Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT 95 - 5 - R61

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE AFFAIRE N° IT 95 - 18 - R61

3 Jeudi 27 juin 1996(matin)

4 Devant la chambre de première instance composée comme suit :

5 M. le juge Claude Jorda, Président

6 Mme le juge Elizabeth Odio Benito

7 M. le juge Fouad Riad

8 Assistée de :

9 M. Dominique Marro, Greffier-Adjoint

10 LE PROCUREUR

11 c/

12 Ratko MLADIC

13 et Radovan KARADZIC

14 Le bureau du Procureur :

15 M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon, M. Terree Bowers

16 Conseil de la défense :

17 M. Igor Pantelic

18

19 Jeudi 27 juin 1996

20 (Matin)

21 M. le Président. - Je voudrais d'abord m'assurer que les

22 cabines d'interprétation sont tout à fait opérationnelles et que tout le

23 monde m'entend bien. D'abord mes collègues, les juges. Entendez-vous bien

24 ? Ensuite le Greffe, le Bureau du Procureur ? Bien.

25 L'audience est donc ouverte. Monsieur le Greffier, pouvez-vous

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1 appeler les affaires qui sont inscrites au rôle de la présente audience.

2 M. le Greffier Marro. - Dossier IT-95-5-R61 : le Procureur de

3 ce Tribunal contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

4 Dossier IT-95-18-R61 : le Procureur de ce Tribunal contre

5 Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

6 M. le Président. - Je voudrais savoir qui est au banc du

7 ministère public et représente les intérêts de l'accusation.

8 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

9 Président, je suis Eric Ostberg, l'un des avocats principaux de ce

10 Tribunal. J'apparais ici avec Mark Harmon, M. Terree Bowers, et nous

11 sommes assistés par Payam Akhavan et Todd Cleaver qui sont ici pour faire

12 fonctionner le matériel technique. Je vous remercie.

13 M. le Président. - Je vous remercie Monsieur le Procureur. La

14 présente audience est réunie, comme je l'ai indiqué à l'instant, dans le

15 cadre de l'Article 61 du Règlement de preuve et de procédure. Cet article

16 prévoit la procédure en cas d'inexécution d'un mandat d'arrêt. Il s'agit

17 bien d'une procédure ex parte et par hypothèse, j'allais dire en dehors

18 des parties, puisque les parties ont été signifiées de l'acte d'accusation

19 et des mandats d'arrêt afférents. C'est bien l'objet de sa présente

20 procédure.

21 L'audience réunie ce jour porte sur deux actes d'accusation :

22 un acte d'accusation concernant la politique générale menée en Bosnie-

23 Herzégovine par les accusés Messieurs Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Ce

24 premier acte d'accusation a été confirmé par le juge Jorda, au mois de

25 juillet 1995.

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1 Le deuxième acte d'accusation, qui est l'objet de la présente

2 audience d'inexécution d'un mandat d'arrêt et de ses conséquences

3 éventuelles, a trait aux événements qui se sont déroulés à Srebrenica en

4 juillet 1995. Ce deuxième acte d'accusation a été confirmé avec les

5 mandats d'arrêt subséquents en novembre 1995.

6 Par ailleurs, le Greffe du Tribunal a été saisi hier après-

7 midi du dépôt d'un mandat de M. Radovan Karadzic, mandat à Maître Igor

8 Pantelic du Barreau de Belgradee. Monsieur le Greffier, pouvez-vous faire

9 rapport d'une décision prise par la Chambre au sujet de ce mandat ?

10 Monsieur le Greffier, vous avez la parole.

11 M. le Greffier Marro. - Merci Monsieur le Président. Le Greffe

12 du Tribunal confirme qu'hier après-midi Maître Pantelic du Barreau de

13 Belgradee a déposé entre nos mains un mandat dont je donne lecture :

14 « Procuration :

15 J'autorise par la présente Igor Pantelic, un avocat de

16 Belgradee, résidant au 20 rue Vojvode à Obrenica à me représenter devant

17 le Tribunal international à La Haye et à prendre toutes les mesures

18 juridiques qui sont dans mon intérêt.

19 La personne susmentionnée -donc maître Pantelic- pourra

20 ultérieurement constituer une équipe d’avocats qui agiront dans mon

21 intérêt et avec mon consentement préalable.

22 Signé : Docteur Radovan Karadzic

23 Pale, le 25 juin 1996.»

24 Suite au dépôt de ce mandat et sur demande de Maître Pantelic,

25 nous avons immédiatement rendu compte à votre Chambre, qui a pris une

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1 décision dans la soirée d’hier dont je donne connaissance :

2 «La Chambre de première instance numéro 1

3 Composée comme suit :

4 - M. le Juge Claude Jorda, Président

5 - Mme le Juge Elisabeth Odio Benito

6 - M. le Juge Fouad Riad,

7 Assistée de M. Dominique Marro, Greffier adjoint,

8 Décision rendue le 26 juin 1996

9 Le Procureur contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic

10 Demande de complément d’information :

11 La Chambre,

12 Vu les articles 21 du Statut et 61 du Règlement de procédure

13 et de preuve du Tribunal («le Règlement»),

14 Saisie par le Procureur aux fins d’un nouvel examen des actes

15 d’accusation à l’encontre de Radovan Karadzic et de Ratko Mladic, affaires

16 IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, dont les audiences publiques doivent se tenir

17 à partir du 27 juin 1996 au siège du Tribunal, conformément à l’article 61

18 du Règlement,

19 Saisie par le Greffe d’un mandat dont l’accusé Radovan

20 Karadzic a investi le 25 juin 1996 maître Igor Pantelic, avocat au Barreau

21 de Belgradee, et d’une demande d’intervention de ce conseil au cours des

22 audiences de la procédure de nouvel examen des actes d’accusation,

23 Attendu que le mandat qui est soumis à la Chambre, ainsi que

24 la demande dont elle est saisie,soient formulés en des termes imprécis,

25 Décide qu’il convient dès lors de demander à Maître Igor

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1 Pantelic de préciser par écrit l’objet et les motivations juridiques de sa

2 demande, aux fins d’intervention devant la Chambre;

3 Dit que cette requête écrite devra être déposée auprès du

4 Greffe le jeudi 27 juin 1996 à 9 heures.

5 Signé : Claude Jorda, Président de la Chambre

6 Ainsi ordonné ce 26 juin 1996, à La Haye, Pays-Bas.»

7 Conformément aux instructions de la Chambre, j’ai donc informé

8 téléphonique hier tardivement, en fin de soirée, Maître Pantelic d’avoir à

9 présenter une requête explicitant sa demande, et je suis en mesure

10 d’indiquer, à la fois à la Chambre et au Bureau du Procureur, que nous

11 avons désormais reçu quelques minutes avant l’audience cette motion.

12 M. le Président. - Merci Monsieur le Greffier. Comme je le

13 rappelais à l’instant, la procédure de l’article 61 -dans nos règles-

14 exclut la présence d’un mandataire puisqu’elle est destinée à l’exposé par

15 le Procureur de l’ensemble des charges pesant sur un accusé, qui par

16 ailleurs a été informé des actes d’accusation et des mandats qui

17 accompagnaient ces actes.

18 Je rappelle -pour que les choses soient très claires- que dans

19 la procédure de l’article 61, lorsque le mandat d’arrêt n’a pas été

20 exécuté dans un délai raisonnable, le Juge qui avait confirmé saisit le

21 Procureur qui doit lui exposer toutes les mesures qui ont été prises pour

22 s’assurer que les actes d’accusation ont bien été signifiés à l’accusé et

23 que les mandats ont été portés à sa connaissance. C’est une formalité

24 obligatoire.

25 Ces formalités ont été accomplis par les deux juges de la

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1 confirmation, respectivement le Juge Fouad Riad et le Juge Claude Jorda le

2 18 juin dernier. Cette procédure explique donc bien sûr la présence d’un

3 mandataire.

4 Néanmoins, la présence et la demande encore imprécise de

5 Maître Pantelic rendent nécessaire que le Tribunal délibère sur-le-champ

6 afin de décider -pour l’instant et à ce stade de la procédure- si Maître

7 Pantelic peut être admis dans la salle d’audience. La Chambre va

8 délibérer sur le siège et sur-le-champ.

9 (délibérations)

10 Le Tribunal décide d'admettre Maître Pantelic à ce stade de la

11 procédure dans la salle d'audience et il assistera à la lecture par

12 Monsieur le Greffier de sa motion explicative dont le Tribunal n'a

13 d'ailleurs pas à ce moment la connaissance, puisqu'elle a été déposée au

14 Greffe il y a à peine une heure.

15 Monsieur le Greffier, je vais vous demander d'introduire

16 Maître Pantelic dans la salle d'audience. Merci Monsieur le Greffier.

17 Maître Pantelic, pouvez-vous d'abord vous lever et vous

18 présenter ?

19 Maître Pantelic (interprétation du serbo-croate). - Monsieur

20 le Président, Honorable Juges, je m'appelle Igor Pantelic, avocat au

21 barreau de Belgradee. J'agis ici en qualité de conseil de la défense au

22 nom du Docteur Radovan Karadzic, sur la base de la requête que j'ai

23 déposée hier.

24 M. le Président. - Merci. Vous pouvez vous asseoir.

25 Maître Pantelic, le Tribunal a été saisi hier d'une demande

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1 imprécise, qui était un mandat général dans la défense des intérêts de

2 votre client, d'un des deux accusés, le Docteur Karadzic. Le Tribunal a

3 souhaité, comme l'a d'ailleurs indiqué publiquement à l'instant le

4 Greffier, et comme vous avez pu l'entendre depuis la salle du public, que

5 soit apporté un complément d'information à votre propre requête.

6 Maître Pantelic, le Tribunal, qui vous a déjà vu dans cette

7 enceinte, sait que vous connaissez les règles de notre règlement de

8 procédure. Il salue par-là même la connaissance par vous du fonctionnement

9 du Tribunal pénal et international, et je suppose donc au nom également de

10 votre client.

11 Le Tribunal a décidé que lorsqu'un avocat se présente devant

12 cette instance internationale, dont les règles sont au plus haut des

13 standard internationaux, aussi bien par rapport à l'accusation et par

14 rapport à la défense, et dans le but et l'objet d'un procès équitable, il

15 convenait de vous entendre pour entendre d'abord votre motion et vous

16 demander de savoir si cette motion correspond bien à votre pensée. Nous

17 allons la faire lire par Monsieur le Greffier, car le Tribunal ne la

18 connaît pas encore.

19 Je vous demanderai ensuite, Maître Pantelic -et je vous

20 demande de bien faire attention à ce que je vais vous demander- de

21 formuler quelques très brèves explications.

22 Monsieur le Greffier, pouvez-vous lire la motion

23 complémentaire déposée par Maître Pantelic ce matin à 9 heures, ceci à

24 l'intention du Tribunal et du Bureau du Procureur ?

25 M. le Greffier Marro. - « Motion de la défense dans l'intérêt

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1 de Radovan Karadzic.

2 Conformément à l'Article 54 du Règlement de procédure et de

3 preuve, le conseil de la défense a introduit la présente requête et

4 affirme ce qui suit.

5 1) Le 26 juin 1996, la défense a déposé au Greffe une copie de

6 la procuration signée par le Docteur Radovan Karadzic, par laquelle ce

7 dernier autorise Igor Pantelic à le représenter en qualité de conseil de

8 la défense devant le Tribunal pénal international.

9 2) Conformément à l'Article 44 du Règlement de procédure et de

10 preuve, le conseil de la défense, mandaté par l'accusé, est tenu de

11 déposer son mandat auprès du Greffier dès que possible, à tout stade de la

12 procédure.

13 3) Conformément à l'Article 21 du Statut du Tribunal, et aux

14 articles pertinents du Pacte international des Nations Unies relatif aux

15 droits civils et politiques et à la Convention de sauvegarde des Droits de

16 l'Homme et des libertés fondamentales, tout accusé jouit de l'un des

17 Droits de l'Homme fondamentaux, à savoir le droit d'assurer sa défense en

18 faisant appel à un conseil choisi par ses soins, et ce, sans restriction

19 aucune.

20 4) La présence du conseil de la défense dans la salle

21 d'audience, lors de la présentation de l'acte d'accusation par le

22 Procureur, n'est pas contraire à l'esprit de l'Article 61 du Règlement de

23 procédure et de preuve.

24 De plus, cette présence témoigne d'un effort significatif

25 accompli en vue de garantir l'un des principaux Droits de l'Homme de

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1 l'accusé.

2 La défense sollicite dès lors la possibilité d'être présente

3 dans la salle d'audience, durant l'audience publique, fixée en l'espèce,

4 ainsi que le libre accès à tous documents et dossiers pertinents que le

5 Procureur soumettra à ce stade de la procédure.

6 Signé : Igor Pantelic, La Haye le 27 juin 1996. »

7 C’est donc une motion que nous avons reçue aux alentours de 9

8 h 30 ce matin.

9 M. le Président. - Merci Monsieur le Greffier. Le Tribunal

10 considère que la procédure de l'Article 61 n'a pas encore débuté, mais

11 tient à entendre en quelques très brèves explications, Maître Pantelic.

12 Après quoi, je demanderai également quelques brèves explications au Bureau

13 du Procureur.

14 Maître Pantelic vous avez la parole.

15 Maître Pantelic (interprétation du serbo-croate). - Merci

16 beaucoup Monsieur le Président. En sus de la motion que j'ai déposée

17 auprès du Greffe ce matin, j'aimerais souligner qu'il n'est pas contraire

18 à la procédure, conformément à l'Article 61 du Règlement de procédure et

19 de preuve, que la défense soit présente dans la salle pendant cette

20 procédure.

21 Je tiens à dire que la position du conseil de la défense à ce

22 stade de la procédure correspond entièrement aux Droits de l'Homme de

23 l'accusé ou du suspect.

24 Le Tribunal aborde le Règlement d'une façon très large, et à

25 mon avis il existe une marge de manoeuvre permettant au conseil de la

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1 défense de suivre cette partie de la procédure relative à l'acte

2 d'accusation, et ce bien entendu sans aucune ingérence dans la procédure

3 en question, totalement respectée par la défense.

4 Ce sera tout, Monsieur le Président, je vous remercie.

5 M. le Président. - Merci Maître Pantelic. Je me tourne vers le

6 bureau du Procureur. Avez-vous quelques observations, brèves également, à

7 apporter à la fois sur la motion écrite telle qu’elle a été lue par

8 Monsieur le Greffier, et éventuellement sur les quelques brèves

9 observations en complément qu’a apportées Maître Pantelic ?

10 Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

11 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci Monsieur le

12 Président. Tout ceci représente quelque peu une surprise pour nous,

13 puisque nous n’avons vu le contenu de la motion qu’il y a quelques

14 minutes.

15 Cela dit, nous avons quelques commentaires à apporter.

16 L’accusation se félicite bien entendu du fait que Radovan Karadzic semble

17 avoir reconnu l’existence de ce tribunal et se soit doté d’un Conseil de

18 la défense.

19 Toutefois, nous sommes ici en audience ex parte, comme vous-

20 même, Monsieur le Président, l’avez déjà souligné au titre de l’article

21 61, étant donné qu’il n’a pas été possible d’exécuter un mandat d’arrêt.

22 Ceci n’est pas un jugement par contumace.

23 Je pense, Monsieur le Président, que la présence d’un conseil

24 de la défense pourrait transformer ces travaux, caractérisés par les

25 arguments présentés par l’accusation, en un procès par contumace qui n’est

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1 pas autorisé en vertu de notre statut.

2 Cela porterait préjudice aux droits de l’accusé d’être jugé en

3 sa présence, conformément au droit humanitaire international.

4 En vertu de ce que dit Maître Pantelic à l’article 3 de sa

5 motion, évoquant le pacte international relatif aux droits civiques et

6 politiques, et de ce qu’il dit également sur le document concernant les

7 Droits de l’Homme, il n’a pas sa place dans le cadre défini ici

8 aujourd’hui dans cette audience.

9 Monsieur le Président, je voudrais souligner que pour ce qui

10 me concerne, je ne vois aucune justification pour que Monsieur Igor

11 Pantelic soit présent dans la salle d’audience, à moins d’amener avec lui

12 son client. Il est tout à fait libre, bien entendu de suivre les travaux

13 de ce tribunal depuis la salle des audités.

14 M. le Président. - Merci Monsieur le Procureur. L’audience est

15 suspendue, à charge de délibérer sur la motion présentée par Maître

16 Pantelic.

17 (L’audience est suspendue à 10 heures 30).

18 M. Le Président. - Je vais lire la décision prise par la

19 Chambre. Je vais la lire lentement pour que la cabine d'interprétation

20 puisse assurer son travail dans les meilleures conditions d'écoute

21 possible, pour chacune des parties, comme pour le public.

22 «La Chambre de première instance

23 Vu les articles 21 du Statut et 61 du Règlement de procédure

24 et de preuve;

25 Vu la décision de la Chambre de demande d'information

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1 supplémentaire en date du 26 juin 1996,

2 Entendu le Greffier en la lecture de la requête de Maître

3 Pantelic et les explications complémentaires de ce dernier,

4 Entendu le Procureur à l'audience,

5 Attendu que la procédure, en cas d'inexécution d'un mandat

6 d'arrêt organisé par l'article 61 du Règlement de preuve et de procédure

7 ("le Règlement"), permet de procéder à un nouvel examen en audience

8 publique et par une collégialité d'un acte d'accusation,

9 Attendu que l'accès requis par Maître Pantelic aux documents

10 et dossiers pertinents que le Procureur soumettra lors de la procédure de

11 l'article 61 ne saurait être admis que dans le cadre d'un procès, à la

12 suite d'une comparution initiale de l'accusé présent physiquement, en

13 application de l'article 66 du Règlement de preuve et de procédure,

14 Que l'accusé bénéficiera également à ce moment des autres

15 droits qui lui sont reconnus par les dispositions de l'article 21 du

16 Statut,

17 Attendu que la procédure de l’article 61 ne saurait s'analyser

18 en un procès,

19 Attendu que cette procédure préserve totalement les droits de

20 l'accusé,

21 Qu'en effet ce dernier s'est vu notifier les actes

22 d'accusation préalablement à cette procédure d'une part, et qu'il dispose

23 du droit à se présenter accompagné de son conseil devant le Tribunal

24 d'autre part,

25 Qu'en ce cas la procédure change de nature et devient un

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1 procès contradictoire accompagné de toutes les garanties inhérentes à un

2 procès équitable,

3 Attendu cependant que la présence de Maître Pantelic et sa

4 demande d'assister à cette procédure en vertu de l’article 61, en

5 l'absence physique de l'accusé, peut dès lors s'analyser dans la présente

6 espèce comme ressortissant d'un des principes généraux du droit de la

7 défense interprété ici comme un droit à la meilleure information possible

8 de son client prévu par l’article 21, paragraphe 4 a) du Statut du

9 Tribunal,

10 Attendu que les juges de confirmation ont estimé dans leurs

11 ordonnances du 18 juin 1996 que la condition relative à l'information de

12 l'accusé Radovan Karadzic a été pleinement remplie ainsi que démontré par

13 le Procureur,

14 Attendu cependant que la Chambre estime, qu'à moins que le

15 conseil n'y renonce, cette information pourrait utilement être complétée

16 ce jour par la lecture des actes d'accusation en présence du conseil

17 choisi par l'accusé,

18 Attendu par ailleurs que la Chambre, soucieuse de permettre à

19 l'avocat désigné d'informer son client des charges pesant sur lui, estime

20 qu'un statut d'observateur doit lui être reconnu,

21 Par ces motifs, la Chambre prend acte du mandat déposé par

22 Maître Pantelic au nom de Radovan Karadzic,

23 Invite le Greffier à donner lecture en présence de Maître

24 Pantelic dans la salle d'audience des deux actes d'accusation pris à

25 l'encontre de Radovan Karadzic sous réserve d'une renonciation expresse de

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1 Maître Pantelic,

2 Rejette la requête de Maître Pantelic consistant à assurer sa

3 présence continue en salle d'audience lors de la procédure de l'article 61

4 et son accès libre aux documents et dossiers que le Procureur soumettra,

5 Dit que Maître Pantelic sera ensuite reconduit dans la partie

6 publique de la salle d'audience où un siège lui sera réservé durant toute

7 l'audience en qualité d'observateur.»

8 Ayant pris cette décision, je me tourne vers Maître Pantelic.

9 J'espère que ma lecture lente dans la langue française qu'il comprend lui

10 aura donc pleinement reçue. La Chambre, sauf si vous y renonciez, se

11 propose, vous étant dans la salle d'audience, et pour cette partie

12 uniquement de l'audience, de faire lire par M. le Greffier l'intégralité

13 des deux actes d'accusation qui concernent votre client. Etes-vous

14 d'accord Maître Pantelic ?

15 (Signe de tête positif de Maître Pantelic).

16 Dans ces conditions, et après cela bien entendu, nous

17 suspendrons et l'audience reprendra son cours. Je demanderai à M. le

18 Greffier qu'un siège spécialement adapté dans la galerie soit réservé

19 pendant toutes les autres journées pour Maître Pantelic, dans son statut

20 d'observateur.

21 Monsieur le Greffier, pouvez-vous ou êtes-vous en mesure de

22 procéder à la lecture complète des deux actes d'accusation qui ont été

23 émis par le Procureur et qui ont été confirmés respectivement au mois de

24 juillet 1995 par le juge Jorda et au mois de novembre de cette même année

25 par le juge Riad ? Monsieur le Greffier vous avez la parole.

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1 M. Le Greffier Marro. - Le Procureur du Tribunal contre

2 Radovan Karadzic /Ratko Mladic. Acte d'accusation.

3 «Richard J. Goldstone, Procureur du Tribunal pénal

4 international pour l'ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs que lui

5 confère l'article 18 du Statut du Tribunal pénal international pour

6 l'ex-Yougoslavie ("le Statut du Tribunal"), accuse :

7 LES ACCUSES

8 1. RADOVAN KARADZIC, né le 19 juin 1945 dans la municipalité de

9 Savnik, République du Monténégro. Il est le président de

10 l'administration des Serbes de Bosnie à Pale depuis le 13 mai 1992

11 environ.

12 2. RATKO MLADIC, né le 12 mars 1943 dans la municipalité de

13 Kalinovik, en République de Bosnie-Herzégovine. Il est officier de

14 carrière dans l'armée des Serbes de Bosnie avec le rang de Général.

15 Il occupe les fonctions de Commandant de l'armée de l'administration

16 des Serbes de Bosnie depuis le 14 mai 1992 environ.

