LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Mohamed Bennouna
M. le Juge Patrick Lipton Robinson
Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Ordonnance rendue le :
17 décembre 1999
LE PROCUREUR
C/
DARIO KORDIC
MARIO CERKEZ
CONFIDENTIEL
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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DE LACCUSÉ
MARIO CERKEZ AUX FINS DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE
EN APPLICATION DE LARTICLE 65 DU RÈGLEMENT
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Le Bureau du Procureur :
M. Geoffrey Nice
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres
M. Kenneth Scott
Les Conseils de la Défense :
M. Mitko Naumovski, M. Turner Smith, Jr., M. Ksenija Turkovic,
M. Robert A. Stein, M. Stephen M. Sayers, M. David F. Geneson et
M. Leo Andreis, pour Dario Kordic
M. Bozidar Kovacic et M. Goran Mikulicic, pour Mario Cerkez
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU la « Requête du défendeur Mario Cerkez aux fins de mise en liberté provisoire en application de l'article 65 du Règlement » (la « Requête »), déposée le 7 décembre 1999, sollicitant une mise en liberté provisoire selon certaines modalités qui y sont énoncées,
VU les « Grandes lignes des arguments du Procureur en réponse aux requêtes aux fins de mise en liberté provisoire en application de l'article 65 du Règlement, déposées respectivement les 6 et 7 décembre 1999 », déposées le 9 décembre 1999 par le Bureau du Procureur (« lAccusation »),
OUÏ les arguments des parties le 9 décembre 1999,
VU les arguments mis en avant par laccusé Mario Cerkez (« laccusé »), aux termes desquels, entre autres,
La récente modification de larticle 65 B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »), qui supprime lexigence que laccusé établisse la preuve de lexistence de circonstances exceptionnelles avant que la Chambre de première instance puisse ordonner une mise en liberté provisoire, traduit la reconnaissance par ledit Tribunal que la mise en liberté devrait être la norme et la détention lexception ;
Laccusé sest livré au Tribunal international de son plein gré, il sest montré coopératif et na jamais posé de problèmes disciplinaires ou autres lors de détention au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye ;
Il est à présent en détention provisoire depuis 26 mois et son procès ne sachèvera probablement pas avant lété 2000 ;
Il est en droit dêtre libéré jusquà ce que sa culpabilité soit établie au-delà de tout doute raisonnable ;
Son élargissement ne mettra personne en danger et il peut fournir des garanties au Tribunal quant à sa représentation ;
Il sollicitera de la République de Croatie (la « Croatie ») une garantie incluant les modalités suivantes : il sera soumis à une surveillance policière permanente, 24h sur 24, rendra son passeport à la police croate de Split et restera dans les limites de la municipalité de Split. Il sengage à ne pas se rendre en Bosnie-Herzégovine à moins que la Chambre de première instance ne ly autorise explicitement ;
Il sengage personnellement à navoir aucun contact quel quil soit et à ne pas intervenir auprès de toute personne ayant témoigné ou susceptible dêtre entendue au cours de son procès, à navoir de contact quavec ses parents ou ses amis proches et à ne pas sentretenir de laffaire avec personne ;
Il consent à ce que son procès se poursuive en son absence et accepte dêtre arrêté immédiatement sil essayait de séchapper de son lieu de résidence ou sil devait de toute autre manière ne pas respecter les conditions de sa liberté provisoire ;
La Chambre de première instance la récemment mis en liberté provisoire pour lui permettre de rendre visite à son père à lhôpital de Split. À cette occasion, laccusé a parfaitement respecté les modalités et les conditions de son élargissement ;
La Chambre de première instance doit ordonner sa mise en liberté provisoire en attendant le dénouement de son procès,
VU les arguments mis en avant par lAccusation aux termes desquels, entre autres,
La récente modification de larticle 65 B) du Règlement, par laquelle a été supprimée lexigence des « circonstances exceptionnelles », na pas dincidence sur le reste des conditions posées par ladite disposition, à savoir quavant de faire droit à une demande de mise en liberté provisoire, la Chambre de première instance doit avoir la certitude que laccusé comparaîtra et que, sil est libéré, il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne. Ces conditions devraient être interprétées de façon restrictive compte tenu des circonstances uniques dans le cadre desquelles le Tribunal international opère (notamment la gravité des infractions qui relèvent de sa compétence et le fait quil ne dispose pas de véritables autorités dexécution) ;
Dans une précédente requête conjointe aux fins de mise en liberté provisoire, laccusé na pas offert de garanties suffisantes quil comparaîtra et ninterviendra pas auprès des victimes ou des témoins, et il na présenté aucun argument nouveau aux fins de satisfaire à ces conditions ;
