Affaire n° : IT-95-14/2-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président
M. le Juge Fausto Pocar
Mme le Juge Florence Mumba
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
13 octobre 2003

LE PROCUREUR

c/

Dario KORDIC & Mario CERKEZ

_______________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS D’ÉCLAIRCISSEMENT ET AUX REQUÊTES AUX FINS DE MESURES DE PROTECTION

_______________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils des Accusés dans l’affaire Kordic & Cerkez :

MM. Mitko Naumovski, Turner T. Smith Jr et Stephen M. Sayers pour Dario Kordic
MM. Bozidar Kovacic et Goran Mikulicic pour Mario Cerkez

Les Conseils des Accusés dans l’affaire Hadzihasanovic et consorts  :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

Rappel de la procédure

1. Le 6 septembre 20011, les conseils d’Enver Hadzihasanovic, de feu Mehmed Alagic et d’Amir Kubura (les « Requérants  ») ont déposé une Requête conjointe de Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles – comptes rendus d’audience et pièces à conviction de l’affaire Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez (IT-95-14/2-T). Le Président a rejeté cette requête, le 25 septembre 2001, par une Ordonnance du Président relative à la Requête conjointe de la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Hadzihasanovic et consorts aux fins d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles de l’affaire Le Procureur c/ Kupreskic et consorts . Le 29 octobre 20012 a été rendue l’Ordonnance du Président relative à la Requête conjointe de la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Hadzihasanovic et consorts aux fins d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles de l’affaire Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario  Cerkez, par laquelle le Président a sursis à statuer sur la Requête s’agissant des pièces confidentielles de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez jusqu’à ce que la Chambre d’appel statue sur la demande de Hadzihasanovic aux fins d’autorisation d’interjeter appel de l’Ordonnance du Président datée du 25 septembre  2001.

2. Le 23 avril 2002, la Chambre d’appel a rendu la Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, par laquelle elle a jugé que le Président avait commis une erreur de droit en rejetant la demande d’accès aux pièces visées et a renvoyé la question au Président afin qu’il autorise l’accès aux pièces demandées et indique toute mesure de protection appropriée.

3. Le 28 mai 2002 a été rendue l’Ordonnance du Président relative à la Requête de la Défense aux fins d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles dans l’affaire Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, par laquelle le Président, après avoir conclu qu’une fois constituée pour entendre l’appel dans l’affaire Kordic et Cerkez, la Chambre d’appel est compétente pour statuer sur les demandes de modification des mesures de protection même si la Requête a été déposée avant la modification de l’article 75 D) du Règlement de procédure et de preuve (le «  Règlement ») du 28 décembre 2001, a invité le Greffier à transmettre la Requête à la Chambre d’appel saisie de l’affaire Kordic et Cerkez.

4. Le 12 juillet 2002, l’Accusation a déposé sa réponse à la Requête conjointe de Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles — comptes rendus d’audience et pièces à conviction de l’affaire Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez (IT-95-14/2-T) et une requête aux fins de prorogation de délai (Prosecution’s Response to the Motion of Enver  Hadzihasanovic, Mehmed Alagic and Amir Kubura for Access to All Confidential Material – Transcripts and Exhibits from Prosecutor v. Dario Kordic and Mario Cerkez (Case n° IT-95-14/2-T) and Request for Extension of Time Limit)3, par laquelle elle a demandé que le délai imparti soit prolongé. Le 18 juillet, la Défense a déposé sa réponse aux écritures de l’Accusation du 12 juillet 2002 ( Defence Response to Prosecution Filing of 12 July 2002), dans laquelle elle s’est opposée à la requête de l’Accusation aux fins de prorogation de délai au motif qu’elle avait été déposée hors délai. Toutefois, la Défense a demandé, au cas où la requête de l’Accusation serait accueillie, à être autorisée à déposer une réplique à la réponse de l’Accusation4. Le 29  juillet 2002, la Défense a déposé une réplique conjointe à la réponse de l’Accusation du 12 juillet 2002 (Joint Defence Reply to Prosecution’s Response dated 12 July  2002).

