LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Rafael Nieto-Navia, Président
M. le Juge Lal Chand Vohrah
Mme le Juge Patricia Wald
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Liu Daqun

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Arrêt rendu le :
18 septembre 2000

LE PROCUREUR

C/

Dario KORDIC
Mario CERKEZ

___________________________________________________________________________

ARRÊT RELATIF AU VERSEMENT AU DOSSIER DE SEPT DÉCLARATIONS SOUS SERMENT ET D’UNE DÉCLARATION CERTIFIÉE

___________________________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
M. Kenneth Scott
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres

Le Conseil de Dario Kordic :

M. Mitko Naumovski,
M. Turner T. Smith, Jr.
M. Robert A. Stein
M. Stephen M. Sayers

Le Conseil de Mario Cerkez :

M. Bozidar Kovacic
M. Goran Mikulicic

I. INTRODUCTION

1. La Chambre d’appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal») est saisie d’un appel interjeté par l’accusé Dario Kordic le 17 mars 2000 («l’Appelant»), auquel s’est joint son coaccusé Mario Cerkez, contre la Décision rendue oralement par la Chambre de premicre instance III le 10 mars 2000.

2. En application du Statut et du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le «Statut» et le «Règlement» respectivement), ayant examiné toutes les conclusions écrites de l’Appelant et du Bureau du Procureur («l’Accusation»), la Chambre d’appel arrête comme suit :

II. RAPPEL DE LA PROCÉDURE

3. L’Accusé est actuellement jugé pour infractions graves aux Conventions de Genève de 1949, violations des lois ou coutumes de la guerre et crimes contre l’humanité, en raison d’une campagne de persécution et de terreur qui aurait été menée contre les Musulmans de Bosnie dans la vallée de la Lašva en Bosnie-Herzégovine.

4. Cet appel résulte de la décision de la Chambre de première instance relative à la demande de l’Accusation de verser au dossier sept déclarations sous serment et une déclaration certifiée du colonel Morsink (ensemble, les «Déclarations»)1. L’Accusation s’est fondée sur l’article 94 ter du Règlement pour déposer les sept déclarations sous serment2, mais elle a fait valoir que la déclaration certifiée pouvait être admise soit en application de l’article 94 ter du Règlement soit en application de la disposition générale prévue à l’article 89 C) du Règlement, puisqu’il n’était pas envisagé qu’elle corrobore un témoignage, mais qu’elle «a été recueillie sur proposition expresse du Juge Bennouna [... pour] compléter le témoignage même du colonel Morsink3».

5. En application de l’article 94 ter du Règlement, ayant entendu les exposés des parties le 10 mars 2000 et examiné leurs conclusions écrites4, la Chambre de première instance III a verbalement rendu sa décision le 10 mars 2000 et admis les Déclarations (voir ci-après).

6. Suite à cette décision, l’Appelant a déposé une Requête aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel5, à laquelle s’est ultérieurement joint son coaccusé, Mario Cerkez6. L’Accusation a déposé sa Réponse le 27 mars 20007, à laquelle l’Appelant a répliqué le 31 mars 20008. Le 28 avril 2000, un collège de la Chambre d’appel a autorisé les parties à interjeter un appel interlocutoire et conclut qu’en application de l’article 73 B) ii), «l’autorité de la Chambre de première instance concernant le versement de déclarations sous serment au dossier de l’espèce est une question d’intérêt général pour le Tribunal international ou pour le droit international en général9».

7. Le 8 mai 2000, l’Appelant a déposé un mémoire exposant ses arguments relatifs à l’appel interjeté10. L’Accusation y a répondu le 18 mai 200011, et l’Appelant a déposé sa réplique le 22 mai 200012. Dans leurs écritures, les deux parties se sont également appuyées sur des arguments qu’elles avaient respectivement présentés dans un appel interlocutoire récemment tranché concernant le versement au dossier de la déclaration de M. Midhat Haskic, un témoin décédé («les écritures antérieures»)13.

III. DISPOSITIONS PERTINENTES DU RÈGLEMENT

8. Nous exposons tout d’abord les passages pertinents des articles du Règlement applicables au présent appel.

Article 89 - Dispositions générales

A) [...]

B) Dans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les règles d’administration de la preuve propres à parvenir, dans l’esprit du Statut et des principes généraux du droit à un règlement équitable de la cause.

C) La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante.

D) [...]

E) [...]

Article 94 ter - Déclarations sous serment

Pour prouver un fait en litige, une partie peut proposer de citer un témoin et soumettre des déclarations sous serment ou des déclarations certifiées d’autres témoins pour corroborer son témoignage sur ce fait. Ces déclarations sous serment et déclarations certifiées sont faites conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées. Pareilles déclarations peuvent être admises si elles ont été recueillies avant la déposition du témoin cité à comparaître et si la partie adverse ne s’y oppose pas dans les sept jours de la déposition du témoin à travers lequel les déclarations sous serment sont soumises. Si la partie adverse s’y oppose et que la Chambre accueille cette objection, ou si la Chambre l’ordonne, les témoins sont cités à comparaître devant la Chambre pour contre-interrogatoire.

IV. LA DÉCISION DE LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

9. Après avoir examiné l’admissibilité des sept déclarations sous serment et de la déclaration certifiée au regard de l’article 94 ter du Règlement, la Chambre de première instance a conclu que : 1) le critère qui veut que les déclarations sous serment soient «faites conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées», n’enfreint pas le principe de l’égalité des armes et n’empêche pas la Défense de se prévaloir de pareille procédure puisqu’il lui est loisible d’obtenir, si nécessaire, pareilles déclarations sous serment en sollicitant l’aide de la Chambre de première instance14 ; 2) l’article 94 ter doit être interprété «de manière à lui donner un effet utile» et que, ce faisant, le fait que les sept déclarations sous serment et la déclaration certifiée n’aient pas été fournies avant l’audition du témoin, comme le requiert l’article 94 ter, ne constitue qu’une infraction technique, puisque cette condition d’antériorité est une condition formelle, procédurale qui, interprétée différemment, «entraînerait certainement ou pourrait entraîner une défaite de l’intérêt de la justice15» ; 3) l’admission des Déclarations à ce stade n’a porté préjudice ni à l’Appelant ni à Mario Cerkez16 ; 4) la procédure permettant aux témoins de valider leurs déclarations initiales n’enfreint pas les dispositions du Règlement17 ; 5) l’article du Règlement exige seulement que les éléments de preuve soient confirmés ou étayés de manière très générale et qu’il convient donc de donner un sens très large à l’expression «fait en litige18» et 6) bien qu’il ne soit ni nécessaire ni exigible de procéder au contre-interrogatoire des témoins puisque «le fait même que ces déclarations soient faites sous serment couvre cette question», la Chambre de première instance tiendra compte de l’absence de contre-interrogatoire lorsqu’elle étudiera ces éléments de preuve19.

