Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le vendredi 23 avril 2010

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à tous. La raison pour laquelle

  6   le témoin n'est pas là est-elle liée à ce que M. Robinson a abordé hier ?

  7   Probablement.

  8   En ce qui concerne cette question, Monsieur Robinson, compte tenu du fait

  9   que M. Karadzic représente lui-même sa défense en tant qu'accusé, nous

 10   sommes quelque peu préoccupés, car il ne s'agit pas d'une situation

 11   habituelle où le conseil principal de la Défense assume l'entière

 12   responsabilité, y compris celle des stagiaires qui peuvent être autorisés à

 13   assister aux débats dans le prétoire. J'aimerais savoir si vous avez

 14   quelque chose à dire à ce sujet.

 15   M. ROBINSON : [interprétation] Même si je ne suis pas le conseil principal,

 16   et conformément à notre code de déontologie, je suis disposé, Monsieur le

 17   Président, à assurer cette responsabilité. Le code de déontologie

 18   s'applique également à ceux qui sont les conseillers juridiques d'accusés

 19   représentant eux-mêmes leur défense. Donc, je pense qu'il serait tout à

 20   fait approprié que nous assumions la responsabilité de la présence de nos

 21   stagiaires, car ils font partie intégrante de notre équipe.

 22   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Juste une précision. Votre requête se

 23   limite à la déposition de l'ambassadeur Okun ?

 24   M. ROBINSON : [interprétation] Non. En fait, ce serait pour le reste du

 25   procès. Nous avons un stagiaire qui a été désigné pour s'occuper d'un

 26   témoin. Et puis, ensuite, ce sont également les stagiaires qui sont

 27   responsables de la préparation des résumés. Donc, j'aimerais que les

 28   stagiaires qui s'occupent de ce témoin puissent aider M. Karadzic et

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  1   puissent également se préparer aux activités nécessaires après le départ du

  2   témoin.

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Et une autre précision, s'il vous plaît.

  4   Comme vous l'avez confirmé hier, notre ordonnance stipulait que M. Karadzic

  5   pouvait avoir deux membres de son équipe de Défense dans le prétoire à tout

  6   moment, sauf autorisation contraire des Juges de la Chambre. Par

  7   conséquent, pouvons-nous partir du principe que vous demandez cette

  8   autorisation exceptionnelle, plutôt qu'en fait, suggérer que soit vous-même

  9   soit M. Sladojevic se substitue à un des stagiaires.

 10   M. ROBINSON : [interprétation] C'est exact.

 11   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Les Juges de la Chambre vont conférer et

 12   vous donneront une décision après la première pause.

 13   A moins qu'il n'y ait d'autres points à aborder, nous pouvons peut-être

 14   faire entrer le témoin.

 15   M. ROBINSON : [interprétation] Monsieur le Président, êtes-vous

 16   arrivé à une décision pour savoir si le contre-interrogatoire allait

 17   commencer aujourd'hui ou pas ?

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne sais pas quand l'interrogatoire

 19   principal va se terminer. Nous verrons. Monsieur Tieger, de combien de

 20   temps avez-vous besoin aujourd'hui ?

 21   M. TIEGER : [interprétation] Hier, vous m'avez dit que j'avais trois

 22   heures. Je ne sais pas combien de temps j'ai déjà utilisé. C'est toujours

 23   difficile de respecter exactement le temps qui nous est imparti. Mais

 24   j'espère consacrer à peu près ce temps et, par conséquent, je pense que je

 25   pourrai conclure mon interrogatoire principal soit durant ce premier volet

 26   soit durant le second volet de la séance d'aujourd'hui.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

 28   [La Chambre de première instance se concerte]

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  1   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Robinson, nous verrons comment

  2   les choses évoluent, et nous vous donnerons notre décision un peu plus

  3   tard.

  4   [Le témoin vient à la barre]

  5   LE TÉMOIN : HERBERT OKUN [Reprise]

  6   [Le témoin répond par l'interprète]

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour, Monsieur l'Ambassadeur.

  8   Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.

  9   Monsieur Tieger, vous pouvez continuer.

 10   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 11   Interrogatoire principal par M. Tieger : [Suite]

 12   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur l'Ambassadeur.

 13   R.  Bonjour.

 14   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, nous allons reparler de vos carnets. Ils sont

 15   peut-être déjà dans l'ordre que vous avez déterminé, mais je voulais vous

 16   informer que vous devriez les avoir à proximité de façon à pouvoir vous y

 17   référer rapidement.

 18   Monsieur l'Ambassadeur, hier vous nous avez parlé des zones de Bosnie-

 19   Herzégovine que revendiquaient l'accusé et les dirigeants serbes de Bosnie,

 20   on a parlé de la composition démographique de ces zones, y compris du

 21   nombre de Musulmans qui vivaient dans ces zones. Je voulais vous demander

 22   si l'accusé vous a demandé si les différents groupes ethniques en Bosnie

 23   pouvaient vivre ensemble ou s'ils devaient vivre de manière séparée.

 24   R.  M. Karadzic m'a dit à plusieurs reprises que les groupes ethniques ne

 25   pouvaient pas vivre ensemble et qu'ils devaient être séparés. Il avait

 26   rajouté à l'époque que peut-être qu'un jour, à l'avenir, cela pourrait se

 27   passer ainsi, mais qu'à ce moment-là, ils ne pouvaient pas vivre ensemble.

 28   Q.  Durant votre déposition dans l'affaire Krajisnik, vous avez parlé de

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  1   plusieurs réunions durant lesquelles vous nous avez mentionné que ces

  2   thèmes avaient été abordés, y compris la réunion du 6 mars 1993 et du 24

  3   avril 1993. J'aimerais attirer votre attention sur d'autres réunions qui

  4   figurent dans vos carnets. Tout d'abord, je voudrais vous parler de la

  5   réunion du 17 septembre 1992. Il s'agit de la pièce P00785, à la page 25.

  6   Et pour vous, Monsieur l'Ambassadeur, il s'agit du livret de l'ICFY numéro

  7   2, la réunion qui a commencé le 9 octobre [comme interprété]. Je vous

  8   demande d'aller à la page 5 de la réunion.

  9   R.  Oui, j'y suis.

 10   Q.  Je vous prie de m'excuser, Monsieur l'Ambassadeur. J'attends que les

 11   documents apparaissent à l'écran pour que tout le monde dans le prétoire

 12   puisse les voir.

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que c'est déjà à l'écran.

 14   M. TIEGER : [interprétation] Peut-être qu'il y a eu une erreur, Monsieur le

 15   Président. Au départ, il s'agissait du document de la liste 65 ter 06535,

 16   mais je crois que maintenant la pièce est devenue P00785.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que c'est exact. Il s'agit du

 18   carnet numéro 2.

 19   M. TIEGER : [interprétation] Et la page sur le prétoire électronique

 20   devrait être le numéro 25, si je ne m'abuse.

 21   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, j'aimerais attirer votre attention sur la

 22   mention sur la page de droite, au milieu de la page. Est-ce que vous pouvez

 23   lire ce qui est écrit, et est-ce que vous pouvez confirmer que cela montre

 24   bien que la position de M. Karadzic était que les différents groupes

 25   ethniques en Bosnie ne pouvaient pas vivre ensemble ?

 26   R.  Oui, c'est encore une autre référence. M. Karadzic a mentionné :

 27   "Les communautés," il entendait par là les communautés ethniques, "ne

 28   pouvaient pas vivre ensemble à l'heure actuelle. Il y avait trop de haine.

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  1   "Nous avons besoin des villes, des villes individuelles qui devraient être

  2   gérées eux-mêmes."

  3   Et puis, Lord Owen lui a demandé :

  4   "Est-ce que vous pourriez vous imaginer vivant avec des Musulmans ?"

  5   Et M. Karadzic a répondu :

  6   "A terme, soit nous nous rapprocherons, soit au contraire nous nous

  7   éloignerons.

  8   "Il est possible que nous ayons des points communs ou que nous ayons des

  9   intérêts communs, tels que par exemple l'approvisionnement en énergie ou en

 10   eau."

 11   Et je lui ai demandé :

 12   "Qu'en est-il des instances judiciaires ?"

 13   Et il a répondu :

 14   "Non, pas avec les Musulmans."

 15   Q.  J'aimerais attirer votre attention sur la réunion du 19 septembre 1992.

 16   Encore une fois, il s'agit de la pièce P00785, il s'agit de la page 44. Je

 17   fais référence à une réunion qui s'est tenue à 5 heures, Monsieur

 18   l'Ambassadeur, la deuxième page concernant cette réunion, s'il vous plaît.

 19   Il semble qu'il s'agisse d'une réunion avec le Dr Koljevic, M. Karadzic, M.

 20   Krajisnik, M. Buha et M. Misa Milosevic, et en bas de la page de droite, il

 21   y a un commentaire du Dr Koljevic. Je vous demanderais de le lire et de

 22   nous confirmer que ceci reflète bien la position des dirigeants serbes de

 23   Bosnie, à savoir que les groupes ethniques ne pouvaient pas vivre ensemble.

 24   R.  Oui. Nikola Koljevic, qui est la dernière personne à s'exprimer sur

 25   cette page, avait pour initiales KOL, mentionnait que :

 26   "La guerre a mis à bas toute la confiance. Les communautés ne peuvent plus

 27   vivre ensemble. Et ce serait se voiler la face que de nier cela."

 28   Il continue en disant :

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  1   "C'est seulement en établissant des frontières que nous pourrons, à terme,

  2   abolir ces frontières."

  3   Et j'ai résumé cette présentation de la situation en mentionnant :

  4   "Explication très longue de Koljevic et de Karadzic concernant ce dernier

  5   point."

  6   Nikola Koljevic, qui est maintenant décédé, était un universitaire

  7   spécialisé dans Shakespeare et qui pratiquait la langue de Shakespeare à

  8   merveille et, par conséquent, il avait utilisé cette expression :

  9   "Seulement en constituant des frontières, nous pourrons, à terme, les

 10   abolir." Ce n'était donc pas une surprise que de voir ce type de

 11   formulation émanant de M. Koljevic.

 12   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, hier nous avons eu la possibilité de voir un

 13   arrêt sur image d'une vidéo présentant M. Krajisnik avec la carte des

 14   différentes représentations ethniques, avec un film plastique apposé sur

 15   cette carte qui reflétait votre déposition dans l'affaire Krajisnik et,

 16   durant cette déposition en parlant de cette carte, M. Krajisnik a dit que

 17   les territoires qui étaient représentés par cette zone qui avait la forme

 18   d'un fer à cheval appartenaient aux Serbes et qu'il ne s'agissait pas de

 19   territoires qui étaient peuplé, d'un point de vue ethnique, par d'autres

 20   communautés nationales. Et ceci se trouve à la page 4 303 du compte rendu

 21   d'audience.

 22   Est-ce qu'à la fin 1992, c'était exact de dire que les autres communautés

 23   nationales ne peuplaient plus ces zones contrôlées par les forces serbes de

 24   Bosnie dans cette partie représentée par un fer à cheval ?

 25   R.  Oui, dans une large mesure, c'était vrai, en raison du nettoyage

 26   ethnique qui s'était opéré dans ces zones, notamment la rive occidentale de

 27   la Drina. Hier, j'ai mentionné qu'il y avait sept "opstina" majoritairement

 28   musulmanes, et elles avaient été occupées et prises par les Serbes de

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  1   Bosnie et par l'armée yougoslave, et la zone de la Posavina, aux environs

  2   de Brcko, qui était une cible très importante pour les Serbes de Bosnie, et

  3   puis à l'ouest, il y avait une région à l'ouest de Banja Luka dans les

  4   environs de Prijedor, c'était une autre zone de ce type. Mais les deux

  5   principales zones où s'était opéré un nettoyage ethnique étaient la zone

  6   aux environs de la rivière de la Drina et la Posavina.

  7   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pourriez dire aux Juges de la

  8   Chambre comment vous-même et le secrétaire d'Etat, Vance, ainsi que

  9   d'autres avez obtenu des informations concernant ce nettoyage ethnique que

 10   vous venez de mentionner ?

 11   R.  Nous étions continuellement en contact avec le comité international de

 12   la Croix-Rouge qui avait envoyé des représentants sur tout le territoire de

 13   la République de Bosnie-Herzégovine. De plus, nous ne nous réunissions pas

 14   uniquement avec le CICR, mais également avec le Haut-commissaire des

 15   Nations Unies pour les réfugiés qui était impliqué dans les différentes

 16   activités d'aide humanitaire. Et puis, il y avait également les soldats des

 17   forces de protection des Nations Unies, à savoir de la FORPRONU, et je

 18   dirais qu'il y avait également, il ne faut pas les oublier, la mission de

 19   l'Union européenne, l'ECMM.

 20   Par conséquent, nous avions de très bonnes sources faisant état de ce

 21   qui se passait. Ces sources, et tout particulièrement le HCR des Nations

 22   Unies et le CICR, étaient très présentes sur le terrain. Comme les Juges de

 23   la Chambre le sauront, le comité international de la Croix-Rouge a pour

 24   rôle, en vertu des conventions de Genève et, en l'occurrence, la 4e

 25   convention de Genève, de prendre en charge les besoins humanitaires des

 26   civils dans les zones de conflits.

 27   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, puis-je vous demander de passer à une entrée

 28   dans vos carnets, qui porte la date du 6 septembre 1992. Il s'agit de la

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  1   pièce P00784, page 21. Il s'agit du livret numéro 1 de l'ICFY, réunion qui

  2   s'est tenue à 10 heures, à la première page.

  3   R.  Oui, j'y suis.

  4   Q.  Je voudrais que l'on se concentre sur la page de droite, qui est

  5   affichée à l'écran. Vous voyez qu'il y a une réunion à laquelle a participé

  6   Theirry Germond, Mme Sadako Ogata, puis il y a une référence à un TG, qui

  7   doit être Theirry Germond. Pourriez-vous lire le quatrième tiret.

  8   R.  Theirry Germond, qui était un fonctionnaire du CICR très haut placé

  9   pour toute l'Europe et qui devait contrôler la situation humanitaire en

 10   Bosnie. Il est mentionné : 

 11   "Sommaruga était franc à Londres et aucune des parties n'a soulevé

 12   d'objection. Les Serbes sont peut-être plus importants en nombre, mais au

 13   niveau de la qualité ils se sont très mal comportés."

 14   Sommaruga, la personne qui est mentionnée ici, était à l'époque le

 15   président du Comité international de la Croix-Rouge et il avait pris la

 16   parole lors de la conférence de Londres, qui s'est tenue lors de la

 17   dernière semaine du mois d'août 1992. Ceci était, en fait, inhabituel. Dans

 18   ses commentaires, le Dr Sommaruga l'a mentionné parce que, de manière

 19   générale, le Comité international de la Croix-Rouge travaille de manière

 20   confidentielle avec les gouvernements, puisqu'il s'agit d'une partie

 21   prenante tout à fait neutre et impartiale. Selon le CICR, il est important

 22   de conserver ce lien confidentiel avec les différents gouvernements, de

 23   façon à pouvoir avoir accès aux prisonniers, prisonniers tant civils que

 24   militaires. Mais le Dr Sommaruga avait, vu que la situation était tellement

 25   horrible en Bosnie, qu'il avait parlé de cela lors de la conférence de

 26   Londres.

 27   Q.  A cet égard --

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Juste une seconde.

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  1   Monsieur Robinson.

  2   M. ROBINSON : [interprétation] Je vous prie de m'excuser, Monsieur le

  3   Président. Je voudrais demander que l'on exclue cette information

  4   concernant le CICR et je voudrais que les informations du CICR ne soient

  5   pas communiquées. Comme vous savez, le CICR a des conditions

  6   confidentielles qui doivent être respectées et nous sommes dans une

  7   situation où des éléments du CICR sont mentionnés, mais en même temps, nous

  8   n'avons pas accès aux informations du CICR, ce qui signifie que nous ne

  9   pouvons pas corroborer cette information et nous ne pouvons pas non plus

 10   mener d'enquête à ce sujet.

 11   Etant donné que des responsables du CICR ne vont pas comparaître, je

 12   ne pense pas que ce soit approprié que d'avoir des dépositions indirectes

 13   en citant les propos de fonctionnaires du CICR. Par conséquent, j'aimerais

 14   que l'on exclue tous les éléments de cette déposition qui mentionneraient

 15   le CICR ou les propos tenus par des employés du CICR.

 16   Merci.

 17   [La Chambre de première instance se concerte]

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.

 19   M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

 20   Juges, il s'agit d'une objection qui n'est pas vraiment appropriée ici,

 21   étant donné qu'il s'agit d'une prise de parole de la part d'un employé du

 22   CICR, qui s'est faite dans une conférence publique. Nous n'avons pas

 23   besoin, bien sûr, de rentrer plus dans les détails, mais je pense que le

 24   caractère confidentiel du CICR ne devrait pas être pris en compte lorsqu'il

 25   s'agit de commentaire public.

 26   [La Chambre de première instance se concerte]

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous sommes d'accord. Il s'agissait

 28   d'une déclaration publique, telle que l'a dit M. Tieger. Par conséquent, le

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  1   témoin pourra en parler de cette manière.

  2   M. ROBINSON : [interprétation] Oui, mais j'incluais également les

  3   déclarations privées qui étaient mentionnées dans les journaux. On allait

  4   parler de déclarations publiques, mais il y a également des déclarations

  5   privées qui ont été faites par des responsables du CICR en présence de M.

  6   Okun, de Cyrus Vance ainsi que d'autres personnes. Par conséquent,

  7   j'aimerais que ceci soit également pris en compte par les Juges de la

  8   Chambre et qu'ils donnent une décision à ce sujet.

  9   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous évaluerons ultérieurement le poids

 10   de la déposition de l'ambassadeur Okun. Par conséquent, je ne vois aucun

 11   problème à poursuivre cette déposition de cette manière. Nous ne faisons

 12   pas droit à cette requête.

 13   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   Q.  Est-ce que nous pourrions revenir à la liste que j'avais demandé

 15   d'afficher précédemment, à savoir la pièce P00807.

 16   L'ambassadeur a mentionné qu'il s'agissait d'une prise de parole par le Dr

 17   Sommaruga, président du Comité international de la Croix-Rouge, lors de la

 18   conférence de Londres, prise de parole qui a eu lieu le 26 août. Je

 19   voudrais revenir à certains des propos tenus par M. Sommaruga.

 20   M. TIEGER : [interprétation] Est-ce qu'on pourrait passer à la page

 21   suivante, s'il vous plaît.

 22   Q.  Vous voyez en haut de la page, Monsieur l'Ambassadeur, il est mentionné

 23   que le Dr Sommaruga a prononcé les propos suivants :

 24   "Le Comité international de la Croix-Rouge n'a jamais pris la parole de

 25   manière si ouverte durant un conflit actif ou dans un pays touché par un

 26   conflit."

 27   Est-ce que ceci reflète bien le caractère inhabituel des propos du Dr

 28   Sommaruga ?

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  1   R.  Oui.

  2   Q.  Il poursuit en disant :

  3   "Tous ces appels sont devenus nécessaires, compte tenu de la gravité de la

  4   situation humanitaire en ex-Yougoslavie, notamment en Bosnie-Herzégovine."

  5   Ensuite, en bas de la page, il dit :

  6   "Je vais vous dresser un secret de ce tableau.

  7   "La population civile est harcelée systématiquement; des milliers de

  8   civils sont arrêtés chez eux, sont brutalisés, sont même tués. Des dizaines

  9   de milliers de groupes minoritaires sont transférés systématiquement par la

 10   force ou, comme ceci est le cas à Sanski Most, on les envoie sans

 11   protection sur la ligne de front, on les fait traverser à la ligne de

 12   front. Des centaines de milliers de civils ont fait l'objet de siège dans

 13   des villes telles que Bihac, Sanski Most, Sarajevo, Gorazde, Bosanski Brod,

 14   Derventa. La majorité de ces détenus sont des civils, sont détenus dans des

 15   conditions qui ne sont pas appropriées compte tenu de leur situation. Ils

 16   sont mal traités, et --"

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous pourriez attendre

 18   quelques secondes pour que nous puissions suivre ?

