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1 Le lundi 2 novembre 2009
2 [Déclaration liminaire de l'Accusation]
3 [Audience publique]
4 [L'accusé est absent]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à tous.
7 M. Karadzic est toujours absent de ces procédures et a indiqué aux
8 Juges de la Chambre une nouvelle fois que c'est en raison du fait qu'il
9 estime qu'il n'est pas préparé comme il se doit. Comme je l'ai déclaré
10 précédemment, les Juges de la Chambre estiment que M. Karadzic, par son
11 absence, fait ainsi fi de son droit à assister au procès. Par conséquent,
12 les Juges de la Chambre entendront la suite des déclarations liminaires de
13 l'Accusation.
14 Vous pouvez poursuivre, Monsieur Tieger.
15 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Madame,
16 Messieurs les Juges,
17 Nous reprenons aujourd'hui avec le pilonnage et la campagne de tirs
18 embusqués contre la population civile de Sarajevo, après avoir déjà abordé
19 le caractère et la durée de la campagne, les armes utilisées, la structure
20 du commandement et du contrôle, les ordres donnés par Karadzic pour faire
21 cesser la campagne de temps en temps, lorsque cela répondait à ses
22 objectifs. Et les éléments de preuve sont clairs, Madame, Messieurs les
23 Juges, l'accusé savait pendant toute la durée des 44 mois de siège que ses
24 forces pilonnaient et tiraient sur les civils en créant des conditions de
25 terreur pour les citoyens de Sarajevo. Par exemple, ses ordres
26 opportunistes pour faire cesser le pilonnage révèlent non seulement qu'il
27 assurait le commandement et le contrôle, mais qu'il était également au
28 courant du caractère de la campagne. Souvenez-vous, par exemple, de l'ordre
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1 qu'il a donné en juillet 1993, que nous avons vu la semaine dernière,
2 lorsqu'il semblait que l'occasion se présentait de conclure un marché sur
3 un partage ethnique de la Bosnie. En conséquence, il a ordonné aux SRK de
4 faire cesser ce qui se passait, à savoir "les tirs inutiles et incontrôlés
5 sur Sarajevo."
6 Un autre exemple est un ordre que l'accusé a donné le 7 février 1994,
7 deux jours seulement après qu'un obus bosno-serbe ait tué 61 personnes au
8 marché de Markale de Sarajevo. Le pilonnage de Markale s'est produit dans
9 le contexte d'une période particulièrement intensive de pilonnage. Dans les
10 premiers 15 jours de janvier 1994, les observateurs militaires des Nations
11 Unies ont enregistré 6 600 impacts d'obus tombés dans la partie de Sarajevo
12 contrôlée par le gouvernement bosniaque. Ces attaques ont déclenché un
13 tollé et des pressions supplémentaires de la part de la communauté
14 internationale, qui ont atteint leur paroxysme au moment où il y a une
15 menace de frappes aériennes pour prévenir les bombardements des Serbes de
16 Bosnie. Face à ces pressions, Karadzic a décidé de réduire la campagne.
17 "Des éléments semblent indiquer que les Serbes ne répondent pas aux
18 provocations de l'artillerie musulmane dans la même mesure - quelquefois
19 c'est 20, 30 ou 70 fois plus important. La communauté internationale ne
20 s'oppose pas à ce que nous ripostions. C'est simplement l'ampleur de la
21 riposte qui est beaucoup trop importante. De surcroît, les Musulmans ne
22 provoquent pour que nous brûlions nos munitions."
23 Et Karadzic ordonne, et je cite :
24 "…le contrôle le plus strict possible …" et de ne riposter "que
25 contre des cibles militaires," et "dans les mêmes proportions," et
26 "d'exclure la possibilité de pilonnage incontrôlé."
27 Encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, lorsqu'il exerçait son
28 pouvoir de commandement aux fins de servir les intérêts serbes à ses yeux,
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1 et dans ce cas pour minimiser la pression internationale, Karadzic a
2 indiqué qu'il contrôlait ses forces et qu'il était au courant des
3 pilonnages indiscriminés et massifs, ainsi que des pilonnages contre des
4 cibles non militaires. Même sans ses ordres, les éléments de preuve
5 montrent clairement que l'accusé était au courant des civils qui étaient
6 pris pour cibles par ses forces parce que pendant la durée du siège, la
7 FORPRONU et les membres de la communauté internationale n'ont cessé de lui
8 répéter que ceci était en train de se passer. Par exemple, l'observateur
9 militaire en chef des Nations Unies, après les pilonnages indiscriminés de
10 Sarajevo à la fin de l'année 1992, s'est plaint directement auprès de
11 Karadzic, ainsi qu'auprès de Plavsic et Mladic, simplement pour s'entendre
12 dire que ce type de tir était légitime et qu'ils défendaient les Serbes.
13 Ou cette lettre du commandement de la FORPRONU, à savoir la force de
14 protection des Nations Unies, à l'accusé en octobre 1994 à propos du
15 pilonnage, je cite :
16 "Ces incidents constituent un crime contre l'humanité."
17 Et il poursuite en disant :
18 "…en violation directe de l'accord qui visait à éliminer les tirs embusqués
19 dans la région de Sarajevo, signée le 14 août 1994."
20 "Prenez tout de suite des mesures supplémentaires pour vous assurer
21 que ceci ne se reproduise plus contre des civils innocents."
22 L'assistant militaire du général Morillon, en 1992 et 1993, se
23 souvient du fait que le général Morillon n'a cessé de dire à Karadzic et à
24 Mladic à différentes réunions lorsqu'il se trouvait en Bosnie que
25 l'histoire les jugerait et jugerait les Serbes de Bosnie sur la manière
26 dont ils avaient utilisé leur artillerie contre les villes, les villages et
27 les civils sans défense et qu'ils devaient cesser. Les alliés politiques de
28 Karadzic à Belgrade étaient également au courant de ce qui se passait à
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1 Sarajevo, et estimaient que ceci leur faisait du tort sur un plan politique
2 et que c'était criminel, à commencer par Slobodan Milosevic, qui a décrit
3 les premiers bombardements comme étant, "nom de Dieu, criminels."
4 Et vous voyez sur cette diapositive une transmission où il dit
5 exactement cela.
6 Quoi qu'il en soit, Madame, Messieurs les Juges, l'accusé, comme le
7 reste du monde, était au courant des attaques des Serbes de Bosnie contre
8 les civils de Sarajevo de différentes sources, que ce soit Des médias, des
9 journaux, de la télévision par satellite, qui diffusaient régulièrement des
10 reportages sur le pilonnage et les tirs embusqués, quelquefois tous les
11 jours dans le monde entier. Je souhaite vous montrer un exemple de ce que
12 tout un chacun avait à sa disposition à l'époque, y compris l'accusé.
13 [Diffusion de la cassette vidéo]
14 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
15 "Ici à Sarajevo. Au milieu des anciens minarets de Sarajevo, les
16 bombes tombent après une nuit de pilonnage intensif."
17 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
18 [Diffusion de la cassette vidéo]
19 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
20 "A Sarajevo, les croisements peuvent être très dangereux et doivent
21 être traversés rapidement. Les avenues qui traversent la ville ici sont
22 pilonnées par les Serbes qui se trouvent sur les collines. Ils sont des
23 cibles. Ils constituent la nouvelle réalité dans Sarajevo."
24 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
25 [Diffusion de la cassette vidéo]
26 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
27 "Sarajevo brûle, dans le centre de la ville et dans la banlieue.
28 Zijad Karindjic [phon] est en vie parce qu'il a décidé d'écouter les
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1 nouvelles à 4 heures hier après-midi. Il a laissé sa famille dans les abris
2 dans la cave, et il s'est rendu au premier étage. Ceci a été touché par des
3 tirs de char. M. Karindjic a enterré sa femme, sa fille et deux de ses
4 petits-enfants, ainsi qu'un ami de la famille qui était venu avec de
5 l'aspirine. Un obus est tombé sur le cimetière au moment où il les
6 enterrait.
7 Il n'y a pas un endroit ou un moment où les citoyens peuvent se
8 trouver en sécurité. Certains quartiers sont plus à l'abri, mais les tirs
9 sont indiscriminés et tuent tous les jours quelqu'un."
10 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
11 [Diffusion de la cassette vidéo]
12 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
13 "La vie des habitants de Sarajevo devient plus difficile au fil des
14 jours. Au moins la moitié de la ville se trouve sans eau. Ici un kiosque
15 près a été détruit parce qu'il y a un tireur embusqué qui a tiré dessus.
16 Ceci fait tellement partie de leur quotidien qu'ils le remarquent à peine."
17 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
18 [Diffusion de la cassette vidéo]
19 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
20 "Il y a eu une nuit épouvantable. Chaque point de lumière a touché un
21 endroit de façon indiscriminée. Sans cesse des tirs de mortier avec des
22 balles de fusil. Il y a plus de 300 000 habitants qui se trouvent dans
23 l'obscurité. Une attaque de la part des Serbes s'endure en guise de
24 représailles parce que les habitants de Sarajevo souhaitaient rompre le
25 siège."
26 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
27 [Diffusion de la cassette vidéo]
28 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
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1 "Ceci est censé être une zone de sécurité. Il devait y avoir un
2 cessez-le-feu. Mais le pilonnage a empiré au cours des dernières 24 heures,
3 et les habitants de Sarajevo ont souffert ce jour aujourd'hui comme tous
4 les gens qui souffrent dans la guerre."
5 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
6 [Diffusion de la cassette vidéo]
7 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
8 "Lorsque la guerre a commencé, les pilonnages de ce genre les
9 envoyaient dans leurs caves. Aujourd'hui c'est différent. Ils savent se
10 mettre à l'abri et savent comment il faut s'enfuir. Cela est toujours
11 terrifiant et peut-être mortel, mais cela fait partie de leur quotidien,
12 ils vont chercher de l'eau. C'est quelque chose avec lequel ils doivent
13 vivre au quotidien."
14 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
15 [Diffusion de la cassette vidéo]
16 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
17 "Il s'agit là d'un pilonnage intensif. Un obus d'artillerie est tombé
18 ici à l'extérieur d'une brasserie, alors que les gens sont allés chercher
19 de l'eau. Dix-huit [comme interprété] ont été tués et d'autres très
20 gravement blessés. Trois morts appartenaient à une même famille; le père,
21 la mère et leur fille."
22 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
23 [Diffusion de la cassette vidéo]
24 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
25 "Le commandement des Nations Unies essayait de rassurer la
26 population, mais ceci ne se fait pas sentir sur les rues, où les gens
27 fuyaient d'un autre tir embusqué. On l'avait demandé combien de temps ceci
28 a-t-il duré. Deux ans et demi, a-t-il répondu."
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1 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
2 [Diffusion de la cassette vidéo]
3 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
4 "Les efforts pour essayer de retrouver une vie normale à Sarajevo
5 sont remis en cause parce que les gens doivent trouver un abri dans les
6 caves, comme ce matin un obus qui est tombé près de personnes qui se
7 rendaient à l'hôtel Holiday Inn. Il s'agit d'explosions qui empêchent les
8 gens d'aller à leur travail ici. Cinq personnes ont été blessées, il y a eu
9 des tirs embusqués autour de la ville, ce matin."
10 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
11 M. TIEGER : [interprétation] Il s'agit là simplement d'une illustration de
12 cette campagne contre les civils de Sarajevo.
13 Malgré le fait qu'il savait que ses troupes prenaient pour cible les
14 civils, malgré les protestations fréquentes du personnel militaire
15 international et des diplomates, malgré les condamnations répétées de la
16 part de la communauté internationale et des médias du monde entier,
17 Karadzic, à part quelques réductions sporadiques pour se procurer un
18 avantage momentané, n'a pris aucune mesure pour empêcher la poursuite du
19 pilonnage et des tirs embusqués contre les civils, et n'a pris aucune
20 mesure pour punir les responsables. Loin d'empêcher les crimes qui étaient
21 commis par le SRK contre la population civile de Sarajevo ou de punir ou de
22 renvoyer les membres hauts placés du Corps de Sarajevo-Romanija, qui
23 étaient responsables de ces crimes, l'accusé les a en fait promus. Le 16
24 décembre 1992, l'accusé a, "à titre exceptionnel promu le commandant du
25 SRK, Stanislav Galic, au rang de général de division."
26 Le 24 mars 1994, l'accusé a promu à titre exceptionnel, Dragomir Milosevic,
27 alors commandant adjoint du SRK, au grade de commandant. Le 7 août 1994, il
28 a accordé une promotion anticipée au commandant à la retraite du SRK
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1 Stanislav Galic, le grade de lieutenant-général. Le 28 juin 1994, l'accusé,
2 à titre exceptionnel a promu Ratko Mladic au grade de général de corps
3 d'armée.
4 Madame, Messieurs les Juges, en tant que commandant suprême des forces
5 armées, en particulier dans ce cas, le Corps de Sarajevo-Romanija, Radovan
6 Karadzic a mené une campagne de pilonnage et de tirs embusqués qui a touché
7 des civils et des biens civils sur l'ensemble de Sarajevo, jour après jour,
8 pendant 44 mois. Ce pilonnage, qui avait pris pour cible des civils, était
9 indiscriminé et disproportionné, et la prise pour cible des civils par des
10 tireurs embusqués n'avait pas d'objectif militaire. Cette attaque contre
11 des civils déjà vulnérables en but à la privation, à l'isolement avait pour
12 but de les terroriser, et intention qui était de plus en plus manifeste au
13 fil des jours. L'ampleur, la durée, la cohérence, et le type de pilonnages
14 et de tirs embusqués, à eux seuls, montrent que le pilonnage et les tirs
15 embusqués étaient le résultat d'une structure de commandement et de
16 contrôle serrée, dirigée par Radovan Karadzic. Les ordres donnés, la façon
17 dont l'accusé a modulé la campagne de façon opportuniste, la défense de sa
18 campagne et de Karadzic lorsqu'il a été confronté à sa condamnation, nous
19 permet de conclure que pendant 44 mois Karadzic a mené une campagne de
20 terreur contre la population civile qui avait été prise pour cible parce
21 qu'elle vivait dans une capitale multiethnique qu'il vouait à la séparation
22 ethnique.
23 Madame, Monsieur les Juges, je souhaite maintenant aborder le chef numéro
24 11, la prise d'otages en mai 1995, en juin 1995, qui révèle, de surcroît,
25 que l'accusé ne respectait pas la loi lorsqu'il poursuivait les intérêts
26 serbes.
27 Comme le pilonnage et les tirs embusqués se sont poursuivis, une communauté
28 internationale de plus en plus inquiète a tenté de déployer des efforts
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1 pour prévenir ces attaques contre les civils. Le 24 mai 1995, les forces
2 serbes de Bosnie ont enlevé des armes qui se trouvaient dans des points de
3 rassemblement à Sarajevo, et malgré la demande faite par le commandant de
4 la FORPRONU de les rendre, ceci n'a pas été fait. Et ce commandant était
5 inquiet parce qu'il pensait que ces armes seraient encore utilisées contre
6 la population de Sarajevo. Comme je l'ai indiqué, ces armes n'ont pas été
7 rendues, et le 25 mai, l'OTAN a mené une frappe aérienne sur une casemate
8 sur un dépôt de munitions à l'extérieur de Pale. Le lendemain, les forces
9 serbes de Bosnie ont commencé à prendre pour otage les observateurs
10 militaires des Nations Unies dans différents endroits.