V. CONCLUSIONS DES PARTIES

A. Les arguments de l’Appelant

10. L’Appelant soutient que la Chambre de première instance a contrevenu aux dispositions expresses de l’article 94 ter du Règlement en décidant de verser les Déclarations au dossier, une décision erronée pour les raisons suivantes :

11. Premièrement, s’agissant du contre-interrogatoire des témoins, il fait valoir qu’en admettant les Déclarations contre son opposition, sans ordonner que leurs auteurs soient cités pour contre-interrogatoire, la Chambre l’a privé de la possibilité d’être confronté avec les témoins à charge, enfreignant ainsi ses droits fondamentaux énoncés à l'article 21 4) du Statut20, qui prévoit notamment que tout accusé a droit «à interroger ou faire interroger les témoins à charge [...]21». Il avance également que l’article 94 ter n’autorise pas le versement au dossier d’une déclaration sous serment si l’une des parties s’y oppose et que le déclarant n’est pas alors cité pour contre-interrogatoire. Selon lui, l’article 94 ter signifie qu’en pratique soit la déclaration sous serment est versée au dossier et le déclarant cité à comparaître (si la partie adverse en fait la demande) soit elle n’est pas admise22.

12. Deuxièmement, il avance qu’en admettant les Déclarations en dérogeant aux dispositions expresses de l’article 94 ter, la Chambre de première instance a fait fi de la responsabilité qui lui incombe de veiller à ce que l’instance se déroule conformément au Règlement. Il affirme qu’aucune des Déclarations ne remplit les conditions spécifiques prévues à l’article 94 ter23. Plus précisément, aucune des Déclarations n’a été déposée avant l’audition d’un témoin dont elles seraient censées corroborer la déposition ; elles n’ont pas non plus été introduites pour corroborer des faits spécifiques qui devraient ultérieurement être présentés par un témoin à la barre24. Il déclare que cette interprétation enfreint l’objet et le but essentiel de cet article, puisque le délai requis a pour objet de donner à la partie adverse la possibilité d’examiner non seulement la crédibilité du témoin qui sera ensuite entendu, mais également la véracité et l’exactitude des propos figurant dans la déclaration sous serment25. Il fait enfin valoir que, puisque les déclarations sous serment font exception au principe général de l’oralité des débats prévu à l’article 90 du Règlement, le critère exigeant qu’une déclaration sous serment vienne corroborer un témoignage à la barre sur un «fait en litige» doit recevoir une interprétation restrictive et que, par conséquent, l’interprétation large qu’en donne la Chambre de première instance est erronée26.

13. En règle générale, l’Appelant soutient que l’interprétation de la Chambre de première instance ne donne pas «effet utile» à l’article 94 ter, contrairement à ce qui a été affirmé, mais qu’elle démantèle une mesure de protection de l’accusé prévue par l’article pour «l’adapter aux besoins de l'Accusation au détriment des droits fondamentaux de [l’Appelant] qui lui garantissent [...] de confronter les témoins à charge [et] d'être jugé dans le respect des dispositions du Règlement du Tribunal [...]27».

B. Les arguments de l’Accusation

14. L’Accusation déclare qu’il lui a fallu presque un an pour résoudre les difficultés pratiques rencontrées pour se conformer aux dispositions précises de l’article 94 ter du Règlement, notamment en raison de l’absence, en ex-Yougoslavie, de procédures internes qui permettraient à l’Accusation d’obtenir une déclaration qui respecte à la lettre les conditions dudit article. Elle affirme avoir œuvré avec diligence à la solution de ces problèmes et avoir informé la Chambre de première instance dès le départ du fait que ceux-ci étaient si importants qu’il lui serait impossible de respecter la condition d’antériorité prévue au même article28. Elle fait également valoir que, comme l’a conclu la Chambre de première instance, l’admission des Déclarations ne causait aucun préjudice à l’Appelant du fait, notamment, qu’il avait connaissance depuis plusieurs mois de leur teneur, et qu’il était donc en mesure de présenter des conclusions détaillées les concernant29. Par ailleurs, l’Appelant aurait pu présenter ses propres éléments de preuve contestant la fiabilité des Déclarations ou contredisant leur teneur30.

15. Selon l’Accusation, la Chambre de première instance a eu raison de considérer que la condition d’antériorité posée était de nature technique et que le but principal de cet article du Règlement était de prévoir une procédure permettant de produire des éléments de preuve pertinents de manière efficace et simplifiée, sans qu’il soit nécessaire de citer un témoin à la barre, à moins que cela ne cause un préjudice réel à l’Appelant31.

16. S’agissant de la déclaration certifiée, l’Accusation fait valoir que son cas diffère de celui des déclarations sous serment puisqu’elle a été obtenue sur ordre de la Chambre de première instance. Partant, elle aurait également pu être admise en application des articles 98 ou 89 E) du Règlement32.

17. L’Accusation avance que l’article 94 ter octroie aux Chambres de première instance des pouvoirs qui les autorisent à admettre des déclarations sous serment malgré l’opposition de la partie adverse et que, contrairement aux conclusions de l’Appelant, elle n’est pas tenue ce faisant de citer le témoin concerné pour contre-interrogatoire. Elle fait valoir que cette interprétation reflète le sens ordinaire des termes de la disposition33 et qu’autrement une simple opposition de la partie adverse suffirait pour contraindre la Chambre de première instance à citer le déclarant ou à rejeter la déclaration sous serment34.

18. S’agissant du droit d’un accusé à interroger un témoin prévu à l’article 21 4) du Statut, l’Accusation fait valoir que la pratique du Tribunal international, les pratiques nationales et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme admettent en général des limitations raisonnables et justifiées aux droits de l’accusé à interroger les témoins35.

19. L’Accusation souscrit à l’interprétation large que donne la Chambre de première instance des termes de l’article 94 ter, s’agissant notamment des termes «faits en litige» et «corroboration», et argue de la nature et de la complexité des faits à l’origine des poursuites ainsi que du manque d’efficacité qu’aurait une interprétation trop restrictive de l’article 94 ter pour justifier cette interprétation large36. En bref, l’Accusation estime que la Chambre interprète correctement l’article 94 ter et que sa décision devrait être maintenue37.

