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1 Le jeudi 27 octobre 2011
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 [Le témoin vient à la barre]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 20.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes.
7 Bonjour, Madame le Témoin.
8 Je vous prie de continuer, Monsieur Karadzic.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Bonjour, Excellences. Bonjour à tous et
10 à toutes.
11 LE TÉMOIN : KDZ080 [Reprise]
12 [Le témoin répond par l'interprète]
13 Contre-interrogatoire par M. Karadzic : [Suite]
14 Q. [interprétation] Bonjour, Madame le Témoin.
15 R. Bonjour.
16 Q. Etant donné que je n'ai pas beaucoup de temps, je voudrais vous
17 demander à chaque fois qu'il est possible de répondre par un oui ou par un
18 non de le faire. Bien sûr, vous avez tous les droits pour ce qui est de
19 demander davantage de temps, mais moi je m'efforcerai pour ma part d'être
20 le plus rapide possible.
21 Alors, saviez-vous, puisque vous avez dit que les gens n'étaient pas
22 revenus au travail, est-ce que vous saviez que des personnes que vous
23 connaissiez ou des proches à vous avaient été rappelés une fois que la
24 situation s'est calmée pour revenir au travail, pour recevoir un laissez-
25 passer et une escorte ?
26 R. Je ne sais pas.
27 Q. Merci. Bon, mais si je vous le dis, une personne que vous connaissez
28 bien a reçu une escorte, un laissez-passer et est venue ?
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1 R. Je n'en sais rien.
2 Q. Dites-nous, est-ce que vous avez été interrogée lorsque vous vous êtes
3 trouvée à Omarska ?
4 R. Dans un bureau qui se trouvait au-dessus du restaurant. C'est le
5 bâtiment administratif.
6 Q. Merci. N'aviez-vous pas dit aussi que ça s'était trouvé dans vos
7 chambres destinées aux femmes ?
8 R. Nous avons dormi dans ces pièces les femmes, nous les femmes, pas les
9 hommes, les femmes.
10 Q. Et il n'y a pas eu d'interrogatoires dans ces chambres, dans ces pièces
11 ?
12 R. Si. Il y a eu des interrogatoires dans ces pièces où nous passions la
13 nuit, comme je vous l'ai dit. Pendant la journée dans ces pièces-là, tous
14 les jours il y a eu des interrogatoires.
15 Q. Donc ce n'est pas seulement dans les bureaux comme vous nous l'avez dit
16 mais aussi dans ces chambres ?
17 R. Ecoutez, c'est des pièces. Ce sont des bureaux et des chambres où nous
18 passions la nuit.
19 Q. Merci. Vous nous avez dit que dans -- et ce, je vais vous dire où.
20 C'est dans votre déclaration datée du mois de février 1995, en page 4, et
21 vous avez dit qu'un certain Zeljko, probablement Meakic, aurait dit à un
22 gardien qu'il ne pouvait pas boire pendant qu'il était de service.
23 R. Probablement que oui. Je sais qu'une fois, il y en a un qui est venu
24 ivre. Il n'était pas gardien. Je ne sais pas qui il était. Il est venu là
25 ivre, dans notre pièce, la pièce où je séjournais, parce que les femmes
26 étaient logées dans deux pièces qui, pendant la journée, servaient pour
27 l'interrogatoire des détenus. Et le soir, elles étaient dans ces pièces,
28 mais le jour, tous les jours, elles descendaient au restaurant, à la
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1 cantine.
2 Q. Merci. En outre, un autre gardien aurait chassé quelqu'un qui était
3 entré sans en avoir le droit. Il a brandi son fusil contre lui ?
4 R. Non, non. Ça, vous avez confondu. C'est Radenko Spiric qui a empêché
5 Zigic Zoran d'entrer dans la pièce où se trouvaient installées les femmes
6 venues d'Omarska. Mais il ne s'agit pas d'Omarska; il s'agit de Trnopolje.
7 Lorsqu'on nous a transférés d'Omarska vers Trnopolje.
8 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent à ce que le témoin se rapproche de
9 son micro.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant. Quand vous avez fini de
11 poser votre question, pouvez-vous éteindre votre microphone, parce que nous
12 avons un témoin qui bénéficie de la mesure de la déformation de sa voix.
13 Oui.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi. Merci de m'avoir rappelé cela.
15 M. KARADZIC : [interprétation]
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17 entré dans la pièce où se trouvaient les femmes venues d'Omarska, et il
18 aurait pointé son fusil contre lui. Il se peut, oui, que ce soit les femmes
19 qui étaient venues d'Omarska.
20 Mais ce Spiric Radenko a, toujours est-il, empêché quelqu'un qui avait
21 voulu accéder à la pièce où il y avait les femmes.
22 R. Oui. Ça se passe à Trnopolje, ce n'est pas à Omarska.
23 L'INTERPRÈTE : Les interprètes redemandent à ce que le témoin se rapproche
24 de son micro. Nous avons augmenté le volume au maximum et nous avons du mal
25 à l'entendre.
26 M. KARADZIC : [interprétation]
27 Q. Merci. Vous l'avez dit dans votre déclaration datée de février 1995,
28 page 15, et dans le récolement relatif au témoignage --
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1 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas saisi la référence.
2 M. KARADZIC : [interprétation]
3 Q. -- quelqu'un vous aurait dit : Comment se fait-il que vous soyez là ?
4 Vous auriez dû être mise en accusation.
5 R. Une fois de plus, ça se passe à Trnopolje. Ça, ça a été dit par le
6 commandant du camp de Trnopolje, M. Kuruzovic Slobodan.
7 Q. Saviez-vous qu'il y a eu une abolition de peine à votre égard ?
8 R. Je ne sais pas. Personne ne m'a rien dit ni communiqué. Nous avons été
9 transférées, moi et quelques autres femmes, depuis ce camp d'Omarska vers
10 le camp de Trnopolje. Personne n'a donné les raisons pour lesquelles cela
11 se faisait.
12 Q. Merci. Alors, s'il y avait abolition de votre peine, à la différence de
13 ceux qui n'ont pas fait l'objet d'une mesure d'abolition, est-ce que cela
14 veut dire que vous étiez prévue ou qu'on avait prévu pour vous un acte
15 d'accusation, n'est-ce pas ?
16 R. Je n'en sais rien.
17 Q. Mais en principe, vous devriez savoir ceci, parce que quand on relâche
18 quelqu'un sans qu'il n'y ait pas abolition, il est censé être poursuivi
19 mais on renonce à des poursuites ?
20 R. Ça, c'est dans des situations normales, dans des procès normaux. Mais
21 là, les circonstances sont exceptionnelles et n'ont rien à voir avec ces
22 règles. Et il n'y avait ni lois pénales, ni lois régissant la procédure
23 pénale, ni investigations, ni rien de tout cela. Et je n'ai jamais su de
24 quoi j'étais accusée et pourquoi est-ce qu'on me gardait aussi longtemps
25 dans ce camp d'Omarska.
26 Q. Mais n'a-t-on pas dit que vous étiez connue par votre extrémisme et que
27 vous aviez rencontré un groupe à titre clandestin ?
28 R. Non, personne ne m'a dit que j'étais connue comme étant une extrémiste.
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1 A l'occasion de l'interrogatoire à Omarska, deux enquêteurs, Nenad Babic et
2 Nenad Tomcic, m'ont posé des questions, et ils m'ont demandé où est-ce que
3 je rencontrais celui-ci ou celui-là, qui je voyais, où est-ce qu'on se
4 rencontrait, de quoi on parlait à chaque fois qu'on se rencontrait et qu'on
5 s'installait ensemble. C'étaient des informations qu'eux avaient
6 recueillies et qu'ils me présentaient. Mais ils ne m'ont pas dit que
7 j'étais suspecte ou mise en accusation.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant. Madame le Témoin, auriez-
9 vous l'amabilité de vous rapprocher de votre micro afin que les interprètes
10 vous entendent mieux. Merci.
11 M. KARADZIC : [interprétation]
12 Q. Dans votre déclaration datée du mois de février 1995, en page 14, que
13 deux personnes avaient été emmenées et que ces personnes, vous ne les avez
14 plus jamais revues. Or, cette phrase est reprise par bon nombre de témoins,
15 et chez vous aussi c'est le cas. On a fait sortir des gens et on ne les a
16 plus vus, on ne les a plus ramenés, et cetera.
17 Alors, est-ce que vous laissez entendre quelque chose à ce titre ou est-ce
18 que vous aviez connaissance du fait qu'il y ait eu des personnes de
19 libérées avant le 3 août déjà, de façon -- enfin, par étape, à chaque fois
20 qu'on avait constaté que quelqu'un était innocent, on le relâchait pour
21 qu'il puisse rentrer chez lui, non ?
22 R. Pendant mon séjour au camp de concentration d'Omarska, d'après mes
23 souvenirs, il n'y a qu'une fois qu'un groupe de détenus a été transféré à
24 Trnopolje. C'est du moins ce que disaient les gardiens du camp.
25 Et étant donné qu'avec les autres femmes j'avais aussi une obligation de
26 travail, consistant à faire tous les jours au restaurant, c'est-à-dire dans
27 la cantine du camp, en sorte que les vivres soient partagés aux détenus,
28 distribués aux détenus, il fallait donc qu'on leur donne un repas qui était
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1 distribué là-bas. Et souvent, je remarquais que certaines personnes ne
2 venaient plus prendre un repas, étant donné que ces personnes devaient
3 passer pour aller de là où ils séjournaient en passant par une haie
4 d'hommes qui leur donnaient des coups pendant qu'ils se dirigeaient vers la
5 cantine, et ce, avec des objets variés. Ce qui fait qu'ils préféraient ne
6 pas aller prendre ce repas que d'être malmenés physiquement.
7 Q. Madame, je vous prie de vous en tenir à ma question, de ne pas partir
8 trop en largueur, parce que ces questions vous seront posées par
9 l'Accusation.
10 Vous nous dites si vous ne voyez pas quelqu'un au déjeuner, vous
11 supposez d'ores et déjà que quelque chose de mal est arrivé à cette
12 personne ?
13 R. En effet. Nous avions pensé qu'il était liquidé pendant la nuit et sur
14 ces tas de corps de personnes mortes qui étaient donc tuées pendant la nuit
15 et qui étaient donc jetées sur le gazon devant la "maison blanche".
16 Q. Merci, Madame. Nous allons prouver que ce que vous dites n'est pas
17 exact.
18 Mais on en reste d'abord au fait de savoir s'il y a eu des libérations de
19 personnes lorsqu'on avait constaté que ces personnes étaient innocentes,
20 pour qu'elles rentrent chez elles, et non pas à Trnopolje ?
21 R. Je ne suis pas au courant de cas de ce genre.
22 Q. Merci.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre le 1D4639. Il
24 s'agit d'un témoignage devant ce Tribunal.
25 Je voudrais qu'on nous montre la page suivante, s'il vous plaît.
26 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
27 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant.
28 Est-ce que la Chambre ne devrait pas passer à huis clos partiel pendant un
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1 instant ?
2 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes en audience à huis clos
3 partiel.
4 [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité partiellement levée par une ordonnance de la Chambre]
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22 Contre-interrogatoire par M. Karadzic : [Suite]
23 Q. [interprétation] Madame le Témoin, cette déposition et votre apparence
24 bling-bling dans les médias, est-ce quelque chose qui fait partie de votre
25 lutte contre les médias ?
26 R. Je ne vous comprends vraiment pas. Qu'est-ce que vous voulez dire
27 contre les Serbes ? Je ne mets pas tout le monde dans le même sac. Je parle
28 de mauvaises personnes. Bon, que ces personnes soient Serbes, cela n'est
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1 pas de ma faute. De quel type de lutte parlez-vous ? Il me reste encore des
2 amis serbes, des personnes agréables qui comprennent tout à fait ce que
3 j'ai vécu, ce que j'ai dû traverser. Les personnes ne sont pas
4 stigmatisées.
5 Je n'ai même pas besoin de parler de ce qui est arrivé. C'est
6 simplement que je ne peux pas l'oublier. Cinq de mes collègues et amis ont
7 été tués à Omarska. C'étaient des collègues de travail. Il y a eu des
8 exhumations et des visites à des fosses communes qui sont devenues partie
9 intégrante de ma vie. D'où vous vient cette impression que je suis
10 quelqu'un qui tente de stigmatiser tout un peuple et une communauté tout
11 entière ? Je n'ai jamais, jamais fait montre d'une quelconque haine envers
12 un peuple dans son ensemble. Je n'ai jamais rien dit de ce genre dans une
13 quelconque interview. Je fais simplement porter la faute aux personnes qui
14 ont commis des crimes, quelle que soit leur appartenance ethnique, et
15 j'accepte que des membres des autres communautés ethniques ont également
16 commis des crimes. Et que les Serbes et les Croates parlent également de
17 leur expérience en tant que victimes, je les soutiendrai.
18 M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]
19 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je souhaite lui poser une question à propos de
20 ses enquêteurs.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous revenons en audience publique.
22 [Audience publique]
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Maintenant que le contre-interrogatoire
24 est terminé, Madame Edgerton, avez-vous des questions supplémentaires à
25 poser ?
26 Mme EDGERTON : [interprétation] Oui, tout à fait, si vous me le permettez,
27 Monsieur le Président. Et je crois que je peux le faire en audience
28 publique.
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1 Nouvel interrogatoire par Mme Edgerton :
2 Q. [interprétation] Madame le Témoin, l'article de journal que vous a
3 montré le Dr Karadzic, et vous avez commenté cela à la page 16, lignes 10
4 et 11 du compte rendu d'audience d'aujourd'hui, en réalité, vous avez vu
5 cet article avant de venir déposer devant ce Tribunal, n'est-ce pas ?
6 R. Oui.
7 Q. Et vos commentaires à propos de cet article de presse sont des
8 commentaires qui ont été inclus dans cette déclaration qui vous a été relue
9 à Sarajevo, n'est-ce pas ?
10 R. Oui.
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9 Q. Et une question supplémentaire. A la page 6 du compte rendu d'audience
10 aujourd'hui, lignes 16 à 21, le Dr Karadzic vous a posé la question
11 suivante :
12 "Donc vous dites que si vous n'avez pas vu quelqu'un à cet endroit-là qui
13 allait déjeuner, vous pensez que quelque chose de mal est arrivé à cette
14 personne-là; c'est exact ?" Et --
15 R. C'est exact. C'est ce que j'ai voulu dire.
16 Q. Et votre réponse était :
17 "Oui, cette personne n'était plus là-bas. Et nous nous doutions du fait que
18 cette personne pouvait fort bien être tuée pendant la nuit et qu'on pouvait
19 la retrouver sur les tas de cadavres qu'on voyait devant la 'maison
20 blanche', sur le gazon."
21 Vous en souvenez-vous ?
22 R. Oui, oui.
23 Q. Excusez-moi, est-ce que vous pouvez répéter votre réponse ?
24 R. Vous voulez que je répète ? Bon. Je l'ai dit, lorsque quelqu'un ne se
25 remanifestait plus parmi les détenus, lorsqu'il ne revenait pas au
26 restaurant, aux repas, alors nous commencions à penser que quelque chose de
27 mal lui était arrivé. Et au matin, lorsqu'on arrivait au restaurant depuis
28 les pièces où on dormait et au vu de ce tas de cadavres sur le gazon devant
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1 la "maison blanche", des fois nous pouvions même reconnaître les personnes
2 dont il s'agissait parce que les gens là-bas n'avaient qu'un vêtement sur
3 eux. Ils n'avaient pas de quoi se changer, donc ils portaient toujours la
4 même chose. Et c'est ce que je disais. J'ai dit que nous doutions de
5 quelque chose de mal lui étant arrivé. Et bon nombre de choses s'étaient
6 avérées vraies, parce que beaucoup de personnes ont été retrouvées dans des
7 charniers. On les a identifiées d'abord, puis on les a enterrées après.
8 Q. Merci. Je n'ai plus de questions.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Moi, je voudrais non pas poser une question
10 mais dire quelque chose aux Juges de la Chambre. Juste une phrase.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais avant que vous ne le fassiez, est-
12 ce que vous voulez verser au dossier l'interview de tout à l'heure ?
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, l'interview et la publication qui a été
14 reprise sur Internet, le papier des droits de l'homme.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bon, je pense qu'il n'y a pas
16 d'objection pour ce qui est de verser au dossier ces deux documents sous
17 pli scellé, Madame Edgerton, n'est-ce pas ?
18 Mme EDGERTON : [interprétation] Lorsqu'il s'agit de la publication reprise
19 sur Internet, cette publication relative aux droits de l'homme, la seule
20 information exacte au sujet de la source de ce document vient de
21 l'Accusation, mais si ce n'est pas placé dans une espèce de contexte pour
22 que les Juges de la Chambre puissent juger de la forme dans laquelle le
23 débat s'est produit.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Et l'interview ?
25 Mme EDGERTON : [interprétation] Je n'ai aucun problème pour ce qui est de
26 l'interview, étant donné que c'est mentionné dans la déclaration consolidée
27 du témoin.
