Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 23 juin 2004

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 20.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, veuillez citer

6 l'affaire, s'il vous plaît.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agit de l'affaire IT-00-39-T,

8 l'Accusation contre Momcilo Krajisnik.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière.

10 Bon après-midi à tous. Monsieur Tieger, j'ai demandé à ce que le témoin

11 n'entre pas tout de suite. Pour l'instant, vous avez consacré 1 heures 45 à

12 votre interrogatoire principal, je pense que nous aurons 4 heures

13 aujourd'hui, ce qui correspond à 5 heures et 45 minutes. Nous avions prévu

14 6 heures pour ce témoin. Avez-vous l'intention de terminer votre

15 interrogatoire principal aujourd'hui ou non ?

16 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, il y a deux questions

17 que je souhaite évoquer. La première, j'avais cru comprendre que

18 l'estimation de temps était de 8 heures pour ce

19 témoin ?

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si c'est le cas, je vais le vérifier.

21 M. STEWART : [interprétation] Nous aussi nous avions compris 8 heures.

22 C'est ce que nous avions sur le calendrier. Nous sommes d'accord avec M.

23 Tieger sur ce point.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il m'avait semblé que c'était 6 heures,

25 mais si je me trompe, à ce moment-là, je retire ma question. Si je retrouve

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1 mes 6 heures quelque part, à ce moment-là, j'attirerai votre attention, là-

2 dessus.

3 Le calendrier précise que l'estimation de temps prévu ici est de 6 heures.

4 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je ne peux que répéter

5 ce que j'ai dit auparavant. Nous avons préparé ceci ainsi que la Défense

6 sur la base de ce temps-là. Vous savez, également, que nos interrogatoires

7 principaux ont été réduits beaucoup en terme de temps. Je crois qu'il est

8 important de le souligner, il m'avait semblé que nous avions 8 heures.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ecoutez, j'ai, à partir du 22 juin,

10 c'est la date que j'ai inscrite ici, et je vois que c'est le nombre

11 d'heures qui est affiché, mais peut-être que, comme nous sommes le

12 lendemain du 22, nous sommes le 23.

13 M. STEWART : [interprétation] Nous avons un autre document, mais nous

14 n'avons jamais, nous-même, vu le document, Monsieur le Président, que vous

15 avez sous les yeux avec une date ultérieure apposée dans ce document.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez huit heures en date du 22

17 juin, et nous, en date du 23, nous en avons six ?

18 M. STEWART : [interprétation] Le dernier document que nous avons date du 17

19 mai 2004, ordonnance portant sur l'affaire Krajisnik, séance de récolement

20 le 29 mai et de mai à juillet. Monsieur le Président, lorsque j'ai évoqué

21 cette question à M. Tieger, il y a un ou deux jours, il a confirmé cela.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] A la lumière des éléments mis à jour que

23 j'ai, il m'a semblé important de soulever ce point. Il me semble que, pour

24 une raison ou pour autre, cette information n'est pas exacte et que vous

25 aviez d'autre chose à l'esprit. Nous allons, pour l'instant, poursuivre et

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1 peut-être que la prochaine fois, s'il y a des éléments nouveaux qui nous

2 sont rapportés, je vous prie d'en informer la Défense de façon à ce qu'ils

3 puissent soulever ce point et préciser qu'il s'agit d'un nombre d'heures

4 différent et informer la Chambre qu'il s'agit là d'une erreur.

5 Nous allons, maintenant, demander au témoin d'entrer dans le prétoire, s'il

6 vous plaît.

7 Je pose ces questions car je cherche à rattraper le temps perdu. Nous avons

8 perdu une journée, hier, à cause de l'extinction de voix de M. Harmon. Je

9 me demande si nous ne pouvions pas terminer vendredi, et pas plus tard que

10 vendredi. Cela devrait être possible même si on s'en tient aux huit heures

11 prévues. Je souhaite traiter de quelques questions de procédure, et c'est

12 ce que j'avais à l'esprit. Si ces six heures correspondaient à la réalité,

13 il y aurait ensuite six heures pour le contre-interrogatoire si on s'en

14 tient à cette règle de 60 % qui est la règle, en général, appliquée par la

15 Chambre de première instance. Si cela n'est pas possible, étant donné que

16 nous n'aurons pas d'audience avant 15 jours, il serait préférable de

17 traiter ces questions de procédure avant vendredi, sinon, nous serions

18 obligé de siéger lundi matin, car la Chambre de première instance accepte

19 de démarrer avec le nouveau calendrier qui a été présenté. Il serait

20 dommage d'être obligé de revenir lundi pour aborder ces questions de

21 procédure.

22 M. STEWART : [interprétation] Ecoutez, je n'ai pas l'impression que ce soit

23 un problème très important si on a évoqué huit heures. Je crois que M.

24 Tieger n'a pas l'intention de dépasser ces huit heures, c'est son

25 sentiment. A ce moment-là, nous commencerions le contre-interrogatoire au

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1 milieu de matinée demain. Monsieur le Président, pour l'instant, à moins

2 qu'il y ait quelque chose d'inattendu, comme c'est souvent le cas, mais à

3 moins qu'il y ait quelque chose d'inattendu, à mon sens, on devrait pouvoir

4 terminer, avoir encore du temps supplémentaire pour aborder ces questions

5 de procédure à la fin de cette semaine. Peut-être que je devrais,

6 simplement, me rasseoir pour que l'on puisse avancer dans ce sens.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que nous allons tous dans la

8 même voie. Je crois qu'il s'agit d'une erreur typographique que je lis six

9 au lieu d'huit.

10 M. STEWART : [interprétation] Pendant qu'on va chercher le témoin, nous ne

11 comprenons pas très bien ce qui se passe, si le calendrier que vous venez

12 d'évoquer, Monsieur le Président, vous parvient sans, pour autant, tomber

13 entre les mains de M. Tieger, qui est la personne qui interroge le témoin

14 et moi-même, il me semble que, quelque part, il y a un petit souci au

15 niveau du service administratif. C'est important de recevoir un calendrier

16 qui est mis à jour.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ecoutez, en principe, c'est l'Accusation

18 qui doit recevoir ce document et l'Accusation est ensuite censée le

19 remettre à la Défense. Bien sûr, si la Défense estime qu'il y a un problème

20 à cet égard, avec la communication des pièces ou à propos des traductions,

21 ils peuvent, à ce moment-là, le signaler et préciser ce qui doit être

22 présenté devant la Chambre de première instance. La question porte surtout

23 sur la bonne préparation aux audiences. Je suis d'accord avec vous que si

24 la seule partie qui reçoit ces éléments, c'est la Chambre, c'est un peu

25 curieux. Mais je vois que le témoin attend. Nous allons le faire entrer.

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1 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Okun. Je crois que

3 cela va sans dire que, mais, néanmoins, je vais, tout de même, remplir mon

4 obligation et vous rappeler que vous êtes toujours tenu par la déclaration

5 solennelle que vous avez donnée hier au début de votre témoignage.

6 Monsieur Tieger, je vous en prie, poursuivez.

7 M. TIEGER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Merci,

8 Monsieur le Président.

9 LE TÉMOIN : HERBERT OKUN [Reprise]

10 [Le témoin répond par l'interprète]

11 Interrogatoire principal par M. Tieger : [Suite]

12 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur l'Ambassadeur.

13 R. Bonjour, Monsieur.

14 Q. Je souhaite répondre aux questions que nous avons abordées hier. Il

15 s'agit de la question du nombre de Musulmans qui vivaient sur certains

16 territoires et qui étaient détenus par des Serbes de Bosnie. Vous avez

17 parlé de leur expulsion de ce territoire et du nettoyage ethnique des

18 Musulmans par les forces serbes de Bosnie. En premier lieu, je souhaite

19 vous poser des questions sur vos sources, vous ainsi que le secrétaire

20 Vance, quelles étaient vos sources, eu égard au nettoyage ethnique des

21 Musulmans des territoires serbes de Bosnie par les forces serbes de Bosnie

22 ?

23 R. La première indication qui était officielle et sous forme écrite nous

24 venait du plébiscite organisé par l'assemblée serbe de Bosnie en novembre

25 1991. Il s'agissait d'un plébiscite lancé par le peuple serbe de Bosnie,

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1 car il fallait décider ou opter pour le maintien de l'entité serbe de

2 Bosnie au sein de l'Yougoslavie. On aurait pu croire, à ce moment-là, qu'il

3 y aurait simplement un plébiscite. Il y avait un million et quart

4 d'habitants serbes de Bosnie en Bosnie-Herzégovine, mais les choses ne se

5 sont pas passées ainsi. Ce plébiscite a été organisé au niveau de chaque

6 opstina. Un élément très important était la décision écrite et les règles

7 de ce plébiscite dans chaque opstina où il y avait plus de 50 % des Serbes

8 votaient en faveur de la Republika Srpska, quelle que soit la taille de la

9 municipalité en question, quel que soit leur pourcentage représentatif dans

10 cette municipalité, cette municipalité était, automatiquement, intégrée à

11 la Republika Srpska.

12 Par exemple, si vous aviez un opstina qui avait 10 000 électeurs, 5 000

13 Musulmans de Bosnie, 3 000 Serbes de Bosnie et 2 000 Croates de Bosnie,

14 donc 10 000 en tout. Ces 3 000 Serbes de Bosnie ont voté. Si 2 000 d'entre

15 eux votaient en faveur du maintien de la Republika Srpska dans la

16 Fédération yougoslave, cet opstina était, automatiquement, déclarée entité

17 intégrée à la Republika Srpska, quel que soit le point de vue ou le vote

18 des 7 000 autres électeurs. Cela était le premier indice parce qu'on ne

19 savait pas ce qui allait advenir de ces 7 000 personnes restantes. Ces

20 personnes-là disparaissaient comme par magie.

21 Ensuite, nous avons remarqué et vu la demande d'assistance de la part de la

22 JNA en novembre 1991 "pour protéger" les peuples serbes de Bosnie à ces

23 mêmes endroits dans l'endroit où le plébiscite avait eu lieu, autrement

24 dit, on jouait le même jeu. Il s'agissait du mois de décembre 1991. Il

25 s'agissait là de documents tout à fait officiels.

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1 Au mois de janvier, on a vu la proclamation de la Republika Srpska. Le 9

2 janvier, comme tout un chacun sait. Au mois de février, lorsque la

3 constitution de la Republika Srpska a été établie, en février 1992, cette

4 constitution précisait que les régions qui devaient inclure les entités,

5 comme prolongement du territoire, comme ceci nous avait toujours été

6 signalé par le Dr Karadzic et le Dr Krajisnik et les autres, que ces

7 régions incluraient toutes ces régions où les plébiscites avaient eu lieu

8 quelque soit le nombre, quelque soit les électeurs qui auraient préféré

9 rester au sein de l'Yougoslavie -- ceci, je l'ai évoqué hier -- et de plus,

10 les régions où les Serbes étaient en minorité à cause du génocide de la

11 Deuxième guerre mondiale. Tout ceci, par conséquent, était inscrit noir sur

12 blanc et connu de tous.