5. Le 23 janvier 2003, la Chambre d’appel a rendu la Décision relative à la Requête de Hadzihasanovic, Alagic et Kubura aux fins d’accès à des pièces jointes, des comptes rendus d’audience et des pièces à conviction confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez (la « Décision initiale »), dans laquelle elle a estimé que les Requérants avaient a) décrit la nature générale des documents dont ils demandaient l’accès et b) démontré un but légitime juridiquement pertinent justifiant pareil accès5. La Chambre d’appel a ordonné ce qui suit6 :

a) L’Accusation et la Défense dans l’affaire Kordic et Cerkez demanderont , avant de communiquer aux Requérants les pièces confidentielles relevant de l’article  70 C), le consentement des sources ayant fourni ces pièces et, sous réserve de ce consentement, elles communiqueront ces pièces aux Requérants sous leur forme non expurgée ou présenteront une requête aux fins d’expurgation dans un délai de 14 jours,

b) sous réserve de toute requête aux fins de mesures de protection supplémentaires , déposée dans un délai de 14 jours par l’une ou l’autre partie dans l’affaire Kordic et Cerkez, le Greffe permettra aux Requérants d’accéder à tous les documents , pièces et pièces à conviction publics et confidentiels de l’affaire Kordic et Cerkez, y compris aux documents confidentiels postérieurs au procès, aux mémoires d’appel et aux requêtes en application de l’article 115 déposés en appel dans l’affaire Kordic et Cerkez jusqu’à la date d’émission de la présente décision,

c) les pièces auxquelles l’accès est autorisé demeurent soumises aux mesures de protection ordonnées par la Chambre de première instance,

d) les Requérants, leurs conseils et toute personne employée dans leur cabinet qui , sur instruction ou sur autorisation du conseil, demandent l’accès à des pièces confidentielles déposées en l’espèce, s’engagent à :

i) ne pas divulguer à un tiers, les noms des témoins, leurs coordonnées, les copies et le contenu de leurs déclarations, les comptes rendus et le contenu de leur témoignage en audience ou toute information permettant de les identifier ou violant la confidentialité des mesures de protection en vigueur, sauf nécessité absolue pour la préparation du dossier des Requérants, et jamais sans l’autorisation préalable de la Chambre d’appel, [et]

ii) ne divulguer à un tiers aucun élément de preuve documentaire ou autre, ni aucune déclaration écrite d’un témoin, ni le contenu, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou témoignage préalable confidentiel,

iii) ne pas entrer en rapport avec un témoin dans l’affaire Kordic et Cerkez dont l’identité est protégée sans démontrer au préalable devant la Chambre d’appel en quoi ce témoin peut précisément aider matériellement les Requérants à préparer leur dossier et pourquoi ils ne peuvent raisonnablement pas bénéficier de cette aide autrement ; si la Chambre d’appel autorise un tel contact, l’Accusation a le droit d’assister à toute audition ou rencontre, si le témoin le requiert,

e) si, pour les besoins de la cause des Requérants, des pièces confidentielles sont communiquées à des tiers dans le respect des conditions prescrites à l’alinéa i), toute personne à laquelle sont communiquées lesdites pièces en l’espèce doit être informée qu’elle a l’interdiction de copier, reproduire ou publier, en tout ou en partie, toute pièce confidentielle, ou de la divulguer à toute autre personne ; en outre, si cette personne a reçu lesdites pièces, elle devra les restituer aux Requérants ou à leurs conseils dès qu’elle n’en aura plus besoin pour la préparation du dossier.

f) aux fins des paragraphes qui précèdent, ne sont pas considérés comme des « tiers  » : i) les Requérants, ii) les personnes habilitées par le Greffier à assister les conseils des Requérants, iii) le personnel du Tribunal international, y compris le personnel du Bureau du Procureur.