28 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bon. Ces deux seront versés au dossier
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1 sous pli scellé.
2 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, le 65 ter
3 numéro 1D4489 deviendra une pièce à conviction qui sera le -- et 65 ter
4 1D4482 deviendra la pièce D1820, sous pli scellé.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous avez des questions à évoquer devant
6 les Juges de la Chambre en présence de ce témoin ?
7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ça n'a rien à voir avec le témoin mais avec ces
10 tas de cadavres.
11 Drasko Zec, Milenko Tomic et Zivko Dragosavljevic, ces investigateurs sont
12 des gens qui sont vivants et qui travaillent encore. Il y en a un qui était
13 président du tribunal, et maintenant il est avocat. Il a un cabinet
14 d'avocats, tout comme Zec et Tomic d'ailleurs.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, non, je ne pense pas que le moment
16 soit venu d'entendre vos arguments en présence du témoin.
17 Etes-vous d'accord, Monsieur Robinson ?
18 M. ROBINSON : [interprétation] Eh bien, Monsieur le Président, je ne suis
19 pas tout à fait sûr. J'aimerais que vous le laissiez terminer sa phrase, je
20 ne sais pas quel est l'objectif poursuivi, parce que d'habitude il a un
21 objectif tout à fait précis et bon de poursuivi. Alors, si vous le laissez
22 terminer, peut-être que les choses seront plus claires.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voulais demander aux Juges de la Chambre de
24 poser au témoin la question de savoir si ces gens ont été poursuivis en
25 justice pour ce qui est de ces tas de cadavres dont elle fait état ?
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Eh bien, il eut été chose que l'on
27 s'attendrait de votre part à être faite pendant le contre-interrogatoire.
28 Ceci met un terme à votre témoignage, Madame le Témoin. A moins que mes
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1 collègues n'aient des questions à vous poser - j'ai l'impression que non -
2 alors votre témoignage ici a pris fin.
3 Je vous remercie d'être venue à La Haye pour nous fournir ce témoignage.
4 Maintenant vous pouvez vous en allez.
5 Mais nous allons tous faire une pause.
6 Nous allons faire une pause d'une demi-heure pour reprendre à 4 heures
7 moins 10.
8 [Le témoin se retire]
9 --- L'audience est suspendue à 15 heures 22.
10 --- L'audience est reprise à 15 heures 55.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
12 M. ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je voudrais tout
13 d'abord vous présenter notre assistante, Mme Nathalie Dauphin. Elle est
14 stagiaire, et elle sera avec nous pendant cette audience.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
16 M. ROBINSON : [interprétation] Et ensuite, je voudrais que nous passions à
17 huis clos partiel pour un instant.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] En effet.
19 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel, Madame,
20 Messieurs les Juges.
21 [Audience à huis clos partiel]
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4 [Audience publique]
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Eh bien, je considère que c'est M. Zec.
6 Ou c'est M. Tieger qui va prendre la parole.
7 M. TIEGER : [interprétation] Le témoin suivant de l'Accusation, Monsieur le
8 Président, s'appelle Sejmenovic, M. Sejmenovic.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
10 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour, Monsieur.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Mes
13 respects.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous demande de donner lecture de la
15 déclaration solennelle.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci. Oui.
17 Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et
18 rien que la vérité.
19 LE TÉMOIN : MEVLUDIN SEJMENOVIC [Assermenté]
20 [Le témoin répond par l'interprète]
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir, Monsieur,
22 et mettez-vous à l'aise.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger, à vous.
25 Interrogatoire principal par M. Tieger :
26 Q. [interprétation] Monsieur, veuillez nous donner votre nom pour le
27 compte rendu.
28 R. Je m'appelle Mevludin Sejmenovic.
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1 Q. Monsieur Sejmenovic, je vais vous demander de confirmer certains
2 détails du contexte qu'est le vôtre avant que de passer à d'autres
3 questions.
4 Alors, d'abord, vous êtes né dans le secteur de Vlasenica qui se
5 trouvait dans le secteur de Prijedor, plus précisément non loin de
6 Trnopolje, et ce, depuis que vous étiez tout petit ?
7 R. Oui.
8 Q. Et vous êtes allé à l'Université de Tuzla, et vous avez servi dans la
9 JNA en Serbie, dans l'artillerie, n'est-ce pas ?
10 R. C'est exact.
11 Q. Et vous avez été l'un des membres fondateurs du parti du SDA en 1990,
12 et vous avez été élu aux élections de 1990 pour faire partie de l'assemblée
13 de la république, et vous avez été président de la chambre des
14 municipalités ?
15 R. Non. J'ai été représentant de la municipalité de Prijedor dans la
16 chambre des municipalités au parlement de la république.
17 Q. Merci. Est-ce que vous avez également été présent aux réunions de
18 l'assemblée municipale de Prijedor, et vous avez partagé vos activités
19 entre Sarajevo et Prijedor depuis le moment des élections jusqu'en 1992,
20 n'est-ce pas ?
21 R. J'ai participé aux sessions du parlement de la république, et c'était
22 obligatoire, et j'ai également assisté aux sessions de l'assemblée
23 municipale à Prijedor quand cela s'était trouvé possible, donc lorsque
24 j'étais présent à Prijedor.
25 Q. Quel est le parti qui a remporté le plus de sièges à l'assemblée de
26 Prijedor lors des élections de novembre 1990 ?
27 R. A Prijedor, c'est le Parti de l'Action démocratique qui a remporté le
28 plus de votes. Le parti suivant, c'était le Parti démocratique serbe.
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1 Q. Je voudrais vous demander rapidement ceci : est-ce que les membres du
2 SDA avaient eu des postes de responsabilité au niveau de la municipalité du
3 fait des résultats aux élections, et est-ce que, aussi, les membres du SDS
4 avaient aussi occupé un certain nombre de postes importants à Prijedor ?
5 R. Oui. Les postes d'importance ont été partagés selon les résultats des
6 élections et selon les accords interpartites établis au préalable.
7 Q. Monsieur Sejmenovic, je me propose d'attirer votre attention sur la
8 prise du pouvoir au niveau de la municipalité par les autorités serbes à la
9 fin du mois d'avril 1992, et je vais parler des événements qui ont suivi.
10 Mais avant de le faire, je voudrais vous demander si vous ou d'autres
11 membres du SDA avez pu relever ou remarquer des éléments qui vous diraient
12 qu'à la fin de ce mois d'avril 1992 des événements du genre de ceux qui
13 allaient se produire étaient imminents ?
14 R. D'un point de vue chronologique, il y a eu plusieurs événements qui se
15 sont produits et qui ont été interprétés de façon différente par les
16 différents partis en présence. Mais peu de temps après les élections, nous
17 avons remarqué des agissements concrets de la part du SDS qui sortaient du
18 cadre de ce qui avait été convenu entre les partis, qui sortaient du cadre
19 des comportements constitutionnels. Et plus tard, il y a eu des
20 confrontations ouvertes au niveau des institutions du pouvoir.
21 Nous avons vécu dans une ambiance où les influences des pays voisins
22 ont également constitué un facteur important pour ce qui est de ce qui se
23 passait dans notre région, parce qu'à l'époque la politique serbe était
24 conduite de façon analogue dans les pays voisins, ce qui a généré une
25 situation particulière sur le plan psychologique et autre dans la Bosnie-
26 Herzégovine tout entière, y compris dans notre municipalité.
27 Q. Quand vous parlez des "pays voisins", est-ce que vous pouvez nous dire
28 quels sont les pays que vous avez à l'esprit pour ce qui est de cette
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1 politique de mise en oeuvre ?
2 R. Je parle en premier lieu de la Croatie, où il y a déjà eu des conflits,
3 parce que la Croatie a fait sécession, elle a proclamé son indépendance, et
4 elle a connu une insurrection sur une partie de son territoire. En même
5 temps, le moteur qui a généré ce type de politique intervenait depuis la
6 Serbie, chose qui est devenue évidente partant des instruments de
7 propagande utilisés. De même, un facteur capital dans tout ceci, c'était
8 l'armée yougoslave, qui devenait de plus en plus une armée placée sous le
9 contrôle de la Serbie, c'est-à-dire de ce qui était resté de la
10 Yougoslavie.
11 Q. Vous êtes en train de parler des actions qui ont été développées sur
12 une partie du territoire en Croatie. Lorsque celle-ci a déclaré son
13 indépendance, elle est entrée en conflit avec d'autres composantes. Est-ce
14 qu'en Bosnie -- et dans quelle mesure cela a-t-il pu être constaté comme
15 quelque chose de similaire du point de vue des démarches dans le contexte
16 des événements qui ont suivi entre les élections et la fin du mois d'avril
17 1992 ?
18 R. Les événements qui ont commencé à se produire en Bosnie-Herzégovine et
19 en particulier dans la Krajina de Bosnie sont des événements qui ont été
20 pratiquement identiques à ce qui s'était passé dans la région de la Krajina
21 de Knin. C'étaient des événements qui s'étaient produits déjà dans la
22 Krajina de Knin, non seulement y avait-il eu une analogie, mais aussi les
23 forces militaires nouvellement créées du côté serbe dans la Krajina serbe
24 passaient, traversaient le territoire de la Croatie pour venir avec des
25 effectifs sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
26 Et il y avait à Prijedor un certain nombre de ressortissants serbes
27 qui ont rejoint, en tant que volontaires, les rangs de l'armée de Martic ou
28 des effectifs de Martic là-bas en Croatie, pour revenir à Prijedor,
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1 séjourner à Prijedor. Et on pouvait les voir en uniforme dans les rues,
2 dans les cafetes, restaurants et à d'autres endroits.
3 Q. Et est-ce que vous avez pu constater qu'il y a eu un processus en
4 termes de "régionalisation" se produisant en Krajina de Bosnie en 1991 ou
5 1992 ?
6 R. Dès 1991, le Parti démocratique serbe, c'est-à-dire ses représentants,
7 avait demandé à ce qu'il soit procédé à une régionalisation au sein de la
8 Bosnie-Herzégovine, mais celle-ci existait déjà. Cependant, cela ne
9 correspondait pas à leur planning, puisqu'ils avaient fait preuve
10 d'aspiration visant à établir une régionalisation ethnique. Or, la chose
11 n'était pas possible, ni en application de la loi ni en application de la
12 constitution. On a très rapidement eu à faire face à la chose. Ils avaient
13 souhaité créer des régions serbes en Bosnie-Herzégovine, à l'image de cette
14 Région autonome serbe déjà mise en place en Croatie. Les événements qui ont
15 suivi et qui ont très rapidement évolué, qui se sont succédés les uns aux
16 autres, ont dévoilé à part entière les intentions qui étaient les leurs.
17 Q. Vous avez précédemment mentionné une propagande, des instruments de
18 propagande. A quoi avez-vous au juste fait référence, notamment dans le
19 contexte des événements qui sont produits en 1991 et 1992, qui ont conduit
20 aux événements d'avril 1992, c'est-à-dire la prise du pouvoir par les soins
21 des Serbes de Bosnie ?
22 R. Cette propagande a une évolution historique. Ça a duré pendant
23 plusieurs années avant les élections, mais ça s'est intensifié dans cette
24 année des élections. La propagande arrivait pour l'essentiel depuis la
25 Serbie, et l'objectif poursuivi par cette propagande, ou la conséquence
26 inéluctable en a été l'influence qui était exercée vis-à-vis de cette
27 tradition de vie commune. La propagande ciblait l'intimidation de la
28 population serbe pour ce qui est de souffrances nouvelles qui risquaient de
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1 se produire pour eux, pour celle-ci. Mais il n'y avait pas assez de temps
2 pour développer cette propagande davantage, et ils ont décidé de s'emparer,
3 l'arme au poing, des répéteurs de télévision qui n'étaient pas placés sous
4 leur contrôle pour diffuser uniquement leurs propres programmes. Ça s'est
5 produit à Kozara avec le répéteur de Lisina dans la deuxième moitié de
6 l'année 1991, et cela se rapportait aux programmes produits en Serbie, ou
7 Banja Luka ou dans d'autres régions serbes. A partir de ce moment-là, on
8 n'a plus pu suivre la diffusion des autres chaînes par les autres centres
9 de télévision. La thématique diffusée consistait à raviver les souvenirs de
10 la Deuxième Guerre mondiale, les fosses communes de cette population serbe,
11 les souffrances du peuple serbe en Croatie, et ultérieurement on a diffusé
12 des informations en provenance des théâtres de combat en République de
13 Croatie.
14 Pendant toute cette période, on n'a rien pu entendre de positif au
15 sujet de l'une quelconque des populations autres. On n'a pu entendre que
16 parler de complot contre le peuple serbe, on a pu entendre parler des
17 victoires remportées par ce dernier sur les fronts, et cela exerçait une
18 pression psychologique complémentaire à l'égard des populations non-serbes.
19 Alors, la population serbe, elle, a relevé aussi, a fait monter ces
20 tensions et a fait monter aussi les appréhensions. L'objectif poursuivi
21 était celui de procéder à une mobilisation complète de la population serbe
22 concernant ce qui avait été planifié de façon évidente.
23 Q. Est-ce que vous avez commencé à avoir vent de propositions ou
24 d'exigences visant à procéder à des séparations suivant les lignes
25 ethniques réclamées par le SDS, tant au niveau de la république, ou de la
26 municipalité, voire les deux ?
27 R. D'abord, le SDS a proposé ceci au niveau de la république. En d'autres
28 termes, cela s'est fait dans les entretiens avec les responsables des
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1 autres partis. Nous tous en Bosnie, nous savions fort bien ce que cela
2 signifiait, nous savions que c'était irréalisable et tout à fait inutile.
3 Mais nos positions n'ont pas été prises en considération. Le SDS a
4 tout justifié de façon peu convaincante en affirmant que la population
5 serbe souhaitait rester à faire partie de la Yougoslavie. Mais derrière
6 cela il y avait autre chose. Au bout de plusieurs mois, ces revendications
7 ont été faites sur le territoire de la municipalité de Prijedor, et on a
8 proposé de procéder à un partage de Prijedor en deux municipalités, de
9 diviser ou de partager les institutions suivant des lignes ethniques. Mais
10 ça n'a pas pu être pris en considération, bien entendu. La constitution de
11 la Bosnie-Herzégovine ne l'autorisait pas, et les lois en vigueur de la
12 Bosnie-Herzégovine ne le permettaient pas non plus.
13 Au bout d'un certain temps, nous avons compris ce qui avait au final été la
14 proposition ou la visée de la proposition avancée. Nous avons compris ceci
15 lorsque le "Kozarski Vjesnik", le journal officiel de Prijedor, avait
16 publié un article où le SDS avait ouvertement fait savoir que plus de 70 %
17 de la superficie de Prijedor était considéré comme étant en propriété
18 serbe. Et on a qualifié de serbe les usines, les forêts, les stades, les
19 domaines agricoles, donc tout ce qui avait été en propriété conjointe avait
20 désormais été qualifié de serbe, et rien que des petites parties de
21 territoire en propriété privée de non-Serbes avaient été désignées comme
22 étant en propriété musulmane, voire croate. Le message était clair. Ce
23 message était étranger à tout énoncé des lois ou du texte de la
24 constitution, et c'est ce qui a grandement motivé l'apparition d'une peur
25 inconcevable au niveau de la population.
26 Q. Et pendant cette même période, 1991 jusqu'au début de l'année 1992,
27 avez-vous entendu parler de l'armement de la population serbe dans Prijedor
28 ?
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1 R. Non seulement nous avons entendu parler de la chose, mais nous avons eu
2 l'occasion de le voir. Nous, au parti, à plusieurs reprises nous avons reçu
3 des informations à cet effet. Ça s'est produit aussi dans le village où je
4 résidais moi-même. Là, l'armée s'est servie d'hélicoptères pour descendre à
5 deux endroits des armes et les distribuait à la population serbe dans les
6 villages serbes. A Prijedor, à proximité du foyer de la culture,
7 littéralement en plein milieu de la route, en plein jour, on a débarqué des
8 armes de camion pour les distribuer à des gens qui en prenaient possession
9 sur place. Ces informations nous ont été communiquées, on a posé des
10 questions à l'occasion des conversations que nous avons eues avec nos
11 collègues, les responsables municipaux du SDS, et ils ont tous nié de tels
12 événements. L'événement de l'atterrissage des hélicoptères ou, pour être
13 concret, lorsqu'un hélicoptère s'est posé non loin de mon village, les
14 voisins l'ont expliqué en disant que dans l'hélicoptère il y avait un
15 soldat originaire du village et ils se sont posés pour prendre un café chez
16 lui. Mais les gens ont vu des caisses. Or, on nous a démenti l'existence de
17 quelque caisse que ce soit chargée de munitions.
18 Q. Vous avez parlé des appréhensions ressenties par la population non-
19 serbe. Au fil des semaines qui ont précédé aux 29 et 30 avril, y a-t-il eu
20 de la part du SDA, du HDZ ou quelque autre parti que ce soit, proposition
21 de mesures visant à atténuer les appréhensions et à diminuer le niveau des
22 tensions à l'intention, donc, du SDS ?
