce propos liminaire. C'est effectivement une charge qui revient

  4   à M. Tieger. Mais je voudrais revenir sur un point de droit que je n'ai pas

  5   abordé hier. Il s'agit de savoir s'il est possible de présenter un propos

  6   liminaire en l'absence de l'accusé et en l'absence d'un conseil commis

  7   d'office que nous avions demandé hier. Pour l'heure, j'aimerais vous faire

  8   part de notre position.

  9   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je parle en mon nom personnel, mais est-

 10   ce que cette question a encore lieu d'être ? Je pense que la Chambre a

 11   rendu une décision et je pense qu'il est possible d'entendre le propos

 12   liminaire en l'absence de l'accusé --

 13   Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Oui, Monsieur le Président --

 14   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ou d'un conseil quel qu'il soit.

 15   Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Nous nous rendons compte que vous

 16   avez pris une décision, mais nous voudrions dire pour l'acter au dossier

 17   quelle est notre position pour qu'il en soit pris compte.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

 19   Mme UERTZ-RETZLAFF : [interprétation] Je serai brève. Nous avons l'article

 20   84 qui définit les circonstances du propos liminaire et il est clair que le

 21   propos liminaire fait partie du procès. On peut estimer - et je constate

 22   que c'est la position adoptée par la Chambre de première instance - on peut

 23   penser que ce propos liminaire ne fait pas partie des moyens qu'apporte une

 24   partie à charge de l'accusé et que ceci ne saurait créer aucun préjudice

 25   pour l'accusé. Mais j'aimerais constater que la Chambre d'appel, dans sa

 26   décision concernant le procès Seselj le 8 décembre 2006, lorsqu'il

 27   s'agissait de la soumission faite par M. Seselj numéro 2, la Chambre

 28   d'appel était d'un avis contraire que là aussi l'Accusation avait procédé à

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  1   son propos liminaire en l'absence de l'accusé. Et au paragraphe 29 de cette

  2   décision, la Chambre annule le propos liminaire par souci d'équité envers

  3   l'accusé. Apparemment, ceci indique que la Chambre d'appel pensait que

  4   l'accusé aurait dû être présent. Du coup, le propos liminaire de

  5   l'Accusation a dû être répété.

  6   C'est tout ce que je voulais dire. Merci.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] La Chambre de première instance a fait

  8   part de sa décision en l'espèce, et mardi nous allons parler de cette

  9   question déjà évoquée à l'audience.

 10   Mais je vais vous demander de terminer un peu avant 19 heures, car

 11   j'aurais quelques mots à dire avant la fin de l'audience d'aujourd'hui.

 12   Vous avez la parole, Monsieur Tieger.

 13   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Merci, Madame,

 14   Messieurs les Juges.

 15   A peine trois semaines après les plus graves massacres commis sur le sol

 16   européen depuis la Seconde Guerre mondiale, le commandant suprême des

 17   forces impliquées expliquait à huis clos devant son parlement qui était

 18   responsable de cette opération qui fit plus de

 19   7 000 morts parmi les hommes et les jeunes gens et 25 000 expulsés parmi

 20   les femmes, les enfants et les vieillards. Je cite :

 21   "Le moment est venu," a-t-il dit, "et j'ai signé la directive numéro 7

 22   relative à la prise de Teocak, Srebrenica, Zepa, et Gorazde. La directive

 23   signée, nous allons l'appliquer. J'ai toujours été favorable à toutes les

 24   décisions prises par nous et je les appuie. Elles sont toutes enregistrées

 25   au commandement Suprême. J'ai donné oralement et par écrit l'ordre

 26   d'attaquer Zepa et Srebrenica. Le moment était venu."

 27   Depuis des années, le commandant suprême avait engagé les forces placées

 28   sous ses ordres dans une campagne destinée à dépecer le territoire d'un

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  1   pays multiethnique pour en extraire un Etat monoethnique. Si Zepa et

  2   Srebrenica avaient échappé à son emprise, il avait procédé au nettoyage

  3   ethnique de vastes portions de Bosnie-Herzégovine dont il avait encerclé et

  4   assiégé la capitale. Avant même que tout cela ne commence, le commandant

  5   suprême expliquait le sort futur de Sarajevo. Je cite :

  6   "Il leur faut savoir que 20 000 Serbes en arme encerclent Sarajevo. C'est

  7   insensé. Ils vont vraiment disparaître. Sarajevo deviendra un chaudron

  8   infernal à l'intérieur duquel 300 000 Musulmans vont périr."

  9   Ainsi c'est ce que qu'il envisageait pour les autres parties de la Bosnie-

 10   Herzégovine sur lesquelles il avait jeté son dévolu, je cite :

 11   "Ils vont disparaître. Ce peuple disparaîtra de la surface de la

 12   terre."

 13   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, les événements qui

 14   devaient s'ensuivre, le nettoyage ethnique, les événements de Sarajevo et

 15   de Srebrenica ont bien montré le mépris du commandant suprême pour le droit

 16   et l'humanité dans la poursuite de ce qu'il percevait comme étant les

 17   intérêts serbes. Un mois avant Srebrenica, il a confirmé son mépris vis-à-

 18   vis des contraintes de la loi en expliquant à son parlement qu'il avait

 19   ordonné la prise en otage de certains membres du personnel des Nations

 20   Unies dans le but de montrer qu'il était prêt à utiliser, je cite : "Des

 21   mesures draconiennes." Il expliquait également que les Serbes

 22   s'apprêtaient, je cite : "A se défendre par tous les moyens," nonobstant la

 23   condamnation internationale. Comme il l'avait dit en octobre 1992,

 24   prévoyant la réaction internationale à ce qu'il avait planifié. Je cite :

 25   "On dira à l'Europe d'aller se faire foutre et de ne pas revenir,

 26   tant que le travail n'est pas terminé."

 27   La présente affaire, Monsieur, Madame les Juges, est centrée sur ce

 28   commandant suprême qui a mobilisé les forces du nationalisme et de la N

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  1   [comme interprété], ainsi que les forces de la terreur, pour mettre en

  2   œuvre sa vision d'une Bosnie ethniquement divisée.

  3   Cette affaire est centrée sur Radovan Karadzic.

  4   En juillet 1990, Radovan Karadzic n'était que simple psychiatre à

  5   Sarajevo, ville renommée pour son charme et sa diversité, capitale d'une

  6   république multiethnique. Durant ce mois de juillet, il fut élu président

  7   du parti nouvellement créé, le SDS. Deux ans plus tard, il était le

  8   dirigeant de la République autoproclamée, connue sous le nom de Republika

  9   Srpska et contrôlait 70 % des territoires de la Bosnie.

 10   En conquérant le territoire sur lequel il avait jeté son dévolu pour

 11   les Serbes, ses forces ont tué des milliers de Musulmans et de Croates

 12   bosniaques, en ont emprisonné de milliers d'autres dans de sordides camps

 13   et centres de détention soumis à la violence, et ont expulsé hors de leurs

 14   domiciles des centaines de milliers de personnes.

 15   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, tout ceci n'a pas

 16   été la conséquence tragique, mais inévitable, d'un conflit armé. Comme le

 17   fait remarquer le rapporteur extraordinaire des Nations Unies en octobre

 18   1992, et comme le prouveront les éléments de preuve, je cite :

 19   "Il apparaît que le nettoyage ethnique n'est pas la conséquence de la

 20   guerre, mais en était le but. Ce but a déjà été atteint dans une large

 21   mesure par les massacres, les passages à tabac, les viols, les destructions

 22   de maisons et les menaces proférées."

 23   Des milliers de personnes et - Monsieur le Président, Madame et

 24   Messieurs les Juges, par ces mots, je pense avant tout aux Musulmans et

 25   Croates de Bosnie - des centaines de milliers d'entre eux ont été

 26   contraints à quitter leurs domiciles et à abandonner leurs biens dans le

 27   but d'échapper à la mort.

 28   Cet objectif est bien repris dans un commentaire très sincère d'un

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  1   membre du parlement de la Republika Srpska adressé à Karadzic et aux autres

  2   responsables réunis au sein de ce parlement en juillet 1992, quelques mois

  3   après le début du nettoyage ethnique. Je cite :

  4   "Il nous faut admettre que les Musulmans nous ont été imposés en tant

  5   que peuple, dont nous devons être les bourreaux."

  6   Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, je voudrais

  7   maintenant vous montrer une diapositive où l'on voit Momcilo Krajisnik, le

  8   confident et le plus proche collaborateur de Radovan Karadzic. Sur cette

  9   photographie, qui est un cliché tiré d'une séquence vidéo, on voit Momcilo

 10   Krajisnik en train de montrer du doigt le territoire bosniaque qui était

 11   aux mains des Serbes de Bosnie à la fin 1992, donc dans cette partie du

 12   territoire, qui se présente sous la forme d'un fer à cheval et où se trouve

 13   le gros du territoire de la Bosnie. Si vous regardez cette partie de

 14   l'image et que vous voyez où se trouve la flèche, bien, elle désigne le

 15   secteur connu sous le nom d'Orasje. Et il pointe du doigt l'image en disant

 16   :

 17   "Orasje n'est pas encore soumise à nos forces. Je veux dire, n'est

 18   pas encore libérée."

 19   Orasje était une municipalité qui était peuplée à plus de 80 % par

 20   des non-Serbes, situation démographique que l'on retrouvait également dans

 21   d'autres régions conquises par les forces serbes de Bosnie, aux Musulmans

 22   et Croates de Bosnie, où ces derniers ont été assassinés et dont ils ont

 23   été expulsés.

 24   Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, lorsque

 25   j'utilise le mot "conquête," je reprends un mot qui ne cessait d'être

 26   prononcé par les militaires serbes de Bosnie et par la direction politique

 27   des Serbes de Bosnie, et qui désignait la prise par la force et le

 28   nettoyage de la population non-serbe des territoires conquis.

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  1   La photographie suivante que j'aimerais vous montrer, en fait, un

  2   autre cliché d'une vidéo, montre un lieu situé en hauteur, au- dessus de

  3   Sarajevo sur les collines. Nous verrons ces images dans quelques instants.

  4   Dans le cours de ces conquêtes, les forces de Radovan Karadzic ont

  5   encerclé, assiégé et terrorisé Sarajevo pendant des années au moyen de

  6   pilonnage et de tirs de snipers, en se servant de la ville et de ses

  7   habitants comme de pions aux fins d'exercer des représailles ou de les

  8   utiliser comme leviers dans les négociations afin de faire pression sur le

  9   gouvernement bosniaque pour qu'il capitule.

 10   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, j'aimerais que

 11   nous voyions rapidement ces images de la vidéo, de façon à ce que vous

 12   voyez ces collines surplombant Sarajevo. Cela donnera aux Juges de la

 13   Chambre une idée très nette de l'avantage qu'il y avait sur le plan

 14   stratégique à s'emparer de ces collines, ce qui fut fait plus tard.

 15   [Diffusion de la cassette vidéo]

 16   M. TIEGER : [interprétation] Ici, nous voyons Karadzic et Mladic qui

 17   regardent Sarajevo d'en haut et qui prennent toute la mesure de l'avantage

 18   militaire que constituait la prise de ces collines eu égard au pilonnage et

 19   aux tirs de snipers qui allaient s'exercer. Cet avantage est tout à fait

 20   évident, visuellement évident.

 21   En juillet 1995, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les

 22   Juges, les forces de Radovan Karadzic se sont emparées de Srebrenica dans

 23   leur volonté de la nettoyer de la dernière présence musulmane relativement

 24   importante en Bosnie orientale. Dans les jours qui ont suivi, des milliers

 25   d'hommes et de jeunes gens ont été systématiquement tués, les femmes, les

 26   enfants et les vieillards se voyant expulsés, et toute présence musulmane

 27   disparaissant de Srebrenica.

 28   L'accusé a été, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges,

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  1   l'architecte de cette politique d'où sont issus ces crimes et le dirigeant

  2   des forces qui appliqueront cette politique. Dans l'acte d'accusation,

  3   Radovan Karadzic est mis en accusation pour sa participation à quatre

  4   entreprises criminelles communes distinctes mais interdépendantes.

  5   La campagne destinée à éliminer la présence des Musulmans et des

  6   Croates dans de vastes pans de la Bosnie-Herzégovine, qui a confiné au

  7   génocide dans certaines municipalités.

  8   Les pilonnages et tirs de snipers de longue durée visant les civils

  9   de Sarajevo et destinés à créer et maintenir le règne de la terreur.

 10   La prise en otage de soldats de la paix et d'observateurs militaires

 11   des Nation Unies, transformés en boucliers humains.

 12   Et les efforts cruellement couronnés de succès, qui furent déployés à

 13   Srebrenica dans le but d'en éliminer les Musulmans par un recours organisé

 14   au meurtre des hommes et à l'expulsion des femmes et des enfants; autrement

 15   dit, par le génocide dont les Musulmans ont été victimes à Sarajevo.

 16   Pendant toute la durée de ce procès, les Juges de la Chambre

 17   entendront nombre des personnes avec qui Radovan Karadzic partageait le

 18   même objectif, et qui lui apportèrent leur concours dans sa campagne

 19   criminelle. Slobodan Milosevic, qui partageait la détermination de Karadzic

 20   a obtenir que les Serbes bosniaques ne soient pas séparés de la Serbie,

 21   leur patrie, par une Bosnie indépendante, et qu'il fournit à Karadzic la

 22   puissance militaire nécessaire à la conquête de territoires en Bosnie et à

 23   l'élimination des populations indésirables qui s'y trouvaient. Ratko

 24   Mladic, le commandant militaire de Karadzic qui déclara un jour qu'il avait

 25   pour seul souci, s'agissant des Musulmans, de les faire disparaître, et

 26   qui, le jour où il pénétra dans Srebrenica, ajouta que désormais le temps

 27   était arrivé de se venger des Turcs. Momcilo Krajisnik, président du

 28   parlement, connu, désigné très souvent par le terme "assemblée des Serbes

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  1   de Bosnie", vieil ami et premier confident de Karadzic, dans la communauté

  2   de vue avec Karadzic dans la poursuite de leurs objectifs est décrite par

  3   un député dans les termes suivants, je cite :

  4   "Les plus hauts dirigeants de la Republika Srpska," et je demande

  5   l'affichage de tout ceci sur les écrans, je vous prie, "au premier rang

  6   desquels se trouvent MM. Karadzic et Krajisnik, n'auraient pas pu diriger

  7   le navire serbe avec plus de succès qu'ils ne l'ont fait."

  8   Biljana Plavsic et Nikola Koljevic, les deux représentants serbes à la

  9   présidence collective de Bosnie-Herzégovine en 1990, qui devinrent plus

 10   tard membres de la présidence collective de la Republika Srpska aux côtés

 11   de Radovan Karadzic, dont la déférence à l'égard de Karadzic en tant que

 12   dirigeant des Serbes et l'engagement

 13   actif sur les mêmes objectifs ressort de plusieurs communications

 14   téléphoniques interceptées et de plusieurs documents de l'époque.

 15   Plavsic se targuait avec fierté d'avoir invité Arkan à venir en Republika

 16   Srpska et évoquait les Musulmans en parlant d'eux, j'ouvre les guillemets :

 17   "Matériaux serbes génétiquement viciés qui s'étaient convertis à l'islam."

 18   Quant à Koljevic il faisait écho aux positions de Karadzic en déclarant

 19   qu'il n'était ni possible ni souhaitable que plusieurs populations

 20   coexistent en Bosnie et mettait en exergue les appels à  la séparation et à

 21   l'uniformisation ethnique dont Karadzic était l'auteur.

 22   Plavsic a plaidé coupable pour crime contre l'humanité au motif du

 23   nettoyage ethnique commis en Bosnie en 1992. Vous voyez ici à présent Mico

 24   Stanisic, autre ancien membre de la police bosniaque ou M-U-P, devenu plus

 25   tard premier ministre de l'Intérieur de la Republika Srpska. Les forces

 26   placées sous ses ordres se chargeront d'assurer la garde de la plupart des

 27   lieux de détention soumis à la violence, et il participa avec l'armée des

 28   Serbes de Bosnie aux opérations de nettoyage ethnique.

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  1   Des dirigeants régionaux à présent, tels que Radislav Brdjanin,

  2   président de la cellule de Crise de la Région autonome de Krajina condamné

  3   pour crime contre l'humanité en 2004, qui décrivait les Musulmans comme un

  4   "immonde purin maculant les chaussures des Serbes." Et vantait le camp

  5   d'Omarska comme un lieu où, je cite : "Le travail avait été bien fait."

  6   Il fut parmi les premiers dirigeants municipaux ou régionaux à

  7   bénéficier d'une promotion et à être élogieusement cité par Karadzic une

  8   fois que ces régions furent nettoyées de leurs habitants musulmans. Les

  9   dirigeants municipaux tels que Miroslav Deronjic qui orchestra le nettoyage

 10   de Bratunac en 1992 et dont les efforts furent récompensés par Karadzic

 11   comme ceux de nombreux autres pratiquants de la séparation de force,

 12   puisqu'en juillet 1995 ce dernier nomma Deronjic aux nouvelles fonctions de

 13   commissaire civil de la Srebrenica libre, libérée.

 14   En bref, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, il

 15   fallut à la tâche de nombreux responsables tant elle était immense. Mais

 16   pour la conquête du territoire bosniaque un homme se distingue dans sa

 17   qualité de meneur incontesté des Serbes de Bosnie du début à la fin, et cet

 18   homme ce fut Radovan Karadzic. Sa qualité de meneur ressort des postes

 19   qu'il a occupés et elle est reconnue par ses collègues. D'ailleurs Karadzic

 20   en atteste lui-même. Il fut président du SDS, le parti qui avait la haute

 21   main sur tout depuis la création de ce parti et jusqu'à la période

 22   ultérieure à la fin de la guerre. Il fut président du conseil de Sécurité

 23   nationale, l'instance chargée d'agir en situation d'urgence, qui fit office

 24   de président collectif de facto depuis la veille du début des prises de

 25   territoires fin mars 1992 et jusqu'au 12 mai 1992. Et en décembre 1992, il

 26   devint l'unique président de la présidence.

 27   Dans toutes ces fonctions, Monsieur le Président, Madame, Messieurs

 28   les Juges, comme vous l'apprendrez, Karadzic a été investi de pouvoirs de

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  1   jure importants, notamment du pouvoir d'être le commandant suprême de

  2   l'armée. Mais comme vous l'apprendrez également au vu des éléments de

  3   preuve qui vous le démontreront, les pouvoirs de jure importants de

  4   Karadzic ne sont qu'une faible partie du pouvoir global exercé par lui.

  5   Comme l'a dit un membre du parlement bosniaque à un général de la JNA en

  6   avril 1992, et ceci se passe avant que Karadzic n'assume officiellement le

  7   poste de président de la présidence, je cite :

  8   "Nous attendons à présent que Karadzic revienne d'Europe pour nous

  9   dire ce que nous devons faire. Personnellement, Mon Général, je pense que

 10   je ne vais rien faire avant son retour. A son retour, quoi qu'il nous dise

 11   de faire, nous le ferons. Pour le moment, il est le commandant suprême et

 12   nous n'en n'avons pas d'autre. Il y a la Fédération yougoslave d'une part

 13   et le peuple serbe dans la situation qui est la sienne d'autre part. Nous

 14   avons notre commandant, il est notre homme, nous devons lui obéir."

 15   Mais laissons donc Karadzic se décrire lui-même en qualifiant tous ceux qui

 16   l'entouraient "d'assistants" - entre guillemets - à son service. Je cite :

 17   "En ma qualité de chef et de président de l'Etat, je dirai que chacun

 18   voudrait avoir les assistants que je possède. Le gouvernement, les généraux

 19   que j'ai au sein de l'armée, tels Ratko Mladic, Manojlo Milovanovic, les

 20   membres de l'état-major général, les commandants de corps d'armée, les

 21   commandants des unités spéciales du ministère de l'Intérieur…"

 22   Tous, il les considérait comme ses assistants. Monsieur le Président,

 23   Madame, Messieurs les Juges, grâce à cette remarquable position de pouvoir,

 24   Karadzic a conduit, comme nous l'ont dit les propos repris ici il y a

 25   quelques instants, le navire serbe vers le cap qui était le sien, créer un

 26   Etat serbe dans un territoire historiquement serbe qui finit par être vidé

 27   de ceux en qui il voyait les ennemis éternels et qui ne devait plus jamais

 28   subir la menace d'ennemis venus de l'intérieur.

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  1   J'ai déjà appelé l'attention des Juges de la Chambre sur plusieurs

  2   documents émanant de l'accusé en personne, voire des représentants ou

  3   d'instances officielles de la Republika Srpska.

  4   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, une forte proportion

  5   des éléments de preuve qui seront présentés au cours de ce procès, ne

  6   seront que la reprise des mots prononcés par les différents participants

  7   aux événements de l'époque. Ces éléments de preuve seront des documents

  8   tels que les PV de réunions de l'assemblée, de la présidence, du

  9   gouvernement, des cellules de Crise, les rapports et ordres émis par

 10   l'armée et la police, les discours officiels, les allocutions prononcées

 11   lors de meetings, et d'autres propos prononcés à l'époque. Ces documents

 12   montrent qu'elle a été la nature des événements et quels étaient les

 13   objectifs poursuivis parfois de façon subtile et parfois de façon explicite

 14   au point d'en être choquante.

 15   L'Accusation soumettra ces documents aux Juges de la Chambre et les placera

 16   de ce fait à de nombreuses reprises pratiquement physiquement au cœur des

 17   événements et des réunions les plus importantes. Les Juges de la Chambre

 18   profiteront également de la diffusion de nombreuses écoutes téléphoniques

 19   qui leur permettront d'entre les mots prononcés à l'époque par bien des

 20   participants aux événements, et notamment par l'accusé en personne.

 21   Ils entendront aussi, bien sûr, de nombreux témoins, représentants de la

 22   communauté internationale en particulier, qui ont averti Karadzic à de

 23   multiples reprises mais en pure perte de la nécessité de faire cesser les

 24   crimes. Ils entendront des proches de Karadzic qui travaillaient à ses

 25   côtés, voire étaient eux-mêmes membres de l'entreprise criminelle commune

 26   dont le témoignage confirmera même à leur corps défendant les conclusions

 27   qui ressortent inévitablement de la lecture des documents et démontrent que

 28   Karadzic avait la haute main sur les événements, et ils entendront des

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  1   victimes.

  2   Il y a toutefois un grand nombre de crimes déjà examinés lors de procès

  3   antérieurs, qui figurent dans des constats judiciaires établis ou dans des

  4   déclarations liminaires de témoins et dans les dépositions orales de ces

  5   témoins à différents procès déjà menés. Bien entendu, il n'est évidemment

  6   pas utile de réinterroger ces témoins au risque de leur faire revivre les

  7   souffrances et drames terribles qu'ils ont connu. Mais leur voix, toujours

  8   aussi puissante et convaincante se fera entendre lorsque seront examinés

  9   les documents que je viens de citer.

 10   Par exemple, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, en

 11   lisant les éléments de preuve écrits, vous entendrez les témoins décrire

 12   leur coexistence pacifique avec leurs voisins serbes pendant de longues

 13   années, avant que le nationalisme ne l'emporte. Vous les entendrez dire

 14   qu'ils ont vu leurs voisins serbes se procurer des armes et se mettre à

 15   discuter de guerre, que la police a été divisée sur base ethnique, que les

 16   municipalités ont été prises de force par les forces serbes et qu'ils se

 17   sont sentis de plus en plus marginalisés et menacés, que leurs villages ont

 18   été pilonnés et détruits, qu'ils ont été arrêtés ou regroupés en même temps

 19   que d'autres non-Serbes pour être envoyés dans un camp où ces détenus ont

 20   vécus comme des animaux, soumis à toutes sortes d'exactions, victimes de

 21   viols ou même tués, qu'on les a déménagés d'un camp à un autre à

 22   l'intérieur de ce réseau de centres de détention qui couvrait toutes les

 23   municipalités, et qu'ils ont fini par être échangés; douze euphémismes,

 24   pour désigner leur expulsion des territoires tenus par les Bosno-Serbes

 25   après signature de documents par lesquels ils abandonnaient leurs biens à

 26   l'Etat serbe. Ces témoins diront que les quartiers croates ou musulmans,

 27   ainsi que les sites religieux croates et musulmans, ont été détruits

 28   complètement.