13 La question qui se pose, évidemment, qu'allait-il advenir des autres

14 peuples, les Croates de Bosnie et les Musulmans de Bosnie ? Car dans de bon

15 nombre de ces opstina, celles qui se trouvaient le long de la Drina, par

16 exemple, les Musulmans de Bosnie étaient en majorité. Ce qui était appelé

17 ces cellules de Crise jouaient le même jeu, un jeu tout à fait

18 épouvantable, le même jeu qu'ils ont joué en Croatie. C'était quelque chose

19 que tout à chacun savait. Les journalistes étaient au courant. Nous avions

20 vu cela lorsque nous voyagions, pas de façon très récurrente, il est vrai,

21 mais lorsque nous nous déplacions dans ces régions, on pouvait voir

22 d'autres peuples que l'on chassait par la force. Ce n'était un secret de

23 polichinelle. Je crois que tout l'ensemble du monde, enfin le monde entier,

24 avait vu cela par le biais de la télévision.

25 Pardonnez-moi si j'ai dû vous répondre de façon aussi longue, mais je crois

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1 qu'il est important de savoir que ceci avait déjà été préétabli, et il ne

2 s'agissait pas, là, d'une opération spontanée.

3 Q. Les organisations responsables du contrôle des événements et qui

4 étaient censées surveiller ce qui se passait, avez-vous reçu des éléments

5 d'information de telles organisations sur ce qui se passait sur le terrain

6 ?

7 R. Oui. En premier lieu, nous avons reçu des informations assez détaillées

8 de la part de la mission des observateurs de la Communauté européenne ainsi

9 que des troupes de la FORPRONU.

10 Q. Après l'éclatement du conflit et après que le conflit se soit

11 intensifié au mois d'avril, au mois de mai et au mois de juin, avez-vous

12 reçu des renseignements de certaines organisations comme la CICR ou le HCR

13 des Nations Unies ou d'autres organisations qui avaient des représentants

14 sur place, et qui observaient les évènements ?

15 R. Oui, tout à fait. Car, au mois de juin, les camps avaient déjà été

16 créés. Les centres de détention à très grande échelle avaient été mis en

17 place. A l'ouest de Banja Luka, près de Prijedor, à Trnopolje, il y avait

18 de très grands camps. Le camp d'Omarska, par exemple, qui était bien pire.

19 Il s'agissait là d'un vrai camp de concentration. Tous ces camps avaient

20 déjà été créés. Il y avait des milliers et des milliers de Musulmans de

21 Bosnie, même des Croates de Bosnie, des civils, des hommes, des femmes et

22 des enfants qui étaient détenus dans ces centres. Par la suite, il y a eu

23 un processus ou des pourparlers difficiles et douloureux entre les

24 organisations humanitaires et les dirigeants serbes de Bosnie. Il

25 s'agissait de savoir ce qu'il fallait faire de ces gens–là. C'était un

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1 dilemme moral très difficile. Vous verrez cela dans mon journal. Nous avons

2 eu des pourparlers avec Mme Ogata qui était, à ce moment-là, le chef du HCR

3 des Nations Unies. Il y avait également les représentants officiels du

4 CICR, car d'un côté, ils souhaitaient sauver la vie de ces personnes, mais

5 d'un autre côté, si on devait les déplacer de l'endroit où ils étaient, à

6 savoir, les camps, et s'il fallait les emmener en Croatie, qui était

7 l'endroit où la plupart se dirigeaient, ils ne rentraient pas chez eux si

8 on devait les évacuer vers la Croatie, et comme ils disaient, à ce moment-

9 là, cela signifiait une collaboration avec le nettoyage ethnique. Ce qui

10 provoquait un dilemme extrêmement difficile à régler au plan moral et pour

11 ces organisations humanitaires. Pour finir, ils ont emmené ces civils

12 musulmans de Bosnie, ces civils croates de Bosnie, ils les ont emmené en

13 Croatie sous leur protection.

14 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite connaître d'autres de vos sources.

15 Est-ce que vous-même et le secrétaire Vance, qui avez participé aux

16 négociations, avez-vous également reçu des renseignements de la part de

17 Thadeusz Mazowiecki ?

18 R. Oui, mais ceci corroborait ce que d'autres disaient, il était très

19 préoccupé par l'évolution des évènements, car en qualité de rapporteur, sur

20 la question des droits de l'homme, il était très inquiet.

21 Q. Les informations que vous aviez reçues de ces différentes sources,

22 concordaient-elles ?

23 R. Oui, tous ces renseignements concordaient, je dois dire.

24 Q. Est-ce que vous-même et le secrétaire Vance, vous avez eu l'occasion de

25 dire aux dirigeants serbes de Bosnie, y compris M. Krajisnik, que vous

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1 étiez au courant de ce nettoyage ethnique à grande échelle ?

2 R. Oui, et de façon répétée.

3 Q. Comment vous ont-ils répondu, Monsieur l'Ambassadeur ? Tentaient-ils de

4 nier l'existence d'un tel nettoyage ethnique ?

5 R. Non, ils n'ont pas nié cela. La réponse qui revenait sans cesse était

6 de mettre le doigt sur le génocide qui avait été commis contre les Serbes

7 pendant la Deuxième guerre mondiale et à d'autres moments de l'histoire, et

8 de mettre le doigt sur les crimes qui avaient été commis, ou qui étaient

9 commis, en ce moment, en 1992, 1993 ou 1991, surtout en 1992 et 1993 par

10 exemple. Si nous soulevions la question du bombardement de Sarajevo, les

11 Serbes de Bosnie et leurs dirigeants répondaient en général en disant,

12 "Bien, nous ne faisons cela que pour protéger notre peuple. Sarajevo est le

13 plus grand camp de concentration de toute la Bosnie-Herzégovine. Soixante

14 milles Serbes sont pris en otage par les Musulmans." Il n'y avait aucun

15 élément à l'appui pour cela, mais c'était la réponse communément donnée par

16 les Serbes de Bosnie, et vraiment tout tu quoque.

17 Q. Monsieur l'Ambassadeur, simplement pour clarifier certains éléments

18 pour que ce soit consigné au niveau du compte rendu d'audience, vous avez

19 précisé que la réponse qui revenait sans cesse était de dire qu'un génocide

20 avait été commis contre les Serbes pendant la Deuxième guerre mondiale et

21 un peu plus tôt. Je crois que ceci, si on regarde la phrase, elle n'est pas

22 complète. Les crimes qui ont été commis contre les Serbes, c'étaient des

23 crimes qui avaient été commis contre les Serbes par des Musulmans et des

24 Croates ?

25 R. Oui.

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1 Q. La manière dont vous interprétez cette réponse, en effet, était de

2 reconnaître que les Serbes de Bosnie étaient en train de commettre des

3 crimes, mais qu'il fallait indiquer aux négociateurs que les autres

4 faisaient la même chose ?

5 R. Oui.

6 Q. Est-ce que les dirigeants de Bosnie au cours des négociations ont

7 changé de position par rapport au changement des conditions démographiques

8 qui avaient été suite au nettoyage ethnique ?

9 R. Oui, certainement. Du reste, l'ensemble de leurs revendications, par

10 exemple, tout au long du fleuve de la Drina, était de laisser la rive

11 gauche de la Drina, cela se fondait sur le nettoyage ethnique. Ils le

12 savaient, nous le savions.

13 Q. Est-ce que les dirigeants des Serbes de Bosnie, y compris M. Krajisnik,

14 vous ont signalé à vous-même ainsi qu'au secrétaire Vance, qu'au cours de

15 négociations que l'utilisation de la force cesserait dès que les Serbes de

16 Bosnie obtiendraient ce qu'ils voulaient ?

17 R. Oui.

18 Q. Est-ce qu'il indiquait par là, à vous-même et au secrétaire Vance,

19 qu'ils avaient le contrôle de toutes les unités, qu'ils étaient engagés

20 dans ces nettoyages ethniques, qu'ils géraient les camps, et cetera ?

21 R. Effectivement. Le Dr Karadzic a dit très clairement, et je l'ai cité

22 quelque part dans mon journal, il contrôlait, et c'est ce qu'il disait :

23 Les dirigeants serbes de Bosnie et moi-même, nous contrôlons les autorités

24 civiles et les autorités militaires. Il poursuivit en disant : "Vous

25 connaissez les soldats. Ils n'aiment pas être contrôlés par des civils,

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1 mais nous les contrôlons." Il a été très clair sur ce point.

2 Egalement, dans d'autres cas, simplement pour vous donner un exemple,

3 lorsque la question s'est posée, il fallait, au-dessus de la Bosnie, créer

4 une zone d'interdiction de vol, comme cela a été le cas au-dessus de

5 l'Irak. Lors d'une réunion entre le Dr Karadzic, Lord Owen et moi-même,

6 nous n'étions que tous les trois dans la pièce, et encore une fois, nous

7 insistions sur le fait que les Serbes de Bosnie cessent leurs activités, et

8 le Dr Karadzic a proposé de faire passer les avions, les avions de guerre

9 de la VRS qui étaient basés à l'aéroport de Banja Luka, il a proposé de les

10 envoyer à Belgrade. Nous avons jugé que ceci était peut-être une solution

11 acceptable. En autre présence, il a sorti son téléphone portable, il a

12 appelé le commandant militaire de la piste de Banja Luka, de l'aéroport de

13 Banja Luka, et il leur a dit de faire partir les avions - en tout cas, ils

14 ont évoqué cette possibilité, que les avions pouvaient être déplacés - ceci

15 s'est passé le soir, ce qui indiquait qu'il n'y avait pas de problème de

16 communication, les communications étaient faciles et rapides, le fait que

17 tout ceci se passait de façon ouverte entre les dirigeants serbes de Bosnie

18 et un colonel de l'armée de l'air de la VRS à Banja Luka, à l'aéroport.

19 Q. Merci, Monsieur l'Ambassadeur.

20 Hier, vous avez parlé du plan Cutileiro qui était en vigueur à partir du

21 mois de février 1992. Vous avez également parlé de la déclaration en date

22 du 12 mai 1992 concernant les objectifs stratégiques. Je souhaiterais vous

23 montrer rapidement ces documents. Ensuite, j'aurais une question à vous

24 poser au sujet de ces deux documents.

25 M. TIEGER : [interprétation] Je demanderais à ce qu'on présent à M.

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1 l'Ambassadeur ces deux documents, à savoir, le plan Cutileiro et la carte

2 qui figure en annexe ainsi que les objectifs stratégiques.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger, lorsque nous parlons du

4 plan Cutileiro, nous devons être attentif pour voir si nous avons la

5 version de Lisbonne ou la version de Sarajevo. Laquelle de ces deux

6 versions avez-vous ?

7 M. TIEGER : [interprétation] La version de Lisbonne.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lisbonne, oui.