23 R. Nous avons à plusieurs reprises prié le SDS pour que là où on se
24 sentait menacés par un autre groupe ethnique, qu'il y ait création de
25 patrouilles de garde conjointes qui seraient donc mixtes et qui seraient de
26 permanence là où on jugeait la chose nécessaire afin qu'il n'y ait aucune
27 nécessité de voir les gens avoir peur les uns des autres.
28 Je me dois de souligner qu'à certains endroits cela a été initié par
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1 la population elle-même, c'est-à-dire organiser des permanences ensemble
2 pour qu'il n'y ait pas des militaires venus d'ailleurs pour générer des
3 problèmes. Le SDS s'y est opposé, et au bout de plusieurs jours, à trois
4 sites, où je sais pour sûr qu'il y avait eu des gardes mixtes, le SDS local
5 avait donné instruction aux Serbes de se retirer de ces patrouilles
6 conjointes. On le sait pour sûr parce que dans la localité où je vivais,
7 nous avions eu des entretiens. On avait prié les gens de rester, mais un
8 homme nous a dit de façon tout à fait franche qu'ils avaient reçu l'ordre
9 de se retirer, et il a dit que leur ordre disait que chacun devait garder
10 sa propre maison.
11 On a perdu, à compter de ce moment-là, nos espoirs pour ce qui est de
12 voir la peur diminuer et les tensions se réduire dans Prijedor.
13 On avait demandé, à un moment donné, au SDS que s'ils considéraient
14 que l'armée était menacée par qui que ce soit, qu'il fallait que nous
15 fassions en sorte que l'armée et la population locale sécurisent les voies
16 de communication. Mais ça, ça a été refusé de façon explicite. Donc, tout
17 ce qui avait visé à une coopération interethnique quelle qu'elle soit a été
18 entravé dès l'initiative qui avait été avancée à chaque fois que faire se
19 pouvait.
20 Q. Je voulais vous demander brièvement quelle était la nature de ces
21 partis et leur structure au plan de l'organisation.
22 Pour ce qui est du SDA en premier lieu, est-ce qu'il s'agissait d'une
23 organisation de type hiérarchique où les instructions émanaient du haut et
24 étaient transmises aux échelons inférieurs et que les échelons inférieurs
25 avaient l'obligation de mettre en œuvre ces instructions ?
26 R. En général et en principe, c'est ainsi que fonctionnaient tous les
27 partis politiques en Bosnie-Herzégovine.
28 C'est ce que je puis affirmer à propos du SDA. J'en connais les
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1 statuts. En haut du parti il y avait le président. Ensuite, il y avait le
2 comité exécutif. Et ensuite, le comité central. Et tout ceci était au
3 niveau de l'Etat. Et ensuite, aux échelons inférieurs, il y avait des
4 centres du parti, à savoir il y avait les comités régionaux qui étaient
5 dirigés par un président, et au niveau municipal il y avait des comités ou
6 des conseils municipaux à la tête desquels il y avait les présidents
7 respectifs. C'est ainsi que fonctionnait la hiérarchie.
8 Toutes les décisions importantes étaient prises par le haut et
9 transmises vers le bas, et mises en œuvre au bas des échelons. Et la base
10 pouvait lancer des initiatives, mais les décisions étaient prises par le
11 haut de la hiérarchie. Il n'y avait que des décisions de type local, et
12 décisions qui ne relevaient pas ou qui n'étaient pas à un niveau
13 républicain et qui pouvaient être prises au niveau local. Cependant, les
14 dirigeants du parti devaient être d'accord avec ces décisions.
15 D'après ce que je sais, les autres partis fonctionnaient sur le même
16 principe. Cependant, il y avait parfois des comités exécutifs ou des
17 comités centraux qui avaient un nom différent. Il y avait certains partis
18 qui avaient une présidence, qui avaient un comité exécutif. Certains
19 avaient un comité central. La plupart avaient des comités régionaux. Et ils
20 disposaient tous de comités ou de conseils municipaux, pour autant que le
21 parti existe au niveau municipal également.
22 Q. Vous dites que, d'après vous, les autres partis fonctionnaient sur le
23 même principe. Pour ce qui est du SDS en particulier --
24 R. Pardonnez-moi, mais j'ai un souci avec le volume de mon casque.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez attendre, s'il vous plaît. M.
26 l'Huissier va vous venir en aide.
27 Voyons comment l'huissier peut-il vous aider. Est-ce que le volume est trop
28 haut pour vous ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Maintenant, tout va bien. Merci.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
3 Poursuivons, Monsieur Tieger.
4 M. TIEGER : [interprétation] Merci.
5 Q. J'étais sur le point de poser la question suivante, Monsieur
6 Sejmenovic.
7 Vous avez dit que d'autres partis, d'après ce que vous saviez,
8 fonctionnaient selon le même principe. Et je souhaitais vous demander, plus
9 particulièrement eu égard au SDS, si votre compréhension du fonctionnement
10 de ce parti était fondée sur vos échanges avec les représentants officiels
11 du SDS au niveau local et au niveau de la république, vos observations de
12 leurs interactions et de politiques appliquées par les membres du parti ?
13 R. Bien sûr. Le SDS, comme les autres partis, avait un président, un
14 comité central. Et à savoir s'ils avaient une présidence, eh bien, si ces
15 hommes qui étaient dans l'entourage du président portaient ce nom-là, je ne
16 sais pas, mais ils existaient.
17 En tout cas, il y avait une présidence. Il y avait très certainement
18 un comité central. Et au niveau local, ils avaient un président. Ils
19 avaient des comités ou des conseils municipaux, et cetera.
20 Q. Et plus précisément, saviez-vous si les politiques et les instructions
21 qui émanaient du haut de la hiérarchie et qui étaient destinées aux
22 échelons inférieurs étaient mises en œuvre, et c'est ce qu'on attendait des
23 échelons inférieurs ?
24 R. Oui, bien sûr.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Qui a-t-il ?
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il s'agit d'une question directrice.
28 M. TIEGER : [interprétation] Il ne s'agit pas du tout d'une question
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1 directrice.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non.
3 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.
4 Q. Alors, plus particulièrement, Monsieur Sejmenovic, pour ce qui est du -
5 -
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que nous avons eu la réponse à
7 cette question, s'il vous plaît ?
8 M. TIEGER : [interprétation] J'ai entendu la réponse. Mais je n'ai pas
9 regardé le compte rendu d'audience en réalité.
10 Oui. Le compte rendu d'audience précise que le témoin a
11 répondu : Bien sûr, et ensuite il y a eu le commentaire : Objection, qui a
12 été fait par le Dr Karadzic et qui est attribué au témoin.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
14 M. TIEGER : [interprétation]
15 Q. Monsieur Sejmenovic, pour ce qui est des positions sur la séparation
16 ethnique, avez-vous constaté des différences de position prise par le SDS
17 au niveau de la république et au niveau municipal ?
18 R. Il n'y avait pas de différence. Cependant, en ce qui concerne le
19 comportement des uns et des autres, à Prijedor, cette division ethnique est
20 allée plus lentement que l'auraient souhaité les échelons supérieurs du
21 SDS. J'ai appris cela de Srdja Srdic, qui était un député au parlement,
22 membre du SDS.
23 Q. Monsieur Sejmenovic, j'ai précisé que je souhaitais parler avec vous
24 des événements du 29 et du 30 avril et vous poser des questions à ce sujet.
25 Quand avez-vous pris connaissance -- tout d'abord, pourriez-vous nous
26 dire ce qui est arrivé le 29 avril et 30 avril et comment vous en aviez
27 pris connaissance à Prijedor ?
28 L'ACCUSÉ : [interprétation] Puis-je intervenir par rapport au compte rendu
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1 d'audience, s'il vous plaît. Le témoin n'a pas dit que Srdja Srdic était
2 membre d'une unité paramilitaire. Il a dit qu'il était député au parlement.
3 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]
4 L'INTERPRÈTE : L'interprète de la cabine anglaise précise que c'est
5 exactement ce qui a été dit.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, tout à fait. Nous voyons qu'il est
7 écrit député au parlement.
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Jusqu'à ce que j'intervienne, le terme de
9 "paramilitaire" figurait au compte rendu.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ecoutez, il s'agit de magie dans ce cas-
11 là. Poursuivez, Monsieur Tieger.
12 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 Q. Monsieur Sejmenovic, je vous ai demandé de dire aux Juges de la Chambre
14 ce qui est arrivé les 29 et 30 avril à Prijedor.
15 R. Jusqu'au 20 avril, y compris le 29 avril, nous avons pris part à des
16 pourparlers avec le SDS, et nous avons essayé d'établir une coopération à
17 n'importe lequel niveau et de n'importe quelle manière. Nous avions pour
18 objectif de convaincre le SDS que nous n'avions pas d'intentions cachées
19 quelles qu'elles soient. Ce qui nous a surpris un ou deux jours auparavant
20 était une affaire tout à fait grave.
21 Dans "Kozarski Vjesnik", un long article a été publié qui disait que
22 les Serbes de Prijedor étaient sur le point d'être massacrés. Que c'est ce
23 qui était en préparation. Et les gens demandaient à avoir une explication
24 pour cela. Pourquoi le climat était-il autant empoisonné ? Il n'y avait
25 aucune raison à cela. Cependant, quelque chose s'est produit pendant la
26 nuit.
27 Entre 13 heures et 17 heures, toute la ville a été prise par les
28 armes. A savoir, toutes les institutions et installations vitales, à savoir
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1 patrouilles, sacs de sable, postes de contrôle, nid de mitrailleuse, nid de
2 tireurs isolés sur l'ensemble de la municipalité autour de Prijedor et à
3 différents endroits. C'était tout à fait surprenant. Il était surprenant
4 que tout ceci ait pu être fait en l'espace de quelque quatre ou cinq
5 heures. La population n'était absolument pas au courant de ce qui se
6 passait. Le matin lorsque les gens se sont rendus en ville, lorsque les
7 gens partaient de chez eux, ils allaient travailler, ils ont vu des soldats
8 et ils ont vu des policiers partout dans la ville, et ils les ont vus
9 derrière des sacs de sable, munis de fusils dirigés sur eux.
10 Et ce matin-là, je ne savais pas ce qu'il se passait. Je m'étais mis
11 en route pour me rendre à Prijedor. Et après -- bien, écoutez, j'ai pris le
12 bus. Et cela faisait 2 kilomètres que j'étais dans le bus et le bus a été
13 arrêté par des soldats. Ils ont vérifié les papiers d'identité de toutes
14 les personnes qui se trouvaient à bord de cet autobus. Et ce n'est qu'à ce
15 moment-là que j'ai aperçu les patrouilles, les postes de contrôle et les
16 sacs de sable. Il m'est apparu à ce moment-là clairement de quelque chose
17 de tout à fait extraordinaire s'était produit. Mais ce qui s'est produit
18 réellement, ce n'est quelque chose dont je n'ai pris connaissance que
19 lorsque je suis arrivé à Prijedor.
20 Q. Ecoutez, pour préciser, Monsieur Sejmenovic, lorsque vous parlez de
21 soldats et de policiers qui étaient munis de fusils et qui se cachaient
22 derrière les sacs de sable, est-ce que vous voulez parler de soldats et de
23 policiers qui appartenaient à un groupe ethnique en particulier ou non ?
24 R. Il s'agissait là de policiers et de soldats de l'armée serbe. Tous ces
25 hommes appartenaient à l'armée serbe. Prijedor est une petite ville. Et les
26 autres personnes, les personnes qui n'étaient pas Serbes, étaient perplexes
27 et ne savaient pas ce qui se passait. Ils s'étaient rendus au parti pour
28 recueillir d'autres informations, ils connaissaient la plupart de ces
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1 hommes. Moi-même, j'ai rencontré des collègues qui portaient maintenant des
2 armes à certains endroits. Ils vérifiaient les papiers d'identité des
3 personnes qui passaient. J'ai même tenté de leur demander de quoi il
4 s'agissait. Dragan, de quoi s'agit-il ? Que se passe-t-il ? Il ne voulait
5 rien me dire.
6 Q. Je souhaite vous demander maintenant ce qui est arrivé après cette
7 prise de contrôle par les autorités serbes de la population non-serbe.
8 Je souhaite tout d'abord parler des institutions officielles.
9 Pourriez-vous dires aux Juges de la Chambre quelle a été l'incidence sur
10 les représentants officiels non-serbes de Prijedor, notamment --
11 R. Aux premières heures du matin ce jour-là, les nouvelles autorités qui
12 avaient pris le pouvoir ont commencé à diffuser des messages à la radio et
13 ils ont clairement indiqué ce qui se passait. Ce qui se passait sur le
14 terrain était comme suit : eh bien, les non-Serbes qui s'étaient rendus à
15 leur travail ce matin-là avaient été chassés de leurs lieux de travail des
16 usines dans lesquelles ils travaillaient, et s'étaient arrêtés au portail.
17 Les non-Serbes devaient entrer dans un bâtiment municipal. Ils ont tous été
18 renvoyés, y compris le chef de la municipalité.
19 Pour ce qui est des services de paiement ou des banques, personne ne
20 pouvait entrer dans les banques. La population non-serbe a été chassée de
21 la plupart des grandes entreprises, institutions et organes de cette ville.
22 L'accès leur avait été interdit. Le seul endroit où ces personnes
23 souhaitent se rendre pour obtenir des informations complémentaires était le
24 parti, le SDA. Mais là, ces personnes ne pouvaient obtenir aucun élément
25 d'information parce que le SDS n'avait pas répondu aux appels des
26 représentants officiels du SDA qui les avaient appelés pour leur demander
27 des explications.
28 Q. Et qu'en est-il des membres non-serbes de la police ?
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1 R. Eh bien, les membres de la police, nous savons cela parce que notre
2 représentant officiel qui était notre délégué auprès du SDA, Hasan
3 Talundzic, nous a dit que pendant la nuit, ils avaient été désarmés. Je
4 veux parler des policiers qui n'étaient pas Serbes. Ils ont été renvoyés ou
5 chassés du poste de police s'ils s'y trouvaient. A certains, des promesses
6 avaient été faites dans le sens où ils pourraient garder leur travail s'ils
7 signaient un serment d'allégeance. C'est ainsi qu'un homme avait tenté de
8 signer ce serment d'allégeance, mais il n'a pas été autorisé à le faire. Et
9 quatre ou cinq jours plus tard, nous avons reçu des éléments d'information
10 indiquant qu'un inspecteur avait signé ce serment d'allégeance, mais qu'il
11 a malgré tout été renvoyé de son poste.
12 Et après quelques jours, les enseignants non-serbes ont également été
13 renvoyés, pour la plupart des écoles dans lesquelles ils enseignaient. Le
14 premier jour, les déplacements en dehors de la municipalité de Prijedor ont
15 été interdits et, quelques jours plus tard, les déplacements en direction
16 de la ville de Prijedor vers les régions habitées par les non-Serbes ont
17 également été interdits. Quelques jours plus tard, il y a eu des coupures
18 du courant, des coupures des lignes téléphoniques dans les régions habitées
19 par des non-Serbes.
20 Et ces mesures avaient été prises simultanément par les nouvelles
21 autorités. Il y avait des déclarations de propagande où la propagande qui a
22 été diffusée parlait du fait que la population allait s'armer, qu'il y
23 avait des menaces contre les Serbes, qu'il y avait des bruits qui
24 circulaient sur les Bérets verts qui avaient tenté de prendre le pouvoir à
25 Prijedor. Ceci a été diffusé pendant des jours et à plusieurs reprises. Et
26 en même temps, nous pouvions entendre à de nombreuses occasions ces choses
27 qui étaient dites sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. Ils avaient
28 réussi à prendre le pouvoir de cette façon-là. Et comment était-ce
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1 possible, s'il y avait ces milliers de Bérets verts ? Cependant, à
2 l'époque, la propagande était nécessaire pour la population serbe. Cela
3 leur permettait de faire face plus facilement ou plus aisément aux
4 événements qui allaient suivre quelques jours plus tard.
5 M. TIEGER : [interprétation] Numéro 65 ter 05455 [comme interprété].
6 Q. Il s'agit d'un document qui est daté du 11 mai 1992 et qui émane de la
7 Région autonome de Krajina, document de la cellule de Crise de Krajina à
8 l'intention du président de la municipalité.
9 Si je puis vous demander de bien vouloir regarder la deuxième
10 disposition au paragraphe 4.
11 R. Oui. Est-ce que vous pouvez agrandir ce passage un petit peu, s'il vous
12 plaît.
13 Q. Est-ce que cela suffit; nous pouvons agrandir davantage.
14 Ce qui est précisé :
15 "Il n'y a que les personnes qui sont tout à fait loyales envers la
16 République serbe de Bosnie-Herzégovine qui peuvent être placées à des
17 postes de direction dans les entreprises."
18 Je souhaitais vous demander si ceci concorde avec ce qui est arrivé à
19 Prijedor, et je veux parler des renvois des non-Serbes de postes de
20 direction.