6. Le 28 janvier 2003, Mario Cerkez a déposé une notification concernant la Décision relative à la Requête conjointe de Hadzihasanovic, Alagic et Kubura aux fins d’accès à des pièces jointes, des comptes rendus d’audience et des pièces à conviction confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez rendue le 23 janvier 2003 par la Chambre d’appel (Mario Cerkez’s Notice Re. 23 January 2003 Appeals Chamber Decision on Motion by Hadzihasanovic, Alagic and Kubura for Access to Confidential Supporting Material, Transcripts and Exhibits in the Kordic and Cerkez Case), dans laquelle Mario Cerkez a indiqué qu’il n’avait nul besoin de demander le consentement d’un témoin ou d’un organe en vertu de l’article 70 C) pour permettre aux Requérants d’avoir accès aux pièces visées, et qu’il n’entendait pas demander des mesures de protection supplémentaires concernant ces pièces.

7. Le 6 février, Dario Kordic a demandé des mesures de protection supplémentaires pour certaines pièces7. Le 10 février , le juriste hors classe de la Chambre d’appel a adressé une lettre aux parties en l’espèce, invitant Dario Kordic à développer son argumentation concernant les mesures de protection demandées. Dario Kordic a répondu à cette lettre le 14 février . Le 20 février, les Requérants ont déposé une réponse conjointe à la Requête de Kordic8.

8. Le 6 février, l’Accusation a déposé une requête aux fins de mesures de protection supplémentaires, de prorogation de délai et d’éclaircissement de la Décision autorisant l’accès aux pièces confidentielles rendue le 23 janvier 2003 (Prosecution’s Motion for Additional Protective Measures, Clarification and Extension of Time Regarding Access Decision of 23 January 2003) (la « Requête de l’Accusation »), par laquelle l’Accusation demandait ce qu’elle appelait des « éclaircissements » concernant un certain nombre de questions et sollicitait des mesures de protection supplémentaires . Le 17 février, Dario Kordic a déposé sa réponse à la Requête de l’Accusation9. Le 20 février, les Requérants ont déposé une réponse conjointe à la Requête de l’Accusation et à la Requête de Kordic10.

Mesures demandées par l’Accusation

9. L’Accusation demande à la Chambre d’appel11  :

10. La demande d’« éclaircissement » que formule l’Accusation au sujet d’un certain nombre de mesures ordonnées par la Chambre d’appel dans la Décision initiale semble en réalité constituer une demande de réexamen. Les cas relevant d’une demande de réexamen, et non d’éclaircissement, seront traités comme tels13.

11. Dans sa Requête, l’Accusation demande également, « compte tenu de l’importance des points qui doivent être clarifiés », l’autorisation de dépasser de deux pages le nombre de pages prescrit par la Directive pratique relative à la longueur des mémoires et des requêtes (IT/184 Rev. 1)14. Ni Dario Kordic ni les Requérants ne sont opposés à cette demande. La Chambre d’appel reconnaît que le nombre de points que l’Accusation a soulevés dans sa Requête constitue un motif convaincant justifiant d’accéder à sa demande.

12. En outre, n’étant pas en mesure de tenir les délais fixés par la Chambre d’appel en l’espèce, l’Accusation demande une prorogation de délai afin de respecter les termes de la Décision initiale. Dario Kordic n’a objecté ni à la demande de surseoir à l’exécution de la Décision initiale ni à la demande de prorogation de délai. En revanche, les Requérants font valoir que l’Accusation ne s’est pas conformée à la Décision de la Chambre d’appel et qu’elle n’a pas justifié sa demande aux fins de surseoir à son exécution15.

13. La Décision initiale disposait que l’une ou l’autre partie dans l’affaire Kordic et Cerkez pouvait présenter, dans un délai de 14 jours, une demande aux fins de mesures de protection supplémentaires. L’Accusation et Dario Kordic ont déposé leur demande en respectant ce délai. Ordonner à l’Accusation d’exécuter immédiatement la Décision initiale ou refuser de surseoir à l’exécution de celle-ci rendrait sa requête aux fins de mesures de protection sans objet ; en conséquence, la prorogation de délai doit être accordée en attendant que la question de ces mesures soit tranchée , ce qui dépendra, à son tour, des délais que l’Accusation estime nécessaires pour exécuter la Décision initiale telle que « précisée » par la présente Décision. Compte tenu du nombre de questions que l’Accusation devra traiter pour se conformer à la présente Décision, et du fait qu’elle a dû déjà commencer à exécuter les mesures ordonnées dans la Décision initiale pour lesquelles elle n’a demandé aucun « éclaircissement  », la Chambre d’appel lui ordonnera de se conformer, dans un délai de 14 jours, à la Décision initiale telle que modifiée ou précisée par la présente Décision ainsi qu’à cette dernière.