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  1   Et, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, vous

  2   entendrez également des habitants de Sarajevo vous dire dans quelle terreur

  3   constante ils ont vécu jour après jour, mois après mois, année après année,

  4   en sachant que les êtres qui leur étaient chers étaient pris pour cibles.

  5   Vous les entendrez dire que pendant le siège, ils se cachaient dans des

  6   caves, serrés les uns contre les autres, brûlant tout ce qui leur tombait

  7   sous la main pour produire un peu de chaleur, terrifiés par rapport au

  8   risque d'être visés, d'être touchés par les obus et les tireurs embusqués,

  9   mais contraints de sortir tout de même, par la faim, la soif et le froid.

 10   Vous les entendrez parler de la ville dans laquelle ils vivaient, ville

 11   dans laquelle toute activité quotidienne était une menace pour l'existence

 12   et où aucun lieu n'était sûr.

 13   A Srebrenica, les Juges entendrons des victimes qui, chassées d'un

 14   lieu à un autre par les forces serbes, arrivèrent finalement à Srebrenica

 15   où elles vécurent dans d'effroyables conditions, des victimes qui faisaient

 16   tout ce qu'elles pouvaient pour protéger leurs fils mineurs ou adolescents

 17   afin d'éviter qu'on ne les conduise vers les lieux d'exécution de masse

 18   situés tout autour de Srebrenica et dont certains, miraculeusement, ont

 19   survécu en se faisant passer pour morts. Ils ont été condamnés à se cacher,

 20   car promis à la mort par les forces serbes, jusqu'au moment où ils ont

 21   atteint le territoire musulman.

 22   Au cours de ce procès, les Juges entendront aussi les dépositions qui leur

 23   révéleront comment et pourquoi ces crimes ont été infligés à ceux qui en

 24   étaient les victimes, ces personnes qui ont eux le malheur d'appartenir au

 25   mauvais groupe ethnique et d'avoir vu le jour sur une terre convoitée par

 26   d'autres qu'eux; des dépositions qui démontrent que Karadzic a voulu

 27   diviser la Bosnie en fonction de groupes ethniques, en jetant son dévolu

 28   sur de grandes parties ethniquement mixtes du territoire bosniaque, à la

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  1   recherche d'un espace vital dans lequel les Serbes pourraient ne plus être

  2   menacés par les ennemis historiques, une terre qui avait l'obligation

  3   d'être "nettoyée," et qui l'a été par les forces soumises à Karadzic.

  4   J'aimerais maintenant discuter d'éléments de preuve un peu plus en détail,

  5   même si ce sera nécessairement d'ordre général. Mais avant de parler de ce

  6   qui a été fait pour réaliser et atteindre l'objectif commun consistant à

  7   provoquer de force le départ des Musulmans et des Croates, je tiens à

  8   parler de Sarajevo et de Srebrenica.

  9   Mais j'aimerais d'abord parler de la création par l'accusé des

 10   instances et des forces nécessaires à la réalisation de cet objectif et du

 11   contrôle qu'il a exercé sur elles, car Radovan Karadzic ne s'est pas

 12   contenté d'occuper un poste de pouvoir déjà créé. Il a, avec des

 13   compatriotes partageant les mêmes valeurs, créé et ensuite dirigé les

 14   instances et les forces dont il avait besoin pour réaliser ses objectifs.

 15   Commençons, si vous me le permettez, par quelques rappels élémentaires mais

 16   importants. Nous allons voir une carte de la Yougoslavie, qui va s'afficher

 17   à l'écran.

 18   La Yougoslavie, c'était un Etat fédéral, vous le savez, bien sûr, qui

 19   se composait de six républiques et de deux provinces autonomes. Si la

 20   grande majorité de la population serbe de Yougoslavie vivait en Serbie

 21   même, il y avait aussi une population serbe d'une certaine importance en

 22   Croatie et en Bosnie. En Bosnie, les Serbes représentaient à peu près 31 %

 23   de la population en 1991. Les Musulmans en Bosnie représentaient la

 24   majorité, même s'ils n'étaient pas la majorité absolue en Bosnie, il y

 25   avait 44 % de Musulmans. Quant aux Croates de Bosnie, ils ne représentaient

 26   que

 27   17 % de la population totale.

 28   La Bosnie méritait sa réputation de pays en taches d'encre, ou en peau de

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  1   léopard, tant les groupes ethniques y étaient intrinsèquement mêlés. Même

  2   dans les municipalités où un groupe ethnique était numériquement la

  3   majorité absolue, le pourcentage représenté par d'autres groupes ethniques

  4   y était souvent important. Vous le voyez sur ces deux cartes

  5   démographiques. La première vous montre les municipalités où vous avez la

  6   population majoritaire dans chaque population indiquée par une couleur.

  7   Vous avez le vert pour les Musulmans, le rouge pour les Serbes, le bleu

  8   pour les Croates. Et vous avez ici une légende qui montre la composition,

  9   l'étendue de la composante d'une minorité dans ces municipalités.

 10   Au cours du procès, bien entendu, vous aurez amplement l'occasion de

 11   revenir sur la question démographique en Bosnie, de façon bien plus

 12   détaillée. Vous devriez d'ailleurs le voir dès la prochaine carte. Vous

 13   avez ici la répartition démographique en Bosnie, sans avoir les

 14   pourcentages statistiques par municipalité. Et je pense que là, on voit

 15   bien que la Bosnie était vraiment un pays en taches d'encre ou en peau de

 16   léopard.

 17   Suite à l'écroulement du communisme en Europe de l'Est, fin des années

 18   1980, il y a eu des élections en Bosnie, comme ailleurs, en 1990, et trois

 19   parties ethniques ont vu le jour. Le SDA musulman, le SDS serbe et le HDZ

 20   croate, chacun obtenant un nombre de voix qui correspondait, pour

 21   l'essentiel, au pourcentage de sa population respective sur le plan

 22   ethnique. Le SDS allait s'avérer être une machine de guerre puissante, dont

 23   Karadzic fut le fer de lance. Il rafla un grand nombre de sièges au

 24   parlement, à l'assemblée, comme on l'appelait. Et il acquit beaucoup de

 25   postes dans les structures politiques bosniaques. Biljana Plavsic et Nikola

 26   Koljevic devinrent deux des sept membres de la présidence politique en

 27   Bosnie. Quant à Krajisnik, il devint président de l'assemblée, sur

 28   nomination du SDS, ou plus précisément, de son vieil ami Karadzic. Ces

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  1   responsables serbes de Bosnie rendaient compte à Karadzic, avec lequel ils

  2   collaboraient. Des témoins viendront vous le dire et vous le verrez aussi à

  3   l'écoute des écoutes téléphoniques dont je vous ai parlé.

  4   Le SDS était implanté dans presque toutes les municipalités. D'ailleurs,

  5   Karadzic se flattait du fait que le comité exécutif du SDS pouvait, grâce à

  6   sa structure, et en moins de deux heures, atteindre le village le plus

  7   reculé. Chaque membre du SDS, dans une communauté locale, subdivision

  8   administrative des municipalités, était responsable de dix à 20 familles.

  9   Et manifestement, c'était une organisation hiérarchique qui avait à son

 10   fait, sans aucune ambiguïté, Karadzic aux commandes.

 11   Voyons d'ailleurs ce que dit Karadzic lui-même, à l'époque.

 12   Nous avons ici une écoute téléphonique d'octobre 1991. C'est lui qui parle

 13   :

 14   "Dis-leur de ne plus jamais s'aventurer à cela… qu'ils ont

 15   l'interdiction d'agir de façon indépendante du centre, au risque d'être

 16   suspendus de ce qu'ils ont fait, et que ce qu'ils ont fait soit rapporté

 17   autour d'eux."

 18   Autre citation :

 19   "Une fois que le parti a adopté une ligne politique, tout ce qui

 20   s'écarte de cette ligne est de la trahison. Tout ce qui n'est pas cette

 21   politique, ce sera de la trahison… Moi, je le dénoncerai aux gens, à tout

 22   le monde, cet homme est un traître."

 23   Encore une citation. C'est toujours Karadzic qui parle. Il parle en janvier

 24   1992, je le cite :

 25   "Qu'ils aillent se faire foutre. Je suspendrai toute personne qui

 26   fait une erreur. Je l'expulserai du parti. Je n'en n'ai rien à foutre.

 27   Pourquoi est-ce que je vais faire cela ? Les gens me comprennent bien.

 28   J'arriverai à mes fins. Je suspendrai ces brebis galeuses et je choisirai

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  1   d'autres personnes pour les remplacer."

  2   En sa qualité de président du SDS, Karadzic n'était pas un dirigeant

  3   passif. Il était en contact direct avec les dirigeants municipaux et

  4   régionaux de terrain et qui s'en remettaient à lui. Leur dépendance, ainsi

  5   que la structure hiérarchique du SDS, ressortent clairement de cette écoute

  6   téléphonique de Radislav Brdjanin, le dirigeant régional en charge de la

  7   Bosnie occidentale. Et je vous l'ai déjà dit, il allait devenir président

  8   de la cellule de Crise de la Région autonome de Krajina. C'est une fois de

  9   plus le Dr Karadzic qui s'exprime :

 10   "Tu fais chier, tu m'appelles tout le temps pour un rien, pour trois

 11   fois rien, moi qui ai des milliers de choses en tête. Et si tu es capable

 12   de t'occuper de la Krajina, mais fais-le correctement, bon sens. Ne me

 13   demande pas de m'occuper de tout. Ne m'appelle pas pour un rien, pour le

 14   moindre petit problème. Je ne suis pas ta nourrice. Tu as le pouvoir et tu

 15   as des présidents de municipalités par lesquels tu peux exercer le pouvoir,

 16   tant que nous n'avons pas l'indépendance. Donc tu ne dois pas, je le dis

 17   bien, tu ne dois pas m'appeler à tout bout de champ. Tu dois exercer le

 18   pouvoir, fermement et à fond. Appelle chacun des présidents de

 19   municipalités et vérifie qu'ils ont bien fait ce qu'ils avaient à faire."

 20   Madame et Messieurs les Juges, Karadzic savait que le démantèlement de la

 21   Yougoslavie impliquait la possibilité pour les républiques de briguer

 22   l'indépendance et une mise en minorité éventuelle des Serbes dans ces

 23   nouveaux pays. Pratiquement dès la création du SDS, Karadzic a dit sans

 24   ambages que les Serbes allaient résister à cette éventualité par la force

 25   s'il le fallait. Il l'a dit dès 1990. Si les Serbes devaient être mis en

 26   minorité au moment du vote au parlement de Bosnie sur la modification du

 27   caractère étatique de la Bosnie, autrement dit sur l'indépendance par

 28   rapport à la Yougoslavie, il déclara : 

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  1   "…toutes les conditions nécessaires à une guerre civile seraient

  2   réunies car les Serbes de Bosnie-Herzégovine n'étaient plus sans défense,

  3   ils étaient au contraire très puissants et unis."

  4   Milosevic, quant à lui, l'allié puissant de Karadzic, il a déclaré sans

  5   détour en janvier 1991, se faisant l'écho des paroles de Karadzic, il dit

  6   ceci :

  7   "Toute division en plusieurs Etats qui fragmenterait la population

  8   serbe désormais répartie dans des Etats différents est inacceptable ou plus

  9   précisément, c'est totalement hors de question."

 10   Karadzic, comme Milosevic, allaient œuvrer de concert pour empêcher cela en

 11   insistant tout d'abord pour que la Bosnie demeure dans le giron de la

 12   Yougoslavie. Mais à mesure que cette possibilité s'estompait, il est passé

 13   à l'étape suivante. Et je cite ici ce qui a été dit à une réunion du club

 14   des députés du groupe parlementaire :

 15   "C'est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés sur une autre

 16   voie, celle d'une Bosnie-Herzégovine serbe, notre droit souverain, notre

 17   armée."

 18   Ce qui signifiait que la Bosnie pouvait devenir indépendante mais

 19   sans les territoires qui, de l'avis de Karadzic, étaient des territoires

 20   serbes. Le but ultime de Karadzic c'était l'unification, l'intégration avec

 21   la Serbie pour avoir un seul Etat serbe. Et il a assuré à ses partisans

 22   qu'il n'aurait pas de repos tant qu'il n'aurait pas réalisé cet objectif

 23   ultime, celui d'un seul Etat serbe intègre à l'image de celui qui existait

 24   jadis. Mais il leur rappelait que ce but pouvait être atteint

 25   progressivement par étapes. L'identité de vue de Radovan Karadzic et de

 26   Milosevic sur cette question impliquait qu'il pouvait compter sur la

 27   politique de Milosevic pour un soutien logistique, politique, comme

 28   militaire. Ils allaient œuvrer ensemble pour atteindre cet objectif en

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  1   Croatie d'abord, en Bosnie ensuite. Car avant la Bosnie, la Croatie fut la

  2   première à proclamer son indépendance. La réaction des Serbes de Croatie au

  3   cours de l'été et de l'automne 1992 allait présager déjà, était

  4   annonciatrice de ce qui allait se passer plus tard en Bosnie.

  5   Avec l'aide de la JNA, armée contrôlée par Milosevic, l'armée

  6   populaire yougoslave, la force armée la plus puissante de la région avec

  7   les forces paramilitaires venues de Serbie, les Serbes de Croatie prirent

  8   et nettoyèrent de sa population croate un tiers du territoire nouvellement

  9   indépendant de la Croatie. Nombre des phases d'évolution vers la séparation

 10   ethnique et des personnalités sur lesquelles s'appuyèrent les Serbes de

 11   Croatie, Milosevic, Stanisic, Arkan, Seselj, vont réapparaître plus tard en

 12   Bosnie. 

 13   Karadzic a œuvré aux côtés de Milosevic pour veiller à ce que les

 14   dirigeants de Croatie, Milan Babic et Milan Martic adhèrent bien à la ligne

 15   politique fixée. Karadzic a mobilisé les chefs de municipalités sous ses

 16   ordres pour compléter les effectifs présents en Croatie comme le prouve

 17   l'écoute téléphonique suivante, je cite :

 18   "J'ai donné l'ordre. J'ai donné cet ordre à toutes les municipalités

 19   là-bas et à tous les présidents de ces municipalités. Je leur ai donné

 20   l'ordre de fournir 10 000 hommes en une semaine."

 21   En attendant, en Bosnie, les efforts déployés par Karadzic et

 22   Milosevic en Bosnie pour conclure un accord avec Alija Izetbegovic ou

 23   d'autres dirigeants de Bosnie sur le renoncement de la Bosnie à poursuivre

 24   son indépendance avaient échoué. Et la perspective de l'indépendance de la

 25   Bosnie, cette perspective dont ne voulaient absolument pas Karadzic et

 26   Milosevic se faisait de plus en plus réelle. En octobre 1991, le parlement

 27   bosniaque, l'assemblée bosniaque se réunissait pour étudier un protocole

 28   d'accord sur l'indépendance. Karadzic fit son apparition au parlement pour

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  1   dire aux Croates et aux Musulmans de Bosnie ce qui se produirait si

  2   effectivement ce protocole d'accord en vue de l'indépendance était adopté :

  3   [Diffusion de la cassette vidéo]

  4   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  5   "Ecoutez, je vous le demande une nouvelle fois. Ce n'est pas une

  6   menace mais je vous demande de chercher sérieusement à comprendre ce

  7   qu'exprime la volonté politique des Serbes représentés ici par le Parti

  8   démocratique serbe et le Mouvement serbe du Renouveau. Ce que vous faites

  9   n'est pas bien. Vous avez choisi une voie pour la Bosnie-Herzégovine. Cette

 10   voie est la même route que celle qui mène droit à l'enfer et à la

 11   souffrance, celle qu'ont déjà empruntée la Slovénie et la Croatie.

 12   N'imaginez pas que vous n'allez pas entraîner la Bosnie-Herzégovine dans la

 13   descente aux enfers, et peut-être provoquer la disparition des Musulmans,

 14   car le peuple musulman sera incapable de se défendre si la guerre éclate

 15   ici."

 16   M. TIEGER : [interprétation]  Et quand il parlait de la disparition

 17   du peuple musulman, Karadzic entendait son anéantissement physique. Cette

 18   même semaine, il rappelle à son frère que 12 % des Serbes avaient "créé un

 19   enfer en Croatie" et qu'en Bosnie cela serait synonyme de "guerre jusqu'à

 20   extinction."

 21   Et dans une autre écoute téléphonique datant de la même semaine, il

 22   prévoit dans ce discours que nous venons d'entendre, il prévoit avec

 23   minutie le bain de sang qu'il s'apprête à provoquer, allant jusqu'à

 24   imaginer l'attitude qu'il va adopter vis-à-vis de la prévisible réaction de

 25   la communauté internationale. Je cite, Karadzic :

 26   "Mais ils sont fous, ils vont disparaître…"

 27   "Il va y avoir des fleuves de sang," dit l'autre.

 28   Karadzic :

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  1   "Ils disparaîtront. Ce peuple va disparaître de la surface de la

  2   terre s'ils s'y mêlent maintenant. Notre offre a été la chance unique de ce

  3   peuple. Et même ça, c'était trop, ce que nous avons offert à ces gens…

  4   "Il faut qu'ils le sachent. Il faut qu'ils sachent qu'il y a

  5   20 000 hommes serbes armés autour de Sarajevo. C'est fou. Ils vont

  6   disparaître. Sarajevo va se transformer en un chaudron infernal dans lequel

  7   300 000 Musulmans vont périr. Ils ne sont pas bien dans leurs têtes.

  8   "Il faut que je leur dise franchement, 'écoutez, ne faites pas les

  9   malins. Il y a 3, 4 000 Serbes armés en Bosnie-Herzégovine. A quoi vous

 10   pensez ? Plus l'armée, plus le matériel, et tout le reste. Pensez-vous que

 11   vous pouvez vous séparer simplement comme l'a fait la Croatie ? Ils vont

 12   littéralement… ils nous l'ont dit hier pendant ces négociations que nous

 13   menons entre deux séances à l'assemblée qu'une Bosnie autonome est synonyme

 14   de Bosnie indépendante si la Yougoslavie refuse de…"

 15   Il poursuit plus loin en disant ceci :

 16   "Nous n'allons pas les forcer à faire quoi que ce soit, mais c'est

 17   simple, ils n'ont pas les moyens de réussir une sécession. Je pense que

 18   ceci est clair pour l'armée et clair pour tout le monde,  ce sera un vrai

 19   bain de sang."

 20   Un peu plus loin encore, il dit ceci: 

 21   "Il parle avec les Européens."

 22   Son interlocuteur répond :

 23   "Ça va être terrible."

 24   Karadzic répond :

 25   "Il sera dit à l'Europe qu'elle peut aller se faire voir et qu'elle

 26   ne doit pas revenir tant que le travail n'est pas terminé."

 27   Faisant fi des menaces, le protocole d'accord a été adopté. Et à

 28   partir de ce moment-là, Karadzic et la direction des Serbes de Bosnie se

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  1   lancèrent dans la mise en place de structures destinées à faire naître en

  2   Bosnie une entité distincte qui entérinerait la division ethnique. Comme il

  3   le dit à Milosevic dans une conversation téléphonique le 24 octobre 1992,

  4   je cite :

  5   "Nous ne pouvons permettre une telle chose. Il nous faut tout

  6   préparer et nous avons tout préparé afin de créer une situation factuelle…

  7   sur laquelle ils vont se casser les dents et nous ne vivrons à aucun prix à

  8   leur côté dans un même Etat, à aucun prix. Point final."

  9   Je le cite encore :

 10   "Ce sont des étapes calculées et il nous faut établir notre autorité

 11   et notre contrôle sur nos territoires, de façon à rendre impossible pour

 12   Alija Izetbegovic une Bosnie indépendante. La Croatie ne contrôle pas 30 %

 13   du territoire et la Bosnie-Herzégovine ne va pas contrôler 60 % du

 14   territoire dans les quelques mois à venir."

 15   Karadzic a transformé le SDS en un organe qui allait mettre en œuvre

 16   la séparation ethnique.

 17   La première structure, ce fut l'assemblée des Serbes de Bosnie, le

 18   club des députés de l'assemblée. On appelait les parlementaires des députés

 19   et ce groupe parlementaire, on l'appelait le club des députés. Et ce club

 20   des députés du SDS a été rebaptisé "assemblée serbe de Bosnie." Elle avait

 21   à sa tête Momcilo Krajisnik, l'associé le plus proche de Karadzic. Elle fut

 22   créée le 24 octobre 1991, le jour même où Karadzic a eu cette conversation

 23   téléphonique avec Milosevic, conversation que nous venons d'entendre. A la

 24   séance inaugurale de cette nouvelle assemblée, Karadzic souligne la

 25   nécessité d'une séparation entre Serbes et non-Serbes. Il dit que les

 26   Serbes sont exposés "aux mêmes plans, aux mêmes criminels, aux mêmes

 27   personnes," tant ils ont été victimes, au même risque de destruction que

 28   celui de la Deuxième Guerre mondiale.

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  1   Il dit aussi aux députés de la nouvelle assemblée :

  2   "Ceci est un pas historique, un pas grâce auquel le peuple serbe se

  3   libère de ses dernières illusions, reconnaît son ennemi et se rassemble de

  4   façon à ce que plus jamais il ne puisse être attaqué par un ennemi venu de

  5   l'intérieur."

  6   L'assemblée serbe de Bosnie, c'était un instrument précieux,

  7   s'agissant de faire connaître la ligne politique sur le terrain et de

  8   recevoir des renseignements sur ce qui se passait sur le terrain, car

  9   nombreux étaient les responsables de terrain qui participaient aux séances

 10   de l'assemblée. Par exemple, Krajisnik explique pourquoi il y a une telle

 11   présence de responsables municipaux. Il dit, je le cite :

 12   "C'est la meilleure façon pour que notre peuple comprenne ce qui se

 13   passe. Nous avons constaté que les gens quittaient les séances d'assemblée

 14   en sachant parfaitement bien ce qu'ils avaient à faire."

 15   Et cette vision très claire, c'est Karadzic qui l'a fournie. Même s'il

 16   n'est pas officiellement un membre de l'assemblée, il intervenait souvent

 17   pour expliquer ses politiques. Son autorité de chef, de meneur, elle

 18   apparaît clairement, elle est visible pratiquement à toutes les séances.

 19   Voici ce que dit un des députés :

 20   "Je sais que Karadzic, le président du SDS, est véritablement la

 21   personnalité dirigeante, la figure de prou du peuple serbe. Cinq phrases

 22   lui suffisent pour changer le cours de toute une séance."

 23   Après la création de l'assemblée serbe de Bosnie en octobre, le conseil des

 24   ministres a été choisi au mois de décembre. Cet organe comprenait des

 25   ministères serbes dirigeants dans le gouvernement de Bosnie existant qui

 26   était, pour l'essentiel, un gouvernement attaché à son service. Le terme de

 27   gouvernement, Madame, Messieurs les Juges, ne signifie pas l'ensemble de la

 28   structure politique, mais fait état d'un organe qui regroupe les différents

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  1   ministères, à savoir le ministère de l'Intérieur, le ministère de la

  2   Justice, le ministère de la Défense, et cetera. Et en haut de cette

  3   pyramide, ce gouvernement a un mandataire ou un président de gouvernement

  4   ou premier ministre. Vous allez entendre parler de ces trois termes qui

  5   sont là pour coordonner les différents travaux des ministères au sein du

  6   gouvernement. Il s'agissait là d'une branche de la structure politique

  7   serbe de Bosnie et de Bosnie, parallèlement aux deux autres branches de

  8   l'assemblée et de la présidence.