17 RESPONSABILITE DES SUPERIEURS HIERARCHIQUES

18 RADOVAN KARADZIC

19 3. RADOVAN KARADZIC est l'un des membres fondateurs et le président

20 du Parti démocratique serbe (SDS) de ce qui était alors la République

21 socialiste de Bosnie-Herzégovine. Le SDS était le principal parti

22 politique des Serbes en Bosnie-Herzégovine. En sa qualité de

23 président du SDS, Karadzic était et reste le plus puissant dirigeant

24 officiel du parti. Ses fonctions de président comprennent la

25 représentation du parti, la coordination des activités de ses

Page 16

1 différents organes et l'exécution de ses tâches et objectifs

2 programmatiques. Il continue d'occuper ce poste.

3 4. RADOVAN KARADZIC est devenu le premier président de

4 l'administration des Serbes de Bosnie à Pale vers le 13 mai 1992. A

5 l'époque à laquelle il est entré en fonction, ses pouvoirs de jure,

6 décrits dans la constitution de l'administration des Serbes de

7 Bosnie, comprenaient, sans y être limités, le commandement de l'armée

8 de ladite administration en temps de guerre et de paix et le pouvoir

9 de nommer, promouvoir et limoger les officiers de ladite armée.

10 5. En plus de ses pouvoirs constitutionnels, les pouvoirs de RADOVAN

11 KARADZIC en qualité de président de l'administration des Serbes de

12 Bosnie sont renforcés par les dispositions de l'article 6 de la Loi

13 serbe bosniaque sur la défense populaire, qui l'habilite notamment à

14 superviser la Défense du territoire en temps de paix et de guerre et

15 à donner des ordres pour l'utilisation des forces de police en cas de

16 guerre, de menace immédiate ou de toute autre urgence. L'article 39

17 de la même Loi l'habilite, en cas de menaces imminentes de guerre ou

18 autres urgences, à déployer des unités de Défense du territoire en

19 vue de maintenir l'ordre.

20 6. Les pouvoirs de RADOVAN KARADZIC sont encore renforcés par

21 l'article 33 de la Loi serbe bosniaque sur les affaires intérieures,

22 qui l'autorise à mobiliser les forces de réserve de la police en cas

23 d'urgence.

24 7. RADOVAN KARADZIC exerce les pouvoirs décrits ci-avant, agit et est

25 traité à l'échelon international comme le président de

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1 l'administration des Serbes de Bosnie à Pale. En cette capacité, il

2 a, inter alia, participé à des négociations internationales et conclu

3 personnellement des accords sur des questions comme des cessez-le-feu

4 et l’aide humanitaire, lesquels accords ont été appliqués.

5 RATKO MLADIC

6 8. RATKO MLADIC a été nommé Commandant du 9e corps de l'armée

7 populaire yougoslave (JNA) à Knin, en République de Croatie, en 1991.

8 En mai 1992, il a pris le commandement des forces du Deuxième

9 district militaire de la JNA, qui est alors devenue effectivement

10 l'armée des Serbes de Bosnie. Il a le rang de Général et est, depuis

11 le 14 mai 1992 environ, le Commandant de l'armée de l'administration

12 des Serbes de Bosnie.

13 9. RATKO MLADIC a démontré sa maîtrise des questions militaires en

14 négociant, inter alia, des accords de cessez-le-feu et d’échanges de

15 prisonniers; des accords relatifs à l'ouverture de l'aéroport de

16 Sarajevo; des accords relatifs à l'accès des convois d’aide

17 humanitaire; et des accords contre le recours à des tireurs isolés.

18 Tous les accords précités ont été appliqués.

19 CONTEXTE GENERAL

20 10. A toutes les époques concernées dans le présent acte

21 d'accusation, le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine,

22 en ex-Yougoslavie, était le théâtre d'un conflit armé et se trouvait

23 sous occupation partielle.

24 11. Tous les actes ou omissions présentés comme des infractions

25 graves aux Conventions de Genève visées à l'article 2 du Statut du

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1 Tribunal se sont produits durant ce conflit armé et cette occupation

2 partielle.

3 12. Dans chacun des paragraphes relatifs au chef d'accusation de

4 crimes contre l'humanité, lequel est sanctionné par l'article 5 du

5 Statut du Tribunal, les actes ou omissions allégués faisaient partie

6 d'une offensive généralisée, à grande échelle ou systématique,

7 dirigée contre une population civile.

8 13. L'expression "membres des forces de maintien de la paix des

9 Nations Unies", utilisée à travers tout le présent acte d'accusation,

10 comprend les observateurs militaires des Nations Unies.

11 14. Les membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies

12 et les civils visés dans le présent acte d'accusation étaient, à

13 toutes les époques concernées, des personnes protégées par les

14 Conventions de Genève de 1949.

15 15. Les accusés visés par le présent acte d'accusation étaient tenus

16 de se conformer aux prescriptions des lois ou coutumes de la guerre,

17 y compris des Conventions de Genève de 1949.

18 CHEFS D'ACCUSATION

19 16. Les chefs d'accusation figurant dans le présent acte d'accusation

20 sont répartis en trois parties :

21 La Partie I de l'acte d'accusation - chefs 1 à 9 - un crime de

22 génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes perpétrés contre

23 les populations civiles et contre les édifices du culte sur

24 l'ensemble du territoire de la République de Bosnie-Herzégovine.

25 La Partie II de l'acte d'accusation - chefs d'accusation 10 à 12 -

Page 19

1 des crimes relatifs à la campagne de tirs isolés contre des civils à

2 Sarajevo.

3 La Partie III de l'acte d'accusation - chefs d’accusation 13 à 16 -

4 des crimes relatifs à la prise en otages de membres des forces du

5 maintien de la paix des Nations Unies.

6 PARTIE I

7 CHEFS D'ACCUSATION 1-2

8 (GENOCIDE)

9 (CRIME CONTRE L'HUMANITE)

10 17. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, depuis avril 1992, par

11 leurs actes et omissions sur le territoire de la République de

12 Bosnie-Herzégovine, commis un génocide.

13 18. Des civils musulmans bosniaques et croates bosniaques ont été

14 persécutés pour des raisons nationales, politiques et religieuses sur

15 tout le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine. Des

16 milliers d’entre-eux ont été internés dans des camps de détention, où

17 ils ont fait l’objet de violences physiques et psychologiques

18 généralisées et où ils ont été soumis à des conditions inhumaines. Le

19 personnel des camps de détention qui administrait les camps

20 d’Omarska, Keraterm et Luka, entre autres, y compris mais sans y être

21 limité, Zeljko Meakic (Omarska), Dusko Sikirica (Keraterm) et Goran

22 Jelisic (Luka), avaient l’intention de détruire des civils musulmans

23 bosniaques et croates bosniaques en tant que groupe national,

24 ethnique ou religieux et ont tué, gravement blessé et délibérément

25 infligé auxdits civils des conditions visant à leur destruction

Page 20

1 physique. Les conditions prévalant dans les camps de détention,

2 décrites aux paragraphes 20 à 22 ci-après, sont ici intégralement

3 incorporées.

4 19. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, entre avril 1992 et juillet

5 1995, sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine, par

6 leurs actes et omissions, et de concert avec d'autres, commis un

7 crime contre l'humanité en persécutant des civils musulmans

8 bosniaques et croates bosniaques pour des raisons nationales,

9 politiques et religieuses. Ainsi qu'il est précisé ci-après, ils

10 sont pénalement responsables de la détention illégale, du meurtre, du

11 viol, des violences sexuelles, de la torture, des coups et blessures,

12 des vols et des traitements inhumains infligés à des civils; la prise

13 pour cible de dirigeants

14 politiques, d'intellectuels et de professionnels; l'expulsion et le

15 transfert illégaux de civils; le pilonnage illégal de civils;

16 l'appropriation illégale et le pillage de biens meubles et immeubles;

17 la destruction de maisons et d'établissements industriels et

18 commerciaux; et la destruction d'édifices du culte.

19 CAMPS D'INTERNEMENT

20 20. Dès que des forces militaires de Bosnie et d’ailleurs en ex-

21 Yougoslavie ont commencé à attaquer des villes et villages dans la

22 République de Bosnie-Herzégovine, des milliers de civils musulmans

23 bosniaques et croates bosniaques ont été systématiquement choisis et

24 rassemblés pour des raisons nationales, ethniques, politiques ou

25 religieuses et incarcérés dans des camps d'internement répartis sur

Page 21

1 l'ensemble du territoire occupé par les Serbes de Bosnie. Ces camps

2 comprennent, sans y être limités :

3 Camps d'internement Dates d'existence

4 Omarska mai-août 1992

5 Keraterm mai-août 1992

6 Trnopolje mai-décembre 1992

7 Luka mai-juillet 1992

8 Manjaca été 1991-décembre 1992

9 Susica juin 1992-septembre

10 1992

11 KP Dom Foca avril-milieu de 1993

12 21. Bon nombre de ces camps d'internement étaient dotés d'un

13 personnel militaire et policier et de leurs agents qui en assuraient

14 l'administration, sous le contrôle de RADOVAN KARADZIC et RATKO

15 MLADIC. De plus, des interrogateurs appartenant aux forces

16 policières et militaires serbes bosniaques pouvaient accéder sans

17 entrave à tous les camps d'internement et opéraient en conjonction

18 avec le personnel chargé du contrôle desdits camps. Ces camps et ce

19 personnel comprennent, sans y être limités :

20 Camp Commandant Gardiens

21 Omarska Zeljko Meakic (police) police/milit.

22 Keraterm Dusko Sikirica (police) police/milit.

23 Trnopolje Slobodon Kuruzovic (milit.)

24 police/milit.

25 Luka Goran Jelisic

Page 22

1 paramilitaire

2 Manjaca Bozidar Popovic (milit.) militaires

3 Susica Dragan Nikolic (milit.)

4 militaires

5 KP Dom Foca Milorad Krnojelac militaires

6 22. Des milliers de civils musulmans bosniaques et croates

7 bosniaques, y compris des femmes, enfants et personnes âgées, ont été

8 détenus dans ces camps pendant de longues périodes. Ils ont été

9 privés des garanties d'une procédure judiciaire, et leur internement

10 n'était pas justifié par des impératifs militaires. Ils ont été

11 détenus, dans une grande mesure, du fait de leur identité nationale,

12 religieuse et politique. Les conditions de vie dans les camps

13 d'internement étaient inhumaines et exécrables. Le personnel

14 militaire et policier serbe bosniaque chargé de ces camps, y compris

15 Dragan Nikolic (Susica), Zeljko Meakic (Omarska), Dusko Sikirica

16 (Keraterm) et d'autres personnes d'un rang hiérarchique inférieur,

17 ont infligé aux détenus civils des atteintes à leur intégrité

18 physique et mentale, des menaces et des mauvais traitements. Le

19 personnel des camps d’internement, ayant l’intention de détruire les

20 Musulmans bosniaques et les Croates bosniaques en tant que groupe

21 national, ethnique, ou religieux, ont tué, gravement blessé et

22 infligé délibérément à ces personnes des conditions visant à leur

23 destruction physique. Des détenus ont à maintes reprises assisté

24 et/ou fait l'objet d'actes inhumains, y compris les suivants :

25 meurtre, viol, violences sexuelles, torture, coups et blessures, vol,

Page 23

1 ainsi que d'autres formes d'atteintes à l'intégrité mentale et

2 physique. Dans de nombreux cas, des femmes et des filles détenues

3 ont été violées dans les camps ou ont été retirées de ces camps et

4 fait l'objet de viols et autres violences sexuelles en d'autres

5 endroits. Les rations alimentaires quotidiennes fournies aux détenus

6 étaient insuffisantes et correspondaient souvent à des rations de

7 famine. Les soins médicaux dispensés aux détenus étaient insuffisants

8 ou inexistants et les conditions générales d'hygiène étaient

9 totalement inadéquates.

10 PRISE POUR CIBLE DE DIRIGEANTS POLITIQUES, INTELLECTUELS

11 ET PROFESSIONNELS

12 23. Les dirigeants politiques et les membres du parti politique

13 essentiellement musulman bosniaque, le Parti d'action démocratique

14 (SDA) ainsi que du principal parti politique croate bosniaque,

15 l'Union démocrate croate (HDZ), des villes de Prijedor, Vlasenica,

16 Bosanski Samac et Foca, notamment, ont été particulièrement ciblés

17 aux fins de persécution par le personnel militaire et policier serbe

18 bosniaque et leurs agents, sous la direction et le contrôle de

19 RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC. Dans de nombreux cas, des listes

20 identifiant les dirigeants du SDA et du HDZ ont été fournies par le

21 SDS au personnel militaire et policier serbe bosniaque et à leurs

22 agents. Sur la base de ces listes, des dirigeants politiques

23 musulmans bosniaques et croates bosniaques ont été arrêtés, internés,

24 ont fait l'objet de violences physiques et ont, dans de nombreux cas,

25 été exécutés. Certains dirigeants locaux du SDA qui ont été

Page 24

1 persécutés en raison de leurs convictions politiques comprennent,

2 sans y être limités, Muhamed Cehajic (Prijedor), Suleman Tihic

3 (Bosanki Samac) et Ahmet Hadzic (Brcko).

4 24. En plus des persécutions de dirigeants politiques musulmans

5 bosniaques et croates bosniaques, les forces militaires et policières

6 serbes bosniaques et leurs agents ont systématiquement pris comme

7 cibles aux fins de persécution pour des raisons nationales ou

8 religieuses, les intellectuels et professionnels musulmans bosniaques

9 et croates bosniaques dans de nombreuses villes et villages, y

10 compris notamment Prijedor, Vlasenica, Bosanski Samac et Foca. Les

11 personnes persécutées comprennent, sans y être limitées, Abdullah

12 Puskar (universitaire), Ziko Crnalic (homme d'affaires) et Esad

13 Mehmedalija (avocat) de Prijedor; Osman Vatic (avocat) de Brcko.

14 25. Des milliers de Musulmans bosniaques et de Croates bosniaques des

15 régions de Vlasenica, Prijedor, Bosanski Samac, Brcko et Foca,

16 notamment, ont été systématiquement arrêtés et mis en détention dans

17 des camps d'internement établis et administrés par les forces

18 militaires et policières serbes bosniaques et leurs agents, puis

19 expulsés ou déportés illégalement vers des endroits à l'intérieur et

20 à l'extérieur de la République de Bosnie-Herzégovine. De plus, des

21 civils musulmans bosniaques et croates bosniaques, y compris des

22 femmes, enfants et personnes âgées, ont été enlevés directement de

23 leurs domiciles et utilisés dans le cadre d'échanges de prisonniers

24 par les forces militaires et policières serbes bosniaques et leurs

25 agents sous le contrôle et la direction de RADOVAN KARADZIC et RATKO

Page 25

1 MLADIC. Ces expulsions et autres n'étaient pas des évacuations

2 motivées par des raisons de sécurité ou des exigences militaires ou

3 pour toute autre raison légale, et elles ont, en conjonction avec

4 d'autres actions dirigées contre la population musulmane bosniaque et

5 croate bosniaque, résulté en une réduction significative ou en

6 l'élimination des Musulmans bosniaques et des Croates bosniaques de

7 certaines régions occupées.

8 PILONNAGE DE RASSEMBLEMENTS CIVILS

9 26. A compter de juillet 1992 et jusqu'en juillet 1995, les forces

10 militaires serbes bosniaques, sous la direction et le contrôle de

11 RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, ont tiré illégalement sur des

12 rassemblements civils sans signification militaire dans le but de

13 tuer, terroriser et démoraliser la population civile musulmane

14 bosniaque et croate bosniaque. Ces incidents comprennent, sans y

15 être limités :

16 Lieu/type de rassemblement Municipalité Date Victimes

17 Sarajevo (pique-nique) Sarajevo 03/07/92 10

18 Sarajevo (aéroport) Sarajevo 11/02/93 4

19 Srebenica (terrain de jeu) Srebrenica 12/4/93 15

20 Dobrinja (match de football) Sarajevo 01/06/93 146

21 Dobrinja (approvisionnement)Sarajevo 12/07/93 27

22 Sarajevo (rue résidentielle) Sarajevo 28/11/93 11

23 Ciglane Market (marché Sarajevo 06/12/93 20

24 aux fruits)

25 Alipasino Polje (enfants jouant)Sarajevo 22/01/94 10

Page 26

1 Cetinjska St (enfants jouant) Sarajevo 26/10/94 7

2 Sarajevo (Livanjska Street) Sarajevo 08/11/94 7

3 Sarajevo (marché aux puces) Sarajevo 22/12/94 9

4 Tuzla (place) Tuzla 24/05/95 195

5 APPROPRIATION ET PILLAGE DE BIENS

6 27. Peu de temps après l'ouverture des hostilités armées en

7 République de Bosnie-Herzégovine, les forces serbes bosniaques ont

8 rapidement éliminé la résistance armée dans la plupart des villes et

9 des villages. Durant et après la consolidation de leurs gains, le

10 personnel militaire et policier serbe bosniaque et d'autres agents de

11 l'administration serbe bosniaque, sous la direction et le contrôle de

12 RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, se sont appropriés et ont pillé

13 systématiquement et arbitrairement les biens meubles et immeubles de

14 civils musulmans bosniaques et croates bosniaques. L'appropriation

15 des biens a eu lieu sur une grande échelle, sans être justifiée par

16 des nécessités militaires. Elle a été observée d'avril 1992 à

17 janvier 1993 dans les municipalités de Prijedor, Vlasenica et

18 Bosanski Samac, notamment.

19 28. L'appropriation et le pillage desdits biens se sont déroulés de

20 la manière et sous les formes suivantes, notamment :

21 A. Des milliers de civils musulmans bosniaques et croates bosniaques

22 ont été jetés dans des camps d'internement où ils sont restés pendant

23 de longues périodes. Lors de leur arrivée dans ces camps

24 d'internement, le personnel administrant lesdits camps a

25 systématiquement volé les biens personnels des détenus, y compris

Page 27

1 bijoux, montres, fonds en espèces et autres objets de valeur. Des

2 reçus ont rarement été remis aux détenus pour les biens confisqués et

3 ils ont rarement retrouvé leurs biens lors de leur élargissement.

4 B. Des civils internés dans ces camps ont été les témoins et/ou ont

5 fait l'objet d'atteintes à leur intégrité physique et mentale. Après

6 avoir assisté et fait l'objet de mauvais traitements, des milliers de

7 détenus ont été transférés de force de ces camps dans des endroits

8 situés à l'intérieur et à l'extérieur de la République de Bosnie-

9 Herzégovine. Avant ce transfert forcé, de nombreux détenus ont été

10 contraints de signer des documents officiels serbes bosniaques par

11 lesquels ils abandonnaient "volontairement" à l'administration serbe

12 bosniaque le titre de propriété et la possession de leurs biens

13 meubles et immeubles.

14 C. Dans de nombreux cas, des détenus civils musulmans bosniaques et

15 croates bosniaques ont été emmenés des camps d'internement à leur

16 domicile et à leur établissement industriel ou commercial et

17 contraints de remettre à leurs escortes leurs fonds et autres biens

18 de valeur. Dans d'autres cas, ils ont servi à charger dans des

19 camions, pour des destinations inconnues, les biens confisqués dans

20 des maisons et des établissements industriels ou commerciaux

21 musulmans bosniaques et croates bosniaques. Ces événements se sont

22 déroulés avec le consentement et l'approbation des responsables du

23 contrôle des camps d'internement.

24 D. De nombreux civils musulmans bosniaques et croates bosniaques,

25 qui n'ont pas été internés dans des camps, ont été contraints de

Page 28

1 rester dans leurs collectivités, où ils ont fait l'objet d'atteintes

2 à leur intégrité physique et mentale de la part du personnel

3 militaire et policier serbe bosniaque et de leurs agents, des forces

4 paramilitaires et d'éléments criminels de la communauté serbe

5 bosniaque. Les conditions sont devenues intolérables pour beaucoup

6 d'entre-eux et ils sont partis. Avant de partir, de nombreux civils

7 ont été contraints de signer des documents officiels serbes

8 bosniaques par lesquels ils abandonnaient "volontairement" à

9 l'administration serbe bosniaque leurs droits sur leurs biens meubles

10 et immeubles. Dans certains cas, des civils musulmans bosniaques et

11 croates bosniaques qui avaient quitté leurs collectivités ont été

12 autorisés à emmener des montants limités de biens personnels et

13 d'argent, mais même ces biens ont été volés aux postes de contrôle

14 serbes bosniaques ou en d'autres endroits.

15 E. Dans de nombreux cas durant et après la prise militaire de villes

16 et villages par les forces serbes bosniaques, le personnel militaire

17 et policier serbe bosniaque et leurs agents sont entrés dans les

18 maisons de civils musulmans bosniaques et croates bosniaques et ont

19 pillé leurs biens personnels.

20 DESTRUCTION DE BIENS

21 29. La persécution dans l'ensemble du territoire occupé par les

22 forces militaires et policières serbes bosniaques et leurs agents, ou

23 par des tiers avec leur consentement, a comporté la destruction

24 systématique des maisons et établissements industriels ou commerciaux

25 musulmans bosniaques et croates bosniaques. Ces maisons et

Page 29

1 établissements industriels ou commerciaux ont été sélectionnés et

2 systématiquement détruits dans des zones où les hostilités avaient

3 cessé ou qui avaient été épargnées par les hostilités. Le but de

4 cette destruction illégale était de s'assurer que les habitants ne

5 pourraient pas rentrer et ne rentreraient pas dans leurs domiciles et

6 collectivités. Les villes et villages, ou les quartiers musulmans

7 bosniaques et croates bosniaques de ceux-ci, marqués par la

8 destruction sur une grande échelle des biens immeubles musulmans

9 bosniaques et croates bosniaques comprennent, sans y être limités :

10 Ville/village Municipalité Dates approximatives de

11 destruction

12 Grebnice Bosanski Samac 19-22 avril 1992

13 Hrvatska Tisina Bosanski Samac 19-22 avril 1992

14 Hasici Bosanski Samac 19-22 avril

15 1992

16 Derventa Derventa 4 avril 1992

17 Vijaka Derventa 4 avril 1992

18 Bosanski Brod Bosanski Brod 3 mars

19 1992

20 Odzak Odzak juillet 1992

21 Modrica Modrica fin avril 1992

22 Vidovice Orasje 29 avril et 4

23 mai 1992

24 Gradacac Gradacac milieu de 1992

25 Piskavice Vlasenica 22 avril 1992

Page 30

1 Gobelje Vlasenica 28 avril 1992

2 Turalici Vlasenica 28 avril 1992

3 Djile Vlasenica 1-3 mai 1992

4 Pomol Vlasenica 1er mai 1992

5 Gaj Vlasenica 1er mai 1992

6 Besici Vlasenica 1er mai 1992

7 Nurici Vlasenica 1er mai 1992

8 Vrsinje Vlasenica 1er mai 1992

9 Dzamdzici Vlasenica 8 mai 1992

10 Pivici Vlasenica 11 mai 1992

11 Hambarine Prijedor 23 mai 1992

12 Ljubija Prijedor 23 mai 1992

13 Kozarac Prijedor 24 mai 1992

14 Biscani Prijedor 20 juillet 1992

15 Carakovo Prijedor 20 juillet 1992

16 Rizvanovici Prijedor 20 juillet 1992

17 Sredice Prijedor 20 juillet 1992

18 Zikovi Prijedor 20 juillet 1992

19

20 DESTRUCTION D'EDIFICES DU CULTE

21 30. Les édifices musulmans et catholiques consacrés au culte ont été

22 systématiquement endommagés et/ou détruits par les forces militaires

23 serbes bosniaques et autres. Dans de nombreux cas, ces édifices du

24 culte ont également été endommagés et/ou détruits en l'absence

25 d'action militaire ou après que celle-ci ait cessé. Ces édifices du

Page 31

1 culte comprennent, sans y être limités, ceux mentionnés au paragraphe

2 37 du présent acte d'accusation. Les forces militaires et policières

3 serbes bosniaques n'ont pas pris les mesures raisonnables et

4 nécessaires pour assurer la protection de ces édifices du culte.