 19   M. TIEGER : [interprétation]

 20   Q.  "Ils ont été exécutés soit dans des lieux où le CICR n'a pas pu avoir

 21   accès, soit dans des lieux où il n'a été utilisé qu'après.

 22   Je continue. C'est le premier paragraphe entier en haut à gauche.

 23   "En ce qui concerne les détenus, ils sont mal traités et des

 24   centaines ont été exécutés soit dans des lieux où le CICR n'a pas pu avoir

 25   accès, soit dans des lieux où le CICR n'a pu se rendre qu'après le début

 26   des exécutions."

 27   Et il continue en parlant du refus d'accès au camp de détention,

 28   notamment à Trnopolje, et également la possibilité d'y avoir accès qu'après

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  1   de nombreuses démarches au niveau local, mais également au plus haut niveau

  2   politique.

  3   Monsieur l'Ambassadeur, est-ce qu'on a ici le type d'information que vous,

  4   M. Vance, M. Lord Owen receviez ainsi que d'autres négociateurs ?

  5   R.  Tout à fait. Peut-être que c'était transmis de façon plus directe,

  6   c'était effectivement un commentaire tout à fait exact qui traduit bien ce

  7   que nous avons reçu comme information. C'est effectivement ce genre

  8   d'information que nous avons reçu.

  9   Q.  Pour le 6 septembre, on voit dans votre journal qu'il n'y a pas eu

 10   d'objection de qui que ce soit. Aucune des parties a fait objection, est-il

 11   dit, aux observations et aux déclarations de M. Sommaruga. Vous nous l'avez

 12   dit, vous avez rencontré bon nombre des parties prenantes, leurs

 13   dirigeants, et beaucoup de personnes étaient en mesure, notamment MM.

 14   Milosevic, Cosic, Mate Boban, et d'autres représentants de la communauté

 15   internationale. Est-ce qu'il y aurait parmi toutes ces personnes une seule

 16   qui vous aurait dit que le CICR ou d'autres organisations qui relataient ce

 17   qui se passait sur le terrain s'étaient trompés, à savoir que le nettoyage

 18   ethnique, la détention de civils dans des camps, tout ceci ne se passait

 19   pas ?

 20   R.  Non. Personne n'a démenti, n'a nié cet état de fait. Je me souviens

 21   bien que M. Karadzic a dit une fois que le camp de Trnopolje - c'était un

 22   camp particulièrement mauvais, c'était un centre de détention administré

 23   par les Serbes où étaient détenus des Musulmans et des Croates - M.

 24   Karadzic m'a dit une fois que ce camp était ouvert, que quiconque pouvait

 25   en partir quand il ou elle le souhaitait, mais je n'ai aucune preuve de ce

 26   qu'il dit. Il aurait dit la vérité.

 27   Q.  J'ai quelques questions relatives aux commentaires que vous a adressés

 28   M. Karadzic, ainsi qu'à d'autres négociateurs à propos des camps et du

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  1   nettoyage. Parlons notamment des dirigeants avec qui vous avez eu affaire

  2   pendant ces négociations.

  3   Est-ce qu'il y a d'autres dirigeants de la région qui ont reconnu,

  4   qui ont admis qu'il y avait un nettoyage ethnique en cours ?

  5   R.  Oui. Ils l'ont tous fait, plus d'une fois, dirais-je. Le président

  6   Cosic, il était alors président de la République fédérale de Yougoslavie,

  7   ainsi que le président Tudjman, ont fait référence au nettoyage ethnique,

  8   en disant expressément que c'était du nettoyage ethnique. Ils l'ont fait

  9   dans une note officielle conjointe au document diplomatique et ce ne fut

 10   pas la seule fois que ce fut dit. D'ailleurs dans toutes les conversations

 11   concernant le nettoyage ethnique que nous avons eues avec les dirigeants

 12   serbes de Bosnie, c'était pratiquement inusité, il était tout à fait rare,

 13   qu'il n'ajoute pas ou qu'elle n'en parle pas. Quand on leur posait la

 14   question, pratiquement, on avait toujours la même réponse, qui était de

 15   dire : "Regardez ce qu'ils nous ont fait, ce qu'ils ont fait à notre

 16   peuple," ou si c'était Karadzic qui répondait, à ce moment-là ils disaient

 17   que "Sarajevo, c'était un camp de concentration où était détenu notre

 18   peuple," disait-il, "où notre peuple était tenu en otage."

 19   Ça, c'était si vous voulez le dialogue classique qu'on avait à propos

 20   du nettoyage ethnique. Il n'y avait aucun déni de la part de l'accusé ni

 21   d'autres. C'est plutôt qu'on imputait la faute à l'autre, aux autres.

 22   Q.  Examinons rapidement quelques références que nous trouvons dans vos

 23   carnets de notes. P00784 tout d'abord, page 53. Pour vous ce serait dans le

 24   premier carnet. Réunion à 9 heures 10, page 2 du carnet. Voyons quelques

 25   commentaires formulés par le président Cosic. Vous venez d'en parler.

 26   C'est une réunion qui s'est tenue le 11 septembre 1992. Ça devrait

 27   être à la page 53. Il y en a en tout 784.

 28   Haut de la page gauche.

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  1   Monsieur l'Ambassadeur, apparemment la discussion concerne des camps, et

  2   Cosic dit à ces propos : "J'aimerais inviter Elie Wiesel, entre autres,

  3   pour qu'il vienne visiter ces camps et pour qu'il voie la situation

  4   nécessaire de nettoyer." Puis, est-ce que vous pourriez continuer.

  5   R.  Oui. Le président Cosic a poursuivi en nous disant à nous :

  6   "Vous avez raison de nous demander de faire pression sur Karadzic,

  7   mais il faudrait aussi que vous fassiez pression sur les Croates et les

  8   Musulmans pour qu'ils cessent l'offensive."

  9   Il parlait ici, bien sûr, des actions d'offensive.

 10   Q.  Dans la même veine, voyons P00785.

 11   Pour vous ce sera toujours le premier carnet, réunion à 11 heures 15,

 12   première page, et vous allez voir ceci dans le prétoire électronique à la

 13   page 68 sur 785.

 14   R.  Quelle date ?

 15   Q.  Excusez-moi. 28 septembre 1992. Page 68. La date est celle du 28

 16   septembre 1992.

 17   M. TIEGER : [interprétation] Peut-être que je me trompe pour ce qui est du

 18   prétoire électronique. Ce n'est peut-être pas la page 68. A ce moment-là il

 19   faudra chercher la date du 28. Oui, la voici. Très bien.

 20   Peut-être que la photocopie n'a pas été faite de façon très

 21   intelligente. Est-ce que nous pourrions peut-être voir la page 73 dans le

 22   système du prétoire électronique et voir ce qu'elle nous montre. Nous avons

 23   la bonne page, maintenant.

 24   Q.  Excusez-moi de cette petite difficulté technique. Je suppose que vous,

 25   vous regardez cette page depuis belle lurette.

 26   Regardez la mention qui suit le tout début de la réunion. Premier

 27   paragraphe, le président Cosic intervient. On a le nom de certains des

 28   participants et tout de suite en dessous, on a le procès d'un président,

Page 1507

  1   Dobrica Cosic, c'est encadré, puis c'est à propos de la Bosnie-Herzégovine,

  2   puis il est fait référence au nettoyage ethnique. C'est le président Cosic

  3   qui l'aurait faite, cette mention. Quatre lignes plus loin, apparemment, il

  4   est dit :

  5   "Le nettoyage ethnique se poursuit - tous s'y livrent."

  6   R.  C'est bien, effectivement, ce qu'il a dit et ce qui se passait sur le

  7   terrain.

  8   Q.  Vous avez dit que le président Cosic comptait parmi ceux qui

  9   reconnaissaient qu'il y avait un nettoyage ethnique en cours, et vous avez

 10   dit auparavant que vous, vous aviez soulevé la question du nettoyage

 11   ethnique, des camps, de la détention des civils, à M. Karadzic et aux

 12   dirigeants serbes de Bosnie, que leur réponse a été de dire tu quoque, "Ils

 13   le font aussi, les autres," auraient-ils dit.

 14   Vous avez aussi fait référence à certaines des réunions au cours

 15   desquelles ce genre de commentaire s'est fait lorsque vous avez parlé de

 16   cela, notamment dans le procès Krajisnik. Voyons au moins une autre

 17   référence, à savoir la réunion du 29 janvier 1993, carnet numéro 7, réunion

 18   de 16 heures, P00789, page 39.

 19   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous vérifier la cote. Vous

 20   dites, c'est le carnet quel numéro ?

 21   M. TIEGER : [interprétation] Dans le carnet numéro 7, P00789.

 22   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pas 790. C'est quoi votre numéro 65 ter

 23   ?

 24   M. TIEGER : [interprétation] 06539.

 25   M. LE JUGE KWON : [interprétation] D'après ma liste, ce serait le sixième

 26   carnet.

 27   M. TIEGER : [interprétation] Vous avez peut-être raison, Monsieur le

 28   Président. Merci. Vous avez tout à fait raison, Monsieur le Président,

Page 1508

  1   c'est bien la pièce 790. Mais je pense que j'avais le bon numéro de page.

  2   Réunion du 29. Il faudra donc revenir en arrière. Page 37.

  3   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, regardons, si vous le voulez bien, le bas de la

  4   page, qui nous montre le début de la réunion avec Karadzic, Krajisnik et

  5   Buha. Nous voyons, d'après ce que vous avez écrit, que : "Karadzic critique

  6   les déclarations de DLO à propos des Serbes, et surtout l'interview

  7   accordée à la Tribune de Genève; c'est bien cela ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Veuillez poursuivre la lecture.

 10   R.  Lord Owen a répondu en disant ceci :

 11   "On ne peut pas parler de référendum." Il fait, en disant ceci, référence

 12   au fait qu'à plusieurs reprises, les Serbes de Bosnie ont proposé

 13   d'organiser des référenda dans les zones qu'ils avaient conquises et qu'ils

 14   occupaient. Et puisqu'il y avait eu un nettoyage ethnique de ces régions,

 15   on comprenait leur souhait d'organiser ce genre de référendum. Et ici, Lord

 16   Owen dit : Ce n'est pas possible.

 17   Q.  Est-ce que M. Karadzic continue de soulever cette

 18   question ? Est-ce qu'il parle de ce qui a été dit dans l'article et de sa

 19   réponse ?

 20   R.  Oui. M. Karadzic a dit à Lord Owen :

 21   "Vous dites que nous avons brûlé des villages, mais il y a beaucoup plus de

 22   villages serbes, eux, qui sont brûlés, qu'il y en a de villages croates ou

 23   musulmans, et cetera, et cetera, et cetera."

 24   Ces trois "et cetera" veulent dire que c'était une espèce de litanie

 25   entendue bien des fois auparavant et qu'il n'était dès lors pas nécessaire

 26   de revenir sur ceci, et que moi, je n'avais pas, en tout cas, pas besoin de

 27   le réécrire dans mes notes. Vous le voyez, M. Vance a manifesté un peu

 28   d'impatience. Voyez la mention suivante, je la lis :

Page 1509

  1   Le secrétaire Vance dit :

  2   "Allez, il faut maintenant s'occuper de choses concrètes et parler de

  3   ce qui nous réunit aujourd'hui."

  4   Ce sur quoi nous avons une longue réponse, réponse assez musclée et

  5   vigoureuse de M. Buha.

  6   Q.  Oui. Revenons au commentaire de M. Karadzic en réaction à la

  7   déclaration concernant les activités des forces serbes qui brûlent des

  8   villages. Est-ce que c'est là de nouveau de sa part une réponse qui

  9   consiste à dire un tu quoque ?

 10   R.  Tout à fait.

 11   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce qu'il est arrivé à M. Karadzic de vous

 12   dire qui avait la responsabilité des forces serbes de Bosnie qui ont fait

 13   l'objet de ces plaintes ?

 14   R.  Oui. A Genève, nous avons eu ce genre de conversations. Au cours de

 15   celles-ci, M. Karadzic a dit que c'était lui qui contrôlait les forces

 16   armées serbes de Bosnie, que ces forces étaient sous son commandement à

 17   lui. Il a ajouté que le général Mladic n'était pas facile à gérer. En tout

 18   cas, il ne l'avait pas été au début. Il a ajouté, "Là, je sais vous savez

 19   comment sont les soldats," ce sur quoi il a dit que le général Mladic était

 20   aussi sous son contrôle à lui.

 21   Q.  Parlons de la réunion du 17 septembre 1992, P00785, page 25, deuxième

 22   carnet, réunion à 9 heures 10, page 45 [comme interprété] de la réunion.

 23   R.  Je suis prêt.

 24   Q.  Nous regardons le bas de la page gauche. Apparemment CRV, donc le

 25   secrétaire Vance, demande d'abord : "Qu'en est-il des forces irrégulières ?

 26   Qui les contrôle ?"

 27   Pourriez-vous nous dire comment a répondu Karadzic à cette question ?

 28   R.  Oui. Vance demande, "Qui contrôle ces forces

Page 1510

  1   irrégulières ?" Et M. Karadzic répond : "5 % de ces forces ne sont pas

  2   contrôlées. Pour le reste, c'est moi qui contrôle ces forces."

  3   Et là, je le cite. Je cite ses propres paroles, les voici : "Nous

  4   pouvons faire tout ce que nous voulons. L'armée a un commandement unifié.

  5   J'ai plein pouvoir."

  6   Q.  Prenons maintenant une rubrique du 31 octobre 1992.

  7   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je l'ai.

  9   M. TIEGER : [interprétation] 

 10   Q.  Il s'agit de la pièce P787, page 39. A 12 heures 55, est-il écrit --

 11   M. TIEGER : [interprétation] Attendez. On avait la bonne page il y a juste

 12   une seconde. C'était celle-ci. Merci.

 13   Q.  A 12 heures 55, il y a une téléconférence de Radovan Karadzic qui est à

 14   Prijedor pour Cyrus Vance, voir memcon, il écrit.

 15   M. TIEGER : [interprétation] A cet égard, je vais demander au greffe

 16   d'afficher la pièce P00811.

 17   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que nous avons ici une note destinée à

 18   être archivée qui relate cette conversation téléphonique ?

 19   R.  Effectivement, et vous y voyez ma signature.

 20   Q.  Quel était l'objet ? Pourriez-vous nous le dire en quelques mots ? Je

 21   vais peut-être vous aider en rappelant certains passages. Dans la première

 22   partie on a l'objet, à savoir la conversation téléphonique lors de celle-ci

 23   l'absence de M. Vance, puis on dit que vous avez évoqué avec M. Karadzic la

 24   fuite de réfugiés de Jajce qui vont en direction de Travnik.

 25   R.  Oui. J'ai dit que nous avions reçu des rapports disant que ces gens

 26   étaient pilonnés et que la situation était très grave les concernant, et :

 27   "M. Karadzic a dit qu'il n'y avait pas eu de pilonnage à Jajce, ou

 28   pratiquement pas, que la ville avait été uniquement capturée par

Page 1511

  1   l'infanterie. Il a dit aussi que les civils étaient protégés à Jajce, et

  2   que la ville avait été prise par un groupe discipliné de soldats 'qui n'ont

  3   pas fait preuve d'irresponsabilité.' Je le citais là. Il a ajouté que

  4   "c'était une campagne de mésinformation [phon], de déformation de

  5   l'information dirigée contre les Serbes de Bosnie. Moi, j'ai dit que nos

  6   informations étaient tout à fait autre, et que je croyais qu'elles étaient

  7   dignes de foi, et que de toute façon en tout état de cause, il devrait

  8   aussitôt, sur le champ, appeler son commandant sur le terrain et rappeler

  9   l'ordre qui consiste à dire qu'il fallait protéger tous les civils

 10   innocents, peu importe ce qui se passait. J'ai rajouté, j'ai répété, que

 11   d'après nos informations des milliers de personnes fuyaient Jajce. Il a dit

 12   que ce n'était pas vrai, mais que les habitants de Jajce étaient déjà

 13   partis plus tôt, et j'ai dit de la façon la plus musclée possible qu'il

 14   devrait appeler son commandant de la région, lui ordonner de cesser toute

 15   activité dirigée sur des civils innocents. J'ai ajouté que c'était très

 16   urgent. C'était de la plus grande urgence. M. Karadzic a dit qu'il allait

 17   appeler son commandant pour lui donner ces instructions."

 18   Q.  Est-ce que ceci montre une fois de plus que pour vous, M. Karadzic

 19   c'était l'homme qui contrôlait les forces militaires, ce qu'il avait

 20   confirmé ?

 21   R.  Exactement. Pour ce qui est des faits évoqués ici, ce jour-là même à

 22   Genève le 31 octobre 1992, j'avais parlé à M. Karadzic à midi quinze [comme

 23   interprété], et j'étais toujours dans mon bureau à 22 heures. Vous le voyez

 24   sur cette page. On voit que c'est une "télécon", donc une conversation

 25   téléphonique d'Arnie Kanter à propos de Jajce. Kanter, c'était le numéro 3

 26   au ministère des Affaires étrangères américain, et il m'a appelé un samedi

 27   soir à 22 heures. Ceci montre la gravité de la situation ce jour-là. Les

 28   informations que nous avions reçues qui faisaient état de mauvais

Page 1512

  1   traitements infligés à des civils démontraient bien que ces informations

  2   étaient exactes.

  3   Mais quoi qu'il en soit, M. Karadzic a promis, s'est engagé à appeler le

  4   commandant sur place pour lui donner l'ordre sans doute d'arrêter de faire

  5   ce qu'il faisait jusque-là.

  6   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, précédemment dans le carnet vous signalez la

  7   référence que faisait M. Karadzic au commandement unifié qu'il avait de

  8   l'armée à ces pleins pouvoirs, au fait qu'il contrôlait 95 % des forces

  9   irrégulières. Revoyons d'autres références qui concernent les

 10   paramilitaires ou des personnalités paramilitaires dans votre carnet. La

 11   première, on la trouve le 15 avril 1992. Ce jour-là, vous avez une réunion.

 12   Il s'agit de la pièce P00780. Nous allons commencer à la page 22. C'est

 13   dans le carnet sur la mission Vance-Owen. C'est 7, réunion qui commence à 6

 14   heures 45, réunion avec M. Slobodan Milosevic. Voyez ce qu'on trouve sur la

 15   page de droite. On voit que vous avez écrit à la main numéro 41 pour

 16   indiquer la page de ce carnet. M. Vance semble poser une question à propos

 17   de la présence d'Arkan. Pourriez-vous nous dire quel était l'objet de la

 18   question posée par M. Vance, comment a répondu M. Milosevic et comment la

 19   conversation s'est poursuivie ?

 20   R.  Oui. Arkan, c'était le chef d'un groupe de paramilitaires

 21   particulièrement cruels, qui était intervenu pendant la guerre en Croatie,

 22   et lorsqu'il y a eu un cessez-le-feu et une cessation des hostilités en

 23   1992, les activités de ce groupe ont été transférées vers la Bosnie-

 24   Herzégovine. Ça, c'était le tout début. Nous étions encore au mois d'avril,

 25   ce qui fait que le secrétaire Vance a demandé à Milosevic : 

 26   "Et qu'en est-il d'Arkan sur la Drina ?"