  9   Le conseil des ministres, comme je l'ai indiqué, qui annonçait le

 10   gouvernement, était un autre instrument permettant la mise en œuvre des

 11   mesures calculées de Karadzic. Comme il l'a dit à un dirigeant régional

 12   serbe de Bosnie le premier jour de la réunion du conseil lors de la réunion

 13   inaugurale, je cite :

 14   "Nous avons tout ceci dans le plan. Nous avons toutes les mesures

 15   dans les enveloppes. Il ne faut pas qu'ils le fassent avant que nous le

 16   fassions sur l'ensemble de la Bosnie. Nous aurons un conseil de ministres

 17   aujourd'hui, il y a -- nous avons tout fait aujourd'hui. Nous avons des

 18   plans pour tout."

 19   Le conseil des ministres cédera le pas en mars 1991 à la formation

 20   d'un gouvernement. Encore une fois, ce gouvernement comprenait les

 21   différents ministères et la même structure, à savoir avec un mandataire ou

 22   un président, un premier ministre en haut de cette structure. Madame,

 23   Messieurs les Juges, vous allez entendre de la bouche de membres du

 24   gouvernement qui vous diront que Karadzic estimait qu'il incarnait le

 25   gouvernement. Et vous aurez l'occasion de lire des remarques d'époque

 26   d'autres représentants officiels telles que celles-ci à l'assemblée serbe

 27   de Bosnie en 1993, je cite :

 28   "M. le Président, la plus grande responsabilité est la vôtre, mais vous ne

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  1   pouvez pas tout faire. Vous avez assumé l'autorité suprême, le pouvoir

  2   exécutif et tous les autres pouvoirs… la tâche du gouvernement est définie.

  3   Cependant, vous n'avez rien donné à faire au gouvernement."

  4   Encore une fois, entendons cela de la bouche de Karadzic lui-même, et je

  5   cite :

  6   "Croyez-moi, le gouvernement m'appartient. Je suis responsable de son

  7   fonctionnement."

  8   Pour ce qui est de la présidence ou de la fonction du chef de l'exécutif,

  9   c'est encore une fois Karadzic. Comme ceci a été précisé précédemment,

 10   c'était le président de la SDS pendant tout ce temps, ce qui était en somme

 11   un Etat à parti unique. C'était un président du Conseil de sécurité

 12   nationale de mars 1992 jusqu'en mai 1992, et cette fonction représente

 13   celle de la présidence collégiale effective. C'était le président de la

 14   présidence collégiale du mois de mai au mois de décembre 1992, ensuite

 15   l'unique président de la RS par la suite jusqu'en 1996. Le seul moment où

 16   quelqu'un était théoriquement président était le moment où Plavsic et

 17   Koljevic avaient été nommés présidents par intérim de la fin du mois de

 18   février 1992 jusqu'à la fin de la présidence collégiale au mois de mai

 19   1992. Et Koljevic lui-même a indiqué que Karadzic devait être désigné parce

 20   que c'était l'homme de la situation par excellence : 

 21   "Il avait plus fait pour nous que tous les autres Serbes en Bosnie et

 22   en Herzégovine et pour la 'serbité' en général. Inutile de citer son nom.

 23   Vous savez tous que je fais allusion au Dr Radovan Karadzic."

 24   Et c'est Karadzic qui a recommandé, pour sauver les apparences aux

 25   yeux de la communauté internationale parce que Plavsic et Koljevic avaient

 26   été élus en 1992, que ces derniers conservent leur titre. Ainsi, les

 27   organes au niveau de la République serbe de Bosnie, par le biais desquels

 28   Karadzic pouvait mettre en œuvre sa politique avaient été créés et Karadzic

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  1   était bel et bien responsable. Il s'est assuré à ce moment-là également de

  2   la conformité des organes locaux pour la prise de pouvoir à venir.

  3   A la fin du mois de décembre 1991, Karadzic a fait circuler ce document,

  4   plus communément connu sous le nom de "Variantes A et B," les instructions

  5   pour l'organisation et les activités du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine

  6   dans un Etat d'urgence. Et les instructions était divisées en deux parties

  7   ou variantes : Variante A pour les municipalités où les Serbes étaient

  8   majoritaires; et variante B, où ils ne l'étaient pas. C'est ce que vous

  9   constaterez au milieu de l'écran. Ceci a été également divisé en deux

 10   étapes ou niveaux de déclenchement, la seconde étant un niveau plus

 11   soutenu, ce que vous pouvez constater en bas de la page.

 12   Le premier niveau, Madame, Messieurs les Juges, insistait sur les

 13   préparatifs et le contrôle, notamment la formation de cellules de Crise,

 14   l'assemblée serbe et autres organes municipaux établissant les

 15   communications, faisant les préparatifs pour la prise de pouvoir de la

 16   police et le lancement de la Défense territoriale ou TO qui représentait

 17   une autre partie du système de défense yougoslave maintenu par chaque

 18   république dans chaque municipalité, une sorte de milice au niveau local,

 19   que vous connaissez certainement déjà.

 20   Ça c'était la première étape de cette instruction. L'étape numéro 2

 21   était le déclenchement de ces mesures qui avaient été préparées. Le

 22   gouvernement municipal devait commencer à fonctionner, les Serbes devaient

 23   être mobilisés dans les forces de police et les postes de police devaient

 24   être investis.

 25   Après la distribution de ce document, Karadzic a demandé à un des membres

 26   du conseil des ministres de s'assurer que ceci est bien mis en œuvre et de

 27   faire un rapport à Radovan Karadzic sur l'état d'avancement des préparatifs

 28   et de la prise de contrôle. Le 14 février 1992, étant donné que

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  1   l'indépendance de la Bosnie était imminente, Karadzic a déclenché la

  2   deuxième étape de la variante A et B, et je cite :

  3   "C'est la raison pour laquelle nous vous avons appelé aujourd'hui, pour

  4   intensifier, pour introduire la deuxième étape et pour renforcer le

  5   fonctionnement du gouvernement à tout prix et sur chaque millimètre de

  6   notre territoire."

  7   Encore une fois, peut-être qu'il est préférable de laisser les soins à

  8   Karadzic lui-même d'expliquer l'importance de ce document dans la mise en

  9   place des autorités locales chargées de la séparation. C'est Radovan

 10   Karadzic qui s'exprime devant l'assemblée en 1995 et jette un regard sur ce

 11   qu'il avait accompli :

 12   "S'il vous plaît, souvenez-vous de la façon dont nous travaillions avant la

 13   guerre. Tout était clair comme le jour dans les municipalités où nous

 14   étions majoritaires et celles où nous étions minoritaires. Vous souvenez-

 15   vous de l'instruction A et de l'instruction B ? Nous avions des cellules de

 16   Crise et il était clair que c'était eux qui avaient l'autorité. Ils

 17   pouvaient commettre des erreurs, mais c'était toujours eux qui avaient

 18   l'autorité. Les habitants n'étaient pas privés d'autorité parce qu'il y

 19   avait une cellule de Crise."

 20   Karadzic, à cette époque, est resté en contact permanent avec les

 21   représentants officiels par le biais des contacts directs, par le biais

 22   d'appels téléphoniques ou de réunions, comme nous avons pu le voir plus

 23   tôt, les émissaires envoyés dans les municipalités, et par le biais des

 24   sessions de plénières auxquelles assistaient les représentants locaux et

 25   les représentants au niveau de la république. Quoi qu'il en soit, les

 26   organes politiques, que ce soit au niveau régional de la république ou au

 27   niveau local, n'auraient pas suffi à réaliser la séparation. Les forces

 28   armées étaient nécessaires et ces dernières ont également été créées; une

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  1   police serbe de Bosnie distincte, celle des unités armées placées sous le

  2   contrôle du SDS et à l'appui, la JNA qui était puissante.

  3   Tout d'abord, Madame, Messieurs les Juges, je souhaite aborder la police

  4   serbe de Bosnie ou MUP. Dès le départ de son mandat en tant que président

  5   du SDS, Karadzic a surveillé de près l'affectation des représentants de la

  6   police à l'intérieur du MUP de Bosnie, recevant des rapports et donnant des

  7   instructions au personnel en haut de la hiérarchie. Il travaillait

  8   étroitement avec Momcilo Mandic qui était alors un représentant serbe de

  9   haut rang dans la police ethniquement mixte de Bosnie.

 10   Vous entendrez des conversations téléphoniques interceptées où vous

 11   entendrez Mandic et d'autres représentants officiels du MUP de Bosnie, où

 12   Karadzic dicte les affectations du personnel, et ainsi que d'autres

 13   questions. Ces écoutes où on fait référence à lui en l'appelant M. le

 14   président ou patron, illustrent encore une fois son statut prééminent.

 15   Etant donné que l'indépendance de la Bosnie se rapproche, les mesures pour

 16   créer un MUP distinct ont été accélérées. Comme Mandic a dit à Karadzic au

 17   mois de décembre 1991, où Karadzic s'est plaint du fait qu'il ne pouvait

 18   pas parler complètement librement parce que leurs téléphones avaient été

 19   mis sous écoute, en disant :

 20   "…que le dirigeant du parti aille se faire foutre s'il est mis sur écoute

 21   par sa propre police."

 22   Et Mandic a répondu :

 23   "Ce n'est pas votre police. Nous allons avoir les nôtres."

 24   Souvenez-vous du conseil des ministres qui s'est réuni que j'ai évoqué un

 25   peu plus tôt, la première réunion qui s'est déroulée en décembre 1991 et le

 26   11 janvier 1992. Karadzic était présent et a décidé que les priorités

 27   consistaient à :

 28   "Définir le territoire ethnique et à mettre en place les organes

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  1   gouvernementaux."

  2   Et donc, au mois de février 1992, Mandic, Mico Stanisic et autres

  3   représentants officiels serbes de premier plan du MUP conjoint à l'époque

  4   ont commencé à mettre en place cette idée que "le pouvoir serbe devait se

  5   faire sentir sur les territoires serbes."

  6   Il a créé un comité où Mandic était responsable, je cite :

  7   "…pour mener à bien tous les préparatifs nécessaires au fonctionnement du

  8   MUP serbe après l'adoption de la constitution de la République serbe de

  9   Bosnie-Herzégovine."

 10   Et donc, à la date du 18 mars, Karadzic était en mesure de dire à

 11   l'assemblée, à savoir l'assemblée serbe de Bosnie, et je cite :

 12   "…ceci arrivera l'instant d'un éclair et la création d'une situation de

 13   facto sur la base de nos documents… Nous allons annoncer le retrait du MUP,

 14   sans parler du fait que nous avons déjà obtenu les insignes."

 15   Et le 31 mars 1992, Mandic a envoyé une dépêche à tous les niveaux de la

 16   police en déclarant que le MUP conjoint, le MUP de Bosnie, le MUP qui était

 17   mixte avait été aboli et qu'un MUP serbe de Bosnie distinct avait été créé.

 18   Malgré les appels à l'unité du ministère bosniaque de l'Intérieur et de

 19   l'union de la police, le MUP de la Republika Srpska a été créé.

 20   Et au fil des mois et années suivants, à commencer par la prise de contrôle

 21   de Bijeljina le 31 mars 1992, la police a participé aux prises de contrôle,

 22   désarmement et nettoyage ethnique des populations musulmanes et croates

 23   dans les régions revendiquées par les Serbes. Après la création de l'armée

 24   serbe de Bosnie, la VRS, le 12 mai 1992, Mico Stanisic a créé des unités de

 25   guerre à partir du ministère de l'Intérieur qui ont été subordonnées à

 26   l'armée pour les opérations, mais qui restaient sous l'autorité des

 27   représentants officiels de la police, intactes, en quelque sorte.

 28   La police dirigeait bon nombre de camps dans lesquels les civils musulmans

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  1   et croates ont été détenus, les camps d'Omarska, Prijedor, Susica,

  2   Vlasenica, Kula à Sarajevo, et ont commis certains des meurtres en masse

  3   les plus importants, tels que le massacre à la montagne de Vlasic en août

  4   1992 où plus de 200 détenus ont été récemment remis en liberté. A la tête

  5   du MUP en 1992, comme je l'ai indiqué, c'était le premier ministre de

  6   l'intérieur, c'était Miso Stanisic. Stanisic a assuré devant les membres de

  7   l'assemblée en novembre 1992, qu'il avait mis en œuvre la politique de

  8   Karadzic. Et je cite :

  9   "Moi, en tant qu'homme, j'ai suivi la politique de la présidence du

 10   SDS et en tant que député de l'ancien Etat, j'ai suivi toujours cette

 11   politique."

 12   Je vais brièvement évoquer la JNA, la force puissante militaire qui a

 13   servi d'appui à ces prises de contrôle. Vous avez déjà entendu les écoutes

 14   du mois d'octobre, où Karadzic exprime sa confiance en l'armée qui écrasera

 15   en guise de réponse l'indépendance de la Bosnie. Karadzic continue à

 16   s'appuyer sur Milosevic et la puissance militaire de la JNA, à la fois

 17   directement par le biais d'information du SDS. Comme Karadzic l'a dit à

 18   propos de la JNA en juillet 1991 : "Si cela n'est pas une arme, qu'est-ce

 19   que c'est ?"

 20   Et la JNA, qui était autrefois l'armée de tous les peuples, est

 21   passée à une force qui s'alignait sur les intérêts serbes en Bosnie. Ceci

 22   est évoqué dans deux documents. Le premier document est un document qui

 23   émane du ministre de la Défense, en décembre 1991, et ne laisse aucun doute

 24   sur le groupe ethnique auquel se rallie l'armée, déclarant que les

 25   priorités étaient de réaliser l'objectif ultime de la guerre :

 26   "…la protection de la population serbe…"

 27   Le deuxième document a été établi environ quatre mois plus tard par

 28   le chef de la JNA du district militaire de Bosnie, et révèle, dans le

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  1   document précédent du ministère de l'Intérieur que nous venons de voir,

  2   avait été mis en œuvre rapidement. Ce document illustre le fait que 700 000

  3   [comme interprété] volontaires serbes ont été armés par la JNA et le SDS

  4   dans les municipalités dans l'ensemble de la Bosnie en prévision des prises

  5   de contrôle. Le document cite :

  6   "La JNA a distribué quelques 500 900 [comme interprété] pièces

  7   d'armement, et le SDS, 17 290 [comme interprété]."

  8   Madame et Messieurs les Juges, c'est ce que vous constaterez dans le

  9   document qui correspond exactement au nombre de volontaires, comme cela est

 10   illustré par le document.

 11   Madame, Messieurs les Juges, il s'agit là de la police et de la JNA,

 12   qui sont des forces militaires importantes. Je souhaite maintenant aborder

 13   brièvement les unités militaires du SDS, et je vais permettre à un

 14   collaborateur proche de Karadzic d'en parler. Il s'agit de Jovan Tintor, un

 15   dirigeant de Serbes de Vogosca, dans une municipalité près de Sarajevo, et

 16   un proche collaborateur de l'accusé. Je cite :

 17   "Je me suis rendu de municipalité en municipalité et j'ai créé des

 18   formations militaires sur ordre de mon président. Nous avons créé des

 19   commandants de brigade, jusqu'aux commandants de peloton. Tout ceci a été

 20   fait par le SDS."

 21   Mais encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, entendons cela de la

 22   bouche de Karadzic lui-même. Et je cite :

 23   "Nous avons fait différents calculs et signé différents accords avec la

 24   Yougoslavie. Nous avons décidé de créer la TO, les brigades serbes, qui

 25   était effectivement dirigée par le SDS, non pas comme une armée du parti,

 26   mais comme l'armée d'un peuple. Le noyau dur de l'armée existait dans

 27   chaque municipalité. J'aimerais savoir dans quelle municipalité cela

 28   n'existait pas."

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  1   Et Karadzic explique également, je cite :

  2   "La distribution d'armes s'est faite grâce à la JNA, ce qui a pu être

  3   retiré l'a été et a été distribué au peuple dans les régions serbes. Mais

  4   c'est le SDS qui a organisé le peuple et a créé l'armée. C'était une armée

  5   avec la police. Telles étaient les forces armées de la République serbe de

  6   Bosnie-Herzégovine. Ils ont créé l'espace, libéré et créé l'espace."

  7   Madame, Monsieur les Juges, lorsque nous reviendrons, je souhaite aborder

  8   avec vous cette notion d'espace, et par qui elle a été libérée.

  9   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger. Nous allons

 10   faire une pause de 25 minutes et reprendre à 4 heures.

 11   --- L'audience est suspendue à 15 heures 34.

 12   --- L'audience est reprise à 16 heures 02.

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.

 14   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Madame, Monsieur les Juges, lors de la séance précédente, je décris les

 16   organes et les forces qui avaient été créés par Karadzic, qu'il a loué par

 17   la suite en indiquant que ces dernières avaient libéré et créé l'espace, et

 18   je vous ai précisé que je souhaitais maintenant aborder ce que signifiait

 19   cette espace et par qui cet espace avait été libéré.

 20   Le territoire revendiqué par Karadzic et les dirigeants serbes de Bosnie

 21   était, d'après ses propres termes, "énorme." Ceci comprenait environ deux

 22   tiers du territoire de la Bosnie. Souvenez-vous, par exemple, que Karadzic

 23   a dit à Milosevic lors de cette conversation téléphonique que vous avez vue

 24   à l'écran, que le gouvernement de Bosnie ne serait pas en mesure d'asseoir

 25   son contrôle sur 65 % de son territoire.

 26   Je souhaite maintenant vous montrer des extraits du discours de Karadzic en

 27   novembre 1991, lors d'une séance plénière devant les représentants

 28   officiels qui étaient rassemblés à cet endroit où il souligne à la fois

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  1   l'étendue du territoire et son importance pour les Serbes de Bosnie. Je

  2   cite :

  3   "Je vous demande d'être énergiques et stricts, de vous préparer et

  4   d'établir une autorité dans vos territoires, dans les municipalités, dans

  5   les régions, dans les communautés locales et de vous préparer à la

  6   régionalisation des municipalités.

  7   "Si vous regardez la carte, nous avons un territoire immense en Bosnie-

  8   Herzégovine, un territoire immense."

  9   Vous verrez ceci en bas de vos écrans.

 10   Et il a également dit lors de cette réunion aux représentants officiels, je

 11   cite :

 12   "Aucune fondation musulmane ne sera jamais posée dans des régions serbes ou

 13   des villages serbes.

 14   "Nous ferons exposer les premières fondations, les premières fondations

 15   seront plastiquées… le monde comprendra lorsqu'on lui dira que nous ne

 16   permettrons pas à la donne démographique de changer, que ce soit

 17   naturellement ou artificiellement. En aucune façon, parce que ces

 18   territoires nous appartiennent.

 19   "Vous n'allez pas vendre de terres aux Musulmans. Vous ne devez pas le

 20   faire, parce que ceci est un combat jusqu'à la mort pour l'espace vital."

 21   Karadzic a justifié cette revendication selon laquelle les Serbes de Bosnie

 22   avaient droit au deux tiers du territoire de Bosnie de différente manière,

 23   notamment le génocide pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce qui a

 24   contraint la population serbe à vivre dans des régions où ils étaient

 25   minoritaires. Ils ont voté en faveur d'un plébiscite pour rester en

 26   Yougoslavie, les régions autonomes. Mais quels que soient les raisonnements

 27   avancés qui étaient variés et nombreux, le territoire revendiqué comprenait

 28   les parties importantes de la Bosnie, territoire sur lequel vivaient des

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  1   centaines de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie, dans bon nombre

  2   de municipalités où ils étaient majoritaires. Comme vous remarquerez, si

  3   vous regardez la carte de démographique, vous verrez l'étendue des zones

  4   vertes en question.

  5   Et les Musulmans et les Croates vivaient sur ces territoires, Madame,

  6   Messieurs les Juges, Karadzic, à multiples reprises, a clairement indiqué

  7   que ses ennemis étaient les Serbes, qu'ils ne pouvaient pas vivre ensemble.

  8   Les Serbes, les Musulmans, d'après lui, étaient des chats et des chiens qui

  9   ne pouvaient pas vivre ensemble, dans "la même litière," parce que

 10   c'étaient des ennemis de toujours.

 11   "Ceci me rappelle de l'expérience dans lequel un chat et un chien

 12   sont retenus ensemble dans une boîte contre leur gré ou comme un mauvais

 13   mariage que l'on force. Il est apparu qu'un chat et un chien ne pouvaient

 14   rester dans la même litière qu'à une condition, à savoir perdre leurs

 15   caractéristiques individuelles et cesser d'être d'une part un chat, d'autre

 16   part un chien. Rappelez-vous que nous ne pourrons pas vivre ensemble pas

 17   plus que ne peuvent de vrais chats et chiens."

 18   Ou encore il disait que :

 19   "Les Turcs et  les Serbes ressemblaient à des plantes incompatibles

 20   qu'ils ne peuvent pas survivre côte à côte.

 21   "Dans le monde végétal" disait-il, "il y a des plantes qui ne peuvent

 22   pas pousser les unes à côté des autres. Elles doivent être séparées les

 23   unes des autres pour fleurir.

 24   "Ou encore la comparaison s'imposait avec l'huile et l'eau.

 25   "Les Musulmans étaient, d'après lui, tous des "Turcs," entre

 26   guillemets, "des ennemis implacables et historiques." Et il avait

 27   l'habitude de dire, je cite :

 28   "Ceci est le genre de guerre où l'on ne peut pas perdre la guerre

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  1   aujourd'hui, puis la reprendre dans dix ans. Personne ne peut rester sous

  2   le règne des Turcs, personne ne doit rester sous le règne des Turcs."  

  3   Les Croates étaient tous des "Oustachi," réincarnation des ennemis de

  4   la Seconde Guerre mondiale.

  5   Les "Musulmans," disait-il, "allaient démographiquement surpasser les

  6   Serbes par un taux de natalité que les Serbes ne pouvaient pas égaler.

  7   Je cite :

  8   "Nous ne pouvons pas contrôler les Musulmans dans un Etat intégré

  9   comme celui-là. Nous savons très bien ce qu'est l'intégrisme et que nous ne

 10   pouvons pas vivre ensemble. Il n'y a aucune tolérance, ils quadruplent leur

 11   population par leur taux de natalité et nous, les Serbes, nous ne sommes

 12   pas à la hauteur."

 13   Et il disait que :

 14   "Les Musulmans étaient des intégristes islamistes qui n'avaient qu'un

 15   désir, c'était créer un Etat islamiste. Il expliquait, par exemple, ce que

 16   signifiait cette longue expérience, cinq siècles d'expérience de l'islam

 17   pour eux, en disant, je cite:

 18   "…que nous saurons reconnaître le danger très ancien que représente cette

 19   pieuvre toxique et omnidestructice."

 20   Et le grief, sans doute le plus important, car il projetait directement sur

 21   les victimes le prétexte à la base de leur massacre, c'était que les

 22   Musulmans et les Croates les menaçaient de génocide, voulaient les tuer et

 23   les éradiquer. Rappel des guerres de 1914, 1941 et 1991. "Ces guerres,

 24   disait-il, "étaient et demeurent avant tout des guerres visant à

 25   l'extermination de la population orthodoxe."

 26   Le dénigrement des Musulmans et des Croates par Karadzic se faisait devant

 27   des auditoires très réceptifs. Le niveau de nationalisme serbe et de

 28   sentiments antimusulmans et anticroates était extrême. Vous verrez et

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  1   entendrez nombre de personnes proférant des propos injurieux contre les

  2   Musulmans ou les Croates, qui viendront du niveau de la république, des

  3   municipalités et même des communautés locales, mais je n'en citerai que

  4   deux exemples.

  5   D'abord, Radoslav Brdjanin qu'on voit ici, président de la cellule de Crise

  6   de la Région autonome de la Krajina, qui comprenait pratiquement tout le

  7   nord-ouest de la Bosnie. Il parle à un meeting populaire en 1994 auquel

  8   assistait Karadzic, Krajisnik et Plavsic, et d'autres dirigeants des Serbes

  9   de Bosnie. Et à ce meeting, étaient réunies des milliers de personnes. Je

 10   cite :

 11   "Ces forces de gauche qui nous proposent une nouvelle fois la coexistence,

 12   devraient savoir que les Serbes, dans les 100 ans à venir, ont le devoir de

 13   nettoyer leurs chaussures de la pourriture non chrétienne qui a souillé

 14   notre sol."