5 31. Les événements décrits ci-dessus étaient dirigés contre des

6 civils musulmans bosniaques et croates bosniaques. Individuellement

7 et collectivement, ces actions réalisées par l'administration serbe

8 bosniaque ou pour son compte ont eu lieu sur une si grande échelle et

9 de façon tellement systématique qu'elles ont détruit, traumatisé ou

10 déshumanisé la plupart des aspects de la vie des collectivités

11 musulmanes bosniaques et croates bosniaques dans les régions tombées

12 sous le contrôle de l'administration des Serbes de Bosnie.

13 32. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC savaient ou avaient des raisons

14 de savoir que des subordonnés, dans les camps d’internement,

15 s’apprêtaient à tuer ou à infliger des atteintes physiques ou

16 mentales graves à des Musulmans bosniaques et Croates bosniaques dans

17 l’intention de les détruire, en tout ou en partie, en tant que groupe

18 national, ethnique ou religieux, ou l’avaient fait, et n’ont pas pris

19 les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher lesdits actes

20 ou pour en punir les auteurs.

21 33. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, individuellement et de

22 concert avec d'autres, planifié, incité à commettre, ordonné ou de

23 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou

24 exécuter des persécutions pour des raisons politiques et religieuses,

25 ou savaient ou avaient des raisons de savoir que des subordonnés

Page 32

1 s'apprêtaient à commettre ces persécutions, ou l'avaient fait, et

2 n'ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher

3 que ces actes ne soient commis ou en punir leurs auteurs.

4 Par ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont

5 commis :

6 Chef d’accusation 1 : un GENOCIDE, sanctionné par les articles 4 (2)

7 (a) (b) (c) et 7 (3) du Statut du Tribunal.

8 Chef d'accusation 2 : un CRIME CONTRE L'HUMANITE, sanctionné par les

9 articles 5(h), 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal.

10

11 CHEFS D'ACCUSATION 3 ET 4

12 (INTERNEMENT ILLEGAL DE CIVILS)

13 34. Dès l'ouverture des hostilités en République de Bosnie-

14 Herzégovine, des milliers de civils musulmans bosniaques et croates

15 bosniaques ont été illégalement détenus dans des camps d'internement.

16 Bon nombre de ces camps ont été établis et administrés par les forces

17 militaires et policières serbes bosniaques et leurs agents, sous la

18 direction et le contrôle de RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC. Les

19 conditions de vie dans ces camps étaient inhumaines, ainsi qu'il est

20 décrit aux paragraphes 18 et 20 à 22 du présent acte d'accusation,

21 ici intégralement incorporé. Des civils sans nombre ont fait l'objet

22 de violences ou ont péri dans ces camps d'internement.

23 35. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, individuellement et de

24 concert avec d'autres, planifié, ordonné, incité à commettre ou de

25 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou

Page 33

1 exécuter la détention illégale de civils, ou savaient ou avaient des

2 raisons de savoir que des subordonnés détenaient illégalement des

3 civils, et ils n'ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables

4 pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou pour en punir les

5 auteurs.

6 Par ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont

7 commis :

8 Chef d'accusation 3 : une INFRACTION GRAVE, sanctionnée par les

9 articles 2(g) (détention illégale de civils), 7(1) et 7(3) du Statut

10 du Tribunal.

11 Chef d'accusation 4 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

12 GUERRE, (atteintes à la dignité des personnes), sanctionnée par les

13 articles 3, 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal.

14 CHEF D'ACCUSATION 5

15 (PILONNAGE DE RASSEMBLEMENTS CIVILS)

16 36. Les forces militaires serbes bosniaques ont tiré sur des

17 rassemblements civils ne présentant aucun intérêt militaire, blessant

18 et tuant ainsi des centaines de civils, ainsi qu'il est décrit au

19 paragraphe 24 du présent acte d'accusation, ici intégralement

20 incorporé. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, individuellement et

21 de concert avec d'autres, planifié, incité à commettre, ordonné ou de

22 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou

23 exécuter des attaques illégales contre la population civile et des

24 civils au moyen d'armes de zone comme les mortiers, roquettes et tirs

25 d'artillerie, ou savaient ou avaient des raisons de savoir que les

Page 34

1 forces militaires serbes bosniaques s'apprêtaient à attaquer

2 illégalement la population civile ou des civils, ou l'avaient déjà

3 fait, et n'ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour

4 empêcher ce pilonnage ou pour en punir les auteurs.

5

6 Par ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont

7 commis :

8 Chef d'accusation 5 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

9 GUERRE, (attaques délibérées contre la population civile et contre

10 des civils), sanctionnée par les articles 3, 7(1) et 7(3) du Statut

11 du Tribunal.

12 CHEF D'ACCUSATION 6

13 (DESTRUCTION D'EDIFICES DU CULTE)

14 37. D'avril 1992 à la fin mai 1995, les édifices des cultes musulman

15 et catholique romain ont fait l'objet de dommages et de destruction

16 généralisés et systématiques sur le territoire de la République de

17 Bosnie-Herzégovine contrôlé par les forces militaires et policières

18 serbes bosniaques, y compris des zones épargnées par le conflit

19 militaire. Ces édifices du culte ont été pratiquement rasés dans des

20 régions comme celle de Banja Luka. Les édifices du culte dans cette

21 dernière région comprennent :

22 EDIFICES DU CULTE MUSULMAN

23 Nom de la mosquée Lieu Date de la

24 destruction ou des dommages

25 Sefer Beg Banja Luka 09/04/93

Page 35

1 Ferhadija Banja Luka 07/05/93

2 Arnaudija Banja Luka 07/05/93

3 Mosquée de Vrbanje Banja Luka 11/05/93

4 Zulfikarova Banja Luka 15/05/93

5 Behram-Efendija Banja Luka 26/05/93

6 Mehidibeg Banja Luka 04/06/03

7 Sufi Mehmed Pasa Banja Luka 04/06/93

8 Hadji Begzade Banja Luka 04/06/93

9 Gazanferija Banja Luka 04/06/93

10 Hadji Sebenova Banja Luka 14/06/93

11 Hadji Kurt Banja Luka 14/06/93

12 Hadji Pervis Banja Luka 06/09/93

13 Hadji Osmanija Banja Luka 08/09/93

14 Hadji Omer Banja Luka 09/09/93

15 Hadji Salihija Banja Luka 09/09/93

16 EDIFICES DU CULTE CATHOLIQUE ROMAIN

17 Nom de l'église Ville Date de la

18 destruction ou des dommages

19 St Joseph à Trno Banja Luka 24/10/91

20 Eglise de paroisse Banja Luka 00/12/91

21 Cath. St.Bonaventure Banja Luka 31/12/91

22 Monastère St Vincent Banja Luka 00/12/92

23 Eglise de village Vujnovicii 05/05/95

24 Eglise de paroisse Petricevac 06/05/95

25 St Antoine de Padoue et Banja Luka 07/05/95

Page 36

1 monastère franciscain

2 Eglise de paroisse Sergovac 07/05/95

3 Eglise de village Majdan 08/05/95

4 Eglise de paroisse Presnace 12/05/95

5 38. Dans d'autres régions, l'endommagement et la destruction

6 d'édifices du culte ont été généralisés. Ces édifices comprennent,

7 sans y être limités : la mosquée d'Aladza (Foca); la mosquée du

8 sultan Selim (Doboj); l'église St Pierre et St Paul, la chapelle Obri

9 et la mosquée de Sevri-Hadji (Mostar); l'église de paroisse (Novi

10 Seher) et la mosquée de Carsijska (Konjic). Les forces militaires et

11 policières serbes bosniaques ont négligé de prendre les mesures

12 raisonnables et nécessaires pour assurer la protection de ces

13 édifices religieux.

14 39. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, individuellement et de

15 concert avec d'autres, planifié, incité à commettre, ordonné ou de

16 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou

17 exécuter la destruction d'édifices du culte, ou savaient ou avaient

18 des raisons de savoir que des subordonnés s'apprêtaient à endommager

19 ou à détruire ces édifices ou l'avaient déjà fait, et n'ont pas pris

20 les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits

21 actes ne soient commis ou pour en punir les auteurs.

22 Par ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont

23 commis :

24 Chef d'accusation 6 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

25 GUERRE sanctionnée par les articles 3 (d) (destruction ou

Page 37

1 endommagement délibéré d'édifices consacrés à la religion), 7(1) et

2 7(3) du Statut du Tribunal.

3 CHEF D'ACCUSATION 7

4 (DESTRUCTION CONSIDERABLE DE BIENS)

5 40. Après la prise de Foca (8 avril 1992), Bosanski Samac (17 avril

6 1992), Vlasenica (21 avril 1992), Prijedor (30 avril 1992), Brcko (30

7 avril 1992) et d'autres municipalités en République de Bosnie-

8 Herzégovine, les forces militaires et policières serbes bosniaques et

9 d'autres éléments qu'elles contrôlaient, sous la direction et le

10 contrôle de RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, ont systématiquement

11 détruit, ou permis à d'autres de détruire, sans que le justifient les

12 exigences militaires, des établissements industriels ou commerciaux

13 et des résidences musulmans bosniaques et croates bosniaques dans les

14 villes et villages occupés. Les régions touchées par ces

15 destructions considérables comprennent celles décrites au paragraphe

16 29 du présent acte d'accusation, ici intégralement incorporé.

17 41. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, individuellement et de concert

18 avec d'autres, ont planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute

19 autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la

20 destruction sur une grande échelle, de façon illicite et arbitraire

21 des biens de Musulmans bosniaques ou de Croates bosniaques, non

22 justifiée par des nécessités militaires, ou savaient ou avaient des

23 raisons de savoir que des subordonnés s'apprêtaient à commettre ou

24 autorisaient d'autres à commettre la destruction de biens de civils

25 musulmans bosniaques et croates bosniaques, ou l'avaient fait, et

Page 38

1 n'ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher

2 que ces destructions ne soient commises ou en punir les auteurs.

3 Par ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont

4 commis :

5 Chef d'accusation 7 : une INFRACTION GRAVE, sanctionnée par les

6 articles 2(d) (destruction de biens), 7(1) et 7(3) du Statut du

7 Tribunal.

8 CHEFS D'ACCUSATION 8 ET 9

9 (APPROPRIATION ET PILLAGE DE BIENS)

10 42. Ainsi qu'il est décrit aux paragraphes 25 et 26 du présent acte

11 d'accusation, ici intégralement incorporé, le personnel militaire et

12 policier serbe bosniaque et d'autres agents de l'administration serbe

13 bosniaque, sous la direction et le contrôle de RADOVAN KARADZIC et

14 RATKO MLADIC, se sont appropriés et ont pillé systématiquement les

15 biens meubles et immeubles de civils musulmans bosniaques et croates

16 bosniaques.

17 43. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, individuellement et de

18 concert avec d'autres, planifié, incité à commettre, ordonné, ou de

19 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou

20 exécuter l'appropriation sur une grande échelle, illicite et

21 arbitraire de biens meubles et immeubles appartenant à des civils

22 musulmans bosniaques ou croates bosniaques, ou savaient ou avaient

23 des raisons de savoir que des subordonnés s'apprêtaient à

24 s'approprier les biens meubles et immeubles de civils musulmans

25 bosniaques et croates bosniaques, ou l'avaient fait, et n'ont pas

Page 39

1 pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher cette

2 appropriation ou en punir les auteurs.

3 Par ces actes et omissions, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont

4 commis :

5 Chef d'accusation 8 : une INFRACTION GRAVE, sanctionnée par les

6 articles 2(d) (appropriation de biens), 7(1) et 7(3) du Statut du

7 Tribunal.

8 Chef d'accusation 9 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

9 GUERRE, sanctionnée par les articles 3(e) (pillage de biens publics

10 ou privés), 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal.»

11 Nous abordons maintenant la partie II de cet acte d’accusation. Je

12 continue ?

13 M. Le Président. - : Vous avez peut-être besoin de boire

14 ou demander de vous faire remplacer. Il n’y a aucun problème ? Bien alors

15 vous continuez ?

16

17 Le GREFFIER :

18 «PARTIE II

19 CHEFS D'ACCUSATION 10 à 12

20 (TIRS ISOLES SUR SARAJEVO)

21 44. La ville de Sarajevo est assiégée depuis le 5 avril 1992 par des

22 forces de l'armée serbe bosniaque. Durant toute la durée de ce

23 siège, on a observé une campagne systématique de ciblage délibéré de

24 civils par des tireurs isolés des forces militaires serbes bosniaques

25 ou de leurs agents. La campagne de tirs isolés a terrorisé la

Page 40

1 population de Sarajevo et s'est traduite par un nombre considérable

2 de victimes civiles, tuées ou blessées, y compris des femmes, enfants

3 et personnes âgées. Entre le 5 mai 1992 et le 31 mai 1995, des

4 tireurs isolés ont systématiquement, illégalement et délibérément tué

5 et blessé des civils dans la région de Sarajevo, y compris, sans y

6 être limité, les personnes suivantes :

7 TUES

8 Enfants

9 Elma Jakupovic, 2 ans, Jukiceva Street, No. 17, 20

10 juillet 1993

11 Elvedina Colic, 4 ans, Kobilja Glava, 8 août 1993

12 Adnan Kasapovic, 16 ans, D.A. Kuna Street, 24 octobre

13 1994

14 Nermina Omerovic, 11 ans, Djure Danicica Street, 8

15 novembre 1994

16

17 Femmes

18 Almasa Konjhodzic, 56 ans, croisement de Kranjcevica et

19 Brodska Streets, 27 juin 1993

20 Sevda Kustura, 50 ans, Spicasta Stijena, 5 août 1993

21 Sada Pohara, 19 ans, Zarka Zgonjanina Street, No. 13, 30

22 août 1993

23 Saliha Comaga, 38 ans, Mujkica Brdo, Ugorsko, 8 septembre

24 1993

25 Edina Trto, 25 ans, Ivana Krndelja Street, 26 septembre

Page 41

1 1993

2 Hatema Mukanovic, 38 ans, Obala 27 July 89 Street, 11

3 janvier 1994

4 Radmila Plainovic, 51 ans, Vojvode Putnika Street, 7

5 février 1994

6 Lejla Bajramovic, 24 ans, B Boris Kidric Street, No. 3, 8

7 décembre 1994

8 Personnes âgées

9 Hajrija Dizdarevic, 66 ans, Ivo Kranjcevic Street, 17

10 juillet 1993

11 Marko Stupar, 64 ans, Zmaja od Bosne No. 64 Street, 12

12 janvier 1994

13 Fadil Zuko, 63 ans, Stara Cesta Street, bb, 2 février

14 1994

15 Dragomir Culibrk, 61 ans, Prvomajska BB, 16 juin 1994

16

17 Hommes

18 Adnan Mesihovic, 34 ans, Hasana Brkica Street, 3

19 septembre 1993

20 Junuz Campara, 59 ans, Milutin Duraskovic Street, 6

21 septembre 1993

22 Augustin Vucic, 57 ans, Ante Babica Street, 13 mars 1994

23 Jasmin Podzo, 23 ans, Mala Berkusa Street 10, 14 mars

24 1995

25 BLESSES

Page 42

1 Enfants

2 Garçon, 2 ans, Stara Cesta Street, 26 juin 1993

3 Garçon, 12 ans, piscine de Kupalista, 5 août 1993

4 Fille, 9 ans, Kobilja Glava, 8 août 1993

5 Garçon, 14 ans, Dzemal Bijedic Street, 3 septembre 1993

6 Fille, 8 ans, Ivana Krndelja Street, 3 septembre 1993

7 Garçon, 15 ans, à X transversale Street bb, 4 octobre

8 1993

9 Garçon, 13 ans, Donji Hotonj II Street, 10 novembre 1993

10 Garçon, 12 ans, Petra Drapsina Street, 28 novembre 1993

11 Garçon, 17 ans, Dzemala Bijedica Street, 10 janvier 1994

12 Garçon, 5 ans, Zmaja od Bosne Street, 19 juin 1994

13 Fille, 16 ans, Senada Mandica-Dende Street, 26 juin 1994

14 Garçon, 13 ans, Miljenka Cvitkovica Street, 22 juillet

15 1994

16 Garçon, 7 ans, Zmaja od Bosne Street, 18 novembre 1994

17 Fille, 13 ans, croisement de Rogina et Sedrenik Streets,

18 22 novembre 1994

19 Garçon, 14 ans, Sedrenik Street, 6 mars 1995

20 Femmes

21 Femme, 20 ans, Hotonj, 5 août 1993

22 Femme, 52 ans, Franca Rozmana Street, 6 août 1993

23 Femme, 66 ans, Ivo Kranjcevic Street, 17 juillet 1993

24 Femme, 55 ans, Spanskih Boraca Street, 30 août 1993

25 Femme, 35 ans, Ivana Krndelja Street, 3 septembre 1993

Page 43

1 Femme, 32 ans, Nikola Demonja/Grada Bakua Street, 6

2 janvier 1994

3 Femme, 46 ans, Olimpijska Street, No. 15, 18 janvier 1994

4 Femme, 42 ans, 21 Maj Street, 9 mai 1994

5 Femme, 50 ans et femme, 62 ans, Nikole Demonje Street, 25

6 mai 1994

7 Femme, 45 ans, Mojmilo-Dobrinja Road, 13 juin 1994

8 Femme, 46 ans, Zaim Imamovic Street, No. 15, 20 juillet

9 1994

10 Femme, 54 ans, Baruthana Street, 8 novembre 1994

11 Femme, 28 ans, Zmaja od Bosne Street, 9 novembre 1994

12 Femme, 28 ans, Zmaja od Bosne Street, 18 novembre 1994

13 Femme, 24 ans, Franca Lehara Street, No. 3, 8 décembre

14 1994

15 Femme, 49 ans, Sedrenik Street, 10 décembre 1994

16

17 Personnes âgées

18 Femme, 71 ans, marché "Ciglane", 17 septembre 1993

19 Femme, 72 ans, Nikole Demonje Street, 2 octobre 1993

20 Femme, 60 ans, Lovcenska Street, 7 décembre 1993

21 Homme, 63 ans, St Anto Babic, 13 mars 1994

22 Homme, 62 ans, Omladinskih Rradnih Brigada Street, 16

23 juin 1994

24 Homme, 61 ans, Prvomajska BB, 16 juin 1994

25 Homme, 67 ans, Senad Mandic Denda Street, 17 juillet 1994

Page 44

1 Homme, 63 ans, Sedrenik Street, 11 décembre 1994

2 Homme, 62 ans, Sedrenik Street, 13 décembre 1994

3 Femme, 73 ans, croisement de Zmaja od Bosne et Muzejska

4 Streets, 18 décembre 1994

5 Hommes

6 Homme, 36 ans, Trg of ZAVNOBIH, 1er février 1993

7 Homme, 52 ans, Kobilja Glava, 25 juin 1993

8 Homme, 29 ans, Stara Cesta Street, 7 octobre 1993

9 Homme, 50 ans, et homme, 56 ans, Brace Ribara Street, 2

10 novembre 1993

11 Homme, 36 ans, Stara Cesta Street, 14 décembre 1993

12 Homme, 27 ans, Zmaja od Bosne Street, 19 juin 1994

13 Homme, 20 ans, homme, 27 ans, homme, 39 ans et homme, 34

14 ans à Zmaja od Bosne Street, 9 novembre 1994

15 Homme, 29 ans, Sedrenik Street, 8 décembre 1994

16 Homme, 46 ans et homme, 33 ans, croisement de Franje

17 Rackog et Marsala Tita Streets, 3 mars 1995

18 Homme, 52 ans, Sedrenik Street, 6 mars 1995

19 45. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont, individuellement et de

20 concert avec d'autres, planifié, incité à commettre, ordonné ou de

21 toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou

22 exécuter des tirs isolés contre des civils, ou savaient ou avaient

23 des raisons de savoir que des subordonnés tiraient sur des civils, et

24 n'ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher

25 ces tirs isolés ou en punir les auteurs.

Page 45

1 S'agissant des attaques délibérées par tirs isolés contre la

2 population civile et contre des civils, qui ont entraîné la mort et

3 les blessures desdits civils, ainsi que des actes et omissions qui

4 s'y rapportent, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC ont commis :

5 Chef d'accusation 10 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

6 GUERRE, (attaque délibérée contre la population civile et contre des

7 civils), sanctionnée par les articles 3, 7(1) et 7(3) du Statut du

8 Tribunal.

9 S'agissant du meurtre par tirs isolés de ces civils, notamment, et

10 des actes et omissions qui s'y rapportent, RADOVAN KARADZIC et RATKO

11 MLADIC ont commis :

12 Chef d'accusation 11 : un CRIME CONTRE L'HUMANITE sanctionné par les

13 articles 5(a) (meurtre), 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal.

14 S'agissant des blessures infligées à ces civils par des tirs isolés,

15 notamment, et des actes et omissions qui s'y rapportent, RADOVAN

16 KARADZIC et RATKO MLADIC ont commis :

17 Chef d'accusation 12 : un CRIME CONTRE L'HUMANITE sanctionné par les

18 articles 5(i) (actes inhumains), 7(1) et 7(3) du Statut du Tribunal.