11 Comme les Juges de la Chambre le savent peut-être, les observateurs
12 militaires des Nations Unies étaient des observateurs non armés des
13 factions belligérantes qui étaient responsables de la liaison entre les
14 parties belligérantes ainsi qu'entre les parties et la FORPRONU. A terme,
15 plus de 200 observateurs militaires des Nations Unies et soldats du
16 maintien de la paix de la FORPRONU, hommes de différents pays, ont été
17 emmenés et pris pour otage entre le 26 mai et le 19 juin. Quelques otages
18 ont été menottés, attachés à des mâts, d'autres à des balises de radars ou
19 à des paratonnerres. D'autres ont été contraints de rester entre des
20 antennes de radars. Certains ont fait l'objet d'exactions. Certaines forces
21 de Bosnie ont également pilonné les zones de sécurité ici. Une poignée
22 d'hommes qui ont été pris pour otage, et comme vous pouvez voir, qui ont
23 servi de boucliers humains.
24 De surcroît, les forces serbes de Bosnie ont également pilonné toutes les
25 zones de sécurité le 26 mai, y compris Tuzla où 61 [comme interprété]
26 personnes ont été tuées sur la place du marché.
27 Madame, Messieurs les Juges, l'accusé avait déjà dit très clairement qu'il
28 était prêt à se servir du personnel des Nations Unies en tant qu'arme pour
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1 faire pression sur la communauté internationale. Interrogé en 1994 quant à
2 la possibilité pour le Président Clinton de lever l'embargo sur les armes
3 et de distribuer des armes aux Musulmans, il dit, entre autres, je cite :
4 "Nous prendrions les 'Casques bleus' pour otages … pour le bien de notre
5 peuple, nous sommes prêts à faire tout ce qu'il faut faire, sans la moindre
6 pitié."
7 En effet, en avril et novembre 1994, des membres des Nations Unies avaient
8 été pris en otage pour réagir à des frappes aériennes de l'OTAN. Et dans
9 les semaines qui ont précédé immédiatement la prise d'otages en mai 1995,
10 l'accusé a affirmé une nouvelle fois sa menace de faire des otages.
11 D'abord, durant une réunion avec le commandant Smith de la FORPRONU, le 10
12 mai, Karadzic a dit clairement qu'en cas d'attaque de l'OTAN, les Nations
13 Unies seraient traitées comme un ennemi, "Nous vous traiterons comme un
14 ennemi." Et puis, quelques jours avant le début des prises d'otages,
15 Karadzic a renouvelé cette menace en déclarant, je cite :
16 "Si l'OTAN devait nous attaquer, ils seront pris en otage. S'ils
17 attaquent, ils deviendront notre ennemi … si l'OTAN nous attaque, nous
18 considérerons les Nations Unies comme notre ennemi."
19 Mais encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, entendons ce qu'a dit
20 l'accusé au sujet de ce qui s'est passé et des raisons de ces événements.
21 Il a expliqué cela devant l'assemblée serbe de Bosnie, les 14 et 15 juin
22 1995. Ceci montre bien sa détermination à dramatiser la situation en
23 ordonnant le retrait des armes, puis la prise d'otages, je cite :
24 "Il me faut dire que nous avons décidé d'opter pour une aggravation de la
25 situation, et le commandement suprême ainsi que ma personne, en tant que
26 commandant de concert avec l'état-major principal, avons décidé que pour
27 nous, ce qu'il y avait de pire, c'était une guerre de faible intensité, de
28 longue durée, et cetera, et qu'il nous faut raviver la situation, prendre
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1 ce que nous pouvons prendre, créer un climat enflammé et dramatiser les
2 choses en menaçant de procéder à une escalade, parce que nous avons
3 remarqué que chaque fois que nous faisons un mouvement vers Gorazde, Bihac
4 ou une autre localité, ou chaque fois qu'il y a escalade dans les environs
5 de Sarajevo, les internationaux arrivent et l'activité diplomatique
6 s'accélèrent. Nous l'avons fait dans les environs de Sarajevo, nous nous
7 sommes emparés de ces pièces d'artillerie au nombre de quatre, peut-être
8 n'avaient-elles pas une importance cruciale, mais le résultat, c'est le
9 bombardement bien connu qui a malheureusement causé pour nous des dégâts
10 matériels parce que nous n'avions pas dispersé ces armes."
11 Et il poursuit en disant, je cite :
12 "Nous avons ordonné l'arrestation. Nous ne sommes pas entrés dans le détail
13 quant au moment où ces hommes seraient ligotés, mais ceci a eu un effet
14 positif. Cela a choqué le monde entier. Maintenant, c'est facile lorsqu'ils
15 nous demandent si c'était bien de faire ce que nous avons fait, nous leur
16 demandons s'il est bien de bombarder les arrières serbes et de terroriser
17 nos enfants et nos vieillards pour les forces à fuir, et à ce moment-là ils
18 n'ont rien à répondre. Donc, on ne répond pas à la question. On pose une
19 nouvelle question, et ils n'ont plus rien à dire. Comme vous le savez, ceci
20 a conduit à une intensification horrible. Il y a eu des condamnations, même
21 depuis la Yougoslavie. Cela leur a montré que si vous, Messieurs, prenez
22 des mesures draconiennes, nous prendrons des mesures draconiennes. Voilà.
23 Aucune mère ne veut voir son fils ligoté de cette façon, et un avion a même
24 été abattu; Dieu nous est venu en aide cette fois-ci."
25 De même, interrogé par un journaliste quant au fait de savoir si ce n'était
26 pas une erreur terrible "d'avoir autorisé votre population à capturer des
27 soldats des Nations Unies pour que le monde entier voit ces hommes
28 enchaînés et voient des hommes tenant des fusils avec lesquels ils les
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1 visaient à la tête, c'est terrible. Est-ce que ce n'était pas une erreur
2 terrible ?"
3 Karadzic répond, je cite :
4 "Un geste draconien en provoque un autre … il nous fallait faire
5 quelque chose de draconien, voyez-vous, pour empêcher de nouvelles frappes
6 et pour montrer à la communauté internationale que nous sommes coincés et
7 que toute personne coincée et prête, comme nous le sommes, à se défendre
8 par tous les moyens."
9 Ou encore comme Krajisnik le dit très simplement durant la même
10 séance alors qui est discuté la demande de la FORPRONU de création d'une
11 base dans la municipalité d'Ilijas et l'avantage possible que cela
12 donnerait aux Bosno-Serbes, je cite :
13 "Pour dire la vérité, nous éprouvons parfois la nécessité de capturer
14 des otages."
15 A présent, Madame, Messieurs les Juges, je vais aborder la troisième
16 partie importante du procès intenté à Radovan Karadzic, à savoir sa
17 responsabilité pour l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire de
18 l'humanité, les crimes commis en vue d'éliminer les Musulmans de Bosnie de
19 Srebrenica. Comme je le dirais, Radovan Karadzic a ordonné cette opération
20 destinée à s'emparer de Srebrenica. C'était le point culminant des efforts
21 déployés par lui pour nettoyer la Bosnie orientale. Il a été informé du
22 progrès de cette opération par des sources très diverses au nombre desquels
23 on trouve Mladic, des rapports de la VRS, des rapports de la sécurité
24 d'Etat. Il avait des communications directes avec Mladic, il a maintenu des
25 communications directes avec les commissaires civiles triées sur le volet.
26 Il savait que la population était déplacée. Au moment où les déplacements
27 se passaient, il a ordonné que les hommes soient enlevés du secteur où il y
28 avait un risque, de façon à ce que la communauté internationale en soit
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1 témoin. Il savait que des hommes étaient tués. Il a couvert les expulsions
2 massives et les meurtres, et continue à le faire jusqu'à ce jour. Le seul
3 regret qu'il a éprouvé au sujet de cette opération a consisté à dire que
4 certains Musulmans hommes ne s'en étaient pas tirés.
5 Voyons maintenant les éléments de preuve.
6 Srebrenica était à l'époque simplement le nom d'une petite ville et
7 d'une municipalité dans l'est de la Bosnie. En 1991, juste avant la guerre,
8 la municipalité de Srebrenica avait une population de 37 000 habitants,
9 dont 73 % environ étaient Musulmans. Srebrenica était connu dans la région
10 pour son industrie minière et ses eaux thermales, mais était très peu connu
11 en dehors de l'ex-Yougoslavie. En juillet 1995, Srebrenica est devenue
12 synonyme d'infamie pour le monde entier. En quelques jours à peine, toute
13 la population musulmane de Srebrenica a été déplacée de force hors de
14 l'enclave de Srebrenica, et plus de 7 000 hommes musulmans et jeunes gens
15 musulmans ont été assassinés à l'issue d'une opération massive à laquelle
16 ont participé des membres de la VRS, le MUP, et les pouvoirs civils.
17 En quelques semaines, des preuves des exécutions massives ont commencé à
18 apparaître, notamment des photographies aériennes qui montrent des zones où
19 la terre avait été déplacée dans des lieux où l'on pensait que s'étaient
20 produites des exécutions. Vous voyez ici des images du secteur d'Orahovac.
21 En réaction à cela, en septembre et octobre 1995, des éléments de la VRS,
22 du MUP, ainsi que du pouvoir civil, ont procédé à une opération clandestine
23 massive destinée à exhumer les fosses communes de la région de Zvornik et
24 de Bratunac pour déménager les cadavres, des hommes musulmans assassinés,
25 vers des fosses secondaires éloignées de tout, et ce, afin de dissimuler ou
26 de tenter de dissimuler ces crimes.
27 Vous voyez ici des images des fosses primaires et des fosses
28 secondaires. A la simple vue de ces images, vous êtes en mesure de
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1 déterminer l'importance numérique de cette opération.
2 Madame, Messieurs les Juges, plus de 7 500 personnes ont été portées
3 disparues après la chute de Srebrenica. Au jour d'aujourd'hui, plus de 5
4 000 de ces personnes ont été exhumées des fosses communes et identifiées
5 grâce à des analyses ADN. Comme je l'ai déjà dit il y a quelques instants,
6 et comme cela a été évoqué il y a quelques jours, le meurtre de ces hommes
7 et les expulsions massives dont ont été victimes les femmes, les enfants et
8 les personnes âgées, ne sont pas tombés du ciel. Ces crimes ont constitué
9 le point culminant de la volonté manifestée par l'accusé de nettoyer la
10 Bosnie orientale afin de créer l'Etat serbe qu'il envisageait. J'ai déjà
11 parlé de l'adoption et de la mise en œuvre des objectifs stratégiques, qui
12 a commencé en mai 1992. J'ai parlé aussi de l'officialisation de ces
13 objectifs, alors que leur application avait déjà commencé au moment dont
14 nous parlons, au moment du nettoyage des Musulmans de la Bosnie orientale.
15 Vous voyez ici une carte de la mise en œuvre des objectifs
16 stratégiques, et notamment de l'objectif stratégique numéro 1 et de
17 l'objectif stratégique numéro 3, qui consistait à supprimer la Drina en
18 tant que frontière séparant plusieurs Etats serbes. Vous vous rappellerez
19 ce qu'a dit l'accusé le 12 mai 1992 au sujet de ces objectifs stratégiques,
20 et vous vous rappellerez que l'autre jour nous avons évoqué les actions que
21 la VRS et les forces du MUP ont mené de concert dans le but d'appliquer ces
22 objectifs stratégiques. Alors que la plus grosse partie de la Bosnie
23 orientale était conquise et nettoyée à la fin de 1992, il restait encore
24 quelques secteurs que les forces bosno-serbes n'étaient pas parvenues à
25 conquérir, je veux parler de Cerska, Konjevic Polje, Gorazde, Zepa, et
26 Srebrenica en particulier. Vous voyez Srebrenica sur les images que je vous
27 montre en cet instant. Vous voyez également les enclaves de Zepa et de
28 Gorazde juste en dessous, et en rouge vous voyez cette forme de fer à
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1 cheval qui est l'illustration des zones sous le contrôle des Serbes de
2 Bosnie, et vous constatez que la Bosnie orientale dans les zones qui ne
3 sont pas en rouge était désormais nettoyée.
4 Le 19 novembre 1992, Karadzic par le biais de Mladic et de l'état-major
5 principal de la VRS émettait la directive numéro 4. Comme vous le savez,
6 Madame, Messieurs les Juges, une directive est un document du haut
7 commandement, qui évoque les questions générales relatives à la préparation
8 et à l'exécution des opérations militaires sur une durée assez longue, en
9 définissant les objectifs de cette opération et les missions à mener à
10 bien. S'agissant de la Bosnie orientale, la directive numéro 4 ordonnait au
11 Corps de la Drina de nettoyer de sa population musulmane les zones de
12 Birac, Zepa et Gorazde. La zone de Birac, c'est la zone qui recouvre
13 Bratunac, Vlasenica, Zvornik, Srebrenica et Cerska. J'aimerais maintenant
14 appeler l'attention de la Chambre sur ce document, la directive numéro 4,
15 qui définit les missions confiées au Corps de la Drina comme étant ce qui
16 suit, je cite :
17 "Il lui faudra épuiser l'ennemi, lui infliger les plus lourdes pertes
18 possibles et le contraindre à quitter les zones de Birac, Zepa et Gorazde
19 en même temps que la population musulmane."
20 Cet ordre de nettoyage était signé par le général Mladic, et a été émis
21 avec l'accord complet de Karadzic et son soutien plein et entier. Comment
22 le savons-nous ? D'abord, adressons-nous à Karadzic lui-même encore une
23 fois, car il reconnaît qu'il savait et approuvait les sept premières
24 directives. C'est ce qu'il déclare en octobre 1995, je cite :
25 "…j'ai examiné, approuvé et signé sept directives. Personne ne m'a soumis
26 les directives huit et neuf."
27 Madame, Messieurs les Juges, comme vous le savez, ceci est exact sur le
28 fond mais pas dans le détail. La plupart des directives ne semblent pas
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1 avoir été signées par Karadzic. Ceci, Mladic le fait remarquer en avril
2 1995, lorsqu'il confirme également que Karadzic connaissait ces directives
3 et les approuvait. Voici ce que dit Mladic, je cite :
4 "Certaines de ces décisions vous ont simplement été présentées, Monsieur le
5 Président. Pour d'autres, vous avez participé à leur application en tant
6 que membre du commandement Suprême. Pour d'autres encore de ces directives,
7 vous les avez signées mais vous ne les avez pas toutes singées, c'est vrai.
8 Tant que nous n'étions pas encore bien installés, que nous n'avions pas
9 bien trouvé nos marques, c'est moi qui avais l'habitude de les signer."