 15   Et il dit également, je cite :

 16   "Je propose que nous installions des barbelés et que nous affirmions que

 17   nos ennemis ne se répandront plus jamais dans toute la Krajina, et ne nous

 18   attaquerons plus jamais pour la quatrième ou cinquième fois durant ce

 19   siècle."

 20   Puis au niveau local, vous entendrez un certain nombre, un grand nombre de

 21   représentants des communautés locales, notamment celui-ci qui vient de

 22   Sanski Most. Je pense que ce qu'il dit vous suffira. Je cite :

 23   "Savez-vous ce que nos ennemis épris de sang ont prévu pour nous, ce qu'ils

 24   ont en tête ? C'est de nous énucléer, de nous dépecer, de déchiqueter notre

 25   corps, de violer nos femmes et nos filles devant ceux aux yeux desquels

 26   elles sont les plus chères, de circoncire, de détruire notre religion, de

 27   nous écraser. Ne pensez pas qu'une seule famille pourra être épargnée. Ce

 28   sont des monstres prêts et engagés vis-à-vis du viol des femmes serbes, et

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  1   qui ont développé un système d'assassinat visant tous les Serbes."

  2   Finalement, comme Karadzic le déclare devant l'assemblée serbe, en présence

  3   des députés et d'autres représentants en février 1992, peu avant la prise

  4   de pouvoir dans les municipalités, bien, les Serbes ne pouvaient pas vivre

  5   avec les Musulmans et devaient donc s'en séparer. Je cite :

  6   "Les Musulmans ne peuvent pas vivre avec autrui. Nous devons être très

  7   clairs là-dessus. Ils n'ont pas pu vivre avec les Hindous, qui sont aussi

  8   pacifiques que des moutons, c'est la religion de l'Inde. Ils sont un peuple

  9   pacifique, et pourtant ils n'ont pas pu vivre avec autrui. Ils n'ont pas pu

 10   vivre avec les Grecs à Chypre, ils n'ont pas pu vivre au Liban aux côtés

 11   des Arabes, qui ont le même sang et la même langue, mais une religion

 12   différente. Il n'y a aucune discussion là-dessus. Ils nous dépasseront avec

 13   leur taux de natalité et leurs manigances. Nous ne pouvons pas permettre

 14   que cela se passe."

 15   Une fois que les Musulmans ont été éliminés, Karadzic a continué à

 16   souligner l'importance d'un territoire ethniquement pur. C'est ce qu'il a

 17   dit à l'assemblée au début de 1994, lorsqu'il parlait de la possibilité de

 18   céder une partie du territoire conquis, le territoire conquis constituant

 19   70 % environ de la Bosnie. Je

 20   cite :

 21   "Nous pouvons nous considérer comme des vainqueurs après avoir occupé ce

 22   territoire puisque ce territoire est à 100 % serbe désormais. Comme c'était

 23   le cas à l'époque de l'empereur Dusan."

 24   Et comme il a continué à l'expliquer en citant des exemples de

 25   territoires importants qui avaient été conquis comme Foca, par exemple, et

 26   Doboj, il déclare, je cite :

 27   "Il y a deux ans, nous constituions un groupe en Bosnie-Herzégovine,

 28   qui avait certains droits, mais aujourd'hui nous sommes l'Etat et ce que

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  1   nous détenons est à 100 % à nous."

  2   Comme l'a rappelé un député devant l'assemblée des Serbes de Bosnie

  3   en 1993, après la plus grande partie des conquêtes et le gros du nettoyage

  4   ethnique, je cite :

  5   "Il devrait être content de ce qui a été fait, et pas trop préoccupé quant

  6   au fait que les Serbes ont dû laisser certains secteurs affectés par les

  7   plans de paix au gouvernement bosniaque."

  8   Je cite :

  9   "Messieurs, il n'y a pas d'Etat serbe en Bosnie sans dépopulation et

 10   déplacement, réinstallation des populations ailleurs, progressivement. Si

 11   nous voulons un Etat serbe ethniquement pur - et c'est ce que nous voulons,

 12   n'est-ce pas - si nous savons tout cela et si nous le soulignons, c'est

 13   parce que nous ne pouvons pas vivre avec eux. Il nous font donc comprendre

 14   que ces projets de cartes proposent exactement cela, à savoir des

 15   réinstallations de population."

 16   J'ai discuté des structures et des instances qui étaient prêtes à effectuer

 17   la séparation à la fin du mois de mars 1992. Mais j'aimerais m'arrêter un

 18   instant avant de parler des prises du pouvoir, pour parler des

 19   négociations, pour dire quelques mots de ces négociations. Pendant la même

 20   période où se créaient ces structures et ces instances, Karadzic et ses

 21   compatriotes négociaient également avec les dirigeants politiques serbes de

 22   Bosnie, ou en tout cas, organisait des pourparlers pour que l'objectif

 23   ultime soit bien compris par tous, et que chacun sache que c'était l'unité

 24   avec les Serbes de Croatie et de Serbie qui était recherchée."

 25   Alors, vous entendrez sûrement de nombreuses personnes vous dire que

 26   l'accusé a mené des négociations, en particulier dans le cadre des

 27   pourparlers menés avec Cutileiro. Il a aussi témoigné dans le procès en

 28   appel de Krajisnik en disant que la Communauté européenne lui "avait

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  1   promis" pour les Serbes une république et avait laissé entendre que

  2   c'étaient les Musulmans qui étaient coupables des crimes qui ont été

  3   commis, parce qu'ils avaient appuyé l'accord avec Cutileiro. Alors, ceci

  4   est faux et induit en erreur, et ce, à plusieurs niveaux. Aucune promesse

  5   n'a été faite par la Communauté européenne, qui agissait en tant que

  6   médiatrice. Les négociations qui ont abouti à un accord étaient des

  7   négociations de principe et avaient prévu un certain nombre d'entités

  8   ethniques, avait pris également en compte d'autres facteurs, et ce, bien

  9   avant la signature de l'accord. Donc c'est Karadzic qui a assuré à

 10   l'assemblée que rien ne serait signé tant que les Serbes de Bosnie

 11   n'obtenaient pas exactement ce qu'ils voulaient. Mais en dehors du fait

 12   qu'il déforme la réalité, même si un accord avait été réalisé dans ce cas

 13   précis, nous ne parlons pas ici du fait de savoir si Karadzic aurait été

 14   découragé par un tel accord avant d'avoir réalisé la séparation par la

 15   force. Donc dire que les victimes n'ont pas capitulé devant les forces

 16   auxquelles elles étaient confrontées n'est pas une excuse. Quoi qu'il en

 17   soit, Karadzic a toujours mené les Serbes sur une double voie. Négociation

 18   d'une part, et de l'autre, volonté et capacité à recourir à la force pour

 19   obtenir ce qui n'avait pas été obtenu par les négociations. Et s'il ne

 20   pouvait pas obtenir quelque chose par les négociations, bien, il se

 21   tournait vers ses soldats pour accélérer les conquêtes.Ici, nous voyons

 22   Mladic en 1995, qui décrit l'objectif fondamental de toutes ces opérations,

 23   à savoir briser et détruire les forces ennemies et "imposer ainsi par la

 24   force des armes l'accord final de la guerre contre l'ennemi en mettant la

 25   communauté internationale dans une position où elle serait obligée de

 26   reconnaître la réalité de la situation sur le terrain et mettre fin à la

 27   guerre…"

 28   Durant le conflit, Karadzic et la direction serbe de Bosnie ont mis

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  1   l'accent et insisté sur les négociations et leur influence sur la situation

  2   factuelle créée par le nettoyage ethnique. Comme le disait Karadzic, je

  3   cite :

  4   "Nous avons créé de nouvelles réalités. Pour parler bref, Zvornik était

  5   avant à 60-40 à l'avantage des Musulmans, mais les Serbes de Zenica sont

  6   arrivés, ils ont occupé Kozluk, les Musulmans sont partis un peu partout en

  7   Europe, je ne sais pas où encore. Et ces gens-là nous ont dit," parlant des

  8   négociateurs, "qui vous donne le droit de demander Zvornik ?"

  9   Et Karadzic continue comme s'il répondait aux négociateurs, je cite :

 10   "Nous voulons Zvornik en fonction du droit qui nous a été donné par la

 11   nouvelle réalité. Cette guerre a créé cette nouvelle réalité."

 12   Il insiste sur la nécessité d'une nouvelle guerre pour "défaire ce qui a

 13   été accompli par la force." 

 14   Alors, pour récapituler, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

 15   Juges, à la fin 1992, les structures politiques étaient prêtes, la police

 16   était prête, le SDS et ses unités armées étaient prêtes, tout cela avec le

 17   soutien de la JNA pour libérer l'espace.

 18    Le 24 mars 1992, avec l'indépendance de la Bosnie qui datait de deux

 19   semaines à peine, Karadzic expliquait devant l'assemblée que les effectifs

 20   de la police étaient suffisants et que très bientôt, il serait possible

 21   "d'obtenir ce qu'on souhaitait", je cite :

 22   "… toutes les municipalités serbes, les anciennes comme les nouvelles, vont

 23   prendre le contrôle de pratiquement tout le territoire des municipalités en

 24   question."

 25   Et il explique dans les jours qui suivent, je cite :

 26   "Il y aura une seule méthode utilisée et vous pourrez l'appliquer dans les

 27   municipalités que vous représentez, y compris deux choses à faire. Il vous

 28   sera dit comment séparer les forces de police, prendre ce qui appartient au

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  1   peuple serbe et vous emparer du commandement."

  2   Et en fait, effectivement, ils étaient prêts. Le fossé qui séparait, du

  3   point de vue de la capacité militaire, les Serbes de Bosnie, aidés par les

  4   Serbes de Serbie d'une part et, d'autre part, les Musulmans et les Croates

  5   de Bosnie, se voit dans les prises du pouvoir au niveau municipal les unes

  6   après les autres.

  7   Vous entendrez de nombreuses personnes et vous verrez de nombreux éléments

  8   de preuve qui vous montreront que, du point de vue de la capacité militaire

  9   et de l'armement, il y avait un véritable fossé au moment où les prises du

 10   pouvoir ont commencé et que ce fossé a continué à exister longtemps après.

 11   Comme un député le dit en janvier 1993, parlant des Musulmans au début de

 12   la guerre, je cite :

 13   "Ils n'étaient pas entraînés, ils n'étaient pas habitués à la guerre et ils

 14   n'avaient pas d'armes."

 15   C'était, en revanche, les Serbes, a-t-il expliqué, qui étaient les

 16   "véritables maîtres de la guerre." Et ceci se retrouve dans l'analyse faite

 17   en 1993 de l'aptitude au combat et de l'action de l'armée de la Republika

 18   Srpska dans un document strictement confidentiel, document militaire de

 19   l'armée des Serbes de Bosnie où nous lisons, je cite :

 20   "Puisque les Musulmans n'avaient pas suffisamment d'armes ou d'équipements

 21   et n'avaient pas d'appuis significatifs pour leurs unités d'infanterie, il

 22   était nécessaire d'agir et ce, avec des armes à longue portée."

 23   Alors, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, j'ai parlé il y

 24   a un instant de l'explication fournie le 24 mars 1992 par Karadzic aux

 25   personnes rassemblées à l'assemblée des Serbes de Bosnie auxquelles il a

 26   dit qu'elles prendraient le commandement dans les quelques jours à suivre.

 27   J'aimerais maintenant dire quelques mots du début des prises de pouvoir

 28   dans les municipalités par les forces serbes de Bosnie.

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  1   Déjà en janvier 1992, Karadzic qui, à ce moment-là, était furieux

  2   vis-à-vis d'Izetbegovic parce qu'il parlait ouvertement d'indépendance et

  3   de souveraineté de la Bosnie, a dit à Krajisnik dans une conversation

  4   téléphonique interceptée, je cite :

  5   "…Qu'il aille se faire foutre. Nous allons lâcher nos Tigres et nous les

  6   laisserons faire leur travail."

  7   Et à la fin du mois de mars 1992, alors que l'indépendance de la Bosnie

  8   était imminente, dans les jours qui suivirent, Karadzic a commencé à parler

  9   de prise du pouvoir au niveau municipal et a dit que les unes après les

 10   autres, les municipalités tombaient sous leur contrôle, avec création de

 11   populations monoethniques grâce aux mêmes forces que celles sur lesquelles

 12   on s'était déjà appuyé en Croatie et puis à Bijeljina sous la supervision

 13   de la cellule de Crise. Vous verrez que, je cite :

 14   "Tout a commencé par le déplacement des barrages."

 15   Là, il est question de la Garde des Volontaires serbes, cette garde dirigée

 16   par Arkan, un dirigeant paramilitaire bien connu qui a apporté son concours

 17   à Bijeljina avant de passer dans d'autres municipalités. Arkan était en

 18   contact étroit avec la direction des Serbes de Bosnie et notamment avec

 19   Biljana Plavsic, qui a suivi ses progrès jusqu'à Zvornik et l'a invité à

 20   lui apporter son aide à Sarajevo. Dans d'autres endroits, les forces de

 21   Karadzic se sont emparées d'autres municipalités avec l'aide de la JNA. A

 22   Vlasenica, par exemple, je cite :

 23   "Le 20 avril 1992, les forces de l'armée populaire yougoslave et leurs

 24   unités coordonnées par la cellule de Crise du SDS ont libéré la ville de

 25   Vlasenica."

 26   A Sarajevo, Karadzic et ses collaborateurs les plus proches ont supervisé

 27   personnellement et directement la prise du pouvoir et la séparation

 28   ethnique de force. Parmi d'autres, il a travaillé avec les dirigeants

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  1   politiques du SDS locaux, tels que Jovan Tintor, qui a déjà été évoqué et

  2   Nedelko Prstojevic. Comme l'a dit Prstojevic devant les députés de

  3   l'assemblée, je cite :

  4   "…Quand Karadzic nous a rendu visite à Ilidza et nous a encouragé, les

  5   Serbes de Sarajevo ont conservé le contrôle du territoire et même d'un

  6   territoire très étendu dans certains secteurs dont ils ont chassé les

  7   Musulmans qui étaient en réalité numériquement la majorité."

  8   Vous verrez un certain nombre d'écoutes téléphoniques où on entendra

  9   Prstojevic, notamment une écoute où il ordonne à ses hommes de faire des

 10   prisonniers, d'emmener les prisonniers jusqu'à la prison et d'emmener les

 11   femmes capturées dans un secteur musulman, je cite :

 12   "…Dis-leur que ceux qui se convertiront à la religion orthodoxe sur le

 13   champ peuvent rester. Je parle des femmes et des enfants."

 14   Et dans les six semaines qui ont fait suite au début des prises de pouvoir

 15   dans les municipalités jusqu'à la création de la présidence collective,

 16   Karadzic a dirigé le Conseil de sécurité national qui se composait de ses

 17   collaborateurs les plus proches, notamment de Krajisnik, Koljevic, Plavsic,

 18   Stanisic et le ministre de la Défense, Bogdan Subotic. Comme le dit

 19   Karadzic en 1993, je cite :

 20   "Alors que nous n'avons toujours pas d'Etat, nous avions un Conseil de

 21   sécurité national où siégeaient les plus importants d'entre nous."

 22   Ce Conseil de sécurité national prenait des décisions sur tous les sujets

 23   d'importance qui, ensuite, étaient officialisées par le sceau  légal de

 24   Koljevic et de Plavsic ou du gouvernement ou de ses ministres, autrement

 25   dit. Karadzic signait la décision, il a signé la décision portant mise en

 26   action de la Défense territoriale et Karadzic a été désigné pour coordonner

 27   le commandement des forces de la Défense territoriale, ainsi que pour agir

 28   au niveau politique.

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  1   Comme nous l'avons déjà dit, Karadzic allait par la suite vanter les

  2   efforts des forces armées du SDS et de la police "qui avaient libéré les

  3   territoires et créé un espace", dans les cinq à six semaines après le début

  4   des prises de pouvoir. Le 12 mai 1992, lorsque l'assemblée s'est réunie

  5   pour la première fois depuis le début du conflit, nombre de municipalités

  6   avaient déjà été prises.

  7   Et le 12 mai 1992, lorsque l'assemblée s'est réunie à Banja Luka, les

  8   forces serbes de Bosnie sont devenues encore plus fortes. Elles ont créé

  9   leur armée. Dans les quelques semaines qui avaient précédé, Karadzic

 10   s'était organisé avec Milosevic et d'autres responsables serbes et

 11   yougoslaves pour organiser la création de l'armée serbe de Bosnie par

 12   transformation de la JNA, armée populaire yougoslave, qui se retirait

 13   officiellement de la Bosnie en laissant derrière elle des dizaines de

 14   milliers de soldats et d'officiers sur lesquels les dirigeants serbes de

 15   Bosnie pouvaient prendre le commandement, ainsi que des armes très

 16   nombreuses.

 17   Karadzic a choisi comme commandant de l'état-major principal de la nouvelle

 18   VRS Ratko Mladic, qui avait dirigé l'effort de nettoyage en Croatie. Il le

 19   rappelle, à l'assemblée en 1995 :

 20   "Messieurs, nous avons les officiers que nous avons demandés. J'ai voulu

 21   avoir Mladic. Le général Ninkovic qui était alors colonel, et le général

 22   Perisic sont venus me voir, et j'ai remarqué que Mladic ne mâchait pas ses

 23   mots devant la presse. Il était déjà à Knin. Il m'intéressait. Et avec

 24   Krajisnik, je suis allé voir le général Kukanjac, je l'ai entendu donner

 25   des ordres et des ordres au commandement à Kupres et à Knin. Nous avons

 26   passé d'innombrables nuits chez lui, dans son bureau. Mais qu'est-ce que

 27   l'armée était censée faire ? Bien, Karadzic l'explique aussi, le 12 mai,

 28   lorsqu'il annonce et explique les objectifs stratégiques qui s'inscrivent

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  1   dans l'analyse de la politique militaire et politiques qu'il faut adopter

  2   et qui vont définir les missions opérationnelles de la VRS pendant la

  3   guerre. Ces objectifs officialisaient les objectifs auxquels les forces de

  4   Karadzic s'étaient déjà attelées. Comme nous le constatons dans l'analyse

  5   annuelle de l'attitude au combat et des actions de la VRS en 1992, ces six

  6   objectifs ont été présentés à la VRS comme étant le schéma directeur des

  7   opérations concrètes à planifier. Je cite :

  8   "Les objectifs stratégiques de notre guerre qui ont été bien vite définis

  9   et présentés à l'état-major de la VRS, au commandement des unités,

 10   serviront de schéma directeur à partir duquel les opérations concrètes et

 11   les batailles concertées seront planifiées et menées à bien."

 12   Mladic lui-même le dit. Je le cite :

 13   "Les missions opérationnelles de l'armée dans cette guerre découlent des

 14   six objectifs stratégiques déjà connus et adoptés par notre assemblée."

 15   Lors de cette réunion, de cette séance de l'assemblée le 12 mai, Karadzic a

 16   expliqué que le premier objectif stratégique c'était la séparation. Je le

 17   cite :

 18   "Le premier objectif c'est la séparation des deux autres communautés

 19   nationales, la séparation des Etats, la séparation de ceux qui sont nos

 20   ennemis et qui n'ont pas raté une seule occasion, surtout au cours de ce

 21   siècle, pour nous attaquer, et qui continuerons de le faire si nous restons

 22   dans le même Etat qu'eux.

 23   L'Etat dont il parle c'est, bien sûr, la Bosnie. Les ennemis dont il parle

 24   ce sont les Musulmans et les Croates de Bosnie. Et la séparation dont il

 25   parle sera accomplie au moyen du nettoyage ethnique. Ce premier objectif

 26   stratégique, c'était comme l'a dit Krajisnik ce jour-là, l'objectif le plus

 27   important. Les autres en dérivent et spécifient les méthodes à employer

 28   pour y parvenir.

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  1   Le deuxième objectif stratégique, c'est la création d'un corridor dans la

  2   région de la Posavina, qui va relier non seulement les territoires

  3   revendiqués par les Serbes entre eux mais aussi avec les Serbes de Croatie

  4   à l'ouest et avec les Serbes de Bosnie à l'est.

  5   Troisième objectif stratégique, c'est un corridor qui va abolir la

  6   frontière qui existait jusqu'à présent entre la Bosnie et les Serbes de

  7   Bosnie.

  8   Quatrième objectif stratégique, c'est une frontière qui va se trouver sur

  9   la rivière Una au nord-ouest, et la Neretva au sud-est.

 10   Cinquième objectif stratégique, c'est la division de Sarajevo. Une partie

 11   sera réservée aux Musulmans, l'autre aux Serbes.

 12   Sixième objectif stratégique, c'est l'accès à la mer.

 13   "En réalisant ces six objectifs stratégiques," dit Karadzic à l'assemblée

 14   le 12 mai, "les Serbes vont enfin terminer ce combat, cette lutte pour la

 15   liberté que mène le peuple serbe. Et les Serbes vont enfin se débarrasser

 16   de l'illusion serbe de la fraternité et de l'unité, surtout celle qui

 17   transcende les clivages religieux."

 18   Mladic avait été nommé commandant de l'état-major principal lors de cette

 19   séance d'assemblée. Et il était là. Et il s'est aussi exprimé à propos des

 20   objectifs, une fois ceci annoncé par Karadzic. Il a dit, il a conseillé aux

 21   personnes présentes de ne pas pécher par trop d'ambition. "Ne nous donnons

 22   pas d'objectifs voués à l'échec," dit-il, "donnons-nous des objectifs que

 23   nous sommes capables de réaliser."

 24   Il dit : "C'est en partie, cette [inaudible] s'explique en partie par la

 25   crainte que la communauté internationale ne les autorise pas à garder ce

 26   qu'ils avaient conquis, mais aussi parce que le nettoyage ce n'est pas une

 27   mince affaire. Le peuple, les populations, ce ne sont pas des pions. Ce ne

 28   sont pas des clés qu'on peut mettre d'une poche dans l'autre. C'est plus

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  1   facile qu'à faire," dit-il.

  2   Il rappelle aux délégués présents que ces objectifs, de par leur nature

  3   même, doivent restés secrets. Je le cite :

  4   "Je vous le demande. Il nous faut nous concentrer sur l'objectif recherché,

  5   mais aussi bien y réfléchir. Veillons à garder bouche cousue. Ce que nous

  6   sommes en train de faire exige un secret absolu."

  7   A cette même séance du 12 mai 1992, Karadzic a été élu à la présidence

  8   collective se composant de trois personnes, c'était pro forma. Ça n'a pas

  9   nécessité de discussion. Il a été ensuite choisi président de la présidence

 10   et chargé des questions militaires. En décembre 1992, il devenait président

 11   unique, ce qu'il est resté pendant toute la durée du conflit.

 12   Que ce soit comme président de la présidence chargée des questions

 13   militaires ou comme président unique, vous l'avez vu dans cette écoute

 14   téléphonique, il était le chef militaire, de jure et de facto, il était le

 15   commandant suprême. En tant que membre de l'état-major principal de cette

 16   armée serbe de Bosnie qui venait d'être créée, ceci  a été expliqué en

 17   septembre 1992 à l'assemblée des Serbes de Bosnie. Au fond, les éléments

 18   essentiels sont ceci : il y a le commandement Suprême de l'armée, et ça

 19   c'est le président de la république. Il est le commandant suprême. Et ici,

 20   ce sera la présidence. Tous les éléments de la Défense et de l'armée sont

 21   subordonnés à cette instance. Nous, dans l'armée, nous adoptons et nous

 22   suivons cette chaîne hiérarchique et nous la respectons tout à fait. Il n'y

 23   a pas un seul acte significatif qui soit accompli sans garder ceci à

 24   l'esprit.

 25   Par conséquent, la chaîne hiérarchique, c'est celle-ci :

 26   "…on a le commandant suprême, le président de la république, l'état-

 27   major général de l'armée fédérale. Pour nous, ce sera l'état-major

 28   principal."