19 PARTIE III

20 CHEFS D'ACCUSATION 13 A 16

21 (OTAGES/BOUCLIERS HUMAINS)

22 46. Entre le 26 mai et le 2 juin 1995, du personnel militaire serbe

23 bosniaque, sous la direction et le contrôle de RADOVAN KARADZIC et

24 RATKO MLADIC, a saisi 284 membres des forces de maintien de la paix

25 des Nations Unies à Pale, Sarajevo, Gorazde et autres endroits et les

Page 46

1 ont pris en otages en vue d'éviter de nouvelles interventions

2 aériennes par les forces de l'Organisation du Traité de l'Atlantique

3 Nord (OTAN). Le personnel militaire serbe bosniaque a détenu les

4 membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies durant

5 toute leur captivité en recourant à la force ou en menaçant d’y

6 recourir. Dans certains cas, des violences ont été infligées à ces

7 otages. Durant et à l'issue de négociations prolongées avec les

8 dirigeants serbes bosniaques, les otages des Nations Unies ont été

9 relâchés par étapes entre le 3 et le 19 juin 1995.

10 47. Après avoir saisi des membres des forces de maintien de la paix

11 des Nations Unies dans la région de Pale, le personnel militaire

12 serbe bosniaque, sous la direction et le contrôle de RADOVAN KARADZIC

13 et RATKO MLADIC, a immédiatement sélectionné un certain nombre

14 d'otages pour servir de "boucliers humains" y compris, sans y être

15 limités, Capt. Patrick A. Rechner (Canada), Capt. Oldrich Zidlik

16 (République tchéque), Capt. Teversky (russie), Maj. Abdul Razak Bello

17 (Nigéria), Capt. Ahmad Manzoor (Pakistan) et Maj. Gunnar Westlund

18 (Suède). Vers le 26 mai 1995 jusqu'au 27 mai 1995, le personnel

19 militaire serbe bosniaque a physiquement attaché ou autrement détenu

20 les membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies

21 contre leur volonté à des cibles potentielles des interventions

22 aériennes de l'OTAN, y compris le dépôt de munitions de Jahorinski

23 Potok, le site de radars de Jahorina et un centre de communications

24 voisin, afin de protéger ces sites contre de nouvelles interventions

25 aériennes de l'OTAN. Des délégations militaires et politiques serbes

Page 47

1 bosniaques de haut niveau ont inspecté et photographié les otages des

2 Nations Unies qui étaient attachés par des menottes aux dépôts de

3 munition de Jahorinski Potok.

4 48. RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, individuellement et de concert

5 avec d'autres, ont planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute

6 autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter la

7 prise de civils, c'est-à-dire les membres des forces de maintien de

8 la paix des Nations Unies, en tant qu'otages et, en outre, leur

9 utilisation comme "boucliers humains", et savaient ou avaient des

10 raisons de savoir que des subordonnés s'apprêtaient à prendre des

11 membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies en otages

12 et à s'en servir comme "boucliers humains", ou l'avaient fait, et

13 n'ont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en

14 empêcher ou pour en punir les auteurs.

15 S'agissant des membres des forces de maintien de la paix des Nations

16 Unies pris et détenus comme otages entre le 26 mai et le 19 juin

17 1995, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, par leurs actes et omissions,

18 ont commis :

19 Chef d'accusation 13 : une INFRACTION GRAVE sanctionnée par les

20 articles 2(h) (prise de civils en otages), 7(1) et 7(3) du Statut du

21 Tribunal.

22 Chef d'accusation 14 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

23 GUERRE (prises d'otages), sanctionnée par les articles 3, 7(1) et

24 7(3) du Statut du Tribunal.

25 S'agissant de l'utilisation des membres des forces de maintien de la

Page 48

1 paix des Nations Unies en tant que "boucliers humains" les 26 et 27

2 mai 1995, RADOVAN KARADZIC et RATKO MLADIC, par leurs actes et

3 omissions, ont commis :

4 Chef d'accusation 15 : une INFRACTION GRAVE sanctionnée par les

5 articles 2(b) (traitements inhumains), 7(1) et 7(3) du Statut du

6 Tribunal.

7 Chef d'accusation 16 : une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA

8 GUERRE (traitement cruel) sanctionnée par les articles 3, 7(1) et

9 7(3) du Statut du Tribunal.

10 juillet 1995 Richard J. Goldstone

11 Procureur.»

12 M. le Président. - Monsieur le Greffier, vous avez donc

13 procéder à la lecture du premier acte d’accusation. Le Tribunal vous

14 demande de procéder à la lecture du second acte d’accusation qui fait

15 l’objet de la présente audience, au titre de l’article 61.

16 M. le Greffier Marro. - (Cf. acte d’accusation n° 2)

17 M. le Président. - Monsieur le Greffier, le Tribunal vous

18 remercie conformément à la décision que le Tribunal avait prise que

19 lecture intégrale des deux actes d’accusation soit faite en présence dans

20 la salle d’audience de Maître Pantelic.

21 (L’audience est suspendue à14 heures 45).

22 (après-midi)

23 (L’audience est reprise à 16 heures).

24 M. le Président. - Avant de donner la parole au procureur pour

25 l'ouverture de la présente audience qui se tient, je le rappelle, en

Page 49

1 conformité de l'article 61, la Chambre va faire connaître une décision

2 portant invitation à comparaître en qualité d'amicus curiae.

3 Je vais lire la décision.

4 La Chambre de première instance 1 du Tribunal pénal

5 international pour l’ex-Yougoslavie,

6 Attendu qu'il résulte de l'article 74 du règlement de

7 procédure et de preuve qu’une chambre peut, si elle le juge souhaitable,

8 dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, inviter ou

9 autoriser tout Etat, toute organisation, ou toute personne, à faire un

10 exposé sur toute question qu’elle juge utile,

11 Que cet article figure au chapitre 6ème relatif au procès en

12 première instance,

13 Attendu néanmoins que l'exigence d'une bonne administration de

14 la justice est un principe qui gouverne toutes les phases d'une instance

15 judiciaire devant un Tribunal pénal international, et non pas seulement

16 celle du procès au fond,

17 Attendu qu'il convient en outre de relever qu'en vertu des

18 dispositions de l’article 89 A, les règles relatives à la preuve sont

19 applicables à toutes les procédures devant les Chambres, en ce compris la

20 procédure menée conformément à l'article 61,

21 Attendu a fortiori que le recours à l'amicus curiae,

22 personnalité neutre aux seules fin d'un exposé sur une question jugée

23 utile par la Chambre et portant sur l'énoncé d'informations et non

24 d'éléments de preuve, apparaît pleinement légitime et tout à fait conforme

25 à une bonne administration de la justice,

Page 50

1 Attendu qu'en l'espèce il apparaît souhaitable à la Chambre de

2 recueillir à l'occasion des débats de l'audience concernant les poursuites

3 diligentées contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic, conformément aux

4 dispositions de l'article 61, les explications et informations de deux

5 amici curiae relatives, d'une part à la situation des Droits de l'Homme et

6 à la campagne de purification ethnique en Bosnie-Herzégovine depuis 1992,

7 ainsi qu'aux disparitions à la suite des événements de Srebrenica, et

8 d’autre part à la pratique du viol et des sévices sexuels dans le cadre de

9 la purification ethnique en Bosnie-Herzégovine depuis 1992,

10 Attendu que chacun des amici curiae aura la faculté, s'il le

11 juge opportun au soutien de son exposé, de présenter tous documents,

12 rapports ou éléments de rapport,

13 Attendu en conséquence que la Chambre invite à ces fins deux

14 personnalités jugées compétentes,

15 Par ces motifs :

16 Vu l'article 74 du règlement de procédure et de preuve,

17 Invite Madame Elizabeth Rehn, rapporteur spécial de la

18 commission des Droits de l’Homme des Nations-unies à comparaître le 5

19 juillet 1996 en qualité d'amicus curiae dans le cadre des débats de

20 l’audience concernant les poursuites diligentées contre Radovan Karadzic

21 et Ratko Mladic, conformément aux dispositions de l’article 61, afin de

22 faire un exposé sur la situation des Droits de l’Homme et la campagne de

23 purification ethnique en Bosnie-Herzégovine depuis 1992, ainsi que sur les

24 disparitions à la suite des événements de Srebenica.

25 Invite Madame Christine Cleiren, membre de la commission

Page 51

1 d'experts établie en vertu de la résolution 780 du conseil de sécurité de

2 1992, à comparaître le 1er juillet 1996 en qualité d'amicus curiae, dans

3 le cadre des débats de l'audience concernant les poursuites diligentées

4 contre Radovan Karadjic et Ratko Mladic, conformément aux dispositions de

5 l’article 61, afin de faire un exposé sur la pratique du viol et des

6 sévices sexuels dans le cadre de la purification ethnique en Bosnie-

7 Herzégovine depuis 1992, et sur les conclusions de la dite commission sur

8 ces sujets.

9 Dit que les amici curiae pourront soumettre à la Chambre de

10 première instance tous documents, rapports ou éléments de rapport qu'ils

11 jugeront opportun.

12 Ainsi ordonné ce 26 juin 1996 au Tribunal pénal international,

13 La Haye, au Pays Bas.

14 Je demande maintenant à Monsieur le Procureur de bien vouloir

15 prendre la parole pour ouvrir la session de l'article 61, concernant les

16 deux accusés : Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

17 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci Monsieur le

18 Président. Finalement nous soumettons à votre jugement, en vertu de

19 l'article 61 de notre règlement de procédure de preuve, deux actes

20 d'accusations distincts relatifs aux deux dirigeants serbes bosniaques

21 Radovan Karadzic et Ratko Mladic qui viennent d'être lus en public dans

22 cette salle.

23 Le greffe a pris note des actes d'accusation qui ont permis de

24 présenter les accusés de façon détaillée. Toutes les charges pesant sur

25 eux ont été explicitées en public. Je peux donc raccourcir ma déclaration

Page 52

1 liminaire et vous en donner lecture ex tempora.

2 Il apparaît, sur la base des crimes cités dans les deux actes

3 d'accusation contre les accusés Radovan Karadzic et Ratko Mladic, que ces

4 crimes couvrent tous les aspects des violations du droit humanitaire

5 international sur une période prolongée, à grande échelle, de façon

6 généralisée et systématique et cela a abouti à la perte de milliers et

7 milliers de vies de civils.

8 Un récit détaillé indiquant l'importance et l'horreur de ces

9 crimes a été notifié grâce à la lecture des actes d'accusation et donc

10 porté à votre attention, Madame et Messieurs les juges et du public.

11 Nous allons ce jour et dans les six jours à venir entendre des

12 dépositions qui ne couvriront pas tous les aspects des éléments de preuve

13 à apporter au cours de ce procès, dont la portée est limitée.

14 Pour indiquer ces éléments de preuve, je me contenterai pour

15 l'instant de m'en tenir à un certain nombre de faits importants. Je

16 citerai des exemples, je résumerai les éléments que nous porterons à votre

17 reconnaissance, et je citerai quelques éléments de droit.

18 En ce qui concerne les premiers éléments de preuve que nous

19 allons porter à votre attention aujourd'hui, je vous en donnerai une idée

20 générale brièvement, de façon à vous permettre de savoir quelle est la

21 teneur de ce que nous allons vous soumettre.

22 Après ma déclaration liminaire, nous appellerons le Professeur

23 Paul Garde qui vous donnera une idée générale, historique de la teneur des

24 événements qui ont affecté la Bosnie et le reste de l’ex-Yougoslavie.

25 Ainsi les événements dont il sera question ici seront placés dans un

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1 contexte général destiné à faire la preuve de ce que nous affirmons.

2 Ensuite nous appellerons un de nos enquêteurs, M. John

3 Ralston, qui résumera brièvement les éléments de preuves recueillis, en

4 vue de démontrer ce qui s'est passé en toile de fond de ces deux actes

5 d'accusation.

6 En ce qui concerne le pilonnage de Sarajevo, nous appellerons

7 M. Jan Van Hecke, un de nos enquêteurs, qui nous parlera du siège et des

8 tirs isolés qui ont eu lieu à Sarajevo.

9 Nous appellerons également le maire de Sarajevo aux même fins,

10 qui, comme nous l’affirmons, nous dépeindra la situation à l'intérieur de

11 la ville assiégée au cours de la longue période pendant laquelle cette

12 ville a été l'objet d'un siège.

13 Nous en arrivons ensuite aux aspects relatifs aux viols et aux

14 sévices sexuels. Un de nos experts présentera brièvement les conclusions

15 de notre enquête sur ces points.

16 Une personne dénommée Colin Kaiser, spécialiste des monuments

17 religieux et historiques nous parlera des destructions perpétrées en

18 Bosnie contre tous bâtiments d'importance historique et religieuse.

19 Un soldat canadien, qui a été pris en otage, nous narrera son

20 expérience au moment où il a subi ce traitement en qualité de soldat des

21 forces des Nations-unies.

22 Jean-René Ruiz, autre enquêteur travaillant pour le bureau du

23 procureur, nous donnera une idée générale des événements qui se sont

24 déroulés en rapport avec la chute de Srebrenica.

25 Je reviendrai ultérieurement sur les membres du bataillon

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1 néerlandais.

2 Une victime, dont je n'ose pas prononcer le nom dans

3 l’immédiat, une victime des événements survenus à Srebrenica lors de la

4 chute de la ville, nous parlera de son expérience. Nous entendrons un

5 certain nombre de témoins qui parleront de l'ensemble des événements

6 relatifs à Srebrenica et à la chute de cette enclave.

7 Je vais maintenant souligner quelques uns des événements dont

8 il a déjà été question aujourd'hui, pour mettre en exergue un certain

9 nombre de faits. Comme vous l’avez entendu, les détenus ont été soumis de

10 façon répétitive à des actes inhumains, notamment aux viols, aux meurtres,

11 aux sévices sexuels, aux coups et blessures, aux pillages et à d'autres

12 formes d'abus mental et physique.

13 Dans de nombreux cas, vous vous en souviendrez à partir de la

14 lecture des actes d'accusation, des femmes ont été violées dans les camps

15 où elles étaient détenues, mais ont également été retirées de ces camps et

16 emmenées en d'autres lieux où là encore elles ont subi le viol ou d'autres

17 sévices sexuels.

18 Un autre mode de destruction de l'ethnicité de la population

19 civile a consisté à prendre comme cible des dirigeants politiques, des

20 intellectuels, des professionnels, des hommes et des femmes qui ont été

21 arrêtés, ont subi des sévices, ont souvent été assassinés dans les villes

22 et les villages, comme cela a été le cas à Prijedor, Vlasenica et Bosanski

23 Samac.

24 Un autre moyen de commettre des crimes contre l’humanité a

25 résidé dans la déportation de milliers de Musulmans bosniaques et de

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1 Croates musulmans de Prijedor, Vlasenica, Bosanski Samac, Brcko et d’autre

2 lieux. Ils ont été systématiquement arrêtés et internés dans des

3 installations de détention établies sur l'ensemble du territoire

4 bosniaque, sous le contrôle des militaires serbes et sous le commandement

5 suprême des deux accusés.

6 Une autre méthode criminelle utilisée pour détruire ces

7 groupes a consisté à pilonner des rassemblements de civils et à utiliser

8 le pillage, la destruction extensive comme cela est stipulé dans les actes

9 d’accusation dont il vient de vous être donné lecture.

10 Je voudrais également souligner, pour vous les rappeler, les

11 tirs isolés et le pilonnage dont Sarajevo a été victime et, notamment, la

12 liste des enfants, des femmes et des hommes, tous civils, qui ont été tués

13 ou blessés lors de cette campagne de tirs isolés à laquelle ont incité les

14 deux accusés dont il est question dans ces actes d’accusation.

15 Le premier acte d'accusation, en fin de compte, traite de la

16 prise d'otages parmi les forces de maintien de la paix des Nations Unies

17 et je tiens à souligner que certains de ces otages, notamment des

18 officiers canadiens, tchèques, russes, nigerians pakistanais et suédois,

19 ont immédiatement été choisis pour servir de boucliers humains, aux fins

20 d'empêcher des interventions aériennes de l’OTAN dans les réserves de

21 munitions et les centres de communication.

22 Il s'agit là, comme vous l'avez entendu, de violations des

23 lois ou coutumes de la guerre et d'infractions graves.

24 S'agissant de ce qui s'est passé après la chute de Srebrenica,

25 Madame et Messieurs les juges, on nous a dit que la colonne qui se

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1 dirigeait vers les bois a subi une embuscade et des tirs d'artillerie,

2 d'armes automatiques et de tirs de défense antiaérienne. Nous entendrons

3 parler de la façon dont des milliers de personnes, dans leur tentative de

4 trouver un abri, ont été exécutées, au point de commettre parfois le

5 suicide en raison de cette pression extrême.

6 Comme cela vous a été dit, des milliers de Musulmans faisant

7 partie de cette colonne se sont rendus aux forces militaires serbes

8 bosniaques, ayant reçu l'assurance qu'aucun mal ne leur serait fait.

9 Certains de ces soldats serbes bosniaques fournissant de telles assurances

10 portaient même, comme on vous l’a dit, des uniformes des Nations Unies

11 qu'ils avaient volés. Les hommes capturés ont été emmenés à des points de

12 rassemblement très importants, proches de Karakaj où l’accusé Ratko Mladic

13 était présent.

14 Vous entendrez les résumés des dépositions faites par les

15 témoins, stipulant que des milliers d’hommes qui s’étaient rendus ont été

16 sommairement exécutés à Karakaj et en d’autres lieux par les forces

17 placées sous le commandement de Ratko Mladic.

18 Un bataillon néerlandais était stationné à la base de Potocari

19 et des milliers de réfugiés se sont dirigés à la recherche d'un abri.

20 Vous entendrez le Colonel Karremans chef du bataillon

21 néerlandais, ainsi que deux autres militaires néerlandais, qui tous les

22 trois étaient présents et effectuaient leur service à Potocari au cours de

23 ces journées de juillet 1995. Ils vous diront les efforts qu’ils ont

24 déployés pour abriter ces réfugiés. Ils vous diront ce qui est arrivé à

25 ces réfugiés et vous parleront de leur rencontre avec Ratko Mladic, ainsi

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1 que des déclarations et des actions de celui-ci.

2 Ces témoins et d'autres parleront d'exécutions sommaires

3 perpétrées aux alentours de la base de Potocari, ainsi que du transport

4 des hommes vers Karkaje qui ensuite ont été massacrés par les soldats

5 serbo-bosniaques.

6 En bref, Madame et Messieurs les juges, l’attaque contre la

7 zone de sécurité des Nations Unies de Srebrenica et les actions perpétrées

8 par les forces bosniaques serbes par la suite, sous le commandement direct

9 de Radko Mladic et avec le consentement du commandant suprême Radovan

10 Karadzic, ont abouti à la destruction de pratiquement l'ensemble de la

11 population musulmane, soit 60000 personnes résidant dans cette zone.

12 Je n'hésite pas à ajouter Srebrenica à la liste qui comporte

13 des noms comme Katyn, Lidice, Oradour et Kragujevac. Je n’hésite pas à

14 dire qu’il s’agit de crimes de guerre le plus horrible, le plus

15 inimaginable perpétré en Europe depuis la fin de la deuxième guerre

16 mondiale. Il s’est agi d’un crime commis et ordonné dans une zone qui

17 était placée sous la protection des forces de maintien de la paix des

18 Nations-Unies.

19 Cet acte avait été perpétré en mépris complet et en violation

20 évidente de la communauté internationale, du Conseil de sécurité et du

21 droit humanitaire ainsi que de ce Tribunal.

22 L’un des objectifs principaux de notre Tribunal consiste à

23 agir en tant qu’élément de dissuasion puissant à l’égard de toutes les

24 parties pour obtenir la fin d’une participation à de tels crimes. Il est

25 décourageant et frustrant de constater que dans le cas qui nous occupe,

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1 l’existence du Tribunal n’a apparemment eu aucune incidence.

2 Il est également frustrant de constater que des Etats et

3 d’autres protagonistes de la scène internationale - de la coopération

4 desquels nous dépendons et qui ont le pouvoir et les outils pour agir -

5 n’ont pas exécuté les mandats d’arrêt du Tribunal. Qu’il soit bien clair

6 que l’accusation souhaite juger les accusés pour les crimes invoqués en

7 leur présence à La Haye dans cette salle d’audience sans se satisfaire

8 uniquement d’une audience, en vertu de l’article 61 du Règlement de

9 procédure et de preuve.

10 Cela étant, un certain nombre de bases raisonnables existent

11 pour croire que les accusés ont commis les crimes qui leur sont imputés

12 dans les actes d’accusation.

13 Je voudrais maintenant en arriver à quelques points de droit :

14 l’accusation affirme qu’à toutes les époques visées dans l’acte

15 d’accusation un conflit armé international existait entre la République de

16 Bosnie-Herzégovine d’une part et la République fédérale de Yougoslavie

17 d’autre part, et que l’administration serbe bosniaque de Pale est dans ce

18 contexte à considérer en tant qu’agent de la République fédérale de

19 Yougoslavie.

20 Pour appuyer cette information, nous avons soumis à la Chambre

21 de première instance un rapport concernant l’application de l’article 2 du

22 Statut et l’existence d’un conflit international armé aux fins de la tenue

23 de cette audience. L’argument principal mentionné dans ce rapport

24 consiste à stipuler que ce conflit peut être classé comme international,

25 sur la base de la participation militaire directe de la République

Page 59

1 fédérale socialiste de Yougoslavie et de son successeur la République

2 fédérale de Yougoslavie en Bosnie-Herzégovine. Ils seront basés également

3 sur l’existence d’hostilités et d’une occupation partielle de la

4 Bosnie-Herzégovine qui a résulté de ce conflit.

5 Le rapport est appuyé par des documents qui démontrent que des

6 fondements raisonnables existent pour estimer que les parties étaient

7 directement impliquées dans un conflit armé et que la Bosnie-Herzégovine

8 subissait une occupation partielle.

9 J’aborderai finalement deux autres points de droit relatifs à

10 ces accusations, à savoir le crime de génocide et la doctrine d’une

11 autorité supérieure. Le génocide est le crime ultime. Il se caractérise

12 par l’intention précise de détruire un groupe en tant que tel. C’est cet

13 élément fondamental qui distingue le génocide du crime ordinaire de

14 meurtre.

15 Selon la Cour de district israélienne dans l’affaire Eichman,

16 je cite : «Le caractère particulier du génocide réside dans l’intention

17 générale et totale d’exterminer physiquement des membres d’un groupe en

18 tant que tel.» Le terme «en tout ou partie» utilisé dans l’article 4 de

19 notre Statut indique manifestement que l’intention de détruire n’a pas

20 besoin d’être dirigée contre la totalité du groupe. Le terme «en partie»

21 est ambigu et permet des interprétations diverses.