VI. EXAMEN

20. En l’espèce, la Chambre d’appel est saisie de la question de savoir si la Chambre de première instance a donné une interprétation correcte de l’article 94 ter en décidant de s’écarter des termes exprès de l’article du Règlement pour admettre les Déclarations. La Chambre d’appel va tout d’abord examiner l’admissibilité des sept déclarations sous serment avant d’étudier celle de la déclaration certifiée, qu’elle estime justifié de traiter à part.

A. Les sept déclarations sous serment

21. La Chambre d’appel estime que l’Appelant soulève trois questions distinctes quant à l’admissibilité des sept déclarations sous serment : 1) l’interprétation par la Chambre de première instance de la condition d’antériorité posée à l’article 94 ter et sa conclusion selon laquelle il s’agit d’une simple condition technique ; 2) l’effet de l’opposition d’une partie adverse si le déclarant n’est pas ensuite cité pour contre-interrogatoire et 3) l’interprétation de l’expression «fait en litige». Chacune de ces questions sera traitée séparément.

1. Interprétation de la condition d’antériorité posée à l’article 94 ter du Règlement

22. Le principe général d’interprétation des dispositions relatives à la preuve est que «la Chambre applique les règles d’administration de la preuve propres à parvenir, dans l’esprit du Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause38.» Pour interpréter un article du Règlement, la Chambre de première instance doit s’assurer qu’elle en suit «le sens ordinaire», «à la lumière de [l’]objet et [du] but» du Statut et du Règlement39.

23. La Chambre de première instance s’est fondée sur le principe de l’effet utile (interprétation par la méthode de l’effet utile ou ut res magis valeat quam pereat) pour conclure que «le Règlement doit être interprété de manière à avoir un effet utile40». Reste à savoir si l’interprétation de la Chambre de première instance a atteint cet objectif, sans enfreindre les droit de l’Appelant et sans contrevenir à la nécessité d’assurer un procès équitable, ces deux conditions soulignant les objectifs et les buts du Statut et du Règlement. Comme la Cour internationale de Justice l’a déclaré :

Le principe d’interprétation exprimé par la maxime ut res magis valeat quam pereat, principe souvent désigné sous le nom de principe de l’effet utile, ne saurait autoriser la Cour à entendre la clause [...] dans un sens qui [...] contredirait sa lettre et son esprit41.

24. La Décision du 21 juillet 2000 réaffirme le principe général de l’oralité des débats dans le cadre des procédures entendues par le Tribunal international, l’article 94 ter constituant l’une des quatre exceptions prévues42. Il n’existe donc pas de droit absolu d’interroger un témoin43. Les éléments de preuve introduits autrement que par un témoignage oral à l’audience peuvent relever de l’une de ces quatre exceptions ou, comme cela a été tout aussi fermement établi, les éléments de preuve indirects sont admissibles s’ils satisfont aux critères de l’article 89 C) et présentent suffisamment d’indices de fiabilité : «il ressort de l’article 89 C) du Règlement qu’est recevable toute déclaration hors audience pertinente qu’une Chambre de première instance juge probante [...] les Chambres de première instance ont, aux termes de l’article 89 C) du Règlement toute latitude pour admettre une preuve indirecte pertinente44». L’Accusation affirme que les sept déclarations sous serment relèvent de l’article 94 ter et qu’elles ont été admises par la Chambre de première instance à ce titre45.

25. L’article 94 ter a pour but d’accélérer les procédures du Tribunal international en prévoyant un mécanisme d’introduction d’éléments de preuve sous forme de déclarations sous serment devant la Chambre de première instance dans certaines circonstances, sans qu’il soit nécessaire de citer chaque témoin dont on emploie les propos s’agissant d’un fait en litige, notamment lorsque les témoignages se répètent46. Ce souhait de rapidité est cependant limité par la nécessité de protéger les droits de l’accusé47. Comme l’expliquait le Sixième Rapport annuel du Tribunal, l’article 94 ter :

a été ajouté au Règlement [... Il] répond à la préoccupation constante du Tribunal d’accélérer la procédure de jugement tout en assurant la protection correcte des droits de l’accusé et en respectant l’obligation du Tribunal envers la communauté internationale de conduire les jugements avec équité et rapidité48.

26. «La protection correcte des droits de l’accusé» prévaut et l’article ne doit pas être interprété de manière telle que cette protection disparaisse. Répétons que ce besoin de protection a été explicité dans la Décision du 21 juillet 2000, qui concluait que l’article 94 ter ne permet de s’écarter du principe de l’oralité des débats que si certaines sauvegardes sont prévues :

l’article 94 ter, qui régit l’utilisation des déclarations sous serment ou déclarations certifiées pour corroborer les témoignages en personne encadre strictement cette procédure. Premièrement, les déclarations de l’article 94 ter sont utilisées pour corroborer un fait en litige qu’un autre témoin a évoqué en audience. Deuxièmement, ces déclarations doivent être faites «conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées». Troisièmement, l’article dispose que «si la partie adverse s’y oppose et que la Chambre accueille cette objection, ou si la Chambre l’ordonne, les témoins sont cités à comparaître devant la Chambre pour contre-interrogatoire49».

27. Il est expressément dit que l’article 94 ter «encadre strictement cette procédure». Si la disposition est interprétée de telle sorte qu’une Chambre de première instance puisse malgré cela admettre ces moyens de preuve en contravention à ces sauvegardes, l’objet de l’article a été bafoué. La Chambre d’appel rappelle à cet égard que :

[u]ne règle élémentaire de l’interprétation des textes juridiques veut qu’on peut interpréter une disposition ou partie d’une disposition d’une manière qui la rende superflue et donc sans objet : on peut raisonnablement assumer que les législateurs adoptent des règles bien pensées et dont tous les éléments ont une signification50.

28. En l’espèce, la Chambre de première instance a déclaré que l’article doit être interprété de manière à lui donner «effet utile». On ne peut y parvenir qu’en trouvant un équilibre entre la protection des droits de l’accusé garantie par les sauvegardes prévues dans la disposition, et la nécessité de veiller à ce que les procès soient menés correctement et rapidement. La Chambre d’appel est consciente de la fonction spécifique des Chambres de première instance à cet égard. Dans la Décision Kupreškic, la Chambre d’appel concluait en effet comme suit :

La Chambre d’appel est également consciente de ce qu’il faut éviter d’interpréter le Règlement de manière trop restrictive si l’on veut que les Chambres de première instance puissent faire face aux diverses circonstances auxquelles elles sont confrontées et garantir que le Tribunal fonctionne efficacement. Nonobstant ces considérations, la Chambre d’appel est d’avis que l’article 71 doit être interprété formellement (à plus forte raison dans le cadre de procédures pénales) et conformément à l’intention originelle, qui consiste à permettre, sous certaines conditions, de déroger à la règle générale qui veut que les éléments de preuve soient recueillis directement à l’audience51.