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  1   Mladic, le dit en 1993, et il parle à Karadzic. Il dit :

  2   "Il n'y a pas un seul officier qui aurait accompli une mission sans

  3   votre approbation dans la VRS. Monsieur le Président, vous avez le soutien

  4   inconditionnel, tant de l'armée que du service de Renseignements

  5   militaires."

  6   Mladic le dit aussi à Karadzic en 1993, lorsqu'il parle des objectifs

  7   stratégiques et du poste de chef de Karadzic. Il dit :

  8   "Si je me souviens bien, lors de ce que nous a été dit par cette

  9   assemblée l'année dernière, vous nous avez chargé de cette fonction de

 10   commandant de l'état-major principal. Il n'est pas exact de dire que je

 11   n'aurais pas respecté chacun de vos ordres."

 12   Mais Karadzic le dit lui-même lorsqu'il parle de la période

 13   consécutive à celle où il est devenu le seul président et lorsqu'il a

 14   établi le commandement Suprême, qui se composait de plusieurs dirigeants

 15   militaires et politiques. Voici ce qu'il dit :

 16   "C'est moi qui suis responsable, c'est moi qui suis responsable de

 17   l'armée. Moi, je vous rends compte, je rends compte au peuple, mais les

 18   commandants me rendent compte à moi, au commandant du corps et des

 19   brigades. Et l'approbation est donnée. J'ai établi un commandement Suprême,

 20   de façon à ce ne pas prendre de décisions tout seul. Ce n'est pas pour me

 21   dissimuler, mais c'est moi qui signe, qui décide, et c'est moi qui prends

 22   la responsabilité de chacune des décisions prises."

 23   Karadzic n'était pas un commandant tactique, il n'avait pas

 24   d'expérience militaire. Et les rapports qu'il entretenait avec Mladic et la

 25   VRS n'étaient pas sans friction, sans tension, sans moments d'affrontement.

 26   Notamment en 1993, et surtout en 1995, lorsque Karadzic a essayé de

 27   modifier le poste qu'avait Mladic à la suite de la perte de la Krajina

 28   serbe, en 1995. Mais tout du long, l'autorité ultime de Karadzic et la

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  1   volonté qu'il partageait avec Mladic d'aboutir aux objectifs, jamais tout

  2   cela n'a changé.

  3   Karadzic lui-même a souligné que ces frictions ne modifiaient en rien

  4   la chaîne de commandement, que c'était naturel, même sain, d'en avoir. Il

  5   le dit en 1995 :

  6   "Je suis, en tant que chef suprême, très respecté par tous les

  7   officiers, par tous les soldats. J'aime bien qu'on discute avec moi, car ça

  8   me permet de prendre de bonnes décisions, et une fois la décision prise,

  9   mes hommes l'exécute avec brio."

 10   Avec Karadzic aux commandes, la VRS, associée aux unités de guerre du MUP,

 11   à commencer à faire connaître et appliquer ces objectifs. Ces objectifs

 12   stratégiques ont été communiqués aux officiers, aux conscrits et à divers

 13   chefs de municipalités. Par exemple, deux jours après l'annonce faite le 12

 14   mai par Karadzic des objectifs stratégiques, des membres de l'armée ont

 15   rencontré les présidents de municipalités dans la RAK. A l'occasion de

 16   cette réunion les participants ont été informés des conclusions adoptées à

 17   la séance de l'assemblée du 12 mai à Banja Luka :

 18   "Les objectifs stratégiques formulés à la réunion de Banja Luka ont

 19   été présentés." C'était une citation.

 20   Autre citation :

 21   "La réunion a adopté la conclusion disant que les objectifs

 22   stratégiques seraient appliqués et seraient soumis au commandement des

 23   unités et des municipalités."

 24   Dans la même veine, le général Talic, qui commandait le 1er Corps de la

 25   Krajina dans la Région de la RAK a donné un ordre d'application à toutes

 26   les brigades, à toutes les divisions qui ordonnaient d'"expliquer notamment

 27   aux conscrits lorsqu'ils arrivaient quel était l'objectif poursuivi."

 28   Ces objectifs ont été décrits dans un document présenté par un

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  1   adjoint de Talic, destiné à toutes les unités du corps. Ce document

  2   expliquait que le peuple serbe était menacé de génocide et "devait lutter

  3   pour parvenir à une séparation complète d'avec les peuples musulman et

  4   croate de Bosnie pour former un Etat pour eux-mêmes."

  5   Il a ajouté que c'était l'objectif stratégique dont découlaient tous les

  6   autres objectifs stratégiques. La VRS s'est mise presque aussitôt à la

  7   réalisation de ces objectifs. Je vous l'ai dit, le deuxième objectif

  8   stratégique énoncé par Karadzic c'était d'établir un corridor entre la

  9   Semberija et la Krajina. Vous verrez la carte. Vous avez le corridor de la

 10   Posavina qui se trouve entre l'ouest et l'est de la Bosnie. Vous voyez les

 11   Croates de Bosnie à l'ouest, et les Musulmans de Bosnie à l'est. Il le dit,

 12   "…c'est un objectif capital pour le peuple parce qu'il intègre les terres

 13   serbes. Il intègre, non seulement il rattache les zones serbes en Bosnie-

 14   Herzégovine entre elles, mais aussi il les réunit à la Serbie et aux Serbes

 15   de Croatie. C'est un objectif stratégique qu'il faut absolument réaliser

 16   car il n'y aura pas de Krajina serbe, de Krajina bosniaque ou une alliance

 17   des Etats serbes si nous ne parvenons pas à établir ce corridor."

 18  Talic était le commandant du 1er Corps de la Krajina opérant dans la région.

 19   Talic avec Mladic était un vétéran de la campagne de nettoyage menée en

 20   Croatie. Nous l'avons vu dans des écoutes téléphoniques. Et il avait été

 21   chargé d'établir ce corridor de la Posavina et il y est parvenu. A la date

 22   du 24 juillet 1992, il a pu fournir cette directive à tous les groupes

 23   tactiques du 1er Corps de la Krajina. Je le cite :

 24   "Nous avons libéré les territoires que nous considérons nôtres pour créer

 25   des conditions propices à la direction politique et militaire de la

 26   République serbe de Bosnie-Herzégovine au moment de mener des négociations

 27   sur le système constitutionnel qu'il faudra trouver pour la Bosnie-

 28   Herzégovine mais en partant d'une position de force."

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  1   Et il poursuit et dit ceci :

  2   "Nous avons établi des corridors en Bosnie orientale, en Posavina de

  3   Bosnie, réalisant ainsi ces aspirations séculaires des peuples serbes de

  4   Bosnie, qui était de relier ce peuple serbe de Bosnie et la République

  5   serbe de Krajina avec la mère patrie : la Serbie."

  6   Effectivement, à la date du 1er juillet 1992, Mladic était en mesure

  7  d'envoyer ses félicitations au 1er Corps de la Krajina à la suite des succès

  8   remportés. Il exprime sa gratitude, sa reconnaissance, puis il dit ceci :

  9   "Je vous remercie d'avoir réussi à organiser et à appliquer cette opération

 10   de percée, d'expansion et de nettoyage du corridor en Posavina de Bosnie,

 11   entre la Bosnie orientale et la Bosnie occidentale, et aussi d'avoir réussi

 12   à organiser des actions conjointes et avoir fait une bonne coordination des

 13   unités combattantes. Les unités de ce corps sur ce territoire montrent

 14   aussi que c'est seulement en faisant front commun contre les ennemis de la

 15   cause serbe en Bosnie-Herzégovine que nous allons réaliser nos objectifs

 16   militaires et politiques."

 17   L'accomplissement du deuxième objectif stratégique s'est fait par le biais

 18   de l'opération, dit de l'opération Corridor. Et il y a eu en même temps la

 19   poursuite de l'objectif stratégique numéro 1 et tout ceci s'est fait par

 20   une opération Eclair menée contre une population croate et musulmane tout à

 21   fait étouffée dans les régions ciblées. Ces opérations commençaient toutes

 22   par un premier pilonnage des villages, puis une attaque d'infanterie qui

 23   rencontrait généralement peu de résistance. En général, il fallait peu de

 24   temps pour prendre le contrôle de la région, suivait alors la rafle des

 25   Musulmans et des Croates et leur internement dans des centres et des camps

 26   de détention.

 27   J'aimerais vous montrer quelques documents qui sont assez illustratifs de

 28   la nature de cette campagne. Nous avons d'abord une mise à jour

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  1   hebdomadaire qui vient du QG régional de la police, CSB à Banja Luka,

  2   Bosnie occidentale. Ici est écrit un affrontement à un poste de contrôle.

  3   Deux soldats serbes avaient arrêté une voiture, ils avaient été tués. Mais

  4   les auteurs présumés n'avaient pas été tout de suite remis au commandement

  5   militaire. Je cite :

  6   "L'armée a lancé une attaque d'artillerie sur le village de Hambarine et a

  7   nettoyé la région." On parle ensuite d'une autre provocation présumée

  8   ailleurs à Kozarac. Je cite :

  9   "L'armée s'est livrée à une opération de nettoyage. Plusieurs centaines

 10   d'habitants dans ces villages ont été tués ou blessés."

 11   Deux points rapidement en matière de terminologie. Quand on dit nettoyage

 12   ou ratissage, "mopping up," en anglais, c'est la traduction du mot B/C/S

 13   "ciscenje" ou de ses équivalences. Ce terme signifie nettoyer ou ratisser.

 14   Une opération de nettoyage ou de ratissage normalement c'est une opération

 15   qui se fait après une bataille dans le but de traquer ce qui reste des

 16   forces ennemies. Ça peut être aussi une opération de nettoyage visant

 17   précisément des civils. Il vous incombera en fonction du contexte et des

 18   éléments de preuve, Madame et Messieurs les Juges, de déterminer s'il

 19   désigne l'une ou l'autre de ces acceptions et quel genre d'actions ceci

 20   traduit.

 21   Le passage dont je viens de vous donner lecture concerne une

 22   opération de "ciscenje" menée à Hambarine et Kosorac, municipalités de

 23   Prijedor. Ce sont deux actions typiques et incontestables de nettoyage

 24   ethnique brutal mené contre des populations civiles sans défense comme les

 25   éléments de preuve vous le montreront.

 26   Un autre document qui illustre la nature de l'opération menée dans le but

 27   de réaliser des objectifs stratégiques 1 et 2, c'est ce que dit le général

 28   Talic à l'état-major principal de l'armée le 14 juin 1992. Je cite :

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  1   "La situation la plus difficile c'est celle des réfugiés musulmans et

  2   croates dans le secteur de la Région autonome de la Krajina, la RAK. Leur

  3   sécurité et la nécessité de leur fournir des vivres. La tentative visant à

  4   les chasser vers la Bosnie centrale a échoué en raison des difficultés

  5   liées aux moyens de transport et de leur refus de partir."

  6   Une autre citation venant de Talic adressée à l'état-major principal :

  7   "Dans le secteur de Derventa, il y a encore de temps à autre des tirs

  8   d'artillerie, et parce que les extrémistes musulmans n'ont pas rendu les

  9   armes, la population musulmane du village de Lisnja a été expulsée dans le

 10   secteur englobant ce village."

 11   Dans d'autres documents, vous le verrez, il est fait référence, et je cite

 12   : "La destruction massive de villes musulmanes; les déclarations publiques

 13   de chefs du SDS qui exhortent à chasser les Musulmans et les Croates, quels

 14   qu'ils soient, et l'avis de Talic, qui dit que les dirigeants municipaux

 15   régionaux devraient mettre plus de cœur à faire partir la population croate

 16   et musulmane.

 17   Bien évidemment, pour ce qui est des éléments de preuve des témoins

 18   oculaires de cette époque --

 19   Je vais maintenant aborder l'objectif stratégique numéro 3, ainsi que

 20   son objectif; l'objectif stratégique numéro 3 et la zone que cela recouvre.

 21   Il s'agit là de la région qui se trouve en Bosnie orientale. Comme Karadzic

 22   l'a expliqué le 12 mai, je cite :

 23   "Le troisième objectif stratégique consiste à établir un corridor dans la

 24   vallée de la Drina, à savoir l'élimination de la frontière entre ces deux

 25   mondes au niveau de la Drina. Nous sommes des deux côtés de la Drina et

 26   notre intérêt stratégique et notre espace vital se trouvent là."

 27   Et il poursuit :

 28   "Donc cela demeure utile pour nous et que ceci reste positif. Ceci

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  1   nous permet de nuire aux intérêts de notre ennemi en établissant un courant

  2   d'air qui les reliait à l'international musulman et rendrait cette région

  3   définitivement instable."

  4   Ce lien à l'international musulman auquel il a fait référence, c'est

  5   quelque chose qu'évoquent Karadzic et d'aucuns en parlant du "transversal

  6   vert," à savoir en bloquant tout accès des Musulmans qui se trouvent en

  7   Serbie, de façon à ce qu'ils ne puissent pas entrer en Bosnie, puisqu'il

  8   s'agissait là de territoires qui avaient été conquis par les Serbes. Et

  9   d'après les régions qui se trouvent en vert dans la partie orientale - je

 10   souhaite préciser que ce cercle représente l'objectif stratégique numéro 2.

 11   Mais moi, j'évoque maintenant l'objectif stratégique numéro 3, à savoir

 12   l'élimination de la Drina, la frontière sur la partie est de la Bosnie -

 13   vous voyez ici en vert les municipalités musulmanes. Donc il s'agissait de

 14   faire en sorte que l'espace vital des Serbes soit sous contrôle, de façon à

 15   ce que les Musulmans venant de Serbie ne puissent pas accéder à cette zone-

 16   là.

 17   Comme ceci a été indiqué dans le rapport de préparation au combat de la

 18   VRS, strictement confidentiel, et l'analyse des événements en 1992, il

 19   s'agit du rapport de 1993, malgré les succès des unités militaires et de la

 20   police au cours des premières cinq ou six semaines de la guerre, au moment

 21   où les prises de contrôle ont commencé, ils n'ont pas: 

 22   "…réussi à réaliser les objectifs stratégiques de la lutte armée du

 23   peuple serbe dans l'ancienne Bosnie-Herzégovine."

 24   Y compris l'ouverture et la maîtrise d'un corridor : 

 25   "Ils n'ont pas réussi à ouvrir ces corridors au niveau de la Sava

 26   dans la Posavina entre la RSFY et la Posavina qui relieraient la Posavina à

 27   la RSFY et un couloir qui relierait l'Herzégovine à la RSFY par le biais de

 28   la vallée de la Drina."

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  1   Donc la réalisation et l'achèvement de l'objectif numéro 3 est allé au-delà

  2   de l'année 1992 et a été prolongé au cours de l'année 1995 avec l'attaque

  3   de Srebrenica. En 1992, la supériorité militaire écrasante des Serbes de

  4   Bosnie a fait que cet objectif a été en grande partie réalisé municipalité

  5   en municipalité en Bosnie, réalisé par les forces de Karadzic, ce

  6   nettoyage.

  7   Donc l'objectif stratégique numéro 3 au niveau du corridor de la

  8   Bosnie orientale a été mis en œuvre rapidement. Il s'agit d'un ordre de

  9   Karadzic qui fait état de l'importance de cette opération : 

 10   "…afin de contrôler complètement la zone de Birac et de maîtriser le

 11   corridor entre Romanija et Semberija et maintenir le lien avec la Serbie."

 12   Le Romanija se trouve à l'est de Sarajevo et la Semberija se trouve

 13   dans le nord et la région de Birac se trouve dans la région de Zvornik,

 14   Vlasenica et Srebrenica.

 15   Encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, simplement un ou deux

 16   documents pour illustrer le caractère de la campagne qui visait à mettre en

 17   œuvre l'objectif numéro 3. Voici un document qui est daté du 28 mai 1992,

 18   un ordre qui a été donné par le commandant de la Brigade de Birac, comme je

 19   l'ai dit, dans la zone qui se trouve autour de Zvornik, Bratunac et

 20   Vlasenica, la partie nord de la rivière Drina:

 21   "Le déplacement de la population musulmane doit être organisé et coordonné

 22   avec les municipalités par le biais desquelles ceci est organisé. Il n'y a

 23   que les femmes et les enfants qui peuvent s'en aller. Les hommes aptes au

 24   service militaire doivent être placés dans des camps pour être échangés."

 25   De même, le 7 juin, le commandant du Corps de Bosnie orientale a donné un

 26   ordre qui est envoyé à toutes les unités subordonnées concernant les

 27   opérations coordonnées en Bosnie du Nord et de l'Est qui concernaient le

 28   Corps de Bosnie de l'Est, le Corps de Romanija-Sarajevo et le 1er Corps de

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  1   Krajina. Cet ordre contient pas moins de neuf références à "ciscenje" ou

  2   "cistiti," le nettoyage ou le nettoyage du terrain. Il interdit,

  3   conformément à l'ordre d'Andric que vous venez de voir, l'arrestation de

  4   civils ainsi que le mauvais traitement de la population civile. Encore une

  5   fois, vous entendrez tous les éléments de preuve qui vous permettront de

  6   déterminer le sens du terme "ciscenje," le rassemblement dans les villes,

  7   dans les camps, les villes et les villages qui ont été attaqués et brûlés

  8   et tout le long du corridor. Vous tiendrez compte également, Madame,

  9   Messieurs les Juges, de tous les éléments d'époque portant sur le nettoyage

 10   qui était connu des dirigeants serbes de Bosnie.

 11   A la fin du mois de juillet 1992, par exemple, Rajko Dukic, un des

 12   dirigeants politiques les plus puissants dans la région de Birac et un

 13   acolyte proche de Karadzic - vous verrez des écoutes téléphoniques, il

 14   était le président du comité exécutif du SDS - a remarqué avec satisfaction

 15   que Karadzic, Krajisnik et les autres qui étaient à la session de

 16   l'assemblée, je cite :

 17   "…il y a Birac qui est à 100 ou 108 kilomètres et qui comporte 120 000

 18   Musulmans. Tel était leur nombre, mais j'espère que ce chiffre a été réduit

 19   de moitié au moins."

 20   Il s'agissait là de la même séance de l'assemblée où il a été dit que

 21   les Serbes avaient été désignés pour être les bourreaux des Musulmans.

 22   Ce désir de réduction de la présence musulmane en Bosnie orientale a été

 23   quasiment entièrement exaucé. La population musulmane s'est trouvée réduite

 24   à un pourcentage négligeable en Bosnie orientale. Vous avez pu constater

 25   combien ceci était important au regard de la carte. Avant le début du

 26   nettoyage, des représentants officiels serbes affichaient leur satisfaction

 27   devant la purification ethnique de ces territoires.

 28   Je vais vous citer le cas de Foca; citation de Petko Cancar, un

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  1   dirigeant important à Foca, qui était un proche de Karadzic et de Krajisnik

  2   et qui a occupé un nombre de fonctions importantes au niveau de la

  3   république. Il était également conseiller à la présidence. Il s'agit de

  4   Cancar qui parle de Foca en 1993, et je

  5   cite :

  6   "Il n'y a qu'un seul peuple qui vit sur le territoire de Foca, il n'y

  7   a qu'une seule religion qui y est pratiquée pour laquelle ce peuple est

  8   prêt à se battre et à défendre, et Dieu le sait."

  9   Et comme il l'a noté à une autre occasion, parlant toujours de Foca, je

 10   cite :

 11   "A l'heure actuelle, il n'y a pas un seul Musulman dans la plus grande

 12   municipalité de Bosnie-Herzégovine…"

 13   Pas un seul Musulman.

 14   Les dirigeants ont fait l'éloge de cette purification ethnique d'une

 15   municipalité autrefois habitée majoritairement par les Musulmans. Ecoutez

 16   Krajisnik qui s'adresse à Foca qui a été rebaptisé Srbinje, le nom adopté

 17   pour un Foca débarrassé des Musulmans, le jour anniversaire de sa

 18   "libération." Je cite :

 19   "Chers habitants de Srbinje, j'ai un grand plaisir à être parmi vous

 20   aujourd'hui après deux ans et demi. Aujourd'hui, vous n'êtes pas comme vous

 21   étiez par le passé. Maintenant, je vois une véritable ville serbe et vous

 22   portez fièrement votre nom, Serbe."

 23   Madame, Messieurs les Juges, le sentiment de satisfaction d'avoir un

 24   territoire ethniquement pur se heurtait aux pressions de la communauté

 25   internationale et s'est traduit par la nécessité de parer à une présence

 26   minimale de Croates et de Musulmans pour des questions de relations

 27   publiques. En août 1992, par exemple, Karadzic a rappelé aux délégués de

 28   l'assemblée que le pourcentage de non-Serbes était utile politiquement,

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  1   affirmant que le gouvernement bosniaque utilisait ce stratagème: 

  2   "Pour ce qui est des autres nations, il faut que nous ayons un pourcentage,

  3   une portion qui fasse partie des autorités municipales. Il nous faut être

  4   responsables étant donné que nous créons un Etat. Je ne peux pas développer

  5   cela plus avant. Mais je sais ce que je dis. Croyez-moi, Alija verse une

  6   petite fortune à tout Serbe qui est disposé à travailler et à rester sur

  7   son territoire."

  8   A savoir si le pourcentage visé de non-Serbes qui devaient rester

  9   était de l'ordre de 5 % comme ceci a été prôné en public par Brdjanin, ou

 10   si le territoire devait être complètement pur comme cela  a été prôné par

 11   d'aucuns, le territoire devait être, quoi qu'il en soit, suffisamment libre

 12   de non-Serbes pour être de façon incontestable et définitivement serbe.

 13   Comme Karadzic l'a indiqué lors d'une session à huis clos en 1995 :

 14   "La Drina doit être propre."

 15   Et il a reconnu à ce moment-là honnêtement comment cela s'était

 16   passé.

 17   "A vrai dire, il y a des villes dont nous nous sommes emparé pour

 18   nous et nous ne sommes que 30 %. Je peux citer ce nombre à l'envi, mais

 19   nous ne pouvons pas renoncer aux villes où nous représentons 70 %.

 20   N'ébruitez pas cela. Mais souvenez-vous du nombre qui était à Bratunac, à

 21   Srebrenica, à Visegrad, à Rogatica, à Vlasenica, à Zvornik, et cetera. En

 22   raison de leur importance stratégique, ils devaient nous appartenir. Et

 23   personne, quasiment plus personne ne remet cela en cause."

 24   Cette importance stratégique -- cet objectif stratégique se trouvait

 25   illustré dans l'objectif stratégique numéro 3.

 26   Madame, Messieurs les Juges, je vais maintenant parler de l'objet et

 27   de la mise en œuvre d'un autre objectif stratégique et c'est l'objectif

 28   numéro 4. Ce dernier, comme il est cité, consistait à mettre en place une

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  1   frontière sur les rivières Una et Neretva. C'est quelque chose que vous

  2   pouvez voir à l'écran. Après que Karadzic ait annoncé cet objectif à cette

  3   session, un délégué de cette municipalité a indiqué - par le biais de la

  4   flèche que vous voyez ici à l'écran, cette région - il s'est levé pour

  5   indiquer qu'il était satisfait de ce qui avait été réalisé en vue de la

  6   réalisation de l'objectif stratégique numéro 4. Dans cette municipalité,

  7   les Serbes représentaient 14 500 et les Musulmans 47 000. Et il dit, et je

  8   cite :

  9   "Sur la rive droite de l'Una, il n'y a plus de Musulmans dans la

 10   municipalité serbe de Bosanska Krupa. Toutes les enclaves qui s'y

 11   trouvaient," et il les cite, "nous les avons évacuées. Donc il n'y en aura

 12   plus là pendant toute la durée des opérations de guerre. Auront-ils un

 13   endroit où revenir ? Je crois que cela est peu probable après que notre

 14   président nous ait apporté la bonne nouvelle, à savoir que la rive droite

 15   de l'Una marque la frontière."

 16   Et en l'espace de deux semaines de cette annonce d'une "bonne

 17   nouvelle" la présidence de Guerre de cette municipalité de Bosanska Krupa a

 18   fait cette proposition à la brigade de l'armée dans cette zone :

 19   "De conduire tous les préparatifs militaires concernant le nettoyage

 20   de la rive gauche de l'Una, y compris la rive droite de l'Una, lors de

 21   cette action dans la zone se situant au-dessus de Bosanska Otoka.