10 Mais au-delà de la reconnaissance explicite que ceci démontre quant à la
11 responsabilité de Karadzic vis-à-vis de cette directive, et au-delà de la
12 confirmation de Mladic, de la responsabilité que Karadzic assumait par
13 rapport à cette directive, les preuves révèlent également l'intérêt massif
14 et actif manifesté par Karadzic vis-à-vis de l'application de la directive
15 numéro 4. Le 20 novembre 1992, le lendemain de la parution de la directive
16 numéro 4, Mladic, à la demande expresse de Karadzic, émet un ordre destiné
17 au Corps de la Drina et lui ordonnant d'organiser un séminaire politico-
18 militaire trois jours plus tard. Je cite :
19 "Suite à la demande du commandement Suprême de l'armée de la Republika
20 Srpska (président de la présidence, M. Radovan Karadzic) et en vue de
21 procéder en temps utile à la préparation et à la tenue d'un séminaire
22 militaro-politique au niveau du Corps de la Drina, j'ordonne ce qui suit…"
23 L'ordre indiquait que Karadzic devait présider ce séminaire durant lequel
24 "les missions affectées aux corps d'armée dans les jours qui viennent"
25 seraient discutées. Par ailleurs, en dehors du fait de présider cette
26 réunion, l'ordre du jour prévu pour la réunion indiquait que Karadzic
27 prononcerait le discours d'ouverture et le discours de clôture et
28 distribuerait les "missions assignées au Corps de la Drina pour la suite
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1 des opérations ainsi que les missions relatives au gouvernement civil."
2 Durant ce séminaire qui s'est tenu trois jours plus tard, le 23 novembre
3 1992, le commandant du Corps de la Drina, le colonel Milenko Zivanovic a
4 parlé des missions à venir du Corps de la Drina. Il a, en particulier,
5 évoqué les missions confiées aux corps d'armée dans les secteurs de
6 Srebrenica, Zepa, Gorazde et Cerska, qui sont précisément les zones
7 énumérées dans la directive numéro 4 dont la population devait être
8 expulsée. Le lendemain de cette réunion à laquelle le commandant suprême,
9 M. Karadzic, assistait, dans le but de prononcer les discours que je viens
10 d'évoquer et de distribuer les missions à venir au Corps de la Drina, le
11 commandant du Corps de la Drina, Zivanovic, émet l'ordre suivant adressé au
12 Corps de la Drina, en application de la direction 4, je cite :
13 "Lancer une attaque grâce au gros des troupes et aux équipements lourds
14 afin d'affliger à l'ennemi les pertes les plus lourdes possibles, épuiser
15 l'ennemi, le briser ou le contraindre à se rendre, et forcer la population
16 musulmane locale à abandonner le secteur de Cerska, Zepa, Srebrenica et
17 Gorazde."
18 Au-delà de cette déclaration d'intention très claire quant à la volonté de
19 nettoyer ce qui restait de la population musulmane dans ce secteur, cet
20 ordre démontre également quel était l'objectif plus générale de l'opération
21 militaire en question, et ceci devient très clair lorsqu'il est question
22 des préparatifs nécessaires au niveau moral et psychologique. Je cite :
23 "Sur le plan des préparations morales et psychologiques, avant de lancer la
24 moindre opération, informer les membres des unités quant à l'importance de
25 l'objectif poursuivi dans cette opération et souligner que le résultat
26 d'action mineure et de toute l'opération est d'une importance cruciale pour
27 la réalisation de l'objectif du peuple serbe, à savoir la création et le
28 maintien d'un Etat serbe dans ces régions."
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1 Ainsi, au-delà du fait que ceci montre que Karadzic approuvait et
2 connaissait les objectifs de la directive numéro 4, et d'autres directives
3 également, sa participation à fond à la diffusion de cette directive montre
4 clairement que sa responsabilité était engagée.
5 Au début de 1993 déjà, en vertu de la directive numéro 4 et de
6 l'ordre du Corps de la Drina que nous venons de voir, nous constatons que
7 la VRS a mené toute une série d'opérations militaires violentes et
8 destructrices dans toute la zone de Kamenica, Cerska, et Konjevic Polje
9 dans la Bosnie orientale.
10 Cette campagne, cette campagne militaire, s'est caractérisée par l'incendie
11 de maisons musulmanes et par le pilonnage le plus aléatoire qui soit des
12 civils musulmans. Il y a eu pour résultat le transfert de force de dizaine
13 de milliers de Musulmans hors de leurs domiciles, dans les municipalités
14 telles que Bratunac, Vlasenica et Zvornik, vers des territoires tenus par
15 les Musulmans dans Srebrenica et Zepa et dans leurs environs.
16 J'aimerais maintenant vous montrer quelques documents qui illustrent la
17 véritable nature de cette campagne. Le premier document date du 8 février
18 1993. C'est une écoute d'une conversation téléphonique entre le commandant
19 du Corps de la Drina et un de ses subordonnés. Quand je dis commandant du
20 Corps de la Drina, je parle de Zivanovic, qui dit ce qui suit, je cite :
21 "Tenez fermement les positions … est-ce que les maisons des Turcs sont en
22 feu ?"
23 Son interlocuteur répond :
24 "Elles brûlent, elles brûlent.
25 "Zivanovic : Continuez, il en faut le plus possible."
26 Puis maintenant j'aimerais appeler votre attention sur un rapport de combat
27 de la Brigade de Birac, adressé au commandant du Corps de la Drina en date
28 du 2 mars 1993. Je cite :
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1 "Nos forces qui se déplacent dans le secteur général de Kamenica, Gajici,
2 et Grobici ont appliqué le plan sans grands problèmes. Le village de
3 Gobelji a été incendié, et demain, d'après le plan, il est prévu de faire
4 Paljevine."
5 Ce rapport de combat adressé au commandement du Corps de la Drina émane
6 cette fois-ci du lieutenant-colonel Svetozar Andric, qui, lorsqu'il était
7 commandant le 28 mai 1992, avait émis l'ordre que vous avez déjà eu sous
8 les yeux, à savoir celui qui permettait l'organisation et la coordination
9 entre plusieurs municipalités des déplacements de population. Dans cet
10 ordre, il était spécifiquement indiqué que seuls les femmes et les enfants
11 seraient autorisés à quitter les municipalités, alors que les hommes aptes
12 au combat devaient être placés dans des camps pour servir de monnaie
13 d'échange. Donc ça, c'est ce que vous avez vu dans l'ordre que je vous ai
14 montré l'autre jour.
15 Madame, Messieurs les Juges, alors que les nettoyages se poursuivaient en
16 1994 [comme interprété], la communauté internationale a de plus en plus
17 manifesté son inquiétude. Un rapport du 5 mai 1993, émanant du rapporteur
18 extraordinaire des Nations Unies de la Commission des droits humains, rend
19 compte des observations de la communauté internationale et de ce qu'elle
20 savait. Je cite :
21 "Des violations massives et répétées des conventions de Genève de 1949 ont
22 été commises lors des récents combats en Bosnie orientale et dans
23 l'Herzégovine. Ce sont les forces serbes de Cerska, Konjevic Pole et
24 Srebrenica qui ont commis ces violations lors des attaques qui leur sont
25 dues et des embuscades qu'ils ont tendu à des civils tentant de fuir
26 l'encerclement, et pendant les attaques dont les villages ont été victimes
27 également…"
28 Pendant toute cette période, la communauté internationale est devenue de
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1 plus en plus inquiète vis-à-vis de la catastrophe humanitaire qui se
2 déroulait dans Srebrenica alors que des dizaines de milliers de Musulmans
3 qui avaient été déplacés de force hors de leurs domiciles en Bosnie
4 orientale convergeaient sur cette ville. La population de la ville avait
5 enflé pour atteindre 50 000 à 60 000 habitants. Les images vidéo que je
6 vous montre maintenant vous donneront une idée du sort terrible qu'a vécu
7 cette population, victime des nettoyages, qui avaient trouvé refuge à
8 Srebrenica.
9 [Diffusion de la cassette vidéo]
10 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
11 "Mon premier souvenir en arrivant dans un village non loin de
12 Srebrenica, c'est que les lieux étaient envahis par des centaines et des
13 centaines de personnes. J'ai pensé que j'étais au milieu d'un film et je
14 m'attendais à entendre quelqu'un dire : 'Coupez.' Toutes ces personnes
15 avaient des visages hantés et émaciés, sans la moindre expression. C'était
16 un peu comme si la vie les avait quittés, voyez-vous, comme un ressac de la
17 vie. Les autorités ne semblaient manifester aucun souci vis-à-vis de ces
18 nouveaux arrivants. Personne ne s'occupait des réfugiés. Ils étaient
19 laissés pendant des jours et des jours dans les rues. Personne ne
20 s'occupait d'eux. Lorsqu'ils sont arrivés, voyez-vous, nous avons suivi une
21 famille et nous avons vu ce qui lui arrivait pendant 17 heures."
22 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
23 M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, suite à
24 l'intervention directe du représentant de la FORPRONU, le général Philippe
25 Morillon, qui s'est rendu lui-même à Srebrenica en mars 1993 et a été ému
26 par cette catastrophe humanitaire qu'il avait sous les yeux jusqu'à faire
27 ce geste bien connu pour rassurer la population en lui disant qu'il ne les
28 abandonnerait pas, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la
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1 Résolution 819 le 16 avril 1993, qui exigeait que la zone de Srebrenica
2 soit considérée comme une "zone protégée."
3 Cette Résolution 819 du Conseil de sécurité des Nations Unies condamnait
4 les actions des Bosna-Serbes jusqu'à ce moment-là, et elle se lit comme
5 suit, je cite :
6 "Le Conseil de sécurité condamne et rejette les actions délibérées de la
7 part des Serbes de Bosnie en vue de contraindre à l'évacuation de la
8 population civile de Srebrenica et des zones environnantes comme faisant
9 partie d'une campagne abominable de 'nettoyage ethnique'."
10 Deux jours plus tard, un accord de cessez-le-feu était signé entre le
11 général Halilovic de l'ABiH et le général Mladic de l'armée des Serbes de
12 Bosnie, accord qui prévoyait que Srebrenica serait démilitarisée. Et moins
13 d'un mois plus tard, le 6 mai 1993, le Conseil de sécurité des Nations
14 Unies votait la Résolution 824, qui confirmait le statut de Srebrenica en
15 tant que zone de sécurité et déclarait que Sarajevo, Tuzla, Zepa, Gorazde
16 et Bihac seraient également traitées comme des zones protégées. Ces zones
17 de sécurité, surtout les zones de sécurité de Srebrenica, Zepa et Gorazde
18 en Bosnie orientale, ont donné à la population musulmane un certain degré
19 de protection par rapport aux forces bosna-serbes et ont retardé
20 temporairement la réalisation des objectifs poursuivis par les Serbes de
21 Bosnie, plus exactement en ce qui concerne les objectifs stratégiques 1 et
22 3 et ceux de la directive numéro 4.
23 Cependant, les Serbes de Bosnie, tout comme les Musulmans de Bosnie, ont
24 violé cet accord portant sur les zones de sécurité, il faut le savoir. Les
25 forces musulmanes présentes dans ces enclaves, souvent sont désespérées, et
26 par la suite mieux équipées, mieux formées, mieux entraînées, avaient lancé
27 des attaques sur les forces serbes, mais aussi sur des villages serbes,
28 avaient tué des civils serbes, détruisant leurs biens également. Et même
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1 après l'accord sur les zones de sécurité, l'enclave de Srebrenica n'a
2 jamais été totalement démilitarisée. Les forces musulmanes n'ont fait que
3 rendre des armes vieilles et défectueuses, alors qu'elles conservaient des
4 armes en bon état de marche. De plus, des hélicoptères des Musulmans de
5 Bosnie ont survolé l'enclave en violation de l'accord de non survol et ont
6 fourni des armes aux enclaves et à l'armée bosno-musulmane. Même après la
7 déclaration de Srebrenica devenant ainsi une zone de sécurité, les attaques
8 se sont poursuivies depuis l'intérieur de l'enclave de Srebrenica contre
9 les zones serbes environnantes.
10 Ceci a intensifié le niveau d'animosité. De la part des Serbes, après
11 l'établissement des zones de sécurité et des condamnations de la part de la
12 communauté internationale que nous avons déjà constatés, il y avait une
13 évolution de ces opérations militaires qu'on découvrait à grande échelle,
14 on passait à quelque chose de plus subtil, on essayait de rendre la vie des
15 Musulmans impossible, à priver les forces des Nations Unies de plus
16 d'efficacité en restreignant les convois de ravitaillement. Et il y avait
17 donc une campagne de pilonnage et de tirs embusqués qui se poursuivait
18 ainsi qu'une restriction de l'aide humanitaire. L'idée, c'était de viser à
19 ce qu'une fois mises en place les conditions propices à l'assaut définitif
20 que pour relancer les Serbes de Bosnie sur les enclaves, la capacité de la
21 FORPRONU à défendre ces enclaves serait réduite et la population musulmane
22 allait fuir devant ce qui la tourmentait. L'objectif ultime qui avait été
23 défini dans la directive numéro 4 demeurait; il fallait faire une percée,
24 prendre le contrôle de ces enclaves et en chasser les Musulmans.
25 Voyez un rapport de juillet 1994 émanant du commandant de la Brigade de
26 Bratunac, adressé aux membres de sa brigade, après une visite du général
27 Mladic, qui définit, de façon expresse, l'objectif qui est d'avoir une
28 Drina propre et comment y parvenir, quelle stratégie adopter à cette fin.
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1 Je cite :
2 "Nous devons réaliser notre but final - une Podrinje totalement serbe.
3 "Nous devons continuer d'armer, de former, de discipliner et de préparer
4 l'armée de la Republika Srpska à l'exécution de cette tâche cruciale -
5 l'expulsion des Musulmans de l'enclave de Srebrenica.
6 "Pas question de battre en retraite devant l'enclave de Srebrenica; il nous
7 faut avancer. La vie de l'ennemi doit être rendue insupportable, il faut
8 qu'il leur soit impossible de rester ne serait-ce que peu de temps dans
9 l'enclave pour qu'ils partent en masse de l'enclave dès que possible, car
10 ils se rendront compte qu'il leur est impossible de survivre dans cette
11 enclave."
12 Et pendant cette même année de 1994, alors qu'on appliquait cette stratégie
13 relativement subtile, avant le dernier assaut de Srebrenica, Karadzic comme
14 Mladic ont continué de dire en termes non équivoques ce qu'il fallait faire
15 aux Musulmans. En juillet 1994, Karadzic, parlant de cet objectif, dit
16 qu'il revenait à faire ce que le gouvernement de Bosnie semblait vouloir le
17 réserver à eux, aux Serbes. Voici ce qu'il a dit, je le cite :
18 "Nous devons être prêts, nous devons accepter et être prêts tous les jours
19 à mener une guerre à la vie, à la mort. C'est ce que veut notre ennemi,
20 jusqu'à ce qu'il soit complètement battu, une défaite complète de leur part
21 ou une défaite complète de notre part et une expulsion de ces territoires.