21 R. Bien sûr, bien sûr. C'est ainsi que les choses ont évolué à Prijedor.
22 Et conformément aux positions adoptées dans ce document.
23 M. TIEGER : [interprétation] Je demande le versement au dossier de ce
24 document, Monsieur le Président.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Ecoutez, permettez-moi de dire qu'il n'y avait
26 pas que seulement les postes de direction qui étaient en jeu, il y avait
27 les travailleurs qui travaillaient dans les usines. Je veux parler des
28 travailleurs qui n'étaient pas des Serbes.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce document sera versé au dossier.
2 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera le document P3694, Madame,
3 Messieurs les Juges.
4 M. TIEGER : [interprétation]
5 Q. Monsieur Sejmenovic, vous avez parlé des événements qui ont suivi la
6 prise de contrôle, de ces mesures grandissantes contre la population non-
7 serbe, et les allégations de menace contre les Serbes, et cetera. Le SDA et
8 les représentants officiels non-serbes de Prijedor ont-ils tenté de
9 rencontrer des membres du SDS afin de pouvoir parler de ces restrictions et
10 de ces allégations qui avaient été faites afin d'améliorer la situation ?
11 R. Il y a eu de nombreuses tentatives pendant les deux ou trois premiers
12 jours. Personne du SDS ne souhaitait répondre à quelconque appel du SDA.
13 Au bout de deux ou trois jours, apparemment il n'y avait pas de
14 représentants du parti, mais c'était en privé que certaines personnes se
15 rencontraient, mais ceci n'a abouti à aucun résultat. Nous ne cessions de
16 poser des questions et de supplier, et nous avons réussi à demander à M.
17 Miskovic, à l'implorer, c'était le président du SDS, de nous rencontrer
18 pour essayer de parvenir à une solution à cette situation qui était la
19 nôtre.
20 Q. Et où vous êtes-vous rencontrés ?
21 R. Nous nous sommes rencontrés dans les locaux du SDS à Prijedor.
22 Q. Et vous n'êtes pas obligé d'identifier chaque personne, mais qui
23 a représenté le SDA ou le HDZ; autrement dit, qui étaient les représentants
24 non-serbes ?
25 R. Plusieurs représentants du SDA sont venus. Et nous pensions également
26 que le SDS allait venir, ainsi que certains hauts représentants du parti.
27 Mais une fois arrivés sur place, nous sommes arrivés dans cette pièce, mais
28 le SDS ne souhaitait pas démarrer la réunion. Le président du SDS,
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1 Miskovic, a dit que le commandant de la 5e Brigade de Kozarac, Arsic, et le
2 commandant de la garnison de Prijedor, Zeljaja, devaient assister à la
3 réunion. Certaines personnes étaient là, personne que je n'avais jamais
4 connu avant. Il y avait également un homme qui s'appelait Slobodan
5 Kuruzovic. J'ai appris par la suite qu'il avait été le directeur du camp de
6 Trnopolje.
7 Mais la réunion n'a démarré qu'au moment où sont arrivés les
8 commandants militaires et deux ou trois autres personnes qui les
9 accompagnaient. Les commandants les ont ensuite présentés à nous comme s'il
10 s'agissait d'officiers chargés de leur sécurité.
11 Nous espérions que ces pourparlers aboutissent et nous espérions pouvoir
12 parvenir à un accord. Mais tout ceci est devenu un jeu. Ils ont commencé à
13 plaisanter. Et ensuite ils ont commencé à parler très sérieusement. Ils
14 nous ont accusés de vouloir faire la guerre à Prijedor. Et pour finir, ils
15 nous ont lancé un ultimatum, auquel nous ne pouvions pas répondre. Nous ne
16 pouvions pas répondre à leurs exigences et ils savaient que c'était
17 impossible pour nous.
18 Q. Une question rapide : vous avez parlé de Slobodan Kuruzovic. Etait-ce
19 un membre du SDS ?
20 R. Oui, oui. C'était un des représentants officiels du parti, mais je ne
21 sais pas exactement quel poste il occupait.
22 Q. Et vous avez dit qu'Arsic était le commandant de la 5e Brigade de
23 Kozarac, et Zeljaja, le commandant de la garnison de Prijedor. Simplement
24 pour préciser, d'après vous, ces hommes étaient-ils membres de la JNA ?
25 R. Bien sûr. Très certainement. La garnison de Prijedor existait avant
26 cette date-là. Et la 5e Brigade de Kozarac, qui était très importante,
27 avait retiré ses forces de Croatie et les avait cantonnées à Prijedor. Ces
28 forces étaient commandées par le colonel Arsic.
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1 Q. Vous et les autres membres du SDA, vous avez fait de votre mieux pour
2 convaincre les membres du SDS et Zeljaja et Arsic de, comme vous nous
3 l'avez dit ici, étant donné que vous ne souhaitiez pas qu'il y ait la
4 guerre à Prijedor, les convaincre.
5 R. Nous avons tout essayé. Tout ce qui était raisonnable de faire.
6 Cependant, il s'agissait de pourparlers. D'un côté, il y avait ceux qui
7 disposaient de roquettes, de fusils, de chars et d'avions, et qui vous le
8 disaient. Ce groupe nous accusait, nous, nous qui n'avions aucune armée
9 pour leur faire face, ils nous accusaient de vouloir faire la guerre. Et
10 ensuite, ils nous ont accusés et ont imposé des conditions qui
11 ressemblaient à un ultimatum. En l'espace de 48 heures, nous devions rendre
12 plusieurs milliers de pièces d'armes que nous n'avions pas. Après qu'ils
13 nous aient dit que nous avions un très court délai, que nous devions nous
14 rendre et rendre nos armes, nous avons essayé de leur expliquer. Medunjanin
15 a dit : Ecoutez, comment pouvons-nous faire cela alors que nous ne les
16 avons pas, ces armes ? Et le commandant Zeljaja a simplement répondu : Eh
17 bien, c'est votre problème, et si vous n'obtempérez pas, eh bien, je
18 raserai Kozarac jusqu'au sol. Il a répété cela à deux reprises : Je raserai
19 Kozarac jusqu'au sol. Et nous leur avons supplié à ce moment-là de venir
20 avec nous pour que nous puissions leur voir -- de façon à ce que nous
21 puissions assurer la sécurité des routes ensemble. Et cela n'a servi à
22 rien. Ils refusaient tout simplement de parler avec nous.
23 Q. Et est-ce que vous avez pu constater qu'il y avait une quelconque
24 différence de position entre Arsic et Zeljaja et les officiels du SDS ?
25 R. Madame, Messieurs les Juges, j'ai utilisé l'expression "ils jouaient
26 avec nous", et un des arguments qui étayent ce point de vue c'est qu'ils ne
27 cessaient de faire des blagues qui n'étaient pas du tout drôles. Et l'autre
28 argument qu'ils avançaient, c'est qu'un homme chargé de la sécurité
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1 prétendait que nous disposions de 7 000 fusils à Kozarac, et un autre
2 prétendait que nous avions 11 500 fusils sur le territoire de la
3 municipalité. Et Zeljaja a dit que, si je me souviens bien, nous devions
4 rendre 5 000 fusils en l'espace de 48 heures. Donc, ils n'étaient pas du
5 tout unanimes sur la question, mais les chiffres étaient fort éloignés de
6 la réalité.
7 Il y avait simplement une Défense territoriale légitime à Kozarac.
8 Les hommes étaient très peu armés, c'est tout ce qu'il y avait.
9 Autour de Kozarac, il y avait plusieurs batteries d'artillerie qui
10 disposaient de munitions et disposaient de canons qui étaient dirigés vers
11 des zones habitées par des non-Serbes.
12 Q. Merci, Monsieur Sejmenovic. Une ou deux questions de suivi, tout
13 d'abord, et peut-être que ceci peut être clair d'après le contexte, les
14 batteries d'artillerie que vous avez citées, vous avez dit que les canons
15 étaient dirigés vers des zones habitées par les non-Serbes, et ces
16 batteries appartenaient à qui ?
17 R. Ces batteries appartenaient aux forces serbes ou l'armée serbe. C'est
18 ainsi que l'appelaient les commandants de l'armée. Et par le passé, il
19 s'était agi de la JNA, l'armée populaire yougoslave. Et tout l'équipement
20 appartenait en réalité à la 5e Brigade de Kozarac.
21 Q. Et nonobstant la différence en termes de chiffres avancés par les
22 Musulmans eu égard au nombre d'armes dont ils disposaient par différentes
23 personnes à ces réunions, je vous ai demandé si Zeljaja et Arsic avaient
24 des positions différentes, de façon générale, par rapport à l'ultimatum et
25 par rapport à l'attitude envers la population non-serbe que les
26 représentants du SDS, et je souhaitais préciser ce point.
27 R. Ils avaient adopté une position identique. Et pour ce qui est de la
28 question des armes, ils savaient et leur estimation était assez réaliste,
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1 et ils avaient exigé que des milliers de canons devaient être rendus. Ils
2 souhaitaient nous lancer un ultimatum. Ils savaient que nous ne pouvions
3 pas y répondre parce qu'ils savaient que la région n'était pas armée au
4 sens militaire du terme.
5 Q. Donc, compte tenu de cette réunion et de tout ce dont vous avez parlé,
6 vous ainsi que d'autres membres du SDA, vous avez donc rencontré les
7 dirigeants non-serbes locaux de Prijedor, et en particulier ceux de Kozarac
8 ?
9 R. Bien sûr. Il y a eu plusieurs réunions et plusieurs tentatives de
10 réunions avaient été organisées, parce qu'il n'était plus très facile de se
11 rendre à Prijedor. Il fallait emprunter les routes de campagne pour éviter
12 les patrouilles militaires, et plusieurs réunions se sont tenues à Kozarac,
13 réunions auxquelles j'ai assisté.
14 Après la réunion dont nous venons de parler, nous sommes rentrés à
15 Kozarac et nous avons tenu une réunion à Kozarac. Les représentants
16 officiels de la Défense territoriale, des différentes communautés locales
17 et de la police locale ont assisté à cette réunion. Moi-même, j'ai assisté
18 aussi en tant que membre de l'assemblée de la république. Et nous avons
19 décidé d'informer la population de l'ultimatum qui nous avait été lancé, et
20 nous avons décidé d'organiser un rassemblement politique pour convier les
21 citoyens de façon à pouvoir prendre une décision sur la question.
22 Q. Et avant que je ne poursuive sur ce thème, puisque nous parlons des
23 membres non-serbes de la TO locale et de la police, pourriez-vous dire aux
24 Juges de la Chambre comment les membres du SDS, Zeljaja et Arsic, comment
25 parlaient-ils des membres de la TO et de la police, en quels termes, lors
26 de cette réunion ?
27 R. Ils les appelaient tous les Bérets verts. Tous ceux qui n'appartenaient
28 pas à l'armée serbe étaient les Bérets verts à leurs yeux.
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1 Q. Et lors de cette réunion, et vous avez indiqué que vous avez décidé de
2 tenir cette réunion, et qu'il y a eu différentes réunions qui se sont
3 tenues, pourriez-vous nous dire quels sont les efforts, pour l'essentiel,
4 qui avaient été déployés, et ce sur quoi s'est concentré ces réunions ?
5 R. S'agissant de ces réunions, la plupart de toutes les réunions portaient
6 sur des tentatives de faire en sorte qu'indépendamment de l'ultimatum, nous
7 puissions essayer de trouver une solution pour effectuer une collaboration
8 avec le SDS, avec l'armée et la police, et ce, au niveau de la municipalité
9 de Prijedor et au niveau de Banja Luka, c'est-à-dire la région de Krajina,
10 qu'ils avaient créée. Nous avons essayé de trouver aussi des contacts
11 privés, c'est-à-dire des liens familiaux, des liens de mariage, de trouver
12 des amis que quelqu'un pouvait connaître pour essayer de persuader ce côté
13 armé et les autres d'arrêter. Donc, les tentatives, malheureusement, n'ont
14 pas porté fruit.
15 Nous vivions dans une crainte terrible. Tout ce qui se passait dans
16 les villes avoisinantes nous montrait clairement que le même sort nous
17 attendait, et que tout ce qui s'est passé à Bosanski Novi, à Sanski Most et
18 dans d'autres villes en Bosnie-Herzégovine nous attendait.
19 Q. A-t-on déployé certains efforts pour essayer d'établir une sorte de
20 défense ?
21 R. Nous avions essayé d'élargir la Défense territoriale, de la renforcer
22 dans peu de temps, et nous avions également fait appel aux personnes de se
23 placer à la disposition de la Défense territoriale. C'est eux qui avaient
24 appelé les gens de se placer à leur disposition et de venir. Au cas où ils
25 avaient des armes, d'en faire un registre et d'essayer de former une
26 structure pouvant empêcher le massacre de la population dans les régions
27 non-serbes à Kozarac et autour de Kozarac.
28 Q. Est-ce qu'il y avait des conscrits ou est-ce que vous les avez
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1 contraints à se présenter à la Défense territoriale ?
2 R. Si vous parlez d'une mobilisation, non, il n'y en a pas eu. Vous ne
3 pouvez pas procéder à une mobilisation si vous ne savez pas qui vous pouvez
4 mobiliser. Les conditions fondamentales n'existaient pas. D'abord, il
5 fallait voir qui voulait bien accepter d'être mobilisé de façon volontaire.
6 Et nous effectuions ces listes, effectivement, et sur ces listes il n'y
7 avait pas seulement des personnes non-serbes, il n'y avait pas seulement
8 des Bosniens, des Musulmans. Mais il y avait également d'autres personnes.
9 Au sein de la Défense territoriale de Kozarac, il y avait même deux
10 personnes de nationalité serbe. Un jour ou deux avant l'attaque, ils ont
11 malheureusement quitté les rangs.
12 Donc, une tentative de procéder à une création de la Défense
13 territoriale et de la renforcer au point de vue des effectifs n'était pas
14 possible. Et c'est la raison pour laquelle il n'était pas possible non plus
15 d'obtenir des ressources matérielles, des ressources en effectifs, il n'y
16 avait pas non plus de moyen de communication. Il n'y avait pas non plus de
17 moyen de télécommunication pour établir des contacts ordinaires, réguliers.
18 Il n'y avait pas de carburant non plus. Ceux qui s'étaient placés à la
19 disposition de la Défense territoriale, qui s'étaient portés volontaires et
20 dont les noms ont été mis sur ces listes, la plupart de ces personnes
21 n'étaient pas utilisables. Soit parce qu'ils étaient beaucoup trop âgés, ou
22 trop jeunes, ou parce qu'ils n'avaient pas d'armes, ou parce qu'ils avaient
23 des armes de production maison, ou ils avaient des fois des armes périmées.
24 Q. Pourriez-vous nous dire d'abord quelle était la taille de la TO avant
25 que ce processus ne commence ? Je veux dire de façon générale. Est-ce que
26 la TO était plutôt grande, enfin est-ce qu'il y avait un grand nombre de
27 personnes ou pas ?
28 R. Eh bien, pour 30 000 habitants, je crois que la TO pouvait compter
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1 environ de 50 à 100 personnes.
2 Q. De quel type d'armes disposait la TO avant que ce processus ne
3 commence; et si elle n'avait pas beaucoup d'armes, pourquoi ?
4 R. La TO ne disposait pas d'armes parce que dans les années précédentes,
5 l'armée yougoslave avait pris les armes de la Défense territoriale, elle
6 les avait entreposées dans leurs propres dépôts, et par la suite, après une
7 demande des dirigeants au niveau de la République de Bosnie-Herzégovine,
8 ils ont remis seulement une toute petite quantité d'armes. Mais on ne
9 pouvait pas réellement les utiliser. Il s'agissait pour la plupart d'armes
10 datant de la Deuxième Guerre mondiale, les M-48, certaines armes
11 automatiques et, de temps en temps, d'autres types d'armes. Mais vraiment
12 en très petite quantité.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi. Objection. Le témoin disait : "Il
14 y avait quelques armes automatiques chez certaines personnes," et cela n'a
15 pas été consigné au compte rendu d'audience.
16 M. TIEGER : [interprétation] Je vois le compte rendu, mais je sais que je
17 vois maintenant que l'on parle d'autre chose. Les personnes effectuant la
18 transcription ajouteront peut-être ce passage plus tard. Je sais que des
19 fois c'est cela qu'on fait.
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Eh bien, simplement par prudence, nous
21 pourrions demander au témoin de reprendre sa dernière réponse. Est-ce que
22 vous pourriez répéter ce que vous avez dit, Monsieur le Témoin.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai dit que pour la plupart il y avait des
24 armes provenant de la Deuxième Guerre mondiale, des M-48, il y avait
25 certaines armes automatiques et, de temps en temps, on pouvait trouver
26 autres choses également.