 22   "Au cours des préparatifs et du nettoyage de la rive gauche de l'Una,

 23   détruire et démolir autant de bâtiments résidentiels et autres que

 24   possible…"

 25   Et la présidence de Guerre a également motivé cette proposition. La

 26   première raison était :

 27   "La décision politique de voir la frontière de la municipalité serbe

 28   de la région autonome de Banja Luka être une république serbe faisant

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  1   partie de la Bosnie-Herzégovine et un Etat serbe qui devait être établi le

  2   long de l'Una jusqu'à Bosanska Otaka."

  3   Ceci était l'objectif stratégique numéro 4.

  4   Alors que la VRS et les unités du MUP mettaient en œuvre ces

  5   objectifs, les dirigeants municipaux et locaux qui avaient été loués  par

  6   Karadzic pour les rôles qu'ils ont joués ont continué à jouer leurs rôles

  7   dans la mise en œuvre de cette séparation. Le déplacement des non-Serbes

  8   des territoires revendiqués n'était pas simplement le résultat de

  9   l'application de la force militaire, mais était dû également aux effets

 10   cumulés de la persécution, de pressions d'intimidation, de marginalisation

 11   qui avaient été appliquées par les autorités municipales.

 12   Les voix des victimes que j'ai citées plus tôt révèlent la détresse

 13   grandissante et la terreur des Musulmans et des Croates qui se sont rendu

 14   compte que de continuer à vivre dans ces municipalités qui avaient été

 15   revendiquées et prises par les Serbes était devenu impossible. Outre les

 16   témoins, vous verrez que les documents illustrent également cela.

 17   Si vous me le permettez, je vais regarder cette résolution qui a été

 18   adoptée à Celinac, qui est la municipalité d'origine de Brdjanin. Il s'agit

 19   en fait d'une version extrême d'un processus qui existait dans une certaine

 20   mesure dans toutes les municipalités.

 21   "Jusqu'à nouvel ordre, les citoyens cités à l'article 1:

 22   "Ont l'interdiction de se trouver sur les rues entre 16 heures

 23   jusqu'à 6 heures du matin.

 24   "Ont l'interdiction de demeurer dans les restaurants ou les lieux publics.

 25   "Ont l'interdiction de nager dans les fleuves ou de chasser ou d'aller à la

 26   pêche.

 27   "Ont l'interdiction de voyager sans autorisation.

 28   "Ont l'interdiction d'utiliser une automobile.

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  1   "Ont l'interdiction de former des groupes de plus de trois hommes."

  2   Et cetera.

  3   Les dirigeants municipaux ainsi que les dirigeants régionaux ont également

  4   fourni un appui logistique à la VRS, à savoir l'armée serbe de Bosnie; ont

  5   collaboré avec les policiers locaux qui, de toute façon, étaient membres

  6   des cellules de Crise; ont collaboré avec eux au niveau des expulsions à

  7   bord de bus ou de train; et comme je l'ai évoqué il y a un instant, étaient

  8   étroitement liés au MUP et quelquefois avec la VRS au niveau de cette

  9   campagne, au niveau de ce système de camp généralisé. Je souhaiterais

 10   maintenant aborder ces camps et ces centres de détention.

 11   Quasiment chaque municipalité disposait d'un camp ou d'un centre de

 12   détention digne de son nom; certains en disposaient de plusieurs, cela

 13   dépendait de la taille et du nombre de la population musulmane et croate

 14   dans cette municipalité. Ces installations étaient habituellement dirigées

 15   par la police, et parfois comme les camps les plus notoires comme Omarska

 16   et Keraterm à Prijedor, quelquefois sous la surveillance de la VRS à

 17   l'extérieur. Les Musulmans et les Croates venaient parfois individuellement

 18   ou en petits groupes, et quelquefois il y avait un rassemblement en masse

 19   dans les villages.

 20   Il y avait également des camps qui avaient été établis par l'armée. Par

 21   exemple, le camp de Manjaca à Banja Luka ou le camp Batkovic à Bijeljina.

 22   Les camps étaient souvent alimentés par des flots de prisonniers qui

 23   venaient de camps des municipalités voisines parfois assez éloignées.

 24   Ils étaient avilissants et généralement brutaux, ces endroits qui se

 25   trouvaient dans les endroits comme d'anciennes mines, usines abandonnées,

 26   d'anciens bâtiments en béton, et cetera. Dans le meilleur des cas, les

 27   détenus existaient dans des conditions de déshumanisation. Je souhaite vous

 28   montrer certaines de ces conditions à l'aide de cette vidéo.

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  1   [Diffusion de la cassette vidéo]

  2   M. TIEGER : [interprétation] Encore une séquence vidéo, Madame, Messieurs

  3   les Juges.

  4   Je vais demander à ce que ceci soit entendu plus tard.

  5   "Dans le meilleurs des cas" parce que dans le pire des cas, ceci n'arrivait

  6   que trop souvent, les détenus étaient soumis à des passages à tabac, des

  7   viols, à des actes de terreur et à la mort. Par exemple, au début du mois

  8   de juin, environ 160 hommes ont été tués à l'école technique de Karakaj, à

  9   Zvornik. En une nuit, au mois de juillet, à Keraterm, au Prijedor, environ

 10   150 hommes ont été tués. Au mois d'août, environ 200 hommes ont été tués et

 11   emmenés du camp de Trnopolje à Prijedor, bon nombre d'entre eux étaient

 12   venus de Keraterm et Omarska, soi-disant pour être échangés. En septembre,

 13   environ 140 hommes du camp de Susica, à Vlasenica, ont été tués.

 14   Les dirigeants serbes de Bosnie niaient l'existence des camps depuis le

 15   mois de mai. A partir du mois de juillet, l'attention des médias et de la

 16   communauté internationale s'est portée de plus en plus sur les camps. Fin

 17   juillet ou début du mois d'août, les journalistes ont confronté Karadzic

 18   avec le fait qu'il assurait tout un chacun qu'ils pouvaient visiter les

 19   camps d'Omarska et Trnopolje et les journalistes avaient réussi à extorquer

 20   à Karadzic la permission de visiter ces camps. Lorsqu'ils sont arrivés dans

 21   ces camps, on ne leur a pas montré les endroits les pires et les membres de

 22   ces camps souhaitaient se montrer sous leur meilleur jour en leur montrant

 23   de la nourriture qu'ils n'avaient jamais reçu; quoi qu'il en soit, ces

 24   images ont choqué le monde entier.

 25   [Diffusion de la cassette vidéo]

 26   M. TIEGER : [interprétation] Bon nombre de ce que vous voyez sont des

 27   personnes qui venaient de Keraterm et de Trnopolje, de ces camps, ces

 28   détenus qui se trouvaient à Trnopolje dans les pires conditions.

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  1   Suite au scandale que ceci a provoqué, bon nombre de ces prisonniers qui

  2   venaient d'Omarska, Keraterm et Sanski Most ont été envoyés au camp de la

  3   VRS de Manjaca, à Banja Luka. Ils avaient envoyé ces prisonniers de ces

  4   municipalités à Banja Luka; bon nombre d'entre eux qui se trouvaient à

  5   Omarska et Keraterm ont alors été envoyés à Manjaca par les dirigeants

  6   Serbes de Bosnie.

  7   Je souhaite maintenant vous lire la liste de ces conditions dans lesquelles

  8   vivaient certaines de ces personnes qui vivaient à Manjaca le 20 août. Vous

  9   aurez l'occasion de voir ce document. Je souhaite simplement vous donner

 10   quelques citations. Ceci décrit les conditions dans lesquelles se

 11   trouvaient certains de ces

 12   prisonniers : Fracture de la moelle épinière, maladie cardiaque; il s'agit

 13   là d'une personne handicapée de la main. Tuberculose pulmonaire active,

 14   diabète, ne peut pas se tenir debout. Opération du gros intestin, problème

 15   de selles. Un autre ne peut pas se déplacer aisément. Un autre entend mal,

 16   il lui manque un rein. Un autre qui est attardé se répète. Un autre souffre

 17   d'épilepsie. Un autre est sourd et ne contrôle pas son sphincter.

 18   De surcroît, il y avait des garçons qui avaient moins de 18 ans et

 19   des hommes âgés. Il s'agissait des personnes que Karadzic, dans différentes

 20   interviews, a appelé prisonniers de guerre. Comment de telles personnes se

 21   sont-elles retrouvées prisonnières et que devait-il arriver à ces personnes

 22   ? Je veux répondre parce que pour une part significative, ceci se retrouve

 23   dans le document qui évoque le nettoyage ethnique que je suis sur le point

 24   de vous montrer et je cite :

 25   "L'armée, les cellules de Crise et les présidences de Guerre ont demandé à

 26   ce que l'armée rassemble ou capture autant de civils musulmans que possible

 27   et ils quittent des camps si mal définis pour être repris par les organes

 28   des affaires intérieures. Les conditions dans ces camps sont mauvaises : il

Page 579

  1   n'y a pas de nourriture, certaines personnes ne respectent pas parfois les

  2   normes internationales."

  3   Il s'agit d'un rapport du ministère de l'Intérieur qui est envoyé

  4   personnellement et directement à Karadzic le 17 juillet 1992. Il est utile

  5   de remarquer qu'il ne s'agit pas d'un rapport alarmant sur un crime massif;

  6   il s'agit simplement d'une explication factuelle sur certaines

  7   responsabilités concurrentes du MUP qui éloignent leurs membres de leur

  8   travail plus traditionnel.

  9   Le rassemblement systématique et l'emprisonnement des Musulmans et de

 10   Croates n'étaient pas un secret. Ceci n'aurait pas pu être le cas comme l'a

 11   indiqué un député en assemblée, à l'assemblée au mois de juillet :

 12   "Nous avons un gros problème avec les personnes qui ont été capturées qui

 13   sont d'autres nationalités. Nous avons des centaines de milliers de

 14   prisonniers de ce genre."

 15   Krajisnik et Karadzic étaient présents à cette séance de l'assemblée. Les

 16   dirigeants serbes de Bosnie étaient là et le rassemblement des civils se

 17   trouve illustré dans les documents des camps eux-mêmes.

 18   Un rapport de Manjaca qui est daté du 23 juillet 1992 et qui indique qu'ils

 19   ont traité environ 100 000 prisonniers ou enregistré

 20   1 000 prisonniers de Sanski Most ce jour-là et rien n'indique au niveau des

 21   éléments de preuve qu'ils aient quelque chose à voir avec les activités de

 22   guerre, aient pris part aux actions de combat, n'étaient pas en possession

 23   d'armes et il n'y a pas d'autre élément de preuve pour indiquer qu'ils

 24   devaient être retenus en tant que prisonniers."

 25   Comme un responsable de Manjaca l'écrit le 22 juillet 1992, je cite :

 26   "…camp destiné à effectuer la ségrégation entre les Musulmans et les

 27   Croates ce que l'histoire ne nous pardonnera pas."

 28   Ces civils, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, comme cela

Page 580

  1   est remarqué dans un rapport émanant du chef de la police régionale de

  2   Banja Luka, Stojan Zupljanin adressait au ministre de l'Intérieur, Mico

  3   Stanisic, ces civils étaient des "otages" ou pouvaient être traités comme

  4   tels. Zupljanin décrit trois catégories de prisonniers qui sont définis.

  5   Une catégorie couvrait les membres des formations militaires bosniaques et

  6   dans cette catégorie, on trouvait toute personne qui était membre de la

  7   Défense territoriale; ensuite il y avait les personnes qui avaient organisé

  8   des préparatifs à la "rébellion armée" et dans ces groupes on trouvait en

  9   général toute personne qui avait un rapport avec le SDA. La troisième

 10   catégorie, je cite :

 11   "Se compose d'hommes adultes au sujet desquels nos services n'ont aucun

 12   renseignement relatif à l'intérêt de la sécurité nationale et donc aucun

 13   intérêt pour nous. Par conséquent, ils peuvent être traités comme des

 14   otages."

 15   La solution ultime, comme le dit Zupljanin dans ce rapport, consiste à

 16   échanger les prisonniers, c'est-à-dire à les envoyer dans des zones tenues

 17   par les Musulmans et de recevoir en échange des Serbes provenant des

 18   prisons musulmanes. De cette façon, le processus de séparation qui avait

 19   commencé avec le départ forcé des Musulmans et des Croates de Bosnie et

 20   leur regroupement massif pouvait s'achever avec un transport hors de la

 21   Republika Srpska. Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, je

 22   pense que l'heure de la pause est arrivée.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger.

 24   Nous prendrons une pause de 25 minutes.

 25   --- L'audience est suspendue à 17 heures 19.

 26   --- L'audience est reprise à 17 heures 49.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger, vous pouvez poursuivre.

 28   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

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  1   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, avant la pause, nous

  2   avons vu des éléments de preuve montrant que le regroupement et la mise en

  3   détention des Musulmans et des Croates de Bosnie, tous civils, étaient bien

  4   connus, que ces Musulmans et Croates étaient qualifiés d'otages et j'ai

  5   parlé de la création de ce système d'échange qui complétait et était

  6   l'élément parfait dans ce processus destiné à faire partir les Croates et

  7   les Musulmans des territoires où ils habitaient pour obtenir une

  8   purification ethnique. Avant de passer à autre chose, j'aimerais diffuser

  9   pour les Juges de la Chambre une séquence vidéo qui n'a pas encore été

 10   montrée et qui montre les conditions dans lesquelles les civils étaient

 11   maintenus.

 12   [Diffusion de la cassette vidéo]

 13   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 14   "Si les prisonniers étaient laissés dans les camps, ils étaient soumis à la

 15   menace d'humiliation, de torture et de mort. Maintenir les prisonniers dans

 16   ces camps aidait les Serbes à obtenir l'élimination des Croates et des

 17   Musulmans dans les territoires qu'ils tenaient.

 18   "…les offres de libération des prisonniers n'étaient pas claires.

 19   "Aujourd'hui, Radovan Karadzic a proposé de fermer tous les camps,

 20   mais dans une seconde offre du même jour il a proposé de maintenir les

 21   prisonniers de guerre et de retourner au combat.

 22   Je cite :

 23   "Dans les prisons, ceux qui ont été emmenés hors de leurs domiciles

 24   et les personnes qui ont été capturées sur le champ de bataille ne pourront

 25   rentrer chez elles que si elles sont en état de mauvaise santé et qu'elles

 26   n'ont plus aucune chance d'être mobilisées par les forces musulmanes."

 27   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 28   M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

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  1   Juges, je voudrais appeler l'attention des Juges de la Chambre sur ce

  2   système d'échange qui a été mis en place pour envoyer ces civils faits

  3   prisonniers hors des frontières de la Republika Srpska une fois que leur

  4   détention s'achevait, dans les conditions que vous venez de voir. Dès le

  5   mois d'avril, c'est-à-dire le 24 avril 1992, le Conseil de sécurité

  6   nationale - je vous rappelle que Karadzic en était le président - adoptait

  7   une décision selon laquelle le ministère de la Justice devait, je cite :

  8   "Se charger de l'échange des prisonniers, dès lors que les organes du

  9   ministère de l'Intérieur avaient accompli leur travail."Je m'apprête

 10   maintenant à vous montrer une série de diapositives.

 11   Depuis le début, ce système a été créé pour concerner des prisonniers

 12   civils. Sur ordre donné par Deric [phon] aux cellules de Crise, le 28 avril

 13   1992, un registre comportant des renseignements relatifs à l'état de santé

 14   "des civils et des militaires faits prisonniers devait être tenu et

 15   régulièrement mis à jour."

 16   Peu après cette décision du Conseil de sécurité nationale, peu après le 24

 17   avril, une commission centrale chargée de l'échange des prisonniers de

 18   guerre et des personnes arrêtées ou détenues a vu le jour le 8 mai 1992.

 19   Elle a fonctionné à tous les niveaux de l'Etat : au niveau municipal,

 20   régional ainsi qu'au niveau de la république et a été dirigé par des

 21   représentants du ministère de la Justice et du ministère de l'Intérieur, le

 22   ministère de la Justice en étant le fer de lance. Cette commission chargée

 23   des échanges se mit immédiatement au travail. Je rappelle qu'elle a été

 24   créée le 8 mai 1992 et qu'elle visait les prisonniers de guerre et

 25   personnes mises en détention. Elle s'est immédiatement mise au travail.

 26   Les Juges auront à traiter d'éléments de preuve montrant le nettoyage

 27   ethnique de nombreuses municipalités, y compris celle de Bratunac. Le 14

 28   mai 1992, un groupe de 400 Musulmans de Bosnie environ, tous civils, a été

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  1   expulsé de Bratunac. Il s'agissait de survivants d'un groupe qui, à

  2   l'origine, avait compté 600 personnes. Ce groupe a été transféré de

  3   Bratunac vers un territoire tenu par les Musulmans de Bosnie en passant par

  4   Pale. Pale était, en fait, une toute petite ville qui était la capitale de

  5   la Republika Srpska, également le siège du QG de Radovan Karadzic et des

  6   autres dirigeants serbes de Bosnie. Vous aurez sous les yeux, Madame,

  7   Messieurs les Juges, pendant le procès, une liste où on voit la signature

  8   d'un membre de cette commission chargée des échanges qui travaille pour le

  9   ministère de l'Intérieur.

 10   Le départ de tous ces hommes de Bratunac, en passant par d'autres

 11   municipalités pour se rendre à Pale, sur un territoire tenu par les

 12   Musulmans, a été coordonné par personne d'autre que le premier ministre et

 13   le secrétaire du gouvernement. Nous voyons ici un ordre du chef du

 14   gouvernement, du premier ministre, qui date du 15 mai et qui ordonne à la

 15   cellule de Crise de Sokolac de fournir des camions à cette fin. Je cite :

 16   "La cellule de Crise de Sokolac est tenue de fournir trois camions…

 17   qui seront utilisés pour le transport de prisonniers à partir de Pale vers

 18   Visoko en passant par Ilijas."

 19   "Cet ordre doit être exécuté immédiatement."

 20   Puis, il y a un autre ordre qui émane du secrétaire du gouvernement, je

 21   cite :

 22   "Veuillez approuver et faciliter le passage sur notre territoire du groupe

 23   de prisonniers qui sont actuellement à Pale," c'est après que ce groupe

 24   soit arrivé de Bratunac à Sokolac, "et pour qu'ils poursuivent leur voyage

 25   jusqu'à Visoko."

 26   Vous voyez, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, à l'écran,

 27   ici, que l'illégalité de toute cette action était bien connue, étant donné

 28   la phrase que nous lisons ici, je cite :

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  1   "Prière de détruire ce document avant le départ du groupe hors de la

  2   municipalité d'Ilijas."

  3   J'aimerais maintenant vous montrer ces hommes qui ont été transférés en

  4   passant par Pale, mais qui ont passé une semaine à Pale et qui, ensuite,

  5   devaient subir ce processus d'échange destiné à les amener jusqu'à un

  6   territoire tenu par les Musulmans.

  7   [Diffusion de la cassette vidéo]

  8   M. TIEGER : [interprétation] Alors que les conquêtes se poursuivaient,

  9   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, il fallut de plus en

 10   plus de camps. Par exemple, nous avons cet ordre émanant du commandant

 11   Svetozar Andric, qui ordonne d'expulser des femmes et des enfants et

 12   d'interner des hommes en âge de combattre dans des camps, nous avons déjà

 13   vu cet ordre. Cet homme se dit préoccupé par le grand nombre de prisonniers

 14   qui peuplaient désormais le camp de Susica [phon] à Vlasenica. Le général

 15   Mladic ordonna alors de créer un nouveau camp et émit un ordre à cet effet.

 16   Ce camp fut créé officiellement à Batkovic, dans la municipalité de

 17   Bijeljina et il devait y être installé un nombre de plus en plus important

 18   de prisonniers croates et musulmans de Bosnie, tous civils.

 19   Radovan Karadzic et tout son entourage connaissaient bien ce système

 20   d'échange qui couvrait les prisonniers regroupés et envoyés aux confins des

 21   territoires tenus par les Musulmans de Bosnie. Comme cela a été dit,

 22   l'accusé l'avait créé grâce au Conseil de sécurité nationale le 24 avril

 23   1992 et les Juges auront également sous les yeux des éléments de preuve

 24   montrant qu'il était tout à fait au courant de la façon dont ce système

 25   fonctionnait. Par exemple, ils verront une écoute téléphonique,

 26   conversation qui se déroule avec Mandic au début du mois de juillet. Mandic

 27   était ministre de la Justice à cette époque-là et le ministère de la

 28   Justice dirigeait la commission des échanges. Mandic débute la discussion

Page 585

  1   en informant Karadzic du fait qu'à ce moment-là ils étaient en train de

  2   préparer l'échange de 300 Musulmans, y compris des femmes et des enfants

  3   détenus dans la prison de Kula et que ces personnes seraient envoyées hors

  4   du territoire de la Republika Srpska vers un territoire musulman. De même

  5   Mandic avait parlé à Krajisnik une semaine ou deux avant, il avait évoqué

  6   dans cette conversation les Musulmans et Croates de Bosnie qui étaient

  7   détenus et qui devaient être échangés.

  8   Le fait que Karadzic connaissait ce système qui exerçait son pouvoir

  9   sur tout le monde ressort également d'une écoute téléphonique d'une

 10   conversation entre Mandic et un ancien collègue du MUP de Bosnie qui

 11   cherchait à joindre des Croates libérés de la prison de Manjaca et

 12   s'adressait à cette fin à Mandic. Mandic assure son ancien collègue qu'il

 13   va en parler à Karadzic à la première occasion.

 14   En résumé, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, les

 15   Musulmans et Croates de Bosnie civils étaient regroupés en nombre de plus

 16   en plus important, installés dans des conditions inhumaines et sordides

 17   dans des centres de détention et des camps répartis un peu partout sur le

 18   territoire de la Republika Srpska. Leur libération, leur départ, leur

 19   expulsion étaient supervisés par la commission des échanges qui avait été

 20   créée en pensant aux civils et qui a fonctionné afin de veiller à ce que

 21   toutes ces personnes qui étaient en détention, après avoir été regroupées,

 22   soient envoyées sur un territoire musulman, mettant ainsi un point final au

 23   processus à l'aide de l'intervention d'un organisme gouvernemental avec un

 24   titre ronflant.

 25   En 1994, déjà, ce système d'échange et de détention de civils

 26   fonctionnait à plein régime. Ici, nous avons un ordre de l'état-major

 27   principal de l'armée des Serbes de Bosnie qui invite à ce qu'aucun obstacle

 28   ne soit susceptible de retarder les échanges parce que, je cite :

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  1    "Il convient de ne pas perdre de vue que dans les échanges, nous

  2   recevons des soldats serbes capturés de la Republika Srpska, alors que pour

  3   l'essentiel, nous donnons en échange des civils."

  4   Puis, le deuxième document important qui rend compte du

  5   fonctionnement de ce système et du fait que ce fonctionnement était connu,

  6   ce système d'échange, provient d'une municipalité. C'est un extrait d'un

  7   journal tenu par le président d'une cellule de Crise de Sanski Most qui

  8   révèle premièrement que le mardi, de 6 à 7 heures, l'opération a débuté;

  9   les combats ne s'arrêteront pas tant qu'ils ne se seront pas rendus. Ne

 10   faites pas de prisonniers si les hommes sont armés. Enfin, capture des

 11   civils qui doivent servir dans les échanges."

 12   Ce processus complétait les autres processus qui allaient de la

 13   discrimination à la persécution, en passant par la terrorisation incessante

 14   par menace d'attaques de grande envergure devant forcer les non-Serbes à

 15   fuir et tout cela garantissait que les non-Serbes seraient séparés des

 16   Serbes sur les territoires convoités par Karadzic.

 17   J'ai déjà parlé des conquêtes éclaires réalisées par les forces de

 18   Karadzic, par ses très puissantes forces armées en 1992. A la fin juillet

 19   1992, il disait déjà à l'assemblée que les Serbes de Bosnie étaient en

 20   mesure d'envisager la restitution de territoires conquis en échange de

 21   l'obtention de concessions durant les négociations. Effectivement, à

 22   quelques exceptions près que je discuterais lorsque j'aborderais la partie

 23   Srebrenica de la présente affaire, les forces de Karadzic ne se sont plus

 24   emparées de parties importantes du territoire par rapport au territoire

 25   déjà conquis au printemps et à l'été de 1992, dans la période ultérieure.