14. L’Accusation demande ensuite des éclaircissements sur la portée de la Décision initiale. Celle-ci ne concernait que les pièces auxquelles les Requérants avaient demandé l’accès. L’Accusation soutient que puisque les Requérants n’avaient pas expressément mentionné, dans leur demande, les écritures déposées pendant la phase préalable au procès et pendant ce dernier, celles-ci n’entraient pas dans le cadre de leur requête initiale aux fins d’accès à « toutes les pièces confidentielles  » ou à « des documents confidentiels », et que les Requérants ne devraient donc pas être autorisés à les consulter16. Certes, il est préférable qu’une partie fasse précisément état des documents qu’elle cherche à obtenir, et la requête initiale ne demandait pas expressément l’accès aux écritures déposées à titre confidentiel pendant la phase préalable au procès ou pendant celui-ci. Mais, il est à présent clair que ces écritures faisaient également partie des documents que les Requérants cherchaient à obtenir17. Étant donné que l’accès à ces écritures est justifié par le même but légitime juridiquement pertinent, et afin d’éviter le dépôt d’une autre requête, la demande des Requérants aux fins d’accès à des pièces confidentielles relevant de l’article 70 du Règlement sera interprétée comme une demande d’accès à toutes les pièces confidentielles, y compris les écritures déposées pendant la phase préalable au procès et pendant celui-ci18.

15. La Décision initiale ne concernait toutefois pas les écritures déposées ex parte. Même si celles-ci constituent des documents confidentiels qui peuvent entrer dans le cadre d’une requête aux fins d’accès à « toutes les pièces confidentielles  » relevant de l’article 70, elles doivent être distinguées des autres pièces confidentielles en raison de leur nature spécifique puisqu’il s’agit de documents déposés confidentiellement par une partie à l’intention de la Chambre. Si, pour des motifs valables, l’accès à certaines écritures a été refusé à une partie, et continue de l’être, il doit a fortiori être refusé aux tiers19.

16. La Chambre d’appel accepte l’argument de l’Accusation sur un autre point : en tant que dépositaire officiel des documents du Tribunal, c’est au Greffe, et non à l’une ou l’autre partie, qu’il incombe de fournir à la partie requérante les pièces qu’elle a été autorisée à consulter20. La Chambre note en outre l’accord des Requérants sur ce point21.

17. La Décision initiale disposait que l’une ou l’autre partie dans l’affaire Kordic et Cerkez pouvaient présenter des demandes de mesures de protection supplémentaires portant sur les pièces auxquelles l’accès était autorisé. L’Accusation demande à présent que soient ordonnées en l’espèce les mêmes mesures de protection que celles accordées par la Chambre d’appel dans l’Ordonnance Ljubicic22, au motif que « la nécessité d’accorder des mesures de protection aux mêmes témoins est aussi urgente » en l’espèce que dans le cas de la requête de Ljubicic23.

18. La nécessité d’ordonner des mesures de protection et la nature de ces mesures dépendent des circonstances de chaque affaire. Des mesures de protection qui peuvent être requises dans une affaire, peuvent ne pas l’être nécessairement dans une autre , même s’il s’agit d’une affaire connexe. En l’espèce, l’Accusation avance plusieurs points24 : i) rien ne justifie d’établir une distinction entre les mesures de protection requises dans le cas de Ljubicic et dans celui des Requérants ; ii) il est important de veiller à ce que la protection des témoins ayant déposé dans l’affaire Kordic et Cerkez soit garantie de la même manière dans toutes les procédures devant le Tribunal ; iii) l’accès aux pièces demandées devrait être le même pour Ljubicic et pour les Requérants ; iv) des considérations relatives aux moyens mis en œuvre ne devraient pas l’emporter sur la priorité accordée à la protection des témoins. Tous ces points, en particulier le point ii), sont effectivement pertinents, et l’accès aux pièces demandées doit être autorisé dans les mêmes conditions que celles fixées par l’Ordonnance Ljubicic . Une fois qu’ils auront examiné les pièces en question et déterminé celles dont ils ont besoin, en tout ou partie, sous une forme non expurgée, les Requérants désigneront celles qui, selon eux, sont susceptibles de les aider dans la conduite de leur défense et auxquelles ils ne peuvent avoir accès par un autre moyen, et déposeront une requête justifiant la communication de ces pièces sous une forme non expurgée. Si besoin est, des mesures de protection supplémentaires pourront être envisagées.