22 Si notre ennemi gagne, il ne sera pas généreux, il ne sera pas clément, il
23 sera impitoyable et prêt à nous exterminer. Par conséquent," dit-il, "les
24 Serbes de Bosnie doivent," je cite :
25 "Accepter la logique de notre ennemi." Et vous l'avez entendu dans le
26 paragraphe précédent, la logique c'était l'expulsion, l'extinction. Et, je
27 le cite : "Il faut les battre sans merci."
28 Mladic le disait à l'assemblée en janvier 1994, lorsqu'il parlait de
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1 l'ennemi de Srebrenica comme ailleurs, je le cite :
2 "Ce qui m'intéresse, ce n'est pas qu'ils créent un Etat. Ce qui
3 m'intéresse, c'est de les faire disparaître sans laisser de trace."
4 Petit à petit, de façon inexorable, l'enclave de Srebrenica s'était
5 étranglée. Il y avait de moins en moins de convois qui parvenaient à
6 Srebrenica. Et au début de l'année 1995 et le 8 mars 1995, Radovan Karadzic
7 délivrait la directive 7, la signait, afin de régler la question de
8 l'enclave. Cette directive 7 donnait explicitement la stratégie qu'a
9 poursuit par la VRS. Il fallait rendre insupportable la vie des habitants
10 musulmans de Srebrenica et de Zepa au moyen d'opérations militaires et en
11 limitant l'accès des convois d'aide humanitaire et de ravitaillement aux
12 enclaves. Les missions confiées au Corps de la Drina étaient notamment, je
13 cite :
14 "Grâce à des opérations planifiées judicieuses, créer une situation
15 insupportable d'insécurité absolue ne laissant aucun espoir de survie ni de
16 vie aux habitants de Srebrenica et de Zepa."
17 C'est ce que dit la directive numéro 7, délivrée et signée par l'accusé.
18 Cette même directive définit, expose aussi les grandes lignes de la
19 politique de Karadzic pour ce qui est d'empêcher que ne soit livrée à la
20 population musulmane des enclaves l'aide humanitaire, et pour aussi
21 empêcher le ravitaillement des forces de la FORPRONU dans les enclaves
22 orientales tout en évitant le plus possible une condamnation de la part de
23 la communauté internationale. Il s'agissait, et c'est des organes
24 militaires, de faire ceci, je cite :
25 "En réduisant de façon planifiée et discrète le nombre de permis délivrés,
26 restreindre et limiter le soutien logistique qu'apporte la FORPRONU aux
27 enclaves et leur ravitaillement en biens matériels afin qu'ils dépendent de
28 notre bonne volonté tout en évitant d'être en butte à la condamnation de la
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1 communauté internationale et de l'opinion publique internationale."
2 La directive numéro 7, l'ordre donné par Karadzic autrement dit, a été
3 transmise à tous les échelons de la hiérarchie. Le 20 mars 1995, le
4 commandement du corps de la Drina rédige et envoie un ordre aux brigades en
5 application de la directive numéro 7 et y reprend des éléments essentiels
6 de cette directive, mot pour mot, je cite :
7 "Grâce à des opérations de combat planifiées et judicieuses, créer une
8 situation insupportable d'insécurité absolue, ne laissant aucun espoir de
9 survie ni de vie aux habitants de Srebrenica et de Zepa."
10 En application de la directive numéro 7, les ressources déjà maigres
11 qu'avait la population civile musulmane sont encore plus amenuisées,
12 réduites à peau de chagrin. Les forces de la FORPRONU postées dans
13 l'enclave qu'on connaît comme étant le DutchBat, le bataillon néerlandais,
14 commençaient à ressentir cruellement une pénurie, un manque de médicaments,
15 de carburant. La situation devenait tellement critique et difficile que les
16 soldats du DutchBat furent forcés de patrouiller l'enclave à pied. De plus,
17 dans les mois qui ont précédé l'attaque, les unités de la VRS postées
18 autour de Srebrenica ont soumis l'enclave à des actions de pilonnage et de
19 tirs embusqués, notamment pour forcer la population à s'enfuir. Lorsque
20 arrive le milieu de l'année 1995, la situation humanitaire dans l'enclave
21 était tout à fait alarmante. Comme l'avait ordonné et prévu la directive
22 numéro 7, début mai, des attaques planifiées conformément à la directive
23 numéro 7 sont déclenchées, mais on les abandonne très rapidement car il n'y
24 a pas suffisamment de forces disponibles, pas suffisamment d'hommes pour
25 lancer ces attaques.
26 Début juin 1995, le Corps de la Drina attaque et déloge les forces de la
27 FORPRONU d'un point d'observation des Nations Unies en bordure orientale de
28 l'enclave de Srebrenica, s'emparant ainsi d'un point stratégique pour la
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1 défense de la zone et cet endroit allait devenir le point de ravitaillement
2 pour l'attaque finale, l'assaut final sur l'enclave qui allait se dérouler
3 juste un mois plus tard. Fin juin 1995, Radovan Karadzic et Momcilo
4 Krajisnik vont au commandement du Corps de la Drina à Vlasenica où ils
5 rencontrent Radislav Krstic qui est alors commandant adjoint et chef
6 d'état-major du Corps de la Drina pour peaufiner le plan d'attaque de
7 Srebrenica et de Zepa. Karadzic insiste vivement auprès de Krstic sur la
8 nécessité de démarrer cette attaque le plus vite possible. Le 2 juillet, le
9 commandant du corps de la Drina donne un ordre de combat appelé Krivaja 95.
10 L'ordre de Krivaja 95 est donné en application de la directive numéro 7 et
11 ordonne au corps de la Drina d'exécuter des opérations offensives, je cite
12 :
13 "Pour séparer les enclaves de Zepa et de Srebrenica et pour les réduire à
14 leurs parties urbaines.
15 "Pour créer des conditions permettant l'élimination de ces enclaves."
16 Les enclaves étant déjà surpeuplées, les réduire à leurs parties urbaines
17 allait entraîner une aggravation d'une situation humanitaire pourtant déjà
18 catastrophique à la suite des pilonnages et des tirs embusqués et de la
19 restriction de l'aide humanitaire, une politique qui rendait effectivement
20 déjà insupportable la vie des Musulmans dans les enclaves.
21 L'attaque de Srebrenica commence le 6 juillet 1995. Au cours des quelques
22 jours qui vont suivre, l'armée des Serbes de Bosnie pilonne les civils et
23 les cibles civiles dans les enclaves. Vous entendrez un des observateurs
24 militaires des Nations Unies qui vous parlera de l'intensité du pilonnage
25 et de la terreur qu'il a semé dans la population musulmane assiégée. Au
26 cours des jours qui s'ensuivirent, après le 6 juillet 1995, les cinq postes
27 d'observation de la FORPRONU sont tombés l'un après l'autre dans la partie
28 méridionale de l'enclave, devant l'avancée des forces serbes de Bosnie.
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1 Vous allez voir maintenant un des rapports des observateurs militaires des
2 Nations Unies du 7 juillet :
3 "L'armée, l'offensive des Serbes de Bosnie semble s'intensifier de façon
4 systématique et constante. Quels que soient les objectifs poursuivis, ils
5 semblent se concentrer davantage sur des lieux civils dans la ville de
6 Srebrenica et à Potocari. Il y a des victimes civiles et on ne sait pas
7 exactement le degré des dégâts provoqués aux biens civils. L'équipe demande
8 qu'une action, que des mesures soient prises pour mettre fin à ce carnage
9 et à l'endommagement des biens civils dans une zone qui est pourtant
10 déclarée de sécurité."
11 Le 9 juillet 1995, sans véritable résistance de la part de l'ABiH, ni des
12 forces onusiennes à Srebrenica, les chefs de la VRS se rendent compte qu'il
13 est désormais possible de terminer ce qui n'avait pas pu l'être en avril
14 1993, à savoir la prise de contrôle d'un enclave et le déplacement de la
15 population musulmane. Dans le respect de la hiérarchie militaire, la VRS a
16 demandé l'accord du commandant suprême, accord qu'elle reçoit de ce
17 commandant suprême, Radovan Karadzic, pour élargir l'objectif de
18 l'opération Krivaja 95 pour y inclure la prise effective de l'enclave. Je
19 cite ici un ordre de l'état-major principal du 9 juillet :
20 "Le président de la Republika Srpska a été informé du fait que les
21 opérations autour de Srebrenica ont été accomplies avec succès par les
22 unités du corps de la Drina, ce qui a permis à ces unités d'occuper la
23 ville même de Srebrenica."
24 On lit ensuite :
25 "Le président de la République est satisfait des résultats obtenus grâce
26 aux opérations de combat autour de Srebrenica et est d'accord pour que ces
27 opérations se poursuivent afin de prendre la ville de Srebrenica afin que
28 les bandes terroristes musulmanes soient désarmées et pour terminer la
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1 démilitarisation de l'enclave de Srebrenica."
2 Cet ordre, vous allez le voir, Madame et Messieurs les Juges, demande "la
3 protection pleine et entière" de la FORPRONU de la population musulmane et
4 donne aussi l'ordre que les prisonniers de guerre et la population civile
5 soient traités dans le respect des conventions de Genève. C'est quelque
6 chose qui est purement superficiel et c'est profondément cynique, et vous
7 le voyez quand on voit l'objectif de la directive 4 et l'objectif de la
8 directive 7 qui est de nettoyer ces zones de leur population, mais on le
9 voit aussi quand tout ceci se fait sous l'autorité ultime du commandant
10 suprême. C'est conformément à l'ordre donné par Karadzic que s'ordonne la
11 prise de l'enclave et le nettoyage longuement attendu de sa population
12 musulmane, autre objectif de la directive numéro 3, objectif stratégique
13 qui était enfin en route.
14 Srebrenica est tombée dans l'après-midi du 11 juillet 1995. Pendant la
15 conquête de la ville, Karadzic était informé de l'évolution de la situation
16 sur le terrain par le général de la VRS, Gvero, qui lui a rapporté les
17 plaintes formulées par la FORPRONU après que les forces de la FORPRONU
18 eussent été attaqués, et il a dit à Karadzic pour le rassurer :
19 "Tout va comme sur des roulettes, comme on le prévoit, ne t'en fais
20 pas."
21 Peu de temps après, en fin d'après-midi, Gvero rapporte ceci à Karadzic, le
22 drapeau serbe flotte sur l'église serbe de Srebrenica, je le cite :
23 "L'argent serbe, l'église serbe, le drapeau serbe, Président."
24 Dans l'après-midi du 11 juillet, le général Mladic et d'autres officiels de
25 la VRS, dont le commandant du Corps de la Drina Zivanovic et le chef
26 d'état-major du Corps de la Drina, Krstic, parcourent à pied les rues vides
27 de Srebrenica savourant leur victoire. Ces hommes ont à leur côté un
28 caméraman de l'état-major principal de la VRS, qui enregistre, qui filme
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1 ces images, ce tour triomphal, notamment les mots qui donnent froid dans le
2 dos et prescient du général Mladic. Vous allez voir ces images dans un
3 instant. Ces mots sont en fin de séquence.
4 [Diffusion de la cassette vidéo]
5 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
6 "Nos hommes sont devant."
7 "Oui, oui."
8 "Oui, ils nettoient la ville."
9 "On aurait pu entrer en voiture aussi."
10 "Très bien, très bien. Je sais que c'est possible. Qu'ils me suivent
11 lentement."
12 "Allez, allez, Zile. Allez, Zile. Krstic, oui. Allez. Allez, Krle."
13 "Filme leur drapeau là-bas. Baissez le drapeau. Descendez-le. Mettez-
14 le par terre."
15 "Nous voici ici, le 11 juillet 1995 dans une Srebrenica serbe. A la
16 veille d'une grande fête religieuse serbe, c'est un cadeau que nous faisons
17 à notre peuple serbe. Et après tout -- finalement après la rébellion contre
18 les Dahis, le moment est venu de se venger des Turcs dans cette région."
19 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
20 M. TIEGER : [interprétation] Le temps est venu de se venger des Turcs
21 dans la région. Rappelez-vous ce qu'il est advenu des hommes de Srebrenica.
22 Vous allez comprendre en voyant le sort réservé à deux groupes. Alors que
23 la chute de Srebrenica n'était plus qu'une question de minutes, un groupe
24 d'environ 15 000 Musulmans, hommes et adolescents et quelques femmes et
25 quelques enfants, se sont rassemblés au village de Susnjari, environ 7
26 kilomètres au nord-ouest de Srebrenica. Ces hommes avaient peur de ce qui
27 leur arriverait s'ils se rendaient ou étaient capturés par les forces
28 serbes de Bosnie et ils ont commencé à prendre la fuite en formant une
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1 grande colonne, une longue colonne, pour passer à travers les bois pour
2 aller vers Tuzla. Il y avait un tiers des hommes qui étaient armés. Le
3 reste, c'était des soldats sans armes et des civils. J'y reviendrai dans
4 quelques instants.
5 Il y avait un deuxième groupe de Musulmans composé de milliers de
6 femmes, d'enfants et de personnes âgées, accompagné d'un groupe de 1 000 à
7 2 000 hommes en âge de combattre qui ont aussi pris la fuite et se sont
8 dirigés vers la base de la FORPRONU à Potocari, environ 4 kilomètres au
9 nord de Srebrenica, pour y chercher la protection de la FORPRONU. Je peux
10 vous montrer rapidement une carte qui va vous montrer cette zone et
11 l'endroit où se trouve Potocari par rapport à Srebrenica. Vous le voyez ici
12 -- après Bratunac et Srebrenica. Regardez vers la gauche, les 15 000 hommes
13 qui formaient cette colonne se dirigeaient par là, prenaient la fuite vers
14 Kravica, Sandici. Voyez cette route. Je vous parlerai de ce lieu plus tard.
15 C'est là que ces hommes finirent par être capturés ou ils se rendirent.
16 Lorsque le soir tombe le 11 juillet, quelque 20 000 ou 25 000
17 Musulmans se sont rassemblés au QG de la FORPRONU à Potocari, autour de
18 cette base. Ces gens sont épuisés, manquent cruellement de nourriture,
19 d'eau, de soins médicaux élémentaires, sans parler de toilettes. Le plan
20 qui consistait à "réduire les enclaves à la partie urbaine" avait réalisé
21 l'objectif recherché. Ces gens étaient terrifiés, épuisés et avaient perdu
22 tout espoir de survie ou de vie à Srebrenica.
23 Le jour où Srebrenica est tombée, Radovan Karadzic a vite pris des mesures
24 pour consolider la victoire des Serbes de Bosnie. Le 11 juillet, il nomme
25 officiellement Miroslav Deronjic, qui était président du SDS de Bratunac et
26 un des nettoyeurs ethniques fidèles qui avaient fait ses preuves,
27 commissaire civil de ce qui allait devenir la nouvelle municipalité serbe
28 de Srebrenica et donne aussi l'ordre au chef du QG de la police régionale
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1 de créer un poste de police à Srebrenica et de travailler avec Deronjic.