29. Cette même Chambre soulignait que «l’article 20 du Statut charge la Chambre de première instance de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide, mais aussi de s’assurer que l’instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, dans le respect des droits de l’accusé».

30. De même, l’article 94 ter doit être entendu de façon à ne pas bafouer l’objet de l’article, à savoir permettre l’admission de témoignage sous serment dans certaines conditions prescrites et de garantir «le respect des droits de l’accusé». À cette fin, l’article 94 ter, qui fait exception à la règle générale d’administration de la preuve, prévoit une procédure précise et spécifique, qui donne à l’accusé la possibilité d’examiner les déclarations sous serment proposées avant qu’un témoin ne soit cité en personne pour témoigner sur un fait en litige, et qu’il puisse ensuite, le cas échéant, demander à la Chambre de première instance52 l’autorisation de contre-interroger le déclarant à l’issue de l’audition principale du témoin à l’appui du témoignage duquel les déclarations sous serment avaient été introduites. Les déclarations sous serment visées à l’article 94 ter ne sont donc admissibles que si elles viennent étayer ou corroborer un témoignage oral à l’audience. Il n’est pas prévu qu’elles s’y substituent.

31. En l’espèce, les déclarations sous serment ont été produites à la fin de la présentation des moyens à charge et, dans certains cas, plusieurs mois après l’audition à la barre du témoin dont elles sont supposées corroborer les dires. Contrairement à l’interprétation que donne la Chambre de première instance de la condition d’antériorité et à sa conclusion selon laquelle il s’agit «d’une condition technique53», la Chambre d’appel conclut que cette condition fait partie intégrante de la disposition dont elle est un élément fondamental. Elle garantit qu’une partie est informée des faits en question et, ce faisant, lui donne la possibilité de contre-interroger le témoin qui sera cité sur le fait en litige en se fondant sur les déclarations sous serment, en confrontant la crédibilité du témoin avec la véracité et l’exactitude des propos contenus dans lesdites déclarations. Si une partie ne respecte pas cette condition, il peut en résulter un préjudice substantiel puisqu’elle ne constitue pas seulement une condition technique, mais qu’elle protège également les droits de la partie adverse.

32. Comme nous l’avons vu plus haut, un certain degré de flexibilité est admis dans l’interprétation du Règlement, l’objectif principal étant «de rendre la justice, non de la retarder en permettant que de simples détails techniques entravent la procédure là où une violation n’a causé aucun préjudice substantiel54». En effet, dans certains autres cas, la Chambre d’appel a accepté que des dispositions réglementaires précises ne soient pas respectées, pour autant que cela ne nuise pas à l’intégrité de la procédure ou aux droits de l’accusé55. En l’espèce, l’écart n’était pas simplement de nature technique.

33. L’Appelant a été privé de la possibilité d'être confronté avec le témoin et de le contre-interroger sur les faits figurant dans les sept déclarations sous serment. Les termes de l’article 94 ter ne devraient pas être étendus au point de devenir un mécanisme général par lequel une partie peut introduire des éléments de preuve sous forme de déclarations sous serment à l’appui d’un témoignage oral qui est déjà terminé. Cette entorse aux termes du Règlement a privé l’Appelant du droit d’examiner les déclarations sous serment avant que le témoin ne soit entendu, de le contre-interroger sur les questions soulevées et, ensuite, de faire savoir s’il lui était ou non nécessaire de contre-interroger les auteurs des déclarations sous serment.

34. Par ces motifs, la Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance a eu tort de considérer la condition d’antériorité prévue à l’article 94 ter comme une simple «condition technique». Au contraire, cette condition fait partie intégrante de l’article du Règlement visant à protéger les droits de l’accusé. Cette entorse aux termes de l’article 94 ter a causé un préjudice substantiel à l’Appelant et, pour cette raison, la Chambre d’appel devrait accueillir ce recours et exclure les sept déclarations sous serment du dossier.

2. Effet de l’opposition d’une partie si le déclarant n’est pas cité pour contre-interrogatoire

35. La dernière phrase de l’article 94 ter dispose : «Si la partie adverse s’y oppose et que la Chambre accueille cette objection, ou si la Chambre l’ordonne, les témoins sont cités à comparaître devant la Chambre pour contre-interrogatoire». Selon l’Appelant, l’interprétation de cette phrase devrait être la suivante : la Chambre de première instance n’est pas libre d’admettre une déclaration sous serment lorsque la partie adverse s’y est opposée et que le déclarant n’est pas cité pour contre-interrogatoire. Pour l’Accusation, la lecture littérale de l’article 94 ter autorise la Chambre de première instance a admettre une déclaration sous serment en dépit de l’opposition de la partie adverse. Bien que la Chambre d’appel ait conclu, pour les motifs présentés ci-dessus, que les sept déclarations sous serment n’auraient pas dû être admises en application de l’article 94 ter, elle conclut également que, contrairement aux représentations de l’Appelant, la dernière phrase de l’article 94 ter n’entraîne pas automatiquement qu’une déclaration sous serment doive être exclue si une partie s’oppose à son admission et que la Chambre n’ordonne pas la citation du déclarant pour contre-interrogatoire. En principe donc, la Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance n’a pas exercé à tort son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande de comparution des déclarants pour contre-interrogatoire en l’espèce. Cependant, cette conclusion n’affecte pas la décision générale prise ici par la Chambre d’appel.

36. L’objet de l’article 94 ter est d’accélérer la procédure en évitant la présentation inutilement répétitive d’éléments de preuve devant la Chambre de première instance. La nécessité de protéger les droits de l’accusé limite l’application de l’article. Ceux-ci sont protégés par le respect des «sauvegardes procédurales strictes» qui y sont prévues. L’interprétation proposée par l’Appelant pour cette phrase contreviendrait à l’objet de l’article en contraignant la Chambre de première instance à citer le déclarant pour contre-interrogatoire en vertu d’un droit absolu de la partie adverse à le demander. Comme nous l’avons vu plus haut, il n’existe pas de droit absolu au contre-interrogatoire, et la Chambre d’appel juge qu’on ne peut limiter ainsi le pouvoir discrétionnaire d’une Chambre de première instance.

37. Au contraire, la dernière phrase de l’article 94 ter devrait être interprétée comme suit : une partie a le droit de demander à la Chambre d’ordonner la citation du déclarant pour contre-interrogatoire. Bien qu’une Chambre de première instance soit tenue d’examiner la demande, elle garde la latitude de trancher au fond. Cette décision est prise au cas par cas.