22 Cela étant, l’accusation affirme que cette expression implique

23 -et je cite le rapport officiel d’un expert des Nations Unies sur le

24 génocide- «un nombre significatif, raisonnable d’un groupe complet ou une

25 section significative d’un groupe telle que par exemple la direction de ce

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1 groupe» (Rapport Wittaker, p. 16, par. 29).

2 S’agissant de l’intention particulière dont il est question

3 dans cette audience, à savoir l’essence même du crime de génocide,

4 l’échelle relative de la destruction réelle ou de la tentative de

5 destruction physique d’un groupe ou d’une section significative de ce

6 groupe ne doit pas être considérée en rapport à l’opportunité factuelle de

7 l’accusé de détruire un groupe dans une zone géographique déterminée,

8 groupe placé sous sa responsabilité.

9 Donc le génocide, selon l’accusation ne doit pas être dilué ou

10 réduit par une interprétation abusivement élargie. Le terme de «génocide»

11 doit être réservé uniquement à des actes d’une gravité exceptionnelle,

12 d’une importance exceptionnelle, qui choquent la conscience de l’humanité

13 et qui en conséquence justifient la caractérisation du génocide en tant

14 que crime ultime.

15 Les accusés Karadzic et Mladic sont accusés entre autres

16 d’avoir participé à des crimes contre l’humanité ainsi qu’à des crimes de

17 génocide : des crimes de masses, systématiques et qui en conséquence, et

18 pratiquement sans exception, exigent l’existence d’un dessein commun

19 organisé au niveau le plus élevé de l’Etat.

20 En effet, le Bureau du Procureur affirme que sans la création

21 de régions ethniquement pures, sans au moins l’acquiescement des autorités

22 de certaines autorités, les citoyens ordinaires de la Yougoslavie

23 n’auraient ni les moyens ni les ressources pour commettre les atrocités à

24 une telle échelle.

25 En conséquence, il est justifié de dire qu’une chaîne de

Page 61

1 responsabilité au niveau le plus élevé a abouti aux atrocités exécutées

2 finalement par les soldats sur le terrain.

3 La doctrine de responsabilité supérieure s’applique à toute

4 personne appartenant à une chaîne de commandement et qui a une

5 responsabilité dans le fait d’avoir commis les actes relatés dans ces

6 actes d’accusation. Il s’agit de subordonnés dans l’affaire qui nous

7 intéresse. Il est allégué que les accusés Karadzic et Mladic ont occupé

8 des fonctions de commandement par rapport à l’ensemble des forces de

9 l’armée des Serbes de Bosnie.

10 L’accusation souhaite souligner que lorsque l’on est en

11 présence de commandement disposant d’une autorité exécutive sur un

12 territoire occupé par eux ou classé d’une autre façon sous leur contrôle

13 de facto, et je veux parler de l’administration de Pale ou de ce qu’on a

14 l’habitude de dénommer la Republika Srpska au cours de la période visée

15 dans l’acte d’accusation, leur responsabilité s’étend au maintien de la

16 paix et de l’ordre, au châtiment du crime et à la protection des vies

17 humaines et de la propriété.

18 Pour citer la décision du Tribunal militaire américain dans

19 l’affaire des otages, la responsabilité d’un tel commandement est, je cite

20 : «générale il ne s’agit pas d’un contrôle d’une unité directement placée

21 sous ce commandement» (p. 71 du procès verbal de ce procès dans le

22 Tribunal militaire américain).

23 L’accusation affirme que la nature à grande échelle et

24 systématique de la purification ethnique et d’autres atrocités de masse

25 commises contre la population civile non serbe de Bosnie-Herzégovine,

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1 censément commis par les subordonnés directs des accusés, ainsi que

2 d’autres personnes sous leur contrôle, ne peut permettre aucune autre

3 conclusion que celle consistant à affirmer que les accusés ont donné

4 l’ordre de commettre ces actes ou ont accepté que ces actes soient commis

5 sans les empêcher et sans les sanctionner.

6 L’accusation affirme qu’il serait inconcevable de penser que

7 les accusés Karadzic et Mladic n’avaient pas accordé leur approbation,

8 leur consentement à la politique criminelle massive de purification

9 ethnique, souvent comparable en nature à un génocide, politique criminelle

10 perpétrée par leurs subordonnés et qui a duré quelque trois ans et demi.

11 En conséquence, en vertu de l’article 7, paragraphe 3 du

12 Statut, ces deux personnes ont été accusées d’une responsabilité pénale

13 individuelle relative aux actes commis par leurs subordonnés qui sont des

14 crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

15 Pour terminer et démontrer l’importance de la portée de

16 l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, je pense qu’il suffit

17 de dire à la Chambre de première instance qu’il existe des bases

18 raisonnables pour estimer que les accusés ont commis les crimes dont ils

19 sont accusés dans les actes d’accusation. Il faut dire également, et c’est

20 important, qu’il convient d’évaluer si l’accusation a convaincu la Chambre

21 de première instance quant à la non signification en tout ou en partie ou

22 le refus d’un Etat de coopérer avec le Tribunal conformément à l’article

23 29 de notre Statut.

24 Dans l’affaire concernant les accusés Karadzic et Mladic,

25 l’accusation affirme que la non exécution du mandat d’arrêt contre les

Page 63

1 accusés et le fait de ne pas livrer ces accusés au Tribunal constitue un

2 refus manifeste opposé par l’Etat de la République fédérale de Yougoslavie

3 à toute coopération avec le Tribunal.

4 Au cours de cette audience, je fournirai des éléments de

5 preuve démontrant que cet Etat a eu diverses occasions d’arrêter les

6 accusés, mais que contrairement à ses obligations il ne l’a pas fait.

7 L’administration des Serbes de Bosnie de Pale, ou si vous préférez la

8 Republika Srpska, entité auto-proclamée exerçant de facto n'a pas respecté

9 l'obligation d'arrêter les personnes concernées en ignorant ces mandats

10 d'arrêt. L'accusation demande donc qu'outre le fait de lancer des mandats

11 d'arrêt internationaux cette Chambre de première instance certifie

12 également auprès du Président du Tribunal que la République fédérale de

13 Yougoslavie et l'administration des Serbes de Bosnie de Pale n'ont pas

14 respecté les obligations qui sont les leurs en vertu de l'Article 29 du

15 Statut et que le Président du Tribunal en informe, en conséquence, le

16 Conseil de sécurité. Je vous remercie Madame et Messieurs les juges.

17 M. le Président. - Monsieur le Procureur, merci. Tout d'abord

18 une question. La première question que le Tribunal vous pose porte sur

19 l'organisation. Avez-vous l'intention de fournir le document relatant le

20 programme des auditions aux membres du Tribunal, celui que vous avez lu

21 au tout début de votre intervention ?

22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Non. Nous vous

23 donnerons notre réponse lorsque nous serons absolument sûr du nombre, de

24 la date d'accessibilité et de la recevabilité de ces témoins.

25 M. le Président. - Une question. Vous aurez, d'après ce que

Page 64

1 j'ai cru comprendre, un certain nombre de mesures de protection de témoins

2 à solliciter du Tribunal.

3 M. Ostberg . - Oui.

4 M. le Président. - D'accord.

5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais) . - Certains d'entre

6 eux n'ont pas encore définitivement décidé si, oui ou non, ils auront

7 besoin de mesures de protection. Nous ne voulons donc pas alerter l'Unité

8 de protection avant que cela ne soit réellement nécessaire. Merci.

9 M. le Président. - Merci Monsieur le Procureur. Je crois que,

10 sans plus tarder, nous pourrions peut-être faire introduire le premier

11 témoin que vous avez l'intention de citer. Vous m'entendez Monsieur le

12 Procureur ?

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui Votre Honneur.

14 M. le Président. - Bien. Je regarde l'horloge. Je crois que

15 nous avons repris à 16 heures. Je vous propose -cela permettra de vous

16 fixer par rapport à votre audition du témoin, je propose que l'on prenne

17 une courte suspension d'audience à 17 heures 30, puis le Tribunal, au

18 moins pour aujourd'hui, reprendra à 17 heures 45 jusqu'à 19 heures. Voilà.

19 C'est pour l'ordonnancement de vos questions, pour que vous puissiez vous

20 organiser en fonction de ce calendrier horaire un peu exceptionnel

21 aujourd'hui. Voilà Monsieur le Procureur.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - L'accusation

23 appelle le Professeur Paul Garde.

24 Nous pourrons vous présenter en attendant qu'il soit introduit

25 dans cette salle, trois jeux de documents de preuve.

Page 65

1 M. le Président. - Monsieur le Professeur, vous allez vous

2 installer dès que l'huissier vous aura tendu les écouteurs et vous allez

3 vous lever, Monsieur le Professeur, pour prêter le serment qui est requis

4 de chacun des témoins. Monsieur l'huissier vous pouvez tendre la

5 déclaration au témoin.

6 M. Le Pr Paul Garde. - Je déclare solennellement que je dirai

7 la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

8 M. le Président. - Merci. Vous pouvez vous asseoir Monsieur le

9 Professeur. Il faudrait d'abord vérifier que vous entendez bien le

10 Président. Je pense que vous allez bien entendre puisque vous parlez sa

11 langue maternelle. Entendez-vous bien le Procureur ? Dites-le tout de

12 suite.

13 Monsieur le Professeur, vous comparaissez au titre des témoins

14 cités par le Procureur et donc vous comparaissez devant le Tribunal pénal

15 international pour l'ex-Yougoslavie.

16 Monsieur le Procureur vous avez la parole.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci Monsieur le

18 Président. Pour commencer j'ai dit que nous avons trois jeux de pièces à

19 conviction à vous soumettre. Ce sont les pièces à conviction que le

20 Professeur Garde mentionnera au cours de son témoignage et, aux fins

21 d'efficacité, nous n'allons pas soumettre ces preuves, ces pièces à

22 conviction, avant la clôture de ce témoignage.

23 Monsieur Garde, voulez-vous bien vous présenter et épeler

24 votre nom pour le procès-verbal.

25 M. le Pr Garde. - Je m'appelle Paul Garde.

Page 66

1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Voulez-vous bien

2 nous présenter votre historique académique ?

3 M. le Pr Garde. - Oui. Je suis spécialiste de langues slaves,

4 de linguistique slave, agrégé de grammaire, de russe. J'ai enseigné comme

5 professeur de langues et littératures slaves à l'Université de Provence à

6 Aix-en-Provence depuis 1964 jusqu'à 1989, date où j'ai pris ma retraite.

7 J'ai également enseigné comme professeur invité aux Etats-Unis aux

8 université de Yale et de Columbia ainsi qu'en Suisse, à l'Université de

9 Genève. J'ai publié une dizaine de livres sur des questions de

10 linguistique slave et, plus récemment, sur les questions concernant l'ex-

11 Yougoslavie. J'ai publié également environ 150 articles sur ces mêmes

12 sujets.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Les pièces à

14 conviction que nous avons versées au dossier comprennent une liste des

15 écrits du Professeur Garde.

16 Professeur Garde, voulez-vous bien dire à quel moment vous

17 avez commencé à vous intéresser sur la région de l'ex-Yougoslavie, bien

18 évidemment sur le plan académique.

19 M. le Pr Garde. - Je peux difficilement séparer mon intérêt

20 sur le plan académique et mon intérêt tout court. J'ai commencé à visiter

21 la Yougoslavie en 1951 en tant que slavisant spécialisé en langues slaves.

22 La Yougoslavie était, à cette époque-là, le seul pays slave qui soit

23 facilement accessible. C'est pourquoi depuis cette date, je suis retourné

24 très souvent dans ce pays, dans toute les républiques yougoslaves, presque

25 chaque année depuis 40 ans.

Page 67

1 Par ailleurs, je me suis naturellement intéressé à la

2 Yougoslavie sur le plan académique, c'est-à-dire en tant que spécialiste

3 des langues slaves. Je me suis occupé de linguistique slave comparée et

4 des problèmes concernant les langues slaves du sud et j'ai écrit un

5 certain nombre d'articles concernant ces langues.

6 J'ai également participé à de nombreuses conférences et

7 séminaires dans les différentes républiques de Yougoslavie. J'ai été en

8 contact avec les linguistes de ces républiques et j'ai été témoin des

9 débats sur les langues qui avaient lieu à cette époque-là, plus

10 particulièrement depuis 1991, c'est-à-dire depuis que la guerre a

11 commencé.

12 Jusque-là, mon intérêt avait été tourné vers les problèmes de

13 linguistique et lorsque la guerre a éclaté, je suis revenu sur les

14 problèmes historiques et politiques de ces pays. Ce sont les questions

15 dont je me suis occupé au cours des cinq dernières années.

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

17 quelles sont les langues qui sont parlées dans la région de l'ex-

18 Yougoslavie ?

19 M. le Pr Garde. - Dans la région de l'ex-Yougoslavie, la

20 langue parlée est, tout d'abord, la langue que l'on a appelée pendant très

21 longtemps serbo-croate, que l'on distingue maintenant habituellement

22 serbe, croate et bosniaque.

23 Ensuite, vous avez le slovène, le macédonien qui sont

24 également des langues slaves. On parle également, bien entendu, beaucoup

25 d'autres langues, mais en particulier des langues comme l'albanais ou le

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1 hongrois qui ne sont pas des langues slaves et qui sont parlées par les

2 principales minorités qui existaient dans l'ancienne Yougoslavie.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur,

4 parlez-vous couramment l'une de ces langues ?

5 M. le Pr Garde. - Je parle et écris couramment le serbo-

6 croate, sous ses différentes formes, et de plus, je lis et comprends sans

7 aucune difficulté le macédonien et, avec un tout peu plus de difficultés,

8 le slovène.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - (interprétation de

10 l'anglais) Je suppose que vous connaissez les deux alphabets utilisés dans

11 la région.

12 M. le Pr Garde. - Je n'ai aucun problème avec les alphabets.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Voulez-vous bien

14 décrire très brièvement pour le Tribunal leur emploi et dire dans quelles

15 régions les deux alphabets sont utilisés.

16 M. le Pr Garde. - L'alphabet cyrillique est utilisé en Serbie,

17 en Macédoine et au Montenegro. L'alphabet latin est utilisé en Croatie, en

18 Slovénie et, en Bosnie-Herzégovine, les deux alphabets sont utilisés avec,

19 tout de même, actuellement, une prédominance de l'alphabet latin.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur.

21 Avez-vous écrit un livre relativement important relatif à l'éclatement et

22 la dissolution de la Yougoslavie, la désintégration de la Yougoslavie ?

23 M. le Pr Garde. - Oui, j'ai écrit un livre intitulé " Vie et

24 mort de la Yougoslavie" qui a été publié à Paris chez Fayard en 1992 et

25 dans lequel je présente brièvement un résumé de l'histoire des pays qui

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1 constituaient la Yougoslavie. Ensuite, je présente ces différents pays et,

2 enfin, j'analyse la crise par laquelle la Yougoslavie s'est disloquée

3 depuis 1986 et en se terminant au moment où mon livre lui-même s'est

4 terminé, c'est-à-dire au début de 1992.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il a une

6 cause, une raison spéciale qui vous a amené écrire ce livre ?

7 M. le Pr Garde. - Oui, certainement. J'ai commencé à écrire ce

8 livre en juillet 1991 et je l'ai achevé en mars 1992. J'ai été incité à

9 écrire ce livre lorsque la guerre a commencé. Elle a commencé, sur le plan

10 militaire, en juin 1991. Je me suis immédiatement rendu compte à quel

11 point, en France en tout cas, l'opinion, les médias et même les cercles

12 dirigeants étaient ignorants de ce qui se passait dans ce pays et j'ai été

13 stupéfait des énormités qui se disaient ou qui s'écrivaient à cette

14 époque. Je me suis aperçu alors, que l'expérience de ce pays que j'avais

15 acquise pendant 40 ans -que je croyais partagée par tous- pouvait peut-

16 être apporter quelque chose au public, que l'on pouvait redresser

17 certaines erreurs de jugement, certaines erreurs de compréhension

18 simplement en exposant les faits. Je me suis même dit que j'avais une

19 espèce de devoir d'essayer d'éclairer le public de cette façon et c'est

20 pour cette raison que j'ai commencé à écrire ce livre que j'ai achevé en

21 quelques mois.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quel genre de

23 recherche avez-vous fait en rapport avec ce livre ?

24 M. le Pr Garde. - Pour écrire ce livre, je me suis, d'une

25 part, documenté. J'ai lu tout ce que j'ai pu trouver sur l'histoire de ces

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1 pays. D'autre part, j'ai mené quelques entretiens avec des personnes

2 originaires de l'une ou l'autre des républiques yougoslaves qui se

3 trouvaient à ce moment-là en France. Enfin et surtout, j'ai dépouillé la

4 presse, un très grand nombre de revues et de journaux issus des

5 différentes républiques yougoslaves datant de ces années là, c'est-à-dire

6 1990, 1991, 1992 et cette recherche à travers la presse des différentes

7 républiques yougoslaves m'a apporté beaucoup de données me permettant

8 d'écrire ce livre.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Serait-il juste de

10 dire que au cours de cinq années écoulées, vous vous êtes surtout consacré

11 à l'étude et à la présentation de conférences portant sur le changement de

12 la situation dans l'ex-Yougoslavie ?

13 M. le Pr Garde. - Oui, c'est tout à fait exact. Depuis cinq

14 ans, je n'ai pratiquement rien fait d'autre que d'essayer de me documenter

15 sur cette question, non seulement pendant que j'écrivais ce livre, mais

16 durant les quatre années écoulées depuis, j'ai essayé de me documenté en

17 continuant à lire, à dépouiller la presse, à m'entretenir avec des gens,

18 en voyageant sur place et j'ai essayé de transmettre le résultat de ces

19 recherches au public par des articles, des conférences, etc.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous eu

21 l'occasion de faire valoir vos conseils auprès du Gouvernement français ?

22 M. le Pr Garde. - Cela m'est arrivé assez occasionnellement.

23 Il m'a été demandé, deux fois, des rapports pour le CAP, c'est-à-dire le

24 Centre d'analyse et de prévisions du Ministère français des Affaires

25 étrangères. Je leur ai remis, en janvier 1993, un rapport sur le

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1 nationalisme serbe et, en septembre de la même année, un rapport sur le

2 nationalisme croate. Ensuite, il m'est arrivé d'être invité pour des

3 consultations par des ministres, une fois en décembre 1992 par Georges

4 Kiejman, qui était à ce moment-là, Ministre adjoint des Affaires

5 étrangères dans le gouvernement Bérégovoy, ensuite plus tard, au printemps

6 1995 par François Léotard qui était Ministre de la Défense dans le

7 gouvernement Balladur. J'ai également été reçu une fois par le Président

8 Jacques Chirac en compagnie de dix autres personnes.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

10 comment avez-vous préparé ce témoignage d'aujourd'hui ?

11 M. le Pr Garde. - Pour préparer ce témoignage d'aujourd'hui,

12 je suis venu deux fois à La Haye, j'ai eu des entretiens avec le

13 représentant du Ministère public et j'ai étudié les documents qui m'ont

14 été remis par eux.

15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Voudriez-vous bien

16 pour nous ainsi que pour la Chambre, nous présenter votre témoignage par

17 un bref aperçu historique des événements clefs qui se sont déroulés dans

18 la région connue comme étant celle de l'ex-Yougoslavie.

19 M. le Pr Garde. - Oui, dans l'ex-Yougoslavie, c'est-à-dire

20 dans la partie occidentale des Balkans, vivent des peuples qui parlent la

21 même langue ou des langues prochement apparentées, les langues slaves du

22 sud, et des peuples qui ont appartenu et appartiennent depuis les origines

23 à des aires culturelles différentes. Les uns, comme les Serbes et les

24 Macédoniens, appartiennent à la chrétienté orientale, c'est-à-dire à

25 l'orthodoxie, et les autres comme, par exemple, les Slovènes et les

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1 Croates, appartiennent à la chrétienté occidentale, c'est-à-dire au

2 catholicisme, ce qui représente des aires culturelles tout à fait

3 différentes et des habitudes sociologiques également tout à fait

4 différentes.

5 Au moyen-âge il y a eu, à différentes époques et sur

6 différentes superficies, des Etats serbes, croates, bosniaques. Avec les

7 temps modernes, tout cet ensemble a été conquis -comme tous les Balkans-

8 par un immense empire, l'empire ottoman et les régions au nord-ouest, qui

9 ont échappé à l'empire ottoman, ont appartenu à un autre immense empire,

10 celui des Habsbourg. La conquête turque a eu comme conséquence, entre

11 autres, l'apparition d'une troisième religion et, par conséquent, d'un

12 troisième type de conception sociologique, l'Islam. Une grande partie des

13 habitants de la Bosnie, les ancêtres des Bosniaques musulmans

14 d'aujourd'hui, se sont convertis à l'Islam, tout comme les Albanais. Cela

15 fait donc une troisième religion. La conquête turque est responsable,

16 également, d'un énorme mouvement de population, d'énormes migrations qui

17 sont une des causes du mélange des populations aujourd'hui.

18 Tous ces peuples au XIXème siècle, ont pris conscience d'eux-

19 mêmes en tant que nation. C'est l'époque du nationalisme, de la prise de

20 conscience des nations, de ce que l'on appelle quelquefois la renaissance

21 nationale et ils ont tendu à rechercher leur indépendance.

22 Ceux qui étaient soumis à l'empire ottoman ont conquis leur

23 indépendance par des luttes, par des révoltes et par des actions armées.

24 C'est le cas, en particulier, de la Serbie qui a été la première à se

25 révolter et dont l'Etat a commencé à se créer dès le début du XIXème

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1 siècle et a grandi ensuite. Dans la partie autrichienne, au contraire, le

2 réveil national s'est fait plutôt sur le plan culturel et, également, sur

3 le plan politique par la lutte politique à l'intérieur de l'empire des

4 Habsbourg. Dès cette époque, se sont affrontées plusieurs façons

5 d'imaginer l'avenir de ces pays. Il y a eu, d'une part, des mouvements

6 purement nationaux, dont le premier et le plus important était le

7 mouvement national serbe tendant à la constitution de la grande Serbie,

8 c'est-à-dire d'un Etat rassemblant tous les Serbes.

9 Il y avait également des tendances nationales croates dans

10 d'autres régions. Dans le même temps, une autre tendance s'est fait jour

11 spécialement chez les Slaves du sud qui étaient soumis à l'Autriche.

12 C'est ce que l'on a appelé le mouvement yougoslave, c'est-à-dire que

13 puisque tous ces peuples sont voisins et parlent la même langue ou des

14 langues voisines, les langues slaves du sud, pourquoi, d'une façon ou

15 d'une autre ne se réuniraient-ils pas ensemble.