2 Après la chute de Srebrenica, le soir du 11 juillet et dans la
3 matinée du 12, Mladic a tenu trois réunions à l'hôtel Fontana de Bratunac
4 pour discuter du sort de l'enclave de Srebrenica. Il a d'abord rencontré le
5 DutchBat. Les deuxième et troisième réunions se sont tenues avec le
6 DutchBat et des représentants des Musulmans. Vous allez voir pendant ce
7 procès des séquences de ces trois réunions. Mais voyons une séquence de la
8 deuxième réunion qui s'est tenue dans la soirée du 11 juillet, réunion à
9 laquelle assistait Nesib Mandzic, représentant des Musulmans. Voici ce que
10 dit Mladic et ce qu'il dit se passe de commentaire :
11 [Diffusion de la cassette vidéo]
12 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
13 "Les Musulmans vont survivre, rester ou disparaître. Pour rendre une
14 décision d'homme et de commandant," dit-il, "je dois dire clairement aux
15 représentants de votre peuple que c'est à vous de décider, à vous de voir
16 si vous voulez survivre, rester ou disparaître. Je suis prêt à recevoir
17 ici, demain, à 10 heures du matin, une délégation de responsables des
18 Musulmans avec qui je peux discuter de la survie, du salut de votre peuple
19 qui peut partir de l'enclave, de l'ancienne enclave de Srebrenica. Je vais
20 donner l'ordre de cesser les opérations jusqu'à demain matin, 10 heures. Si
21 vos combattants déposent les armes, nous les traiterons dans le plein
22 respect des conventions internationales, et nous garantissons à chacun
23 qu'il vivra, même s'il a commis un crime contre notre peuple. Est-ce que
24 j'ai été clair ? Nesib, l'avenir de votre peuple est entre vos mains, pas
25 seulement sur ce territoire-ci. J'en ai terminé. Vous pouvez disposer.
26 Accompagnez-les."
27 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
28 M. TIEGER : [interprétation] Mladic répétera cet ultimatum lors de la
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1 troisième réunion, le lendemain matin. A ce moment-là, l'armée des Serbes
2 de Bosnie avait reçu des renseignements à propos de cette colonne musulmane
3 qui essayait de sortir de l'enclave, je vous en ai parlé. Au cours de cette
4 troisième réunion, il a aussi annoncé, dans une partie qui n'a pas été
5 filmée ou dont la séquence a ensuite été supprimée, que tous les hommes de
6 16 à 60 ans seraient séparés pour vérifier s'ils avaient commis des crimes
7 de guerre. Je vous le dirai dans un instant, il n'y a pas eu de sélection
8 de vérification quelle qu'elle soit. On ne voulait pas en faire d'ailleurs.
9 Des hommes qui furent séparés, il y avait parmi eux de très jeunes
10 adolescents et des hommes qui avaient plus de 70 ans.
11 A peu près à l'heure où se tient cette dernière réunion, dans la
12 matinée du 12 à l'hôtel Fontana, les forces de la police et de l'armée
13 serbe avaient déjà pénétré dans Potocari où se trouvaient rassemblés 20 à
14 25 000 Musulmans apeurés. Certains Musulmans furent abattus, d'autres
15 frappés et terrorisés par les forces de Bosnie, confiantes que leurs actes
16 seraient sans conséquences. En quelques heures, il y a eu l'expulsion de la
17 population musulmane, certains, on allait les laisser vivre; d'autres, on
18 les a séparés pour les assassiner.
19 Vous entendrez dire par des journalistes que les Musulmans pouvaient
20 rester à Srebrenica s'ils le voulaient, mais tout comme la plupart des
21 choses que Karadzic dit à propos de Srebrenica est très éloignée de la
22 vérité. Voyons les remarques de Mladic à propos des personnes qui pouvaient
23 partir et de celles qui pouvaient rester.
24 "Allez-y, Général.
25 "Mladic : Est-ce que ces bus et ces camions sont partis ?
26 "Réponse : Oui, ils sont partis.
27 "Mladic : Quand ?"
28 Son interlocuteur : "Il y a dix minutes.
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1 "Mladic : Bien. Excellent. Continuez à surveiller la situation. Ne
2 permettez pas à de petits groupes de se faufiler. Ils ont tous capitulé,
3 ils se sont rendus. Nous allons tous les évacuer, ceux qui le souhaitent et
4 ceux qui ne le souhaitent pas."
5 A cet effet, des bus de différentes municipalités voisines ont été
6 mobilisés par l'état-major principal par le biais du ministère de la
7 Défense de Pale. Il s'agissait d'une opération logistique très importante à
8 laquelle participaient de très nombreuses municipalités et des départements
9 de la Défense. Les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été
10 chassés vers les territoires tenus par les Musulmans à Kladanj. Dans
11 l'intervalle, tous sauf une poignée d'hommes et des garçons qui avaient
12 plus ou moins l'âge de porter les armes ont été séparés par la force de
13 leurs familles et détenus. La séparation et la détention de ces hommes
14 n'avaient rien à voir avec un quelconque "processus de sélection." Je cite
15 : "Les forces serbes de Bosnie ainsi que le MUP ont détenu à Potocari et
16 séparé et détenu tout homme ou garçon qui semblait être en âge de porter
17 les armes. Aucun effort n'a été fait pour établir une distinction entre les
18 soldats et les civils. Quelques hommes en âge de porter les armes ont
19 réussi à intégrer le premier convoi, mais après, tous les hommes ont été
20 séparés et détenus."
21 [Diffusion de la cassette vidéo]
22 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
23 "Allez, allez. Suivez-les.
24 "Non, vous, vous allez là; vous, vous allez vers la gauche.
25 "Allez, allez, montez, allez dans la colonne un à un.
26 "Ne vous bousculez pas comme ça, à gauche.
27 "Il y a des hommes qui partent dans cette direction, les femmes et les plus
28 jeunes.
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1 "Non, ceci n'est pas bien. Je crois que les gens sont trop
2 serrés, là où on emmène les hommes. C'est trop encombré. Il y a trop
3 d'hommes. Ils sont assis --
4 "Il y a des gens qui ont essayé de se cacher et de se cacher dans le convoi
5 et qui sont consignés comme étant des criminels."
6 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
7 M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, Mladic a indiqué
8 de façon erronée qu'ils avaient été séparés pour être sélectionnés parce
9 qu'il s'agissait de crimes de guerre qu'il avait l'intention d'occulter le
10 sort qui allait être réservé à ces hommes. Son excuse est quelque chose qui
11 peut être étayé par un certain nombre de facteurs. Il n'y a pas eu
12 d'efforts véritables pour soit enregistrer ou établir la liste des
13 prisonniers musulmans lorsqu'ils ont été incarcérés, comme cela aurait été
14 le cas s'il avait l'intention de les emprisonner ou de les échanger. Bien
15 au contraire, après les avoir placés en détention, leurs documents
16 d'identité ont été détruits. De surcroît, les rares effets personnels dont
17 ils disposaient qui étaient transportés dans des sacs et des sacs à dos ont
18 été mis sur des tas et brûlés par la suite. Il n'y a pas eu
19 d'interrogatoire de ces hommes et de ces garçons qui a été organisé pour
20 voir s'il s'agissait d'éventuels criminels. A Potocari, ces hommes
21 musulmans et ces garçons n'ont reçu aucune nourriture, aucuns soins
22 médicaux ou premiers soins. Il n'y avait pas de mesures d'hygiène et bon
23 nombre d'entre eux ont été frappés sauvagement et massacrés. Ils ont été
24 séparés et transportés dans des sites à Bratunac. Dans ce site de
25 détention, il y avait plus de 50 hommes musulmans qui ont été tués le 12 et
26 le 13. Dans ces circonstances, Madame, Messieurs les Juges, on ne veut pas
27 s'y méprendre, le terme de "sélection" dans ce contexte ne peut
28 malheureusement que figurer sur la liste des euphémismes honteux. Dans ce
Page 647
1 cas, il s'agit d'un euphémisme qui indique que "tout les destinait à la
2 mort."
3 Je remarque l'heure. Peut-être qu'il serait approprié de faire une pause.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Dès que cela vous convient. Nous allons
5 faire une pause maintenant de 25 minutes.
6 --- L'audience est suspendue à 15 heures 35.
7 --- L'audience est reprise à 16 heures 03.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.
9 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
10 Madame, Messieurs les Juges, les 12 et 13 juillet 1995, environ 25 000
11 civils musulmans de Bosnie ont été emmenés à bord d'autocars pour quitter
12 l'enclave de Srebrenica en direction du territoire qui était contrôlé par
13 le gouvernement bosniaque. Au fil de cette opération, le commandant
14 suprême, Karadzic, a été informé du fait que Krivaja 95 se déroulait comme
15 prévu. Comme Mladic l'a déclaré dans les coups téléphoniques du 12 juillet
16 que nous avons vus il y a quelques instants, la VRS a transféré toutes les
17 femmes, enfants et personnes âgées musulmanes, ceux qui souhaitaient partir
18 et ceux qui ne souhaitaient pas. Comme ceci avait été prévu et ordonné dans
19 les directives 4 et 7. Voici un rapport du 12 juillet de l'état-major
20 principal envoyé à Karadzic. Il décrit la situation au sein du corps :
21 "Toutes les unités du corps sont au niveau de préparation de combat
22 le plus élevé pour assurer que tout se déroule comme prévu, qu'il n'y ait
23 pas de surprises. Les unités sont engagées dans l'opération Krivaja 95, et
24 doivent mener toutes les opérations de combat d'après ce qui a été prévu."
25 Il poursuit en précisant certaines de ces actions, et poursuit en
26 disant pour ce qui est de la situation dans ce territoire :
27 "Dans le Corps de la Drina et la zone de responsabilité de cette
28 dernière, la population est emmenée de l'enclave de Srebrenica à Kladanj
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1 d'une façon organisée. On estime que ce jour-ci il y a environ 10 000
2 Musulmans qui doivent être transportés."
3 Entre-temps, Madame, Messieurs les Juges, l'armée serbe de Bosnie et les
4 forces de police avaient terminé la séparation des hommes et des garçons à
5 Potocari, environ 1 000 à 2 000 hommes et garçons, et les avaient
6 transportés à Bratunac, qui se trouvait dans la municipalité voisine à
7 quelques kilomètres de là, et cela le 13 juillet.
8 Je vais maintenant évoquer un groupe plus important d'hommes et de garçons,
9 ceux qui avaient été rassemblés à Susnjari et qui avaient commencé à
10 s'enfuir vers le territoire contrôlé par les Musulmans à Tuzla. Ce jour-là,
11 le 13 juillet, des milliers d'hommes ont été capturés ou se sont rendus aux
12 forces de la VRS ou du MUP. Je souhaite vous montrer une séquence vidéo
13 d'hommes de la colonne qui se rendait, et une vidéo qui a été tournée par
14 un journaliste serbe qui accompagnait un commandant de police. Vous verrez
15 qu'un homme est contraint à appeler son fils et que d'autres Musulmans sont
16 appelés à se rendre, et vous verrez que ces hommes se rendent dans les
17 faits.
18 [Diffusion de la cassette vidéo]
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pardonnez-moi, nous entendons le
20 français une nouvelle fois. Nous pouvons poursuivre.
21 [Diffusion de la cassette vidéo]
22 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
23 "Nermin, venez ici. Je suis ici. C'est sûr avec les Serbes. Allez,
24 venez. Allez tous. Dites-leur tous. Venez tous. Dites-leur à nouveau.
25 Dites-leur qu'ils doivent venir. Nermin. Ils apporteront du pain. Venez
26 ici. C'est sûr avec les Serbes. Venez vous tous, tous tant que vous êtes.
27 "Je ne sais pas, de quelque désert.
28 "Combien de temps vous y avez passé ?
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1 "Deux jours, deux nuits, complètement encerclé.
2 "Où sont vos fusils ?
3 "Je n'ai pas de fusil. Je n'en ai pas. Je suis un civil.
4 "Un civil, vous êtes sûr ?
5 "Je ne me bats pas.
6 "Et vous avez peur ?
7 "Comment ne pourrais-je pas avoir peur.
8 "Comment, allez, n'ayez pas peur. Je ne sais pas de quoi vous avez
9 peur, bon Dieu ? Allez, allez, n'ayez pas peur.
10 "Est-ce que vous entendez le bruit ici ?
11 "Hé, journaliste. Ils sont déjà arrivés avant eux.
12 "Enlève ce tee-shirt.
13 "Celui-là ?
14 "Oui."
15 "Mon Dieu, où est-ce que tu as eu ce tee-shirt ? Allez, enlève-le. Merde."
16 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
17 M. TIEGER : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, cet homme qu'on
18 contraint à appeler son fils était un homme qui répondait au nom de Ramo
19 Osmanovic. Ses restes ont été retrouvés dans une fosse commune. Son fils
20 adolescent, Nermin, que Ramo a dû appeler sous la contrainte en indiquant
21 que "c'était sûr de venir vers les Serbes", ses restes ont également été
22 trouvés dans une fausse commune. Dans l'après-midi du 13 juillet, l'armée
23 serbe de Bosnie et les forces de police serbe retenaient prisonniers
24 environ 5 à 6 000 hommes, à trois endroits le long de la route que vous
25 avez vue, à savoir Nova Kasaba, Konjevic Polje et Sandici.
26 Pendant toute l'opération, le commandant suprême, Radovan Karadzic, était
27 tenu au courant des actions menées dans et autour de Srebrenica, y compris
28 la reddition à grande échelle des hommes musulmans de la colonne. Dans la
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1 nuit du 13 juillet, la VRS a envoyé un rapport "urgent" à Karadzic qui a
2 déclaré ce qui suit, je cite :
3 "L'ennemi de l'ancienne enclave de Srebrenica est en pleine débâcle, et les
4 troupes se rendent en grand nombre à la VRS."
5 Et vous apprendrez que les rapports de la VRS envoyés à Karadzic au fil des
6 jours suivants l'avaient également informé de la capture des Musulmans par
7 la VRS. Mais je vais me concentrer sur la date du 13. Dans l'après-midi du
8 13, environ 1 000 prisonniers musulmans qui s'étaient rendus ou qui avaient
9 été fait prisonniers ont été placés à bord de bus et conduits à Sandici
10 près de l'entrepôt de Kravica. Dans cet entrepôt, ces prisonniers ont été
11 exécutés par l'armée serbe de Bosnie et par les forces de police serbe.
12 D'autres exécutions organisées ont été menées ce jour-là par les forces de
13 la police sur la rivière Jadar et dans le pré de Sandici.
14 En fin d'après-midi et dans les premières heures de la soirée - -
15 pardonnez-moi, du 13 juillet, les prisonniers qui restaient et qui avaient
16 été capturés le long de la route ont été transportés à Bratunac où ils ont
17 été détenus dans des bâtiments, dans des autocars, dans des camions, dans
18 toute la ville, avec les autres hommes musulmans qui avaient été séparés de
19 leurs familles à Potocari. Ces milliers de prisonniers ont été détenus dans
20 des conditions épouvantables la nuit du 13, sans nourriture, sans soins
21 médicaux et sans eau en quantité suffisante. Bon nombre d'entre eux ont été
22 tués dans le centre Bratunac, dans le centre de la ville, et d'autres ont
23 été battus sauvagement. Dans l'intervalle, le commandant suprême était
24 toujours tenu au courant de tous les événements. J'ai parlé des rapports
25 réguliers qu'il recevait en permanence, mais il était également en contact
26 direct avec Mladic.