 27   Ce qui signifie qu'il avait ouï dire que sur la rive ouest de la Drina, les

 28   forces d'Arkan étaient intervenues, notamment à Bijeljina. Et il avait

Page 1513

  1   ajouté que le général Adzic, qui était le commandant en chef de l'armée

  2   yougoslave à l'époque, avait dit qu'il s'y trouvait. Alors, Milosevic a dit

  3   :

  4   "Non. Peut-être qu'il pourrait être quelque part."

  5   Alors, je dois vous dire que c'était une réponse tout à fait

  6   caractéristique pour Milosevic. Quelqu'un pouvait bien être quelque part.

  7   Par la suite, il a confirmé qu'Arkan s'y trouvait; puis, il a dit qu'il lui

  8   était tout à fait interdit de sortir de Serbie. Arkan était passé à la

  9   télévision pour se faire "sa propre publicité." Au début, il s'était rendu

 10   à Bijeljina 'à titre privé.' Cette réponse était si fausse et si évasive

 11   que le secrétaire Vance savait qu'il n'en était pas ainsi.

 12   Et Milosevic a fini par admettre qu'Arkan s'y était trouvé, mais

 13   juste au début. Le reste du temps, Arkan se trouvait à Belgrade.

 14   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, veuillez vous référer maintenant à la page 44.

 15   Il s'agit de la page 24 au niveau du système d'affichage électronique.

 16   R.  Oui. Le secrétaire Vance revient à la charge et il dit que tout le

 17   monde sait qu'Arkan s'y était rendu. Il voulait dire à Bijeljina. Et

 18   Milosevic a répondu par un tu quoque :

 19   "Oui, mais d'autres aussi se trouvent également en Bosnie-Herzégovine."

 20   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, passons à la réunion de la journée d'après,

 21   celle qui se passe avec le Dr Karadzic. Il s'agit de la même pièce à

 22   conviction, le P00780, page 38. Il s'agit d'une réunion qui a commencé à 12

 23   heures 05 minutes, et je vous renvoie à l'entrée de la page 6 concernant la

 24   réunion. Je pense qu'il s'agit de la page 73 dans votre carnet de notes.

 25   Le jour d'après, le secrétaire Vance évoque la question d'Arkan en présence

 26   du Dr Karadzic ?

 27   R.  Oui, c'est le cas. Voulez-vous que je vous donne lecture de cette

 28   entrée du journal ?

Page 1514

  1   Q.  Oui.

  2   R.  Le secrétaire Vance a demandé à Karadzic et Koljevic :

  3   "Qu'en est-il d'Arkan et autres troupes irrégulières serbes ?"

  4   Et ils ont répondu en tandem :

  5   "Nous n'avons jamais vu Arkan. A Bijeljina, un Serbe a créé des difficultés

  6   ou un incident dans une cafétéria. Puis il y a eu manipulation et il y a eu

  7   une rixe. Et quelqu'un a fait appel à Arkan. Les Musulmans ont même envoyé

  8   un télégramme de remerciement à l'intention d'Arkan."

  9   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Je voudrais vous poser une question, pas

 10   à l'occasion de votre témoignage, mais avant que vous ne veniez témoigner,

 11   les Juges de la Chambre ont entendu une conversation entre l'accusé et un

 12   témoin, où il a toujours été fait référence à qui avait des effectifs et

 13   qui avait des armes. Alors, je voudrais savoir si le Dr Karadzic vous

 14   aurait indiqué quelle était la partie en présence qui avait des hommes et

 15   quelle était celle qui avait des armes ?

 16   R.  Oui. C'est une chose qu'il a évoquée plus d'une fois. Je ne dirais pas

 17   qu'il l'a dit tout le temps ou qu'il l'a dit à plusieurs reprises, mais il

 18   est certain qu'il l'a dit. Alors, il a dit que les autres parties en

 19   présence, à savoir les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie,

 20   avaient des hommes, et il a dit : "Nous, on a des armes. Si nous renonçons

 21   aux armes que nous avons, nous sommes fichus." Il a fait référence au fait

 22   que l'artillerie lourde des Serbes avait pilonné Sarajevo et autres places

 23   habitées, et en particulier, ce pilonnage de Sarajevo avait attiré

 24   l'attention du reste du monde, et que point n'est besoin de le dire, la

 25   chose avait été fort critiquée et lourdement critiquée pour ce qui est de

 26   la façon d'agir de l'armée des Serbes de Bosnie.

 27   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, lorsque vous avez témoigné dans l'affaire

 28   Krajisnik, vous avez indiqué que le Dr Karadzic vous avait dit avant le

Page 1515

  1   début des conflits, à moins que les Serbes n'obtiennent ce qu'ils

  2   voulaient, ils allaient essayer de l'obtenir par la force. Et je vous

  3   renvoie à ce qui figure à la page 4 173.

  4   Ou plutôt, 4 172 à 4 173.

  5   Alors, le Dr Karadzic vous aurait-il dit, après le début des conflits, que

  6   les Serbes de Bosnie allaient cesser de recourir à la force une fois qu'ils

  7   obtiendraient ce qu'ils voulaient ?

  8   R.  Oui, mais il disait rarement "nous avons obtenu ce que nous voulions."

  9   Il disait plus souvent qu'ils étaient disposés à cesser de se battre. Bien

 10   entendu, à ce moment-là, l'armée des Serbes de Bosnie détenait sous son

 11   contrôle 70 % de la Bosnie-Herzégovine. Donc ils avaient pratiquement déjà

 12   en main ce qu'ils voulaient, ou presque tout ce qu'ils voulaient, ce qui

 13   fait qu'il était très facile de proposer une cessation des combats.

 14   Q.  Passons maintenant à la réunion du 16 avril 1992. Je vous renvoie à la

 15   pièce P00780, page 37. S'agissant de votre cahier de notes, il s'agit du

 16   cahier numéro 7, et il est question de la réunion à 12 heures 05, c'est à

 17   la page 71.

 18   Et je vous renvoie vers le milieu de cette page, le Dr Karadzic y

 19   fait un commentaire qui dit :

 20   "Nous n'allons plus nous battre une fois que des décisions seront prises au

 21   sujet des cartes."

 22   Alors, de quoi s'agissait-il ? Que vous disait le Dr Karadzic à vous et au

 23   secrétaire Vance ?

 24   R.  Les combats en Bosnie-Herzégovine comportaient plusieurs volets. L'un

 25   de ces volets se ramenait à un nettoyage ethnique. Alors, la question était

 26   celle de savoir quel type d'Etat se devait d'être la Bosnie-Herzégovine, et

 27   c'était important. Je dois, en passant, mentionner aussi le fait que le 16

 28   avril 1992, ça faisait exactement dix jours après la reconnaissance de la

Page 1516

  1   Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant par la Communauté

  2   européenne. Le jour d'après, les Etats-Unis l'ont reconnu aussi, et cela,

  3   cet Etat a été également reçu au sein des nations des Nations Unies. Donc à

  4   la date de la conversation, le 16 avril 1992, nous étions en train de

  5   parler d'un Etat membre des Nations Unies.

  6   Bien, l'un des autres facteurs dont il a toujours été débattu, en sus

  7   de la question des relations en place entre les groupes ethniques, c'était

  8   la question des cartes, à savoir qui occuperait quelle partie de la Bosnie.

  9   Et c'est ce que nous dit le Dr Karadzic : Une fois que nous nous mettrons

 10   d'accord sur le fait de savoir qui se trouvera où, donc lorsqu'on se mettra

 11   d'accord sur les cartes, "Les combats vont cesser."

 12   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que le Dr Karadzic et les autres leaders

 13   des Serbes de Bosnie, à l'occasion des négociations, auraient pris des

 14   positions qui étaient fonction des changements intervenus dans la structure

 15   démographique et les conditions démographiques du fait des nettoyages

 16   ethniques ?

 17   R.  Oui. Lorsqu'il y a eu des demandes de référendum, c'est de cela qu'il

 18   s'agissait dans les territoires réclamés par les Serbes de Bosnie pour

 19   qu'ils fassent partie de leur Republika Srpska.

 20   Q.  A l'occasion de votre témoignage dans l'affaire Krajisnik, vous avez

 21   fait référence à une réunion où on avait demandé, et je cite, "d'accepter

 22   les réalités ethniques," et vous avez dit que c'était "tout à fait clair,

 23   sans subtilité aucune, une référence au nettoyage ethnique." Et vous avez

 24   également fait référence à une réunion du 19 septembre 1992, où le Dr

 25   Karadzic a dit : "On doit s'arrêter et rester là où on se trouve."

 26   Alors, j'attire votre attention aussi sur plusieurs autres

 27   références. D'abord, la réunion du 30 janvier 1993, page 40 du système

 28   d'affichage électronique. Et il s'agit de votre carnet de notes numéro 7,

Page 1517

  1   la réunion qui s'est tenue à 10 heures 55.

  2   M. TIEGER : [interprétation] Ça devrait être le 790. Et moi, j'ai dit 789.

  3   Toutes mes excuses. Merci. C'est de cela qu'il s'agit.

  4   Q.  Il est question d'une session plénière, Monsieur l'Ambassadeur, et il y

  5   est dit que le Dr Karadzic est en train de parler, je vous renvoie à votre

  6   carnet de notes, côté droit. Veuillez indiquer aux Juges qu'est-ce qu'a

  7   donc expliqué le Dr Karadzic et quelle a été la réaction de Lord Owen à ce

  8   sujet.

  9   R.  Ceci a constitué une réunion importante. Après les présentations ou

 10   l'introduction formelle présentant le plan de paix Vance-Owen - et je

 11   précise que ça se passait le 2 janvier 1993, cela; or la réunion en

 12   question, c'est quatre semaines plus tard - parce que le plan avait suscité

 13   des réactions variées, pour ce qui est des trois parties en présence, à

 14   savoir les Musulmans, les Croates et les Serbes de Bosnie.

 15   Je me dois d'abord de vous expliquer, ici, la teneur de ce plan, parce que

 16   sans cela, les notes dont on parle seront dénuées de sens. Donc, permettez-

 17   moi d'expliquer brièvement.

 18   Le plan Vance-Owen avait trois volets indépendants : D'abord, une structure

 19   constitutionnelle de l'Etat; deuxièmement, des arrangements militaires; et

 20   troisièmement, la carte pour ce qui est des structures par province. Ces

 21   parties-là devaient être signées de façon séparée, et cela requérait neuf

 22   signatures; donc trois parties en présence et trois volets du plan. La

 23   situation, à la date du 30 janvier, date de la tenue de cette réunion, se

 24   présentait comme

 25   suit : Mate Boban et les Croates de Bosnie avaient signé les trois parties

 26   du plan. Ils ont donc complètement accepté et signé le plan de paix Vance-

 27   Owen. Les Musulmans de Bosnie et les Serbes de Bosnie ne l'ont pas fait,

 28   exception faite des Musulmans qui, eux, ont accepté les principes

Page 1518

  1   militaires. Vous pouvez voir au bas de cette page Izetbegovic : 

  2   "Qui accepte les principes militaires, mais qui n'accepte pas la

  3   carte" -- ou plutôt, excusez-moi, "il a accepté neuf principes."

  4   Il a accepté les principes constitutionnels, mais il n'a pas accepté

  5   les principes liés aux aspects militaires et à la carte. Or la partie du Dr

  6   Karadzic a rejeté les trois volets. Donc nous avions quatre signatures sur

  7   les neuf dont nous avions besoin. La finalité de cette réunion était

  8   d'intervenir auprès des parties en présence et de les encourager à signer

  9   les autres volets ou les autres segments de ce plan Vance-Owen. Et tout de

 10   suite à la page d'après, on en arrive à l'objet de votre question, le Dr

 11   Karadzic dit :

 12   "J'ai accepté déjà neuf principes et la plupart des cartes. 'Certains

 13   détails doivent être décidés de façon démocratique.'"

 14   Et je cite : "Décision démocratique."

 15   "Alors, si les gens peuvent se prononcer, nous allons l'accepter."

 16   Donc c'était une façon de dire qu'il fallait tenir un référendum dans les

 17   secteurs serbes. Donc Lord Owen a dit :

 18   "Je crois comprendre donc que vous le rejetez."

 19   Et c'était un rejet. Puis il ajoute :

 20   "Il y a trop de gens qui ont été déplacés."

 21   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, si vous pouvez rapidement passer à une autre

 22   entrée --

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger, je vous propose de

 24   faire à présent une pause. Je vois que le compte rendu a cessé de défiler

 25   sur certains écrans, et j'espère que ces difficultés techniques seront

 26   surmontées pendant la pause.

 27   Nous allons faire une pause de 25 minutes.

 28   --- L'audience est suspendue à 15 heures 34.

Page 1519

  1   --- L'audience est reprise à 16 heures 06.

  2    M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne sais pas si les problèmes

  3   techniques ont été résolus. Je vais essayer.

  4   Monsieur l'Ambassadeur, j'ai quelques questions administratives à régler

  5   avant de poursuivre votre déposition. Je vous demande un peu de patience.

  6   Monsieur Karadzic, Monsieur Robinson, les Juges de la Chambre ont étudié la

  7   demande de M. Robinson pour qu'un stagiaire de la Défense soit présent dans

  8   le prétoire durant le contre-interrogatoire, et d'ailleurs, pour que ceci

  9   soit la règle pour les témoins à venir.

 10   La Chambre est consciente des pratiques qui sont observées dans

 11   d'autres Chambres de première instance et ainsi qu'au TPIR. Cependant, nous

 12   considérons que la situation est différente, étant donné que M. Karadzic

 13   est un accusé représentant lui-même sa Défense.

 14   Comme vous le savez, les Juges de la Chambre essaient de voir dans

 15   quelle mesure M. Karadzic aura besoin d'aide durant les différentes parties

 16   du procès, et nous savons que M. Robinson est habilité à vous aider pour

 17   des questions juridiques et M. Sladojevic, un de vos commis d'affaire, est

 18   habilité à vous représenter pour les questions traitant, par exemple, de

 19   l'obtention de documents, des références de pages, et cetera.

 20   Nous pensons, par conséquent, que si vous avez besoin d'une aide

 21   supplémentaire, vous devriez faire une demande par écrit en expliquant

 22   pourquoi vous pensez que M. Sladojevic ou un autre commis d'affaire ne

 23   suffira pas dans ce cas précis.

 24   Par conséquent, nous ne faisons pas droit à la demande de M.

 25   Robinson, à ce stade, et nous vous demandons, Monsieur Karadzic, à faire

 26   personnellement des requêtes à l'avenir, et ceci, par écrit, en gardant à

 27   l'esprit l'ordonnance de cette Chambre de première instance concernant les

 28   aspects procéduraux de la conduite de ce procès.

Page 1520

  1   Deuxième point, il s'agit du contre-interrogatoire que vous allez mener,

  2   Monsieur Karadzic. Etant donné que la déposition de l'ambassadeur Okun

  3   couvre un certain nombre de domaines, de telle manière à ce que vous ayez

  4   prévu une durée pour le contre-interrogatoire de 14 heures, il y a

  5   également eu la communication tardive de documents, et cela signifie que

  6   nous pensons que vous n'avez aucun problème, ou vous n'auriez aucun

  7   problème, à entamer votre contre-interrogatoire aujourd'hui. Nous allons,

  8   par conséquent, conclure l'interrogatoire principal durant ce volet de

  9   cette séance et, par conséquent, nous vous demandons et nous vous

 10   recommandons de commencer le contre-interrogatoire immédiatement après la

 11   fin de l'interrogatoire principal.

 12   Veuillez poursuivre, Monsieur Tieger.

 13   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, avant notre pause, je vous avais demandé si le

 15   Dr Karadzic et les dirigeants serbes de Bosnie avaient exprimé des

 16   positions qui étaient basées sur les changements démographiques liés aux

 17   opérations de nettoyage ethnique, et vous aviez indiqué dans votre dernière

 18   référence que ceux-ci insistaient pour que des référendums soient tenus. Je

 19   voudrais, par conséquent, que nous passions à une réunion qui s'est tenue

 20   le 15 janvier 1993. Il s'agit de la pièce P00789, à la page 58. Monsieur

 21   l'Ambassadeur, pour les livrets de l'ICFY, il s'agit du livret numéro 7 --

 22   non, pardon, du numéro 6. Il s'agit d'une réunion qui a commencé à 11

 23   heures 55 avec M. Buha, M. Lukic et Mme Plavsic.

 24   Ce qui m'intéresse tout particulièrement, c'est le bas de la page 5,

 25   concernant cette réunion. Quoi qu'il en soit, ce passage figure également à

 26   l'écran.

 27   Si vous avez trouvé ce passage, j'aimerais que vous vous concentriez

 28   sur les commentaires de M. Buha. C'est la dernière référence de la page de

Page 1521

  1   droite affichée à l'écran en ce moment.

  2   D'abord, ce sera peut-être plus facile que vous regardiez la page

  3   précédente. Il est mentionné sur cette page "corridor" en anglais, puis

  4   vous avez des notes qui suivent cette rubrique. Est-ce que vous voyez ce

  5   passage, Monsieur l'Ambassadeur ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Vous voyez, "corridor,"

  8   "Peut-être tenue d'un référendum afin d'obtenir une décision."

  9   Puis la dernière référence de cette page de droite, il est mentionné

 10   "Kara," je suppose que ça veut dire Karadzic, "identifier les domaines

 11   sujets à controverse et résoudre ces problèmes sur la base d'un

 12   référendum".

 13   Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que c'est un autre exemple de l'insistance

 14   exercée par les dirigeants serbes de Bosnie sur la tenue d'un référendum

 15   dans les zones où la répartition démographique avait changé ?

 16   R.  Oui.

 17   L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai une objection.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Sur quel point ?

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je crois que M. Tieger force l'ambassadeur à

 20   tirer des conclusions sur des éléments qui ne sont pas basés sur le texte

 21   et, par conséquent, cela va rendre ma tâche plus difficile et j'aurai

 22   besoin de beaucoup plus de temps.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Etant donné que la déposition ou la

 24   quasi-totalité de la déposition de l'ambassadeur Okun a été faite

 25   conformément au régime de l'article 92 ter, nous avons permis que certaines

 26   questions directrices soient posées, mais est-ce que vous pouvez reformuler

 27   votre question, Monsieur Tieger.

 28   M. TIEGER : [interprétation] Bien sûr, Monsieur le Président.

Page 1522

  1   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, à quoi M. Buha fait-il référence dans ce

  2   dernier passage?

  3   R.  A la page précédente, avant qu'il ne dise : "Nous avons besoin d'un

  4   corridor," il mentionne :

  5   "Peut-être qu'il faudrait organiser un référendum afin d'obtenir une

  6   décision".

  7   Puis quelques minutes plus tard, il est mentionné que :

  8   "l'autodétermination est vitale".

  9   A l'époque, je l'ai interprété de la manière suivante. Je ne sais pas

 10   si c'est exact, mais je pensais que lorsqu'on disait : "L'autodétermination

 11   est vitale," c'est une autre manière d'exiger la tenue d'un référendum.

 12   C'est ainsi que j'avais compris les choses, et c'est toujours ainsi que

 13   j'interprète la situation à l'heure actuelle.

 14   Puis il poursuit en disant, c'est la dernière référence sur cette page. Il

 15   est mentionné, le Dr Karadzic a déclaré, et je cite :

 16   "Identifier les domaines qui pourraient porter à controverse et résoudre

 17   ceci sur la base d'un référendum."

 18   Alors, les domaines sujets à controverse, en fait, c'étaient les zones qui

 19   avaient été conquises par les Serbes de Bosnie. Je l'ai montré sur la

 20   carte. Encore une fois, ici, le souhait est exprimé d'organiser un

 21   référendum dans des régions qui avaient fait l'objet d'un nettoyage

 22   ethnique.

 23   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, vous nous avez parlé de la réponse du Dr

 24   Karadzic, lorsque l'on a attiré son attention sur les opérations de

 25   nettoyage ethnique réalisées par des Serbes de Bosnie. Vous avez parlé en

 26   particulier de la pratique du tu quoque. J'aimerais que l'on consulte

 27   maintenant un entretien qui a été filmé. Il s'agit de la pièce P00809.