38. Pareillement, même si une Chambre de première instance décide qu’il n’est pas nécessaire de citer un déclarant pour contre-interrogatoire et que sa déclaration sous serment est cependant admise en application de l’article 94 ter, cela ne signifie pas que cette déclaration n’est pas contestée. En effet, une partie conserve toujours le droit de contester les déclarations sous serment en contre-interrogeant le témoin puisque ces déclarations sont soumises avant qu’il ne témoigne. (Ce qui, encore une fois, montre l’importance de la condition d’antériorité.) Le déclarant ne doit donc témoigner personnellement que si la Chambre de première instance juge fondée la demande qui lui a été adressée. Toute autre interprétation signifierait qu’une Chambre de première instance est constamment tenue d’accéder à pareille demande, même si elle était sans fondement et frivole. À cet égard, l’article 94 ter se distingue des trois autres exceptions au principe général de l’oralité des témoignages, qui prévoient toutes le contre-interrogatoire du témoin. Dans le cas qui nous occupe, les éléments de preuve introduits par le biais des déclarations sous serment ont pour but d’ajouter à un témoignage oral et non de s’y substituer56. La Chambre d’appel conclut que les sauvegardes prévues par l’article du Règlement suffisent à écarter tout souci dans le cas où le déclarant ne serait pas cité pour contre-interrogatoire, en garantissant que les éléments de preuve peuvent être contestés.

3. Interprétation de l’expression «fait en litige»

39. L’article 94 ter prévoit que les déclarations sous serment corroborent un témoignage oral à l’audience. Comme le témoin est cité pour «prouver un fait en litige», ce fait doit être clairement défini, puisque les déclarations sous serment ont pour objectif spécifique d’étayer un «témoignage sur ce fait». La Chambre d’appel convient de façon générale avec la Chambre de première instance que cette expression ne devrait pas recevoir une interprétation trop étroite. Mais les déclarations sous serment ne peuvent tout simplement pas être déposées à titre général, elles doivent étayer un témoignage oral à l’audience portant sur un fait en litige. C’est pourquoi la Chambre d’appel conclut que le critère retenu par la Chambre de première instance, à savoir que «tout ce qui est requis est que [la déclaration] confirme ou étaye de manière très générale les éléments de preuve et que l’expression “faits en litige” doit être entendue au sens large57», est trop extensible.

40. Nous ne voulons pas dire par là que la déclaration sous serment doit refléter le témoignage oral prévu dans le moindre détail. De toute évidence une certaine flexibilité est de mise. Cependant, on doit pouvoir établir l’existence d’un lien clair entre le témoignage et la déclaration sous serment, les éléments de preuve introduits pour corroborer le témoignage devant porter essentiellement sur les faits évoqués dans celui-ci, et non sur les circonstances de l’affaire en général. Ce point doit être déterminé au cas par cas. De plus, lorsque la partie adverse s’oppose à l’admission d’éléments de preuve produits dans le cadre de l’article 94 ter et que la Chambre de première instance pense que le fait en litige revêt une certaine importance, cette dernière peut ordonner à la partie qui souhaite s’appuyer sur les déclarations sous serment de citer le déclarant pour contre-interrogatoire. Il convient de déterminer au cas par cas ce qui constitue un fait en litige de moindre importance.

41. Comme la Chambre d’appel a déjà conclu que la Chambre de première instance n’avait pas appliqué la condition d’antériorité visée à l’article 94 ter et que, pour ce motif, il devrait être fait droit à l’appel, il n’est pas nécessaire d’étudier chaque déclaration pour savoir si elle répond à ces conditions.

B. La déclaration certifiée du colonel Morsink

42. Le colonel Morsink a comparu devant la Chambre première instance en octobre 1999. Le 19 janvier 2000, le juge Bennouna a déclaré au nom de la Chambre de première instance que, s’agissant de la proposition de citer de nouveau le témoin sur la question d’une liste de personnes détenues au cinéma, la Chambre de première instance jugeait préférable de traiter ce point spécifique (l’authentification de la liste ou une déclaration sur le moyen d’obtention de celle-ci) par déclaration sous serment. Cette procédure a fait l’objet d’un accord et le conseil du coaccusé de l’Appelant a déclaré que «la solution la plus pratique est évidemment celle que vous suggérez : que Morsink fasse une déclaration sous serment.» Toutefois, il a demandé à avoir le droit de citer le témoin, en tant que de besoin, après présentation de la déclaration sous serment, ce à quoi la Chambre a répondu : «nous n’oublions pas votre demande. En temps voulu nous recevrons la déclaration sous serment puis, si vous souhaitez présenter des conclusions sur ce point, nous les entendrons58». Donc, le droit de demander à contre-interroger le témoin pouvait de toute évidence s’exercer jusqu’à la présentation de la déclaration sous serment.

43. La Chambre d’appel est d’accord avec l’Accusation pour conclure que la Déclaration certifiée constitue un cas différent des sept autres déclarations sous serment puisqu’elle a été obtenue, dans le cadre d’un accord, sur proposition de la Chambre de première instance, aux fins de compléter un témoignage oral. Dans un premier temps, l’Accusation avait fait valoir devant la Chambre de première instance que la Déclaration certifiée pourrait être admise soit dans le cadre de l’article 94 ter soit dans celui de l’article 89 C)59. Par la suite, devant la Chambre d’appel, elle a déclaré qu’elle s’était contentée d’exécuter une ordonnance de la Chambre de première instance et que «dans ce sens la déclaration certifiée aurait aussi bien pu relever de l’article 98 ou 89 E) et être admise en application de ceux-ci60».

44. Bien que la Déclaration certifiée ait été examinée par la Chambre de première instance dans le cadre de l’article 94 ter, vu son origine et les circonstances dans lesquelles elle a été produite devant celle-ci, y compris le fait qu’elle l’a été sur proposition de la Chambre à l’Accusation, il semble à la Chambre d’appel que c’est à tort qu’elle a été introduite en se fondant sur l’article 94 ter du Règlement. Par conséquent, la Chambre de première instance a versé dans l’erreur en l’admettant au titre de ce dernier article.

45. Si les éléments de preuve figurant dans la déclaration certifiée sont admis sous cette forme, c’est-à-dire en tant que déclaration sous serment, ils doivent relever de l’un des autres cas d’exception au principe général de l’oralité des débats. Ils pourraient également être admis en application de l’article 89 C), à savoir en tant qu’«élément de preuve pertinent [que la Chambre] estime avoir valeur probante». Une fois soumise à la Chambre de première instance, la déclaration certifiée doit être examinée en fonction des critères pertinents à l’article invoqué du Règlement, et la Chambre devrait, dans ce contexte, tenir compte de toute demande d’une partie de contre-interroger le témoin sur ses déclarations61.