27 Alors pour être plus précis et pour que l'on ne se pose des questions
28 sur ce que je voulais dire, il y avait au sein des unités locales de la
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1 Défense territoriale, on pouvait retrouver certains lance-roquettes
2 également. Il s'agit de projectiles que l'on peut mettre sur un fusil, et
3 c'est ainsi qu'on tire depuis ces fusils. Mais je ne sais pas s'il y avait
4 d'autres types d'armes. Je n'en ai pas connaissance. S'agissant des armes
5 d'artillerie, je suis certain qu'ils n'en aient pas eu, ou tout du moins
6 pas dans les communes locales où j'ai eu l'occasion de séjourner.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
8 M. TIEGER : [interprétation] Merci.
9 Q. Monsieur Sejmenovic, vous avez parlé des positions d'artillerie, vous
10 avez également parlé des craintes qui escaladaient concernant une attaque
11 qui pouvait être lancée sur une population non-serbe, y compris la ville de
12 Kozarac. Dites-nous si, effectivement, il y a eu une attaque lancée contre
13 Kozarac par l'armée serbe de Bosnie ?
14 R. Le 24 mai, une attaque totale a eu lieu, les artilleries provenant de
15 divers endroits, et une attaque a été menée avec divers types de
16 projectiles également.
17 Q. Avant de vous poser des questions et d'entrer au vif du sujet sur
18 l'attaque, y a-t-il eu pilonnage de zones peuplées par des non-Serbes
19 effectué par les Serbes de Bosnie avant le 24, avant l'attaque contre
20 Kozarac ?
21 R. Deux jours avant cette date, je parle donc du 22 mai, il y a eu
22 pilonnage d'un village de Hambarine, et on a dit que la raison de cette
23 attaque aurait été le fait que quelqu'un aurait tiré sur un véhicule qui
24 transportait des troupes serbes. C'est ce que l'on a entendu à la radio.
25 Et cette partie-là de Hambarine était complètement incendiée. On
26 pouvait entendre des détonations. Et nous, depuis Trnopolje, nous pouvions
27 très bien voir l'incendie de ce village.
28 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je suis vraiment désolé, mais je dois, pour des
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1 raisons de principe, formuler une objection à la question posée par M.
2 Tieger parce qu'il définit les effectifs des Serbes de Bosnie. Nous n'avons
3 pas encore établi ce que représentent ces effectifs réellement. En fait, à
4 l'époque, il s'agissait de la JNA, et ce sont les réservistes de la JNA qui
5 avaient été tués à Hambarine.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, à l'époque il ne
7 s'agissait pas de la JNA, puisque la JNA s'était retirée à la suite d'une
8 décision qui était la leur de la Bosnie-Herzégovine. Nous étions soulagés
9 lorsque cette nouvelle s'est propagée puisque nous espérions que la paix
10 régnerait peut-être. Toutefois, ce retrait de la JNA n'a pas effectivement
11 eu lieu. Mais ils ont changé d'appellation. Les officiers s'étaient donnés
12 le nom d'armée serbe, et les effectifs militaires s'étaient encore beaucoup
13 plus agrandis autour de Prijedor, et ce, après une décision de l'armée
14 fédérale appelant un retrait de l'armée de la région de Prijedor et de
15 Bosnie-Herzégovine.
16 M. TIEGER : [interprétation]
17 Q. Je vais vous poser une question sur les effectifs que vous avez
18 observés à Kozarac. Mais avant cela, j'aimerais savoir si vous avez été
19 témoin oculaire de l'attaque de Kozarac ?
20 R. Oui. Je me suis rapproché, parce que je m'étais dirigé en direction de
21 Kozarac, je me suis rapproché de la région qui faisait l'objet de
22 pilonnage, et là où je me trouvais c'était environ à 400 mètres du
23 pilonnage. Je ne pouvais pas me rapprocher puisqu'il y avait des obusiers
24 de 55 millimètres qui effectuaient leur attaque. C'étaient des détonations
25 terribles. J'ai effectué justement mon service militaire auprès de
26 l'artillerie et je sais identifier les calibres lourds. Le pilonnage s'est
27 poursuivi. Moi, j'ai attendu à cet endroit-là pendant environ une heure.
28 Par contre, le pilonnage s'est poursuivi. Je suis rentré à Trnopolje. Le
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1 pilonnage a continué pendant la nuit et pendant toute la journée du
2 lendemain. Le pilonnage ne s'est arrêté que le lendemain vers la fin de la
3 journée.
4 Je suis de nouveau retourné là-bas, peu de temps avant la fin du
5 pilonnage. L'infanterie serbe est entrée et a incendié les maisons une par
6 une. Elle est entrée par l'entrée de Kozarac en direction de Prijedor et a
7 incendié toutes les maisons une par une. On voyait cet incendie. L'incendie
8 montait vers le ciel, et nous pouvions simplement voir des silhouettes de
9 personnes qui fuyaient dans tous les sens, car il faisait nuit. Et il y
10 avait des personnes qui avaient brûlé dans leurs maisons. D'autres
11 personnes avaient réussi à venir vers l'endroit où nous étions, où j'étais
12 moi-même, où je me trouvais. Ils nous ont relaté les événements et nous ont
13 dit qu'ils avaient un moyen spécial pour incendier les maisons, c'étaient
14 des bombes incendiaires particulières qui permettaient aux maisons de
15 s'enflammer en quelques secondes.
16 Et après que l'on ait incendié cette partie-là de Kozarac, les
17 activités ont cessé. Le lendemain, l'infanterie serbe chassait la
18 population et tirait de façon aléatoire dans les villages sur la population
19 qui n'avait pas encore fui. Les colonnes de réfugiés ont commencé à se
20 former. Et ce même scénario s'est répété à Trnopolje plus tard, d'abord
21 autour de Trnopolje, et par la suite dans Trnopolje même. Et eu égard à la
22 position bien particulière d'où j'étais positionné, je pouvais voir de mes
23 propres yeux ces événements et ces situations dont je vous parle se
24 dérouler.
25 Q. Bien. Permettez-moi maintenant de vous poser cette question avant que
26 je ne vous demande de nous parler de vos observations quant à ce qui s'est
27 passé dans les villages de la région.
28 Pourriez-vous, je vous prie, indiquer aux Juges de la Chambre ce qui
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1 est arrivé aux habitants de Kozarac après les événements que vous nous avez
2 décrits, y a-t-il eu une distinction -- c'est-à-dire, une distinction a-t-
3 elle était faite entre certains membres de la population, ont-ils été
4 emmenés quelque part ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
5 R. Ils ont tous été emmenés, les hommes en âge de porter les armes, et
6 même certains enfants adolescents étaient emmenés dans des camps. Les
7 femmes et les enfants avaient été regroupés à Trnopolje ou bien à certains
8 endroits où on avait procédé à la création de centres de rassemblement. Et
9 dans certaines régions où la population s'était rassemblée, la population
10 qui avait fui, quelques jours plus tard, l'armée était arrivée et a tué un
11 certain nombre de personnes à ces endroits-là également. Et ceux qui
12 s'étaient réfugiés dans des centres de refuge étaient soit envoyés dans les
13 camps de Keraterm, Omarska et Trnopolje s'il s'agissait d'hommes, et
14 ailleurs s'il s'agissait de femmes.
15 Après environ un mois, il n'y avait plus personne à cet endroit-là. Même
16 les oiseaux avaient fui.
17 Q. Excusez-moi de vous poser toutes ces questions en guise de précision,
18 et je comprends très bien que vous pourriez sans doute trouver que ce sont
19 des questions auxquelles vous avez répondu clairement dans votre réponse.
20 Mais lorsque vous dites que "les hommes et les adolescents avaient
21 été emmenés dans des camps", pourriez-vous nous dire qui étaient ces
22 groupes d'hommes qui les avaient envoyés dans les camps ?
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous écoute.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin n'a pas dit "jeunes garçons". M.
26 Tieger place des propos dans sa bouche.
27 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai dit "jeunes garçons". J'ai dit des hommes
28 plus âgés, et parmi eux il y avait des enfants un peu plus vieux, donc des
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1 adolescents. Et j'ai vu moi-même des mineurs parmi ces groupes de
2 personnes. Donc je vais les appeler mineurs.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ligne 25, page précédente, le témoin a
4 dit : "Des garçons, et même certains garçons un peu plus vieux, des
5 adolescents."
6 Je vous remercie.
7 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
8 Q. Monsieur le Témoin, la question que je vous ai posée tout à l'heure
9 était de savoir qui avait emmené ces hommes et ces garçons dans les camps ?
10 R. C'étaient des soldats qui les ont emmenés. Ils venaient en groupes. Ils
11 tiraient, et par la suite ils rassemblaient les hommes. Ils portaient des
12 uniformes très différents. Depuis l'endroit depuis lequel j'observais le
13 tout, j'ai pu observer certains qui portaient des uniformes appartenant à
14 la police de Martic. D'autres soldats portaient des uniformes de la JNA.
15 D'autres encore portaient des uniformes des soldats appartenant à la 5e
16 Brigade de Kozara. D'autres encore étaient à moitié en uniforme; par
17 exemple, un homme pouvait avoir un jean et des baskets, et en haut il
18 portait une chemise militaire. Les effectifs étaient variés donc.
19 S'agissant d'une opération, j'ai pu voir qu'il y avait un
20 transporteur de police. Ils étaient appuyés par un blindé transport de
21 troupes de la police. D'autres effectifs étaient appuyés par un char. Et à
22 un certain moment donné, je m'étais réellement rapproché énormément d'un
23 groupe qui passait. Je pouvais même entendre les conversations. Et d'après
24 leur façon de parler, je pouvais immédiatement conclure qu'une partie de
25 ces soldats n'étaient pas du tout de Bosnie-Herzégovine. Ils ne provenaient
26 pas non plus de la Bosanska Krajina. Certains d'entre eux parlaient de
27 façon typiquement ékavienne, donc avec l'accent ékavien.
28 La personne qui portait un demi-uniforme avait dit à un collègue dans
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1 une conversation que j'ai pu entendre qu'il était originaire de Banja Luka.
2 Bon, cet homme n'avait pas dit : Je suis originaire de Banja Luka, de façon
3 très claire. Mais il avait dit
4 ceci : Je préfère venir ici de Banja Luka pour passer quelques jours que de
5 travailler tout un mois. C'est plus rentable. Et c'est ainsi que j'ai pu
6 conclure que l'homme était originaire de Banja Luka, que c'est là qu'il
7 travaillait et vivait et que, de temps en temps, il s'engageait pour des
8 périodes de trois ou quatre jours sur le front, et que c'est un travail qui
9 était bien rémunéré, que c'était un travail rentable pour lui. C'est ce que
10 j'ai pu conclure d'après la conversation entendue.
11 Q. Savez-vous si tous ces groupes opéraient de façon uniforme, ensemble,
12 ou bien les Serbes de Serbie étaient placés sous les ordres de quelqu'un
13 d'autre, et les effectifs de Bosnie fonctionnaient-ils de façon séparée ?
14 Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
15 R. Eh bien, en fait, les deux. Mais ils faisaient le même travail. La
16 procédure qu'ils suivaient était exactement la même et les conséquences
17 étaient exactement les mêmes. Lorsque je vous parle de procédure, je
18 mentionne ce mot parce que j'ai remarqué que leur approche aux opérations
19 était identique. D'abord, ils encerclent un petit village ou un hameau, ils
20 ouvrent le feu de tous les côtés. Ils se rapprochent ensuite des maisons.
21 Ils font sortir des maisons des hommes, ils les alignent en rangée et les
22 emmènent soit vers des véhicules, car dans certains cas on avait même
23 préparé des véhicules. Ou bien, lorsque cela n'était pas possible, ils les
24 emmenaient à pied en direction de Kozarac ou en direction de Trnopolje.
25 J'ai appris par la suite qu'il s'agissait, pour cette première direction,
26 qu'il s'agissait d'Omarska.
27 Q. Alors, pour préciser simplement ce dont vous nous dites, où étiez-vous
28 exactement lorsque vous regardiez le tout ? Vous aviez une liberté de
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1 mouvement ou bien vous étiez caché ?
2 R. Non, il n'y avait pas de liberté de mouvement.
3 Ce n'est que la population en fuite qui avait une liberté de
4 mouvement, mais bien encadrée. Donc il y avait autour d'eux des soldats qui
5 tiraient, il y avait des personnes qui s'adonnaient au pillage. Il y avait
6 certaines personnes qui essayaient de fuir, et on leur tirait dessus. A
7 Sivci [phon], par exemple, on a tué cinq personnes.
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Clarification, je vous prie. Le témoin n'a pas
9 dit qu'il n'avait qu'une liberté de mouvement alors qu'ils étaient à
10 l'intérieur de cet encerclement dans le convoi, mais à l'intérieur de la
11 zone.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai dit qu'il s'agissait de la zone dans
13 laquelle il y avait ce mouvement, donc d'un groupe à l'autre. Ou, si vous
14 voulez, pour être beaucoup plus précis, il s'agit d'un rayon d'environ 300
15 à 400 mètres. Donc, à l'intérieur de cet encerclement, oui, ils avaient une
16 liberté de mouvement.
17 M. TIEGER : [interprétation]
18 Q. Quelques questions très rapides. Vous avez fait allusion au pillage.
19 S'agissait-il d'actes aléatoires de pillage ou bien s'agissait-il d'une
20 forme de pillage organisé, d'après vos observations ?
21 R. Au cours de la première et de la deuxième journées, je pensais qu'il
22 s'agissait plutôt d'activités aléatoires. Mais par la suite, je me suis
23 rendu compte qu'il s'agissait de pillage organisé. J'ai pu observer un
24 énorme camion qui venait là. Que l'on rassemble un certain type bien précis
25 de biens pillés et que l'on place ces biens à bord d'un camion qui partait
26 en direction de Kozarac. Le camion revenait, il reprenait d'autres objets
27 pillés.
28 Donc il y avait un groupe de soldats qui prenait des frigos. D'autres
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1 prenaient d'autres biens électroménagers. Et ils les plaçaient à bord de
2 ces camions. Par la suite, j'ai pu voir un énorme entrepôt dans lequel on
3 avait entreposé ces biens électroménagers, et j'ai vu sur un champ, un pré,
4 des milliers de frigos. Par la suite, 1 ou 2 kilomètres plus loin, j'ai pu
5 voir un champ où il y avait des cuisinières, par exemple, des milliers de
6 cuisinières. Tout ceci était disposé sur ces champs. Il s'agissait
7 certainement d'appareils électroménagers qui avaient été pillés depuis les
8 villages non-serbes, c'est-à-dire Hambarine, Kozarac.
9 Q. Et pour être tout à fait sûr, alors que vous vous cachiez, pendant que
10 vous regardiez et observiez le tout, aviez-vous peur de vous faire prendre
11 ?
12 R. Bien sûr que oui. Je me cachais. J'étais complètement caché. Je me
13 cachais de tous, je me cachais de l'armée serbe, de la police ou de tout
14 autre homme serbe en uniforme. Mais j'ai essayé de me tenir à l'écart
15 également de la population non-serbe, pensant que ces derniers pouvaient
16 avoir une peur additionnelle parce que je me trouvais à leur proximité, ou
17 que si jamais je me faisais prendre, qu'il ne fallait pas exposer au danger
18 les personnes qui auraient été près de moi. Donc c'était la raison pour
19 laquelle j'avais décidé de rester complètement isolé, seul, dans ma
20 cachette.
21 Q. Est-ce que c'est parce que vous êtes un dirigeant
22 politique ?
23 R. Oui. Oui, parce que les effectifs serbes cherchaient les survivants ou
24 les représentants politiques en vie du SDA, les représentants des partis de
25 l'opposition, des directeurs, des cadres, donc ils recherchaient des
26 personnes importantes. Et nous, au sein du SDA, ils nous appelaient
27 extrémistes, Bérets vers, Oustachi, Moudjahidines. Ils nous donnaient
28 toutes sortes de noms. Et, bien sûr, nous étions les premières personnes à
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1 être recherchées à la suite de cette occupation. J'en étais très conscient,
2 bien sûr, et c'est pourquoi j'ai décidé de rester dans ma cachette et de me
3 cacher seul.
4 Je sais que par peur pour leur propre vie, je sais que ma mère avait
5 été physiquement chassée de sa maison dans laquelle elle s'était cachée et
6 ces personnes les avaient remis entre les mains de l'armée. Par un concours
7 de circonstances absolument incroyable, elle a survécu, et heureusement je
8 l'ai su à temps. Et pour ne pas que je me trouve dans une situation
9 analogue ou pour ne pas placer quelqu'un d'autre dans une situation
10 pareille, j'avais décidé de me cacher complètement seul et de planifier mes
11 actions futures, à savoir quelle serait la direction dans laquelle je me
12 dirigerais à partir de cet endroit-là.
13 Q. Vous parlez des hauts dirigeants qui ont survécu au sein du SDA, et
14 cetera.
15 Est-ce que vous pourriez dire aux Juges de la Chambre ce qui est
16 advenu de la plupart des membres du SDA et du HDZ de Prijedor ?
17 R. Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, pratiquement tout
18 le monde a été tué.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si c'est le moment, nous pouvons faire
20 la pause.