 28   J'aimerais que l'on visionne plusieurs extraits de cet entretien. Tout

Page 1523

  1   d'abord, les extraits numéro 6, puis numéro 7 et numéro 8, si possible.

  2   [Diffusion de la cassette vidéo]

  3   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  4   "En plus des questions humanitaires, j'aimerais rappeler que mis à

  5   part des réfugiés ethniques, nous avons des otages ethniques. Je peux vous

  6   assurer qu'il est préférable d'être un réfugié ethnique qu'un otage

  7   ethnique. Les otages ethniques sont des personnes qui ne peuvent pas

  8   quitter certaines zones. C'est en violation de la convention de Genève et

  9   nous demandons instamment que les civils en Bosnie-Herzégovine puissent

 10   quitter certaines régions. La ville de Sarajevo est le plus grand camp de

 11   concentration pour les Serbes. Il y a entre 60 000 et 70 000 Serbes qui

 12   sont emprisonnés à Sarajevo."

 13   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 14   M. TIEGER : [interprétation] Deuxième vidéoclip.

 15   [Diffusion de la cassette vidéo]

 16   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] 

 17   "Ça, c'est un engin amateur, une arme musulmane pour tuer les Serbes. C'est

 18   utilisé comme un marteau. Ensuite, ils peuvent arracher les yeux avec cette

 19   partie de cet outil. Ils font cela pour faire peur aux autres, pour les

 20   faire fuir la Bosnie-Herzégovine. L'objectif directeur, ou le plan

 21   directeur pour la Bosnie-Herzégovine était que ce pays n'ait plus aucun

 22   Serbe, qu'il n'y ait pas un seul Serbe. C'est en fait la poursuite d'une

 23   politique qui avait été menée par la Croatie fasciste durant la Deuxième

 24   Guerre mondiale. Un tiers des Serbes seraient extradés vers la Serbie, un

 25   autre serait converti au catholicisme et le troisième tiers serait tué.

 26   Donc ils ont conçu leurs propres Etats sans un seul Serbe et c'est la

 27   raison pour laquelle ces massacres sont commis, pour faire peur aux

 28   populations, pour les faire fuir, qu'ils aillent dans le village d'après ou

Page 1524

  1   dans la région d'après, pour qu'ils s'enfuient."

  2   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

  3   M. TIEGER : [interprétation] Troisième vidéoclip.

  4   [Diffusion de la cassette vidéo]

  5   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  6   "Mesdames et Messieurs, je voudrais dire quelques mots concernant les

  7   blâmes qui ont été prononcés contre les Serbes en raison de ce que l'on a

  8   appelé le nettoyage ethnique. Vous faites partie des médias et vous savez

  9   que ces accusations sont graves. Je pense que pour la plupart d'entre vous,

 10   vous savez qu'il y a eu un nettoyage ethnique musulman des Serbes.

 11   Récemment à Gorazde, il y a 26 villages, que vous allez peut-être visiter

 12   tôt ou tard, si vous avez de la chance, qui sont le long de la Drina et en

 13   direction de Bratunac. Il y a également d'autres parties de la Bosnie-

 14   Herzégovine où il y a eu des opérations de nettoyage ethnique graves, et

 15   nous avons des documents ainsi que des noms."

 16   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 17   M. TIEGER : [interprétation]

 18   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, je ne sais pas si j'ai mentionné qu'il

 19   s'agissait d'une conférence de presse qui avait été organisée le 18

 20   septembre 1992, lors de la conférence internationale pour l'ex-Yougoslavie.

 21   Je voulais vous demander si les déclarations du Dr Karadzic et du Dr

 22   Koljevic étaient cohérentes avec ce que vous aviez entendu, lorsqu'ils vous

 23   avaient donné des réponses aux allégations, qu'il y avait des nettoyages

 24   ethniques qui étaient réalisés ?

 25   R.  Oui, ils sont tout à fait cohérents.

 26   Q.  Je voudrais, si vous me le permettez, vous faire visionner un dernier

 27   extrait vidéo. Il s'agit de l'extrait numéro 2 -- 12.

 28   [Diffusion de la cassette vidéo]

Page 1525

  1   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  2   "Vous dites que les Serbes ne représentent que 35 % de la population de

  3   Bosnie-Herzégovine, mais en même temps, vous revendiquez entre 60 % et 70 %

  4   de cette république pour les Serbes.

  5   Réponse de M. Karadzic : Nous ne faisons pas de revendications. Nous en

  6   sommes les propriétaires, nous les possédons, nous les contrôlons. C'est

  7   parce que nous avons été la majorité avant la Seconde Guerre mondiale,

  8   avant les génocides. Mais durant la Deuxième Guerre mondiale, la même

  9   coalition a tué plus de 700 000 Serbes. C'est la raison pour laquelle nous

 10   ne représentons maintenant que

 11   35 % de la population, mais en termes de propriétés, nous sommes encore à

 12   60 %."

 13   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 14   M. TIEGER : [interprétation]

 15   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, un peu plus tard dans cette conférence de

 16   presse, à la page qui porte la cote 0092-9867, un journaliste vous a à

 17   nouveau demandé :

 18   "Vous avez dit que vous voulez trois Etats en Bosnie-Herzégovine, et vous

 19   contrôlez 65 % du territoire de la Bosnie-Herzégovine à l'heure actuelle."

 20   Et le Dr Karadzic a répondu :

 21   "Non, le territoire serbe, c'est un territoire qui appartient aux

 22   Serbes."

 23   Monsieur l'Ambassadeur, je voudrais vous demander si ceci est cohérent avec

 24   les positions qui étaient prises par le Dr Karadzic en ce qui concerne le

 25   territoire de Bosnie-Herzégovine, territoire qu'il considérait comme

 26   revenant de droit aux Serbes et devant être contrôlé par les Serbes ?

 27   R.  Oui, ceci est cohérent. Nous avons également entendu cet argument de la

 28   bouche du président Milosevic.

Page 1526

  1   M. TIEGER : [interprétation] Est-ce que je pourrais maintenant faire

  2   afficher le compte rendu d'audience ou le compte rendu de la conférence de

  3   presse. Je crois - un moment, s'il vous plaît. Il s'agit de la pièce

  4   P00809. Il s'agit de la page qui porte la cote 0092-9863.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que nous avons un numéro de pièce

  6   distinct pour le compte rendu de cette conférence ?

  7   M. TIEGER : [interprétation] Non, c'est en fait le même numéro de pièce,

  8   Monsieur le Président, la vidéo et le compte rendu. Si les Juges de la

  9   Chambre le souhaitent, nous pouvons prévoir une autre cote.

 10   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ceci peut être résolu, mais sur mon

 11   prétoire électronique, il n'y a qu'une seule page. Enfin, poursuivons.

 12   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent] M. LE JUGE

 13   KWON : [interprétation] On m'avait dit qu'il y avait, en fait, une autre

 14   pièce qui était jointe. Mais poursuivez.

 15   M. TIEGER : [interprétation]

 16   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, au milieu de la page, le Dr Karadzic dit :

 17   "En fait, la partie serbe ainsi que la partie croate ont leurs

 18   propres objectifs, et ceci est beaucoup plus facile de traiter avec les

 19   Croates, parce que nous savons qu'ils ont un objectif. Quant aux Musulmans,

 20   ils n'ont pas d'objectifs, ou plutôt les Musulmans ont des objectifs qui

 21   sont irréalistes, à savoir de s'approprier la totalité de la Bosnie-

 22   Herzégovine et de dominer les Croates et les Serbes. Nous sommes prêts à

 23   mettre fin à l'animosité entre les Croates, et d'arrêter tous les tirs et

 24   d'établir une commission permettant de définir les frontières, les

 25   frontières donc pour ces deux groupes ethniques."

 26   Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pourriez nous dire ce qu'on entend

 27   par "définition des frontières" ou "délimitation ?"

 28   R.  Il parle d'une frontière entre la Republika Srpska, c'est-à-dire le

Page 1527

  1   territoire serbe de Bosnie, et la communauté d'Herceg-Bosna, à savoir le

  2   territoire des Croates de Bosnie. Il y avait un accord entre les Serbes de

  3   Bosnie et les Croates de Bosnie qui reprenait un certain nombre de points.

  4   Comme je l'ai mentionné, les trois parties avaient différents objectifs, et

  5   là, il mentionne de donner corps à cette proposition, à savoir d'avoir des

  6   frontières géographiques entre les deux groupes ethniques.

  7   Q.  Est-ce que le Dr Karadzic vous a dit clairement, à vous et aux autres

  8   négociateurs, durant le cours de ces négociations, pourquoi il considérait

  9   que les objectifs des Croates de Bosnie étaient réalistes par rapport aux

 10   objectifs irréalistes des Musulmans ?

 11   R.  Oui, il a utilisé le terme "réaliste". J'aurais choisi un autre terme.

 12   J'aurais peut-être dit qu'il s'agissait d'objectifs qui étaient

 13   "compatibles" avec les objectifs des Serbes de Bosnie, ou qui "n'allaient

 14   pas à l'encontre" des objectifs des Serbes de Bosnie. Mais comme nous le

 15   savons, les Serbes de Bosnie et les Croates de Bosnie voulaient, en fait,

 16   définir dans la zone de Bosnie-Herzégovine des entités politiques

 17   individuelles séparées. Ils en ont parlé avant que les combats ne

 18   commencent, durant les combats. Par exemple, en mai 1992, Mate Boban et le

 19   Dr Karadzic se sont réunis à Graz pour aborder cette question ainsi que

 20   d'autres aspects.

 21   Le Dr Karadzic, dans ses remarques ici, est tout à fait cohérent avec ses

 22   actions et avec ce qu'on considérait comme étant les mesures prises à

 23   l'époque, à savoir une partition d'une manière ou d'une autre de la Bosnie-

 24   Herzégovine.

 25   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que je peux vous demander de passer à

 26   une réunion qui s'est tenue le 17 septembre 1992. Il s'agit de la pièce

 27   P785, page 26, et il s'agit du livret numéro 2 de l'ICFY, réunion à 9

 28   heures 10, à la page 7.

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  1   Je vous demande de consulter la dernière phrase en bas de la page de gauche

  2   à l'écran, et puis ensuite poursuivez sur la page suivante. Pourriez-vous

  3   dire aux Juges de la Chambre ce qui est mentionné ici et ce qui est abordé

  4   durant cette réunion, s'il vous plaît.

  5   R.  Cette réunion s'est tenue le 17 septembre, c'est-à-dire durant la

  6   troisième semaine de la conférence internationale, et cette réunion précise

  7   était avec le Dr Karadzic et Misa Milosevic, et le Dr Karadzic disait :

  8   "Les Musulmans sont en train de perdre parce que leurs objectifs ne sont

  9   pas réalistes."

 10   C'est en fait exactement la même chose qu'il a dit le lendemain dans sa

 11   conférence de presse, c'est-à-dire :

 12   "Ni les Croates ni les Serbes ne permettront cela."

 13   Quand il dit cela, il entend les objectifs parallèles des Croates de Bosnie

 14   et les Serbes de Bosnie, comme je l'ai déjà mentionné. Et il dit que :

 15   "Izetbegovic souhaite en fait diriger par le truchement du fort taux

 16   de fécondité."

 17   Nous en avons déjà parlé. Et puis il poursuit :

 18   "Comment mettre fin à la guerre ?"

 19   Eh bien, il dit :

 20   "Il faudrait que les Croates et les Serbes se réunissent. Il faudrait les

 21   aider à échanger des territoires et aider la Croatie," mais il entend par

 22   là les Croates de Bosnie, "à obtenir plus de territoires."

 23   Puis, il poursuit en donnant des exemples tout à fait exacts :

 24   "S'il y avait une table de négociations avec Milosevic, Hadzic, et

 25   moi-même d'un côté," c'est-à-dire les parties serbes, Milosevic, Hadzic qui

 26   était le dirigeant des Serbes de la Krajina en Croatie, "… et puis, moi,

 27   d'un côté, et de l'autre côté, s'il y avait Boban et Tudjman, nous

 28   pourrions résoudre le problème."

Page 1529

  1   Eh bien, ils résoudraient le problème par le biais d'une partition,

  2   mais la partie qui serait manquante à la table des négociations, ce serait

  3   les Musulmans. Donc, si vous voulez, c'est une réponse très directe à la

  4   question de savoir qui était qui et quelles étaient les doléances de

  5   chacun.

  6   Q.  Et rapidement, Monsieur l'Ambassadeur, deux références qui sont

  7   connexes. Je voudrais que vous alliez à la réunion du 28 novembre 1992, la

  8   pièce P787, à la page 6, et pour le livret de l'ICFY, il s'agit du numéro

  9   5, c'est une réunion qui s'est tenue à

 10   9 heures 15. J'aimerais que vous vous concentriez sur la page 5 de cette

 11   réunion, s'il vous plaît.

 12   M. TIEGER : [interprétation] Je vous prie de m'excuser. Ce n'est pas

 13   la pièce P787, mais P788. Je vous remercie.

 14   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, nous avons ici une réunion du président

 15   Tudjman, président de Croatie, avec d'autres. Regardez ce

 16   qui se trouve après la première moitié de la page de gauche. Qui intervient

 17   et que dit cette personne ?

 18   R.  Le sujet des frontières est venu à être évoqué avec le président

 19   Tudjman, et Lord Owen demande :

 20   "Est-ce qu'on peut changer les frontières ?"

 21   FT, Franjo Tudjman, répond ceci :

 22   "On ne peut pas changer les nôtres."

 23   Il est catégorique sur ce point. Vous voyez, j'ai mis ça en

 24   majuscules, "PAS LES NÔTRES."

 25   "La Croatie est aujourd'hui plus petite qu'au moment où elle a intégré la

 26   Yougoslavie en 1919, elle est plus petite qu'elle ne l'était en 1939."

 27   Ici, il parle de l'accord Svetkovic/Macek d'août 1939, c'était à la

 28   veille de la Seconde Guerre mondiale. Dans cet accord, la Bosnie-

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  1   Herzégovine a été divisée, répartie entre la Serbie et la Croatie. Cette

  2   division ne s'est jamais concrétisée parce que le mois suivant, l'Allemagne

  3   envahissait la Pologne et la Deuxième Guerre mondiale commençait, cette

  4   question n'avait plus lieu d'être. Mais il avait ceci à l'esprit M.

  5   Tudjman, et tout le monde qui connaît la Bosnie-Herzégovine se souvient de

  6   l'accord d'août 1939, le "Sporazum", parce que c'était un non-événement

  7   dans l'histoire de la Bosnie, mais c'était aussi une division officielle

  8   qui était prévue de l'Etat, par cet accord.

  9   Et il dit :

 10   "La Croatie est plus petite qu'elle ne l'était à l'époque, et c'est ça le

 11   problème, c'est là que le bât blesse."

 12   Il poursuit pour dire ceci :

 13   "J'ai discuté de la Bosnie-Herzégovine avec Milosevic et

 14   Izetbegovic avant la guerre d'aujourd'hui, et j'ai dit qu'il y avait deux

 15   possibilités : 

 16   "La première, c'est d'avoir une Bosnie-Herzégovine confédérale, donc

 17   trois Etats dans l'Etat. Le mot "confédéral" est souvent utilisé. On a

 18   aussi parlé d'Etat fédéral ou encore d'Etat composé, ou encore d'Etat

 19   cantonisé, mais ça revient au même. Ça veut dire qu'on a trois Etats dans

 20   un seul Etat, et on n'a pas un Etat unitaire. Donc :

 21   "…il y a deux possibilités :

 22   "…soit une Bosnie confédérale ou au numéro (2), une division de la

 23   Bosnie-Herzégovine en trois parties, la partie serbe avec la Serbie, la

 24   partie croate avec la Croatie et un "patch", un -- en fait, une petite

 25   partie musulmane, comme on disait au Moyen Age."

 26   Tudjman était historien, donc il avait une longue vue de l'histoire.

 27   "Mais maintenant, depuis que la guerre a commencé, tout ça, c'est

 28   vraiment abstrait. C'est de la théorie."

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  1   Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que les Serbes de Bosnie, comme

  2   les Croates de Bosnie, mais aussi les dirigeants de leur mère patrie, à

  3   savoir la Croatie et la Serbie, de façon tout à fait ouverte, disaient que

  4   la meilleure solution, ce serait la division de la Bosnie-Herzégovine entre

  5   les Serbes et les Croates.

  6   Q.  Et enfin, parlons d'une réunion avec le président Kucan -- R.  Est-ce

  7   que vous pourriez parler un peu plus fort ?

  8   Q.  Oui.

  9   Une réunion avec M. Kucan, le 26 janvier 1993, P790, page 17. C'est

 10   le septième carnet de notes, réunion à 10 heures. Regardons les pages 4 et

 11   5.

 12   R.  Je suis prêt.

 13   M. TIEGER : [interprétation] On vient de perdre -- la page vient de

 14   disparaître de l'écran, mais la revoici.

 15   Q.  Regardez la note qui dit :

 16   "Mais votre plan se base vraiment surtout sur des principes…"

 17   Mais pourriez-vous nous dire, tout d'abord, qui était ce M. Kucan, et

 18   qu'est-ce qu'il dit au cours de cette réunion ?

 19   R.  Milan Kucan était alors président de la Slovénie. Il avait été chef, un

 20   jeune chef du parti communiste avant la guerre, et c'est lui qui, en 1990,

 21   avait conduit son pays, la Slovénie, vers l'indépendance, le navire vers le

 22   vote de l'indépendance, vote qui fut positif. Il a ensuite été suivi par la

 23   Croatie, et ça, c'était juste avant les combats. C'était un homme très

 24   intelligent et un observateur très astucieux, très instruit de ce qui se

 25   passait en Yougoslavie. La Slovénie, même si c'était la plus petite des

 26   provinces ou des républiques, c'était la partie la plus riche, la plus

 27   productive du pays. Donc, en dépit de la petite taille de la Slovénie, elle

 28   comptait beaucoup, elle avait un poids certain.

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  1   Ici, il nous dit :

  2   "Votre plan --" il parle ici du plan de paix Vance-Owen, "Votre plan se

  3   base véritablement sur des principes. La structure ethnique de 1981 sur

  4   laquelle se base votre plan comme sur laquelle se basait le plan précédent

  5   de Cutileiro a été dépassée par les événements à cause du nettoyage." Il

  6   parle ici du nettoyage ethnique.

  7   Il poursuit pour dire ceci :

  8   "Il est préférable de partir de la situation actuelle pour établir la

  9   paix."

 10   Il revient sur ce point, il dit :

 11   "Il faudrait que vous adoptiez l'idée de Tudjman et de Milosevic d'avoir,

 12   (A), un gouvernement transitoire qui serait suivi par, (B) la division de

 13   la Bosnie-Herzégovine en trois cantons ethniques."

 14   Il termine cette déclaration par une citation, je vous la donne :

 15   "La réalité actuelle va prévaloir sur vos principes."

 16   Et c'est bien ce qui s'est passé. En effet, le plan de paix Vance-Owen n'a

 17   jamais été accepté. Il y en a eu d'autres après, quatre ou cinq, de plans

 18   de paix, mais ils ont débouché sur l'accord cadre de Dayton en 1995, qui a

 19   bien divisé ce pays, avec d'un côté, la Republika Srpska, et de l'autre,

 20   une alliance croato-musulmane.