46. En l’espèce, lorsqu’elle a tranché sur l’existence d’un droit au contre-interrogatoire sur les déclarations sous serment et les déclarations certifiées, la Chambre de première instance a jugé que :

au vu de l’opposition de la Défense nous devons examiner la question de savoir si les témoins devraient être contre-interrogés. Nous l’avons fait. Nous ne pensons pas que cela soit exigé ni nécessaire en l’espèce. Nous pensons que cette question est couverte par le fait même que les déclarations sont faites sous serment. Mais lorsque nous étudierons les éléments de preuve eux-mêmes nous garderons bien sûr à l’esprit qu’ils n’ont pas été soumis à contre-interrogatoire62.

47. La Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance n’a pas examiné dûment l’admissibilité de la déclaration certifiée en fonction des critères pertinents, et qu’elle a refusé à tort la demande de l’Appelant aux fins de contre-interrogatoire. En l’espèce, la Chambre de première instance n’aurait pu admettre la déclaration certifiée qu’en application de l’article 89 C), après avoir examiné les critères pertinents récemment réaffirmés dans la Décision du 21 juillet 200063. L’Accusation n’a pas apporté de conclusions détaillées quant à l’admissibilité de la déclaration à ce titre, que ce soit devant la Chambre de première instance ou devant la Chambre d’appel. La Chambre de première instance n’a examiné l’admissibilité de la déclaration certifiée qu’au regard de l’article 94 ter du Règlement et a conclu dans ce contexte qu’elle devait être admise.

48. La Chambre d’appel conclut donc que la Chambre de première instance a eu tort d’admettre la déclaration certifiée sous l’article 94 ter.

VII. DISPOSITIF

49. Par ces motifs, la Chambre d’appel ACCUEILLE la demande et :

1. ENJOINT à la Chambre de première instance d’exclure les sept déclarations sous serment du dossier de l’instance,

2. CONCLUT que la déclaration certifiée n’aurait pas du être admise au dossier en application de l’article 94 ter et, par conséquent, ENJOINT à la Chambre de première instance de réévaluer son admissibilité en application de l’article 89 C) du Règlement, en entendant si nécessaire toute nouvelle conclusion des parties.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
(signé)
Juge Rafael Nieto-Navia