19. La Chambre d’appel convient, avec les parties, qu’il est préférable que ce soit le Greffe en tant que dépositaire officiel des documents du Tribunal, et non les parties, qui soit chargé d’expurger les pièces demandées. Toutefois, on ne saurait s’attendre à ce que le Greffe s’acquitte de cette tâche sans que les parties aient indiqué de façon détaillée, et par écrit, les expurgations qu’elles estiment nécessaires . En conséquence, les parties se verront enjointes de donner ces indications.

20. La Chambre d’appel n’examinera pas à ce stade la procédure à suivre dans le cas où des sources ayant fourni des pièces relevant de l’article 70 C) n’ont pas consenti à la divulgation de ces pièces dans une autre affaire, puisque la question ne se pose pas en l’espèce.

21. Enfin, la Chambre d’appel rejette l’argument de l’Accusation selon lequel c’est à la Section d’aide aux victimes et aux témoins, et non à l’Accusation ou à la Défense , de prendre contact avec les témoins qu’elles ont respectivement cités à comparaître . Ces témoins ont été cités par les parties et ils n’ont eu, pour la plupart, que peu de contact, voire aucun, avec la Section d’aide aux victimes et aux témoins. En raison des rapports qu’elle entretient avec eux, chaque partie est mieux à même de prendre contact avec ses propres témoins afin de déterminer s’ils nourrissent des craintes pour leur sécurité.

Requête de Kordic aux fins de mesures de protection supplémentaires

22. Dans sa requête, Kordic a demandé l’octroi de mesures de protection supplémentaires en faveur de six témoins à décharge qu’il a cités à comparaître. À la conférence de mise en état du 7 février 2003, le juge alors chargé de la mise en état en appel par intérim a attiré l’attention du conseil de Kordic sur le fait que les raisons qu’il avançait pour justifier l’octroi de mesures de protection supplémentaires en faveur de ces témoins ne semblaient pas suffisantes à première vue. Dans la lettre du 10 février, le juriste hors classe de la Chambre d’appel a rappelé au conseil de Kordic qu’il ne suffisait pas, en soi, que des témoins aient exprimé la crainte de courir un danger ou des risques pour établir la probabilité réelle de ce danger ou de ces risques, et il l’a invité à développer son argumentation. Répondant à cette lettre, Kordic a déclaré qu’il n’avait rien à ajouter à sa requête, qui traduisait fidèlement le point de vue des témoins concernés. L’Accusation a informé oralement la Chambre d’appel qu’elle ne s’exprimerait pas davantage sur la question.

23. Pour la Chambre d’appel, Kordic n’a pas démontré de façon convaincante que les mesures de protection supplémentaires sollicitées en faveur des six témoins à décharge se justifiaient. Comme le lui ont fait clairement remarqué le juge alors chargé de la mise en état en appel par intérim, lors de la conférence de mise en état, et le juriste hors classe, dans sa lettre, des mesures de protection ne sont accordées que lorsque la victime ou le témoin « courent un danger ou des risques ». Selon l'interprétation constante que le Tribunal a donnée de cette condition, une simple crainte exprimée par le témoin ne suffit pas, des éléments objectifs doivent être soumis, qui démontrent qu’il existe réellement une probabilité que ce témoin courre un danger ou des risques25. Étant donné que Kordic n’a pas démontré qu’il existait des éléments objectifs justifiant les craintes des six témoins à décharge, il n’y a pas lieu d’accorder d’autre mesure de protection que celles déjà ordonnées par la Chambre de première instance et la requête de Kordic doit en conséquence être rejetée.