21 M. TIEGER : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais avant de ce faire, étant donné que
23 Mme Sutherland est dans le prétoire, en ce qui concerne le point que vous
24 avez soulevé en fin d'audience hier, vous avez mentionné qu'il y avait des
25 préoccupations en matière de sécurité concernant des questions qui, d'ordre
26 général, ne sont pas traitées dans des dépôts de documents confidentiels.
27 Ce n'est pas très clair, donc ce serait bien que vous le précisiez.
28 Si nécessaire, l'on pourrait passer à huis clos partiel.
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1 Mme SUTHERLAND : [interprétation] Non, Monsieur le Président, je ne pense
2 pas que ce soit nécessaire de passer à huis clos partiel. Ce que je voulais
3 dire par là, en fait, ça concernait l'adresse du témoin. Vous aviez donc le
4 pays qui a été mentionné, le pays dans lequel il vit, et il y a également
5 des questions qui sont liées aux préoccupations en matière de sécurité. Et
6 il s'agit en fait de questions qui sont en général traitées par des dépôts
7 confidentiels de documents.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous être plus précise --
9 Mme SUTHERLAND : [interprétation] Je suis désolée, mais je n'ai pas les
10 documents devant moi. Donc je reviendrai à vous après la pause.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien.
12 Maître Robinson.
13 M. ROBINSON : [interprétation] Nous n'avons pas d'objection à ce sujet. Il
14 n'y a aucune raison que les requêtes soient confidentielles. Les annexes
15 pourraient l'être. Mais il n'y a aucune raison pour que les autres
16 documents soient confidentiels, puisque ceci ne va pas dans le sens de
17 votre décision.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] C'est probablement de ma faute.
19 Quoi qu'il en soit, nous allons faire la pause maintenant et nous
20 reviendrons dans ce même prétoire dans 25 minutes.
21 --- L'audience est suspendue à 17 heures 28.
22 --- L'audience est reprise à 17 heures 58.
23 [La Chambre de première instance se concerte]
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Maître Robinson.
25 M. ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je voudrais
26 présenter Ben Cerini, qui est un stagiaire, un juriste donc, qui va être
27 présent pendant ce volet de l'audience.
28 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
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1 Allez-y, Monsieur Tieger.
2 M. TIEGER : [interprétation]
3 Q. Il y a trois autres thèmes que je souhaiterais aborder : le camp de
4 Trnopolje, le camp d'Omarska, et puis ce qui s'est passé suite à votre
5 présence à Omarska. Je vais essayer d'être aussi efficace que possible, et
6 j'essayerai de poser des questions aussi ciblées que possible.
7 Tout d'abord, nous avons parlé déjà dans une certaine mesure de la
8 période où vous vous étiez caché. J'aimerais savoir si à un moment ou un
9 autre vous avez essayé de vous rendre à proximité du camp de Trnopolje et,
10 à terme, est-ce que vous avez essayé d'entrer dans le camp de Trnopolje ?
11 R. Oui.
12 Q. Et pourquoi vouliez-vous entrer dans le camp de Trnopolje ?
13 R. La raison pour laquelle je voulais m'approcher du camp de Trnopolje,
14 c'est que je voulais quitter la région, et je voulais passer par Trnopolje,
15 Ribnjak et Grmec. Et je devais me rendre à proximité de Trnopolje afin de
16 faire ce voyage.
17 Et lorsque je suis arrivé à proximité de Trnopolje, j'ai observé le camp
18 pendant deux jours à une certaine distance, et j'ai vu ce qui se passait
19 dans le camp, c'est-à-dire comment les gardes se relevaient. C'était assez
20 loin, donc je ne pouvais pas tout voir. Mais j'ai pu voir cet endroit. Et à
21 partir de cet endroit-là, je pouvais donc voir les choses de plus près.
22 J'étais plus proche du camp, et je me suis rendu compte que la situation
23 était telle que je pouvais, en fait, entrer dans le camp sans qu'on me
24 remarque. Et de cette manière, je pouvais savoir quels étaient les projets
25 qu'ils avaient pour les personnes séjournant dans ce camp.
26 Après deux ou trois jours dans ce camp, six personnes ont été tuées. Il
27 s'agit des personnes qui étaient à proximité de moi et qui m'avaient donc
28 aidé d'une certaine manière. Cette nuit-là, vers 2 heures du matin, j'ai
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1 décidé de partir. J'ai donc quitté le camp de la même manière que celle que
2 j'avais utilisée pour y rentrer, et je suis parti. Mais je ne suis pas
3 parti très loin. La deuxième fois où je suis rentré dans le camp, c'est à
4 ce moment-là où j'ai vu que beaucoup de bus et de camions vides arrivaient
5 à proximité de Trnopolje. J'ai décidé de rentrer à nouveau dans le camp
6 parce que j'avais l'impression qu'on préparait l'évacuation de la totalité
7 du camp. Donc je voulais profiter de cette possibilité de faire partie d'un
8 groupe de femmes, d'enfants, et cetera, qui ferait l'objet de l'évacuation.
9 Lorsque je suis arrivé là-bas pour la deuxième fois, je me suis rendu
10 compte qu'il ne s'agissait pas vraiment d'une évacuation de grande
11 envergure. En fait, le commandement du camp s'est rendu compte que j'étais
12 là-bas. Ils ont détenu une quinzaine de personnes qui avaient été en
13 contact avec moi et ils les ont menacées de les tuer si elles ne leur
14 disaient pas où je me trouvais. Sans savoir cela, je suis entré dans le
15 camp et je me suis rendu compte que ces choses s'étaient passées. Et pour
16 leur garder la vie sauve, j'ai décidé de me rendre. Et je pensais que la
17 fin était proche. J'ai envoyé un des 15 hommes appeler le commandement du
18 camp, et je me suis rendu. Et c'est ainsi que les choses se sont produites.
19 Q. Je vous prie de m'excuser. Vous avez mentionné qu'il y avait six
20 personnes qui avaient été tuées après deux ou trois jours durant votre
21 premier séjour au camp de Trnopolje. Est-ce que vous vous souvenez des noms
22 des six personnes qui ont été tuées, s'il vous plaît ?
23 R. Il s'agissait de trois familles de frères. Ils s'appelaient tous Foric.
24 Les trois familles, donc, étaient composées chacune de frères. Il y avait
25 un très jeune homme parmi eux, et puis le plus âgé était un retraité.
26 Aucune raison précise n'a été donnée.
27 Un soldat en uniforme est arrivé, c'était un ancien voisin, il leur a
28 parlé rapidement et, après un certain temps, un policier est revenu avec ce
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1 soldat, et après, ils ont appelé les noms de ces hommes. Ils les ont
2 emmenés. On a entendu des tirs, quelques rafales, donc, et le lendemain
3 matin on s'est rendu compte de ce qui s'était passé parce qu'un homme du
4 camp est sorti du camp pour aller enterrer les corps. Et lorsqu'il est
5 revenu, ils lui ont demandé qui il avait enterré, donc il a décrit les six
6 hommes, que par exemple il y en avait un qui était en salopette, un autre
7 qui avait des baskets, et cetera, et cetera. Et j'avais l'impression que
8 tout ceci s'était produit et que c'était de ma faute, et c'est la raison
9 pour laquelle j'ai décidé de quitter le camp encore une fois.
10 Q. Est-ce que vous savez si les corps de ces personnes dont le nom de
11 famille est Foric ont été exhumés ?
12 R. Les corps des Foric ont été retrouvés dans un charnier, et je crois que
13 l'exhumation a eu lieu l'année dernière ou l'année d'avant, et maintenant
14 ils sont enterrés dans la région de Kamicani, autant que je me souvienne.
15 Q. Est-ce que vous pourriez décrire aux Juges de cette Chambre les
16 conditions de détention dans le camp de Trnopolje, les soins médicaux, la
17 nourriture, les différentes infrastructures d'assainissement, la sécurité
18 dans le camp, et cetera ?
19 R. Rien n'était vraiment organisé correctement, mis à part l'organisation
20 militaire qui assurait la supervision du camp. Il n'y avait pas
21 suffisamment de nourriture. Aucuns soins médicaux n'étaient proférés. Tous
22 les soins médicaux étaient improvisés par du personnel médical. En fait,
23 vous aviez un médecin, puis vous aviez un vétérinaire, puis vous aviez une
24 dame. C'étaient tous des non-Serbes. Ils se trouvaient dans le camp et ils
25 ont essayé d'aider les gens.
26 Pour ce qui est de la nourriture, les autorités du camp permettaient
27 à un petit groupe de personnes de quitter le camp avec une autorisation
28 pour rentrer chez eux, pour essayer de voir s'ils pouvaient retrouver de la
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1 farine ou des pommes de terre et ramener cela dans le camp de façon à
2 pouvoir nourrir les personnes détenues dans le camp.
3 Pour ce qui est des structures militaires dans la zone du camp, il y
4 en avait certaines. Il y avait des endroits où il y avait des
5 mitrailleuses, il y avait des postes de contrôle militaires. Il y avait un
6 endroit où il y avait des mitrailleuses dans la maison qui était de l'autre
7 côté du camp. Il y avait également des postes de garde, des postes de garde
8 militaires. Et ils se relevaient toutes les deux heures. Ils faisaient des
9 rondes autour du camp. Et je sais tout cela parce que, comme je vous l'ai
10 dit, j'ai observé tout cela parce que je voulais savoir à quel moment je
11 pouvais, en fait, sortir d'une partie donnée du camp.
12 Q. Vous avez mentionné ce qu'il est advenu des Foric. Pourriez-vous nous
13 dire ce qu'il est advenu des autres personnes détenues dans le camp ? Est-
14 ce que vous savez si d'autres personnes ont été menacées d'un point de vue
15 physique, donc, est-ce que leur vie a été en danger ?
16 R. Eh bien, voilà comment les choses se sont passées. J'avais entendu dire
17 qu'il y avait des personnes qui avaient été tuées; un vieil homme; une
18 femme; un homme relativement jeune. Sur les 15 personnes que j'ai déjà
19 mentionnées, eh bien, j'avais entendu à leur sujet qu'ils avaient été
20 maltraités, qu'ils avaient été roués de coups, afin de révéler où je me
21 cachais.
22 Dans la zone du camp, et dans les zones environnantes, des viols ont
23 été commis dans certaines maisons. Des viols ont été commis. Des jeunes
24 femmes, des enfants et d'autres femmes ont été envoyés dans la zone de
25 Ribnjak, et c'est là où des viols ont été commis.
26 Il y a eu également des personnes qui ont été tuées dans la zone du
27 camp. Je sais qu'une voisine a été blessée, parce que cela s'est passé
28 alors qu'elle se rendait dans son potager pour aller chercher des pommes de
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1 terre.
2 Q. Vous avez mentionné que certaines personnes avaient la possibilité
3 d'être autorisées à quitter le camp pour aller chercher de la nourriture.
4 Est-ce que le camp était un camp fermé, est-ce qu'il y avait des murs, est-
5 ce qu'il y avait une clôture, des fils de fer barbelés ?
6 R. Une partie du camp était en fait constituée par une enceinte en fil de
7 fer barbelé. Dans certaines parties, il y avait d'ailleurs des fils de fer
8 barbelés avant la guerre, mais dans ce cas-là, ça avait été renforcé. Et
9 puis, il y avait une autre partie du camp qui était complètement ouverte,
10 mais il y avait des points de contrôle militaires avec des personnes qui
11 portaient des mitraillettes, et les mitraillettes, donc, se dirigeaient
12 vers les endroits où il n'y avait pas de clôtures.
13 Pour ce qui est maintenant des routes d'accès, tout autour du camp il
14 y avait également des postes de contrôle qui avaient été placés sur chacune
15 d'entre elles.
16 Q. Vous avez mentionné que vous aviez demandé à quelqu'un d'aller chercher
17 le commandant du camp pour vous rendre, et c'est ce qui s'est passé. Qui
18 était le commandant de ce camp ?
19 R. Slobodan Kuruzovic. C'est un homme qui a participé à la réunion durant
20 laquelle un ultimatum a été donné.
21 Au moment où il m'a vu, il m'a dit : Ce n'est pas Sejmenovic. Moi, je
22 connais Sejmenovic. C'est seulement quand j'ai pris la parole qu'il a dit :
23 Ah, mais c'est vraiment toi ? Regarde à quoi tu ressembles maintenant.
24 Q. Et où vous a-t-on emmené une fois que vous vous êtes rendu à Kuruzovic
25 ?
26 R. On m'a interrogé rapidement, et puis ensuite on m'a envoyé en direction
27 de Prijedor. J'ai été détenu pendant une vingtaine de minutes dans le
28 bâtiment de la police militaire qui était de l'autre côté de la route par
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1 rapport au camp de Keraterm. Ensuite, ils m'ont envoyé au poste de police à
2 Prijedor. Là, j'ai fait l'objet d'un bref interrogatoire. J'ai été roué de
3 coups également là-bas, bien sûr. Après cet interrogatoire, j'ai été détenu
4 dans les cellules qui se trouvaient à proximité du dortoir de la police
5 spéciale ou des Bérets rouges. La plupart d'entre eux venaient de Serbie.
6 J'ai été violemment roué de coups à ce moment-là, parce que j'ai été
7 inconscient pendant un certain temps. On m'a jeté dans une cellule où il y
8 avait deux femmes et deux vieillards issus de Cele ou de Gomjenica.
9 Q. Combien de temps êtes-vous resté dans ce poste de police; et ensuite,
10 où vous a-t-on emmené ?
11 R. J'ai séjourné deux nuits au poste de police. Après la deuxième nuit,
12 c'est-à-dire le lendemain matin, ou peut-être un peu plus tard dans la
13 matinée, ils m'ont envoyé au camp d'Omarska.
14 Q. Lorsque vous êtes arrivé au camp d'Omarska, on vous a acheminé vers
15 quelle partie du camp ?
16 R. Le bus s'est arrêté devant le bâtiment de la direction de la mine.
17 Alors que je sortais du bus, j'ai vu des groupes importants de personnes
18 qui étaient à côté du bus. Ces personnes étaient épuisées, souffraient de
19 malnutrition, on voyait leurs corps tuméfiés parce qu'elles avaient été
20 rouées de coups. Ces personnes étaient rassemblées dans une zone
21 goudronnée. Il faisait très chaud. Ces personnes devaient être toutes
22 assises dans la même position, donc ces personnes étaient en tailleur. Et
23 ces zones du camp étaient délimitées par des chaînes, comme vous avez
24 quelquefois des chaînes dans des parkings pour délimiter les emplacements
25 des voitures.
26 Q. Et vous avez mentionné le poste de police, où vous avez été interrogé à
27 Omarska.
28 R. Oui.
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1 Q. Est-ce que les personnes qui vous ont interrogé vous ont posé des
2 questions sur le nombre d'armes dont les Musulmans disposaient et où elles
3 se trouvaient ?
4 R. Non, ils ne m'ont pas posé de questions à ce sujet. La première phrase
5 qu'ils ont prononcée c'était la suivante : "Prijedor ne nous intéresse pas.
6 Les armes ne nous intéressent pas. Nous savons que vous n'aviez pas
7 beaucoup d'armes. Vous n'en aviez que quelques-unes. Et ce n'est pas
8 vraiment important. Ce qui nous intéresse, c'est Sarajevo."
9 Et ensuite, l'interrogatoire a commencé. Ils ont commencé à me poser
10 des questions sur ce dont je me souvenais de Sarajevo, et plus
11 particulièrement sur ce dont je me souvenais de Vitomir Zepinic et Miodrag
12 -- ensuite, ils m'ont demandé si je me souvenais de Fikret Abdic, si
13 j'avais eu des contacts avec lui.
14 Q. Est-ce que vous savez si la personne qui vous a posé ces questions dans
15 le cadre de l'interrogatoire appartenait à un organe des autorités bosno-
16 serbes ? Est-ce que vous connaissiez personnellement cette personne, à tout
17 hasard ?
18 R. L'inspecteur était basé à la police de Prijedor. Il venait du bâtiment
19 de la police. Il est sorti lorsque je suis sorti et il a pris le même bus
20 en direction d'Omarska. Il s'agissait de lui et de deux femmes qui étaient
21 secrétaires au poste de police de Prijedor. Ensuite, j'ai vu qu'elles
22 travaillaient comme secrétaires au niveau du camp également.
23 Le troisième jour de l'interrogatoire, il a annoncé qu'un inspecteur
24 de Banja Luka allait venir pour me poser des questions. Et ce jour-là donc,
25 il y avait ces deux inspecteurs de Banja Luka. C'étaient des personnes que
26 j'ai vues pour la première fois. Ils disaient qu'ils venaient de Banja
27 Luka. Ils ont participé à l'interrogatoire. Ils ont posé également des
28 questions eux-mêmes, mais c'est plutôt Radakovic qui a posé des questions.
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1 Ils ne sont pas restés très longtemps. Peut-être une heure ou quelque chose
2 comme ça.
3 Q. Vous avez mentionné Radakovic. Est-ce qu'il s'agit de l'inspecteur qui
4 vous a posé des questions en premier ?