16 Un des principaux champions de cette idée au XIXème siècle a

17 été un évêque catholique croate, Josip Strossmayer. Ces différentes

18 conceptions ont grandi parallèlement, au cours du XIXème siècle et en

19 1918, à l'issue de la première guerre mondiale, a été créé justement un

20 Etat commun qui, un peu plus tard, a porté le nom de Yougoslavie.

21 Mais cet Etat était fondé d'emblée sur une équivoque. Aux yeux

22 des Serbes, qui avaient été les fondateurs de cet Etat, qui avaient été

23 vainqueurs dans la première guerre mondiale au côté des alliés, mais au

24 prix d'énormes sacrifices, pour qui la création de cet Etat représentait

25 en quelque sorte le couronnement de leur victoire, cet Etat était en fait

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1 la réalisation du projet de grande Serbie et son principal mérite était

2 justement qu'il réunissait tous les Serbes dans un seul Etat.

3 Pour les autres peuples, au contraire, le principal mérite de

4 cet Etat était conçu comme la réunion ensemble et sur un pied d'égalité,

5 et volontairement, de plusieurs peuples différents. Cette équivoque, cette

6 double façon de comprendre l'ensemble yougoslave n'a jamais cessé d'avoir

7 une influence sur toute l'évolution des événements et sans doute est-elle

8 encore à la base des événements actuels.

9 Les deux interprétations possibles, la première, c'est-à-dire

10 l'Etat yougoslave interprété comme la réalisation du projet grand serbe, a

11 été l'interprétation de la monarchie yougoslave entre 1918 et 1941. Dans

12 cette monarchie, le roi était serbe, le personnel politique était serbe,

13 les Serbes eux-mêmes la considéraient comme la consécration de leur Etat

14 et les autres peuples avaient tendance à la considérer comme oppressive.

15 La seconde conception, c'est-à-dire la Yougoslavie comme

16 réunion de plusieurs peuples sur un pied d'égalité, a été essentiellement

17 celle de la deuxième Yougoslavie, la Yougoslavie titiste, entre 1945 et

18 1991. Entre les deux, il y a eu naturellement la deuxième guerre mondiale

19 une période d'horreur qui a vu la défaite immédiate et l'éclatement de la

20 Yougoslavie, qui a vu se créer un Etat collaborateur et fasciste sur le

21 territoire de la Croatie, qui a vu se créer aussi un gouvernement

22 collaborateur sur le territoire de la Serbie, qui a vu des massacres

23 épouvantables, le génocide des Serbes en Croatie et en Bosnie par l'Etat

24 fasciste oustachi installé en Croatie, mais également les massacres de

25 Musulmans et de Croates par les Chetniks serbes, et la présence d'un autre

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1 mouvement de résistance en dehors des Chetniks, du mouvement des partisans

2 communistes dirigés par Tito qui, lui, était pluri-ethnique, rassemblait

3 tous les peuples, ce qui a peut-être été la principale raison de sa

4 victoire.

5 Mais naturellement, cette période d'horreur a laissé ses

6 traces dans la période ultérieure et le souvenir de ces massacres

7 épouvantables, réciproques continue à peser aujourd'hui.

8 Le régime titiste, lui, était fondé en principe sur le refus

9 de ce qui avait été la tare principale du régime monarchiste précédent,

10 c'est-à-dire le refus de la domination d'un peuple sur les autres.

11 Par conséquent, la Yougoslavie titiste avait été créée

12 officiellement comme une fédération de plusieurs républiques et provinces

13 autonomes qui correspondaient très imparfaitement aux différents peuples.

14 Cette Yougoslavie titiste reposait sur le principe fédéral, sur la

15 décentralisation, sur l'autonomie des différentes républiques et

16 différentes provinces. Cette autonomie est devenue de plus en plus réelle

17 au fur et à mesure de l'évolution du régime, puisque, par exemple, la

18 constitution de 1974 accordait des compétences beaucoup plus étendues à

19 chacune des républiques et à chacune des provinces, si bien que l'on

20 s'acheminait, avec cette constitution de 1974, vers un système presque

21 confédéral.

22 Dans le même temps, ce n'était pas vraiment une autonomie des

23 différents peuples dans la mesure où ce régime était tout de même un

24 régime communiste, dictatorial, même s'il était beaucoup moins rigoureux

25 que celui des autres pays communistes qui l'entouraient. Ce régime

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1 assurait donc, malgré tout, le pouvoir d'une nomenclature, et par

2 conséquent l'autonomie accordée aux différentes provinces et aux

3 différentes républiques était plutôt l'autonomie des groupes dirigeants

4 dans chacune de ces entités plutôt que celle des peuples. Ce déficit de

5 démocratie a certainement joué un rôle très important aussi dans la suite

6 des événements.

7 Quoi qu'il en soit, cette évolution vers une plus grande

8 décentralisation, vers une plus grande autonomie des républiques et des

9 provinces était tout naturellement interprétée de façon différente par

10 chacun des peuples dans la mesure où ceux-ci accueillaient bien ce pas

11 vers la décentralisation, excepté les Serbes, qui eux, souhaitaient une

12 plus grande centralisation, étaient satisfaits de ce que le régime avait

13 de centraliste au début et mécontents de la décentralisation qui se

14 poursuivait.

15 En effet, les Serbes se trouvaient répartis dans plusieurs des

16 républiques et des provinces, pratiquement dans toutes sauf une, et ils

17 souhaitaient que les liens entre ces différentes entités soient plus

18 forts. Ils souhaitaient donc un Etat centralisé ; les autres peuples

19 souhaitaient un Etat fortement décentralisé. Tous ces éléments de conflit

20 ont éclaté, en quelque sorte, plus tard, dans les années 1980, après la

21 mort de Tito.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur le

23 Professeur. Monsieur le Président, Madame et Messieurs les juges, compte

24 tenu du peu de temps dont nous disposions, nous avons essayé de présenter

25 la scène historique très brièvement. Si vous souhaitiez poser des

Page 77

1 questions spécifiques au Professeur Garde, concernant cette toile de fond

2 historique, l'occasion vous est maintenant offerte.

3 M. Le Président. - Je vais consulter mes collègues, Monsieur

4 le Procureur.

5 Ce n'était pas un bien long délibéré. Excusez-nous. Il

6 s'agissait de savoir si, effectivement, il était plus opportun de poser

7 des questions tout à fait à la fin de l'exposé du Professeur Garde ou si,

8 pour l'organisation du témoignage du Professeur Garde, il valait mieux

9 poser quelques questions maintenant. Je pense que nous allons,

10 effectivement, lui poser quelques questions. Je crois que le juge Riad a

11 une ou deux questions à poser. Monsieur le Juge, voulez-vous bien poser

12 votre question ?

13 M. Riad. - Monsieur le Professeur Garde. Ma question va peut-

14 être anticiper vos développements, mais vous avez lancé l'idée de la

15 grande Serbie. Je serais très intéressé de savoir comment cette idée s'est

16 développée dans le courant du conflit actuel. Qui étaient les propagateurs

17 de cette idée ? Quelle en est l'origine ? Il semble que du temps de Tito,

18 cette idée a disparu. Cette deuxième phase, comme vous l'avez dit,

19 représentait plutôt la coexistence de ces communautés. Comment cette idée

20 a-t-elle pu renaître et à qui cette renaissance est-elle due ? Quels sont

21 ceux qui l'ont propagée et exécutée ?

22 M. le Pr Garde. - On ne peut pas dire que cette idée ait

23 disparu. Elle avait été très puissante au XIXème siècle et dans la

24 première moitié du XXème. Sous le régime de Tito, elle était condamnée.

25 Elle ne pouvait pas s'exprimer, mais elle le faisait par exemple dans la

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1 presse serbe d'immigration. Par exemple, aux Etats-Unis, en Australie ou

2 dans d'autres pays, des journaux serbes exprimaient très ouvertement cette

3 idée.

4 Les Serbes n'étaient pas les seuls d'ailleurs. Il y avait

5 également une masse croate d'immigration qui exprimait des propositions

6 nationalistes croates, etc. Cette idée était conservée dans l'immigration.

7 Par ailleurs, elle était toujours présente en Serbie même, bien que ne

8 s'exprimant pas, du moins au début. Sous le régime de Tito, sachant que

9 les tendances nationalistes dans les différentes républiques continuaient

10 à exister, le régime les condamnait, en principe, officiellement, au nom

11 de la doctrine dite de fraternité et d'unité, mais dans le même temps, il

12 en jouait.

13 Le régime jouait des différentes aspirations nationalistes des

14 uns et des autres. Par exemple, il favorisait, dans certaines régions, tel

15 peuple au détriment de tel autre. L'expression directe des aspirations de

16 certains sous leur forme la plus brutale était étouffée, mais leur

17 expression indirecte, par le biais de la littérature ou de telle ou telle

18 revendication concrète pouvait parfois se faire jour. Dans la première

19 moitié du régime titiste, jusqu'en 1966, le Ministre de l'Intérieur était

20 l'homme le plus puissant sur la police. C'était Alexander Ankovic qui,

21 lui-même, était serbe -c'est la période où le régime est fortement

22 centralisé- et qui s'est fait particulièrement l'artisan de la répression,

23 par exemple, contre les Albanais.

24 Ces tendances nationalistes ont toujours existé, à certains

25 moments, elles se sont exprimées un peu plus fortement, par exemple à la

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1 fin des années 1970 par certaines déclarations de l'écrivain Dobrica

2 Cosic, celui qui, plus tard, en 1992 a été président de la nouvelle

3 Yougoslavie. Il avait formulé certaines thèses qui lui ont valu d'être

4 écarté, sanctionné.

5 Ces idées ont continué à s'exprimer. En principe, il ne

6 s'agissait pas, à ce moment-là, tant que durait la Fédération yougoslave,

7 d'une revendication de modification des frontières, puisque la frontière

8 de la Yougoslavie satisfaisait les Serbes, mais de revendications

9 concernant tel ou tel point des rapports entre les différentes nations à

10 l'intérieur de chacune des républiques.

11 Ces tendances se sont donc manifestées plus nettement

12 justement après la mort de Tito, dans les années 1980. Elles ont commencé

13 à se manifester, par exemple, à propos des conflits, des événements du

14 Kosovo -où sévissait un conflit entre Albanais et Serbes- quand la presse,

15 même officielle, a condamné la position des Albanais et pris des positions

16 qui allaient nettement dans le sens des positions nationalistes serbes.

17 De même, dans la littérature, c'est l'époque où l'on

18 recommence à présenter les choses sous un angle qui est celui du

19 nationalisme serbe, par exemple avec le roman de l'écrivain et futur homme

20 politique Vlotracovic, intitulé "Le couteau" paru, si je me souviens bien,

21 en 1982.

22 Les tendances nationalistes serbes se font sentir de plus en

23 plus fort dans ces périodes précises. Cependant, tant que l'Etat fédéral

24 existe, le problème ne se pose pas en termes de création d'une grande

25 Serbie puisque l'Etat fédéral pourrait -pour peu que sa Constitution ou sa

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1 pratique soit infléchie dans un certain sens- devenir une réalisation de

2 la grande Serbie. Le terme même de grande Serbie n'a pas lieu d'être

3 employé à ce moment-là, la conception de la grande Serbie n'a pas lieu

4 d'être employée, mais des tendances nationalistes serbes se manifestent de

5 plus en plus nettement tout au long des années 80.

6 Elles sont particulièrement nettes dans le mémorandum de

7 l’Académie des Sciences de Serbie rédigé fin de 1986.

8 M. Riad. - Sur le plan strictement politique et du leadership,

9 on peut attribuer la mise en pratique de ce concept à une certaine faction

10 ou à certaines personnes.

11 M. Le Pr Garde. - On peut l'attribuer à tout un ensemble de

12 personnes. C’est un projet qui était dans l’air à partir du début des

13 années 80, le projet de réformer la Yougoslavie pour, en quelque sorte, la

14 recentraliser. L’idée qui est présente dans le mémorandum de l’Académie

15 des Sciences dont j’ai parlé tout à l’heure est celle-ci : l’excès de

16 décentralisation mène d’abord, nous dit-on, à la catastrophe économique et

17 ensuite elle fait que les Serbes se trouvent divisés entre plusieurs

18 entités de plus en plus autonomes, et que par conséquent dans plusieurs

19 d’entre elles ils se trouvent brimés.

20 Il faut donc y remédier en recréant un état centralisé. Cette

21 idée était dans l’air, elle était véhiculée, naturellement avec des

22 nuances, par de très nombreux intellectuels serbes, des académiciens, des

23 hommes politiques, ceux qui vont devenir les leaders des partis politiques

24 ultérieurs, c’est à dire des gens comme Vuk Draskovic qui fondera plus

25 tard le mouvement serbe du renouveau, ou Seselj qui formera plus tard le

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1 parti radical, ceux qui formeront plus tard le parti démocrate. Elle est

2 véhiculée aussi plus insidieusement par une partie de la presse

3 officielle.

4 Le grand événement, le grand changement se produit en 1986-

5 1987 quand, tout d’un coup, ces idées qui jusque là étaient plus ou moins

6 combattues par le régime, par les dirigeants, qui étaient considérés comme

7 hétérodoxes, comme dangereuses- trouvent un nouveau dirigeant communiste

8 en Serbie qui les fait siennes : c’est Slobodan Milosevic qui arrive au

9 pouvoir en 1986 et raffermit son pouvoir en 1987. A partir de ce

10 moment-là, ces idées qui jusque là, étaient plus ou moins véhiculées par

11 différentes personnes, sont tout d’un coup reprises par le pouvoir en

12 Serbie. Alors que jusque là, elles étaient combattues, à partir de

13 maintenant, elles sont au contraire encouragées en haut lieu.

14 Voilà à peu près comment les choses se sont passées. Je ne

15 sais pas si j’ai répondu à votre question.

16 M. Riad. - Je vous remercie. Ces idées correspondaient-elles à

17 une réalité concrète sur le terrain, à la distribution des communautés ou

18 était-ce une idée plus ou moins expansionniste ?

19 M. le Pr Garde. - Tant que la Yougoslavie existait en tant

20 qu’Etat fédéral, le but des nationalistes serbes était simplement de

21 renforcer la centralisation dans cet état, de renforcer le pouvoir fédéral

22 au détriment des pouvoirs des différentes entités, puisque le pouvoir

23 fédéral ainsi conçu pouvait être, en quelque sorte, l’instrument de la

24 domination des Serbes sur l’ensemble.

25 Donc, il n’y avait pas, à ce moment-là, de revendications

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1 territoriales. Elles n’avaient pas lieu d’être puisqu’il aurait suffi que

2 le pouvoir fédéral redevienne plus fort et plus centralisateur pour que

3 les buts des nationalistes serbes aient été réalisés.

4 Mais c’est au fur et à mesure au contraire, que cet idéal

5 s’éloigne, c’est à dire que le pouvoir devient de plus en plus

6 décentralisé que les différentes républiques, et plus encore les provinces

7 acquièrent de plus en plus d’autonomie. C’est à ce moment-là que commence

8 à germer l’idée que, peut-être, il faudra s’accommoder du fait qu’il y a

9 des frontières entre les républiques, et par conséquent faire modifier

10 leur place ; c’est à ce moment-là que commence à germer l’idée d’une

11 redistribution des territoires.

12 M. Riad. - Merci Monsieur le Professeur.

13 M. Le Président. - Peut-être y a-t-il d’autres questions,

14 Monsieur le Procureur, mais comme bien entendu on ne connaît pas toute la

15 logique et la cohérence de l’exposé du Professeur Garde, mes collègues et

16 moi-même préférons que, pour l’instant, vous poursuiviez. S’il le faut

17 nous reviendrons sur certaines questions.

18 Monsieur le Professeur, vous avez la parole.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

20 Président, je voulais simplement donner la possibilité à la Chambre de

21 poser des questions brûlantes sur ce qui avait été dit.

22 Monsieur le Professeur Garde, après la deuxième guerre

23 mondiale, ce pays est devenu la république fédérale de Yougoslavie, n’est-

24 ce pas ?

25 Nous souhaiterions voir la pièce à conviction n° 2.115 qui est

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1 une carte de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

2 Pourriez-vous, Monsieur le Professeur, utiliser cette carte et

3 nous décrire un peu les structures géographiques entre la deuxième guerre

4 mondiale et Tito et nous dire un peu quelles sont les composantes

5 politiques, en nous les indiquant sur la carte.

6 M. le Pr Garde. - La république socialiste fédérale de

7 Yougoslavie était composée de six républiques, à savoir au nord-ouest la

8 Slovénie, ensuite la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la

9 Macédoine et la Serbie. La république de Serbie, qui est la plus grande et

10 la plus peuplée, comportait en son sein deux provinces autonomes, à savoir

11 au nord la Voïvodine et au sud le Kosovo.

12 La raison d’être de cette division, selon des frontières qui,

13 dans la plupart des cas, recouvraient des frontières historiques, est la

14 présence de différents peuples. La Constitution reconnaissait

15 officiellement au début cinq peuples slaves du Sud et plus tard, à partir

16 de 1968, elle en reconnaît un sixième : les Bosniaques musulmans.

17 Il y a des six peuples auxquels correspondaient six

18 républiques. Il y avait les Slovènes, les Croates, les Bosniaques

19 musulmans, les Monténégrins, les Macédoniens, les Serbes. Mais comme il

20 s’agissait de frontières d’origine historique, qui ne correspondaient pas

21 aux frontières ethniques -et il était presque impossible de tracer les

22 frontières ethniques puisque les populations étaient presque partout

23 mêlées- dans certaines républiques, on admettait la présence non pas d’un

24 seul, mais de plusieurs peuples constitutifs.

25 La Slovénie, le Monténégro, la Macédoine et la Serbie étaient

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1 censés n’avoir qu’un seul peuple constitutif chacune ; la Croatie en avait

2 deux, à savoir les Croates et les Serbes puisqu’il y avait 12 % au

3 recensement de 1991, et la Bosnie-Herzégovine avait trois peuples

4 constitutifs : les Bosniaques musulmans, les Serbes et les Croates qui

5 étaient respectivement en 1991 44 %, 31 %, 18 %.

6 Par ailleurs, en dehors des peuples constitutifs, sud-slaves,

7 il y avait d’autres populations que l’on appelait tantôt minorités, tantôt

8 nationalités. Il s’agissait des peuples qui vivaient sur le territoire de

9 Yougoslavie, mais qui n’étaient pas slaves du sud et dont la plupart

10 correspondaient à un état existant en dehors de la Yougoslavie.

11 Les deux minorités principales étaient les Albanais, qui

12 étaient environ 2 millions et les Hongrois qui étaient environ 400 000.

13 C’est pourquoi, dans le cas de la république de Serbie,

14 avaient été créées deux provinces autonomes : au sud le Kosovo -parce que

15 la population y était en grande majorité albanaise- ensuite, en Voïvodine,

16 parce qu’à côté d’une population serbe qui était en 1991 de 54 %, il y

17 avait un très grand nombre de minorités, en particulier les Hongrois qui

18 étaient les plus nombreux, mais aussi les Roumains, les Slovaques, etc.

19 Deux régions où existaient des minorités très importantes.

20 Une des particularités des différentes constitutions du régime

21 titiste qui se sont succédées au cours de l’histoire du régime est que

22 justement, tout en proclamant l'égalité entre les différents peuples et

23 nationalités, elles maintenaient cette distinction entre les peuples d’une

24 part et les nationalités ou minorités, d’autre part et de même, cette

25 hiérarchie entre les Républiques, lesquelles correspondaient aux peuples,

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1 et les provinces autonomes lesquelles correspondaient aux minorités.

2 Je pense que cette hiérarchie a été maintenue malgré le

3 principe théorique de l’égalité et a été une des difficultés du régime, ce

4 qui se reflétait également dans l’existence d’une disparité entre les

5 Républiques et les provinces autonomes. Il y avait des contradictions dans

6 la Constitution. Par exemple, dans la Constitution de 1974, il est dit, en

7 même temps que le Kosovo et la Voïvodine font partie de la République de

8 Serbie, que le Kosovo et la Voïvodine sont au même titre que les

9 Républiques des membres de la Fédération, c’est-à-dire que cette

10 Constitution, en quelque sorte, met à la fois sur le même plan le tout et

11 les parties, ce qui correspond à la difficulté, au conflit qui existait

12 entre les Serbes d’une part, et les minorités habitant le territoire de la

13 Serbie de l’autre, en particulier entre les Serbes et les Albanais.

14 Voilà quelle était la structure. Dans celle-ci, comme je l’ai

15 dit tout à l’heure, au cours de l’évolution du régime, les Républiques

16 sont devenues de plus en plus autonomes, mais les provinces autonomes sont

17 également devenues de plus en plus autonomes. Elles sont mises, à partir

18 de 1974, pratiquement sur le même plan que les Républiques, ce qui crée

19 une grande cause de mécontentement chez les Serbes. J’ajoute que,

20 évidemment, quand j’ai dit que les Républiques correspondaient à tels

21 peuples etc., cela ne signifie pas qu’aucune des républiques, sauf peut-

22 être la Slovénie, ait été homogène. Toutes les républiques et toutes les

23 provinces avaient une population mêlée dans différentes proportions. La

24 composition ethnique de chacune des régions était extrêmement complexe.

25 M. le Président. - Monsieur le Professeur, avant que vous

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1 soyez là, nous avions fixé un moment d'interruption pour vous permettre de

2 vous reposer. Il est 17 heures 30. L'audience reprendra à 17 heures 45.

3 (L'audience suspendue à 17 heures 30, est reprise à 17 heures

4 55).

5 M. Le Président. - Monsieur le Procureur, le Tribunal a donné

6 le mauvais exemple, puisque nous avons pris quelques minutes de plus. Nous

7 allons essayer de rattraper. Vous avez la parole.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

9 avant la pause vous discutiez du concept de peuple en tant que nation,

10 dans le cadre de la conception yougoslave. Il serait bon que vous puissiez

11 pouviez décrire au tribunal la signification de ce statut de nation pour

12 les citoyens de Yougoslavie.

13 M. le Pr Garde. - Dans cette partie de l'Europe, l'Etat est

14 apparu après la nation. En Europe occidentale, l'Etat moderne est un

15 phénomène très ancien et la nation est apparue plus tard, au 18ème siècle,

16 à l’époque de la Révolution française, où les gens appartenant à un même

17 Etat ont pris conscience de former une communauté qui est la nation.

18 Par conséquent, l'appartenance à la nation, française ou

19 britannique, est identique à l'appartenance à l'Etat et coextensive à

20 l'appartenance à l'Etat. Dans tout le centre et l’Est de l'Europe, au

21 contraire, le concept de nation est apparu, lui aussi après la Révolution

22 française au 19ème siècle, alors que ces nations n'avaient pas d'Etat. La

23 nation est conçue comme un ensemble de gens partageant une certaine

24 culture, un certain nombre de caractéristiques culturelles. Cette

25 nationalité leur reste attachée, quel que soit l’Etat auquel ils

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1 appartiennent.