Dispositif

24. La Chambre d’appel ordonne ce qui suit :

i) FAIT DROIT à la demande de l’Accusation aux fins de dépassement du nombre de pages autorisé et considère que la Requête de l’Accusation a été valablement déposée.

ii) FAIT DROIT à la demande de l’Accusation aux fins de prorogation de délai et SURSEOIT à l’exécution de la Décision initiale pendant 14 jours, l’Accusation devant, dans cet intervalle, prendre contact avec les sources ayant fourni les pièces relevant de l’article 70 C). Une fois obtenu le consentement de ces sources, l’Accusation doit déposer une notification faisant état, le cas échéant, des conditions posées par ces sources à la communication des pièces aux Requérants. La Chambre d’appel considère comme prématurée la demande d’éclaircissement que l’Accusation lui a adressée à propos de la procédure à suivre lorsque des sources n’ont pas consenti à la divulgation des pièces. D’autres mesures seront prises si les sources s’opposent à l’accès aux pièces ou si elles soumettent cet accès à des conditions.

iii) ACCORDE les mesures de protection demandées par l’Accusation et ENJOINT à l’Accusation d’indiquer de façon détaillée, et par écrit, quelles parties des pièces communiquées devraient, selon elle, être expurgées, dans un délai de 14 jours à compter de la présente Décision. Une fois qu’ils auront examiné les pièces en question et déterminé celles dont ils ont besoin, en tout ou partie, sous une forme non expurgée, les Requérants désigneront celles qui, selon eux, sont susceptibles de les aider dans la conduite de leur défense et auxquelles ils ne peuvent avoir accès par un autre moyen, et déposeront une requête justifiant la communication de ces pièces sous une forme non expurgée. Si besoin est, des mesures de protection supplémentaires pourront être envisagées.

iv) ENJOINT au Greffe, sous réserve des indications détaillées fournies par l’Accusation, de donner aux Requérants accès aux pièces susmentionnées dans le respect des conditions fixées dans la présente Décision et dans la Décision initiale.

v) Kordic doit prendre contact avec les sources ayant fourni les pièces relevant de l’article 70 C). Une fois obtenu le consentement de ces sources, il doit déposer une notification faisant état, le cas échéant, des conditions posées par ces sources à la communication des pièces aux Requérants.

vi) La Chambre d’appel REJETTE la requête de Kordic aux fins de mesures de protection supplémentaires en faveur de six témoins à décharge qu’il a cités à comparaître durant le procès.

vi) La Chambre d’appel REJETTE la demande d’éclaircissement de l’Accusation aux fins de déterminer à qui incombe la responsabilité d’expurger les pièces pour les demandes d’accès à venir, au motif qu’elle la juge prématurée26.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 13 octobre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
______________
Wolfgang Schomburg

[Sceau du Tribunal]