27 Ce soir-là, le l3 juillet, vers le moment où les derniers Musulmans étaient
28 mis à bord d'autobus et de camions et quittaient l'enclave aux mains de la
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1 VRS, du MUP et des autorités civiles, Karadzic, de son bureau à Pale, s'est
2 entretenu avec Mladic pendant une heure environ, avec un téléphone avec des
3 écouteurs. Leur conversation était cordiale. Un témoin l'a entendu parler
4 de la promotion de Radislav Krstic, condamné pour avoir encouragé le
5 génocide. Un autre témoin dira que Mladic rendait compte directement à
6 Karadzic que "c'en était terminé" de Srebrenica et que "Zepa serait le
7 suivant."
8 Cet appel téléphonique s'est déroulé environ au moment où les derniers bus
9 ont quitté les lieux, emmenant les femmes et les enfants et les derniers
10 Musulmans qui restaient à Srebrenica, comme Mladic a rendu compte à
11 Karadzic en disant que c'en était terminé avec Srebrenica.
12 Il est clair que la chaîne de commandement fonctionnait comme elle devait
13 le faire à ce moment-là et Mladic ainsi que d'autres éléments de la VRS qui
14 rendaient des comptes au commandant suprême. Le 13, ce commandant suprême,
15 Karadzic, savait que des exécutions en masse avaient été organisées et que
16 Srebrenica, comme je l'ai indiqué entre guillemets, "c'en était terminé,"
17 qu'un nombre important de Musulmans avaient été fait prisonniers. Il
18 s'entretenait également avec son nouveau commissaire chargé des affaires
19 civiles qui venait d'être nommé ce soir-là; il s'agit de Miroslav Deronjic.
20 Deronjic aurait pu passer cet appel téléphonique depuis son bureau, mais il
21 s'agissait d'une ironie de l'histoire, Deronjic a quitté son bureau et
22 s'est rendu au quartier général de la brigade de Bratunac parce qu'il
23 souhaitait que cette conversation ne soit pas entendue. Ce qu'il ne savait
24 pas, c'est que les transmissions militaires étaient moins sûres que les
25 lignes fixes dont il disposait dans son bureau. En conséquence, nous savons
26 que Karadzic était non seulement au courant des prisonniers, mais avait
27 ordonné leur transfert à l'extérieur de Bratunac qui se trouvait beaucoup
28 trop près des internationaux, effectivement suffisamment près pour que les
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1 internationaux puissent entendre des coups de fusil, comme vous l'entendrez
2 d'après un rapport du bataillon néerlandais.
3 Au cours de cette conversation, Karadzic a demandé :
4 "…combien de milliers ?"
5 Je cite :
6 "Le président nous demande combien de milliers ?"
7 "Deronjic : Deux, pour l'instant."
8 Cette conversation interceptée s'est déroulée avec un intermédiaire. Il y a
9 Deronjic d'un côté, Karadzic de l'autre et un intermédiaire :
10 "Deux, pour l'instant.
11 "Deux, Monsieur le Président (c'est ce qu'on entend derrière).
12 "Deronjic : Mais il y en aura davantage pendant la nuit." Et Karadzic
13 lui a dit : "Que devons-nous faire de ces prisonniers ?"
14 "Deronjic : Le président dit : 'Toutes les marchandises doivent être
15 placées à l'intérieur des entrepôts avant midi, demain.'
16 "Deronjic : Bien.
17 "Deronjic : Non pas dans les entrepôts là-bas, mais ailleurs."
18 Il s'agit d'un endroit différent. Ce n'est pas Bratunac.
19 Bien que Karadzic ait tenté de dissimuler cette conversation en
20 utilisant un langage codé, les marchandises des entrepôts, il ne peut pas
21 cacher ce que cela révèle. Karadzic savait que des prisonniers musulmans
22 étaient retenus à Bratunac et a donné l'ordre que ceux-ci soient
23 transportés dans des entrepôts ailleurs, c'est exactement ce qui s'est
24 passé. Cela a commencé ce soir-là, très peu de temps après la fin de cet
25 appel téléphonique, et cela s'est poursuivi jusqu'au lendemain matin. Les
26 prisonniers ont été transférés de Bratunac à des centres de détention
27 provisoire autour de Zvornik où ils ont été retenus avant leur exécution.
28 Pendant les 72 heures qui suivirent, ils ont tous été, à l'exception d'une
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1 poignée de survivants qui ont survécu par miracle, massacrés.
2 Vous entendrez, Madame et Messieurs les Juges, des témoignages de ces
3 personnes qui ont survécu. Ils ont attendu pendant des heures, sous cet
4 amas de corps, feignant la mort, jusqu'à ce qu'ils puissent s'enfuir.
5 Souvenez-vous du fait que pendant que ce massacre se déroulait, le
6 camp dirigé par la VRS à Batkovic, à savoir à Bijeljina, fonctionnait
7 encore trois ans après que Mladic l'ait créé pour pouvoir gérer l'excédent
8 de civils qui étaient nettoyés de leurs maisons. Ce centre pouvait traiter
9 des milliers de prisonniers, se trouvait à 60 kilomètres de Zvornik par la
10 route goudronnée. Batkovic était l'endroit où les prisonniers qui avaient
11 été capturés auraient dû être envoyés et retenus jusqu'au moment où ils
12 auraient été échangés. Mais ces hommes-là ne sont pas allés à Bratunac. Ils
13 ont été envoyés dans la zone de Zvornik parce qu'ils n'allaient pas être
14 échangés, mais parce qu'ils allaient être tués.
15 Madame et Messieurs les Juges, vous entendrez que Miroslav Deronjic a
16 laissé entendre que Karadzic avait l'intention d'envoyer les prisonniers de
17 Bratunac à Batkovic pour les protéger, mais les éléments de preuve
18 démontrent le contraire. Non seulement Karadzic a ordonné que les
19 prisonniers soient envoyés dans les entrepôts plutôt que dans le camp de
20 Batkovic, non seulement les prisonniers en réalité ont été envoyés dans des
21 écoles et des centres de détention de fortune sur les ordres de Karadzic,
22 mais Karadzic a également fait en sorte que ces meurtres en masse ne soient
23 pas connus et qu'on ne sache pas qui s'est passé à ce moment-là et après.
24 Mais avant de parler de ce thème-là, je souhaite parler de quelques-
25 unes des conversations qu'il a eues avant les efforts qu'il avait déployés.
26 Je dois vous rappeler que le 14 juillet, Deronjic a rencontré Karadzic dans
27 le bureau du président à Pale et s'est entretenu avec lui à propos des
28 massacres qui s'étaient déroulés dans l'entrepôt de Kravica. Plus tard, le
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1 même jour, le 14, après avoir rencontré Deronjic, Karadzic a rencontré un
2 visiteur américain, Bob Djurdjevic; ensemble, ils ont regardé la CNN et
3 SkyNews sur la situation à Srebrenica. Karadzic, parlant à Djurdjevic,
4 s'est attribué le mérite de la directive numéro 7 et de l'attaque de
5 Srebrenica et dans les notes de Djurdjevic à l'époque, lors de cette
6 réunion, il a écrit :
7 "RK," Karadzic, "a dit que les attaques sur Srebrenica et Zepa
8 faisaient partie de ce qu'il appelait, je cite, 'mon ordre numéro 7.' Il a
9 dit que leur objectif consistait à 'porter la température au point
10 d'ébullition.'"
11 A cette réunion, Karadzic a également reçu un appel téléphonique d'un
12 de ses commandants sur le terrain près de Srebrenica concernant l'action
13 militaire qui s'était déroulée autour de Konjevic Polje et Kasaba. Cet
14 appel téléphonique était une des sources d'information qui permettait au
15 commandant Suprême, l'homme qui avait donné l'ordre de cette opération,
16 d'être informé pendant toute sa durée, encore un autre exemple au-delà des
17 rapports réguliers, au-delà de Mladic, du commissaire civil de Karadzic,
18 des appels téléphoniques directs des commandants sur le terrain, Karadzic a
19 également reçu des informations à propos de la situation sur le terrain de
20 la police et des services de la Sûreté de l'Etat.
21 Dans cette conversation du 16 juillet 1995, un officier de permanence de
22 l'état-major principal de l'armée serbe de Bosnie indique que Mladic vient
23 d'appeler l'état-major principal serbe de Bosnie parce que Karadzic avait
24 reçu des éléments de la police serbe et en particulier de l'homme chargé de
25 la Sûreté de l'Etat et que le commandant de Zvornik avait ouvert un
26 corridor sur les lignes de la VRS et la colonne des Musulmans traversait ce
27 couloir pour passer dans le territoire contrôlé par les Musulmans.
28 "Le président a appelé il y a quelques instants. Il a dit avoir été informé
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1 par Karisik," qui s'occupait des services de Sûreté de l'Etat, "que
2 Pandurevic avait organisé le passage des Musulmans en direction de ce
3 territoire."
4 Je vais parler de ceci un peu plus tard, comment cet élément d'information,
5 à savoir l'évasion des Musulmans, a mis Karadzic en colère.
6 Donc, qu'a fait le commandant Suprême avec la connaissance que ces hommes
7 musulmans avaient été capturés, détenus et massacrés ? Il a fait en sorte
8 que l'opération puisse continuer à se poursuivre et à être couronnée de
9 succès et a donné des garanties fausses aux médias, qui devenaient de plus
10 en plus soupçonneux et d'une communauté internationale de plus en plus
11 inquiète. Dès le début de l'opération de Srebrenica et longtemps après que
12 le monde entier soit tenu au courant de ces meurtres en masse, Karadzic a
13 dissimulé ce qui s'est passé ou ce qui s'était produit. Il a insisté pour
14 dire que la population musulmane "était partie de son plein gré," il a
15 menti aux médias lorsqu'il s'agissait de la capture et de l'exécution des
16 garçons et des hommes musulmans.
17 Mais la nuit du 13 juillet 1995, comme je l'ai décrit, Karadzic était
18 parfaitement au courant du transfert forcé de la population. Il savait
19 qu'il y avait des milliers de Musulmans qui avaient été détenus à Bratunac
20 et il avait donné l'ordre qu'ils soient transférés dans des entrepôts. Plus
21 tard, cette nuit-là, vers 21 heures 30, Karadzic a donné une interview à un
22 journaliste du journal espagnol El Pais. Lorsqu'on lui a posé des questions
23 à propos de Srebrenica, Karadzic a déclaré :
24 "Srebrenica est maintenant libre.
25 "Malheureusement, très peu de Musulmans peuvent rester à Srebrenica parce
26 que maintenant, ils se rendent compte du fait que Srebrenica va appartenir
27 à l'état serbe et étant donné qu'il est manifeste que les Musulmans
28 souhaitent vivre dans un état musulman et qu'ils ont exprimé leur désir de
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1 se rendre dans l'état musulman, la partie de la Bosnie qui est contrôlée
2 par les Musulmans et qui deviendra un état musulman ou une fédération
3 musulmane et croate."
4 Il a poursuivi en niant les allégations de nettoyage ethnique, en déclarant
5 :
6 "Toute personne qui souhaitait rester pouvait rester."
7 Il était très confiant, bien sûr, parce qu'il pensait que les médias
8 n'avaient pas accès, par exemple, à la directive numéro 4, l'ordre donné
9 pour le nettoyage des enclaves ou la directive numéro 7, l'ordre qui
10 indiquait "qu'il fallait créer une situation intolérable d'insécurité
11 totale sans autre forme de vie ou de survie pour les habitants."
12 Quatre jours plus tard, Karadzic est à nouveau interviewé, mais cette fois
13 par David Frost, un journaliste britannique. Cette interview se déroule au
14 moment où les victimes des massacres de Zvornik étaient en train d'être
15 enterrées dans des fosses communes. Quand on l'interroge aux fins de savoir
16 s'il pense avoir commis une erreur en prenant Srebrenica, étant donné
17 l'immensité de la condamnation internationale, Karadzic répond : "Pas du
18 tout," et il justifie sa position à l'aide d'un commentaire dans lequel il
19 déclare que Srebrenica n'a jamais été une zone de sécurité, mais bien un
20 fief. Quand interrogé par Frost afin qu'il explique les allégations selon
21 lesquelles 15 000 hommes de Srebrenica sont portés disparus et qu'on ne
22 sait rien à leur sujet, Karadzic nie qu'il y a des portés disparus en
23 dehors de ceux qu'on trouve dans la colonne qui est toujours en route vers
24 Tuzla. Voici une partie de l'interview.
25 [Diffusion de la cassette vidéo]
26 "David Frost : La question relative au nombre de personnes que nous avons
27 découvertes ou quoi qu'il en soit, qu'en est-il des chiffres que nous avons
28 lus dans les médias, votre activité favorite, dans les médias, il est
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1 question de 15 000 hommes portés disparus dont on ne sait rien, originaires
2 de Srebrenica et il est dit que vous les avez entre vos mains, quelque
3 part. C'est ce que nous avons lu."
4 "Karadzic : Eh bien, hier et aujourd'hui encore, nous avons ouvert nos
5 lignes et nombre d'entre eux ont pénétré dans le territoire musulman.
6 Nombre d'entre eux étaient des combattants et notre commandant local les a
7 autorisés à traverser notre territoire et ils l'ont traversé, même la nuit
8 dernière encore. Nombre d'entre eux sont dans les forêts, ils essaient de
9 rejoindre le territoire sous contrôle musulman et nous ne nous interposons
10 pas. Nous ne souhaitons pas nous battre contre eux parce qu'ils n'ont pas
11 l'intention de s'emparer de notre territoire. Ils veulent quitter notre
12 territoire.
13 "David Frost : Et il n'y a pas 15 000 hommes à peu près qui sont portés
14 disparus à Srebrenica ?
15 "Karadzic : Pas du tout, absolument pas. Nombre d'entre eux ont rejoint
16 leur peuple hier et aujourd'hui et demain, ils le feront encore. Il y en a
17 encore beaucoup d'autres qui passeront les lignes serbes."
18 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
19 M. TIEGER : [interprétation] Voici ce qui s'est effectivement passé,
20 Madame, Messieurs les Juges, ce qui se passait à l'époque. Je ne vais pas
21 rentrer dans le détail des horreurs de ces exécutions méticuleuses qui ont
22 fait plus de 7 000 victimes parmi les hommes et jeunes gens musulmans
23 pendant toutes ces journées. Je vais simplement vous énumérer rapidement
24 les massacres les plus importants.
25 Le 13 juillet, entrepôt de Kravica, près de 1 000 personnes exécutées aux
26 fusils automatiques et à la grenade à main. Dans les jours qui ont suivi,
27 du 14 au 16 juillet, l'école d'Orahovac et dans les champs entourant cette
28 école, près de 1 000 personnes exécutées. L'école et le barrage de
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1 Petkovici, dans l'après-midi et la soirée du 14 juillet et aux premières
2 heures de la matinée du 15 juillet 1995, près de 1 000 personnes exécutées.