 21   Q.  Est-ce qu'à la page suivante M. Kucan poursuit son idée ?

 22   R.  Oui, il poursuit dans la même voie.

 23   "Je vous l'ai déjà dit, Monsieur Vance, j'ai eu une conversation il y a --"

 24   j'ai dû oublier le mot "il y a longtemps," "avec le président Tudjman au

 25   cours de laquelle il m'a dit que la seule solution, c'était la division, la

 26   partition qui s'appuierait sur de forts transferts de population. La guerre

 27   a réalisé ce processus et les discussions entre les Serbes et les Croates

 28   se poursuivent, et elles portent sur cette partition, cette division qui va

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  1   créer de nouveaux problèmes par rapport aux Musulmans. Premier problème, le

  2   fait qu'il va y avoir la criminalité, le trafic de stupéfiants;

  3   deuxièmement, le terrorisme musulman en Europe pour que la question

  4   bosniaque ne disparaissent pas de l'actualité. Kucan pose une question

  5   rhétorique :

  6   "Est-ce qu'un compromis est possible 'entre les principes et la

  7   réalité' pour préserver cette démarche qui est la vôtre et qui est une

  8   démarche éthique ?"

  9   Il poursuit :

 10   "Une réponse ne se trouvera que si c'était la Yougoslavie elle seule

 11   et si ce n'était pas un problème qui concerne l'Europe orientale et la

 12   Russie." Regardez la Hongrie, il y a une grosse minorité en Slovaquie et

 13   aussi en Roumanie. Les Slovaques se comportent tout à fait comme le fait

 14   Tudjman à l'égard des Serbes. Je parle ici de l'attitude des Slovaques par

 15   rapport à sa minorité hongroise. Regardez la Russie et les minorités russes

 16   dans les autres républiques."

 17   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que M. Kucan ici relatait les

 18   discussions qu'il avait eues avec le président Tudjman, et est-ce qu'il

 19   disait qu'il exhortait à accepter la réalité provoquée par les nettoyages

 20   ethniques ? Est-ce que ceci est bien dans le droit fil des discussions que

 21   vous aviez eues avec les dirigeants serbes de

 22   Bosnie ?

 23   R.  Tout à fait.

 24   Q.  Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur.

 25   M. TIEGER : [interprétation] J'ai terminé mon interrogatoire principal,

 26   Monsieur le Président.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je constate qu'il y a de nouvelles

 28   difficultés techniques au niveau du système de compte rendu d'audience

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  1   électronique provisoire "Livenote."

  2   Je propose, par conséquent, que nous fassions une nouvelle pause.

  3   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent] 

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais, Monsieur Karadzic, est-ce que vous

  5   êtes prêt à reprendre ou est-ce que vous voulez faire une pause maintenant

  6   ? Est-ce que vous êtes prêt à commencer votre contre-interrogatoire après

  7   la pause ?

  8   L'ACCUSÉ : [interprétation] Comme vous voulez, puisque je ne peux pas

  9   commencer lundi, peu m'importe.

 10   [La Chambre de première instance se concerte]

 11   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Notre décision consiste à dire que vous

 12   pouviez commencer pour voir ce que vous pouviez déjà faire aujourd'hui.

 13   Etant donné les difficultés techniques que nous rencontrons, nous allons

 14   faire une nouvelle pause de 25 minutes, et nous reprendrons les débats à 17

 15   heures 15.

 16   --- L'audience est suspendue à 16 heures 48.

 17   --- L'audience est reprise à 17 heures 16.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je voudrais que tout soit clair,

 19   Monsieur Karadzic, nous n'avons jamais eu l'intention de limiter de

 20   quelconque façon votre contre-interrogatoire. Je ne voulais pas dire que

 21   vous deviez terminer votre contre-interrogatoire aujourd'hui, loin de là.

 22   La Chambre ne souhaite aucunement vous limiter pour autant que vous posiez

 23   des questions pertinentes au cours de ce contre-interrogatoire. Je tenais à

 24   le préciser.Ceci étant dit, vous pouvez commencer le contre-interrogatoire.

 25   Mais essayez de terminer avant la fin de la semaine prochaine, car il y a

 26   des problèmes d'ordre logistique qui se posent.

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellence. Je vais m'efforcer de le

 28   faire, bien que l'interrogatoire principal a soulevé bien plus de sujets

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  1   que l'on ne s'y attendait, et ça demandera beaucoup plus de documents à

  2   présenter de la part de la Défense.

  3   Contre-interrogatoire par M. Karadzic :

  4   Q.  [interprétation] Monsieur l'Ambassadeur, bonjour.

  5   R.  Bonjour, Monsieur Karadzic.

  6   Q.  Je voudrais vous remercier, tout d'abord, d'être venu avec la volonté

  7   de nous aider à faire connaître la vérité sur la crise balkanique, et je

  8   tiens à vous remercier en particulier d'avoir tenu à jour ces journaux et

  9   de nous les avoir mis à disposition. Ces journaux sont fort précieux, et je

 10   dois admettre que je vais être beaucoup plus aisément d'accord avec ce que

 11   vous avez noté qu'avec vos interprétations et les réflexions que vous avez

 12   entendues, présentées par M. Tieger ou que M. Tieger a obtenues de votre

 13   part par des questions directrices. Mais je n'ai pas voulu, pour ma part,

 14   interrompre son interrogatoire principal.

 15   Donc, est-ce que vous serez d'accord pour dire que pour la Défense, il sera

 16   bien plus important et c'est, d'une manière générale, plus important que

 17   d'avoir à constater ce que vous aviez noté à l'époque et vu à l'époque

 18   plutôt que d'entendre les conclusions que vous avez été amené à tirer par

 19   la suite a posteriori ?

 20   R.  Dans l'ensemble, je dirais que oui.

 21   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Si je puis vous poser une petite

 22   question. Combien de temps pour vous préparer à ce témoignage et pour vous

 23   préparer au témoignage dans l'affaire Krajisnik avez-vous eu à passer avec

 24   M. Tieger aux fins de préparatifs ?

 25   R.  Quelques jours chaque fois.

 26   Q.  Merci. Bien, je regrette davantage encore que vous n'ayez pas accepté à

 27   me rencontrer aussi, parce qu'on aurait pu rendre les choses plus courtes

 28   pour ce qui est de tirer au clair certains dilemmes, mais enchaînons.

Page 1537

  1   Je voudrais que vous m'aidiez rapidement à comprendre le rôle et le mandat,

  2   la capacité d'un ambassadeur de votre renommée et de votre calibre, du

  3   point de vue carrière. Est-ce que vous êtes d'accord ?

  4   R.  Oui. Un ambassadeur, en règle générale, il représente son pays dans un

  5   autre pays. C'est un rapport de relations bilatérales. Dans le monde

  6   d'aujourd'hui, il y a beaucoup d'organisations multilatérales. De ce fait,

  7   des ambassadeurs vont aussi représenter leur pays dans ces organisations

  8   multilatérales, comme par exemple aux Nations Unies, organisation

  9   universelle, mondiale, ou lorsque vous avez l'organisation islamique

 10   mondiale ou à l'Union européenne, encore. Dans tous les cas de figure, un

 11   ambassadeur, il représente la position adoptée par son pays ou il va porter

 12   un autre titre, selon l'organisation, et il va représenter cette autre

 13   organisation.

 14   Ici, en l'occurrence, dans ce cas-ci, M. Vance et moi-même, nous

 15   avions été nommés par le secrétaire général des Nations Unies et lui-même,

 16   le secrétaire général, il suit des instructions des membres de l'ONU et

 17   pour ce qui est du maintien de la paix et de la sécurité, il est dirigé par

 18   le Conseil de sécurité, ce qui veut dire que nous devions lui rendre compte

 19   à lui et à travers lui au Conseil de sécurité des Nations Unies.

 20   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. En effectuant ces fonctions, avez-vous

 21   représenté aussi votre pays et, si oui, dans quelle mesure ?

 22   R.  Je dirais que non, nous ne l'avons pas fait. Ça va peut-être vous

 23   paraître bizarre, mais M. Vance et moi-même, vraiment, nous avons dans la

 24   plus grande mesure possible cherché à nous acquitter du mandat qui nous

 25   avait été confié par le secrétaire général. Bien sûr, nous avons parlé avec

 26   d'autres Américains, tout comme nous avons parlé avec tout un chacun qui

 27   s'intéressait à la question, mais jamais nous n'avons représenté ou défendu

 28   que des intérêts purement américains.

Page 1538

  1   Q.  Merci. Mais quand vous avez été conseiller politique du commandant en

  2   chef des forces de l'OTAN pour la Méditerranée, avez-vous, à ce titre-là,

  3   représenté votre pays ?

  4   R.  Oui, bien entendu. A ce moment-là, je me trouvais au sein d'un

  5   commandement qui était dirigé par les Etats-Unis, et je me trouvais à cet

  6   endroit en qualité de conseiller politique du commandant à Naples. J'avais

  7   aussi des responsabilités à l'égard de son état-major, qui était l'état-

  8   major de l'OTAN.

  9   Q.  Un grand merci. Veuillez me dire, je vous prie, si pendant votre mandat

 10   et celui de M. Vance, vous avez aussi informé votre pays, ou avez-vous

 11   informé seulement les Nations Unies ? Et pendant votre mandat au

 12   commandement de l'OTAN, avez-vous aussi informé votre pays ou n'avez-vous

 13   informé que le commandement de l'OTAN ?

 14   R.  Pendant la crise en ex-Yougoslavie, nous avons uniquement fait rapport

 15   aux Nations Unies. Lorsque j'étais conseiller politique du commandant en

 16   chef de l'OTAN dans la Méditerranée - c'était en 1973 et ce fut jusqu'en

 17   1975 - c'était lui, le commandant qui, d'office, faisait rapport à

 18   Bruxelles ainsi qu'à la marine américaine. Pour utiliser le jargon de

 19   l'époque, il portait deux casquettes. Il était amiral de la marine

 20   américaine et il était aussi commandant, il avait un poste de commandement

 21   à l'OTAN. Moi, j'ai fait un travail surtout de conseiller, plutôt que de

 22   faire rapport à telle ou telle entité, mais lui, il faisait rapport à la

 23   marine et à l'OTAN.

 24   Q.  Merci. Je tiens à vous dire pourquoi je vous pose ces questions. C'est

 25   parce que nous avons des difficultés à nous procurer différents documents.

 26   L'OTAN nous répond à chaque fois que c'était la propriété des pays membres,

 27   et les Nations Unies, en partie, ont coopéré. Nous espérons que, suite à

 28   une recommandation des Juges de la Chambre, il y aura davantage de

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  1   coopération. Mais je voudrais savoir où allaient, où partaient les

  2   informations.

  3   Est-ce que vous pouvez me dire, en l'occurrence, pour ce qui est de

  4   la conférence sur l'ex-Yougoslavie, d'où vous venaient donc les

  5   instructions que vous receviez ?

  6   R.  Je suppose que ce qui vous intéresse, c'est la conférence

  7   internationale sur l'ex-Yougoslavie et pas la conférence de Lord

  8   Carrington. Les instructions, nous n'avons pas reçu d'instructions, nous

  9   n'en avons jamais reçues.

 10   Q.  Bien, je voulais parler des deux conférences en réalité. Est-ce que

 11   cela signifie que les ambassadeurs qui étaient des médiateurs avaient une

 12   pleine liberté de mouvement du point de vue de la recherche des modalités à

 13   trouver des solutions et à sortir de la crise ? Ils avaient une liberté

 14   créatrice, qui était celle de dire : "Bon, ce serait la solution à

 15   adopter." Si j'ai bien cru comprendre les choses, un ambassadeur est là

 16   pour mettre en œuvre la politique de son pays. La créativité, sa

 17   créativité, elle se manifeste du point de la tactique de la recherche des

 18   modalités qui lui permettent d'aboutir à la solution recherchée.

 19   Alors, dans le cadre de la conférence sur l'ex-Yougoslavie, et tant

 20   pour ce qui est de la conférence Carrington et celle de Vance Owen, est-ce

 21   que vous aviez la liberté créatrice du point de vue de l'issue finale ou

 22   est-ce que vous aviez à répondre de ce que vous faisiez auprès de quelqu'un

 23   ?

 24   R.  Je ne peux pas ici parler au nom de Lord Carrington, mais j'ai vu la

 25   façon dont il s'est comporté plus d'une fois lors de cette conférence. Je

 26   dirais qu'on lui avait donné carte blanche. La communauté européenne lui

 27   avait donné carte blanche à l'époque. Il avait l'attitude de développer des

 28   plans pour l'ex-Yougoslavie, c'est ce qu'il a fait, plans qui ont fini par

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  1   être acceptés par cinq républiques. Il n'y a qu'une république, la Serbie,

  2   qui les ait rejetés.

  3   Pour ce qui est de la conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie, les

  4   secrétaires Cyrus Vance et Lord Owen, ils étaient, pour ainsi dire,

  5   plénipotentiaires. Je vous ai dit qu'ils rendaient compte au secrétaire

  6   général et au Conseil de sécurité, mais ces rapports sont des documents du

  7   domaine public, tous autant qu'ils sont. Il n'y a jamais eu de rapport

  8   privé ou secret, parce qu'ils travaillaient au sein d'un groupe large. Il y

  9   avait un comité de pilotage dans cette conférence, mais ce comité a eu peu

 10   de réunions. Il n'avait pas, au fond, d'effet pratique. Il n'y a pas eu

 11   d'effet pratique sur l'issue de la conférence. Il fallait qu'ils

 12   poursuivent ce qu'avait fait déjà la conférence Carrington, dans la mesure

 13   du possible, mais ils devaient surtout ce concentrer sur le conflit de la

 14   Bosnie-Herzégovine. A cette fin, toutes les négociations qu'il y a eu avec

 15   vous, Monsieur Karadzic, et avec les autres parties recherchaient cet

 16   objectif.

 17   Q.  Je veux bien croire que nous sommes privilégiés de vous avoir ici,

 18   parce que vous êtes une histoire vivante des relations diplomatiques entre

 19   l'Occident et les pays slaves. Est-ce que vous seriez d'accord avec moi

 20   pour dire cela ?

 21   R.  Disons que j'ai joué un rôle modeste, mais oui, je serais d'accord avec

 22   vous jusqu'à un certain point.

 23   Q.  Est-ce que c'est du fait de votre grande expérience avec la Russie et

 24   l'Union soviétique, puis la Yougoslavie, que le secrétaire général vous a

 25   demandé de rejoindre M. Vance dans sa mission ?

 26   R.  Je suppose que ce fut une des raisons, mais il y en avait d'autres. Il

 27   savait notamment que j'avais, au cours de ma carrière, participé à beaucoup

 28   d'activités de négociations. J'avais aussi déjà auparavant travaillé pour

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  1   le secrétaire Cyrus Vance. Par conséquent, je l'avais consulté, M. Vance,

  2   avant qu'il ne m'appelle, ce qui veut dire que ce fut un accord, une bonne

  3   entente, une entente cordiale.

  4   Q.  Merci. Comme vous le dites vous-même, toute votre vie durant, toute

  5   votre carrière durant, vous avez négocié. Alors, à cet effet, je veux vous

  6   poser la question suivante : Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que

  7   dans des négociations véritables, sincères, conduites de façon bona fide,

  8   on ne sait jamais quelle va être l'issue de la négociation. Cette issue

  9   est-elle toujours incertaine ? Est-ce qu'il y a un éventail de solutions

 10   qui est toujours envisageable pour ce qui est de ce à quoi nous allons

 11   aboutir ?

 12   R.  C'est quand même fonction de la négociation en question. Si, par

 13   exemple, deux parties se réunissent, deux Etats se rencontrent pour signer

 14   un accord sur les télécommunications, on veut quand même être sûr à ce

 15   moment-là qu'ils vont réaliser cet accord.

 16   Mais si, dans un autre cas de figure, on a une grosse conférence

 17   multilatérale, rappelez-vous celle qui vient d'avoir lieu sur le changement

 18   climatique, on doutait véritablement de son succès. La confusion régnait

 19   même avant qu'elle n'ait lieu. On se demandait quelles seraient les

 20   procédures adoptées et, finalement, ça n'a rien donné. Il n'y a eu aucun

 21   résultat. Donc, ça dépend véritablement. Ça fluctue en fonction de la

 22   problématique dont est saisie une conférence avant même qu'il n'y ait

 23   négociations.

 24   Bien sûr, il est important que toutes les parties négocient de façon

 25   honnête et honorable. Ce n'est pas toujours le cas, mais il faudrait que ce

 26   le soit.

 27   Lors de la conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie, nous avions pour

 28   mission, et je vous l'ai dit, pour mission essentielle de nous concentrer

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  1   sur la Bosnie-Herzégovine, avec quand même un examen moins sérieux sur

  2   d'autres pays - j'allais dire pays de Yougoslavie - non, mais d'autres

  3   parties de Yougoslavie. Nous avions, par exemple, cinq groupes de travail à

  4   la conférence internationale, et le groupe de travail principal se

  5   consacrait à la Bosnie-Herzégovine avec à sa tête un diplomate finlandais

  6   détaché aux Nations Unies, Martti Ahtisaari, un homme excellent, qui est

  7   devenu plus tard président de son pays de la Finlande.

  8   Il y avait aussi un groupe consacré aux questions humanitaires, qui avait à

  9   sa tête Mme Ogata, haut-commissaire chargée des réfugiés aux Nations Unies.

 10   Il y avait un groupe de travail consacré aux minorités nationales qui s'est

 11   surtout occupé du Kosovo et de la Macédoine, en tout cas, des questions

 12   relatives au Kosovo et à la Macédoine; autre groupe de travail consacré aux

 13   mesures destinées à raffermir la confiance et la sécurité, qui concernait

 14   surtout Belgrade et Zagreb. Il y avait un groupe consacré aux dispositifs

 15   militaires. C'était surtout la Bosnie qui était à l'ordre du jour, mais de

 16   façon un peu par la tangente la Croatie, car vous le savez, il y avait des

 17   forces de maintien de la paix onusiennes en Croatie.

 18   Voilà donc la procédure qui a été suivie lors de cette conférence

 19   internationale. Vous avez pu le voir de vos propres yeux, puisque vous avez

 20   été un acteur, un protagoniste actif de cette conférence.

 21   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Je vais revenir à cette question des

 22   négociations plus tard.

 23   Je voudrais savoir si nous pourrons tomber d'accord pour dire que le

 24   fondement, la base même de la crise yougoslave, c'était le malentendu

 25   serbo-croate, c'est-à-dire le conflit serbo-croate. Parce qu'on a vu que la

 26   Slovénie et la Macédoine sont arrivées à leur indépendance de façon aisée.

 27   Mais bien que ce problème bosno-herzégovien ait été plus dramatique et plus

 28   drastique du point de vue de ses évolutions et de son aboutissement, le

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  1   fondement même de la crise yougoslave c'était la relation serbo-croate.

  2   Etes-vous d'accord avec moi pour le dire ou pas ?

  3   R.  Vous avez raison.

  4   Q.  Merci. Je voudrais que nous revenions un peu à ces négociations.

  5   Sommes-nous d'accord pour dire que lorsqu'il y a négociations sincères, il

  6   doit forcément y avoir des concessions de part et d'autre, à moins, bien

  7   sûr, qu'il n'y ait ultimatum de la part d'une partie, d'un côté, qui dirait

  8   à prendre ou à laisser ? Il y a des ultimatums qui sont plus drastiques

  9   encore.

 10   R.  Il est normal que dans le cadre d'une négociation, les parties à celle-

 11   ci disent d'emblée, d'entrée de jeu, quelles sont leurs revendications les

 12   plus extrêmes, puis arrive ce que les diplomates qualifient de position de

 13   repli. Selon la négociation, ceci peut déboucher sur un bon compromis

 14   fructueux, mais ce n'est pas toujours vrai.

 15   Rappelez-vous une des expressions les plus citées de Lénine, une de ses

 16   expressions favorites, c'est "un compromis pourri." Ce fut le leitmotiv de

 17   la politique soviétique pendant longtemps. Mais en règle générale, on

 18   s'attend, évidemment, lors des négociations que les parties soient prêtes

 19   au compromis, puisqu'on s'attend à ce que chaque partie présente ses

 20   desiderata, ses positions ou revendications les plus maximalistes, disons.