Fait le 18 septembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Six déclarations sous serment ont été communiquées à l’Appelant le 25 février 2000 et la septième le 7 mars 2000. La déclaration certifiée lui a été communiquée le 1er mars 2000.
2. L’Accusation a cependant répondu à l’argument de l’Appelant selon lequel l’article 94 ter du Règlement constitue la seule disposition autorisant l’admission de déclarations sous serment, en renvoyant à l’article 89 C) du Règlement, et au pouvoir discrétionnaire qui permet à la Chambre de première instance d’admettre des déclarations sous serment sortant du champ d’application de l’article 94 ter du Règlement, pour autant qu’elles constituent des «élément de preuve pertinent[s] que [la Chambre] estime avoir valeur probante». Réponse du Procureur aux objections de Dario Kordic, émises en application de l’article 94 ter du Règlement, relatives à six «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée» déposées par l’Accusation, réponse déposée à titre confidentiel le 7 mars 2000, par. 8. En outre, durant l’audience du 10 mars 2000, l’Accusation a déclaré que «dans le cas où la Chambre considérerait que le respect des délais prévus par l’article 94 ter du Règlement est essentiel, elle pourrait néanmoins admettre ces déclarations sous serment en application de l’article 89 C) du Règlement» (compte rendu d’audience en anglais, p. 16 482).
3. Réponse du Procureur aux objections de Dario Kordic, émises en application de l’article 94 ter du Règlement, relatives à six «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée» déposées par l’Accusation, déposée à titre confidentiel le 7 mars 2000, par. 7.
4. Objections de Dario Kordic, émises en application de l’article 94 ter du Règlement, relatives à six «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée» déposées par l’Accusation, document déposé à titre confidentiel le 3 mars 2000 et Réponse du Procureur aux objections de Dario Kordic, émises en application de l’article 94 ter du Règlement, relatives à six «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée» déposées par l’Accusation, document déposé à titre confidentiel le 7 mars 2000.
5. Requête de l’accusé Dario Kordic aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel interlocutoire de la décision rendue par la Chambre de première instance III le 10 mars 2000 admettant à titre de moyen de preuve, mais hors des dispositions de l’article 94 ter, sept «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée», déposée le 17 mars 2000.
6. Notification par laquelle l’accusé Mario Cerkez se joint à la Requête de l’accusé Dario Kordic aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel interlocutoire de la décision rendue par la Chambre de première instance III le 10 mars 2000 admettant à titre de moyen de preuve, mais hors des dispositions de l’article 94 ter, sept «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée», déposée le 17 mars 2000. Depuis, Mario Cerkez n’a déposé aucun mémoire supplémentaire traitant de la question substantielle dont est saisie la Chambre d’appel.
7. Réponse du Procureur à la requête de l'accusé Dario Kordic aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter un appel interlocutoire de la décision rendue le 10 mars 2000 par la Chambre de première instance III admettant au dossier sept déclarations sous serment et une «déclaration certifiée» en application de l'article 94 ter du Règlement, déposée le 27 mars 2000. L’Accusation a également déposé le 6 avril 2000, à titre partiellement confidentiel, la Requête du Procureur aux fins d’autorisation de dépôt d’une réponse supplémentaire aux faits nouveaux évoqués par l’accusé Dario Kordic dans sa réplique, mais la Chambre d’appel l’a déclarée inadmissible dans sa Décision relative à la demande aux fins d’autorisation d’interjeter appel et à la requête aux fins d’autorisation de dépôt d’une réponse supplémentaire du 28 avril 2000.
8. Reply to the Prosecutor’s Response to the Accused Dario Kordic’s Application for Leave to Pursue an Interlocutory Appeal of Trial Chamber III’s March 10, 2000 Ruling to Admit into Evidence Seven Affidavits and One Formal Statement in Contravention of the Provisions of Rule 94 ter, déposée le 31 mars 2000.
9. Décision relative à la demande aux fins d’autorisation d’interjeter appel et à la requête aux fins d’autorisation de dépôt d’une réponse supplémentaire, p. 3.
10. Mémoire de l'accusé Dario Kordic aux fins d'annuler la décision rendue le 10  mars 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier sept déclarations sous serment et une «déclaration certifiée» en contravention aux dispositions expresses de l'article 94 ter, déposé le 8 mai 2000 et auquel le Greffe a ajouté la mention «confidentiel» («Mémoire de l’appelant»).
11. Réponse du Procureur au mémoire de l'accusé Dario Kordic aux fins d'annuler la décision, rendue le 10 mars 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier sept déclarations sous serment et une «déclaration certifiée» en contravention aux dispositions expresses de l'article 94 ter, déposée confidentiellement le 18 mai 2000 (la «Réponse de l’Accusation»).
12. Mémoire en réplique de l'accusé Dario Kordic aux fins d'annuler la Décision rendue le 10 mars 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier sept déclarations sous serment et une «déclaration certifiée» en contravention aux dispositions expresses de l'article 94 ter, déposée le 22 mai 2000 et à laquelle le Greffe a ajouté la mention «confidentiel» (la «Réplique de l’Appelant»). L’appelant a également déposé Accused Dario Kordic’s Summary of Affidavits he has filed to Date, le 24 mai 2000.
13. Cet appel a été tranché par la Chambre d’appel dans sa Décision relative à l’appel concernant la déclaration d’un témoin décédé, rendue le 21 juillet 2000 (la «Décision du 21 juillet 2000»). Les écritures antérieures mentionnées sont : Brief of the Accused Dario Kordic Seeking Reversal of a February 21, 2000 Ruling of Trial Chamber III to Admit into Evidence a Prior Unsworn, Uncorroborated Witness Statement Whose Maker Mr Kordic Could Neither Confront nor Cross-examine, déposé le 6 avril 2000 ; Réponse du procureur au mémoire de l’accusé Dario Kordic aux fins d’annuler la décision, rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier une déclaration préalable de témoin qui n’a pas été faite sous serment ni corroborée et dont l’auteur n’a pas été confronté avec M. Kordic ni contre-interrogé, déposée le 17 avril 2000 ; Mémoire en réplique de l’accusé Dario Kordic aux fins d’annuler la décision, rendue le 21 février 2000 par la Chambre de première instance III, de verser au dossier une déclaration préalable de témoin qui n’a pas été faite sous serment ni corroborée et dont l’auteur n’a pas été confronté avec M. Kordic ni contre-interrogé, déposée le 25 avril 2000.
14. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 486.
15. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 487.
16. Id.
17. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 488.
18. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 489.
19. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 491 et 16 492.
20. Mémoire de l’appelant, p. 8.
21. Article 21 4) e) du Statut. S’agissant de cet argument, l’Appelant renvoie aux conclusions plus détaillées qu’il a exposées dans ses écritures antérieures et qui sont résumées au paragraphes 7 à 10 de la Décision du 21 juillet 2000.
22. Mémoire de l’appelant, p. 14.
23. Ibid., p. 11 à 14.
24. Ibid., p. 4, 17 et 18. L’Appelant mentionne également un tableau joint par le Procureur à sa Réponse aux objections de Dario Kordic, émises en application de l’article 94 ter du Règlement, relatives à six «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée» déposées par l’Accusation, déposée à titre confidentiel le 7 mars 2000. Dans celle-ci, il déclare tenter de montrer que les six déclarations sous serment portent sur des questions préalablement abordées par des témoins en audience. Selon lui, cela montrait que certains des témoins, dont les propos étaient supposés être corroborés par les déclarations sous serment, avaient parfois été entendus 10 mois auparavant (p. 5 et 6).
25. Mémoire de l’appelant, p. 15.
26. Ibid., p. 17-18.
27. Ibid., p. 20.
28. Réponse de l’Accusation, par. 5 à 11.
29. Ibid., par. 35.
30. Ibid., par. 36.
31. Ibid., par. 34 à 38. L’Accusation s’est appuyée sur un exemple pris d’une autre affaire, Le Procureur c/ Zoran Kupreškic et consorts, Décision relative à l’appel interjeté par Dragan Papic contre la décision de procéder par voie de déposition, affaire n° IT-95-16-AR73.3, 15 juillet 1999 («Décision Kupreškic»), dans laquelle la Chambre d’appel déclarait que lorsque les deux parties avaient été présentes et qu’elles avaient eu la possibilité d’exposer leurs vues sur la question soulevée dans une requête, «le non-respect de la condition visée au paragraphe B) de l’article 71 n’est qu’un détail technique sans conséquence pour l’intégrité de la procédure ou les droits de l’accusé», par. 15, note de bas de page omise.