1 - La date figurant sur la page de garde de la requête est le 5 septembre 2001.
2 - La date figurant sur la page de garde de l’Ordonnance est le 16 octobre 2001.
3 - Le 19 juillet 2002, le juge de la mise en état en appel a fait droit à la requête aux fins de prorogation de délai présentée par l’Accusation et a considéré que la réponse de celle-ci avait été valablement déposée. En outre, il a fait droit à la requête de la Défense aux fins d’autorisation de déposer une réplique à la réponse de l’Accusation (Décision relative à la requête aux fins de prorogation des délais).
4 - Voir Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, 23 avril 2002.
5 - Décision initiale, p. 4.
6 - Ibidem, p. 5 et 6.
7 - Dario Kordic’s Application and Notice Pursuant to 23 January 2003 “Decision on Motion by Hadzihasanovic, Alagic and Kubura for Access to Confidential Supporting Material, Transcripts and Exhibits in the Kordic and Cerkez Case” (la « Requête de Kordic »).
8 - Joint Defence in the Hadzihasanovic et al. Response to Dario Kordic’s Application and Notice Pursuant to 23 January 2003 “Decision on Motion by Hadzihasanovic, Alagic and Kubura for Access to Confidential Supporting Material, Transcripts and Exhibits in the Kordic and Cerkez Case” (la « Réponse des Requérants à la Requête de Kordic”).
9 - Dario Kordic’s Response to Prosecution’s Motion for Additional Protective Measures, Clarification and Extension of Time Regarding Access Decision of 23 January 2003 (la « Réponse de Kordic »).
10 - Joint Defence in the Hadzihasanovic et al Case Response to Prosecution’s Motion of 6 February 2003 for Additional Protective Measures, Clarification and Extension of Time Regarding Access Decision of 23 January 2003 (la « Réponse des Requérants »).
11 - Requête de l’Accusation, par. 36.
12 - Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2, Ordonnance relative à la requête de Pasko Ljubicic aux fins d’avoir accès à des documents confidentiels – pièces jointes, comptes rendus d’audience et pièces à conviction – dans l’affaire Kordic et Cerkez, 16 juillet 2002 (l’« Ordonnance Ljubicic »), p. 6 à 8.
13 - Les cas dans lesquels la Chambre d’appel peut réexaminer l’une de ses décisions ont été exposés dans l’Arrêt relatif à la sentence rendu récemment dans l’affaire Le Procureur c/ Mucic et consorts, affaire n° IT-96-21-A bis, 8 avril 2003, par. 49 et suiv.
14 - Requête de l’Accusation, par. 5.
15 - Réponse des Requérants, par. 2 à 4 et 21.
16 - Requête de l’Accusation, par. 7.
17 - Réponse des Requérants, par. 10.
18 - Telle a été l’interprétation donnée par la Chambre d’appel lors de l’examen d’une requête similaire dans la Décision relative à la « réponse préliminaire et requête de l’Accusation aux fins de clarification concernant la décision relative à la requête conjointe déposée le 24 janvier 2003 par Hadzihasanovic, Alagic et Kubura » (la « Décision Blaskic »).
19 - Dans sa Réponse, Kordic a fait valoir qu’il serait « anormal » que des personnes accusées dans d’autres affaires soient autorisées à consulter des pièces déposées dans sa propre affaire alors que lui-même s’est vu refuser l’accès à ces pièces (Réponse de Kordic, par. 2). Il a ajouté qu’il ne s’opposerait pas à ce que les Requérants soient autorisés à les consulter à condition qu’il puisse également le faire (Réponse de Kordic, par. 3).
20 - Requête de l’Accusation, par. 13 à 15.
21 - Réponse des Requérants, par. 17 et 18.
22 - Les mesures envisagées sont entre autres : i) prendre contact avec les témoins qui ont déposé à titre confidentiel, ainsi qu’avec tout gouvernement ou tout organe concerné afin d’entendre leur point de vue sur la divulgation des pièces aux Requérants ; ii) expurger les pièces relatives aux témoins en supprimant toute information permettant de les identifier ; et iii) après communication des pièces sous une forme expurgée, exiger des Requérants qu’ils expliquent, motifs convaincants à l’appui, pourquoi ils sont en droit de les consulter sous une forme non expurgée. (Voir Requête de l’Accusation, par. 36.)
23 - Requête de l’Accusation, par. 22.
24 - Ibidem.
25 - Le Procureur c/ Galic, affaire nº IT-98-29-T, Décision [confidentielle] relative à la requête de la Défense aux fins de mesures de protection, 18 novembre 2002, p. 5 ; Le Procureur c/ Brdanin & Talic, affaire nº IT-99-36-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, 3 juillet 2000, par. 26 ; Le Procureur c/ Simic et consorts, affaire nº IT-95-9-T, Ordonnance aux fins de mesures de protection de témoins, 4 décembre 2001, p. 2 ; Ordonnance [confidentielle] aux fins de mesures de protection de témoins, p. 3 ; Le Procureur c/ Milosevic, affaire nº IT-02-54-T, Première Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de témoins détenant des informations sensibles, 3 mai 2002, par. 4 ; Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de certains témoins (Bosnie), 30 juillet 2002, par. 11.
26 - Dans la Décision Blaskic, la Chambre d’appel a également refusé « de fixer une pratique qui pourrait être suivie dans toutes les espèces », par. 29.