Laccusé ne sest pas livré de son plein gré, mais en réponse à une pression internationale exercée sur lÉtat de Croatie. En effet, pendant plus de deux ans après la confirmation et lannonce publique de lActe daccusation initial dressé à son encontre, il vivait librement dans ce pays ;
Dans la mesure où la présentation de la cause de lAccusation en lespèce est presque arrivée à son terme, laccusé est pleinement conscient de la nature et de lampleur des charges retenues contre lui. La gravité des allégations et la sévérité des peines encourues en cas de verdict de culpabilité pourraient fort bien linciter à ne pas se représenter aux fins de répondre aux charges qui pèsent sur lui ;
Le fait que laccusé ait reçu des informations complètes et détaillées sur les témoins qui ont déposé ainsi que sur ceux qui ne lont pas encore fait augmente le risque dune intervention potentielle auprès desdits témoins et la mise en liberté provisoire de laccusé pourrait dissuader dautres témoins de comparaître ;
Si laccusé était provisoirement mis en liberté en Croatie, il ny aurait aucune garantie suffisante quil se représenterait au Tribunal international, ni aucune preuve que ladministration croate satisferait aux conditions quil propose, dans la mesure où la présente espèce a un rapport avec des autorités croates de haut rang qui peuvent avoir intérêt à empêcher la poursuite du déroulement du procès ou à intervenir auprès des victimes et des témoins ;
Dans la mesure où laccusé na satisfait à aucune des conditions posées par larticle 65 B) du Règlement pour justifier la mise en liberté provisoire, la Requête devrait être rejetée,
APRÈS AVOIR examiné tous les arguments des parties,
VU la récente modification de larticle 65 paragraphe B) du Règlement, supprimant lexigence de la preuve de lexistence des circonstances exceptionnelles avant quune mise en liberté provisoire puisse être ordonnée,
VU la décision antérieure de la présente Chambre de première instance autorisant lélargissement temporaire de Mario Cerkez pour une période de quatre jours, afin quil puisse rendre visite à son père à lhôpital à Split, en Croatie,
ATTENDU que les circonstances dans lesquelles la décision antérieure a été rendue sont radicalement différentes de celles dans lesquelles a été introduite la présente requête, à savoir qualors que la mise en liberté a été autorisée pour une période limitée de quatre jours, pour permettre à laccusé de rendre visite à son père à lhôpital, laccusé sollicite à présent un élargissement pour une période beaucoup plus longue,
ATTENDU que sil est vrai que larticle 65 B) du Règlement, tel que modifié, nexige plus de laccusé détablir la preuve de lexistence des circonstances exceptionnelles avant quune mise en liberté provisoire puisse être ordonnée, cette modification na aucune incidence sur le reste des conditions posées par ladite disposition, à savoir quune Chambre de première instance ne peut ordonner la mise en liberté provisoire « que ?pour autant quelle aitg la certitude que laccusé comparaîtra et, sil est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne »,
ATTENDU, par conséquent, que ladite modification na pas pour effet détablir la mise en liberté comme étant la norme et la détention comme étant lexception, et que la décision ordonnant la mise en liberté provisoire doit être prise à la lumière des circonstances particulières de chaque espèce et seulement si la Chambre de première instance a la certitude que « laccusé comparaîtra et, sil est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne »,
ATTENDU que la requête aux fins de mise en liberté provisoire a été introduite au cours du procès, la cause de lAccusation nétant pas encore arrivée à son terme, et quen règle générale, il ne serait pas judicieux dordonner une mise en liberté provisoire alors que le procès est en cours parce quun tel élargissement pourrait, entre autres, perturber le reste de la procédure,
ATTENDU que laccusé est poursuivi pour les infractions les plus graves reconnues par le droit international humanitaire,
ATTENDU que, sil est vrai que laccusé sest représenté au procès après son élargissement temporaire et que rien ne semble indiquer quil a mis en danger une victime, un témoin ou toute autre personne, la Chambre de première instance nest pas suffisamment convaincue, au vu de la requête, quau cours dune période plus longue de mise en liberté, il continuera à comparaître au procès et ne mettra pas de telles personnes en danger. Il est évident que plus la période délargissement est longue, plus il est difficile de garantir que les modalités et les conditions de cette mise en liberté seront scrupuleusement respectées,
REJETTE LA REQUÊTE.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
signé
Richard May
Fait le dix-sept décembre 1999
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]