3 L'école de Rocevic et Kozluk, plus de 1 000 exécutées, plusieurs à Rocevic
4 et plus de 1 000 à Kozluk. Je vous montrerai des photographies de plusieurs
5 de ces victimes après exhumation dans quelques instants. La première
6 photographie que je vous montre est celle d'une fosse commune. Deuxième
7 photo. La suivante, s'il vous plaît. Vous voyez le bandeau sur les yeux,
8 n'est-ce pas ?
9 Photo suivante. Vous voyez ici les mains de cet homme ligotées dans
10 le dos.
11 Photo suivante. Madame, Messieurs les Juges, vous entendrez des témoins -
12 je demande la diapositive suivante sur les écrans - vous entendrez donc des
13 témoins de Kozluk vous parler de ces hommes qui s'agrippaient à des
14 mauvaises herbes et à des ronces alors que l'exécution les concernant était
15 en cours sur les rives de la Drina. Voici une nouvelle photographie des
16 cadavres exhumés à Kozluk.
17 Je poursuis l'énumération des lieux de massacres, l'école de Kula non loin
18 de la ferme de Pilica Branjevo, plusieurs personnes exécutées dans l'école,
19 les autres au nombre d'environ 1 200 exécutées à la ferme de Branjevo. Vous
20 voyez ici sur cette photographie quelques-uns des cadavres de Branjevo. Le
21 centre culturel de Pilica, près de 500 personnes exécutées.
22 Madame et Messieurs les Juges, ces massacres nécessitaient des moyens
23 matériels énormes; des camions, des munitions, des engins lourds pour
24 creuser les fosses, et des milliers de litres de carburant, ainsi que des
25 effectifs humains en grand nombre pour assurer la sécurité des sites de
26 détention et d'exécution, et procéder en tant que tel aux exécutions et aux
27 enterrements dans les fosses communes. Ces actes ont été réalisés
28 rapidement et avec efficacité. Ils nécessitaient une planification et une
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1 coordination importante entre la VRS, le MUP et les autorités civiles qui
2 ont participé. La liste de ceux qui savaient ou devaient savoir ce qui
3 était en train de se passer est longue, depuis Mladic, Tolimir et les
4 autres membres de l'état-major principal, en passant par les officiers et
5 les soldats du Corps de la Drina, par les autres brigades, celles de
6 Zvornik, de Bratunac, et d'autres faisant partie du Corps de la Drina, pour
7 aboutir au ministre de l'Intérieur et à ces subordonnés du MUP, et - en
8 premier lieu - au commandant suprême.
9 En dehors de ces massacres gigantesques dans toute cette période, il y a eu
10 des tueries organisées de moindre importance sur les rives de la rivière
11 Jadar, dans la vallée de la Cerska, à Sandici, dans l'école de Luke non
12 loin de Tisca, à Snagovo, Trnovo et Bisina. Les tueries ponctuelles visant
13 les hommes musulmans se poursuivent au-delà du mois de juillet. Comme les
14 rapports de la VRS le montrent, après le 17 juillet des hommes musulmans
15 qui s'étaient échappés ont été pourchassés et exécutés sur place dans les
16 environs de Srebrenica et de Zepa.
17 Pendant toute cette période, à partir de la chute de Srebrenica, des
18 articles ont paru dans les médias et ont largement circulé. Il y était
19 question de nettoyage ethnique massif à Srebrenica, et indiquait que des
20 massacres avaient été commis par les forces serbes. Le 17 juillet 1995, le
21 jour même où Karadzic accordait son interview à Frost, un journal
22 britannique rend compte de piles de cadavres découvertes devant l'entrepôt
23 de Kravica. Je cite :
24 "Les cadavres s'empilent dans l'horreur à Srebrenica."
25 Le même jour, la télévision Studio B de Belgrade diffuse une vidéo où
26 l'on voit des piles de cadavres devant l'entrepôt de Kravica. Vous verrez
27 ces images rapidement pour le moment, mais ensuite elles vous seront
28 diffusées une nouvelle fois au ralenti.
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1 [Diffusion de la cassette vidéo]
2 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
3 "Attends, attends. Reste ici.
4 "Ce n'est jamais la bonne séquence."
5 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
6 M. TIEGER : [interprétation] Pourtant, Karadzic continue à nier que le
7 moindre crime aurait été commis par les forces serbes à Srebrenica.
8 Interrogé plusieurs mois plus tard par un journaliste de CNN au sujet des
9 allégations faisant état de crimes massifs commis à Srebrenica et de la
10 nécessité d'une enquête, Karadzic insiste sur le fait qu'il a déjà lancé sa
11 propre enquête. Il prétend que la FORPRONU a suivi toute l'opération et
12 qu'il "n'y a pas eu de massacre ou quelque tuerie que ce soit ici." A ce
13 moment-là, des milliers de cadavres de victimes avaient été exhumés et
14 transférés vers des fosses secondaires par la VRS, le MUP et les autorités
15 civiles.
16 [Diffusion de la cassette vidéo]
17 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
18 "Vous dites que vous êtes favorable à une enquête ou un procès lié à des
19 allégations d'atrocités. Qu'en est-il des questions qui n'ont pas encore
20 obtenu réponse au sujet de Srebrenica ? Est-ce qu'il y aura une espèce
21 d'enquête qui va être menée ? Est-ce que vous vous engagez à ce qu'une
22 telle enquête soit menée ?
23 "Karadzic répond : J'ai déjà ordonné une enquête au sujet des allégations,
24 entre autres, relatives à Srebrenica. On m'a dit que les responsables de la
25 FORPRONU avaient suivi toute l'affaire, qu'il n'y avait pas eu de massacre,
26 pas de tuerie de masse, pas de tuerie de façon générale; que les Musulmans
27 avaient augmenté leur nombre de réfugiés à Srebrenica pour obtenir que leur
28 armée les aide davantage."
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1 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
2 M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, il y a quelques
3 instants j'ai appelé votre attention sur les mots prononcés par Karadzic
4 devant l'assemblée serbe de Bosnie le 6 août 1995, alors qu'il félicitait
5 le mérite de l'opération de Srebrenica. J'appelle maintenant une nouvelle
6 fois votre attention sur ces propos, avec l'aide d'une diapositive cette
7 fois-ci. Je cite :
8 "Le moment est venu, et j'ai signé la directive numéro 7, visant à la
9 capture de Teocak, Srebrenica, Zepa et Gorazde. La directive a été signée
10 et nous nous sommes engagés dans l'action. J'étais favorable à toutes les
11 décisions que nous avons prises et je les soutiens toujours. Toutes ces
12 décisions sont enregistrées au commandement Suprême. J'ai ordonné
13 verbalement et par écrit d'attaquer Zepa et Srebrenica."
14 Il ajoute qu'ils n'ont pas encore pu prendre Gorazde à ce moment-là,
15 mais, je cite :
16 "…qu'il y aura un bon moment pour la prise de Gorazde, comme il y a
17 eu un bon moment pour la conquête de Srebrenica. Il y aura un bon moment
18 pour l'attaque et la destruction de Gorazde."
19 A d'autres occasions, il désignait nommément des commandants dignes
20 de félicitations, en particulier Krstic, ceci durant l'interview du 4 août
21 1995, en particulier, où il déclare, je cite :
22 "Krstic, par exemple, qui a planifié tout cela devant moi, et j'ai
23 approuvé cette mission pour Srebrenica, il l'a fait exceptionnellement
24 bien. Bien entendu, l'état-major principal, Mladic et les autres ont
25 apporté leur concours, mais il faut savoir que Krstic est un grand
26 commandant militaire."
27 La seule préoccupation que Karadzic n'ait jamais exprimée au sujet de
28 Srebrenica est due au fait que l'un de ses commandants ait laissé échapper
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1 des Musulmans. Il était furieux que quelques Musulmans aient pu s'en
2 sortir. Voilà comment Karadzic décrit la fuite de ce qu'il appelait les
3 Turcs à l'époque, parlant des personnes qui avaient fui vers les
4 territoires tenus par les Musulmans. Et il le fait devant la 52e Assemblée
5 bosno-serbe. Je cite :
6 "9 000 Turcs en armes dans les forêts et les montagnes auraient pu
7 reprendre Srebrenica. Ils auraient pu brûler Milici, Vlasenica et Zvornik.
8 Les gens de cette région peuvent vous en parler, parce que ceci aurait pu
9 se passer s'ils avaient eu suffisamment d'intelligence et s'ils avaient eu
10 un bon commandement. C'est une division terrestre qui compte 9 000 hommes.
11 Ça aurait dû être une opération terrestre. Nos hommes, eux seuls, auraient
12 pu le faire, et Dieu nous a sauvés. Près de 50 à 60 de nos hommes ont été
13 tués là-bas en essayant de les encercler, mais plusieurs milliers de
14 soldats ont fini par réussir à passer, et aujourd'hui la division de
15 Srebrenica a été créée, elle a été déployée à Tuzla, elle a reçu l'ordre de
16 retourner à Srebrenica. Nous n'avons pas pu encercler et détruire l'ennemi
17 parce que nous étions trop pressés de prendre Zepa, et nous avons affecté
18 deux généraux à Zepa pour qu'ils perdent 15 jours à des négociations avec
19 des jacasseurs et des imbéciles qui perdaient leur temps, au lieu de
20 laisser Rajko Kusic finir le travail, ou peut-être le général Krstic qui
21 s'est avéré très, très bon."
22 Qui étaient Krstic et Kusic qui auraient dû "finir le travail" ? Krstic
23 était le lieutenant-colonel. C'est celui qui a dirigé le nettoyage de
24 Novoseoci à Sokolac en 1992, nettoyage au cours duquel les hommes ont été
25 séparés des femmes et des enfants, les femmes et les enfants expulsés et
26 les hommes exécutés.
27 Je cite :
28 "Pendant la journée, le village de Novoseoci a été 'ciscenje,' c'est le mot
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1 utilisé en langue originale, donc nettoyé ou ratissé, "à Glasinacko Polje."
2 En 1995, Krstic était général, et pendant l'opération de Srebrenica, comme
3 je l'ai déjà dit, il a été nommé commandant du Corps de la Drina par
4 Karadzic. Voici une écoute téléphonique où l'on entend Krstic et le chef
5 d'état-major de la Brigade de Zvornik, Dragan Obrenovic. C'est un poste
6 qu'il occupe depuis le 2 août 1995, qui montre bien que Krstic poursuit ses
7 efforts pour nettoyer la Bosnie orientale, efforts commencés en 1992. Voici
8 la conversation :
9 "Krstic : Est-ce que vous travaillez là-bas ?
10 "Réponse de l'interlocuteur : Bien sûr, nous travaillons.
11 "Krstic : Bien.
12 "L'interlocuteur : Il y en a quelques-uns de plus qui ont été pris.
13 "Krstic : Hm-hm.
14 "L'interlocuteur : Soit à coup de fusil, soit en sautant sur des mines.
15 "Krstic : Tuez-les tous, bon Dieu.
16 "L'interlocuteur : Tout se déroule selon le plan.
17 "Krstic : N'en laissez pas un seul vivant.
18 "L'interlocuteur : Oui ?
19 "Krstic : N'en laissez pas un seul vivant.
20 "L'interlocuteur : Tout se déroule conformément au plan, tout."
21 Et Kusic, qui était-ce ? Kusic était une personnalité politique et
22 militaire de haut rang, originaire de Rogatica, membre de l'état-major
23 principal du SDS, qui avait été à la tête des opérations de nettoyage de
24 Rogatica en 1992. Voici un rapport qui date d'août 1995, et qui montre que
25 lui aussi, comme Krstic, était en train de finir le travail à Srebrenica.
26 "Le 7 août 1995, dans l'après-midi, dans les gorges de la rivière Praca,
27 cinq balija qui restaient là," balija étant un terme péjoratif destiné à
28 désigner les Musulmans de Bosnie, "cinq balija qui étaient toujours là et
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1 qui, après la chute de Zepa, s'étaient mis en marche selon l'itinéraire
2 suivant, Luka, traversée en bateau de la Drina, Kamenic [phon], Kipotok
3 [phon], Babinagora [phon], Gradina [phon], Kapetanovici [phon], traversée
4 de la Drina sur des troncs d'arbres, Snvrkapito [phon], Medjedja [phon] ou
5 Stipraca [phon], sont descendus sur les rails de chemins de fer à Dub et
6 ont essayé d'atteindre Renovica à pied en longeant les rails. Ils ont été
7 liquidés.
8 "Ce groupe a été séparé, son voyage a duré dix jours.
9 "Le même jour, non loin de Luke, un Oustachi sans arme, né à Srebrenica,
10 âgé de 24 ans, a été liquidé. Avant de mourir, il a dit qu'il avait suivi
11 les autres parce qu'il cherchait à manger."
12 En bref, Madame, Messieurs les Juges, Karadzic, le commandant suprême,
13 était directement responsable des directives 4 et 7, deux directives dont
14 le but était de chasser les Musulmans de Srebrenica; il voulait que les
15 choses avancent. Il poussait Krstic à faire avancer le plan encore plus
16 loin. Une fois que les forces de Karadzic ont commencé l'attaque, il a
17 approuvé très manifestement que l'on s'écarte un peu des plans
18 opérationnels immédiats pour envoyer ses forces à Srebrenica. Dès que ses
19 forces ont pris Srebrenica, elles l'en ont informé sur-le-champ. Il a
20 également été informé du fait que les choses se déroulaient conformément au
21 plan et que les Musulmans étaient chassés en grand nombre au cours de
22 l'opération qui exigeait une coordination avec plusieurs municipalités. Il
23 a été aussi informé du fait que des Musulmans étaient capturés en grand
24 nombre.
25 Mladic le lui a dit dès que tous les civils ont été entassés à bord
26 des autobus à Srebrenica, il lui a dit que Srebrenica, "c'est fait," entre
27 guillemets. Karadzic a transmis sous forme codée un ordre visant à la prise
28 de prisonniers de Bratunac et à ce qu'on les emmène vers des "entrepôts."
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1 Ses commissaires civils triés sur le volet lui ont rapporté que des
2 prisonniers musulmans avaient été assassinés dans l'entrepôt de Kravica. Il
3 a appelé le QG de l'état-major principal qui lui a appris que les hommes
4 musulmans étaient en train de fuir vers le territoire tenu par l'ABiH.
5 C'est le seul aspect de l'opération qui a provoqué chez lui l'expression de
6 regret. Et il a dissimulé tout cela auprès de la presse, il a couvert le
7 fait que la VRS avait des prisonniers et qu'elle était en train de les
8 exécuter. Et il continue toutefois à dire que tout cela ne s'est pas passé.
