Devant :
M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état en appel
Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Ordonnance rendue le :
31 mars 2003
Le Bureau du Procureur :
M. Norman Farrell
Les Conseils de la Défense :
MM. Mitko Naumovski, Turner T. Smith Jr et Stephen M. Sayers, pour Dario
Kordic
MM. Bozidar Kovacic et Goran Mikulicic, pour Mario Cerkez
1. L’appelant Dario Kordic (« Kordic ») a demandé à la Chambre de décerner une ordonnance enjoignant à l’Accusation de communiquer, sous sa forme non expurgée, le compte rendu d’une audition du témoin AT réalisée sur une période de quatre jours, après le prononcé du jugement. Le témoin AT avait été cité à comparaître par l’Accusation durant le procès1. Kordic soutient que l’absence de corroboration lors du procès des preuves avancées par ce témoin et les contradictions que comportent lesdites preuves constituent des questions essentielles de l’appel interjeté ; il soutient également qu’une communication intégrale du contenu de cette audition apporterait des preuves de nature à le disculper, au sens de l’article 68 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »)2.
2. Dans sa réponse, l’Accusation a nié ne pas avoir respecté l’article 68 du Règlement3, et elle a indiqué que depuis le dépôt de la Requête, elle a fourni le texte de l’audition « avec moins de passages supprimés »4 et qu’elle a accepté d’en communiquer d’autres extraits à Kordic5. L’Accusation a également fait savoir que, dans un souci de transparence totale, elle déposerait auprès de la Chambre d’appel un document ex parte « indiquant les suppressions maintenues et exposant leurs raisons » [traduction non officielle]6, et qu’elle se conformerait à tout ordre de la Chambre d’appel relatif aux expurgations effectuées7. L’Accusation a indiqué que les expurgations étaient nécessaires, dans le cas de pièces n’étant pas de nature à disculper l’accusé, à des fins de confidentialité , pour les besoins de l’enquête ou pour des raisons de sécurité8, et que les passages supprimés contiennent des informations sensibles9. Le lendemain, l’Accusation a déposé un document ex parte10. Elle a précisé que l’objectif de ce document était « d’informer la Chambre d’appel des passages dont la suppression est maintenue, des raisons justifiant ce maintien , et de soumettre à la Chambre lesdits passages supprimés des auditions, au cas où la Chambre estime nécessaire de revoir la question » [Traduction non officielle]11.
3. Dans sa Réplique12, Kordic a rejeté le droit de l’Accusation de déposer des écritures relatives au témoin AT à titre ex parte, et il a fait valoir que ces écritures « devraient au moins être accessibles à la partie adverse, dans la mesure où elles n’ont pas trait à des questions spécifiques et claires concernant la protection ou la sécurité des témoins » [Traduction non officielle]13.
4. Dans tous les cas, le principe fondamental est que les procédures ex parte ne devraient être autorisées que lorsqu’elles sont jugées nécessaires dans l’intérêt de la justice – c’est-à-dire de la justice pour tous les intéressés – et ce, dans des circonstances où, par exemple, il est probable que la communication à l’autre partie ou aux autres parties au litige des informations contenues dans la requête, ou le simple fait que la requête est déposée, nuirait injustement à la partie requérante ou à toute personne impliquée dans la requête ou concernée par celle-ci14. La partie soumettant une requête ex parte est tenue de préciser de façon assez rigoureuse pourquoi la divulgation à la partie adverse de l’existence de la requête ou de son contenu causerait un préjudice excessif15. En l’espèce, l’Accusation n’a pas précisé sur quel élément elle se fonde lorsqu’elle prétend avoir le droit de déposer sa requête auprès de la Chambre d’appel à titre totalement ex parte, même si (comme il a déjà été indiqué) l’Accusation a informé Kordic du dépôt de la requête.
5. Les requêtes déposées par l’Accusation en vertu de l’article 66 C) du Règlement - aux fins d’être dispensée de son obligation de communiquer des pièces, lorsque la communication « pourrait nuire à de nouvelles enquêtes ou à des enquêtes en cours, ou pourrait, pour toute autre raison, être contraire à l’intérêt public ou porter atteinte à la sécurité d’un État » - peuvent ne pas être déposées totalement à titre ex parte16. Seulement un mois avant que l’Accusation dépose son Écriture ex parte en l’espèce, la Chambre d’appel lui avait enjoint de déposer une version expurgée d’une requête de ce type 17. Nous ne voyons aucune différence entre cette situation et la situation de l’espèce et, par conséquent, la même ordonnance sera rendue en l’espèce.
6. À ce stade, il convient de soulever un autre problème : il n’est pas clairement établi si les pièces présentées actuellement à la Chambre d’appel à l’Annexe A de l’Écriture ex parte de l’Accusation sont les mêmes que celles figurant dans la version de l’audition finalement fournie à Kordic. Si l’on compare ce document et la pièce à conviction n° 2 de la Requête déposée par Kordic, il apparaît que les passages censés avoir été supprimés dans ce document ne sont pas toujours les passages dont la suppression a été maintenue dans les pièces finalement communiquées à Kordic. Il faut que l’Accusation présente cette version finale.
7. En conséquence, Nous ordonnons à l’Accusation :
1) de déposer une nouvelle version expurgée et accessible à la Défense de son Écriture ex parte, annexes non comprises, dans un délai de cinq jours à compter de la date de la présente Ordonnance, et
2) de fournir à la Chambre d’appel une copie de la version finale de l’audition communiquée à Kordic, tel que décrite aux paragraphes 8, 16 et 20 de la Réponse de l’Accusation, avec (à titre ex parte) une version non expurgée de ce document dans laquelle sont signalés les passages dont la suppression a été maintenue.
La Chambre rappelle à la Défense qu’en conformité avec le paragraphe 10 de la Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal international18, elle dispose d’un délai de dix jours après le dépôt de la version expurgée de l’Écriture ex parte de l’Accusation pour déposer sa réponse aux allégations faites par cette dernière à l’appui des suppressions qui ont été maintenues.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le 31 mars 2003
La Haye (Pays-Bas)
Le Juge de la mise en état en appel
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David Hunt
[Sceau du Tribunal]