 21   Q.  Merci. C'est vraiment une réponse exhaustive.

 22   Je voudrais maintenant que nous nous penchions sur le fait de savoir si de

 23   ce point de vue-là, l'ultimatum à prendre ou à laisser discrédite la partie

 24   qui présente ce type d'ultimatum ?

 25   R.  Un ultimatum qui est un à prendre ou à laisser, c'est quelque chose de

 26   très rare dans le cadre de conférence. En règle générale, les gens ne

 27   pensent pas vraiment ce qu'ils disent. Un exemple, vous le connaissez très

 28   bien personnellement, Monsieur Karadzic, cet exemple. Au cours de l'été

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  1   1944, il y avait ce Groupe de contact. Une carte qui avait été proposée

  2   sous forme de décision à prendre ou à laisser, et vous, vous n'avez choisi

  3   ni l'un ni l'autre, et il y a eu des négociations avec vous sur le tracé

  4   des frontières de la Republika Srpska. Il est difficile de répondre de

  5   façon abstraite à cette question.

  6   L'INTERPRÈTE : Nous parlions de cette carte établie par le Groupe de

  7   contact.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Quelquefois, par exemple, à la fin d'une

  9   guerre, il y a un pays qui se rend à l'autre. Mais même dans ce genre de

 10   situation au niveau le plus élevé, la chose la plus importante - il y a des

 11   exemples dans l'histoire du monde - même à ce niveau-là dans ce cas de

 12   figure. Il y a eu quand même des changements.

 13   Le président Roosevelt, lors de la conférence de Casablanca en 1943, a fait

 14   une déclaration très importante. Il a dit qu'il faudrait une reddition

 15   inconditionnelle du Japon et de l'Allemagne. C'était inconditionnel, avait-

 16   il dit. Il y a eu reddition inconditionnelle de l'Allemagne, mais le

 17   gouvernement japonais, au cours de l'été 1945, a entamé des négociations et

 18   a posé une condition après le bombardement d'Hiroshima et celui de

 19   Nagasaki. La condition posée par le gouvernement japonais c'était que le

 20   poste de l'empereur soit maintenu. Ce n'aurait sûrement pas été le cas si

 21   les Japonais n'avaient pas insisté. Les Etats-Unis ont changé de cap, ils

 22   ont

 23   dit : D'accord, l'empereur peut rester sur son trône.

 24   Donc même alors qu'on est au paroxysme de la Deuxième Guerre mondiale, une

 25   reddition inconditionnelle, elle est devenue conditionnelle.

 26   Donc il n'y a pas souvent cette situation de à prendre ou à laisser si vous

 27   regardez dans l'histoire. Et ce qu'on reproche le plus aux diplomates dans

 28   quelque pays que ce soit, c'est qu'ils sont trop prêts au compromis. C'est

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  1   une critique classique à leur égard.

  2   Désolé d'avoir répondu si longuement, mais vos questions sont des questions

  3   très importantes.

  4   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Vous souvenez-vous du fait que le plan

  5   de la Communauté européenne dans le cadre de la conférence de Lord

  6   Carrington en automne 1991 avait proposé aux républiques, y compris la

  7   Serbie, quelque chose qui était du type à prendre ou à laisser ?

  8   R.  Oui c'est exact, mais c'était négocié. Car vous avez un très bon

  9   exemple de ce que je viens d'exposer. Prendre ou laisser, en général, c'est

 10   quelque chose qui ne correspond pas à la réalité.   Q.  Merci. Mais vous

 11   souvenez-vous aussi que pratiquement aucune des propositions serbes n'a été

 12   incorporée à ces propositions qui ont été mises sur la table en 1991 et qui

 13   correspondaient à ce que je qualifierais du à prendre ou à laisser ?

 14   R.  Mais ces propositions ont été ajoutées à la proposition après que Lord

 15   Carrington eut entendu toutes les parties, fin octobre. J'irais même plus

 16   loin, la commission d'arbitrage, la commission dite Badinter, qui avait été

 17   désignée officiellement par la Communauté européenne pour statuer sur les

 18   questions de droit dans l'éventualité d'une dissolution de la Yougoslavie,

 19   cette commission Badinter a fini par conclure que la Yougoslavie était un

 20   Etat en état de dissolution.

 21   Mais elle a aussi abordé la question de savoir quelle était, parmi les

 22   quatre républiques qui avaient demandé l'indépendance, celle qui devrait la

 23   recevoir. Je dis quatre républiques, c'était, bien sûr la Slovénie, la

 24   Croatie, Bosnie-Herzégovine et la Macédoine. Cette commission d'arbitrage,

 25   commission Badinter a décidé que sur ces quatre républiques, il y en avait

 26   deux qui méritaient d'être reconnues par la Communauté européenne, à savoir

 27   la Macédoine et la Slovénie. Quant aux deux autres, la Bosnie-Herzégovine

 28   et la Croatie, la commission a estimé qu'elles ne méritaient pas d'être

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  1   reconnues tout de suite.

  2   Cette décision a été motivée de la façon suivante, pour le premier cas

  3   comme pour l'autre : en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, cette

  4   commission avait le sentiment que la volonté populaire n'avait pas encore

  5   été mise à l'épreuve. Cette commission a dès lors déclaré que le peuple

  6   devait exprimer sa volonté avant que le pays ne soit reconnu par la

  7   Communauté européenne.

  8   En ce qui concerne la Croatie, la commission a déclaré que la

  9   constitution et le gouvernement croate n'accordaient pas à la minorité

 10   serbe en Croatie suffisamment de droits, et tant que les droits qu'on doit

 11   accorder à une minorité ne l'étaient pas aux Serbes de Croatie, la Croatie

 12   ne devait pas, a-t-elle dit, être reconnue, et une des objections formulées

 13   par la commission Badinter ont été retenues. Finalement, ces deux pays ont

 14   fini par se voir reconnaître en tant que pays indépendants.

 15   Ce n'était pas donc à prendre ou à laisser. Cette proposition n'était

 16   pas jusqu'au-boutiste. Elles avaient été vérifiées et contrôlées par la

 17   commission d'arbitrage, et des mesures avaient été prises partant des

 18   décisions prises par cette commission d'arbitrage. Ce n'était pas à prendre

 19   ou à laisser.

 20   Q.  Merci. Est-ce que cette commission Badinter est arrivée à ces

 21   conclusions partant d'une situation qui prévalait au niveau de l'Etat

 22   yougoslave ?

 23   R.  Excusez-moi, Monsieur Karadzic, vous parlez de quelle conclusion, celle

 24   portant sur la reconnaissance ou sur l'Etat ou la condition de la

 25   Yougoslavie ? Je suppose que c'est la dernière éventualité.

 26   Q.  Oui.

 27   R.  Oui, la commission Badinter a donné un avis très important dans lequel

 28   elle a dit - et je pense que c'était en automne ou au début de l'hiver 1991

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  1   - elle a dit que l'Etat de Yougoslavie était dans un processus de

  2   dissolution, dans le texte en français, donc traversait un processus de

  3   dissolution. La Yougoslavie, ou plus exactement la Serbie, avait revendiqué

  4   que la déclaration d'indépendance de la part des quatre républiques que

  5   j'ai mentionnées, les Serbes disaient de cette revendication que c'était

  6   quelque chose de parfaitement hors-la-loi, illégal, injustifié, parce que

  7   l'Etat était effectivement en processus de dissolution.

  8   Q.  Merci. Nous allons devoir y revenir, vraiment, parce qu'un éminent

  9   professeur, le Pr Cassese, a présenté une opinion tout à fait contraire. En

 10   sa qualité de professeur, non pas en sa qualité de Juge de ce Tribunal. Et

 11   il a précisé que ces sécessions étaient illégales et révolutionnaires. Mais

 12   je voudrais vous demander ce qui suit.

 13   Etant donné que Badinter a pris pour raison ou pour motif le manque de

 14   maturité des demandes formulées par la Croatie et la Bosnie en argumentant

 15   la question des minorités, mis à part le fait que les Serbes en Croatie et

 16   en Bosnie-Herzégovine ne se considéraient pas comme étant des minorités

 17   nationales mais comme étant des peuples constitutifs, est-ce que la

 18   situation s'est améliorée entre les conclusions de Badinter et le moment où

 19   ces républiques ont été reconnues comme étant des Etats indépendants ?

 20   R.  Oui. Des articles pertinents, vous les trouverez dans le deuxième

 21   chapitre du projet de traité qui avait été préparé par la conférence de

 22   Lord Carrington et qui avait été présenté aux six parties. Après la

 23   commission et la décision de la commission Badinter, les Croates ont

 24   reconnu et appliqué les dispositions de ce deuxième chapitre, et ç'a été la

 25   solution du problème. C'était aussi accepté par les dirigeants - je dois

 26   dire la plupart des dirigeants des Serbes en Croatie - à l'exception de

 27   Babic et de Hadzic.

 28   Je réponds donc par l'affirmative, effectivement, les carences qui avaient

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  1   été constatées par la commission Badinter ont été compensées.

  2   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, vous venez de confirmer le fait que Lord

  3   Carrington, dans son projet, avait procédé à une rectification, mais vous

  4   pensez que ces pays, ces républiques, ex-membres de la Fédération

  5   yougoslave, la Croatie et la Bosnie, ont vraiment remédié à ce qui

  6   dérangeait les Serbes qui vivaient dans ces républiques avant qu'elles

  7   n'ont été reconnues ?

  8   R.  Mais ça dépendait de quelle république on parlait. Prenons la Slovénie.

  9   Q.  Non, la Slovénie, c'est une erreur.

 10   R.  D'accord. Bien, soit dit en passant, je me souviens, Monsieur Karadzic,

 11   que dans une des premières réunions, vous avez dit qu'il faudrait

 12   reconnaître la Slovénie. Est-ce que vous vous en souvenez ?

 13   Mais quoi qu'il en soit, ça dépendait de la république en question. Douze

 14   pour cent de la population en Croatie était constituée de Serbes. Ça ne

 15   représente pas une minorité écrasante, mais c'est une minorité

 16   significative, même si les Serbes constituent un peuple constitutif de la

 17   Croatie. En Bosnie-Herzégovine, un peu moins d'un tiers de la population

 18   était composé de Serbes, qui ont joué un rôle important sur le plan

 19   historique, nous le savons tous, en Bosnie.

 20   Vraiment, la situation était différente. Ça variait d'un Etat à l'autre. Je

 21   pense qu'on ne saurait dire rien de plus. Par exemple, pas de problème en

 22   Macédoine, il n'y a pas eu de combat, pas d'hostilités et pas de

 23   dislocation. Le président Gligorov a simplement permis que la JNA et les

 24   autorités yougoslaves sortent, quittent la Macédoine. Il n'y a pas eu

 25   d'hostilités, et ça a surpris pratiquement tout le monde. Je pense que la

 26   plupart pensait que ça allait être en Macédoine comme en Bosnie. Vous vous

 27   souvenez, vous l'avez dit vous-même, et c'était l'avis de la majorité. Mais

 28   ça ne s'est pas passé, ce n'est pas comme ça que ça s'est passé.

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  1   Ce qui veut dire que la situation était vraiment différente en

  2   fonction de la république.

  3   Q.  Votre mémoire est véritablement extraordinaire. Mais seriez-vous

  4   d'accord avec moi pour dire qu'au niveau de la Macédoine il y a une petite

  5   différence ? J'ai dit que les conflits étaient possibles, mais pas en

  6   raison des Serbes, en raison d'une minorité albanaise considérable, et ces

  7   conflits sont survenus ultérieurement, n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui, c'est exact. Il n'y a pas eu de difficultés, dans les premières

  9   années entre les Serbes et les Macédoniens, mais plus tard, il y en a eu.

 10   Effectivement, il y a eu des problèmes avec la minorité des Albanais de

 11   souche en Macédoine.

 12   Q.  Il y a même eu une brève guerre qui s'est terminée par les accords

 13   d'Ohrid, n'est-ce pas ?

 14   R.  Etait-ce une guerre, étaient-ce des affrontements, je ne sais pas. Mais

 15   il y a eu effectivement des affrontements, des combats. C'était une

 16   situation de conflit qui n'a pas duré très longtemps. Mais il y a eu

 17   effectivement des combats, mais bien plus tard, à la fin des années 1990,

 18   entre la Macédoine et la minorité albanaise de souche.

 19   Q.  Merci. Etant donné que vous avez une mémoire exceptionnelle et que vous

 20   avez mentionné les positions que j'avais avancées à l'époque au sujet de la

 21   Slovénie, vous souvenez-vous du fait que j'ai rédigé une lettre à

 22   l'intention du président Kucan, et cette lettre avait été publiée ? Je

 23   l'avais prié, dans cette lettre, de faire en sorte que cette indépendance

 24   de la Slovénie, à laquelle je ne m'opposais pas, soit réalisée par le biais

 25   du parlement de la République fédérale de Yougoslavie, conformément à la

 26   constitution, parce qu'en faisant de la sorte, il indiquerait comment il

 27   fallait procéder aux autres républiques, plutôt que de faire faire

 28   sécession à ces autres républiques de façon autonome. Vous en souvenez-vous

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  1   ?

  2   R.  Non, je ne me souviens pas de cela, Monsieur Karadzic. Sans doute que

  3   ça se sera passé au début de 1991, avant que je ne travaille à la question

  4   yougoslave. Mais je vous crois aisément, vous avez sans doute écrit cette

  5   lettre.

  6   Q.  Merci. Cette lettre, il va falloir qu'on se la procure, parce que

  7   vraiment, ça aurait été une solution. Si la Slovénie était allée au

  8   parlement fédéral pour obtenir de façon légale son indépendance, les choses

  9   auraient été faites plus facilement.

 10   Mais seriez-vous d'accord aussi pour dire que cette autorité fédérale

 11   yougoslave avait entamé la mise en place d'une législation partant de

 12   laquelle les républiques pouvaient accéder à leur indépendance respective ?

 13   R.  La constitution de 1964 qui énonçait certains principes généraux eu

 14   égard à l'autodétermination des peuples. "samoopredeljenje", vous

 15   connaissez sans doute le terme. Si je me souviens bien, en 1991, tout

 16   pivotait, tout tournait autour de la différence supposée, une différence

 17   qui existerait entre l'autodétermination des peuples et l'autodétermination

 18   des républiques. Moi, je n'ai jamais été partie prenante à cette

 19   discussion, parce que je vous dis que c'est au début du conflit avec la

 20   Slovénie et la Croatie, en juin, juillet, août 1991, mais il va de soi que

 21   je suis au courant de la problématique et des arguments avancés par l'un

 22   comme par l'autre, à savoir la différence qu'il y a entre Narod, le peuple,

 23   et la république. Enfin, une différence supposée, prétendue, parce que les

 24   parties n'étaient pas d'accord sur ce point. Tous les partis yougoslaves et

 25   toutes les parties yougoslaves étaient en désaccord sur ce point.

 26   Q.  Merci. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'en 1945, ou plutôt en

 27   1943, lors de la session du conseil antifasciste de lutte de libération

 28   nationale, il y a eu reconnaissance de cinq peuples en Yougoslavie, il a

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  1   été créé, toutefois, six républiques, et dans le symbole de Yougoslavie, il

  2   y avait six flambeaux d'incorporés, et ultérieurement, la communauté

  3   musulmane, en 1960, a été reconnue et on a ajouté aux cinq flambeaux qui

  4   existaient à l'origine un sixième flambeau ?

  5   R.  Oui, c'est exact. Et les Musulmans de Bosnie, comme nous le savons, ont

  6   été reconnus comme une nation ou comme un peuple, c'est-à-dire Narod, en

  7   1974. Je crois que j'ai raison, n'est-ce pas ?

  8   Q.  Politiquement, je crois que ça s'est passé en 1960 et quelques. Du

  9   point de vue de la constitution, je crois que vous avez raison. Merci,

 10   Monsieur l'Ambassadeur.

 11   Je voudrais que nous revenions un peu en arrière. Aidez-nous à comprendre

 12   la nature des négociations, et dites-moi, êtes-vous d'accord pour dire que

 13   les parties en négociations s'observent mutuellement, soupèsent la fermeté,

 14   les faiblesses, la force, la disposition, la volonté d'accepter ou de

 15   rejeter de la partie en face ? Donc, on prend en considération l'état

 16   d'esprit de la partie qui est représentée en face.

 17   R.  Oui, je crois que vous avez très bien expliqué ce processus.

 18   Q.  Merci. Est-ce qu'il est habituel de voir à l'occasion de négociations

 19   les parties faire preuve de force, essaient de paraître plus fortes

 20   qu'elles ne le sont, recourir à des discours politiques, un langage

 21   ésopien, et le tout vise à créer une impression relative à sa propre force

 22   dans les yeux de la partie en face.

 23   R.  Il est difficile de vous donner une réponse catégorique. Je dirais que,

 24   fort de ma propre expérience, cela ne se produit que très rarement. Cela

 25   arrive, mais comme je le disais, ça ne se produit que très rarement.

 26   Partons du principe qu'une partie a, aux négociations, fait une grande

 27   déclaration ou retourne dans le pays, et est reçue par une foule immense.

 28   Mais ceci n'impressionne pas vraiment l'autre partie aux négociations.

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  1   D'ailleurs, ça pourrait avoir un effet plutôt négatif vis-à-vis de l'autre

  2   partie à la table des négociations.

  3   Donc, je crois que ce que vous avez décrit se produit, mais ça ne se

  4   produit pas très souvent, et certainement pas dans des négociations

  5   sérieuses.

  6   Q.  Est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que la partie, très

  7   tôt, très vite, montrerait qu'elle serait disposée à céder, c'est une

  8   partie qui fait preuve de faiblesse, en réalité ?

  9   R.  Je ne suis pas vraiment d'accord avec ça, Monsieur Karadzic, car

 10   lorsque vous avez vraiment des négociations politiques sincères, on ne fait

 11   pas preuve de quant-à-soi ou d'expression de force. Une des parties à la

 12   table des négociations qui arrive à un accord très rapidement peut le

 13   faire, parce que c'est la partie la plus faible, mais c'est peut-être

 14   également parce qu'elle pense qu'elle obtient une issue positive qu'elle

 15   n'aurait pas obtenue s'il n'y avait pas eu négociations. Donc, il y a

 16   différentes raisons qui peuvent justifier qu'une partie cède du terrain.

 17   Et comme je disais, il est habituel que les parties fassent montre

 18   d'une position extrême au départ et avoir une position de repli par la

 19   suite, puisque c'est, en fait, ceci qui est au cœur des négociations. Il

 20   est donc plus habituel de voir les parties arriver avec une certaine

 21   position et avoir des concessions dès le départ, à moins, bien sûr, qu'il

 22   s'agisse d'une situation en temps de guerre, et là, la partie qui est

 23   perdante vient pour signer, en fait, un accord, un accord qui est un accord

 24   de reddition.

 25   Après la Première Guerre mondiale, qui s'est terminée le 11 novembre

 26   1918, il y a eu le traité de Versailles qui a été signé, qu'on a appelé le

 27   traité de la paix, et ce traité a fait l'objet de négociations pendant six

 28   mois, jusqu'en 1919, et a été signé à Vidovdan, le 28 juin 1919. Donc, les

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  1   négociations ont duré six mois après la cessation des hostilités. Ceci

  2   montre que vous avez énormément de possibilités pour arriver à vos fins.

  3   Q.  Merci. Comment jugeriez-vous la partie aux négociations dont les

  4   propositions sont acceptées aujourd'hui, et le lendemain, la partie en

  5   question augmente le prix, renchérit ? Est-ce que vous considéreriez que

  6   cette partie est sincère ou pas ?