 26   Comme Karadzic le fait remarquer un jour, en notant que les opérations qui

 27   ont permis d'étendre le territoire au-delà des conquêtes de 1992 sont assez

 28   rares, je cite :

Page 587

  1   "…entasser les Musulmans dans des territoires restreints, donc

  2   réaliser leur concentration, nous ne pouvions pas faire plus."

  3   Au vu des exploits accomplis sur la voie de l'objectif ultime qui

  4   consistait à créer un état serbe intégré, les alliés politiques de Karadzic

  5   lui conseillèrent de poursuivre la réalisation de son but uniformateur

  6   [phon] d'une façon un peu moins ostensible. La découverte des camps et la

  7   publicité dont ils furent l'objet de la part des médias internationaux, fin

  8   juillet, début août 1992, provoqua une vague de prise de conscience et de

  9   condamnation du nettoyage ethnique. Comme le dit, le premier ministre

 10   yougoslave, lors d'une réunion tenue en août, je cite :

 11   "Il est vrai que nous avons fait pas mal de mauvaises choses dans la

 12   dernière période. Une image négative s'est créée et nous en sommes arrivés

 13   au point où nous en sommes aujourd'hui. Le monde s'est fait l'impression

 14   qui est la sienne à notre sujet." Le ministre des Affaires étrangères serbe

 15   fait remarquer qu'il est important de s'emparer de territoire et de

 16   réaliser l'uniformisation ethnique de la Republika Srpska, mais il fait

 17   remarquer également que cela ne doit pas se faire par le moyen du nettoyage

 18   ethnique qu'il considère comme une façon de "rendre les armes."

 19   "Mais les Serbes de Bosnie, au lieu de cela, avaient un moyen plus

 20   subtil qu'ils pouvaient utiliser pour éliminer les Musulmans et les Croates

 21   de Bosnie de leur territoire," dit-il.

 22   "Ce qui importe," ajoute-il," c'est que tout le monde comprenne que

 23   la vie pour eux dans la Bosnie de l'avenir est impossible."

 24   Il continue un peu plus loin en ajoutant, je cite :

 25   "Si, au contraire, la liberté de circulation entraîne la liberté

 26   d'installation et le mélange ethnique des populations à notre profit, alors

 27   ce qui a été gagné sera progressivement érodé et finalement tout ce qui a

 28   été gagné sera perdu à l'avenir."

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  1   Il insiste auprès de la direction des Serbes de Bosnie et d'autres

  2   pour que les choses changent.

  3   Karadzic assure alors à Milosevic et aux autres dirigeants rassemblés

  4   qu'un certain progrès a été réalisé. Il déclare, je cite : 

  5   "Nous étions à 50/50 à Zvornik, par le passé. Le nombre des habitants

  6   de Zvornik est aujourd'hui le même qu'avant, environ 50 000 habitants, mais

  7   ils sont tous Serbes."

  8   Karadzic allait veiller, comme cela avait été discuté, pour que les

  9   gains obtenus ne s'érodent pas. Au début de l'année 1994, lors de l'examen

 10   d'une proposition émanant de la communauté internationale, le président du

 11   club des députés - rappelez-vous, le club des députés ou membres du

 12   parlement du SDS, étaient d'anciens députés serbes qui avaient quitté le

 13   parlement bosniaque pour constituer le leur. Ils étaient toujours membres

 14   du club des députés et se réunissaient lors des séances de l'assemblée avec

 15   des postes encore plus importants qu'avant - voilà ce que dit ce député à

 16   l'assemblée, je cite :

 17   "Ce que j'aimerais vraiment voir ici, c'est la manifestation d'une

 18   certaine fermeté quant au fait que les Musulmans et les Croates ne doivent

 19   pas être autorisés à revenir dans les secteurs qui sont sous notre

 20   contrôle. Nous devrions adopter une position ferme et interdire le retour

 21   dans les territoires que nous avons gagnés grâce à toutes ces combines

 22   internationales. Je n'en ai rien à faire de savoir si les Musulmans vont

 23   vivre ou pas, ni où ils vont vivre ni s'ils auront un pays ou pas. Ça, ça

 24   ne m'intéresse pas du tout. La seule chose qui m'intéresse, c'est mon

 25   peuple et le territoire où il vit. Par conséquent, l'idée même d'avoir 500

 26   Musulmans ou plus dans notre futur pays est hors de question."

 27   En réponse, Karadzic explique comment il va traiter ce problème,

 28   parce que le droit international prohibe d'interdire le retour aux

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  1   réfugiés. Il déclare que sur le principe, tous les réfugiés peuvent

  2   revenir, mais ajoute qu'il faut que ce soit un processus mutuel. Pour

  3   quelle raison, dit-il, cela ? Parce que selon lui, si ce processus est

  4   mutuel, cela signifie que les Musulmans ne pourront pas revenir par exemple

  5   à Prijedor tant que les Serbes de Zvornik ne seront pas rentrés à Zenica.

  6   Mais dans la suite de son explication, il déclare que les Serbes de Zvornik

  7   ne quitteront pas Zvornik et qu'en revanche, aucune obligation n'en

  8   découle. Il résume les choses de la façon suivante, je cite :

  9   "Nous sommes tout à fait capables d'agir de la façon serbe, de la

 10   façon cyrillique et de le leur dire à tous en pleine face ou il faudra que

 11   nous soyons un peu plus rusés. Nous devons être un peu plus rusés."

 12   Lors de la même séance de l'assemblée, il ajoute, je cite : 

 13   "S'ils peuvent vivre à Grbavica, s'ils peuvent vivre à Doboj, ils

 14   peuvent vivre n'importe où et nous devons l'empêcher."

 15   En dépit de la taille importante du territoire conquis et nettoyé à

 16   la fin de 1992, il y avait encore des poches de Musulmans qui demeuraient

 17   en Bosnie orientale et notamment Srebrenica. Je reviendrai sur ce sujet et

 18   sur les efforts déployés pour chasser de toutes ces poches les quelques

 19   Musulmans qui restaient en Bosnie orientale. Mais d'abord, Monsieur le

 20   Président, Madame, Messieurs les Juges, j'aimerais appeler l'attention de

 21   la Chambre sur la campagne de pilonnage et de tirs embusqués de Sarajevo.

 22   Sarajevo a été assiégée pendant 44 mois, exposée à une campagne

 23   militaire incessante de pilonnage et de tirs embusqués de la part d'une

 24   force militaire supérieure qui tirait depuis les hauteurs de la ville,

 25   c'est-à-dire depuis les collines entourant Sarajevo et cette campagne était

 26   dirigée contre la population civile de la ville à partir des hauteurs. Les

 27   civils de Sarajevo, mois après mois, année après année, ont vécu dans la

 28   terreur du mortier suivant, de la bombe suivante, de la balle suivante

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  1   tirée par un tireur embusqué craignant d'être touché ou de voir les

  2   personnes qu'ils aimaient être touchées. L'accusé Radovan Karadzic

  3   contrôlait ces forces assiégeantes et il a modulé la campagne de tirs

  4   embusqués et de pilonnages dans le but de terroriser la ville et sa

  5   population.

  6   Sarajevo a été assiégée au départ par les forces combinées dont nous avons

  7   déjà parlé, à savoir la police et les unités de l'armée serbe de Bosnie et

  8   à partir de mai 1992, avec la création de l'armée serbe de Bosnie, c'est le

  9   corps de Sarajevo-Romanija qui a dirigé le siège de la ville. Dans cette

 10   période, pendant les 44 mois du siège, l'accusé était commandant de jure et

 11   de facto des forces serbes de Bosnie.

 12   Si vous me le permettez, j'aimerais dire quelques mots au sujet de Sarajevo

 13   en tant que telle. Avant la guerre, Sarajevo avait une population d'un demi

 14   million d'habitants à peu près qui constituaient un mélange cosmopolite et

 15   très riche de Serbes, Croates et Musulmans ainsi que de personnes se

 16   déclarant simplement Yougoslaves. La ville en tant que telle était

 17   largement résidentielle avec des tours d'habitation et des bâtiments

 18   résidentiels densément peuplés, de taille un peu inférieure à celle des

 19   tours d'habitation, beaucoup d'appartements dans lesquels les gens

 20   habitaient avec le même sens de la communauté qui allait au-delà des

 21   différences ethniques et qu'on voyait concrètement dans la vie au

 22   quotidien. Les habitants de Sarajevo, quelle que soit leur appartenance

 23   ethnique, se mêlaient les uns aux autres sans difficulté. Ils se mariaient

 24   entre eux dans des proportions assez importantes. Ils se rendaient visite

 25   les jours de vacances. Ils se considéraient tout simplement comme des

 26   voisins. En bref, Sarajevo était l'incarnation même de la Bosnie

 27   multiethnique et l'incarnation de sa diversité ethnique.

 28   Sarajevo - c'est utile de le comprendre pour mieux comprendre la campagne

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  1   militaire qui a visé la ville - Sarajevo pour l'essentiel, se trouve dans

  2   une vallée qui va de l'est à l'ouest. Des deux côtés de cette vallée, on

  3   trouve des collines d'une altitude assez importante, autrement dit des

  4   hauteurs qui se trouvent au nord et au sud de la ville. Les parties les

  5   plus densément peuplées de Sarajevo sont celles qui se trouvent sur les

  6   rives de la Miljacka, une rivière qui parcourt la ville d'est en ouest et

  7   les quartiers résidentiels et commerciaux de la vieille ville se trouvent à

  8   l'est; ce qui nous montre que le centre-ville plus densément peuplé s'étend

  9   jusqu'aux premières pentes des collines. A l'ouest de la ville, là où la

 10   population est moins dense, on trouve les nouvelles municipalités qui se

 11   développent commercialement et qui construisent beaucoup d'immeubles

 12   d'habitations.

 13   L'avantage qu'il y avait à s'emparer des collines environnantes peut être

 14   mieux compris, si on voit des images de ces prises à partir de ces collines

 15   et c'est ce qui va être fait maintenant.

 16   [Diffusion de la cassette vidéo]

 17   M. TIEGER : [interprétation] Dans le cadre de la campagne de pilonnage et

 18   de tirs embusqués, Messieurs les Juges, l'avantage de contrôler ces

 19   collines, ces hauteurs qui environnaient Sarajevo ne deviendra que trop

 20   claire.

 21   Maintenant, Karadzic et les dirigeants serbes de Bosnie voulaient

 22   également diviser physiquement Sarajevo. C'est d'ailleurs le cinquième des

 23   six objectifs stratégiques qui avait été décidé.

 24   En fait, lorsqu'il expliquait ses plans pour Sarajevo, Karadzic évoquait

 25   parfois d'autres villes fameuses qui avaient été divisées, telles que

 26   Beyrouth ou Berlin. Il avait également un autre objectif lié au premier.

 27   Sarajevo était un point faible qui pouvait servir dans les négociations,

 28   qui pouvait servir à faire pression sur les interlocuteurs lors des

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  1   négociations. Le blocage, le siège de Sarajevo et l'incapacité complète du

  2   gouvernement bosniaque à maîtriser les conditions dans lesquelles vivait la

  3   population civile constituaient un argument de poids pour Karadzic dans les

  4   négociations avec le gouvernement bosniaque et avec la communauté

  5   internationale.

  6   Comme l'a dit Karadzic, à l'assemblée serbe de Bosnie, le 12 mai, je

  7   cite :

  8   "Sarajevo est stratégiquement à la cinquième place. Mais la bataille

  9   de Sarajevo et pour Sarajevo est d'une importance décisive parce qu'elle

 10   interdit, ne serait-ce que le début d'une illusion quant à la possibilité

 11   de créer un état. Alija," il parle, bien sûr, d'Alija Izetbegovic, "n'a pas

 12   d'Etat, alors que nous possédons une partie de Sarajevo."

 13   En décembre 1993, il dira, je cite :

 14   "Izetbegovic parle parce qu'il ne peut sortir de Sarajevo sans notre

 15   autorisation."

 16   Suite à cela, les forces qui se trouvaient sous le commandement de Karadzic

 17   ont encerclé Sarajevo et établi le siège de la ville qui allait durer 44

 18   mois. Mais le 12 mai, Karadzic a confirmé devant les députés de l'assemblée

 19   que Sarajevo était désormais encerclée et que la ville avait été isolée

 20   pendant des semaines. Rappelez-vous que le général Mladic était là et il a

 21   posé les bases fondamentales du plan qu'allait appliquer les Serbes de

 22   Bosnie à Sarajevo pendant les trois années et demie à venir.

 23   "Si nous voulons que les Musulmans se rendent, il nous faut placer

 24   300 armes lourdes autour de Sarajevo de calibre divers, allant du lance-

 25   roquettes portable, de 40 à 64-millimètres, au lance-roquettes multiples

 26   Orkan ou aux roquettes P-65."

 27   Je vous ai parlé de cette réunion qui avait eu lieu le 14 mai après

 28   la séance du 12 mai au cours de laquelle Karadzic avait annoncé et déjà

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  1   essayé de faire passer ces objectifs stratégiques. Il y a eu cette réunion

  2   du 14 mai, Galic y était et c'est lui qui propose l'ordre du jour et les

  3   points sont abordés l'un après l'autre, les objectifs aussi. Voici ce qui

  4   est dit à propos du cinquième objectif stratégique, je cite :

  5   "Il a été dit que Sarajevo devait être soit divisée, soit rayée de la

  6   carte."

  7   Galic, je le dirai dans un instant, était le commandant du corps de

  8   Sarajevo-Romanija, le RSK qui a pilonné, bombardé Sarajevo et il était

  9   commandant de septembre 1992 à août 1994. A l'occasion de cette séance,

 10   cette 16e Séance de l'assemblée en mai 1992, Mladic a aussi expliqué et je

 11   le cite :

 12   "Il nous faut placer un anneau, un collet autour de la tête de ce dragon de

 13   Sarajevo dès maintenant et seul ceux que nous autorisons à partir pourront

 14   partir, pourront y échapper."

 15   Il poursuit, il dit ceci :

 16   "Nous n'allons pas dire que nous allons nous mettre à détruire les pylônes

 17   électriques ni couper les robinets d'eau. Non, parce que ça, ça ferait

 18   sortir l'Amérique de ses gongs. Mais Messieurs, allons, enfin, un jour, il

 19   se trouvera qu'il n'y aura plus d'eau à Sarajevo. Pourquoi ? On ne le sait

 20   pas. Il y a des dégâts ? Il y a une fuite ? Oui. Il faut réparer. Non. Un

 21   peu à la fois, pas trop vite. Et ce sera pareil pour le courant

 22   électrique."

 23   Après avoir réussi à placer un anneau d'armement lourd autour de Sarajevo,

 24   Karadzic et ses forces se sont employés à utiliser ce contrôle pour

 25   terroriser les habitants. Le pilonnage utilisé a été bien souvent, non pas

 26   dirigé sur des cibles militaires, mais c'était des tirs dispersés dans

 27   toute la ville et qui visaient surtout des quartiers musulmans, des

 28   quartiers civils de la vieille ville.

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  1   Ici, Mladic dit : "Tu peux tirer quand ?"

  2   Un ses subordonnés :

  3   "Je peux le faire dans cinq à dix minutes, même avant.

  4   "Mladic : Mais dis-moi, tu peux aussi tirer sur Bascarsija ?"

  5   Le subordonné :

  6   "Mais oui, pas de problème.

  7   "Mladic : Excuse-moi, j'ai mal compris.

  8   "Oui, oui. Le subordonné dit :

  9   "Oui, oui, j'ai compris.

 10   "Mais tire une salve sur Bascarsija aussi.

 11   Le subordonné :

 12   "Bien, chef, à vos ordres."

 13   Le chef des observateurs militaires onusiens, un homme qui avait fait la

 14   guerre du Vietnam et qui était observateur au Liban et en Israël,

 15   témoignera du fait qu'à partir de la mi-mai 1992 les tirs d'artillerie

 16   étaient très nourris et ciblaient pratiquement toute la ville -- couvraient

 17   toute cette ville. En dépit de l'expérience qu'il avait acquise en Israël

 18   et au Liban, il n'avait jamais vu une telle puissance de feu, assurément

 19   pas si elle était dirigée contre des cibles. Et dans bien des cas, les

 20   cibles sélectionnées semblaient ne présenter aucun intérêt militaire à

 21   l'époque, dit-il. Et ce qu'il vous dire sera confirmé par d'autres

 22   observateurs militaires, par des correspondants de guerre et par d'autres

 23   témoins.

 24   La terrorisation [phon] de la population civile, elle trouve peut-être son

 25   exemple le plus parlant dans l'utilisation faite par le SRK des bombes

 26   aériennes modifiées, qui a été ajouté à l'arsenal du corps en avril 1995.

 27   Une bombe aérienne modifiée c'est une arme qui a un pouvoir destructeur

 28   énorme. C'est une arme qui doit être larguée, normalement, d'un avion. Mais

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  1   les Serbes de Bosnie l'ont modifiée en les équipant de moteurs-fusées, ce

  2   qui permettait de les lancer du sol. Et le résultat de cette modification

  3   en a fait une arme tout à fait imprécise. Une bombe aérienne modifiée, elle

  4   peut avoir un écart de portée d'un kilomètre et 200 [comme interprété], 600

  5   mètres de chaque côté de la cible visée. Or, si on utilise une telle arme

  6   en milieu urbain, c'est violer non seulement le principe de distinction,

  7   qui est à la base du droit international humanitaire, mais aussi chaque

  8   fondement de ce droit humanitaire.

  9   La campagne a aussi utilisé un mode plus précis de semer la terreur. C'est

 10   le "tir embusqué." Quand on parle de tireur embusqué ou de sniper, ici, ce

 11   n'est pas simplement dans son acception plus technique, à savoir une

 12   personne équipée d'un fusil à lunette. On parlera aussi de personnes qui

 13   vont prendre directement pour cibles des personnes en étant totalement ou

 14   partiellement dissimulées, et en utilisant une arme de faible calibre; par

 15   exemple, un fusil ou une mitraillette.

 16   Ces snipers, ils se positionnaient à divers endroits, dans les tours

 17   d'habitation de Grbavica, sur la crête rocheuse, et aussi l'école de

 18   théologie de Nedzarici. Et par exemple, depuis Grbavica, le SRK pouvait

 19   lancer des tirs embusqués dans le cœur même de la ville, depuis la hauteur,

 20   et ce qui est encore plus important, pouvait prendre pour cibles des

 21   passants, des autos, des bus ou d'autres véhicules qui suivaient l'axe est-

 22   ouest de la ville. Des pans entiers de la ville sont devenus des zones très

 23   périlleuses que les civils ont évitées quand ils le pouvaient, car on

 24   craignait toujours, on pouvait toujours être frappé par une balle de tir

 25   embusqué. Et cette avenue principale qui longe la Miljaca qui part de la

 26   vieille ville, a été appelée l'avenue des snipers, des tireurs embusqués.

 27   Un général qui faisait partie de la communauté internationale se rappelle

 28   que là, dans cette avenue des tireurs embusqués, il n'y avait pas de

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  1   positions militaires. Il n'y avait que des civils, des passants qui

  2   marchaient dans la rue. Un autre officier supérieur a relevé que lorsque

  3   les civils se servaient d'écran protecteur pour franchir cette distance,

  4   bien, les tireurs embusqués pilonnaient ces zones protégées, montrant que

  5   pour bien faire comprendre aux civils que quoi qu'ils fassent, ils seraient

  6   la cible de leurs tirs.

  7   Les effets conjugués de ces tirs à coups perdus, de ces tirs et pilonnages

  8   aléatoires, ce fut la terreur; enfin, une peur omniprésente d'être tué ou

  9   blessé à tout moment. On ne savait jamais, si on habitait Sarajevo entre

 10   avril 1992 et novembre 1995, si on allait être tué le lendemain. Le

 11   quotidien était absolument imprévisible. Un civil circulant en train

 12   risquait tout autant de se faire tuer ou blesser par une balle que d'être

 13   tué, mutilé par une bombe aérienne modifiée. De brèves accalmies étaient

 14   subitement interrompues par des tirs. Parfois les bombardements ne

 15   semblaient jamais vouloir cesser. Pendant 44 mois, la population civile a

 16   vécu dans un sentiment omniprésent de terreur; et c'était bien là l'effet

 17   recherché.

 18   Pendant ces 44 mois, le SRK est d'autres forces serbes de Bosnie ont bien

 19   lancé des attaques militaires sur des objectifs militaires légitimes et ils

 20   ont aussi repoussé des attaques lancées par les forces du gouvernement de

 21   Bosnie. Ces attaques et contre-attaques ne font pas partie des charges

 22   retenues contre l'accusé. Ce qui est reproché à l'accusé, c'est qu'il a, à

 23   dessein, semé la terreur parmi la population civile en violant sans cesse

 24   le principe essentiel du droit humanitaire, le principe de la distinction.

 25   Et ce n'est pas un principe simplement technique, il incarne l'aspect

 26   fondamental du droit international humanitaire, à savoir que chaque

 27   commandant, tout commandant a le devoir de faire la distinction entre une

 28   cible qui est militaire et des civils, ou un lieu civil. Ce principe, il a

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  1   été violé à d'innombrables reprises pendant ces 44 mois de siège. Pourquoi

  2   et quand, quand on a pris pour cible un civil ou un objet civil, quand on a

  3   tiré à coups perdus sur une zone où il y avait des civils ou des lieux

  4   civils, lorsqu'il y a eu des tirs excessifs dispersés, disproportionnés par

  5   rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu.

  6   Les éléments de preuve vous le diront. Les forces de Karadzic étaient

  7   retranchées, leurs armes étaient enterrées. Ça veut dire que le RSK savait

  8   exactement quelle était la portée de chaque arme. Et des témoins viendront

  9   vous le dire. Un artilleur, il parvient très vite à déterminer la portée de

 10   son arme une fois qu'il se trouve en place. Même les mortiers avaient leur

 11   plaque de base enterrée, et leurs cibles étaient bien précises.

 12   Karadzic a beau dire que ses forces armées ont manqué de précision dans

 13   leurs tirs pourtant dirigés sur des cibles militaires, jour après jour,

 14   mois après mois, année après année. Mais ce genre de défense, il échoue à

 15   l'examen des faits et il perd toute crédibilité quand on voit qu'ont été

 16   utilisées des bombes aériennes modifiées, des bombes antipersonnel, comme

 17   des bombes à fragmentation. Quand on déploie une bombe aérienne modifiée

 18   sur une cible militaire, c'est le proverbial coup d'épée dans l'eau. Nul ne

 19   sait où il va tomber, cet obus, qui il va tuer. Et c'est insensé et c'est

 20   manifestement illégal. Les éléments de preuve vous montreront que

 21   l'utilisation des bombes aériennes modifiées sur le milieu urbain de

 22   Sarajevo révèle dans toute sa brutalité l'intention illicite, qui était de

 23   toucher la population civile de Sarajevo.

 24   Quand on fait la somme des actions des forces de Karadzic, les tirs à

 25   coups perdus sur des cibles, sur des zones civiles, les tirs embusqués

 26   dirigés sur les civils, le fait de prendre pour cibles des lieux civils,

 27   alors qu'on néglige tout à fait des cibles militaires. L'utilisation de ces

 28   bombes aériennes modifiées montre tout ceci. L'objectif, ce n'est pas la

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  1   destruction, la suppression, la neutralisation de cibles militaires, c'est

  2   la terrorisation de toute une population civile.