9 M. TIEGER : [interprétation] Merci d'avoir précisé ce point.

10 Q. Monsieur l'Ambassadeur, avant de vous poser une question précise à ce

11 sujet, je souhaiterais vous poser une question au sujet du document en date

12 du 12 mai concernant les objectifs stratégiques. Les numéros sont les

13 mêmes, mais n'est-il pas vrai que ce document ne doit pas être confondu

14 avec celui concernant les six objectifs politiques en temps de guerre que

15 vous avez décrit hier ?

16 R. C'est exact. Ces documents ne sont pas identiques. Les six principes en

17 date du 12 mai, ces objectifs stratégiques, concernent presque

18 exclusivement des territoires.

19 Q. Oui.

20 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je viens de constater

21 que le plan Cutileiro qui était présenté au témoin et aux Juges est daté du

22 18 mars 1992 et a été rédigé à Sarajevo.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, j'ai remarqué cela. Nous devons

24 également vérifier si c'est le cas pour la carte en annexe. Mais veuillez

25 poursuivre, je vous prie.

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1 M. TIEGER : [interprétation] Merci.

2 Q. Monsieur l'Ambassadeur, il a été suggéré en l'espèce qu'il existe un

3 lien étroit entre le plan Cutileiro et les objectifs stratégiques. Je

4 souhaiterais savoir si vous partagez cette opinion ou si vous voyez des

5 différences significatives entre les deux ?

6 R. Il n'existe pas de lien étroit, mais il existe un certain lien entre ce

7 document, les trois peuples constitutifs, les Musulmans de Bosnie, les

8 Croates de Bosnie, les Serbes de Bosnie devraient, par là, recevoir un

9 statut juridique. Mais vous pouvez voir à la lumière de ces cartes que la

10 continuité territoriale n'est pas envisagée pour la Republika Srpska. Les

11 régions qui figurent sur cette carte sont marquées en blanc, ces régions

12 marquées en blanc sont les régions serbes, et elles sont séparées, par

13 exemple, le long de la Posavina. On peut voir également sur cette carte que

14 la plupart des régions de la Drina correspondent aux informations qui

15 ressortent de recensement, et toutes les régions rayées, hachurées, sont

16 des municipalités musulmanes, de Bijeljina à Nevesinje, ce qui correspond à

17 la réalité au plan ethnique. Voilà la population de Bosnie en 1991.

18 Ceci ne correspond pas aux objectifs stratégiques. Il y a d'autres

19 distinctions à constater également. La frontière serbe de Bosnie ne va pas

20 jusqu'à la Neretva. Il y a quelques points similaires, mais la carte qui a

21 été élaborée dans le cadre du plan Cutileiro est différente de l'autre

22 carte.

23 Q. Est-ce que le plan Cutileiro prévoyait la création d'un corridor

24 reliant la Serbie à la Krajina comme c'est le cas pour les objectifs

25 stratégiques ?

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1 R. Non, pas à ma connaissance. Mais il faut garder à l'esprit le fait que

2 le plan Cutileiro est mort dans l'œuf en quelque sorte. Il n'a jamais été

3 mené à bien. Cette carte que nous examinons ici, par exemple, a été

4 débattue, mais elle n'est restée qu'au stade de projet, et a finalement été

5 rejetée. Ce plan n'a jamais été finalisé. Si nous examinons la dernière

6 page, on peut voir Sarajevo, 18 mars, la dernière phrase se lit ainsi, et

7 je cite : "Ce document constitue la base de pourparlers ultérieurs."

8 Il était manifeste qu'il s'agissait d'un document de travail et non pas

9 d'un document officiel et finalisé. C'était un document sérieux, bien

10 entendu, mais ce n'est pas la même chose qu'un plan officiel.

11 Q. Est-ce que le plan Cutileiro prévoyait la division de Sarajevo entre

12 une partie musulmane et une partie serbe.

13 R. Je ne pense pas.

14 Q. Enfin, Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pouvez nous dire si le

15 plan Cutileiro était envisagé en tant que proposition qui serait ensuite

16 mise en œuvre par le biais d'un accord ?

17 R. Absolument. En fait, les trois parties se sont mises d'accord sur ce

18 projet de document en mars 1992. Le gouvernement bosniaque, à la fin du

19 mois de mars, a finalement retiré sa signature et son accord.

20 Q. Est-ce qu'il y a des différences très importantes entre les objectifs

21 stratégiques et le plan Cutileiro ?

22 R. Je ne comprends pas la question.

23 Q. Le fait que le plan Cutileiro envisageait la mise en œuvre du plan par

24 le biais d'un accord, est-ce que cet aspect du plan Cutileiro représente

25 une différence importante par rapport aux objectifs stratégiques ?

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1 R. Je dirais que oui, car en raison de la nature extrême des demandes

2 énoncées dans les objectifs stratégiques du 12 mai, compte tenu du fait

3 qu'il y avait des revendications territoriales concernant des régions

4 majoritairement non serbes -- par exemple, le long de la Drina -- ces

5 objectifs étaient fondés sur une revendication de droits unilatérale.

6 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaiterais à présent que nous examinions

7 certaines entrées de votre journal. Tout d'abord, je souhaiterais que nous

8 examinions l'entrée en date du 10 septembre.

9 R. De quelle année, je vous prie ?

10 Q. 1992.

11 R. Oui.

12 M. STEWART : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. La page

13 du journal officiel de la pièce à conviction suivante est P47. Si tout le

14 monde est d'accord sur cette cote, je pense qu'il serait utile de consigner

15 cela au compte rendu d'audience de façon à ce que tout le monde sache de

16 quoi on parle. Quant à l'autre document dont je ne me souviens pas de la

17 cote, ce document fait partie d'une pièce à conviction de la Défense, 5 ou

18 6.

19 Je pense qu'il s'agit de la pièce 5.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La carte porte une cote séparée, D7.

21 M. STEWART : [interprétation] D7. Merci, Monsieur le Président. Je pense

22 que c'est utile à l'avenir pour tout le monde, pour que tout cela soit bien

23 consigné dans le compte rendu d'audience.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D5 est la déclaration de principe, mais

25 nous avons une autre déclaration de principe portant la cote D6. La carte,

Page 4199

1 quant à elle, avant –- la première carte qui a été présentée, c'est une

2 carte plus générale. Elle n'était pas aussi détaillée que celle-ci. La

3 carte détaillée porte la cote D7.

4 M. STEWART : [interprétation] C'est bien ainsi que nous avons compris les

5 choses.

6 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, il semblerait que nous

7 ayons quelques problèmes avec le logiciel Sanction. Je pense que nous

8 allons placer un exemplaire de cette page du journal sur le

9 rétroprojecteur.

10 Je souhaiterais que nous placions la première page de l'entrée en question

11 sur le rétroprojecteur, R0163902.

12 Q. Il s'agit d'une réunion avec le Dr Karadzic et le colonel Zarkovic. On

13 peut voir une carte dessinée sur cette première page. Est-ce que vous

14 pourriez nous dire à quoi elle correspond ?

15 R. Vous voulez parler de la page qui se termine par les chiffres 902 de

16 mon journal ? Oui, en effet. Le Dr Karadzic -- et je vais citer mes propos

17 : A sorti une carte détaillée de Darwin. C'est la carte dont nous avons

18 parlé un peu plus tôt. Elle indiquait les régions contrôlées par les

19 Serbes. J'ai dessiné -- bien que je ne sois pas cartographe -- j'ai dessiné

20 à la main ses indications concernant les régions tenues par les Serbes, qui

21 correspondent aux régions situées de la Drina à Semberija. Il y a

22 Bijeljina, le corridor de la Posavina, la Bosnie occidentale, et la zone

23 blanche était celle contrôlée par les Musulmans et les Croates, la poche de

24 Bihac et la Bosnie centrale. Il nous a dit : "Nous contrôlons déjà ce

25 secteur." Il s'agissait d'une présentation directe des régions tenues à

Page 4200

1 l'époque par les forces serbes de Bosnie, le VRS et les forces

2 irrégulières.

3 Q. Je vous renvoie ensuite aux deux pages dont le numéro ERN est R0163904.

4 Il s'agit de la suite des notes de cette réunion. L'entrée en haut à gauche

5 de cette page indique "CRV – à propos des camps."

6 R. Oui. Le secrétaire Vance voulait lui poser des questions au sujet des

7 centres de détention, des camps de concentration qui se trouvaient,

8 notamment, dans la partie ouest de la Bosnie. Le Dr Karadzic a répondu

9 comme il le faisait souvent, Sarajevo est le plus grand de ces camps. 60

10 000 Serbes sont détenus prisonniers là-bas, et ainsi de suite. Il

11 s'agissait d'une réponse habituelle. Après le chiffre de 60 000, j'ai

12 inscrit trois points, ce qui signifiait que nous avions déjà entendu ces

13 arguments et qu'il était inutile de le répéter. Il s'agissait d'un argument

14 avancé fréquemment.

15 Ensuite, le secrétaire Vance indique que nous nous sommes entretenus avec

16 le CICR, à quoi le Dr Karadzic répond que Trnopolje, qui était l'un des

17 camps les plus infâmes et les plus importants, était un camp ouvert. Il

18 entendait par là que les gens étaient libres d'entrer et de sortir. Il

19 voulait parler des personnes déplacées d'origine musulmane et croate qui,

20 selon lui, étaient libres d'entrer et de sortir du camp, ce qui n'était pas

21 vrai.

22 Lord Owen a ensuite dit, nous devons mettre fin à cette situation. Il faut

23 fermer les camps. Karadzic, là encore, parle d'aider les Serbes détenus

24 dans des camps sous le contrôle des autres parties. C'était vrai, il y

25 avait des Serbes de Bosnie détenus par les autres parties. Cela ne faisait

Page 4201

1 aucun doute. Mais leur nombre était beaucoup moins important. Ceci

2 existait, en effet, mais le nombre de ces détenus était bien inférieur.

3 Q. A la page suivante de votre journal, il s'agit de la page portant le

4 même numéro ERN que celui cité précédemment. Vous dites au Dr Karadzic :

5 "Vous avez pilonné Sarajevo en premier." Pourquoi avez-vous fait cette

6 remarque, et quelle a été la réponse du Dr Karadzic ?

7 R. Le Dr Karadzic, comme vous pouvez en déduire de sa réponse précédente

8 au sujet des sanctions qui avaient été renforcés, en appelait à notre

9 sympathie. Il le faisait assez souvent et il jouait le rôle de la partie

10 innocente, de la partie blessée. Il savait -- nous savions qu'il n'était

11 pas innocent, que c'est ses gens qui avaient commencé cela. Donc, il s'est

12 plaint, il s'est lamenté là-dessus et il a indiqué que les Croates, à la

13 fois en Krajina et en Bosnie, réussissaient à obtenir des armes en dépit de

14 l'embargo sur les armes qui avait été déclenché suite à une résolution du

15 conseil de Sécurité en septembre 1991. Nous étions tous un peu fatigués

16 d'entendre cette même litanie, car nous avions l'impression de perdre notre

17 temps. Donc, nous savions quelle était la situation. Nous lui avons dit,

18 vous parlez des Croates qui obtiennent des armes, mais vous pilonnez

19 Sarajevo sans merci. Des milliers d'obus, chaque jour, tombent sur

20 Sarajevo. Cette réunion était tenue à Sarajevo. Vous pouvez noter que j'ai

21 indiqué sur le côté qu'il y avait "des tirs incessants." C'est ce que j'ai

22 indiqué.