  7   R.  Encore une fois, Monsieur Karadzic, il est difficile de vous donner un

  8   exemple ou un cas d'école. Les parties peuvent proposer des solutions de

  9   manière officieuse ou informelle. Elles peuvent émaner de personnes qui ne

 10   sont pas totalement habilitées à faire des propositions, et ces

 11   propositions peuvent être acceptées, mais c'est habituel également qu'elles

 12   fassent l'objet de nouvelles négociations. C'est la raison pour laquelle

 13   ces négociations prennent longtemps. Les négociations constituent un

 14   processus difficile à mettre en place, et lorsqu'elle porte sur des

 15   questions graves, les négociations sont encore plus difficiles.

 16   Q.  Mais vous serez d'accord avec moi pour dire qu'une fois que les accords

 17   ont été obtenus, il ne faudrait pas redéballer le paquet à nouveau ?

 18   R.  Il y a eu une signature officielle, et si les solutions ont été

 19   reconnues, probablement, mais dans de nombreux cas, les parties à une

 20   négociation, où des pays ont retiré leurs signatures après avoir marqué

 21   leur accord, c'est très habituel, malheureusement.

 22   Q.  Alors, s'agissant de ce type de pays, il doit y avoir une certaine

 23   responsabilité au vu des conséquences que cela engendre ?

 24   R.  C'est possible de manière générale, mais bien sûr, tout dépend des

 25   conditions spécifiques de la négociation. Et dans ce cas que vous venez de

 26   mentionner, il faudrait, en fait, avoir plus de détails. Il faudrait savoir

 27   quels sont les aspects de l'accord qui avaient fait l'objet d'une signature

 28   par la partie A, et ensuite, cette partie aurait retiré sa signature. C'est

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  1   difficile de répondre comme ça, de manière abstraite.

  2   Q.  Merci. Je suppose que la négociation, ce n'est pas comme boire de l'eau

  3   fraîche, ou comme on dirait en anglais "a piece of cake." Ne serait-il pas

  4   bon de voir les négociateurs disposer d'une éducation particulière à cet

  5   effet, donc, que ce soit des gens qui auraient été formés pour des

  6   négociations ?

  7   R.  Les négociations nécessitent de nombreuses qualités. Les négociateurs

  8   doivent connaître le sujet, doivent être en mesure de jauger les

  9   différentes parties. Ils doivent faire preuve également d'impartialité. Ils

 10   ne doivent pas prendre partie d'un côté ou de l'autre.

 11   Il est rare d'avoir des négociateurs qui ont bénéficié d'une

 12   formation en négociation. Si ce sont des juristes ou des juges, ils ont une

 13   formation juridique et une expérience en la matière, et c'est la raison

 14   pour laquelle de nombreux secrétaires d'Etat aux Etats-Unis sont des

 15   juristes de formation, tels que M. Vance et beaucoup d'autres. Pas tous. M.

 16   Kissinger n'était pas un juriste, par contre. Mais une formation juridique

 17   leur donne un avantage certain, et je pense que c'est la raison pour

 18   laquelle ils sont principalement des juristes. Maintenant, de là à dire que

 19   tout négociateur devrait avoir reçu une formation en négociation, je pense

 20   qu'on ne peut pas vraiment répondre à cette question. C'est une remarque

 21   judicieuse, mais on ne peut pas répondre par l'affirmative ni par la

 22   négative.

 23   Q.  Merci. Ce que j'avais à l'esprit, c'est les négociateurs qui

 24   interviennent au nom des parties en présence, et vous, vous avez répondu

 25   pour ce qui est des médiateurs. Je veux bien accepter votre réponse, mais

 26   je voudrais que nous peaufinions un peu.

 27   Est-ce que vous pensez qu'un médiateur se doit d'être impartial, doit

 28   respecter les parties en présence ? Et seriez-vous aussi d'accord de dire

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  1   que ce serait préjudiciable, que ce serait très dommageable au cas où une

  2   partie viendrait à penser que le médiateur n'est pas impartial, ou plutôt

  3   qu'il est très partial et favorable à l'une des parties en présence ?

  4   R.  Effectivement, ceci aurait des conséquences négatives sur les

  5   négociations.

  6   Q.  Si les deux parties étaient conscientes de la chose ou pensaient de la

  7   sorte, est-ce que la partie qui est favorisée s'en trouverait encouragé à

  8   surenchérir, augmenter donc ses exigences ou prendre des libertés, plus de

  9   libertés que l'autre partie que le médiateur, à juste ou à injuste titre,

 10   avait considéré, que l'autre partie qui avait considéré que le médiateur

 11   était partial ?

 12   R.  C'est possible. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est possible.

 13   Q.  Merci. J'aimerais revenir à votre grande expérience pour ce qui est de

 14   nos contrées, notre région. Vous avez dit que d'après les données que vous

 15   aviez en mémoire, en 1957, en tant que sportif, vous avez fait du kayak le

 16   long de la Drina et de la Neretva, et dans toutes les guerres et dans

 17   toutes les crises, ces deux rivières s'avèrent comme étant des sites

 18   importants pour ce qui est des confrontations, tant politiques, qu'en temps

 19   de guerre.

 20   R.  Effectivement, j'ai fait usage d'avirons lorsque j'étais plus jeune.

 21   J'ai descendu de nombreuses rivières en kayak, dans l'Ardèche, en

 22   Allemagne, puis j'ai descendu la Drina noire, comme on l'appelle, en

 23   Yougoslavie. C'était dans les années 1950.

 24   Q.  Merci. Ensuite, vous avez été un des acteurs dans la crise des missiles

 25   de Cuba, puis vous avez également officié dans la crise yougoslave. Vous

 26   avez également été un conseiller politique de haut rang auprès du

 27   commandant en chef de l'OTAN en Méditerranée avec comme rôle tout

 28   particulier de surveiller les activités du maréchal Tito, qui avait 83 ans,

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  1   et l'horloge biologique de celui-ci, à l'époque, se faisait de plus en plus

  2   ressentir.

  3   Est-ce que vous seriez d'accord pour dire qu'il s'agissait de deux

  4   années très importantes dans l'histoire yougoslave ?

  5   R.  Vous voulez dire de 1973 à 1975 ? Oui, je pense qu'il s'agissait

  6   d'années importantes parce que la constitution de 1974 a été adoptée, et

  7   avec l'âge grandissant du maréchal Tito, la scène politique yougoslave a

  8   changé quelque peu. On a vu un passage des pouvoirs vers les républiques

  9   individuelles et une perte du pouvoir au niveau de Belgrade.

 10   Q.  Merci. Est-ce que je pourrais revenir à la période juste avant que vous

 11   ayez pris ces fonctions, c'est-à-dire la crise en Croatie. Il y a eu des

 12   mouvements de masse, il y a eu le mouvement sécessionniste, qui a été géré

 13   par Tito en remplaçant la totalité des dirigeants croates, et certains

 14   généraux ont été emprisonnés. Parmi eux, le président Tudjman. Tudjman est

 15   ensuite devenu président.

 16   R.  Oui, j'étais au courant de cela, mais en tant qu'observateur extérieur.

 17   Q.  Un an plus tard, le président Tito, ce qui était habituel chez les

 18   communistes, a remplacé également les dirigeants en Serbie. La raison

 19   donnée est qu'ils étaient des néolibéraux ou des libéraux. Vous souvenez-

 20   vous de cela ?

 21   R.  Je ne me souviens pas précisément de ces événements mais je suis tout à

 22   fait disposé à vous croire.

 23   Q.  Cela a fait beaucoup moins de bruit, parce qu'en fait, le conflit en

 24   Croatie avait fait rage pendant plusieurs années. Mais si vous vous trouvez

 25   dans une situation où vous avez la Croatie et la Serbie sans ses

 26   dirigeants, est-ce que vous seriez d'accord pour dire que la Bosnie, la

 27   Macédoine et la Slovénie, d'une certaine manière, avaient un certain

 28   avantage, parce qu'ils avaient plus d'expérience et bénéficiaient de

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  1   dirigeants qui étaient respectés de leur population ?

  2   R.  Cela est possible. Cependant, pour ce qui est de la Bosnie, comme vous

  3   et moi le savons, Alija Izetbegovic a également été emprisonné au début des

  4   années 70, pas parce qu'il avait des velléités sécessionnistes ni en raison

  5   de problèmes avec le parti communiste, mais plutôt en raison de la

  6   déclaration islamique à laquelle il avait participé, puisqu'il en était

  7   l'auteur. Mais effectivement, les deux républiques principales de la

  8   République fédérale socialiste de Yougoslavie, à savoir la Serbie et la

  9   Croatie, étaient, comment dire, temporairement hors d'action au niveau des

 10   différents partis politiques, et ceci a permis aux républiques plus petites

 11   d'avoir une marge de manœuvre plus importante que d'habitude.

 12   Q.  Vous avez probablement remarqué la montée de Dzemal Bijedic et d'autres

 13   dirigeants musulmans. Vous avez également Hamdija Pozderac, ainsi que

 14   Branko Mikulic en Bosnie-Herzégovine, qui détenaient tous les pouvoirs.

 15   Vous aviez un Musulman d'un côté, un Croate de l'autre et, par conséquent,

 16   la République socialiste de Bosnie-Herzégovine était, en fait, une

 17   entreprise personnelle et indépendante de Branko et de Hamdija, n'est-ce

 18   pas ?

 19   R.  Est-ce que c'était une question ?

 20   Q.  La question est de savoir si vous vous souvenez de la montée des

 21   dirigeants musulmans après cette crise, c'est-à-dire Dzemal Bijedic, qui

 22   est devenu le premier ministre fédéral, puis Hamdija également. Est-ce que

 23   vous vous souvenez de cela ?

 24   R.  Oui, je m'en souviens. Pas très bien, mais je m'en souviens.

 25   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, à cette époque, c'est-à-dire de 1973 à 1975,

 26   avez-vous remarqué la montée d'une autre personne dans la crise yougoslave

 27   des années 1990 ? Est-ce que d'autres noms vous viennent à l'esprit ? Par

 28   exemple, moi-même.

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  1   R.  Je vous prie de m'excuser, mais effectivement, je ne me souvenais pas

  2   de vous à l'époque. Est-ce que vous pensiez peut-être à Fikret Abdic, pour

  3   son rôle en Bosnie en 1974 ou 1975 ? Parce que je me souviens avoir entendu

  4   parler d'un certain Abdic.

  5   Q.  Oui, vous avez raison. C'était également un des acteurs, un des

  6   participants, mais peut-être plutôt au niveau économique que politique.

  7   Cela ne me dérange pas que vous n'ayez pas entendu parler de moi au départ,

  8   puisque après 1969 j'étais un dissident silencieux et je me suis consacré à

  9   la médecine. Mais est-ce que vous aviez entendu parler, par exemple, de M.

 10   Izetbegovic ?

 11   R.  J'avais entendu parler de lui et je savais qu'il était auteur, ou

 12   plutôt, coauteur de la déclaration islamique.

 13   Q.  Vous avez raison. La déclaration islamique a été écrite après votre

 14   arrivée en 1970, mais M. Izetbegovic a fait l'objet d'un procès ainsi que

 15   ses associés en 1983, mais nous y reviendrons un peu plus tard. Merci

 16   d'avoir mentionné ceci et d'avoir soulevé ce point.

 17   Mais voilà la question que je voudrais vous poser maintenant : j'aimerais

 18   savoir si vous avez également des carnets que vous avez tenus ou un journal

 19   que vous auriez tenu lorsque vous étiez conseiller politique au commandant

 20   de l'OTAN ?

 21   R.  Non, je n'ai pas tenu de journal à l'époque. Je n'étais pas négociateur

 22   et, par conséquent, je n'avais aucune raison de tenir un journal ni de

 23   consigner mes réflexions sur un carnet.

 24   Q.  Merci. Mais ceci est malheureux, car vous étiez un observateur attentif

 25   et vous semblez consigner vos pensées à merveille.

 26   Monsieur l'Ambassadeur, j'aimerais savoir si à l'époque vous aviez déjà une

 27   idée de ce qui allait se produire en Yougoslavie ? Est-ce que vous aviez un

 28   pressentiment ? Est-ce que vous pensez que c'est au moment de la

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  1   constitution de 1974 que les choses ont commencé à évoluer ? Votre opinion

  2   en la matière serait très utile, et je suis sûr que compte tenu de votre

  3   grande expérience, vous pourriez peut-être nous dire à partir de quel

  4   moment les choses ont commencé à évoluer.

  5   R.  Vous savez, Monsieur Karadzic, il y a autant d'opinions que de

  6   personnes qui souhaitent donner des opinions sur un sujet. Mais pour ce qui

  7   est de la mienne, je pense que l'adoption de la constitution en 1974 a,

  8   pour ainsi dire, décentralisé, mais n'a pas démocratisé la Yougoslavie de

  9   Tito. Cette constitution a donné énormément de pouvoir aux parties

 10   communistes des différentes républiques. De cette manière, il y eu une

 11   décentralisation, mais le mode de fonctionnement était toujours un mode de

 12   dictature. Je pense que pour ce qui est du maréchal Tito, ce n'était pas

 13   une erreur que de présenter la situation de cette manière.

 14   Puis, ceci a mené à une certaine désillusion. Lors de la mort du

 15   maréchal Tito en mai 1980, au moment où les relations américano-soviétiques

 16   se sont améliorées après l'arrivée au pouvoir de M. Gorbachov dans les

 17   années 1980, la Yougoslavie avait perdu de sa position privilégiée. Parce

 18   que vous savez qu'après la séparation entre Staline et Tito en 1948, la

 19   Yougoslavie a adopté une position qui est devenue un des fers de lance du

 20   mouvement des non-alignés. Ceci lui a permis d'avoir beaucoup de contacts

 21   avec l'Occident et d'entretenir de bonnes relations. Ces bonnes relations

 22   n'étaient pas uniquement au niveau politique, mais également au niveau

 23   militaire et économique.

 24   Je peux vous donner un exemple, un exemple peut-être extrême, mais un

 25   excellent exemple. En 1991, lorsque le secrétaire Vance et moi-même avons

 26   rencontré le général Kadijevic - qui était le chef d'état-major de l'armée

 27   yougoslave - en octobre 1991, il nous a expliqué qu'il avait été formé à

 28   Fort Leavenworth aux Etats-Unis. Nous ne le savions pas. Par conséquent, il

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  1   connaissait très bien les structures militaires américaines. Il était chef

  2   d'état-major de la JNA, il avait été formé aux Etats-Unis.

  3   Puis au niveau économique, le plus grand débiteur de la banque

  4   mondiale de 1945 à 1990 n'était pas un pays sous-développé ou un pays en

  5   développement, mais c'était la Yougoslavie. Bien sûr, avec l'aide des

  6   puissances occidentales, la Yougoslavie a bénéficié de prêts très

  7   importants de la part des institutions de Bretton Woods, ce qui a, bien

  8   sûr, beaucoup aidé l'économie yougoslave et a permis également d'appuyer le

  9   maréchal Tito dans la gestion de son pays. Par conséquent, de la fin de la

 10   Deuxième Guerre mondiale jusqu'au milieu des années 1980, la Yougoslavie

 11   était restée un Etat indépendant puissant mais ensuite il s'est opéré un

 12   déclin, tant au niveau politique qu'économique. Le pays a observé un déclin

 13   certain.

 14   Q.  Si je vous ai bien compris, ceci coïncide avec une baisse

 15   d'importance du rôle de la Yougoslavie pour l'Occident, et ceci rentre dans

 16   le cadre également de l'amélioration des relations entre les deux

 17   superpuissances, n'est-ce pas ?

 18   R.  C'est exact.

 19   Q.  Merci. Dans mon propos liminaire, j'ai dit que la Yougoslavie

 20   était née et avait disparu suivant les intérêts de beaucoup de pays

 21   d'Europe. La plupart du temps, ce furent les pays d'Europe occidentale. En

 22   1918, la Yougoslavie avait été créée plutôt que la Serbie, ce qu'avait

 23   proposé l'accord de Londres. Il n'y aurait pas eu de Croatie ni de

 24   Slovénie. Puis en 1941, la Yougoslavie a disparu, s'est démantelée à cause

 25   de l'Allemagne qui était plus forte, puis elle a été créée en 1945 parce

 26   que l'Allemagne a perdu la guerre. En 1991, elle a disparu parce que

 27   l'Allemagne a connu un regain de force.

 28   Que dites-vous de ma thèse, de ma théorie ?

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  1   R.  Je ne suis pas d'accord avec vous. Je ne veux pas revenir ni parcourir

  2   80 années d'histoire. Je ne prends que des points saillants. La

  3   Yougoslavie, elle a été créée à la demande de la Yougoslavie. Ce n'est pas

  4   un résultat de Versailles ce qu'ont, pourtant, affirmé beaucoup. Moi, je

  5   dis que non.

  6   On avait espéré qu'un jour les Yougoslaves du sud allaient se réunir.

  7   Ça remonte cet espoir au milieu du XIXe siècle. Beaucoup de Croates, des

  8   intellectuels, des philosophes, des journalistes croates le voulaient. Mais

  9   lorsque la république a été créée en 1919, ce n'était pas une république.

 10   Comme vous l'avez dit, comme nous le savons, cette entité s'appelait

 11   Royaume des Serbes, des Slovènes et des Croates. Le nom de Yougoslavie,

 12   c'est le roi qui l'a donné au pays en 1929. Il voulait essayer de ne pas

 13   mettre en exergue la composante ethnique.

 14   L'Allemagne n'avait rien à voir dans cela. L'Allemagne n'avait rien à

 15   voir avec la situation de 1919, puisqu'elle venait d'être battue au cours

 16   de la Grande guerre. En 1945, il y a eu la république d'AVNOJ; en 1943,

 17   république déclarée à Jajce, soit dit en passant par Tito. Cet à Jajce que

 18   la Yougoslavie de Tito a vu le jour et ça a été une opération, une action

 19   tout à fait yougoslave. Bien sûr, à cause de la défaite de l'Allemagne à

 20   l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, mais il n'y a que des Yougoslaves

 21   qui ont combattu dans leur pays, même s'il faut reconnaître qu'ils se sont

 22   aussi battus entre eux. Vous savez qu'il y avait les Oustachi fascistes et

 23   l'Etat indépendant de Croatie, et de l'autre côté, les partisans, mais

 24   aussi les Chetniks serbes qui ont combattu les Allemands mais qui se sont

 25   battus les uns contre les autres, ce qui a rendu encore plus compliquée la

 26   situation. Mais le régime de Tito a été assez cohérent jusqu'à la mort de

 27   celui-ci en 1980 et nous parlons de la situation consécutive à ça.

 28   Je ne vois pas que l'Allemagne aurait joué le rôle que vous lui

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  1   imputez, si ce n'est pour dire qu'au cours de l'automne 1991, pendant toute

  2   l'affaire croate, l'Allemagne adoptait une position très antiyougoslave et

  3   très procroate. Par exemple, l'Allemagne a dit qu'elle allait reconnaître

  4   la Croatie quoi que fasse le reste de la Communauté européenne. Ça, c'est

  5   vrai. A ce moment-là, l'Allemagne a joué un rôle important, mais ce fut le

  6   seul moment.

  7   Enfin, d'après l'expérience que j'ai acquise pendant la conférence

  8   consacrée à la Bosnie, mais avant aussi, jamais je n'ai constaté de rôle

  9   particulier qu'aurait joué l'Allemagne ni d'intérêt particulier qu'aurait

 10   manifesté l'Allemagne à la Bosnie-Herzégovine. Oui, la Croatie a toujours

 11   été là, peut-être.