9 Madame, Messieurs les Juges, les crimes de Srebrenica, les expulsions
10 massives de femmes et d'enfants, les massacres visant les hommes, ces faits
11 atroces ont été prouvés à de très nombreuses reprises lors d'autres procès
12 menés devant ce Tribunal. Bien entendu, il y a certaines personnes qui, par
13 ferveur nationaliste, avec entêtement ou par naïveté, continuent d'affirmer
14 que Srebrenica ne s'est jamais passé. Mais lorsque l'homme qui était
15 commandant suprême des forces responsables de ces crimes, l'homme qui a
16 reconnu qu'il avait mis ces forces en action, lorsque l'homme qui était en
17 contact avec ses forces du début à la fin, lorsque cet homme nie que cela
18 se soit passé, c'est parce qu'il sait que la vérité le condamne. Mais
19 s'agissant des victimes en vie, des survivants, femmes, personnes âgées ou
20 personnes qui étaient des enfants à Potocari en juillet 1995, il n'est pas
21 question de savoir si cela s'est passé. Il n'est question que de la durable
22 douleur qu'entraîne le deuil. Pour ces survivants, il n'y a pas de
23 récupération possible, pas de récupération des vies qui ne sont plus et qui
24 ne peuvent pas renaître. Je veux parler de la vie de leurs maris, de leurs
25 pères, de leurs frères qui ont été emmenés et assassinés. Leur tragédie
26 permanente fait partie de ce long héritage dû aux crimes commis par
27 l'accusé et que prouveront les éléments de preuve plus que convaincants qui
28 seront soumis à la Chambre. Ces éléments prouveront qui l'emporte avec
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1 force sur les dénis de l'accusé.
2 Madame, Messieurs les Juges, je conclurai rapidement, mais avant de le
3 faire, je tiens à dire quelques mots de la façon dont Karadzic a dissimulé
4 ces crimes. Pour couvrir les massacres organisés, les expulsions massives
5 de Srebrenica, il a fallu que Karadzic franchisse un pas de plus dans son
6 comportement régulier consistant à dissimuler, minoriser, justifier ou nier
7 la réalité des choses, et ce comportement se poursuit au jour
8 d'aujourd'hui. Il se présente sous forme de déni vis-à-vis des médias
9 internationaux et d'autres qui évoquent le nettoyage ethnique et les crimes
10 commis, je veux parler de négociateurs internationaux, de représentants de
11 la FORPRONU, du CICR, du HCR, du rapporteur spécial des Nations Unies, des
12 résolutions du Conseil de sécurité, de la presse écrite, de la télévision.
13 Face à tout ce qui se passait sous les yeux du monde, les allégations
14 proférées étaient très souvent anxieuses et explicites. Par exemple,
15 deuxième rapport datant d'octobre 1992, le premier datait du mois d'août du
16 rapporteur spécial des Nations Unies suite à sa dernière mission en Bosnie.
17 Dans son rapport du 27 octobre, M. Mazovijetski [phon] disait, je cite :
18 "Comme indiqué dans mon premier rapport, la population musulmane est la
19 principale victime et elle est pratiquement menacée d'extermination."
20 Comme Karadzic le dit à un de ses commissaires, je cite :
21 "Nous sommes en train de scalper le chat vivant sous les yeux du monde
22 entier."
23 Mais dans cette citation, Karadzic n'avait pas besoin que la communauté
24 internationale lui parle du sort terrible vécu par les Musulmans et Croates
25 de Bosnie dans les territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie, en
26 dehors des rapports qui évoquent ce fait, rapports de son armée et de sa
27 police, en dehors des aveux et reconnaissance provenant du cercle de ses
28 intimes, certaines de ses déclarations, nous les avons entendues, il suffit
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1 de jeter un simple coup d'œil à ce qui se disait à l'Assemblée pour prendre
2 toute la mesure du fait qu'il avait pleinement connaissance de la campagne
3 menée contre les non-Serbes. Ici, par exemple, une protestation par rapport
4 à la norme projetée pour accorder la citoyenneté de la Republika Srpska en
5 fonction de la naissance qui est très révélatrice, même si ce n'était pas
6 voulu. Je cite :
7 "Deuxièmement, la citoyenneté de la Republika Srpska sera acquise, entre
8 autres, par le droit du sol dans le territoire de la Republika Srpska. Ceci
9 fait référence à tous les Musulmans et Croates que nous avons expulsés. En
10 réalité, ils sont tous citoyens de la Republika Srpska."
11 En conséquence, le projet de loi était renvoyé au ministère pour réexamen à
12 l'initiative de Krajisnik.
13 Ou bien, voyons ce commentaire qui date de 1995 et émane d'un député de
14 l'assemblée, je cite :
15 "Parfois, Monsieur le Président, il ne faut pas écouter le patriarche.
16 C'est un homme saint et nous sommes des hommes pragmatiques, des hommes
17 pragmatiques qui veulent créer un état. Un état est créé par l'assassinat,
18 l'égorgement, l'emprisonnement et l'arrestation d'êtres humains, tout état
19 du monde, y compris le nôtre, est créé de cette façon."
20 Ou pour dire les choses plus simplement afin d'en terminer, je cite :
21 "Croyez-moi quand je dis que nous ne pouvons pas vivre ensemble. Je ne sais
22 pas dans quelles conditions nous pourrions vivre ensemble aujourd'hui. Je
23 dois être honnête et dire qu'ils nous ont infligé tant de mal," ceci est
24 une référence à la Seconde Guerre mondiale et à l'occupation ottomane, "que
25 cette fois-ci, nous leur avons causé un mal au moins égal."
26 A de très nombreuses reprises, encore une fois, Karadzic a fait de son
27 mieux pour couvrir le caractère atroce de ces actes. Prenez les camps, par
28 exemple. Nous avons déjà vu certaines preuves relatives aux civils et aux
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1 camps, notamment le rapport du ministre de l'intérieur de Karadzic à la mi-
2 juillet, adressé à Karadzic, selon lequel, je cite :
3 "Les cellules de Crises et présidences de guerre ont demandé que l'armée
4 regroupe ou capture le plus grand nombre de Musulmans civils possible."
5 Que dans les camps, je cite :
6 "Certains individus ne respectent pas parfois les normes internationales."
7 Mais il ne voulait pas que le monde soit au courant de cela.
8 Par exemple, voici une lettre au "Guardian" qui date du 30 juillet
9 1992, je cite :
10 "Votre article à la une du journal d'aujourd'hui," dit-il "recherche la
11 sensation. Il est complètement faux de laisser entendre que les Serbes de
12 Bosnie auraient pu organiser des camps de concentration ou que nous
13 détenons des prisonniers civils."
14 Cet effort visant à masquer la campagne menée contre les non-Serbes ou à la
15 présenter sous un jour acceptable va jusqu'à émettre des ordres
16 prétendument destinés à garantir le respect du droit international. J'ai
17 déjà parlé d'un ces ordres au début de l'attaque de Srebrenica. Il apparaît
18 aussitôt qu'ils sont destinés à l'opinion publique. On en trouve un en
19 anglais qui dit que :
20 "Des transferts forcés de personnes et autres mesures illégales à
21 l'encontre de la population civile doivent être empêchés, interdits."
22 Autre exemple. On a un télégramme de juillet 1992 adressé aux résidents des
23 municipalités de la zone de Gorazde, qui dit que les présidents des
24 municipalités sont chargés d'assurer la protection des villages où habitent
25 des Croates et des Musulmans qui remettent leurs armes et ne veulent pas
26 combattre. Ceci, à un moment où son armée et sa police étaient occupées à
27 faire le nettoyage ethnique de ces villages. Intéressant de voir qu'il y a
28 un président municipal qui a eu le cran de répondre directement à Karadzic
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1 par une lettre dans laquelle il dit que ce n'est pas lui qui contrôle la
2 police ni l'armée. Mais même au-delà du caractère apparemment transparent
3 de temps à autre de ces ordres, ils n'avaient aucune signification dans
4 l'abstrait. Si on les replace dans le contexte de crimes massifs,
5 systématiques, qui répondaient à des objectifs stratégiques, des crimes qui
6 n'ont pas été punis, mais au contraire qui ont permis à certains, aux
7 auteurs de ces crimes d'être récompensés par des promotions, il ne fait
8 aucun doute qu'ils devaient servir de prétexte.
9 Aucun officier, aucun commandant n'a été puni pour avoir nettoyé des
10 villages croates ou musulmans; au contraire, l'accusé a promu, a récompensé
11 et encouragé les coupables de ces crimes. Le 9 janvier 1994, par exemple,
12 Karadzic organise une cérémonie au cours de laquelle il annonce que :
13 "Contrairement à tous les mensonges, à toutes les calomnies des marchands
14 de propagande internationaux, l'armée serbe a su préserver son caractère
15 chevaleresque et son honneur militaire dont elle est digne," et il a décoré
16 ses chefs militaires et politiques, Radoslav Brdjanin, Vojo Kupresanin,
17 Ratko Mladic, Dragomir Milosevic, Miroslav Deronjic, Stanislav Galic, ainsi
18 qu'une unité tristement célèbre comme celle des Panthères de Mauzer de la
19 région de Bijeljina.
20 Les ordres de Karadzic diligentant des enquêtes sur les crimes sont tout
21 aussi symboliques. Il a fallu attendre une équipe de la télévision ITN qui
22 a révélé l'horreur des camps qui allait occuper la une des médias du monde
23 entier dans les jours qui suivirent ce premier reportage pour qu'une
24 enquête soit ordonnée sur ces crimes. Vous aurez l'occasion de voir ces
25 documents, mais vous voyez, ici, ce que représente le rapport, la totalité
26 des rapports d'enquête sur les camps de la SAO de Krajina, moins de deux
27 pages. Les rapports sur les camps de la RAK étaient tout aussi minces.
28 Manjaca, le camp de Manjaca où 3500 personnes ont été détenues, fut bouclé
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1 en moins de 300 mots. Le camp de Keraterm où se trouvèrent 4000 personnes,
2 moins de 60 mots. Pas un seul mot sur les crimes qui y furent commis.
3 Il y avait aussi un rapport du ministère de l'Intérieur qui
4 s'appuyait notamment sur ce que disait Simo Drljaca, le chef de police
5 locale qui administrait le camp d'Omarska. Ce rapport a été envoyé à une
6 commission qui comptait parmi ses membres un des interrogateurs du camp. Là
7 aussi, pas un seul mot sur les crimes. Drljaca, fidèle à la tradition qui
8 voulait qu'on allait accorder des promotions à ceux qui avaient réussi le
9 nettoyage ethnique, loin d'être démis de ses fonctions, a été décoré et
10 promu.
11 Mais les enquêtes, les dénis servaient à soutenir ce qu'affirmait
12 faussement Karadzic à la communauté internationale lorsqu'il disait que
13 non, il n'y avait pas de nettoyage ethnique. Toutes ces dénégations
14 faisaient partie de ses efforts de dissimulation absolue car Mladic disait,
15 en mai 1992 et je cite ce qu'il a dit à la 16e séance de l'assemblée
16 lorsqu'il fut nommé chef de l'état-major principal et lorsque les objectifs
17 stratégiques furent énoncés par Karadzic, je le cite :
18 "Ce que nous sommes en train de faire doit se faire dans le secret le
19 plus absolu. Et ce que nos représentants vont dire aux médias lors de
20 pourparlers et de négociations politiques, ils doivent présenter nos
21 objectifs avec des paroles qui plairont à ceux que nous voulons gagner à
22 notre cause, sans nuire à la cause de notre peuple serbe. Nos gens, nos
23 hommes doivent savoir comment lire entre les lignes."
24 Madame et Messieurs les Juges, en 1994, l'accusé a dit à ses
25 parlementaires à l'assemblée :
26 "Aujourd'hui, nous nous trouvons à l'endroit où nous étions au moment
27 de la conférence de Lisbonne, à la veille de la guerre. La seule
28 différence, c'est le nombre de victimes énorme dans les trois camps. Nous
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1 avons ruiné des villes et quelqu'un en est responsable, mais la question de
2 la responsabilité ne se pose pas maintenant."
3 Alors, qui est responsable de ces villes dévastées, des mosquées et
4 des églises détruites, des vies perdues, des familles brisées, des
5 survivants traumatisés ? Est-ce que les responsables sont seulement les
6 gardiens de camps qui battaient les prisonniers ou les regardaient subir
7 des sévices commis par d'autres ? Est-ce que ce sont les commandants de
8 camps qui surveillaient ou supervisaient ces crimes commis chaque jour ?
9 Est-ce que ce sont les chefs municipaux comme Deronjic ou Stakic qui ont
10 créé des camps, coordonné et soutenu les forces militaires et supervisé
11 l'opération de nettoyage ethnique ? Est-ce que ce sont les chefs régionaux
12 comme Brdjanin qui ont exhorté les Serbes à laisser le moins de Musulmans
13 possible dans la région et ont supervisé l'effort de séparation ethnique
14 forcée ? Est-ce que ce sont des chefs militaires comme Galic et Milosevic
15 qui ont mené des campagnes de terreur contre les civils et qui ont
16 supervisé la capture et l'exécution de milliers de Musulmans ? Est-ce que
17 c'est seulement le commandant de l'état-major principal de la VRS, Mladic,
18 qui a dirigé les opérations de l'armée de nettoyage ethnique, qui a
19 terrorisé Sarajevo, qui a massacré les hommes et les garçons de Srebrenica
20 ? Ou est-ce que c'est aussi leur chef, le commandant suprême de la VRS, le
21 président du SDS, l'homme qui a créé les institutions, qui a créé et
22 appliqué les politiques, qui a dirigé ses hommes et défendu leurs actions ?
23 Les éléments de preuve que vont vous apporter les victimes et les
24 autres témoins, les représentants de la communauté internationale, les
25 documents officiels de la Republika Srpska, le témoignage des associés de
26 l'accusé, le témoignage de l'accusé en personne démontrent que la réponse à
27 ces questions, au-delà de tout doute raisonnable, c'est un oui catégorique.
28 La déclaration liminaire de l'Accusation est ainsi terminée. Je vous
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1 remercie, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger.
3 L'accusé a décidé de ne pas assister à l'audience pendant trois journées
4 consécutives, alors que nous l'avions plusieurs fois mis en garde. Nous lui
5 avons dit qu'un tel comportement qui faisait obstruction à la bonne
6 administration de la justice ne serait pas toléré. Je l'avais annoncé la
7 semaine dernière, la Chambre doit déterminer les modalités de déroulement
8 du procès une fois la déclaration liminaire terminée et nous entendrons les
9 arguments des parties demain après-midi.
10 Demain nous n'entendrons pas d'éléments de preuve. Il n'y aura pas de
11 témoignage. Nous voulons entendre tant l'accusé que l'Accusation qui auront
12 l'opportunité de présenter leurs arguments respectifs avant que la Chambre
13 ne rende sa décision. Mais je voudrais répéter ceci à l'attention de M.
14 Karadzic, je voudrais lui transmettre une fois de plus notre mise en garde
15 et je demanderais au Greffe de transmettre la bande son comme le compte
16 rendu d'audience à M. Karadzic et à ses conseillers juridiques. S'il décide
17 de ne pas assister à l'audience, nous allons peut-être décider de
18 poursuivre en son absence et décider de commettre un conseil qui le
19 représentera. Qu'il réfléchisse longuement à cette situation avant de
20 présenter ses arguments à l'audience de demain.
21 L'audience est levée.
22 --- L'audience est levée à 17 heures 00 et reprendra le mardi 3
23 novembre 2009, à 14 heures 15.
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