23 Nous pouvions entendre les obus tomber pendant cette réunion qui s'est

24 tenue à Sarajevo. Ici, le Dr Karadzic se plaint que les autres parties

25 obtiennent des armes, alors que nous sommes à Sarajevo et que les Serbes de

Page 4202

1 Bosnie sont en train de pilonner la ville, et que nous étions là avec des

2 gilets pare-balles, et le Dr Karadzic ne faisait que de se plaindre. Je lui

3 ai dit, voyons, Monsieur Karadzic, nous savons qui a commencé à bombarder

4 Sarajevo. Il a répondu : "C'est eux qui ont commencé la guerre." Par "eux",

5 il entendait les Musulmans de Bosnie. "C'est eux qui ont commencé la guerre

6 en m'expulsant de mon appartement de Sarajevo. Ils ont commencé la guerre."

7 A ce moment-là, des milliers de personnes avaient déjà été tuées, des

8 centaines de milliers de personnes déplacées, et le Dr Karadzic pense qu'il

9 pouvait nous convaincre en disant que les Musulmans avaient commencé la

10 guerre en l'expulsant de son appartement.

11 Q. Est-ce que vous et les autres négociateurs avez pu obtenir une

12 estimation du nombre d'obus tirés sur Sarajevo par les forces serbes de

13 Bosnie ?

14 R. Oui. Les observateurs des Nations Unies étaient assez nombreux à l'été

15 1992. Ils ont décompté le nombre d'obus tombés au cours de cette période.

16 Dans mon bureau à Genève, j'avais un document affiché sur le mur sur lequel

17 était indiqué, dans l'ordre chronologique, jour après jour, le nombre

18 d'obus tirés par les Serbes de Bosnie et les tirs en riposte des Musulmans.

19 Q. Vous souvenez-vous de ces chiffres ?

20 R. Oui. Les Serbes de Bosnie tiraient entre 3 000 et 5 000 obus

21 quotidiennement. Le nombre d'obus tombant sur Sarajevo et dans leur région

22 était aussi bien entre 3 000 et 5 0000 par jour.

23 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je vous renvoie à l'entrée correspondant à la

24 date du 17 septembre. Cette page porte le numéro ERN R0163950.

25 R. Excusez-moi, de quelle date voulez-vous parler ?

Page 4203

1 Q. Le 17 septembre 1992.

2 R. Oui. Pourriez-vous m'indiquer le numéro de la page, s'il vous plaît ?

3 Q. Oui. Pourriez-vous, tout d'abord, examiner la page qui est la deuxième

4 page de l'entrée de votre journal et qui se trouve marquée par le numéro

5 ERN R0163950.

6 R. Oui, je vois cela.

7 Q. Au milieu de page, à gauche, on peut voir CRV, c'est à dire le

8 secrétaire Vance, a dit que tout le monde devait avoir le droit de rentrer,

9 qu'on ne pouvait pas apporter son soutien au nettoyage ethnique. Est-ce que

10 vous pouvez nous parler de cet échange et des propos tenus en réponse par

11 le Dr Karadzic ?

12 R. Oui. Le secrétaire Vance reconnaissait le fait que les Musulmans de

13 Bosnie et les Croates de Bosnie, qui avaient été expulsés par la force de

14 leur domicile, devaient être autorisés à rentrer chez eux. Il a dit, nous

15 ne pouvons pas apporter notre soutien au nettoyage ethnique.

16 Q. La réponse du Dr Karadzic figure en dessous ?

17 R. Oui, il n'a pas nié ce nettoyage ethnique, mais il a répondu : "Mais

18 vous ne devriez pas non plus apporter votre soutien à la prise d'otages

19 appartenant à certains groupes ethniques." Donc, il voulait dire par là que

20 des gens étaient détenus dans certains secteurs -- obligés de rester dans

21 certains secteurs contre leur volonté. Il voulait parler des Serbes,

22 notamment à Sarajevo, Tuzla et Zenica. Donc, il n'a pas nié qu'un nettoyage

23 ethnique était en cours, mais il a insisté sur le fait que les Serbes de

24 Bosnie devaient être autorisés à quitter les régions où ils étaient obligés

25 de rester, pour se rendre en Republika Srpska.

Page 4204

1 Q. On peut voir, dans le journal, DLO -- il s'agit de Lord Owen -- entre

2 dans la pièce et fait remarquer que le Dr Karadzic doit se rendre compte

3 que le siège de Sarajevo nuit grandement aux Serbes de Bosnie. Ce à quoi le

4 Dr Karadzic a dit : "Qu'il ne s'agissait pas d'un siège, mais de la

5 protection de nos banlieues." Vous souvenez-vous de cet échange ?

6 R. Oui. C'est ce qu'il a dit. Il a nié qu'il s'agissait d'un siège, alors

7 que, manifestement, cela en était un. Les forces serbes avaient encerclé

8 les villes, et la seule manière d'entrer ou de sortir de Sarajevo, à

9 l'époque, était de passer par les lignes serbes avec l'autorisation des

10 Serbes. Les Musulmans ont construit un tunnel près de l'aéroport, si bien

11 que les gens pouvaient réussir à entrer ou à sortir en empruntant ce

12 tunnel. Mais le fait est que la ville était assiégée. Elle était encerclée

13 de toutes parts par les forces serbes de Bosnie qui contrôlaient les

14 entrées et les sorties.

15 Q. Je souhaite attirer votre attention sur d'autres entrées. Il s'agit de

16 la page suivante de votre journal, mais qui est indiquée par le même numéro

17 ERM, vers le bas de page, il y a un commentaire du Dr Karadzic, concernant

18 le pourcentage de Serbes à Sarajevo, et il indique : "Je peux convaincre

19 les Serbes de rester si nous avons deux entités à Sarajevo. Cela prendra du

20 temps et provoquera des conflits importants."

21 R. Oui, c'est ce que répétait, incessamment, les dirigeants serbes de

22 Bosnie, qu'il fallait diviser Sarajevo en deux villes séparées, comme

23 Berlin Est et Berlin Ouest, comme cela avait été le cas pour Nicosia.

24 Q. A la page suivante RO163952, à l'entrée qui se trouve sur la page de

25 droite, au milieu de page, il y a une autre référence à des propos tenus

Page 4205

1 par le Dr Karadzic : "Les communautés ne peuvent pas vivre ensemble

2 aujourd'hui, il y a trop d'haine."

3 R. Oui, il s'agissait de la position des Serbes de Bosnie tout au long de

4 cette période. La position selon laquelle les communautés et les peuples

5 constitutifs de Bosnie Herzégovine devaient être séparés, qu'ils ne

6 pouvaient pas vivre ensemble. Là encore, il faut garder à l'esprit que la

7 plus grande partie de la Bosnie était de composition ethnique mixte. Il n'y

8 avait aucune région où les gens étaient, vraiment, séparés. Les gens

9 étaient mélangés. Cette remarque correspondait à la position des dirigeants

10 serbes de Bosnie selon laquelle, il fallait séparer ces communautés, d'où

11 le nettoyage ethnique.

12 Q. Est-ce que c'était la position des dirigeants serbes de Bosnie, non pas

13 seulement à l'égard de Sarajevo, mais aussi à l'égard des territoires au

14 sein de la Bosnie qu'ils revendiquaient, en tant que terre serbe ?

15 R. Oui, absolument. Je vous rappelle ce que j'avais, déjà, dit lorsque le

16 Dr Karadzic a ajouté certains éléments à la carte de Henry Darwin dans le

17 cadre du plan Cutileiro. Nous en avons parlé tout à l'heure. Il a montré

18 l'ensemble de la rivière de la Drina, à l'ouest cela allait jusqu'à la

19 rivière de Neretva. Il a montré cela comme frontière serbe, alors que sur

20 la carte ethnique la plus grande partie de cette région, au moins la moitié

21 était, majoritairement, musulmane en ce qui concerne les opstina. Comment

22 est-ce que cela s'est produit ? Je veux dire comment est-ce que ces opstina

23 qui étaient musulmanes sont devenues des opstina serbes ? Nous le savons

24 comment cela s'est produit. La population musulmane a été expulsée ou pire

25 encore.

Page 4206

1 Q. Monsieur l'Ambassadeur, vous avez parlé de la composition ethnique ou

2 démographique de la région de la Drina. Je souhaite que l'on marque cette

3 carte en tant que pièce à conviction de l'Accusation.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière.

5 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agira de la pièce à conviction du

6 Procureur numéro 211.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Tieger.

8 M. TIEGER : [interprétation]

9 Q. Monsieur l'Ambassadeur, dites-moi, tout d'abord, si vous connaissez

10 cette carte ?

11 R. Oui, je la connais. C'est la carte ethnique de la Bosnie Herzégovine.

12 Je dirais que c'est sur la base du recensement de 1991.

13 Q. Est-ce que cette carte nous est utile pour décrire la composition

14 démographique dans la région de la Krajina, et d'autres parties de la

15 Bosnie que vous avez mentionnées dans votre

16 déposition ?

17 R. Oui, vous pouvez voir les parties vertes qui sont musulmanes ; jaunes,

18 serbes ; et bleues, croates. Si vous voyez tout ce qui est en jaune, vous

19 pouvez voir que là ce sont les opstina musulmanes : Visegrad, Foca,

20 Gorazde, Srebrenica, et cetera. Certains de ces noms sont très connus par

21 tout le monde. Ici, nous voyons les régions, majoritairement, musulmanes

22 d'après le recensement.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Juste un instant, s'il vous plaît.

24 Monsieur Krajisnik, je suppose que vous ne pouvez pas voir très bien la

25 carte depuis l'endroit où vous êtes assis, mais vous pouvez voir cela sur

Page 4207

1 l'écran si vous appuyez sur le bouton où il est écrit "video monitor." Pas

2 en ce moment peut-être, mais dès que le témoin va poursuivre avec son

3 explication sur la base de cette carte.

4 Poursuivez.

5 M. TIEGER : [interprétation] En fait, nous avions terminé pour ce qui est

6 de la carte, Monsieur le Président, mais si vous le souhaitez, il serait

7 possible, éventuellement, au technicien de vous montrer la carte de plus

8 près encore une fois.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

10 Monsieur Krajinik, avez-vous pu bien suivre ?

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je peux bien suivre même si cette carte est

12 erronée.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est la carte que le Procureur a

14 soumise au témoin, Monsieur Krajisnik. En ce qui concerne la question de

15 savoir s'elle est erronée ou pas, cela c'est une autre question. Nous

16 entendrons le point de vue de la Défense à ce sujet, plus tard. Il n'est

17 pas nécessaire que le témoin remontre ce qu'il avait déjà montré tout à

18 l'heure. Oui, j'ai compris votre geste comme signal d'approbation,

19 qu'effectivement, vous ne considériez pas qu'il fût nécessaire que le

20 témoin montre cela de nouveau.