32. Réponse de l’Accusation, par. 12. Comme nous l’avons vu plus haut, l’Accusation avait auparavant affirmé devant la Chambre de première instance que la Déclaration certifiée pouvait également être admise en application de l’article 89 C) du Règlement.
33. Réponse de l’Accusation, par. 24, renvoyant à l’affaire Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, par. 282.
34. Réponse de l’Accusation, par. 26.
35. Ibid., par. 28. Eu égard à cet argument, l’Accusation renvoie aux conclusions plus détaillées qu’elle a présentées dans les écritures antérieures et qui sont résumées aux par. 11 à 17 du la Décision du 21 juillet 2000.
36. Réponse de l’Accusation, par. 29 à 33, reprenant les arguments présentés sur ce point dans la Réponse du Procureur aux objections de Dario Kordic, émises en application de l’article 94 ter du Règlement, relatives à six «déclarations sous serment» et une «déclaration certifiée» déposées par l’Accusation, déposée le 7 mars 2000.
37. Réponse de l’Accusation, par. 39.
38. Bien qu’il s’agisse de la formulation employée à l’article 89 B) qui traite des «cas où le Règlement est muet» dans la section 3 du Règlement intitulé «De la preuve», ce principe général garde son importance.
39. En matière d’interprétation, le Tribunal suit les principes que l’on peut tirer de l’article 31 1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), Documents officiels des Nations Unies A/CONF.39/27 : «Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.» Ces principes sont maintenant considérés comme des principes généraux applicables à l’interprétation de tous les instruments internationaux. Voir aussi Le Procureur c/ Duško Tadic, Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par le Procureur aux fins d’obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins, affaire n° IT-94-1-T, 10 août 1995, par. 18 et suiv. et Le Procureur c/ Zejnil Delalic et consorts, Jugement, affaire n° IT-96-21-T, 16 novembre 1998, par. 158 et suiv.
40. Compte rendu d’audience, p. 16 487. La Chambre de première instance a fait référence à l’affaire de l’Usine de Chorzów (1927), CPJI, Série A, vol. 2, n°8, p. 2 et à l’affaire du Détroit de Corfou, 1949, CIJ, Recueils, p. 4. Dans la première, la Cour estimait qu’en interprétant la disposition d’une convention particulière «il convient de tenir compte non seulement de l’évolution historique des traités d’arbitrage ainsi que de la terminologie de ces traités et du sens grammatical et logique des mots employés, mais aussi, plus spécialement de la fonction qu’il était de l’intention des parties contractantes d’attribuer à cette disposition».
41. Interprétation des traités de paix (deuxième phase), Avis consultatif, Recueils de la C.I.J., 1950, p. 229.
42. Au par. 19 de la Décision Kupreškic, la Chambre d’appel a jugé que «le Règlement prévoit [...] quatre exceptions à la règle du témoignage oral : 1) les dépositions recueillies en vue du procès (article 71) ; 2) les témoignages par vidéoconférence (article 90 A)) ; 3) les rapports de témoins experts (article 94 bis) ; 4) les déclarations sous serment visant à corroborer un témoignage (article 94 ter)».
43. Bien qu’il n’existe pas de droit absolu à l’interrogatoire, comme nous le verrons ci-dessous, les trois autres exceptions au témoignage oral à l’audience (hormis l’article 94 ter) prévoient généralement un droit au contre-interrogatoire sous une forme ou une autre.
44. Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, Arrêt relatif à l’appel du Procureur concernant l’admissibilité d’éléments de preuve, affaire n° IT-95-14/1-AR73, 16 février 1999, par. 15.
45. Supra, note 2.
46. L’article 94 ter a été adopté par la Dix-neuvième session plénière du 17 décembre 1998.
47. Il est prévu que la Défense puisse également invoquer l’article 94 ter. Dans ces circonstances, le besoin d’accélérer la procédure est naturellement limité par celui de protéger les intérêts de l’Accusation.
48. Sixième Rapport annuel du Tribunal pénal international chargé de juger les personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (Documents officiels des Nations Unies A/54/187, S/1998/846, 25 août 1999), par. 116.
49. Décision du 21 juillet 2000, par. 21 [Non souligné dans l’original].
50. Le Procureur c/ Dusko Tadic, Arrêt, affaire n° IT-94-1-A, 15 juillet 1999, par. 284.
51. Décision Kupreskic, par. 19.
52. Voir ci-après.
53. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 487.
54. Décision Kupreskic, Opinion dissidente du Juge Hunt, par. 18.
55. On en trouvera des exemples dans la Décision Kupreskic dans laquelle la Chambre d’appel concluait entre autres que, bien qu’une décision relative au recueil d’une déposition avait été rendue sur une demande orale alors que l’article 71 B) précisait que cette demande devait être faite par écrit, ce «n’est qu’un détail technique sans conséquence pour l’intégrité de la procédure ou les droits de l’accusé», par. 15 ; dans l’affaire Le Procureur c/ Goran Jelisic, Ordonnance, affaire n° IT-95-10-A, 21 mars 2000, la Chambre d’appel a notamment rejeté une requête aux fins d’invalider l’acte d’appel de l’Accusation au motif qu’il ne lui avait pas été signifié par l’Accusation elle-même (ce qu’une lecture littérale de l’article 108 du Règlement exige), mais par le Greffe. La Chambre d’appel a conclu qu’il s’agissait de la pratique établie au Tribunal et qu’en l’espèce l’Appelant n’avait subi «aucun préjudice substantiel». Ces affaires ne peuvent cependant être comparées à l’espèce dont la Chambre d’appel est saisie ici, puisqu’il ressort à l’évidence de ces exemples qu’il s’agissait de fautes purement techniques (Décision Kupreskic, par. 15).
56. L’article 71 bis prévoit la possibilité de témoigner par voie de vidéoconférence. Il s’agit en fait d’un témoignage oral, mais transmis par voie de vidéoconférence. Par conséquent, le contre-interrogatoire se déroule de la même manière que si le témoin était physiquement présent. L’article 71 prévoit le recueil de dépositions pour emploi au procès si l’intérêt de la justice le commande. Lors du recueil de déposition, la partie adverse a le droit d’être présente et de contre-interroger la personne dont on recueille la déposition. Cette exception à la règle générale est différente. En fait, elle ne constitue pas en elle-même une véritable exception, puisqu’elle prévoit qu’un témoin donne en personne les éléments de preuve «primaires», la seule différence étant qu’il ne le fait pas formellement devant la Chambre de première instance. Hormis cela, la procédure est très semblable à celle du témoignage oral à l’audience, puisque la déposition doit être recueillie dans le respect du Règlement de procédure et de preuve, un compte rendu doit en être dressé, le contre-interrogatoire est autorisé et les oppositions transmises à la Chambre de première instance pour décision. Son objectif principal est de remédier aux pressions trop fortes sur les ressources et le temps de la Chambre de première instance. De même, l’article 94 bis (relatif à la déposition de témoins experts) a pour but d’éviter de prolonger inutilement la procédure de sorte que, si la partie adverse accepte la déclaration écrite d’un témoin expert, celle-ci peut être versée au dossier sans que l’expert soit cité en personne. Encore une fois, il ne pourrait s’agir que d’éléments de preuve portant sur des faits en litige et donc le droit au contre-interrogatoire est préservé en cas de besoin. Comme nous l’avons noté plus haut, les éléments de preuve introduits dans le cadre de l’article 94 ter sont considérés comme des moyens de corroboration.
57. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 489.
58. Compte rendu d’audience en anglais, p. 12 689 à 12 695. La Chambre de première instance a également déclaré ne pas souhaiter que le colonel Morsink témoigne sur la teneur du document mais uniquement sur son origine.
59. Supra, note 3.
60. Supra, par. 16 de la présente décision. Voir aussi, Réponse du Procureur à la requête de l'accusé Dario Kordic aux fins d'obtenir l'autorisation d'interjeter un appel interlocutoire de la décision rendue le 10 mars 2000 par la Chambre de première instance III admettant au dossier sept déclarations sous serment et une «déclaration certifiée» en application de l'article 94 ter du Règlement, déposée le 27 mars 2000, note de bas de page 28.
61. En l’espèce, la Chambre de première instance a assuré l’Appelant et son coaccusé que s’ils souhaitaient présenter de telles conclusions, elle les entendrait en temps voulu. Supra note 58.
62. Compte rendu d’audience en anglais, p. 16 491 et 16 492.
63. Voir aussi, le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, Arrêt relatif à l’appel du Procureur concernant l’admissibilité d’éléments de preuve, par. 15.