2 C'est pourquoi, dans cette partie de l'Europe, il est

3 impossible que de façon naturelle les limites entre les Etats coïncident

4 avec les limites entre les nations, alors qu’à l'ouest de l’Europe cette

5 coïncidence est pour ainsi dire automatique.

6 Dans toute la partie orientale de l'Europe, l'appartenance à

7 telle ou telle nation est quelque chose qui est ressenti par l'individu

8 comme lui appartenant en propre, comme la langue qu'il parle ou la

9 religion à laquelle il adhère, et qui ne dépend pas des vicissitudes

10 politiques.

11 La Yougoslavie a donc été, depuis le début, un état

12 multinational, c'est-à-dire un Etat dans lequel il y avait plusieurs

13 nations, dans lequel les gens, intimement, se considéraient comme étant,

14 par exemple serbes, croates, slovènes, musulmans bosniaques, ou albanais,

15 indépendamment du fait qu'ils appartenaient à la Yougoslavie.

16 Juridiquement même, la nationalité et la citoyenneté étaient

17 des concepts distincts dans le Droit yougoslave, de même qu'ils étaient

18 des concepts distincts dans le Droit soviétique. Ils sont restés des

19 concepts distincts dans le Droit des actuelles républiques issues de la

20 Yougoslavie. Par exemple, un citoyen de la Croatie, encore aujourd'hui,

21 peut très bien avoir simultanément la citoyenneté croate et la nationalité

22 serbe, italienne, hongroise ou toute autre. De même en Serbie.

23 La citoyenneté, c'est l'appartenance à l'Etat, mais la

24 nationalité c'est une caractéristique de l’individu.

25 Les citoyens de l'ancienne Yougoslavie -encore aujourd'hui les

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1 citoyens des républiques issues de l'ancienne Yougoslavie- se considèrent

2 eux-mêmes comme appartenant à telle ou telle nation.

3 Ce sentiment peut être -à leurs yeux- plus ou moins important,

4 mais de toute façon il existe. De même, ils sont considérés comme

5 appartenant à telle ou telle nation par les gens qui les entourent, c’est-

6 à-dire que dans les régions qui sont multi-ethniques où vivaient plusieurs

7 nationalités, comme par exemple la Bosnie-Herzégovine, les gens avaient

8 eux-mêmes conscience d'être ceci ou cela et que leurs voisins étaient ceci

9 ou cela, ce qui pendant très longtemps, pour autant que les circonstances

10 politiques étaient favorables, ne les empêchait pas de vivre très bien les

11 uns à côté des autres, d'avoir de bonnes relations, de voisiner

12 agréablement, de se marier entre eux, mais la conscience d'appartenance à

13 tel ou tel groupe subsistait tout de même.

14 Dès que les circonstances politiques devenaient défavorables,

15 dès que ces différences étaient volontairement exploitées pour créer des

16 antagonismes, ceux-ci pouvaient se réveiller facilement.

17 Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui, tout à fait

19 Professeur Garde. Merci.

20 Vous avez également expliqué à la Cour qu'il serait

21 pratiquement impossible de faire correspondre les frontières politiques au

22 concept de nation qui appartient au peuple.

23 En fait dans la Yougoslavie telle qu'elle s'est développée

24 après la deuxième guerre mondiale, il existait au moins cinq nations pour

25 lesquelles il y avait une certaine correspondance entre le concept de

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1 nation en tant que peuple et la notion de république sur le plan

2 politique. Pourriez-vous élaborer sur ce point brièvement ?

3 M. le Pr Garde. - Il y avait une sorte de correspondance

4 globale, c’est à dire qu’il y avait à peu près autant de nations que de

5 républiques. A partir du moment où les Bosniaques musulmans étaient

6 reconnus comme nation, il y avait autant de nations que de républiques :

7 six républiques, six nations.

8 Cela ne veut pas dire que tous les habitants de la République

9 appartenaient à la nation en question. J'ai déjà dit tout à l'heure que

10 dans toutes les républiques, sauf peut-être la Slovénie, la population

11 était extrêmement mêlée. Excepté la Slovénie, il n’existait aucune

12 république dans laquelle la nation dominante représentait plus de 72 % de

13 la population.

14 Nulle part la nation dominante ne représentait plus des trois-

15 quarts de la population. En Bosnie, elle ne représentait que les 2/5ème.

16 Nulle part il n’y avait cette coïncidence exacte entre les nations et les

17 républiques, de même que dans l’ensemble des Balkans il n’y a nulle part

18 de coïncidence entre les Etats et les nationalités. Il y a partout ce que

19 l’on appelle des minorités. Qu’est-ce qu’une minorité ? C’est un groupe de

20 gens pour lesquels la nationalité n’est pas la même que la citoyenneté.

21 Quand il y a des Grecs d’Albanie, des Turcs de Bulgarie, des Hongrois de

22 Roumanie, etc., ce sont des minorités, c’est-à-dire des gens dont la

23 définition nationale n'est pas la même que la définition étatique.

24 Ce phénomène était encore beaucoup plus développé dans chacune

25 des républiques de l'ex-Yougoslavie. Cette coïncidence qui est obtenue

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1 ipso facto pour des raisons historiques, dans les Balkans et en Europe de

2 l’Est en général ne peut pas être obtenue, sauf par la violence. Cette

3 violence peut être l’expulsion ou le massacre, c’est le nettoyage

4 ethnique.

5 Si l'on veut, l'utopie qui consiste à vouloir faire coïncider

6 les frontières étatiques avec les frontières ethniques, a été celle du

7 traité de Versailles en 1918. Ce traité était irréalisable et à la suite

8 de ce traité nous avions partout des minorités.

9 Cette utopie a été aussi celle de la division de l’Europe par

10 Hitler en 1941. Là aussi, le principe était de découper selon les limites

11 ethniques et dans certaines régions, par exemple au sud des Balkans,

12 c’était plus ou moins réalisé, mais là encore au prix de massacres.

13 Cette utopie est également celle qui est en train d'être

14 réalisée sous nos yeux, c’est à dire vouloir faire coïncider la frontière

15 politique avec la frontière ethnique, et vouloir qu'il n'y ait plus de

16 minorité, vouloir que tous les membres de telle nation soient réunies dans

17 le même Etat et que, dans cet Etat, il n’y ait pas de membres d’une autre

18 nation, c’est cela le nettoyage ethnique et cela ne peut se réaliser que

19 par la violence, une violence épouvantable.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

21 Professeur Garde, y avait-il quelques peuples qui considéraient une

22 république particulière comme leur entité politique principale ? Par

23 exemple les Slovènes vis-à-vis de la Slovénie, les Macédoniens vis-à-vis

24 de la Macédoine, ce genre de situation ?

25 M. le Pr Garde. - C'était le cas partout puisqu’il y avait

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1 autant de républiques que de nations. Dans chacune des républiques, il y

2 avait un peuple principal qui se considérait comme chez lui, dont on

3 savait que cette république était la sienne, sauf que comme je l’ai dit

4 tout à l'heure, en Croatie, il y avait officiellement deux nations

5 constitutives et en Bosnie trois nations constitutives.

6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - S'agissant de la

7 République de Bosnie-Herzégovine en particulier, pouvez-vous redire à la

8 Cour quelle était sa composition ethnique approximative après la deuxième

9 guerre mondiale ?

10 M. le Pr Garde. - Je n’ai pas présents à l'esprit les

11 pourcentages du premier recensement après la deuxième guerre mondiale,

12 c’est-à-dire celui de 1948, mais je peux vous donner ceux du dernier

13 recensement, en 1991. Les Bosniaques musulmans -je m’excuse, en parlant

14 français j'utilise volontairement le terme de Bosniaque musulman pour

15 éviter toute ambiguïté parce que ce groupe humain a été appelé

16 officiellement, sous le régime titiste, Musulman. Aujourd’hui, dans la

17 Bosnie-Herzégovine, ils se désignent officiellement par le terme de

18 bosniaque (Bosniaci) et, pour éviter toute confusion, j'emploie les deux

19 termes côte à côte.

20 Les Bosniaques musulmans étaient 44 %. Les Serbes étaient 31 %

21 et les Croates étaient 17 ou 18 %. Il faut dire aussi que la répartition

22 était extrêmement complexe. L’une des particularités était que les Serbes

23 étaient nombreux dans le nord-ouest, c'est-à-dire très loin de la Serbie,

24 et les Bosniaques musulmans étaient particulièrement nombreux dans l’Est,

25 c’est-à-dire tout près de la Serbie.

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1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

2 serait-il exact de dire que la République de Bosnie-Herzégovine était la

3 république la plus diverse sur le plan ethnique en ex-Yougoslavie ?

4 M. le Pr Garde. Oui, certainement, puisque c’était la seule

5 dans lequel aucune nation n'avait la majorité absolue. La nation la plus

6 nombreuse ne faisait que 44 %. En même temps, c'était la plus uniforme sur

7 le plan linguistique puisque tous ces peuples parlent la même langue.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Sur la base des

9 études que vous avez réalisées, pourquoi diriez-vous que la Bosnie-

10 Herzégovine était la plus diverse sur le plan ethnique dans l'ex-

11 Yougoslavie ?

12 M. le Pr Garde. - Justement, au cours de l'histoire des

13 Balkans, aux 18ème et 19ème siècle, il y avait déjà eu des phénomènes de

14 nettoyage ethnique qui au début étaient simplement du nettoyage

15 confessionnel.

16 Au 18ème siècle, une grande partie de la Croatie actuelle

17 était sous domination ottomane et a été reconquise par les Autrichiens.

18 Lors de cette reconquête, les Autrichiens ont expulsé tout les Musulmans.

19 De ce fait, en Croatie il n'y a pas de Musulman, bien qu’il y ait à

20 certains endroits des traces de mosquée.

21 De même, au 19ème siècle, quand la Serbie et le Monténégro, de

22 même que la Grèce, ont conquis leur indépendance, à chacune des étapes de

23 leur reconquête, elles ont expulsé les Musulmans. Donc il ne restait plus

24 de Musulmans dans les régions qui constituaient la Serbie, le Monténégro

25 ou bien encore la Grèce en 1912.

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1 Par conséquent, ces régions étaient ethniquement assez

2 homogènes et la Bosnie, elle, a échappé à tous ces phénomènes, puisqu'elle

3 est restée ottomane jusqu'en 1878. L’empire ottoman était oppressif,

4 certes, mais tolérant : il permettait la pratique de toutes les religions

5 et il tolérait la présence de tous les groupes.

6 Ensuite, entre 1878 et 1918, cette même Bosnie-Herzégovine a

7 fait partie de l'empire Austro-hongrois, mais celui-ci, à cette époque là,

8 ne pratiquait plus le nettoyage ethnique. Par conséquent, la diversité est

9 restée ; elle a même été protégée par l'empire austro-hongrois qui jouait

10 sur la diversité des populations.

11 Après 1918, la Bosnie a fait partie de la Yougoslavie et

12 celle-ci, elle aussi, a respecté la diversité ethnique, bien que sous le

13 régime autrichien comme sous le régime yougoslave, il y ait eu des départs

14 de Musulmans vers la Turquie, mais il en est resté tout de même beaucoup.

15 La Bosnie était, au même titre que la Macédoine ou que

16 quelques autres régions, un pays qui avait eu la chance d'échapper aux

17 persécutions religieuses contre les Musulmans qui ont eu lieu au 18ème

18 siècle et au 19ème.

19 C’est pourquoi on est arrivé, jusqu’en 1992 avec cette

20 diversité ethnique et religieuse intacte. Malheureusement, il n'en a pas

21 été de même de la suite.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

23 avez-vous quelque connaissance de la façon dont les différents groupes

24 ethniques de Bosnie-Herzégovine se comportaient les uns par rapport aux

25 autres avant le début du conflit ?

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1 M. le Pr Garde. - Avant le début du conflit, les différents

2 groupes ethniques vivaient ensemble. Bien entendu, il y avait eu dans

3 l'histoire des moments d'antagonisme et de lutte entre eux, en particulier

4 pendant la deuxième guerre mondiale. Mais pendant les 45 années du régime

5 titiste, les différents groupes vivaient ensemble, particulièrement dans

6 les villes puisque généralement chaque village était homogène et habité

7 par des gens d’un même groupe. Mais les villes, même petites, étaient

8 mixtes et les gens s’y rencontraient.

9 Il s'établissait des relations de bon voisinage entre eux.

10 Dans l'ancienne génération, les relations de bon voisinage ne signifiaient

11 pas l'oubli des différences. Chacun avait conscience que son voisin

12 appartenait à telle ou telle communauté, mais celles-ci vivaient ensemble

13 très bien, se rendaient mutuellement des services et allait participer au

14 fait les uns des autres. Ensuite il y a eu aussi pendant ces années là un

15 très grand nombre de mariages mixtes. Je ne saurai pas dire, car il n'y a

16 pas de statistique là-dessus, quel est le pourcentage de citoyens de la

17 Bosnie issus de mariages mixtes, mais ce pourcentage est certainement très

18 élevé.

19 Il y avait une habitude de vivre ensemble, de se côtoyer, de

20 participer surtout dans les villes aux mêmes activités. On peut dire un

21 bon voisinage. Ce qui ne signifie pas la perte de la conscience de

22 l'appartenance à tel ou tel groupe

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci Professeur

24 Garde. Vous avez évoqué la différence entre les villages à peuplement

25 homogène dans les zones rurales et le fait que les populations étaient

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1 mixtes dans les villes. A cet égard nous aimerions que la pièce à

2 conviction n° 3 soit montrée.

3 Professeur Garde, pourriez-vous nous dire comment vous avez

4 préparé ce tableau et nous dire quelle est son importance ?

5 M. le Pr Garde. - J’ai préparé ce tableau simplement à partir

6 des résultats du recensement de 1991. Il s'agit des obcine. On traduirait

7 mot à mot par commune, mais en réalité c'est une municipalité, un ensemble

8 d'environ 500 km², donc un ensemble assez important.

9 Il y a, en Bosnie-Herzégovine, 101 obcina. Mon tableau n'en

10 comprend que 19. Ce sont celles dans lesquelles il y a la majorité du

11 territoire de l'obcina, mais pas la même que la majorité de son chef-lieu.

12 Dans la colonne de gauche, vous avez la majorité de l’obcina et dans la

13 colonne de droit celle du chef-lieu.

14 A propos de ces 19 communes, là où il y a une différence entre

15 obcina et chef-lieu, on s'aperçoit que dans la plupart, dans 14 cas sur 19

16 le chef-lieu est à majorité musulmane, tandis que le territoire dans son

17 ensemble est à majorité soit serbe dans huit cas ou croate dans six cas.

18 Ceci indique qu'il y a bien entendu dans quelques cas

19 contraires dans lesquels la ville est à majorité serbe, tandis que le

20 territoire alentour est en majorité musulmane, mais ce sont des

21 exceptions. Dans la majorité des cas, la ville est à majorité musulmane,

22 tandis que l’ensemble du territoire est à majorité soit serbe, soit

23 croate.

24 Ceci indique qu’en général il y avait une plus grande

25 concentration de Musulmans dans les villes que dans les campagnes. Bien

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1 entendu, il y a des exceptions. Ce n’est pas une règle absolue. Mon

2 tableau n'indique pas les 80 communes dans lesquelles la majorité de la

3 ville et celle des territoires est la même. On pourrait faire une analyse

4 beaucoup plus fine. Simplement c'est un fait qu’en gros les Bosniaques

5 musulmans étaient plutôt plus nombreux dans les villes tandis que les

6 Croates et surtout les Serbes étaient plutôt plus nombreux dans les

7 campagnes. Ceci s’explique par des raisons historiques parce que pendant

8 les 4 siècles qu'a duré la domination ottomane, les Musulmans étaient la

9 classe dominante et par conséquent étaient plus nombreux dans les villes,

10 tandis que les Serbes et les Croates étaient plutôt des paysans, des

11 vassaux et vivaient plutôt dans les campagnes.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Etes-vous au

13 courant d'une déclaration faite par l'accusé Radovan Karadzic s'agissant

14 de cette tension entre les zones urbaines et rurales ?

15 M. le Pr Garde. - Oui, j'ai lu une interview donnée par

16 Radovan Karadzic à l'hebdomadaire serbe Pogledi en date du 11 décembre

17 1992, dans laquelle il dit : « Autrefois les Turcs étaient dans les villes

18 et nous étions dans les bois, maintenant c’est nous qui sommes dans les

19 villes et ce sont les Turcs qui sont dans les bois. Grâce à cela désormais

20 le Général hiver va devenir l'ennemi de nos ennemis ».

21 Ceci a été prononcé en décembre 1992, juste au moment où

22 commençait le premier hiver de guerre.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - A ce stade, nous

24 aimerions changer quelque peu l'orientation de nos propos et revenir sur

25 les événements qui ont entraîné la dissolution de la Yougoslavie.

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1 Pourriez-vous commencer par nous dire quelques mots de la façon dont les

2 différents groupes ethniques et les accès de nationalisme ont été traités

3 par Tito pendant son régime ?

4 M. le Pr Garde. - Le mouvement partisan en général s'est

5 appuyé pendant la résistance sur l'ensemble des nationalités, c’est-à-dire

6 qu’alors que le mouvement des Chetniks était purement serbe et traitait

7 les autres nationalités en ennemies, les partisans, eux, accueillaient

8 tout le monde composant toutes les nationalités.

9 C'est pourquoi les Serbes qui échappaient au massacre des

10 Oustachis pouvaient venir grossir l’armée des partisans, mais également

11 les Croates qui échappaient aux massacres par les Chetniks pouvaient se

12 réfugier dans les partisans et les Croates qui devenaient mécontents du

13 régime Oustachi pouvaient entrer dans les partisans.. Bref, ils

14 réunissaient tout le monde.

15 Il s'est toujours appuyé sur cette idée que c'était l'héritage

16 de l'internationalisme communiste, l'idée de la fraternité, de l'unité,

17 c’est à dire tous les peuples ont des droits égaux et tous les peuples ont

18 une place égale dans la fédération, tout en étant reconnus.

19 Par conséquent, les différents nationalismes étaient

20 condamnés. Cela n’a pas empêché, en même temps, le régime de jouer sur les

21 oppositions nationales. Par exemple, un des principaux dangers aux yeux de

22 Tito était le danger d'une prédominance serbe, comme elle avait existé

23 sous la monarchie, parce que les Serbes étaient le peuple le plus nombreux

24 ; ils représentaient 36 % de la population.

25 D'abord Tito a encouragé la prise de conscience de petites

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1 nations telles que les Macédoniens, les Monténégrins ou les Bosniaques

2 musulmans qui auparavant avaient été plutôt considérés comme des Serbes ou

3 comme des Croates dans certains cas. Il a donc essayé d’augmenter le

4 nombre des partenaires.

5 Ensuite, il a pris soin que le rôle de la Serbie dans la

6 Fédération ne soit pas trop important. Mais en même temps, il s'est appuyé

7 sur les Serbes dans d'autres domaines. Par exemple en Croatie où les

8 Serbes ne représentaient que 12 % de la population -mais les Serbes

9 avaient joué un rôle important dans le mouvement des partisans,

10 traditionnellement les Serbes de Croatie avaient été les auxiliaires des

11 pouvoirs qui s'étaient succédés autrichiens et yougoslaves, et sous le

12 titisme la chose a continué, c’est à dire que les Serbes de Croatie

13 occupaient à l’intérieur de l’Etat croate des positions dominantes dans le

14 Parti, dans l'administration, dans la police.

15 En Croatie, en un certain sens, le régime, au moins à

16 certaines époques, jouait la minorité serbe contre la majorité croate.

17 Au Kosovo, le régime a favorisé l'autonomie des Albanais et

18 par conséquent mécontenté les Serbes. Mais en même temps, il n'accordait

19 pas aux Albanais ce qu'ils demandaient, c'est-à-dire l'institution d'un

20 statut de république pour le Kosovo et par conséquent il mécontentait les

21 Albanais.

22 En Bosnie, le régime a joué tantôt en faveur des Serbes,

23 tantôt en faveur des Bosniaques musulmans, selon un dosage extrêmement

24 complexe. On pourrait entrer dans le détail de chacune des républiques :

25 partout le régime titiste prenait soin de pratiquer un dosage extrêmement

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1 subtil entre les différentes nationalités et souvent de jouer l’une contre

2 l'autre. Ces mêmes antagonismes nationaux qu'il récusait en théorie, dans

3 certains cas et dans certains lieux et certaines occasions il les

4 utilisait en pratique.

5 Mais en même temps, quand des manifestations risquaient de

6 mettre en cause son pouvoir, il les réprimait. Le plus important cas de ce

7 genre a été « le printemps croate » en 1971, c’est-à-dire un mouvement de

8 revendication en Croatie qui était à peu près unanime, appuyé en

9 particulier par des manifestations étudiantes -nous sommes 3 ans après les

10 mouvements étudiants de 1968 dans toute l'Europe- qui était appuyé aussi

11 par la direction locale du parti. Bref il y avait un mouvement à peu près

12 unanime en Croatie pour réclamer plus d'autonomie, plus de respect pour

13 les particularités croates et ce mouvement, au bout d'un certain temps a

14 été réprimée par Tito et certains des dirigeants de ce mouvement qui

15 étaient les dirigeants du parti communiste croate à cette époque ont été

16 destitués, on les retrouvera plus tard comme leader de certains partis

17 croates en 1991.

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous pourriez peut-

19 être vous étendre un peu sur ce point -ce genre d'attaque, cette

20 bureaucratie nécessaire, cette demande en faveur de la décentralisation,

21 ceci ayant lieu simultanément avec la montée, l'ascendance du

22 nationalisme- et expliquer dans quelle mesure ceci se répercutait sur les

23 autorités au pouvoir.

24 M. le Pr Garde. - Le mémorandum était un texte non officiel,

25 un texte même clandestin, mais dès l'année suivante, on peut dire que

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1 Milosevic, lorsqu'il arrive au pouvoir, reprend, en quelque sorte, à son

2 compte, sans le dire, les objectifs de ce mémorandum.

3 Il se produit, à partir de la prise de pouvoir de Milosevic

4 jusqu'à la fin des années 80, une évolution très importante en Serbie

5 encouragée, prise en main, par le pouvoir. Jusqu'ici, le pouvoir

6 communiste avait réprimé les tendances nationalistes. A partir de

7 l'arrivée au pouvoir de Milosevic, il les utilise comme instrument.