21 Poursuivez, Monsieur Tieger.

22 M. TIEGER : [interprétation]

23 Q. Monsieur l'Ambassadeur, vous avez dit que vous connaissiez cette carte.

24 Est-ce que c'est la carte que vous avez eue au cours de vos efforts de

25 négociations ?

Page 4208

1 R. C'était l'une de ces cartes. Nous en avions beaucoup. Il y en a

2 d'autres qui montrent les chiffres de manière différente. Les dirigeants

3 des serbes de Bosnie ont préféré une autre carte qui, d'après eux, montrait

4 ce qu'ils contrôlaient, le fait qu'ils avaient 65 % du territoire sous leur

5 contrôle. C'était fondé une affirmation qui n'était pas, entièrement,

6 correcte selon laquelle la population des serbes de Bosnie était plutôt

7 rurale qu'urbaine, alors que les Musulmans et les Croates vivaient plus

8 dans des zones urbaines. Donc parmi les Serbes, il y avait plus de paysans

9 et les paysans avaient plus de terre.

10 Ils ont, également, dit que dans le cadre de ces 65 % contrôlés, ils

11 contrôlaient, également, tous les parcs nationaux et toutes les

12 installations fédérales yougoslaves qu'ils souhaitaient garder. Autrement

13 dit, s'il y avait un parc national quelque part en Bosnie, il disait, vous

14 voyez cela fait partie de l'Yougoslavie, c'est le territoire serbe. Ils

15 avaient des cartes pour corroborer leurs thèses, mais ils se fondaient tous

16 sur les mêmes statistiques qui n'étaient pas contestées, à savoir le

17 recensement de 1981 qui était le dernier recensement complet, et après, le

18 recensement de 1991 qui n'était pas bien différent par rapport au

19 recensement de 1981. La seule différence était que, puisque les combats ont

20 commencé peu de temps après le recensement de 1991, celui-ci n'a jamais

21 été, vraiment, officialisé. Si l'on veut, vraiment, respecter les éléments

22 techniques et parler de dernier recensement officiel, dans ce cas-là, il

23 faut prendre en considération le chiffre de 1981. Comme je l'ai dit, les

24 chiffres et les statistiques de 1991 étaient pratiquement identiques à ceux

25 de 1981.

Page 4209

1 Il s'agissait là d'une carte standard avec d'autres cartes et,

2 effectivement, dans certaines cartes des éléments différents sont

3 soulignés. Si vous avez une carte, par exemple, une carte physique vous

4 pouvez y voir plus que, simplement, la géographie. Nous avions des cartes

5 physiques et des cartes avec des mines, avec des installations électriques,

6 et cetera. Nous avions beaucoup de cartes et celle–ci reflète la

7 composition ethnique de manière exacte.

8 Q. Ambassadeur, je souhaite que l'on reparle, maintenant, des objectifs

9 des dirigeants des Serbes de Bosnie, à savoir de diviser Sarajevo en partie

10 serbe et partie musulmane.

11 M. STEWART : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, je me

12 demande si nous n'allons plus traiter de cette carte. Je souhaite soulever

13 deux points. Tout d'abord, je pense que Mme l'Huissière d'audience ne doit

14 pas être ici de manière, enfin ne doit pas se tenir ici à l'infini, et je

15 me demande s'il serait possible de remettre la carte à M. Krajisnik pour

16 qu'il puisse l'examiner de plus près.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez encore besoin de

18 la carte ?

19 M. TIEGER : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous pouvons remettre cela

21 temporairement, provisoirement à M. Krajisnik pour qu'il examine de plus

22 près.

23 Oui, Maître Stewart.

24 M. STEWART : [interprétation] Sur le plan pratique, en ce qui concerne les

25 cartes, nous avons reçu cette carte et d'autres cartes sous forme

Page 4210

1 électronique en couleur, bien sûr, nous pouvons les imprimer en couleur,

2 mais nous ne pouvons pas le faire facilement dans un format de poche. Par

3 exemple, lorsqu'il s'agit d'une pièce à conviction, comme celle qui vient

4 d'être présentée. Je ne sais pas si le Procureur possède une version en

5 couleur, et s'ils ont accès à une photocopieuse en couleur, car il serait

6 plus facile si la Chambre et la Défense pouvaient recevoir des exemplaires

7 en couleur s'agissant de ce genre de pièce à conviction.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger, vous avez entendu cette

9 suggestion, j'espère que vous allez réfléchir là-dessus.

10 M. TIEGER : [interprétation] Oui, je vais le faire.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous ne devez pas nous présenter,

12 immédiatement, de petites photocopies, mais j'ai l'impression que c'est une

13 suggestion raisonnable.

14 Poursuivez.

15 M. TIEGER : [interprétation] Merci.

16 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je vous ai dit que je souhaitais que l'on

17 parle, de nouveau, de la partie de votre déposition portant sur les

18 objectifs des dirigeants serbes de Bosnie qui souhaitaient diviser

19 physiquement Sarajevo en partie serbe et en partie musulmane pour permettre

20 aux Serbes et aux Musulmans de vivre de manière séparée. Est-ce que vous

21 avez appris quelque chose au sujet des efforts déployés par les forces des

22 Serbes de Bosnie afin d'atteindre, de manière forcée, cet objectif au cours

23 de cette période là approximativement, c'est-à-dire, en été, automne 1992 ?

24 R. Oui, c'était, justement, cela le but du pilonnage. Le pilonnage visait

25 à créer si vous voulez un mur de feu. Je ne souhaite pas être

Page 4211

1 mélodramatique, mais le pilonnage a, effectivement, créé ce mur de feu

2 entre les communautés. C'était son but, c'était ce à quoi visait le

3 pilonnage. Il ne s'agissait pas du tout de tirs sporadiques. Le Dr Karadzic

4 nous l'aurait dit, il disait, par exemple, après que nous aurons divisé la

5 ville, vous savez les Musulmans pourront très bien y vivre et ensuite il

6 nous parlait de deux ou trois quartiers. Les pilonnages faisaient partie

7 intégrante de ses efforts visant à diviser la ville.

8 Q. Pour parler plus concrètement, est-ce que vous avez reçu des

9 informations au cours de l'été, automne 1992, concernant ces efforts visant

10 à remplacer de manière forcée, ou à expulser les Musulmans des parties de

11 Sarajevo. Est-ce que ces efforts ont

12 abouti ?

13 R. De temps en temps, on recevait ce genre d'information, mais pas

14 beaucoup. Il ne s'agissait pas là d'un élément-clé qui nous intéressait.

15 Q. Dans la mesure dans laquelle vous receviez ce genre d'information, et

16 dans la mesure dans laquelle vous étiez au courant des succès de ces

17 efforts visant à obtenir la séparation physique de Sarajevo, est-ce que sur

18 la base de vos discussions avec les dirigeants serbes de Bosnie et sur la

19 base d'autres informations que vous receviez concernant le pilonnage, est-

20 ce que vous avez pu comprendre que son but était de préserver ce changement

21 démocratique et préserver les effets du nettoyage ethnique ?

22 R. Oui, dans une certaine mesure, oui. Le pilonnage avait plusieurs

23 objectifs. Pourquoi est-ce que quelqu'un opte pour le pilonnage d'une

24 capitale ? Commençons par le début, il ne s'agit pas seulement d'un acte de

25 guerre, mais le fait de pilonner les zones civiles et de le faire pendant

Page 4212

1 des mois, de manière continue, c'est vraiment quelque chose qui est,

2 strictement, interdit par la loi régissant la guerre, et cetera. Le droit

3 humanitaire international est, tout à fait, clair à ce sujet.

4 Quel était le but ? Il s'agissait là du siège du gouvernement des Musulmans

5 de Bosnie, le premier but était de les intimider, de les terroriser, de

6 leur faire comprendre qu'ils étaient entourés, encerclés, autrement dit, de

7 provoquer le sentiment de désespoir au sein des dirigeants du gouvernement

8 des Musulmans de Bosnie. Ensuite, il y avait le but que j'ai déjà

9 mentionné, c'est-à-dire de diviser physiquement la ville conformément à la

10 manière dont ils le souhaitaient. Finalement, je pense que le but était de

11 montrer à la population des Serbes de Bosnie à quel point leur propre armée

12 était puissante et que cette armée-là pouvait faire tout ce qu'elle

13 voulait, même à Sarajevo.

14 Je ne peux pas vraiment prouver ce dernier point, car ce n'est pas cela

15 qu'il disait, mais j'ai du mal à imaginer vraiment pourquoi ils ont

16 continué à pilonner cette ville tout au long de cette guerre. Comme Lord

17 Owen l'a dit, et comme vous l'avez dit vous-même, tout à l'heure, Lord Owen

18 a dit à Karadzic, ce pilonnage n'est pas dans votre intérêt. Ceci n'a, pour

19 effet, que de stigmatiser votre cause et je suis sûr que vous êtes au

20 courant de cela. Ceci importait peu aux dirigeants des Serbes de Bosnie,

21 certainement ils avaient une raison pour faire ceci, je viens, simplement,

22 de mentionner trois explications possibles.

23 Q. Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pourriez, maintenant, examiner

24 la date du 18 septembre, le jour suivant dans votre journal. Cette page a

25 le numéro ERN R0163960, veuillez examiner les pages suivantes également.

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1 Je souhaite attirer votre attention sur plusieurs notes. Tout d'abord, ce

2 qui est inscrit au fond de la première page du journal. Ceci reflète les

3 commentaires faits par le Dr Karadzic.

4 R. Oui, je vois.

5 Q. Si je peux bien le lire, il est écrit : "La reconnaissance a provoqué

6 la guerre. Cela va se passer également en Macédoine si celle-ci est

7 reconnue." Est-ce que vous pouvez faire un commentaire à ce sujet ?

8 R. Oui, au fond, ce qu'il disait c'est que la reconnaissance de la Bosnie

9 en tant qu'État indépendant et souverain, de la part de Communauté

10 européenne et des États-Unis et la création de sa mission au sein de l'ONU,

11 tout cela s'est passé au printemps 1992, tout ceci a provoqué la guerre. La

12 Macédoine n'était pas encore reconnue à cause des problèmes que la

13 Communauté européenne et les Etats-Unis avaient à cause de l'opposition de

14 la Grèce liée à son nom. Ceci a été résolu par la suite. Ensuite, il dit :

15 "Ceci va se produire en Macédoine aussi, si celle-ci est reconnue." C'est-

16 à-dire, la guerre serait également le résultat de la reconnaissance

17 éventuelle de la Macédoine, car c'est une région très importante pour les

18 Serbes. En effet, celle-ci faisait partie de la Serbie jusqu'en 1946

19 lorsque Tito a retiré la Macédoine et a créé la République de Macédoine.