  3   Je voudrais passer quelques instants à parler du quotidien des habitants de

  4   Sarajevo. Je crois que ceci mérite toute notre attention parce que la

  5   campagne de Karadzic est parvenue à ses fins. La terreur c'était la seule

  6   constante dans ce quotidien pétri d'incertitude pour les habitants de

  7   Sarajevo assiégés. Comme l'a dit un médecin de l'hôpital de Sarajevo quand

  8   il essayait de faire comprendre ce quotidien rempli d'incertitude et de

  9   peur :

 10   "Tous les jours, on risquait, en allant au travail, de se faire tuer,

 11   de se faire blesser. Aller travailler c'était courir le risque d'ajouter

 12   son nom à la longue liste des blessés et des morts. Un geste simple, comme

 13   celui de traverser une rue, terrifiait les habitants.

 14   [Diffusion de la cassette vidéo]

 15   M. TIEGER : [interprétation] Effectivement, quand les tirs isolés se sont

 16   faits plus meurtriers, de nouvelles mesures "antisniping" [phon] ont été

 17   mises en place par les Nations Unies.

 18   Je dois avertir la régie qu'il faut lancer la séquence vidéo. La

 19   séquence suivante, s'il vous plaît.

 20   [Diffusion de la cassette vidéo]

 21   M. TIEGER : [interprétation] Il y a ici des civils qui se blottissent à

 22   l'abri d'un véhicule transporteur de troupes pour échapper aux tirs.

 23   Dans le contexte de ce siège, il s'est parfois passé des mois sans

 24   avoir d'eau, de gaz et d'électricité. Et les habitants étaient forcés de

 25   sortir de leur abri de fortune d'où ils se protégeaient des tirs isolés et

 26   des obus qu'ils essayaient d'éviter pour se risquer à y chercher et de

 27   trouver un peu d'eau ou du bois de chauffage car l'hiver était rigoureux.

 28   Et ce faisant, ils étaient en butte aux tirs embusqués, aux obus qui

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  1   tombaient.

  2   La prochaine séquence, s'il vous plaît.

  3   [Diffusion de la cassette vidéo]

  4   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  5   "La pancarte disait attention ici il y a des tirs d'embusqués. Les snipers

  6   sont peut-être à 150 mètres de là. Il n'y a pas de lieux sûrs et ce n'est

  7   pas une solution de rester là, car si on est caché dans une cave il y a

  8   peut-être une source d'eau mais souvent il faut sortir. Et chaque fois

  9   qu'on sort, ce que la plupart des gens doivent faire tous les jours, ceux

 10   qui portent l'eau et qui font des allées et venues sont dans la ligne de

 11   tir.

 12   "Aujourd'hui les tireurs embusqués ont déjà fait une victime.

 13   "Avant la guerre, c'était un pays de chasseurs, mais la différence

 14   aujourd'hui c'est qu'on chasse l'homme. La victime cette fois-ci c'est un

 15   homme touché à la jambe, qui venait juste de tourner le coin quand le

 16   tireur embusqué l'a touché. C'est le quotidien, c'est ce qui se passe tous

 17   les jours ici et souvent plus d'une fois par jour. Rien de particulier,

 18   mais c'est un danger que connaissent tous les gens depuis avril.

 19   M. TIEGER : [interprétation] Même s'ils prenaient des précautions ou ils

 20   essayaient d'en prendre, bon nombre de civils ont été blessés et tués alors

 21   qu'ils essayaient de vaquer aux occupations les plus essentielles du

 22   quotidien. Des mères ont été tuées. Le 18 novembre 1994, Nermin Divovic

 23   avait 7 ans. Il marchait à côté de sa mère dans une ville du centre de

 24   Sarajevo. Quelque chose qu'on fait tous les jours dans n'importe quelle

 25   ville normalement. Sa sœur qui avait 8 ans était devant. Alors qu'ils

 26   traversaient la rue, un tireur serbe de Bosnie a tiré sur eux. La balle a

 27   traversé le ventre de sa mère et a tué Nermin sur le coup. On le voit sur

 28   ces images gisant au sol sur le passage pour piétons.

Page 601

  1   [Diffusion de la cassette vidéo]

  2   M. TIEGER : [interprétation] Des enfants, des écoliers qui jouaient ont été

  3   abattus. Des gens, des passagers dans des trams ont été abattus. Des

  4   enfants qui jouaient dans la neige ont été abattus. Des gens qui allaient

  5   chercher de l'eau ont été abattus. Et même lorsqu'on assistait aux obsèques

  6   de parents, on était abattu. Les civils de Sarajevo étaient des cibles et

  7   ces civils ont été abattus.

  8   [Diffusion de la cassette vidéo]

  9   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 10   "Lorsqu'ils sont arrivés, on leur a dit que Medrana [comme

 11   interprété] avait été enterré une heure plus tôt que prévu parce que le

 12   cimetière avait été pilonné par les Serbes.

 13   De [inaudible] quelle était la situation n'a fait qu'empirer. Il y a

 14   eu de nouveau une pluie d'obus. Un de ces obus est tombé sur des enfants

 15   qui venaient d'arriver de l'orphelinat pour porter des fleurs sur la tombe,

 16   et ils ont laissé ces fleurs sur les tombes de Medrana, ils sont partis

 17   comme sauve qui peut, ces gamins, pour y déposer sur la tombe du petit

 18   gamin qui avait été tué par un tireur embusqué. Ils n'ont pas eu le temps

 19   de s'attarder alors que la famille partait, les artilleurs avaient trouvé

 20   la bonne portée.

 21   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 22   

 23   M. TIEGER : [interprétation] Effectivement, cette terreur, cette campagne

 24   de terreur a littéralement tué une cité, une ville. Un responsable des

 25   affaires civiles des Nations Unies vous le dira. Lorsqu'il est arrivé vers

 26   la moitié de l'année 1993, il a vu des rues désertées, des voitures brûlées

 27   qui encombraient la ville. Les tramways s'étaient arrêtés. Il y avait des

 28   gens qui sortaient de leurs trous pour trouver comme ils le pouvaient un

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  1   peu de quoi manger ou un peu d'eau.

  2   [Diffusion de la cassette vidéo]

  3   M. TIEGER : [interprétation] Deux ans après son arrivée à Sarajevo, un

  4   responsable des affaires civiles des Nations Unies dit ceci dans un rapport

  5   qu'il envoie le 8 juillet 1995. Je le cite :

  6   "En dépit de la diminution des activités militaires autour de la

  7   ville, le harcèlement de la population civile continue pratiquement sans

  8   relâche. Il y a encore un niveau très élevé de tirs embusqués et de tirs au

  9   mortier qui ne semblent avoir aucune valeur militaire mais qui semblent

 10   contribuer à vouloir créer une atmosphère générale de terreur dans la

 11   ville. Il n'y a pratiquement plus de civils qui se servent de ce qu'on a

 12   appelé l'allée des tireurs embusqués, au point que maintenant les tireurs

 13   embusqués qui étaient toujours postés sur cette zone ont dû être déplacés

 14   pour être mis ailleurs."

 15   Les éléments de preuve vous le montreront. Radovan Karadzic a commandé, a

 16   dirigé l'établissement et le maintien du siège de Sarajevo. Il a commandé

 17   et dirigé les forces qui se sont rendues coupables de cette campagne de

 18   pilonnage et de tirs embusqués dans le contexte du siège de Sarajevo. C'est

 19   Karadzic qui a délibérément infligé et fait de la terreur à géométrie

 20   variable, qu'il a appliquée à la population civile pour servir ses propres

 21   visées.

 22   La VRS était formée le 12 mai 1992. Le RSK le 22 mai 1992 et la VRS a

 23   englobé les unités territoriales serbes. Ces formations armées qui, jusqu'à

 24   ce moment-là, étaient le fer de lance de la ségrégation de la séparation,

 25   et Karadzic avait déjà à ce moment-là, au moment de cette formation, était

 26   sur place au commandement de ces unités autour de Sarajevo depuis un mois

 27   et demi. Dès le 25 avril, et moins de trois semaines après le début du

 28   conflit, il était à même de montrer en hélicoptère à des journalistes qui

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  1   survolaient Sarajevo ce qu'il en était et il a déclaré qu'il pouvait

  2   prendre la ville quand bon lui semblait. Nous voulons avoir une Sarajevo

  3   libre.

  4   [Diffusion de la cassette vidéo]

  5   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  6   "Mais si on avait voulu prendre Sarajevo on aurait pu la prendre.

  7   "Et pour prouver ce qu'il dit, il emmène des journalistes sur les

  8   hauteurs de Sarajevo. C'était pour montrer que les observateurs respectent

  9   le cessez-le-feu et il a dit :

 10   'Nous avons l'intention de le faire. Nous essayons de maintenir la

 11   paix et nous voulons simplement contrôler les alentours de Sarajevo.'

 12   "Question : Vous pouvez prendre la ville demain ?

 13   "Réponse : Quand on veut.

 14   "Les Serbes veulent montrer que Sarajevo est à leur pied. Mais si les

 15   Musulmans veulent la guerre, ils peuvent l'avoir. Et la ville n'est pas

 16   défendable.

 17   "Martin Bell, BBC News sur les hauteurs de Sarajevo.

 18   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 19   M. TIEGER : [interprétation] Je vous ai parlé de l'établissement du

 20   maintien du RSK et que tout ceci a fait que toutes les forces assiégeantes

 21   étaient rassemblées sous une voie hiérarchique unique avec au faîte de ces

 22   trois hiérarchies un commandant suprême Karadzic.

 23   Vous avez ce diagramme qui montre la chaîne hiérarchique, la chaîne de

 24   commandement : président et commandant suprême, Radovan Karadzic; ça c'est

 25   au sommet. Celui-ci était président de la présidence; puis, ça descend.

 26   Vous avez l'état-major principal, le commandant Ratko Mladic; puis, on

 27   descend. On arrive au Corps de Sarajevo-Romanija avec trois commandants

 28   différents pendant le siège; puis, on arrive en bas, au niveau des

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  1   brigades.

  2   Cette structure de commandement, à partir de 1992 jusqu'en 1995, elle était

  3   officielle autant qu'efficace. Le SRK était bien formé, bien entraîné,

  4   avait un excellent système de transmissions et un excellent système de

  5   contrôle et de commandement. Vous le verrez grâce aux témoignages. La

  6   campagne de tirs isolés et de pilonnages a été menée par ce RSK,

  7   centralisée par le chef de l'état-major sous le commandement de l'état-

  8   major principal.

  9   Karadzic exerçait le contrôle des forces qui procédaient aux pilonnages.

 10   Vous le verrez dans le contexte des accords auxquels on a abouti sur le

 11   terrain quand c'était utile pour des fins politiques, par exemple, en

 12   février 1994. Et là, quand c'était utile, l'accord de cessez-le-feu a été

 13   aussitôt appliqué et on a cessé le feu du côté des Serbes, montrant bien

 14   qu'il y a un très bon système de commandement et de direction. Et Karadzic

 15   et les chefs de la VRS pouvaient aussi diriger ces activités de pilonnage

 16   et de tirs embusqués quand ils le voulaient. En mars 1994, la VRS a exigé

 17   que les trams ne roulent plus à Sarajevo, faute de quoi, ils seraient pris

 18   pour cibles par les forces de la RSK. Et quand ils ont continué malgré tout

 19   à circuler, le RSK a commencé à tirer sur ces trams, faisant de nombreux

 20   morts et de nombreux blessés parmi les passagers.

 21   Le RSK et les commandants de l'état-major principal étaient

 22   constamment informés par les représentants de la FORPRONU qui leur disaient

 23   que leurs subordonnés pilonnaient, tiraient sur des civils. Mais malgré

 24   tout, le pilonnage, les tirs embusqués se sont poursuivis pendant 44 mois

 25   et aucun subordonné n'a été puni.

 26   Les ordres, les rapports démontrent de façon explicite quels étaient

 27   les modes d'emploi de ces forces de la RSK mais aussi, comment elles

 28   étaient contrôlées et coordonnées et la circulation des informations et des

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  1   ordres le long de la voie hiérarchique. Nous savons que la plupart des

  2   ordres et des rapports étaient donnés oralement. Mais ceci confirme leur

  3   existence. Mais il y avait des ordres et des rapports de la VRS ou du RSK

  4   qui étaient bien consignés par écrit et qui confirment l'efficacité du

  5   contrôle de la coordination de la campagne de pilonnages et de tirs

  6   embusqués, et montrent l'efficacité de la chaîne de transmissions et du

  7   contrôle au sein du RSK. Par exemple, quand il s'agit d'utilisation des

  8   bombes aériennes modifiées, 13 juin 1994, l'état-major principal envoie une

  9   lettre au commandement du RSK, en réponse à une demande du commandement de

 10   Ilijas, une des municipalités de Sarajevo, et qui concernait l'utilisation

 11   de bombes aériennes modifiées.

 12   Voici ce que dit l'état-major principal, je cite :

 13   "L'état-major principal de la VRS est celui qui prend des décisions quant à

 14   l'utilisation de ces bombes aériennes et c'est peut-être au niveau d'un

 15   corps, mais l'approbation est donnée par l'état-major principal. Une

 16   brigade ne peut pas décider de le faire toute seule."

 17   Le 6 avril 1995, celui qui était alors chef du Corps du RSK, Dragomir

 18   Milosevic, donne l'ordre suivant, je le cite :

 19   "La Brigade d'Ilidza va aussitôt préparer un lance-roquettes ou un lanceur

 20   de bombes aériennes qu'elle va transporter à l'endroit qu'il faut pour le

 21   lancer. Il faut choisir la cible la plus utile à Hrasnica et dans le

 22   quartier de Sokolovici, là où on peut faire le plus de victimes et le plus

 23   de dégâts matériels."

 24   Le lendemain, un rapport est envoyé à l'état-major principal. Je cite :

 25   "Dans la Brigade d'Ilidza, une mine de 120-millimètres a été lancée et une

 26   bombe aérienne modifiée de 250 kilos a été lancée sur le centre de

 27   Hrasnica."

 28   Cette bombe a détruit des maisons de civils, a tué un civil et en a

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  1   blessé trois autres. Ziba Custovic, une femme au foyer, buvait son café à

  2   la maison et cette bombe l'a tuée.

  3         Nous allons voir la vidéo suivante.

  4   [Diffusion de la cassette vidéo]

  5   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  6   "Le cessez-le-feu semble être en déliquescence rapidement. Il y avait des

  7   offensives sur au moins deux fronts de Sarajevo, au sud de Sarajevo. La

  8   banlieue de Hrasnisa a fait l'objet de l'attaque serbe. Le troisième jour

  9   consécutif, une roquette a été lancée sur cinq maisons, a tué une personne

 10   et blessé plusieurs autres."

 11   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 12   M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, un autre exemple

 13   de contrôle militaire centralisé de cette campagne. Ceci se trouve dans un

 14   document du 15 août 1994. Un officier de renseignement du RSK publie ceci

 15   dans une note interne et parle de l'accord sur la cessation des tirs

 16   embusqués, je cite :

 17   "Le tirs embusqués doivent cesser, et ce, uniquement s'il y a des ordres

 18   conformément à l'organisation interne et si les mesures appropriées sont

 19   prises."

 20   Et il note plus précisément que la décision définitive portant sur les

 21   mesures qui seraient prises eu égard à ces tirs embusqués ne pouvait être

 22   prise que par le commandant du corps. Et avant de poursuivre, je souhaite

 23   simplement noter que l'avertissement lancé par Dragomir Milosevic, celui

 24   qui commandait le RSK à ce moment-là le 18 juillet 1995, confirme que le

 25   commandant du RSK avait connaissance du fait qu'il tirait sur des civils.

 26   Il s'agit des commentaires sur les problèmes de fourniture de munitions et

 27   le comportement laxiste eu égard à l'utilisation des munitions, étant donné

 28   qu'ils en avaient à profusion et qu'ils essayaient de tirer plus que

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  1   l'ennemi. Et Milosevic dit à cet effet :

  2   "C'est la raison pour laquelle nous tirons sur des localités qui ne sont

  3   pas habitées, sur des bâtiments particuliers où il n'y a pas d'actions de

  4   combat du tout. Et nous utilisons des quantités très importantes de

  5   munitions, sans prêter attention au fait que nous n'aurons rien pour

  6   arrêter l'ennemi au moment où il s'agira de préparer une défense décisive."

  7   Pas d'actions de combat du tout, puisqu'il s'agit de tirer sur les

  8   localités non habitées. La dernière phrase -- pardonnez-moi, je reprenais

  9   l'avertissement.

 10   Les éléments de preuve montrent qu'il y a eu une campagne concertée et

 11   coordonnée qui a été mise en œuvre par le RSK sous le commandement

 12   militaire de la VRS aux fins de terroriser la population civile de

 13   Sarajevo. Karadzic était le commandant suprême, une organisation militaire

 14   disciplinée et de surcroît, il commandait d'autres forces autour de

 15   Sarajevo, comme les forces du MUP. Karadzic n'était pas simplement le

 16   commandant suprême de jure, mais le commandant de facto également. Et dans

 17   ce rôle double, avec cette autorité absolue, il planifiait, dirigeait,

 18   contrôlait et surveillait ses subordonnés militaires et était responsable

 19   de la campagne des tirs embusqués et de pilonnage qui a terrorisé les

 20   civils de Sarajevo.

 21   Comme je l'ai indiqué, en tant que commandant suprême, Karadzic était en

 22   définitive responsable de la fixation de la stratégie du RSK de diriger

 23   tous les objectifs et de surveiller tous les objectifs militaires à propos

 24   de Sarajevo. A cet effet, les directives entre 1992 et 1995 qui ont été

 25   adoptées, c'est signé par Karadzic, qui indiquaient comment la VRS devait

 26   mettre en œuvre les objectifs stratégiques. Toutes ces directives

 27   contenaient des instructions à propos des activités militaires du RSK et

 28   illustraient le commandement et le contrôle qu'il exerçait sur la VRS et du

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  1   RSK. La directive numéro 3, par exemple, a été établie en août 1992. Un

  2   passage est consacré aux objectifs opérationnels du RSK, notamment

  3   l'instruction qui consistait à :

  4    "Garder Sarajevo fermement assiégée et empêcher que le blocus ne

  5   tombe."

  6   Directive numéro 6, qui a été adoptée et signée par Karadzic, le commandant

  7   suprême en novembre 1993, contient de même des instructions à l'intention

  8   de la RSK, y compris l'instruction qui consiste à :

  9   "…utiliser l'essentiel des forces pour empêcher que le blocus de Sarajevo

 10   ne soit levé."

 11   Outre le contrôle qu'il exerçait sur les forces de RSK, Karadzic contrôlait

 12   également les autres forces qui intervenaient à Sarajevo. Vous verrez qu'un

 13   ordre de Karadzic du 14 novembre 1993 qui comprend des instructions à

 14   l'intention des forces MUP de la RS, ainsi que d'autres forces, les corps

 15   de la VRS intervenant autour de Sarajevo, l'armée de l'air, ainsi que les

 16   forces de défense aériennes et des unités de roquettes et d'hélicoptères.

 17   Au-delà de sa fonction, en haut de la pyramide de cette structure de

 18   commandement, son contrôle du pilonnage et les tirs embusqués s'est

 19   illustré dans les accords qu'il a conclus, qui faisaient intervenir le

 20   cessez-le-feu à Sarajevo. Pendant le siège qui a duré 44 mois, Karadzic

 21   contrôlait le niveau de terreur lorsque cela l'arrangeait politiquement. Il

 22   pouvait augmenter ou diminuer le niveau de terreur pour négocier un accord

 23   selon ses termes.

 24   Un exemple de cela est au mois de juillet 1993. La situation

 25   politique de cette époque est illustrée par le rapport hebdomadaire de la

 26   FORPRONU. Ce rapport note que le président de Bosnie du gouvernement

 27   bosniaque, Alija Izetbegovic semblait à ce moment-là se faire à l'idée

 28   d'une partition de la Bosnie-Herzégovine, une politique qui avait été

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  1   prônée depuis longtemps par Karadzic et les dirigeants serbes. Karadzic,

  2   cette même semaine, a clairement indiqué à la FORPRONU que sa première

  3   priorité consistait à faire venir le gouvernement bosniaque de Sarajevo à

  4   la table des négociations pour commencer à parler de la partition de la

  5   Bosnie. Le rapport indique également que :

  6   "Les négociations ne pouvaient avoir lieu que s'il y avait

  7   effectivement un cessez-le-feu en place."

  8   Vous verrez tout ceci dans le rapport du mois de juillet 1993 qui

  9   fait partie des pièces du dossier.

 10   A la lumière de ces circonstances, comment Karadzic a-t-il

 11   agi ? Il a donné l'ordre au RSK d'imposer un cessez-le-feu, comme ceci est

 12   indiqué dans les deux ordres. Tout d'abord, l'ordre de Dragomir Milosevic,

 13   daté du 15 juillet 1993.

 14   "Conformément à un ordre du président de la Republika Srpska, le Dr

 15   Radovan Karadzic, compte tenu de la situation politique actuelle, les

 16   unités ont l'interdiction de tirer sur Sarajevo à proprement parler, à

 17   moins qu'elles ne soient en train de défendre les positions de la VRS. Les

 18   tirs inutiles et incontrôlés sur Sarajevo sont très nuisibles pour la

 19   Republika Srpska. Il faut contrôler complètement et rendre impossible ces

 20   tirs qui ne sont pas utiles sur Sarajevo…"

 21   Il ordonne également que l'eau et le gaz soient fournis à la

 22   population, de même que l'électricité.

 23   L'ordre, le même, daté du 16 juillet 1993, du commandant d'exercice

 24   du RSK :

 25   "Nous avons reçu du commandement de l'état-major de la VRS un

 26   avertissement de ne pas agir contre Sarajevo à proprement parler; n'agir

 27   qu'en cas d'autodéfense et si les lignes de défense militaires sont en

 28   danger. L'avertissement porte sur l'accord entre le président Karadzic, la

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  1   FORPRONU et notre ennemi."

  2   Karadzic prenait pour cible les civils, et était au courant --  Monsieur le

  3   Président, vous souhaitiez avoir un petit peu de temps avant que l'audience

  4   ne soit levée aujourd'hui.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avant que je n'évoque cette question, je

  6   souhaite savoir de combien de temps vous aurez besoin encore lundi.

  7   M. TIEGER : [interprétation] Ce ne sera pas une journée entière, Monsieur

  8   le Président. Si vous me donnez quelques instants, je vais pouvoir le

  9   calculer. Ce sera certainement avant la dernière séance. J'ai un petit peu

 10   de mal pour l'instant à calculer ceci de façon très précise. Mais je crois

 11   que les Juges de la Chambre pourraient disposer de la dernière séance de

 12   l'audience.

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien.

 14   Comme je l'ai indiqué un peu plus tôt, si l'accusé souhaite ne pas venir

 15   assister à l'audience lundi, il y aura une audience le mardi, 3 novembre,

 16   dans l'après-midi, au cours de laquelle les Juges de la Chambre entendront

 17   les arguments oraux de l'Accusation et de l'accusé sur la façon dont nous

 18   pouvons poursuivre par la suite. Les Juges de la Chambre statueront ensuite

 19   sur cette question.

 20   Afin de pouvoir aider les parties à présenter des arguments utiles, je

 21   souhaite mentionner les points suivants qui intéressent particulièrement

 22   les Juges de la Chambre.

 23   Premier point : Déroulement du procès en l'absence de l'accusé et en

 24   l'absence de deux conseils pour le représenter.

 25   Deuxième point : La commission d'office d'un conseil pour l'accusé et les

 26   différents rôles que l'on peut donner à un conseil d'office, à la fois dans

 27   un avenir proche et au cours du déroulement du procès.

 28   Troisième point : La désignation d'un amicus curiae.

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  1   Point quatre : L'ajournement éventuel de ce procès pour permettre à un

  2   conseil commis d'office de se préparer.

  3   Et cinquième point : Toute autre façon qui permettrait le déroulement de ce

  4   procès, si l'accusé décide de ne pas venir assister à l'audience, et ce,

  5   volontairement.

  6   Ce procès est maintenant terminé pour aujourd'hui. Nous levons l'audience

  7   jusqu'au lundi 2 novembre, à 14 heures 15.

  8   --- L'audience est levée à 18 heures 56 et reprendra le lundi 2 novembre

  9   2009, à 14 heures 15.

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