8 L'arrivée au pouvoir de Milosevic en Serbie est à peu près contemporaine

9 de celle de Gorbatchev en URSS et Milosevic a bien compris que le

10 communisme n'avait plus d'avenir et qu'il fallait trouver autre chose

11 pour conserver son pouvoir. Il lance, à partir de 1987 ce que l'on a

12 appelé la révolution anti-bureaucratique.

13 Qu'est-ce que cela signifie-t-il ? Tout régime communiste est

14 oppressif et, depuis toujours, les régimes communistes, lorsqu'ils étaient

15 en butte à un mécontentement populaire, ont dit que ce n'était pas la

16 faute du régime mais de la bureaucratie et qu'il fallait lutter contre

17 cette dernière.

18 Milosevic lance même le slogan à partir de 1987 : lutte contre

19 la bureaucratie, révolution anti-bureaucratique.

20 En même temps, dans le régime titiste, dans le régime de la

21 Yougoslavie communiste, il y avait plusieurs bureaucraties, celle de

22 chacune des républiques et des provinces autonomes. C'est pourquoi l'idée

23 de la révolution anti-bureaucratique -dans la conception qui triomphe en

24 Serbie à cette époque-là- se joint à la lutte contre la décentralisation.

25 Supprimer la bureaucratie, c'est aussi supprimer les

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1 bureaucraties qui dirigent chacune des républiques et des provinces

2 autonomes et c'est donc, par conséquent, renforcer le pouvoir central.

3 Nous avons ici une certaine conception qui est assez familière aux

4 français : l'idée que la démocratie implique la centralisation, que tout

5 pouvoir local est une source de privilège et d'inégalité, tandis qu'au

6 contraire, dans une autre tradition anglo-saxonne, on pense que plus il y

7 a de décentralisation, de liberté locale, plus il y a de démocratie.

8 La tendance de Milosevic est non pas de lutter contre la

9 bureaucratie mais contre les bureaucraties, c'est-à-dire contre les

10 pouvoirs des différentes républiques pour revenir à plus de

11 centralisation, d'abord au niveau de la Serbie et ensuite, si possible, au

12 niveau de la Yougoslavie. En particulier, toutes les forces qui s'opposent

13 un peu partout au nationalisme serbe sont assimilées à la bureaucratie.

14 Par exemple, l'un des slogans est : "Eliminer les pouvoirs qui sont

15 porteurs du nationalisme bureaucratique", c'est-à-dire, par exemple, qu'au

16 Kosovo, se débarrasser de la direction albanaise du Kosovo, signifie faire

17 disparaître une certaine bureaucratie et rétablir le pouvoir des serbes

18 sur les albanais. Même si on avait en Croatie, en Slovénie ou ailleurs, à

19 affaiblir la bureaucratie locale, on rétablirait le pouvoir central qui

20 est celui en dernière analyse, de la Serbie.

21 C'est ainsi que, sous le masque de la révolution anti-

22 bureaucratique, se cache aussi l'essai de reprise en main par les Serbes

23 de l'ensemble de la Fédération, ce qui, naturellement, apparaît comme une

24 menace pour tous les autres peuples qui, même s'ils souffrent de la

25 bureaucratie, sont tout de même bien contents d'avoir leur autonomie.

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1 Cette combinaison de la lutte contre la bureaucratie et de la

2 lutte pour les objectifs nationaux est extrêmement efficace, extrêmement

3 explosive parce qu'en Serbie, les gens sont effectivement brimés par la

4 bureaucratie et, en même temps, les tendances nationales sont toujours

5 latentes chez eux. Quand on arrive à combiner les deux, c'est quelque

6 chose qui est extrêmement populaire. Donc, Milosevic exploite ce phénomène

7 sous la forme de meetings.

8 Dans les années 1987, 1988, 1989, 1990, sont organisés -en

9 Serbie et dans toutes les autres régions ou existe une population serbe-

10 d'énormes meetings, d'énormes rassemblements populaires : 200 000

11 manifestants dans une ville, un million à Belgrade à plusieurs reprises.

12 Les gens se rassemblent pour ces slogans, à la fois de lutte contre la

13 bureaucratie et de défense de la nation serbe. Ceci est utilisé par

14 Milosevic pour se débarrasser de ses adversaires politiques, ceux qui

15 restent fidèles à la ligne titiste et qui refusent la montée du

16 nationalisme.

17 Il s'en sert aussi pour éliminer ses adversaires politiques en

18 Serbie, mais également dans les deux provinces autonomes. Il réussit,

19 grâce aux manifestations de masse, à faire disparaître ses adversaires qui

20 sont au pouvoir en Voïvodine et au Kosovo et à les remplacer par des gens

21 qui lui sont acquis. Même chose au Montenegro.

22 Il réussit donc à mettre la main sur quatre des huit entités

23 fédérales, sur quatre des huit sièges à la présidence fédérale et il

24 réussit, par conséquent, à rompre cette espèce d'équilibre réalisé sous le

25 régime titiste. Il n'y a plus huit entités fédérales d'un poids à peu près

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1 égal, mais un bloc qui domine pratiquement la moitié de la Fédération et

2 des sièges à la présidence fédérale et qui a des prétentions sur certaines

3 zones républiques, en particulier sur les régions de Bosnie et de Croatie

4 où vivent des serbes.

5 Ceci est ressenti comme une menace par les Albanais privés de

6 leur autonomie et qui sont réprimés militairement et par les croates et

7 par les bosniaques puisque, sur le territoire de la Croatie comme de la

8 Bosnie, se déroulent également ces meetings populaires serbes qui sont

9 extrêmement menaçants. Il y a même une tentative pour réunir un meeting de

10 ce genre en Slovénie à Ljubljana, mais cela n'a pas réussi parce que c'est

11 un pays où il n'y a pas de Serbes du tout et le gouvernement slovène a

12 interdit cette manifestation et a réussi à l'empêcher.

13 En quelques années, grâce à l'utilisation de ces meetings

14 populaires, grâce à l'utilisation de ces meetings populaires, des

15 manifestations populaires contre les gens en place, contre tous les

16 pouvoirs sauf le sien propre, Milosevic a réussi à rompre complètement

17 l'équilibre de la Fédération et, par conséquent, à rendre la continuation

18 de la Fédération impossible.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde, à

20 côté de ces meetings de masse, de ces rassemblements, des événements

21 spéciaux ont été organisés par les nationalistes serbes. Pourriez-vous

22 décrire leur impact, leur effet sur la population, sur les événements.

23 M. le Pr Garde. - Oui. Des changements constitutionnels sont

24 intervenus et ont fait que l'autonomie des deux provinces de Kosovo et de

25 Voïvodine ont été supprimées et, vers la fin des années 1980, toutes

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1 sortes de manifestations massives ont eu lieu, en particulier à l'occasion

2 du 600ème anniversaire de la bataille de Kosovo. Il s'agit de la bataille

3 de Kosovo en 1389 où les Serbes ont été défaits par les Turcs, mais cet

4 événement est célébré par la tradition, par la chanson populaire serbe,

5 par l'épopée, et est resté dans la mémoire nationale comme un événement

6 majeur. On parle parfois du mythe de Kosovo. C'est quelque chose qui a une

7 importance énorme auprès des serbes. En 1989, pour le 600ème anniversaire

8 de la bataille de Kosovo, il y a eu un rassemblement monstre avec plus

9 d'un million de personnes au Kosovo. Un million de manifestants serbes

10 dans une région à prédominance albanaise.

11 On a observé des manifestations destinées à rappeler les

12 massacres dont les serbes avaient été victimes pendant la deuxième guerre

13 mondiale de la part du régime oustachi installé en Croatie et dominant

14 également la Bosnie. Elles consistaient à retirer les restes des victimes

15 des massacres des gouffres où ils avaient été enfouis et de les

16 réenterrer. Autant d'occasions de faire revivre les souvenirs de ces

17 massacres et, par conséquent de réveiller la haine contre les autres

18 peuples que l'on rendait responsables de ces massacres.

19 Il y a également eu des manifestations telles que les

20 processions des restes du prince Lazar, le prince serbe vaincu en 1389,

21 procession solennelle promenant les restes de ce prince dans différentes

22 localités, ce qui était chaque fois l'occasion de grandes manifestations

23 nationalistes. Des manifestations se sont tenues dans les régions de

24 Bosnie et de Croatie peuplées par des Serbes, toutes sortes de

25 manifestations qui tendaient à réveiller ce nationalisme serbe.

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1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez évoqué ce

2 point brièvement, pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur la

3 réaction des médias. Comment les médias sont-ils associés à cette

4 campagne, comment ont-ils participé à ces différents événements de

5 l'époque.

6 M. le Pr Garde. - J'ai surtout dépouillé des articles de

7 revues à partir de 1990 et, effectivement la plus grande partie de la

8 presse serbe de cette époque-là est toute pleine d'évocations

9 nationalistes. Par exemple, le rappel des massacres de la deuxième guerre

10 mondiale est un thème constant, il est impossible de trouver un seul

11 numéro de revue dans cette période-là où il n'y ait pas au moins un ou

12 deux articles sur ce sujet.

13 Il y a un phénomène de réveil de la mémoire. Une des idées

14 répandues à cette époque-là dans la presse serbe -et dans la propagande

15 serbe en général- est que sous le régime titiste, on ne parlait pas de

16 ces massacres. Ce n'est pas vrai. Sous le régime titiste, on a toujours

17 parlé de ces massacres, mais d'une part, on n'en faisait pas un thème

18 obsessionnel comme c'est devenu le cas à la fin des années 80 et d'autre

19 part, on n'insistait pas sur le caractère ethnique de ces massacres. Sous

20 le régime titiste, on parlait des victimes du fascisme, on essayait de ne

21 pas souligner à l'extrême le fait que les victimes avaient été massacrés

22 en tant que Serbes par des Croates. On donnait une version des événements

23 qui mettait l'aspect politique au premier plan plutôt que l'aspect

24 ethnique. Les massacres étaient tout de même rappelés. Il n'est pas vrai

25 que l'on avait cessé d'en parler. Bien entendu, à la fin des années 80 ce

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1 rappel prend un caractère obsessionnel qu'il n'avait pas auparavant.

2 Il y a une propagande effrénée contre le régime titiste,

3 contre la mémoire de Tito. Tito est chargé de tous les maux, il est

4 considéré par cette propagande serbe comme l'homme qui a fait tout ce

5 qu'il a pu pour brimer les serbes, qui a divisé les serbes entre plusieurs

6 états, qui a fait que ces états ont eu de plus en plus d'autonomie. On

7 cherche jusque dans le détail, par toutes sortes de rappels historiques, à

8 montrer que la politique titiste a été, d'un bout à l'autre dirigée

9 exclusivement contre les serbes et que, par conséquent, les serbes ont été

10 brimés.

11 Il est difficile, mais j'ai lu des centaines de pages de ces

12 publications, d'imaginer le degré de violence dans la dénonciation de la

13 mémoire de Tito. On trouve aussi dans cette presse une dénonciation d'un

14 complot international contre les serbes.

15 L'idée est la suivante : le peuple serbe est orthodoxe.

16 L'église serbe est une autonome, autocéphale, nationale. Au cours de leur

17 histoire, ils ont toujours été en buttée à de grandes internationales. Les

18 autres religions qui l'entourent, le catholicisme et l'Islam, ne sont pas

19 des religions nationales, ce sont des religions internationales. Donc, on

20 analyse l'histoire. Les empires qui ont dominé la région étaient, l'un

21 l'empire ottoman, musulman, l'autre l'empire des Habsbourg, catholique.

22 Les Serbes ont toujours été en butte à des empires multinationaux, dominés

23 par les autres religions elles-mêmes internationales. Ils ont toujours été

24 en butte à l'Islam et au Vatican, alors on parle de complot du complot

25 dirigé contre la Serbie.

Page 107

1 Une troisième internationale a joué contre les serbes :

2 l'internationale communiste, le Komintern.

3 Les analyses historiques montrent comment le Komintern, à

4 l'époque de la première Yougoslavie, la Yougoslavie monarchique, a dénoncé

5 cette Yougoslavie monarchique comme étant une prison des peuples et a

6 encouragé les autres peuples à se révolter contre la domination de la

7 bourgeoisie serbe. Cette politique aurait été continuée par Tito qui a,

8 lui aussi, joué contre les Serbes au nom de cette même internationale du

9 Komintern. On parle de complot Kominterno-vaticano-islamique. L'Allemagne

10 joue également contre les Serbes , contre laquelle ils ont été en guerre

11 lors de la première et de la deuxième guerre mondiale. L'Allemagne, à

12 cette époque-là, est accusée de soutenir les autres républiques, en

13 particulier la Slovénie et la Croatie. On parle donc du complot

14 Vaticano-germano-islamo-kominterniste. Ce sont des choses qui reviennent à

15 chaque page dans cette presse.

16 On y retrouve les accusations contre les autres peuples,

17 contre la revendication comme quoi, par exemple, les Macédoniens ne sont

18 pas des macédoniens mais que des Serbes du sud, ou bien les Bosniaques

19 musulmans ne sont que des Serbes islamisés, certains Croates ne sont que

20 des Serbes catholicisés. Bref, toutes sortes de recherche, d'articles de

21 vulgarisation dans le domaine historique, politique, linguistique,

22 culturel, religieux tendant à montrer que les Serbes sont partout et

23 toujours brimés, qu'en réalité, ils sont plus nombreux qu'on ne veut le

24 croire et que par conséquent, il serait justifié que leur état soit plus

25 étendu qu'il ne l'est.

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1 Je ne donne ici que quelques-uns des thèmes. Quand on lit une

2 grande quantité de cette littérature comme je l'ai, on est frappé par le

3 caractère obsessionnel de tous ces thèmes-là et de quelque autres encore.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - (interprétation de

5 l'anglais) Une dernière question et nous passerons à un autre thème. Au

6 cours de ce temps-là, pendant tous ces événements, qui contrôlait les

7 médias ?

8 M. le Pr Garde. - Il faut distinguer les médias. Vous avez la

9 télévision. Elle était entièrement contrôlée par le pouvoir communiste,

10 celui de Milosevic. Personnellement, je n'ai pas eu l'occasion de regarder

11 cette télévision. Ma source d'information est la presse écrite, mais je

12 sais qu'il a été de même et encore pire dans la télévision. De très bons

13 livres ont été écrits sur le sujet, en particulier l'un d'entre eux qui

14 explique bien comment fonctionnait la télévision serbe à cette époque-là.

15 La télévision était entièrement contrôlée par le pouvoir. Pour

16 ce qui est de la presse écrite, on ne peut pas dire qu'elle était

17 entièrement contrôlée par le pouvoir parce que, à cette époque, il y a

18 tout de même une certaine libéralisation de la presse. Mais sur les thèmes

19 dont je viens de parler, se rejoignent deux espèces de presses, à savoir

20 la presse gouvernementale communiste, gouvernementale en tout cas, par

21 exemple le groupe Politika ou une revue comme Duga et nous avons, par

22 ailleurs, la presse nationaliste, des partis d'opposition. Mettons, par

23 exemple, la revue Pogledi dont j'ai parlé tout à l'heure, qui est plus ou

24 moins l'organe du parti radical de Seselj. Il y en a beaucoup d'autres

25 encore. Nous avons la presse d'opposition et la presse gouvernementale. La

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1 presse de la plus grande partie de l'opposition et la presse

2 gouvernementale se rejoignent sur ce genre de thème avec, plus au moins

3 d'insistance sur la critique de Tito : il y a plus d'insistance sur la

4 politique de Tito dans la presse d'opposition et plus d'insistance sur

5 d'autres thèmes dans la presse gouvernementale.

6 L'essentiel de la propagande est la même. Cela ne veut pas

7 dire qu'il n'y a pas aussi, en même temps, une presse d'opposition qui

8 résiste à ce courant nationaliste. Les deux principaux titres que l'on

9 peut citer sont l'hebdomadaire Vleme et le quotidien Borba. Ils restent

10 complètement en dehors de ce courant, s'y opposent et informent fort bien

11 leurs lecteurs. Il y avait tout de même eu une certaine libéralisation de

12 la presse. Il n'y avait pas un contrôle total du pouvoir sur la presse

13 écrite. En revanche, contrôle total sur la télévision.

14 M. le Président. - Monsieur le Procureur. Nous allons d'abord

15 essayer de faire un peu le point.

16 Nous avons pris, pour les raisons que tout le monde connaît

17 ici, un certain retard. Retard n'est d'ailleurs pas le mot approprié, nous

18 avons réglé des problèmes qui sont survenus de façon inopinée et

19 imprévisible. Nous avons plusieurs composantes. On a peut-être quelques

20 questions à poser sur ce blocage des institutions fédérales. J'ai deux ou

21 trois questions à poser. La première question que je vous pose est la

22 suivante : Sur quelle durée situez-vous l'intervention du Professeur

23 Garde ?

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

25 Président, il y a encore une petite section que nous voudrions évoquer

Page 110

1 avant d'arriver à la dissolution de la Yougoslavie. Ensuite, nous avons

2 une série de pièces à conviction, environ 23 pièces qui ont d'ailleurs

3 été remises à la Chambre. La plupart ne sont pas officielles. Elles

4 montrent l'évolution du pouvoir de Radovan Karadzic, celle du SDS pour

5 arriver à la Republika Srspka.

6 En ce qui concerne ces documents, une heure devrait suffire

7 pour les examiner. Ils parlent d'eux-mêmes et il s'agira simplement de les

8 réinsérer dans le droit fil du contexte. Voilà ce que nous avons prévu.

9 M. le Président. - L'ensemble du témoignage durerait donc

10 encore une heure, voire une heure et demi ?

11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui, Monsieur le

12 Juge.

13 M. le Président. - Indépendamment des questions du Tribunal.

14 Je me tourne maintenant vers la cabine d'interprétation qui

15 doit être épuisée, mais qui a bénéficié, ce matin, d'un certain laps de

16 temps. La cabine d'interprétation fait un travail considérable et j'en

17 profite pour les remercier pour ce qu'ils font aujourd'hui et pour ce

18 qu'ils vont faire. Je me demande s'il ne faudrait pas essayer de gagner du

19 temps. Serait-il possible d'aller jusqu'à 19 heures 45.

20 Interprète française. - C'est surtout la cabine anglaise,

21 Monsieur le Président, qui doit être épuisée.

22 M. le Président. - Je demande au chef des interprètes de faire

23 le point.

24 Je me tourne vers notre témoin. Il a beaucoup parlé, il est

25 certainement fatigué, épuisé. Se sent-il capable d'aller jusqu'à 19 heures

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1 45 ?

2 M. le Pr Garde. - Je suis à votre disposition, Monsieur le

3 Président. C'est aux interprètes de dire ce qu'ils en pensent. Pour ce qui

4 me concerne, il n'y a pas de problème.

5 M. le Président. - Nous allons essayer de prendre une décision

6 juste, comme il convient pour un tribunal.

7 Mme le chef des interprètes. - Ce n'est pas possible. Il y a

8 aussi des sténotypistes et toute l'équipe. Merci.

9 M. le Président. - La décision prise par le Tribunal est de

10 reprendre demain matin à 9 heures 30, mais nous allons laisser à un membre

11 du Tribunal le soin de poser une question. Je vais demander au témoin de

12 répondre de façon la plus concise possible. Les interprètes ont été très

13 surmenés aujourd'hui. M. le Juge Riad va poser une question sur le bloc

14 qui va être constitué.

15 Une seule question de M. le Juge Riad sur le bloc qui vient

16 d'être constitué. Nous levons tout de suite l'audience après la réponse

17 à ladite question. En revanche, nous reprendrons demain matin à 9 heures

18 30. Monsieur le Juge Riad, vous pouvez poser votre question.

19 M. Riad. - Monsieur le Professeur, lors de votre

20 développement du phénomène de réveil de la mémoire, j'ai eu l'impression,

21 au début, quand vous avez parlé, que c'était presque automatique, que ces

22 communautés vivaient ensemble sous le régime de Tito et, à partir du

23 moment où ce régime se désintégrait, les différences surgissaient.

24 On peut cependant constater qu'après Tito, 6 ou 7 ans ont

25 passé sans qu'il y ait vraiment de conflits. Ensuite, cela a repris. Au

Page 112

1 fond, ce réveil de la mémoire était artificiel, il était provoqué. Je

2 souhaite simplement m'éclairer un peu.

3 M. le Pr Garde. - Je pense que le réveil de la mémoire se

4 serait produit de toute façon parce qu'effectivement les gens -pas

5 seulement en Serbie, mais partout, pas seulement en Yougoslavie, mais dans

6 toute l'Europe orientale avaient eu l'impression justifiée que le régime

7 communiste leur mentait. Par conséquent, tout ce qui ne faisait pas

8 partie de la vulgate du régime communiste était le bienvenu. Chaque fois

9 que quelqu'un disait le contraire de ce que disaient les communistes, il

10 était présumé avoir raison. Un certain réveil de la mémoire se serait

11 produit de toute façon. Il est également vrai ce mais que cette

12 possibilité de réveil de la mémoire a été volontairement,

13 systématiquement, exploité par le pouvoir et orienté dans le sens qui lui

14 convenait.

15 M. Riad. - Le réveil de la mémoire est passé par deux phases.

16 A la phase d'après 1987-1988, cela a commencé à être un réveil meurtrier.

17 Avant, c'était un réveil psychologique. Cette transition a-t-elle pour

18 origine une influence directe qui l'a transformé en réveil meurtrier ?

19 M. le Pr Garde. - Oui. En tout cas, le fait que ce réveil a

20 été massif et qu'il a été directement orienté contre les autres peuples

21 est certainement le résultat d'une manipulation de la part du pouvoir.

22 M. Riad. - C'était politiquement orienté et non pas naturel.

23 M. le Pr Garde. - Oui, c'était politiquement orienté. Cela a

24 été l'exploitation politique d'un phénomène qui avait des éléments

25 naturels.

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1 M. Riad. - Je vous remercie.

2 M. le Président. - Conformément à ce que nous venons de dire,

3 nous allons donc lever la séance. Je remercie le Professeur Garde que nous

4 allons donc revoir demain matin à 9 heures 30. J'en profite pour remercier

5 la cabine d'interprétation. Je sais tout le travail qu'ils effectuent et

6 tout le travail qu'ils vont devoir accomplir dans les jours qui viennent.

7 Nous essaierons tous de nous maintenir dans les horaires. Aujourd'hui est

8 une journée un peu exceptionnelle. Merci, Monsieur le Professeur.

9 L'audience est levée, elle reprendra demain à 9 heures 30.

10 (la séance est levée à 19 heures 15)

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