20 Avant, c'était toujours appelé la Serbie du Sud. Les Serbes avaient

21 beaucoup d'intérêts en Macédoine, étaient souvent très attachés à cette

22 république, par exemple, l'église orthodoxe serbe n'a jamais reconnu la

23 création de l'église orthodoxe macédonienne. C'est juste un point, mais il

24 faut savoir qu'il s'agissait quand même de la même religion. Ici, Karadzic

25 dit : Si la Macédoine est reconnue, il y aura une guerre là-bas également.?

Page 4214

1 Un peu plus tard, même pas beaucoup plus tard, la Macédoine a effectivement

2 été reconnue, mais ceci n'a pas du tout provoqué une guerre. Il n'y a pas

3 eu de guerre entre la Serbie et la Macédoine ou entre les Serbes de

4 Macédoine ou la JNA, et cetera. Le tout s'est passé de manière totalement

5 paisible. Je pense que sans exagérer, nous pouvons conclure que cette

6 guerre en Bosnie n'était pas du tout inévitable. Ici le Dr Karadzic nous

7 disait que la guerre était inévitable en Macédoine tout comme c'était le

8 cas en Bosnie. La réalité n'a pas du tout confirmé cela.

9 Q. La reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine, c'était quelque chose que

10 le Dr Karadzic et d'autres dirigeants des Serbes de Bosnie n'allaient pas

11 accepté, d'après ce qu'ils avaient déjà dit.

12 R. Oui, d'accord. Oui, effectivement, ils ne pouvaient pas accepter cela.

13 Q. Nous allons maintenant passer à la page suivante de votre journal qui a

14 la même page ERN. Le Dr Karadzic fait le commentaire suivant : "Le camp

15 musulman va bientôt être prédominant avec plus de 50 %." Ensuite, il y a un

16 autre commentaire du Dr Koljevic : "Les Serbes ont besoin d'une autonomie

17 territoriale et fonctionnelle." Ensuite, vous notez le fait que le

18 secrétaire Vance demande, pose une question concernant l'autonomie

19 territoriale par opposition à l'autonomie politique. Le Dr Karadzic et le

20 Dr Koljevic disent que c'est dans le contexte du retour de certains

21 territoires aux Musulmans. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cela ?

22 R. Toute cette discussion concernait la question portant sur la manière

23 dont la Bosnie-Herzégovine devait être gouvernée. C'est un sujet qui était

24 récurant. Là, ils disent encore une fois, ils répètent encore une fois que

25 ni les Serbes ni les Croates de Bosnie, n'avaient accepté un État bosniaque

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1 unitaire sur la base du principe un homme, un vote. Ils n'allaient pas

2 accepter un État se fondant sur ce principe-là. C'est pour cela qu'ils

3 étaient préoccupés que les Musulmans allaient bientôt faire plus de 50 % de

4 la population pour des raisons démographiques. Encore une fois, ils disent

5 ici, nous avons besoin de notre État, avec nos territoires, avec notre

6 peuple et nos lois. C'est ce qu'ils disent.

7 Q. Monsieur l'Ambassadeur, avant de parler de la page suivante, je

8 souhaitais également que l'on confirme qui a assisté à cette réunion. Est-

9 ce qu'il est exact de dire qu'ont assisté à cette réunion le Dr Karadzic,

10 le Dr Koljevic, M. Krajisnik, M. Buha et

11 M. Misa Milosevic, représentants les Serbes de Bosnie ?

12 R. Oui, Karadzic, Koljevic, M. Krajisnik, Alexa Buha et Misa Milosevic.

13 C'est Misa, pas Slobodan.

14 Q. Vos discussions se sont poursuivies. Ceci est reflété à la page

15 suivante R0163961. Le Dr Koljevic dit qu'il faut mettre toutes les cartes

16 sur la table, qu'il ne faut pas se perdre dans des nuances et des

17 subtilités. Ensuite, il décrit ce qui est acceptable et inacceptable du

18 point de vue des Serbes de Bosnie. Est-ce que vous pouvez nous expliquer

19 cette discussion ?

20 R. Oui. Après avoir fait preuve de son excellent anglais en parlant des

21 "labyrinthes, des nuances, des subtilités, et cetera," il a poursuivi pour

22 dire : "Les Serbes ne vont pas accepter les frontières internes." Il

23 voulait dire les frontières internes de la Bosnie-Herzégovine, "sans une

24 forme de cantonisation," autrement dit sans une partie gouvernée par les

25 Serbes eux-mêmes, plutôt que d'être assujetties aux Musulmans.

Page 4216

1 Les Serbes sont prêts à accepter. Ils préfèrent que l'on change les

2 frontières internes afin que les frontières reflètent les réalités

3 ethniques sur le terrain. Il a dit, il a vraiment parlé du fait de

4 "refléter les réalités ethniques." C'est très clair, c'est une référence

5 sans aucune subtilité au nettoyage ethnique, car cette conversation a eu

6 lieu en septembre 1992. En septembre 1992, des centaines de milliers de

7 Musulmans de Bosnie avaient déjà été déplacés de manière forcée, expulsés

8 de leurs foyers afin que l'on crée une Republika Srpska pure dans la mesure

9 dans laquelle il était possible pour l'armée serbe de créer un État pur.

10 Il dit : ?Oui, bien sûr, nous allons accepter les changements des

11 frontières internes si elles reflètent les réalités ethniques.? Ce qu'il

12 dit ici, c'est répété dans ses propres mots ce qu'avait fait Karadzic

13 lorsqu'il a ajouté certains éléments sur la carte ethnique de la Bosnie; la

14 carte que moi-même j'ai dessinée à la main. Il dit : "Cette zone est

15 maintenant contrôlée par l'armée de la Republika Srpska." Vous savez, il y

16 a très peu d'autres groupes ethniques dans cette zone. Ceci reflète la

17 réalité ethnique. C'est ce qu'il a dit. Très bien, si vous pouvez faire

18 cela, d'accord, nous allons accepter cela. Nous allons certainement

19 accepter cela. Il faut avoir cette carte qui reflète la situation après le

20 nettoyage ethnique.

21 Ensuite il dit, c'était un logo des Serbes de Bosnie couramment employé

22 encore une fois : "Nous n'allons pas, nous ne sommes pas près à accepter

23 les frontières de Tito. La Bosnie-Herzégovine était une création purement

24 bolchevique." Il est presque ridicule d'entendre une telle décision,

25 puisque les frontières de la Bosnie sont parmi les frontières les plus

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1 anciennes, non pas seulement en Europe du Sud-est, mais dans l'ensemble de

2 l'Europe. Par exemple, si vous vous penchez sur la carte de l'empire des

3 Habsburg de 1878, cette carte était utilisée lors du congrès de Berlin

4 lorsque l'empire austro-hongrois a obtenu la co-souveraineté sur cet

5 empire. En 1878, après la défaite des Turcs dans la guerre bulgare,

6 Bismarck a divisé cette partie de l'empire entre les Autrichiens et les

7 Turcs.

8 Si vous vous penchez sur cette carte, vous pouvez voir que ces frontières

9 ont à peine changé. Il s'agissait des frontières établies de longue date.

10 Là, je parle des frontières de la Bosnie-Herzégovine. Il ne s'agissait pas

11 des frontières de Tito.

12 Vous savez, c'est un point qui a été longuement débattu, notamment soulevé

13 par les dirigeants des Serbes de Bosnie. Peut-être ils le croyaient

14 vraiment, mais c'était un argument sans aucune valeur, car il n'y avait

15 aucun lien entre lui et la réalité.

16 Q. Merci, Monsieur l'Ambassadeur.

17 M. TIEGER : [interprétation] Je vois, Monsieur le Président, quelle heure

18 il est. Peut-être que nous pourrions procéder à une pause.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, j'allais justement vous proposer

20 cela.

21 Nous allons faire une pause jusqu'à 4 heures 10.

22 --- L'audience est suspendue à 15 heures 45.

23 --- L'audience est reprise à 16 heures 18.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger, je crois que les

25 extraits du journal que vous nous avez fournis sont extraits d'un autre

Page 4218

1 classeur. Il ne s'agit pas du même classeur qu'hier. Il s'agit d'une

2 nouvelle série de documents. Il y a deux classeurs qui n'ont pas de numéros

3 encore, je crois. En tout cas, les Juges n'ont pas reçu de numéros. Je ne

4 vous demande pas de remettre ces derniers tout de suite, mais c'est

5 simplement aux fins du compte rendu d'audience.

6 Madame la Greffière, les deux nouveaux classeurs comporteraient quel

7 numéro, s'il vous plaît ?

8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pièce à conviction de l'accusation

9 portant le numéro P212.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que nous allons les utiliser plus

11 tard ?

12 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, les classeurs qui

13 viennent d'être attribués le numéro 212 comporte le journal auquel nous

14 venons de faire référence.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

16 M. TIEGER : [interprétation] Simplement pour clarifier ce point, si je

17 puis, le premier classeur comportait des entrées du journal qui portait sur

18 les réunions de la conférence sur l'Yougoslavie, et cette conférence a duré

19 jusqu'au mois d'août 1992, quoique le journal ne va pas jusqu'à cette date-

20 là. En revanche, ces deux classeurs, auxquels nous avons attribué le numéro

21 P212, évoquent les réunions de la conférence sur l'ex-Yougoslavie.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dans cette annexe, nous constatons qu'il

23 convient le journal des numéros un à neuf, ICFY, conférence internationale

24 sur l'ex-Yougoslavie.

25 Vous avez la parole, Monsieur Tieger.

Page 4219

1 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.

2 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je vais vous demander de vous reporter à votre

3 journal en date du 19 septembre 1992, s'il vous plaît. Nous trouvons ceci à

4 la page portant le numéro ERN R0163971, ainsi que les pages suivantes.

5 R. Oui, j'ai ce document sous les yeux.

6 M. TIEGER : [interprétation] Il me semble, Monsieur le Président, que le

7 logiciel Sanction semble marcher, et nous n'avons pas besoin du

8 rétroprojecteur pour l'instant.

9 Q. Monsieur l'Ambassadeur, il s'agit ici d'une réunion qui s'est tenue à

10 Genève, à laquelle ont participé d'après le titre ici le Dr Karadzic, M.

11 Krajisnik, le Dr Koljevic, M. Buha, et M. Misa Milosevic. Je souhaite

12 attirer votre attention sur quelques-unes de ces entrées. En bas de la

13 première page, il y a des commentaires faits par le Dr Karadzic : "Nous

14 n'avons pas besoin de la guerre. Il nous faut arrêter et il nous faut nous

15 en tenir à l'endroit où ils se trouvent et où nous sommes." Avez-vous des

16 commentaires à faire à cet égard, Monsieur l'Ambassadeur ? Où quelque chose

17 que vous souhaiteriez ajouter sur le caractère de ces négociations ?