5 R. Oui. Dragan Radakovic, directeur du parc national de Kozara. Il avait
6 une maîtrise en psychologie et il avait également un diplôme de sculpture.
7 Il s'était présenté en me disant que l'on aurait peut-être été collègues
8 s'il n'y avait pas eu de guerre.
9 Q. Est-ce que vous pourriez rapidement décrire aux Juges de la Chambre qui
10 assurait la sécurité du camp ? Est-ce qu'il s'agissait de forces de police,
11 de forces militaires, des deux, d'autres structures, et cetera ?
12 R. De manière générale, c'étaient des instances militaires. Lorsque le bus
13 est arrivé à proximité d'Omarska, lorsque l'on a quitté la route principale
14 entre Prijedor et Banja Luka, c'est-à-dire lorsque nous sommes arrivés sur
15 la route qui allait en direction d'Omarska, il y a eu un poste de contrôle
16 qui avait été placé là-bas avec des soldats.
17 Et puis, il y avait un autre poste de contrôle qui était juste à côté
18 de la ligne de chemin de fer à Omarska, et c'est la route qui part en
19 direction du camp, ou plutôt, de la zone industrielle de la mine qui est
20 ensuite devenue un camp. A un moment donné à mi-parcours, en direction de
21 la mine, il y avait un autre poste de contrôle militaire, et puis, dans le
22 camp à proprement parler, il y avait certains endroits où il y avait
23 plusieurs soldats qui étaient rassemblés. Ils faisaient des patrouilles
24 dans les zones où se trouvaient les prisonniers. Ils se trouvaient
25 également dans la cafétéria. Il y avait également une maison avec beaucoup
26 de vitres où les soldats ne pouvaient pas rentrer. Il s'agissait en fait
27 d'une pièce qui faisait la jointure entre deux bâtiments. Il n'y avait en
28 fait pas de toit, mais il y avait des baies vitrées sur deux côtés.
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1 Il y avait également dans le camp des hommes qui portaient des
2 uniformes de police classiques de couleur bleue.
3 Q. Au début de votre description d'Omarska, vous avez parlé des conditions
4 de détention des prisonniers. Est-ce que vous pourriez rapidement décrire,
5 pour les besoins des Juges de cette Chambre, quelles étaient les conditions
6 de détention des prisonniers dans le camp et comment les prisonniers
7 étaient traités.
8 R. Les conditions de détention étaient terribles. Tous ceux qui étaient
9 amenés à Omarska étaient battus. Ils demandaient à certains codétenus de
10 battre leurs congénères. Ils forçaient les gens à manger très rapidement.
11 Les gens n'avaient pas suffisamment de temps pour manger ce qu'on leur
12 donnait. Donc les gens étaient passés à tabac régulièrement. Il y avait des
13 chansons qui étaient diffusées par les haut-parleurs tout le temps, des
14 chansons nationalistes serbes. Et un peu partout on pouvait voir ceux qui
15 avaient été battus. Très souvent, les personnes devaient être portées pour
16 aller se sustenter parce qu'elles ne pouvaient plus marcher.
17 La scène la plus horrible que j'ai vue, et elle me hante encore
18 l'esprit, c'était un jeune garçon qui avait environ 13 ans et on venait de
19 lui casser les deux bras juste au dessous du coude. Et au niveau du bras
20 droit, on l'avait cassé au-dessus du coude ou en dessous du coude. Il ne
21 pouvait pas manger. Et donc, ceux qui étaient plus âgés que lui l'ont porté
22 jusqu'au mess pour qu'il puisse manger un peu de pain. Et puis, ils ont
23 essayé de lui donner également quelques cuillerées de soupe. Ils ont
24 commencé à interroger cet enfant au même moment où ils m'ont interrogé moi.
25 Ils l'ont forcé à chanter des chansons serbes qu'il ne connaissait pas.
26 C'était inhumain. C'était un appareil impitoyable qui avait été mis en
27 place ici, totalement inhumain. C'était le camp d'Omarska.
28 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, je vous prie, de
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1 m'excuser -- enfin, merci.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous n'avez pas besoin de vous excuser,
3 Monsieur le Témoin.
4 Oui, Monsieur Tieger.
5 M. TIEGER : [interprétation]
6 Q. Monsieur Sejmenovic, je voudrais vous faire visionner une vidéo - qui
7 porte la référence 40526 - et je voudrais vous demander si vous avez eu
8 vent qu'à un moment donné des prisonniers d'Omarska avaient été transférés
9 au camp de Manjaca ?
10 Pouvez-vous répondre par oui ou par non, si vous le savez.
11 R. Nous l'avons appris plus tard, pas lorsque nous étions à Omarska mais à
12 Banja Luka.
13 M. TIEGER : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait visionner la vidéo
14 qui porte la référence 40526A.
15 Le compte rendu a été donné aux cabines. Il n'est pas nécessaire de
16 donner le numéro de la page, parce que c'est très bref.
17 L'INTERPRÈTE : Le compte rendu a été fourni en anglais mais pas en
18 français. Les interprètes de cabine française ne peuvent malheureusement
19 pas l'interpréter.
20 [Diffusion de la cassette vidéo]
21 M. TIEGER : [interprétation]
22 Q. En ce qui concerne cette vidéo, qui porte la date du 20 août 1992, est-
23 ce que vous pourriez expliquer aux Juges de cette Chambre dans quelle
24 mesure les conditions de détention de ces prisonniers représentent les
25 conditions de détention des prisonniers que vous avez vues au camp
26 d'Omarska, ou est-ce qu'au contraire, elles ne sont pas fidèles à ce que
27 vous avez vu ?
28 R. Cela reflète absolument les conditions de détention qui étaient les
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1 leurs, même si j'ai eu la possibilité également de voir des cas encore
2 pires que ce que nous voyons ici. Mais dans cette vidéo, nous voyons un
3 vieil homme qui est sur le point de mourir. C'est ce que nous voyons dans
4 la vidéo. On voit des personnes qui souffrent de malnutrition, qui ont été
5 frappées. On voit des personnes de divers âges, d'adolescents jusqu'à des
6 vieillards.
7 M. TIEGER : [interprétation] Est-ce que je pourrais demander le versement
8 du document qui porte la référence 40526A, s'il vous plaît.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
10 M. LE GREFFIER : [aucune interprétation]
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je me demande s'il s'agissait vraiment de
12 Manjaca, parce que le témoin n'a pas été détenu à Manjaca. Donc je me
13 demande s'il est nécessaire de verser ceci par le truchement de ce témoin.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, on m'a posé des
15 questions concernant les similitudes entre les deux camps, et j'ai dit que
16 je pouvais observer ces similitudes.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait avoir à nouveau
18 le numéro de pièce.
19 M. TIEGER : [aucune interprétation]
20 M. LE GREFFIER : [interprétation] P3695.
21 M. TIEGER : [interprétation]
22 Q. Monsieur Sejmenovic, est-ce que vous étiez présent à Omarska lorsque
23 des journalistes internationaux sont arrivés ?
24 R. Oui.
25 Q. Et est-ce que vous avez été à la disposition de ces journalistes ou
26 est-ce que les responsables d'Omarska vous ont permis de parler à ces
27 journalistes ?
28 R. Oui. Mais ils ne m'ont rien demandé. Ils m'ont simplement amené devant
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1 les journalistes étrangers.
2 Q. Est-ce que ces journalistes étrangers -- enfin, est-ce que ces
3 journalistes étrangers vous ont parlé, pour commencer ?
4 R. Non. Lorsqu'ils m'ont vu, ils ont refusé catégoriquement de me parler.
5 Ils ont dit : Nous n'allons pas lui parler. Et la femme qui était
6 interprète leur a dit cela. Et après, ils sont partis.
7 Q. Est-ce que vous savez pourquoi ? Est-ce que vous savez pourquoi ils ne
8 voulaient pas vous parler ?
9 R. Parce que, tout d'abord, je n'étais pas dans cette zone où il y avait
10 des baies vitrées, mais j'étais dans le bâtiment administratif, où l'on
11 m'avait déjà fait venir auparavant. Et deuxièmement, il était clair qu'il
12 s'agissait d'une manipulation à l'encontre des codétenus. Et dans ce cas-
13 là, à mon encontre. Ceci était très clair pour les journalistes étrangers,
14 et ils n'ont pas voulu me parler. Mais je dois dire que moi je voulais
15 vraiment leur parler parce que je pensais que ceci me permettrait peut-être
16 de survivre.
17 Q. Est-ce que vous avez été interrogé à Omarska par des journalistes
18 serbes ou bosno-serbes ?
19 R. A deux reprises. Un journaliste qui s'appelait Mutic était venu
20 s'entretenir avec moi et il m'a dit que si je voulais sauver ma peau, je
21 devais répondre d'une certaine façon. Il m'a dit ce que je devais dire. Et
22 il a dit qu'il allait m'apporter un texte écrit que je devais lire devant
23 les caméras.
24 Et si je ne m'abuse, il est venu deux ou trois jours plus tard, il
25 m'a apporté ce texte et je l'ai lu devant les caméras de la façon dont
26 j'estimais qu'il était nécessaire que je le lise.
27 Q. De quelle organisation provenait Mutic ?
28 R. Mutic est un homme du SDS. C'est un représentant du SDS.
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1 Q. Travaillait-il pour une agence quelconque ?
2 R. Il travaillait pour "Kozarski Vjesnik", il travaillait pour la radio de
3 Prijedor et il était également caméraman de la 5e Brigade de Kozara pendant
4 que cette dernière effectuait ses opérations de combat en Croatie.
5 Q. Etiez-vous également interviewé par un journaliste de Serbie ?
6 R. Non. Mais les journalistes serbes de Sarajevo, ou de Pale, pour être
7 plus précis, avaient mené un entretien avec moi. Il s'agissait de Dragan
8 Bozanic, qui était le journaliste de SRNA. Je crois que cette agence
9 s'appelait ainsi à l'époque. Et l'entretien a eu lieu dans un des locaux du
10 camp d'Omarska.
11 Q. Je vais maintenant vous montrer une autre vidéo, qui porte le numéro 65
12 ter 4054A [comme interprété].
13 M. TIEGER : [interprétation] Il s'agit de la page 4 pour les interprètes de
14 la cabine anglaise.
15 L'INTERPRÈTE : Les interprètes de la cabine française précisent encore
16 qu'ils n'ont pas de texte en français et ne pourront pas donner lecture de
17 la traduction de la vidéo.
18 M. TIEGER : [interprétation]
19 Q. Et pendant que nous attendons, Monsieur Sejmenovic, le compte rendu
20 d'audience parle de M. Dragan Bosnic. De qui s'agissait-il ?
21 R. C'est Bozanic, B-o-z-a-n-i-c.
22 Q. Merci.
23 M. TIEGER : [interprétation] Le numéro ERN de la transcription en anglais
24 est le 0306-5658.
25 [Diffusion de la cassette vidéo]
26 M. TIEGER : [interprétation] Très bien. Nous pouvons nous arrêter ici.
27 Q. D'abord, Monsieur Sejmenovic, avez-vous pu voir la personne qui menait
28 l'entretien; et de qui s'agissait-il ?
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1 R. Il s'agit d'un ancien journaliste de la radiotélévision de Bosnie-
2 Herzégovine qui, au cours de cette période, était un journaliste de la
3 télévision serbe de Pale. Son nom est Dragan Bozanic. C'est justement la
4 personne que j'ai mentionnée tout à l'heure.
5 M. TIEGER : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, je voudrais
6 indiquer que nous nous sommes arrêtés à 838.1.
7 Q. Monsieur Sejmenovic, au cours de cet entretien, vous a-t-on posé des
8 questions sur les activités des dirigeants du SDA concernant des imams et
9 vous a-t-on posé d'autres questions de ce type ?
10 R. Bozanic, tel qu'il est indiqué ici, m'a posé des questions identiques
11 au journaliste Mutic plusieurs jours avant. Donc toutes les questions qui
12 m'ont été posées ici avaient déjà été des questions qui m'avaient déjà été
13 posées par le journaliste Mutic dans le cadre d'un entretien précédent. Et
14 je répondais de la façon dont on m'a indiqué, c'est-à-dire on m'a indiqué
15 qu'en répondant de cette façon-là je pouvais sauver ma peau.
16 Q. L'entretien comprend des questions et des commentaires tels que le fait
17 de condamner Mirza Mujadzic comme étant une personne qui est responsable
18 des horreurs qui se sont déroulées dans cette région, et on fait référence
19 à certains éléments ou preuves selon lesquels des imams auraient été
20 engagés à s'adonner à l'armement et à la contrebande d'armes.
21 Si ces choses n'étaient pas vraies, pourquoi les avez-vous dites ?
22 R. C'était tout à fait faux, mais c'était la seule chose que je pouvais
23 dire. On m'a demandé de dire exactement ceci pour ne pas mettre en péril ma
24 propre vie.
25 Si j'avais dit la vérité, j'aurais sans doute été mort une heure plus
26 tard.
27 Q. J'ai juste encore un autre extrait vidéo à vous montrer.
28 M. TIEGER : [interprétation] C'est l'extrait qui porte le numéro 4054B.
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1 Page 7, pour les interprètes de la cabine anglaise.
2 L'INTERPRÈTE : Les interprètes de la cabine française précisent de nouveau
3 qu'ils n'ont pas de traduction.
4 [Diffusion de la cassette vidéo]
5 M. TIEGER : [interprétation] Je crois que l'extrait commence au bas de la
6 page 6 et ça continue en haut de la page 7.
7 [Diffusion de la cassette vidéo]
8 M. TIEGER : [interprétation] Pourrions-nous -- non, arrêtez-vous, s'il vous
9 plaît. Très bien. Merci.
10 Q. Monsieur, reconnaissez-vous la personne qui parle ici ?
11 R. C'est le même journaliste, Dragan Bozanic, dont nous avons déjà parlé
12 un peu plus tôt.
13 M. TIEGER : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, nous étions
14 arrêtés à 15.49.9. Bien. Poursuivez maintenant.
15 [Diffusion de la cassette vidéo]
16 M. TIEGER : [interprétation] Très bien. Merci.
17 Q. Reconnaissez-vous, Monsieur, le journaliste que l'on voit de l'autre
18 côté du fil barbelé, ici ? Il s'agit de 16.01.
19 R. La personne avec la barbe pourrait être Mutic. Comme la personne est
20 présentée de profil, j'ai quelques réserves, mais je crois que c'est sans
21 doute Mutic, eu égard à sa barbe et à sa calvitie.
22 Q. Bien. Dites-nous, est-ce que cette image nous montre la façon dont les
23 entretiens étaient menés, à savoir divisés par un fil barbelé comme ceci ?
24 R. Oui, c'est exact.
25 Q. Très bien.
26 M. TIEGER : [interprétation] Je voudrais demander le versement au dossier
27 des pièces 4540A [comme interprété] et B, Monsieur le Président.
28 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Versées au dossier.
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1 M. LE GREFFIER : [interprétation] Les pièces porteront la cote P3696 et
2 P3697, respectivement, Monsieur le Président.
3 M. TIEGER : [interprétation]
4 Q. Monsieur Sejmenovic, autour de cette période les représentants
5 internationaux des médias sont-ils venus, y a-t-il également eu des
6 représentants de la Republika Srpska qui étaient venus au camp ?
7 R. Oui, au cours de cette période il y a eu plusieurs journalistes et
8 plusieurs représentants très hauts gradés.
9 Et juste après les journalistes, un représentant de la Région
10 autonome de Krajina est également venu. Il s'agissait de Vojo Kupresanin.
11 Q. D'abord, dites-nous si Kupresanin vous a adressé la parole, et est-ce
12 que vous avez appris pourquoi et comment est-il venu au camp ?
13 R. J'étais dans cette baie vitrée, et les gardes m'ont emmené ailleurs. Je
14 ne connaissais pas la raison pour laquelle on me déplaçait, jusqu'à ce que
15 je n'aie vu une personne grisonnante. Je pensais qu'il s'agissait de
16 quelqu'un d'autre, mais il s'est présenté à moi, il m'a dit qu'il
17 s'appelait Vojo Kupresanin, même si je trouvais que c'était assez
18 vraisemblable que cela soit bien lui. Il a dit qu'il voulait s'entretenir
19 avec moi. Il m'a dit de m'asseoir. J'ai pris place, je me suis assis sur un
20 siège qui était là, et puis, en réalité, la conversation a commencé, mais
21 c'était plutôt un monologue mené par Kupresanin.
22 Q. Avez-vous appris si Kupresanin voulait vous faire sortir du camp; et,
23 si oui, pourquoi ?
24 R. Oui. Je l'ai su vers le milieu de ce monologue, on l'a appelé dans un
25 autre bureau. L'autre bureau était ouvert, et il se trouvait de l'autre
26 côté du couloir. Donc, la porte était ouverte et un soldat l'a appelé pour
27 lui dire : Le président vous appelle; il a besoin de vous. Je crois qu'il a
28 bien dit président, que le président voulait lui parler. Kupresanin a
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1 répondu et il a dit de dire au président, donc à la personne qui voulait le
2 voir, qu'il avait besoin de 300 lits, de 300 savons au moins. Il avait donc
3 parlé de cela. Et finalement, il a dit : Je n'en ai trouvé qu'un. Je
4 pensais qu'il s'agissait de moi, mais je n'étais pas tout à fait certain.