 12   Q.  Merci. Et depuis, Danke Deutschland, c'est une chanson populaire bien

 13   connue dans le monde croate. L'Allemagne n'a pas occupé une place

 14   privilégiée à l'avant-plan tant que les choses allaient dans leur sens,

 15   évoluaient dans le sens de l'Allemagne, mais si les Américains et les pays

 16   européens n'allaient pas dans le même sens, à ce moment-là, l'Allemagne a

 17   même recouru au chantage par rapport à la Communauté européenne. Clinton,

 18   Kissinger, le président de la France, c'est eux qui parlent ici. Ce n'est

 19   pas moi. Il y a même eu des personnalités de premier plan britanniques qui

 20   l'ont dit. L'Allemagne, à leurs yeux, était le moteur de la crise

 21   yougoslave. En fin de compte, la partie qui a causé le désastre, parce que

 22   l'Allemagne voulait une reconnaissance prématurée de cette république. Mais

 23   nous allons revenir à ceci.

 24   Est-ce que vous connaissiez l'opinion ou les avis exprimés par ces

 25   personnes que je viens de mentionner dans le contexte du rôle qu'a joué

 26   l'Allemagne ?

 27   R.  Pas de façon détaillée, mais j'ai connaissance de leur position, et

 28   aussi la position de l'Allemagne.

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  1   Q.  Merci beaucoup. Revenons à quelque chose de très intéressant que vous

  2   avez dit. Vous avez dit que plutôt que d'avoir une dictature par la

  3   constitution de 1974, on en a eu six. Vous ai-je bien compris ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Merci. Hier vous avez dit que le président Tito, dans le cadre de la

  6   Yougoslavie, avait largement contribué à affaiblir la Serbie, et que ce

  7   n'est pas exactement ce qui s'est passé en Bosnie-Herzégovine ? Rappelez-

  8   vous Lazar Kolisevski, homme d'Etat de Macédoine. Après la première crise

  9   du Kosovo en 1981, il a révélé que ça avait été une lourde erreur de

 10   réaliser une politique nationale fondée sur la devise selon laquelle une

 11   Serbie faible, c'était synonyme d'une Yougoslavie forte ?

 12   R.  Non, je ne suis pas au courant de cela.

 13   Q.  Savez-vous qu'après 1974, des dizaines, des centaines de milliers de

 14   Serbes et de Croates ont quitté la Bosnie à cause de la dictature qui

 15   existait au niveau de la république ? Des Serbes, les Croates, et surtout

 16   l'intelligentsia, les artistes, les intellectuels, Croates surtout, sont

 17   partis à Zagreb en Croatie, et les Serbes sont partis à Belgrade en Serbie

 18   ?

 19   R.  J'ai entendu dire cela, Monsieur Karadzic, mais honnêtement, je me

 20   demande si c'est vrai. Je me souviens, nous savons tous d'ailleurs, qu'en

 21   1984 il y a eu les Jeux olympiques d'hiver, événement international

 22   important s'il en est, et ils se sont déroulés à Sarajevo. Et j'ai peine à

 23   imaginer que ces jeux aurait pu se dérouler là s'il n'y avait pas eu le

 24   consentement de pratiquement tous ceux qui étaient à Sarajevo, parce que

 25   c'est quand même un événement public de taille que les olympiades d'hiver.

 26   Je ne parviens pas à répondre aux questions, mais je me permets d'en

 27   douter.

 28   Q.  Et si je vous montrais des statistiques, si je vous donnais le nom de

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  1   personnalités importantes qui ont fui, pour ainsi dire, la Bosnie, si je

  2   vous disais que ce qui s'est passé c'est que les autorités d'alors en

  3   Bosnie, elles ont arrêté 250 Serbes d'un coup, à ce moment-là peut-être

  4   changeriez-vous d'avis ?

  5   R.  Oui, oui, bien sûr je vous croirais.

  6   Q.  Merci. Permettez-moi de vous rappeler, c'est quelque chose qu'on

  7   appelle en anglais "gerrymandering." Ce nom vient du nom d'un homme, Jerry

  8   Mander, qui a fabriqué, qui a trouvé un truc électoral qui permettait à des

  9   petits partis de sortir vainqueur d'élection. Mais les conditions avaient

 10   été naturelles, ça n'aurait pas marché. Vous connaissez ce phénomène ?

 11   R.  Oui, parce que Jerry Mander était un Américain du XVIIIe siècle. C'est

 12   encore vrai aujourd'hui. Cette technique s'applique hélas encore

 13   aujourd'hui.

 14   Q.  Et si je vous dis, Monsieur l'Ambassadeur, que les Serbes de Bosnie, si

 15   je vous disais que les Serbes de Bosnie, au cours des vingt années avant la

 16   crise, avaient connu des transformations inconcevables s'agissant du

 17   découpage artificiel des municipalités et des régions ? Un exemple. On a

 18   abandonné, on a aboli des municipalités, parce qu'il y avait un

 19   remembrement électoral, c'est-à-dire qu'on ajoutait cette municipalité à

 20   une municipalité  musulmane, donc elle disparaissait. Autre technique de

 21   découpage artificielle, par exemple, un groupe de municipalités serbes

 22   était sorti d'un groupe, disons, la Krajina, Visoko, était séparées de la

 23   Banja Luka et était attachées à Bihac. Donc les Serbes devenaient

 24   minoritaires. En Semberija, les municipalités étaient rattachées à Tuzla,

 25   Modrica, Doboj, Derventa, majorité serbe, sont rattachées à un autre groupe

 26   et deviennent ainsi une population minoritaire ? C'est vrai pour Gorazde.

 27   L'Herzégovine orientale est attachée à Mostar. Les Serbes deviennent

 28   minoritaires, et dans ces centres il y a une évolution brusque, brutale,

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  1   parce que ces centres sont le centre du pouvoir économique et politique.

  2   Pensez-vous que ce genre de dévolution peut entraîner une dévastation des

  3   Serbes ainsi qu'un déclin politique et économique ?

  4   R.  Je dirais que si ce genre de chose se passait, ceci ne pourrait

  5   qu'entraîner une chute, un déclin politique et économique. Mais il n'y a

  6   rien d'automatique dans la chute politique et économique. Ça ne vient pas

  7   uniquement de ce découpage artificiel de circonscription électorale, parce

  8   que ce découpage concerne surtout les procédures électorales, les

  9   procédures de vote d'un Etat. C'est pour cela qu'aux Etats-Unis encore, à

 10   ce jour d'aujourd'hui, la plupart des députés de la Chambre des députés

 11   sont en majorité réélus, parce que les circonscriptions électorales ont été

 12   découpées artificiellement pour se conformer aux intérêts d'un parti ou de

 13   l'autre, mais je ne pense pas que ceci va automatiquement entraîner des

 14   problèmes économiques, ou comme vous l'avez dit, la chute, le déclin, à

 15   moins que d'autres mesures ne soient prises et ne viennent se greffer à ce

 16   processus.

 17   Q.  Je vous remercie. C'est justement à cela que j'avais pensé. D'abord,

 18   c'est juste une chose qui ne dure pas que pour les élections. Donc c'est

 19   utilisé ici comme découpage des unités électorales, des circonscriptions,

 20   mais, par exemple, Mostar, et il y a en plus la vie financière dans un

 21   centre tel que Mostar.

 22   Ensuite, troisièmement, alors on est en train de parler des mesures

 23   prises en l'absence d'une démocratie, d'une dictature de la république dont

 24   on a parlé justement. Etes-vous d'accord avec moi ?

 25   R.  C'est possible, bien sûr, sans nul doute. Il est possible de léser un

 26   groupe plutôt qu'un autre, de le désavantager par rapport à un autre, mais

 27   je pense que les Serbes de Bosnie avaient, malgré tout, conservé beaucoup

 28   de pouvoir et d'attention jusqu'en 1991, dirais-je. Il faudrait procéder à

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  1   une analyse très poussée, exhaustive pour déterminer la mesure dans

  2   laquelle les Serbes en Bosnie auraient été lésés dans les années 70, dans

  3   les années 80. Je ne sais pas si une telle analyse a été faite. Peut-être

  4   l'a-t-elle été, mais je ne peux pas me prononcer sur ce sujet.

  5   Q.  Je vous remercie de cette proposition. Je vais présenter ce type de

  6   proposition aux Juges de la Chambre ultérieurement. Mais essayons de nous

  7   pencher ou de nous mettre d'accord sur ce qui s'est passé après les

  8   premières élections démocratiques auxquelles mon parti a obtenu le tiers du

  9   pouvoir. Etes-vous d'accord pour dire que la position du président de la

 10   présidence de Bosnie-Herzégovine est beaucoup plus forte comme position que

 11   ne l'est la position du président du Parlement de Bosnie-Herzégovine ?

 12   R.  Oui, je serais d'accord avec vous là-dessus.

 13   Q.  Seriez-vous aussi d'accord pour dire que le deuxième pouvoir exécutif,

 14   le premier ministre, donc l'autorité du premier ministre, c'est quelque

 15   chose de beaucoup plus puissant comme position que cela n'est le cas pour

 16   ce qui est de ce président du Parlement ?

 17   R.  Là, je ne suis pas sûr que je suis d'accord avec vous, parce que le

 18   porte-parole -- le président de l'assemblée parlementaire, il avait

 19   beaucoup de pouvoir. Quant au premier ministre, il a, pour ainsi dire,

 20   souffert parce que le président de la présidence, lui, avait une position

 21   d'autorité prédominante, nous le voyons, même pendant le conflit bosniaque.

 22   Nous le voyons au moment où le président était Alija Izetbegovic et le

 23   premier ministre -- donc, Izetbegovic étant Musulman, et le premier

 24   ministre, lui, Mile Akmadzic, était un Croate de Bosnie. Akmadzic, il

 25   n'avait pas beaucoup de pouvoir. Je veux dire, il en avait, bien sûr, dans

 26   la Communauté croate de Bosnie, il était connu dans cette Communauté croate

 27   de Bosnie, mais au-delà, pas beaucoup. Donc je pense que le président de

 28   l'assemblée de Bosnie, M. Krajisnik, il avait beaucoup plus de pouvoir

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  1   qu'Akmadzic, aussi bien dans le pays qu'au sein de son propre parti.

  2   Q.  Merci. Je crois bien que vous allez être d'accord avec moi pour dire

  3   que le pouvoir du président du parlement -- enfin, ce n'est pas une

  4   institution, le président du parlement, c'est le parlement -- il y a trois

  5   institutions : le parlement, le gouvernement et la présidence. Alors, la

  6   présidence avait un président de la présidence, alors que M. Izetbegovic se

  7   présentait souvent comme étant le président de la république. Or il n'était

  8   pas président de la république. Vous êtes d'accord ?

  9   R.  C'est exact. D'ailleurs, il n'a pas recueilli la majorité des voix lors

 10   des élections de 1990. M. Abdic a recueilli plus de voix que M.

 11   Izetbegovic, en tant que dirigeant du SDA.

 12   Q.  Je suis d'accord, c'est exact. Et êtes-vous d'accord, vous, pour dire

 13   que ceci arrangeait les Musulmans de Bosnie parce que Fikret Abdic, c'était

 14   quelqu'un de laïc, il était à orientation européenne, cet homme, par

 15   rapport à M. Izetbegovic.

 16   R.  Il était plus laïc qu'Izetbegovic; ça, c'est vrai. Il était très

 17   populaire dans la Cazinska Krajina, donc tout à fait à l'ouest. Sa base,

 18   c'était la poche de Bihac, qu'il a conservée pendant les combats.

 19   Malheureusement, comme M. Karadzic l'a dit auparavant, il s'était concentré

 20   sur les questions économiques et il avait été emprisonné pour un

 21   comportement, ou peut-être des malversations financières, et manifestement,

 22   ceci a eu un effet sur sa réputation qui s'est vue ternie aux yeux des

 23   autres communautés, et surtout aux yeux des Musulmans de Bosnie - je pense

 24   à l'affaire Komerc, je suis sûr que vous êtes au courant, Monsieur Karadzic

 25   - ce qui veut dire que la petite majorité qu'il avait obtenue lors des

 26   élections de décembre 1990 n'avait pas suffi pour qu'automatiquement, il

 27   devienne président de la présidence.

 28   Q.  Merci. Seriez-vous donc d'accord avec moi pour dire que le président de

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  1   la présidence, Izetbegovic, était un Musulman; le président du premier

  2   gouvernement élu d'une façon démocratique, Jure Pelivan, un Croate; et le

  3   président du parlement, Momcilo Krajisnik, qui, lui, est un Serbe ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Etes-vous d'accord pour dire que le ministre de l'Intérieur était Alija

  6   Delimustafic, un Musulman; Jerko Doko, le ministre de la Défense, qui était

  7   Croate, lui, et ce sont les deux ministères de l'usage de la force, il n'y

  8   en a pas un troisième, parce que les Services secrets se trouvaient dans le

  9   cadre du ministère de l'Intérieur ?

 10   R.  C'est exact.

 11   Q.  Etes-vous d'accord avec moi pour dire que les Serbes ont demandé et ont

 12   obtenu l'agriculture, les finances, le ministère des Sciences, et ce sont

 13   là les ministères qui sont assez loin d'être des ministères où on dispose

 14   d'une force quelconque ?

 15   R.  Ça, je ne sais pas, mais je vous entends et je vous crois, par

 16   conséquent. Mais vous parlez de "force," n'oublions pas qu'il y avait quand

 17   même quelque chose qu'on appelait la JNA, l'armée populaire yougoslave qui,

 18   elle, disposait d'un pouvoir considérable, et lorsque arrive l'année 1991,

 19   lorsque arrive l'année 1992, on peut dire que dans une grande partie, et

 20   pratiquement exclusivement, c'était devenu une armée serbe. J'ai donc peine

 21   à faire l'équation entre le ministère de l'Intérieur de Bosnie-Herzégovine

 22   et la JNA en matière de force.

 23   Q.  Ce que j'avais à l'esprit était plutôt le ministère de la Défense. Mais

 24   êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'en Yougoslavie il n'y avait rien

 25   d'analogue au FBI, ou qu'il n'y avait pas de fonction fédérale ? C'étaient

 26   des relations confédérales où les ministères de l'Intérieur des différentes

 27   républiques étaient souverains. Il n'y avait qu'un faible lien constitutif

 28   avec le ministre au niveau fédéral, n'est-ce pas ?

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  1   R.  Disons que je n'étais pas très lié dans l'intérieur avec, disons, les

  2   coulisses, les interstices qu'il y a dans l'organisation yougoslave, mais

  3   je pense que ce serait assez juste, étant donné qu'il y avait quand même un

  4   fort degré de décentralisation qui était intervenu, une fois adoptée la

  5   constitution de 1974.

  6   Q.  Merci. Je vous assure qu'il n'y avait aucune espèce de fonction

  7   exécutive policière au niveau de l'Etat fédéral, tel que cela serait le cas

  8   du Bureau fédéral des investigations aux Etats-Unis, ou la CIA pour ce qui

  9   est de ce qui concerne l'étranger. Mais avant que nous n'en terminions pour

 10   la journée d'aujourd'hui, je voudrais encore vous demander la chose

 11   suivante : est-ce que vous vous souvenez du fait que l'OTAN, en 1978, avait

 12   organisé de grandes manœuvres militaires avec une supposition qui était

 13   celle de savoir ce qu'il adviendrait de la Yougoslavie après la mort de

 14   Tito, et êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'ils s'étaient servis de

 15   vos conseils, bien que vous n'ayez pas été là-bas, à l'époque, mais ils

 16   s'étaient servis de vos connaissances lorsqu'ils ont organisé et réalisé

 17   ces manoeuvres ?

 18   R.  Vous me flattez, vous me flattez beaucoup. En 1978, Monsieur Karadzic,

 19   je me trouvais à Genève et je travaillais au traité SALT II avec l'Union

 20   soviétique. Je n'avais rien à voir avec la Yougoslavie. Le fait qu'il y ait

 21   eu des manœuvres en raison de cette incertitude qui existait sur l'avenir

 22   qu'on pouvait escompter en Yougoslavie par rapport à l'Union soviétique,

 23   une fois Tito décédé, je n'ai pas de peine à imaginer cela, parce

 24   qu'effectivement, c'était une préoccupation qui existait sur l'avenir qui

 25   allait se dessiner pour les relations entre la Yougoslavie et l'Union

 26   soviétique. A cet égard, il est important de se souvenir d'une chose. En

 27   1979, l'Union soviétique a envahi l'Afghanistan, la première fois que

 28   l'Armée rouge avait envahi un pays qui n'était pas un pays d'obédience

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  1   soviétique. Ils avaient déjà pris la Pologne, ils avaient envahi la

  2   Tchécoslovaquie, mais en 1979, l'Union soviétique envahit l'Afghanistan,

  3   événement considérable qui entraîne une détérioration considérable des

  4   relations entre l'est et l'ouest, il fallait s'y attendre.

  5   Donc il y avait des raisons de s'inquiéter de la réaction qu'allait

  6   peut-être avoir l'Union soviétique à la mort de Tito, en Yougoslavie.

  7   Q.  Et ces manœuvres - probablement très chères, très coûteuses - ça a été

  8   organisé probablement dans la perspective d'une mort de Tito, suite à

  9   laquelle on pouvait s'attendre à toutes sortes de choses en Yougoslavie,

 10   n'est-ce pas ?

 11   R.  Le souvenir que j'ai, c'est que l'inquiétude principale, c'était de se

 12   demander si l'Union soviétique allait faire quelque chose, et si elle

 13   faisait quelque chose, qu'est-ce que ce serait ? Je ne me souviens pas

 14   qu'il y ait eu beaucoup de discussions sur les conséquences ou les

 15   retombées internes à la Yougoslavie.

 16   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, nous avons des rapports de la CIA qui sont

 17   datés d'une période ultérieure, mais de services étrangers autres,

 18   également, qui prévoyaient le démantèlement de la Yougoslavie et la

 19   survenue d'une crise après la mort de Tito. Et ces pronostics ont été

 20   formulés jusqu'en 1995, n'est-ce pas -- jusqu'en 1989 ?

 21   R.  Oui. Les rapports établis par la CIA dans les années 80 se fondaient

 22   sur le recensement de 1981. Donc le recensement, c'est une procédure

 23   habituelle, il est normal qu'on demande l'appartenance ethnique. Etes-vous

 24   Serbe, êtes-vous Croate, êtes-vous Musulman, Albanais, Juif, peu importe ?

 25   On ne demande pas -- on va recenser les peuples constitutifs, mais tous les

 26   autres aussi. Il y avait une minorité assez considérable de Hongrois, en

 27   Serbie. Et l'un des choix qu'on pouvait opérer pour déterminer la

 28   "nationalité," on pouvait se dire Yougoslave, et dans le recensement de

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  1   1981, moins de 10 % des personnes qui ont répondu ont dit qu'ils étaient

  2   "Yougoslaves." Il y avait quelque chose comme 7 %. En d'autres termes, 93 %

  3   de la population de ce pays ne ressentaient pas d'arrachement à une

  4   nationalité qui aurait été la nationalité Yougoslave; et finalement, cette

  5   base n'était pas fausse. C'est ce qui a poussé la CIA à signaler qu'il y

  6   avait des difficultés internes possibles auxquelles on pouvait s'attendre

  7   dans cet Etat.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ceci étant dit, nous allons lever

  9   l'audience.

 10   Monsieur Karadzic, ce contexte historique est certes intéressant, mais nous

 11   n'avons pas, à quelques rares exceptions près, entendu beaucoup d'éléments

 12   qui concernent la période couverte par l'acte d'accusation dressé contre

 13   vous. J'espère que vous allez bientôt passer à cette période couverte par

 14   l'acte d'accusation, lundi.

 15   Nous reprendrons lundi, à 9 heures. Je souhaite à tous un bon week-end.

 16   --- L'audience est levée à 19 heures 03 et reprendra le lundi 26 avril

 17   2010, à 9 heures 00.

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