18 R. Je ne le pense pas. Ce que le Dr Karadzic disait ici illustrait le fait

19 qu'au mois de septembre 1992, la VRS, l'armée serbe de Bosnie, et l'armée

20 régulière de Bosnie, avaient assuré le contrôle de 70 % de la Bosnie-

21 Herzégovine. Autrement dit, il disait: "Il nous faut cesser maintenant."

22 Bien évidemment, ceci était avantageux pour eux.

23 Q. A la page suivante, à la deuxième entrée, où le Dr. Koljevic dit: "Il

24 nous faut exercer une pression sur les Musulmans pour faire cesser les

25 combats. Mais la communauté internationale n'a pas fait cela." Quel était

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1 l'objet de ces pressions ? Quel était le but, pourquoi fallait-il que les

2 Musulmans agissent ainsi pour cesser les combats ? Pourquoi les

3 représentants de la communauté internationale souhaitaient-ils que les

4 Musulmans fassent cela en vue de faire cesser les combats ?

5 R. Nous, ce que nous souhaitions, les négociateurs, c'était de convaincre

6 les Musulmans qu'il fallait signer un accord de paix sur la base du

7 découpage territorial de ce moment-là, autrement dit, la situation

8 actuelle. Cela va sans dire que c'est quelque chose qu'ils ne souhaitaient

9 pas faire.

10 Q. Les deux entrées suivantes, qui se trouvent immédiatement après ou en

11 dessous des remarques que vous venez d'évoquer, c'est le Dr Karadzic qui

12 dit, et tel que c'est illustré par vous-même, "il insiste sur un découpage

13 territorial sur la base de la composition ethnique."

14 R. Ceci est mon impression de ses propos. Ce n'est pas lui qui dit cela.

15 Il réitère ceci, il répète ceci à maintes reprises. La réunion a duré

16 quasiment deux heures. Vous remarquerez que j'ai couvert ici une heure et

17 25 minutes dans deux pages. Si vous avez un compte rendu de cela, je pense

18 que cela représenterait 20 à 30 pages. Mais je n'étais pas obligé de tout

19 écrire car ce que le Dr Karadzic disait à ce moment-là, était ce que le Dr

20 Karadzic disait toujours "insistance continuelle sur des unités

21 territoriales basée sur une composition ethnique." Il s'est peut-être

22 exprimé pendant cinq à 10 minutes sur ce sujet, à savoir comme vous le

23 savez, il fallait une entité ethniquement pure, nous ne pouvons vivre

24 ensemble, ils nous détestent, et cetera. C'était toujours la même rengaine.

25 C'est la raison pour laquelle "ces entités territoriales étaient fondées

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1 sur la composition ethnique." Mais il est important de remarquer que la

2 position serbe reste toujours la même. Aucun écart et au fil des mois et au

3 fil de ces négociations, il n'y a jamais eu de changement de position.

4 Q. Juste en dessous, il semble que le Dr Koljevic insiste sur la

5 séparation physique et l'incapacité des Serbes et des Musulmans à cohabiter

6 d'après lui, car il dit: "Que la guerre a détruit la confiance. Les

7 communautés ne peuvent plus vivre ensemble. Il s'agit là d'une pure

8 fantaisie."

9 R. Oui, c'était en général la phrase qui revenait toujours. Il n'y a pas

10 de confiance. Il y avait cette haine entre les différentes communautés.

11 Encore une fois, je remarque entre parenthèse en bas, ces points sont

12 évoqués, Kojjevic et le Dr Karadzic s'en parlaient beaucoup.

13 Q. Certains dirigeants serbes de Bosnie présents ne se sont-ils jamais

14 écartés de cette position ?

15 R. Non. Ils disaient toujours la même chose et c'était très cohérent. Le

16 Dr Karadzic, M. Krajisnik, Nikola Koljevic, Buha, Lukic. Buha et Lukic

17 étaient quelque peu plus grossiers dans la manière de présenter les choses.

18 C'était simplement une question de personnalités. Mais les hauts

19 dirigeants, le Dr Karadzic, M. Krajisnik et Koljevic étaient très cohérents

20 dans ce qu'ils disaient.

21 Q. Monsieur l'Ambassadeur, pouvons-nous passer à l'entrée de votre journal

22 qui est datée du 24 septembre 1992, que vous trouverez sous le numéro ERN

23 R0163985. Il semble que ce soit une réunion qui soit tenue le matin en

24 présence du Dr Koljevic.

25 R. Oui.

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1 Q. Simplement pour aider la Chambre à bien comprendre les entrées de ce

2 journal, juste en dessous de l'entrée qui note la présence du Dr Koljevic,

3 on voit des initiales et la présence de d'autres personnes. Pourriez-vous

4 nous dire, s'il vous plaît, qui sont ces personnes car leurs initiales

5 réapparaissent souvent ?

6 R. CRV représente le secrétaire Vance. DLO représente Lord Owen. Ma est

7 Martti Ahtissari, qui était un des présidents de notre groupe de travail

8 sur la Bosnie. FE s'est Fred Eckhardt, qui était le porte-parole de la

9 conférence. PH s'est Peter Hall. C'est maintenant le porte-parole du

10 secrétaire général des Nations Unies. Un sigle me représente, après DLO.

11 Q. Lors de cette réunion, on voit la première entrée des remarques faites

12 par le secrétaire Vance et BL. Pourriez-vous me dire qu'est-ce qui était à

13 l'ordre du jour ? Quel débat il y a eu ?

14 R. Si vous regardez à la page précédente, vous verrez qu'il y a quelque

15 chose que j'ai souligné "Problème, le nettoyage ethnique de Banja Luka."

16 Nous avions reçu des rapports qui avaient été confirmés sur des cas graves

17 de nettoyage ethnique à Banja Luka. Comme nous le savons tous, Banja Luka

18 est une ville importante, c'est la deuxième plus grande ville de Bosnie-

19 Herzégovine. La question ne portait pas là-dessus, mais comme il s'agissait

20 d'une ville importante, cela signifiait que le nettoyage ethnique était à

21 grande échelle.

22 La journée a commencé à 10 heures 30 quand nous avons rencontré

23 l'Ambassadeur yougoslave Pavicevic, qui a reconnu que ce nettoyage ethnique

24 avait lieu. L'ambassadeur P : "Et cela doit cesser," nous devons faire

25 cesser le nettoyage ethnique des Serbes de Bosnie à Banja Luka. Il s'agit

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1 là de propos de l'ambassadeur yougoslave. "Je vais appeler Belgrade. Je

2 vais parler à Cosic et Milosevic. Je pourrais faire tout ce que je peux."

3 Après l'avoir rencontré brièvement, nous avons rencontré Koljevic pendant

4 une heure environ. Encore une fois, le principal sujet de la réunion était

5 de savoir comment on pouvait faire cesser le nettoyage ethnique à Banja

6 Luka, le nettoyage ethnique des Serbes de Bosnie. Encore une fois, que

7 pouvions-nous faire ici ?

8 Encore une fois, Koljevic ne nie pas cela. Lorsque Vance lui dit: "Qu'avez-

9 vous entendu à ce propos ?" Il dit : "Banja Luka est sous notre contrôle.

10 Le problème est Prijedor." Il nous dit que le nettoyage ethnique de Banja

11 Luka n'est pas si grave, il est plus grave à Prijedor, et cetera.

12 Koljevic se propose d'appeler Karadzic, et la réunion se poursuit. En fait,

13 le Dr Karadzic souhaitait que le secrétaire Vance le rejoigne à Banja Luka,

14 et Vance et Owen se sont rendus à Banja Luka. Je ne suis pas allé moi-même,

15 car je devais m'occuper de cette conférence. Vance et Owen se sont rendus à

16 Banja Luka et ont pu confirmé qu'il s'agissait là d'un nettoyage ethnique,

17 mais en même temps, en étant présent, ils ont réussi à ralentir le

18 nettoyage ethnique. Ils n'ont pas réussi à le faire cesser, mais leur

19 présence sur place, pendant quelques instants, a pu amenuiser les

20 conditions des Musulmans de Bosnie et des Croates de Bosnie qui étaient

21 chassés par la force de Banja Luka. On faisait exploser les mosquées, Les

22 églises catholiques étaient détruites. La situation était fort grave.

23 Q. Dans votre journal, le journal indique que le Dr Koljevic avait précisé

24 que lui ou quelqu'un d'autre allait contacter le chef de la police de la

25 région, et plus tard à la page de ce journal l'entrée indique que le Dr

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1 Koljevic s'est entretenu avec le chef régional de la police.

2 Au cours des échanges avec les dirigeants serbes de Bosnie, sur leurs

3 activités dans ces municipalités, est-ce qu'il disait que, concernant

4 certaines régions de Bosnie-Herzégovine, sur lesquelles ils assuraient le

5 contrôle, est-ce qu'il vous disait qu'il y avait des représentants de la

6 police et des hommes politiques qui avaient assumé la responsabilité de ces

7 municipalités ?

8 R. Oui, certainement. Ceci en est un signe. Koljevic est revenu dans la

9 pièce, et a dit: "Je me suis entretenu avec le chef de régional de la

10 police." Cela ne fait aucun doute. Comme je l'ai évoqué un peu plus tôt,

11 Karadzic, en ma présence a appelé le colonel responsable de l'armée de

12 l'air. Je pense que c'était non pas la JNA mais la VRS à ce moment-là, à

13 Banja Luka et en ma présence. Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute qu'il

14 exerçait un contrôle direct sur ces personnes. Il avait pris le contrôle et

15 cela se voyait. On en voyait des signes assez souvent. Ceci est

16 effectivement un exemple. Il quitte la pièce, il revient, il passe un coup

17 de fil, et revient et il dit : "Moi, Nikola Koljevic, je viens de parler

18 avec le chef régional de la police," et il poursuit en nous racontant un

19 autre conte de fée. Si vous regardez les autres entrées de mon journal vous

20 le verrez.

21 Q. Nous allons y venir dans quelques instants. Une question simplement

22 encore, les dirigeants serbes de Bosnie, avaient-ils une quelconque

23 difficulté à communiquer avec leurs subordonnés et la police dans ces

24 municipalités ? Avaient-ils du mal à communiquer ou communiquaient-ils avec

25 les représentants de l'armée comme vous venez de le décrire ?

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1 R. Je n'ai jamais vu une indication contraire. Ils portaient toujours des

2 téléphones portables. Ils n'ont jamais dit : "Nous avons essayé de

3 contacter Dusan, et nous ne pouvons pas lui parler." Toutes les fois qu'ils

4 nous disaient qu'ils avaient besoin de parler avec quelqu'un, ils parlaient

5 avec cette personne, ce que l'on peut voir dans le journal.

6 Q. Vous avez indiqué que le Dr Koljevic lorsqu'il est revenu dans cette

7 pièce où se tenait la réunion, il est revenu pour vous raconter encore un

8 autre conte de fée ?