5 Peu de temps après cela, j'ai su qu'en réalité il pensait vraiment à
6 moi, et il avait dit que je devais le suivre à Banja Luka. Il m'a fait donc
7 sortir. Nous nous sommes assis à bord de son véhicule et nous nous sommes
8 dirigés en direction de Banja Luka. Au cours du trajet il m'a demandé s'il
9 y avait des députés qui étaient encore vivants. Il m'a demandé où était
10 Mujadzic, où était Racema Cero [phon]. Il m'a dit que je devais les
11 rassembler. C'est ce qu'il m'a dit, qu'il voulait les rassembler. Il m'a
12 demandé comment allaient les membres de ma famille.
13 Plus tard, donc au cours de quelques heures, et en réalité j'ai très
14 bien su ce que Kupresanin voulait un ou deux jours plus tard, et donc j'ai
15 su quelles étaient les vraies raisons pour lesquelles Kupresanin m'a fait
16 sortir d'Omarska.
17 Q. Et de quelle façon est-ce que vous l'avez appris et qu'est-ce que vous
18 avez appris exactement ?
19 R. Je l'ai su partiellement de lui-même, parce qu'il disait qu'il me
20 fallait me remettre, que je devais prendre un peu de poids, qu'il allait me
21 faire héberger dans un village qui s'appelle Kukuruzari. Je pense, je ne
22 suis plus sûr, un village serbe, et j'ai entendu parler lorsqu'il a parlé
23 avec son président Karadzic, il lui a répété qu'il m'avait trouvé. Il a
24 reçu pour instruction quelque chose, et donc il a répondu qu'il avait déjà
25 planifié de me trouver des vêtements, qu'il fallait que je remette et qu'il
26 avait planifié d'organiser des espèces de tables rondes afin que nous
27 puissions publiquement parler de la situation en Bosanska Krajina.
28 Mais c'est le chauffeur, en réalité, qui m'a conduit plus tard à
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1 Vrbanja qui m'a parlé des vraies raisons. Et donc, le chauffeur m'a dit :
2 Tu avais réellement raison de devenir membre de l'assemblée serbe,
3 seulement tu vas perdre ta vie à cause de cela. Tu ne dois absolument pas
4 te trouver à Vrbanja. Ou plutôt, tu ne dois absolument pas sortir de la
5 maison parce que les extrémistes vont te tuer.
6 Par la suite, je n'ai pas répondu. Je n'ai rien dit. J'ai simplement
7 entendu ce qu'il avait dit et je réfléchissais sur la position dans
8 laquelle je me trouvais.
9 Q. Deux autres questions. L'homme à qui parlait Kupresanin durant ce
10 deuxième appel téléphone, est-ce que vous avez été en mesure de déterminer
11 de qui il s'agissait compte tenu de la conversation et compte tenu de ce
12 que Kupresanin disait ?
13 R. Kupresanin l'a dit dans ces termes après la conversation, et j'ai
14 entendu la voix de M. Karadzic, que je connaissais très bien compte tenu de
15 toutes les séances de l'assemblée. C'étaient des combinés téléphoniques
16 d'un type assez ancien, et le téléphone n'était pas très loin.
17 Q. Et ma deuxième question : vous avez dit que M. Kupresanin parlait de
18 quelqu'un, qu'il l'appelait président. Il a dit qu'il avait besoin de 300
19 lits et de 300 savons d'urgence. Pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre
20 si vous avez été en mesure de comprendre pourquoi Kupresanin avait besoin
21 de cela; est-ce que ceci était pour prendre en compte les besoins des
22 prisonniers ou pour d'autres raisons que vous auriez pu déterminer ?
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] On demande au témoin de se livrer à des
24 conjectures.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Une seconde, s'il vous plaît, Monsieur
26 Karadzic.
27 Si le témoin est en mesure de répondre à cette question, il est tout
28 à fait habilité à le faire.
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1 Veuillez répondre, Monsieur le Témoin.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai entendu une partie de cette conversation
3 à Omarska. Et puis, j'ai entendu une autre partie de la conversation une
4 fois que des journalistes étrangers ont filmé tout cela. Mais je n'ai pas
5 vu de préoccupation particulière concernant la gestion au sein du camp. Et
6 pour ce qui est de Kupresanin, il ne s'était pas exprimé d'une manière ou
7 d'une autre quant à la situation dans le camp. Durant la brève conversation
8 que nous avons eue, il a parlé de la situation politique internationale. Et
9 il a dit que d'après lui c'était une conspiration du Vatican et du
10 Comintern, que de nous décrire comme étant ceux qui étions responsables
11 d'avoir exécuté des Musulmans. Mais c'était plutôt un monologue. Je n'avais
12 ni le courage ni n'étais-je à même de lui répondre.
13 M. TIEGER : [interprétation]
14 Q. Monsieur Sejmenovic, sur la base de ces conversations, vous vous êtes
15 forgé une opinion. J'aimerais savoir -- enfin, tout d'abord, je vais
16 reformuler.
17 J'aimerais savoir si, après cela, on vous a emmené à Vrbanja et si
18 c'est là-bas que vous avez commencé à séjourner ?
19 R. Oui, c'était à ma demande.
20 Q. Et durant votre période de séjour là-bas, j'aimerais savoir si M.
21 Kupresanin vous a dit que vous deviez vous rendre à Banja Luka afin de
22 rencontrer M. Karadzic et peut-être également des membres d'un délégation
23 de haut niveau, des membres donc d'une délégation internationale qui était
24 en visite à Banja Luka ?
25 R. M. Kupresanin est venu à Vrbanja à deux reprises. Non, en fait, il est
26 venu à trois reprises.
27 Lorsqu'il est venu la première fois, il voulait m'emmener à un
28 endroit pour convaincre la Défense territoriale de Kotor Varos de se
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1 rendre. J'ai refusé, en motivant mon refus.
2 La deuxième fois, il est venu en disant qu'il prévoyait de m'emmener
3 en voiture à Bihac, à la ligne de démarcation, afin d'être un membre de
4 l'équipe de négociations serbe pour aborder certaines questions militaires.
5 Et lors de sa troisième visite, il m'a dit que j'avais très peu de
6 temps pour m'habiller et que je devais donc aller à Banja Luka pour
7 rencontrer Karadzic, mais pas uniquement Karadzic mais également d'autres
8 personnes. Et c'est donc ce qui s'est passé lors de sa troisième visite à
9 Vrbanja.
10 Q. Je voudrais maintenant vous présenter très rapidement le document qui
11 porte la référence 45389.
12 [Diffusion de la cassette vidéo]
13 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
14 "J'ai invité M. Vance et Lord Owen de se rendre à Banja Luka pour voir de
15 leurs propres yeux. Et lorsqu'il y a des choses positives qui découlent de
16 cette conférence, en fait, il y a des mensonges qui sont divisés par les
17 Serbes, les Musulmans, soit que des personnes sont tuées, soit que Sarajevo
18 est bombardée. Mais Sarajevo, c'est eux qui bombardent Sarajevo.
19 L'animateur : Il est évident que le monde se rend compte de plus en plus de
20 ce qui se passe.
21 Karadzic : Oui. Mais Vance et Owen voulaient voir ce qui se passait, je les
22 ai invités, et nous les avons rencontrés à Bosanska Gradiska. Les personnes
23 leur ont souhaité la bienvenue. Ils ont demandé de voir qui étaient les
24 personnes. Il y avait beaucoup de Musulmans. Il y avait deux représentants
25 du Parti de l'Action démocratique, qui n'est pas interdit en Republika
26 Srpska -- et dans ces territoires, il y a les Musulmans qui dominent. Ils
27 voulaient leur parler en privé.
28 Ils ont également reçu des dirigeants religieux, des hauts dignitaires
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1 religieux de la Krajina des trois confessions. Ils ont parlé avec les
2 responsables municipaux. Ils ont vu que le président Radic était une
3 personne exceptionnelle. Ils ont également vu le responsable de la police,
4 M. Zupljanin. Et ils ont pu voir que les autorités là-bas faisaient tout ce
5 qui était en leur pouvoir de façon à ce que les tensions ne soient pas
6 exacerbées, et que ceci ne se solde par une sorte d'évacuation. Ils se sont
7 assurés de tout cela. Et ils ont dit publiquement même que Banja Luka
8 n'avait pas fait l'objet de nettoyage ethnique même s'il y avait des
9 tensions qui étaient très importantes.
10 Nous leur avons montré des documents d'après lesquels on peut voir qu'une
11 organisation musulmane secrète existe. Que même une branche de
12 l'organisation négocie les armes, et que cette organisation secrète dont
13 nous connaissons tous les membres, et d'ailleurs nous les surveillons, ils
14 veulent créer donc le désordre à Banja Luka, mais ils attendent que les
15 observateurs de la Communauté européenne arrivent. Mais ce ne sera pas
16 nécessaire qu'ils arrivent, parce que leur arrivée risque de semer le
17 désordre.
18 C'est un fait, ceci s'est produit en Krajina, certaines personnes ont
19 quitté la zone, mais pas pour Banja Luka. Ceci s'est produit, par exemple,
20 lors d'une embuscade où 16 Serbes ont été tués. En fait, ils n'ont pas été
21 tués. Ils ont vraiment été massacrés. Et à une autre embuscade où trois
22 Serbes ont été tués, et il y a également eu une autre escarmouche où 11
23 Musulmans ont été tués et 19 Serbes au total. Et puis, vous avez les
24 familles de Musulmans qui combattent dans l'armée d'Alija. Ces familles ont
25 quitté Petrovac et sont allées en direction de la Bosnie centrale.
26 Et je serais ravi de laisser partir les Serbes. Et ils devront les faire
27 partir d'après les documents que nous avons signés à Genève, tous les
28 Serbes de Tuzla qui nous préoccupent beaucoup, et on devra également exiger
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1 qu'ils sortent de Travnik et de ces autres zones contrôlées par les
2 Musulmans.
3 Et Lord Owen a également dit même publiquement que ceci ne s'est pas étendu
4 jusqu'à Banja Luka, qu'il y a des tensions, et nous sommes au milieu d'une
5 guerre civile, mais que Banja Luka est une ville heureuse où les enfants
6 jouent dans la rue. Il y a même une force de police qui incorpore des
7 Musulmans et des Croates."
8 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
9 M. TIEGER : [interprétation]
10 Q. Monsieur Sejmenovic, quelques questions et nous serons en mesure de
11 terminer aujourd'hui. Tout d'abord, est-ce que vous comprenez les
12 événements qui sont mentionnés ici ? A savoir que MM. Vance et Owen avaient
13 été invités de se rendre à Banja Luka pour aller dans le sens d'une visite
14 que Kupresanin vous avait faite à Banja Luka ?
15 R. Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, à l'époque, donc
16 deux jours auparavant, j'avais entendu que des hauts responsables
17 internationaux devaient se rendre à Banja Luka, et moi je devais également
18 voir M. Karadzic ainsi que d'autres négociateurs.
19 Q. Deuxièmement, il est mentionné qu'il y a deux fonctionnaires du Parti
20 de l'Action démocratique. Est-ce que vous aviez compris que vous étiez un
21 fonctionnaire du SDA qui était censé se rendre à Banja Luka pour rencontrer
22 ces hauts responsables internationaux ?
23 R. Oui, je faisais partie de ce groupe de deux. Je ne sais pas qui étaient
24 les autres. Pourquoi ? Eh bien, parce qu'on m'a emmené dans ce bâtiment où
25 la conférence ou la réunion avait lieu.
26 Q. Et pour terminer, Monsieur Sejmenovic, lorsque M. Karadzic mentionne
27 les personnes en Krajina qui partent et qu'il y a des familles de Musulmans
28 qui combattent dans l'armée d'Alija et qui veulent partir, est-ce que ce
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1 type de départ de Musulmans correspond à ce que vous aviez observé, aux
2 circonstances que vous aviez remarquées durant lesquelles les Musulmans
3 quittaient les zones de la Krajina ?
4 R. Monsieur le Président, je vous demande pardon de répéter de nouveau.
5 Outre le fait qu'effectivement Vance et Owen étaient réellement venus,
6 toutes les autres déclarations sont un vrai mensonge, une manipulation de
7 la vérité qui s'y déroulait. C'était tout à fait le contraire de ce qui est
8 dit ici. Voilà, c'est simplement un pamphlet de propagande, et nous avons
9 eu l'occasion de voir ce genre de chose très souvent avant ces événements
10 et après ces événements.
11 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je vois l'heure, mais
12 je n'ai que deux petits extraits vidéo très courts et deux documents, donc
13 avec votre permission, je demanderais de bien pouvoir continuer. J'aurais
14 besoin d'encore cinq minutes.
15 [La Chambre de première instance se concerte]
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Bien sûr, avec la permission
17 du personnel, et je les remercie pour cela.
18 M. TIEGER : [interprétation] Très bien.
19 Je voudrais maintenant que l'on prenne la pièce 65 ter 45064 très
20 rapidement. C'est le dernier paragraphe de la page en question, pour les
21 interprètes.
22 L'INTERPRÈTE : Les interprètes de la cabine française précisent de nouveau
23 qu'ils n'ont pas de texte.
24 [Diffusion de la cassette vidéo]
25 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.
26 Q. Monsieur Sejmenovic, lorsque Vance conteste les propos de M. Karadzic,
27 à savoir qu'il y avait nettoyage ethnique, est-ce que cela correspond à vos
28 observations et est-ce que c'est conforme à ce qui se passait effectivement
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1 dans la région ?
2 R. Oui, tout à fait, Monsieur le Président.
3 M. TIEGER : [interprétation] Je demanderais que ces deux extraits vidéo
4 soient versés au dossier.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien.
6 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira des pièces P4698 [comme
7 interprété] et P3699, respectivement.
8 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.
9 Q. Et pour terminer, Monsieur Sejmenovic, est-il exact que vous avez
10 finalement pu quitter la région de Banja Luka en janvier 1993 ? Je parle de
11 Vrbanja et de Banja Luka.
12 R. Oui, je suis parti en 1993, le 15 janvier 1993.
13 Q. Avez-vous dû obtenir un certain nombre de documents afin de les
14 présenter aux agences internationales pour pouvoir partir ? Aux agences
15 internationales, j'entends par là ainsi qu'aux différents représentants.
16 R. Je devais avoir un document d'identité afin de pouvoir m'identifier. Je
17 n'avais pas de tel document, et j'ai tenté de l'obtenir. J'ai tout fait
18 pour l'obtenir.
19 Q. Bien.
20 M. TIEGER : [interprétation] Pourrait-on prendre la pièce 65 ter 20155,
21 s'il vous plaît.
22 Q. Et est-ce que c'est l'un des documents que vous avez pu obtenir ?
23 R. Oui. C'est le document que j'ai pu me procurer avec la seule photo que
24 j'avais à ma disposition, et c'était une photo de ma jeunesse. J'avais 19
25 ans. C'était ma photo lorsque je faisais mon service militaire.
26 Q. Bien.
27 M. TIEGER : [interprétation] Je voudrais demander que ce document soit
28 versé au dossier, Monsieur le Président.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
2 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce P3700, Monsieur le
3 Président, Messieurs les Juges.
4 M. TIEGER : [interprétation] Et cela met fin au contre-interrogatoire qui
5 était le nôtre, Monsieur le Président. Je vous remercie.
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Je voudrais maintenant
7 entendre Mme Sutherland concernant le point qu'elle avait soulevé tout à
8 l'heure.
9 Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Concernant le
10 mémorandum additionnel -- est-ce que le témoin doit rester dans la salle
11 d'audience ? Souhaiteriez-vous plutôt qu'il quitte ?
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il faudrait alors le faire demain, eu
13 égard au temps.
14 Mme SUTHERLAND : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président. Comme
15 vous le souhaitez.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien.
17 Alors, nous allons lever l'audience pour aujourd'hui et nous
18 reprendrons nos travaux demain à 14 heures 15.
19 Monsieur Sejmenovic, vous le savez sans doute, mais pendant que vous
20 déposez devant ce Tribunal, vous n'êtes pas tenu à parler de votre
21 témoignage à qui que ce soit.
22 Est-ce que vous le comprenez ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, tout à fait. Je vais me plier au
24 règlement.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Alors passez une bonne soirée.
26 Mme SUTHERLAND : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Je
27 voulais simplement mentionner que concernant la requête de M. Karadzic
28 portant sur la requête de la version expurgée de la pièce --
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1 L'INTERPRÈTE : Inaudible.
2 Mme SUTHERLAND : [interprétation] -- nous n'avons aucune objection à cela.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien.
4 L'audience est levée.
5 --- L'audience est levée à 19 heures 07 et reprendra le vendredi 28 octobre
6 2011, à 14 heures 15.
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