9 R. La phrase mascarade, c'est une des phrases communément utilisées par les

10 dirigeants serbes de Bosnie. Ils disaient qu'il y avait des abus, des

11 exactions, des vols, des expulsions qui avaient été organisés par les

12 Serbes de Bosnie. En général, ils répondaient non, les Musulmans avaient

13 volé leurs uniformes. Il s'agissait d'une mascarade de Serbes en uniformes

14 de la VRS. Les Musulmans étaient habillés en uniformes serbes, et c'est eux

15 qui violaient les femmes musulmanes ou ce genre de chose. C'est ce que l'on

16 entendait très souvent. On parlait de "mascarade," on parlait "du massacre

17 des Serbes, des camps d'entraînement," et de ce genre de chose. C'était une

18 réponse que l'on fournissait toujours, réponse toute faite. C'était

19 toujours l'autre partie qui en portait la responsabilité.

20 Souvenez-vous, le sujet, ici, était le nettoyage ethnique de Banja Luka, et

21 Koljevic nous disait : "Jamais, ceci n'est pas en train de se produire.

22 Nous n'agissons pas ainsi. La presse nous ment. Nous entendons des éléments

23 d'informations déformés." Il n'a jamais dit cela.

24 Q. Monsieur l'Ambassadeur, puis-je vous demander de vous reporter à une

25 autre entrée de votre journal datée du 30 septembre 1992, numéro ERN

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1 R0164015, s'il vous plaît.

2 Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite attirer votre attention sur quelques

3 entrées que vous avez faites et qui portent sur cette réunion. En premier

4 lieu, vos notes ont indiqué qu'il s'agit là d'une réunion en présence du Dr

5 Karadzic et du Dr Koljevic, et ensuite, vous donnez des initiales des

6 négociateurs présents.

7 Au tout début de la réunion, Lord Owen précise qu'il y a un sentiment ou

8 une histoire qui produit, qui a l'effet d'un scandale dans le New York

9 Times sur le village où on parle des tueries dans le village de Brcko, au

10 début du mois de mai et le mois de juin. Il précise en disant : "Il faut

11 que nous essayons de trouver une solution, suivi par une réponse de Dr

12 Karadzic : "Nous n'avons pas assiégé Sarajevo," et je dois dire qu'il

13 s'agit là d'une référence à Sarajevo évoquée plus tôt dans les commentaires

14 de Lord Owen.

15 A la page suivante, ERN R0164016, le Dr Karadzic poursuit, et parle de

16 Sarajevo : "Nous n'avons pas conquis Sarajevo, nous aurions pu le faire, et

17 cetera." D'après vos notes, Lord Owen, et il

18 précise : "Demande à Kara de se taire." Karadzic reprend : "Il ne faut pas

19 accepter de jouer un rôle secondaire. On ne peut pas permettre à l'aide

20 humanitaire de nous faire du tort au plan militaire." Ensuite, il explique

21 quelque chose et il parle du plan de Morillon. Le Dr Karadzic dit : "Qu'il

22 ne peut pas abandonner Ilidza, et cetera, et nos blessés qui sont morts, et

23 cetera."

24 Monsieur l'Ambassadeur, avez-vous des commentaires à faire et pouvez-vous

25 aider la Chambre et nous dire qu'il est le sens de ces échanges ?

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1 R. Je crois que la discussion portait sur le fait que les négociateurs

2 tentaient de répondre à la requête incessante de Karadzic en vertu de quoi

3 les Serbes de Bosnie souhaitaient quitter Sarajevo, et qu'ils soient

4 autorisés à le faire. Souvenez-vous, il fait état du fait qu'ils sont pris

5 pour otage, il dit que 60 000 à 70 000 personnes sont prises comme otage à

6 Sarajevo, qui est le plus grand camp de concentration en Bosnie, et cetera.

7 C'est quelque chose qui revient sans cesse. Les négociateurs l'ont pris au

8 mot, et le général Morillon avait établi un plan pour faire en sorte qu'ils

9 puissent sortir s'ils le souhaitaient.

10 Mais, rien n'est advenu de cela pour finir, car tout le discours de

11 Karadzic sur le désir des Serbes de quitter Sarajevo n'était que des

12 paroles vides. Lorsque les négociateurs et les gens de la FORPRONU sur le

13 terrain ont proposé de les faire sortir, ils n'ont pas voulu. Autrement

14 dit, ils ne l'auront pas pris au mot, et c'était une discussion qui n'a

15 vraiment pas porté ces fruits. Mais cela semblait indiquer, encore une

16 fois, que la position prise par Karadzic et l'ensemble des dirigeants

17 serbes de Bosnie, et je fais montre d'une certaine compassion ou charité à

18 cet égard, il ne s'agissait pas d'une estimation très juste de la situation

19 et comment on pouvait trouver une solution à ce problème.

20 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite passer à une autre entrée de votre

21 journal datée du 11 octobre 1992, numéro ERN R0164042.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourrions-nous, s'il vous plaît faire

23 accélérer la distribution des documents, s'il vous plait, car lorsque vous

24 êtes sur le point de poser des questions, il y a quelqu'un qui se promène

25 dans le prétoire, et il faut au moins une minute et demie à deux minutes

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1 pour que chacun puisse avoir un exemplaire. Pourrions-nous, s'il vous

2 plaît, accélérer ce processus ? Merci. Je me remets à votre créativité, et

3 toutes les pièces restantes à la fin de cette audience seront remises à

4 l'Accusation.

5 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vois que je n'ai pas de traduction en

7 B/C/S du dernier document, mais le document précédent ne comportait pas de

8 traduction. Je suppose que M. Karadzic a reçu un exemplaire de ce document

9 ? Pardonnez-moi. Pardonnez-moi, j'ai entendu tellement parler de M.

10 Karadzic.

11 Monsieur Krajisnik, avez-vous reçu le document précédent daté du 30

12 septembre ? Le dernier document qui a été distribué est daté du 10 octobre.

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je suivais l'anglais. Je n'ai pas vérifié, mais

14 cela n'a pas d'importance.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie. Poursuivez, Monsieur

16 Tieger.

17 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

18 Q. Il y a juste quelques questions que je souhaiterais vous poser au sujet

19 de la réunion tenue le 10 octobre avec le Dr Karadzic. Il y a un astérisque

20 sur la première page à côté de la mention faite aux pourparlers qui se

21 poursuivent avec les Croates. On peut lire que les "Musulmans ne peuvent

22 pas combattre sans les Croates," et ensuite, est-ce que vous pourriez nous

23 donner lecture des deux termes qui sont évoqués entre guillemets ?

24 R. "Nous nous rapprochons de la paix. Les pourparlers avec les Croates

25 avancent. Le cas échéant, nous nous rapprochons de la paix."

Page 4229

1 Q. Page suivante, qui porte le numéro ERN R0164043. Il s'agit de la

2 troisième page de cette entrée du journal. En haut de la page, à côté d'un

3 astérisque, on peut voir : "Problème principale, les frontières de Tito.

4 Mais si les Serbes et les Croates 'sont intelligents', et échange

5 volontairement les frontières, cette échange nous aiderait."

6 Pouvez-vous nous dire à quoi se réfèrent ces remarques ?

7 R. Il s'agit de la coopération ouverte ou en secret entre les Serbes de

8 Bosnie et les Croates de Bosnie. Cette coopération se faisait aux dépens

9 des Musulmans de Bosnie. Cette coopération a eu lieu, car à certains

10 égards, les Serbes de Bosnie et les Croates de Bosnie avaient des objectifs

11 communs en Bosnie. Tous les deux avaient proclamé leurs propres entités

12 politiques. Les Serbes de Bosnie avaient proclamé la création de la

13 Republika Srpska, et les Croates de Bosnie, la proclamation de Herceg

14 Bosna. Chacune de ces entités devait être gouverné par leur propre

15 gouvernement. Ces deux entités devaient être ethniquement pures. Cet

16 objectif était plus facile à réaliser pour les Croates de Bosnie en Herceg

17 Bosna, c'est-à-dire, en Herzégovine car la région d'Herzégovine était déjà

18 à 98 % composée de Croates. Le problème qui se posait aux Croates de Bosnie

19 était la Bosnie centrale où la population était de composition ethnique

20 mixte, et composée des Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie.

21 Toutefois, les Serbes de Bosnie et les Croates de Bosnie souhaitaient

22 obtenir leurs propres États séparés en Bosnie-Herzégovine. Ils partageaient

23 certains points de vue.

24 En même temps, elles étaient opposées, les uns aux autres, car certaines

25 régions étaient litigieuses entre les Serbes et les Croates. Par exemple,

Page 4230

1 la vallée de la Neretva. Les Serbes de Bosnie voulaient la vallée de la

2 Neretva, et cela apparaît dans l'un des points évoqués dans les objectifs

3 stratégiques du 12 mai. Les Croates de Bosnie n'étaient pas prêts à

4 abandonner la vallée de la Neretva, tout d'abord, parce qu'il s'agit d'une

5 région importante au plan économique, et deuxièmement, parce que Mostar est

6 considérée par les Croates de Bosnie comme leur capitale, et Mostar se

7 trouve sur la Neretva.

8 Il convient de noter qu'à la date d'aujourd'hui, Mostar est toujours divisé

9 entre les Croates de Bosnie et les Musulmans de Bosnie. La rivière sépare

10 ces deux parties de Mostar, aujourd'hui, en 2004. Il s'agissait d'un point

11 très important pour les Croates. De même que les Serbes de Bosnie

12 considéraient que Banja Luka était leur capitale, les Croates de Bosnie

13 considéraient que Mostar était la leur. Si bien que, dans certains

14 domaines, il y avait une coopération, une collaboration, une convergence de

15 points de vue entre les Serbes de Bosnie et les Croates de Bosnie. En même

16 temps, il y avait des points de conflit entre les Serbes de Bosnie et les

17 Croates de Bosnie. L'armée croate de Bosnie, les effectifs de l'armée

18 Croate de Bosnie étaient importants, car elle avait reçu l'aide de l'armée

19 régulière croate qui était arrivée en Bosnie aux premiers jours du conflit

20 en traversant la rivière Sava au niveau de Bosanski Brod. Si bien que les

21 Croates de Bosnie étaient bien armés et le Dr Karadzic le savait, et l'a

22 répété à de nombreuses reprises. C'est la raison pour laquelle il affirme :

23 "Nous faisons des progrès avec les Croates de Bosnie. Si nous pouvons

24 parvenir à un accord, la paix est possible." Mais, comme vous pouvez le

25 voir, il ne parle jamais des Musulmans.

Page 4231

1 Q. Monsieur l'Ambassadeur, pourriez-vous examiner la carte qui porte le

2 numéro ERN03574817 ?

3 R. Oui.

4 Q. Est-ce que vous connaissez cette carte ? Le cas échéant, pouvez-vous

5 nous expliquer, celle-ci reflète vos explications concernant la nécessité

6 d'une collaboration entre Serbes et Croates ?

7 R. Oui, tout à fait. Je connais bien cette carte, de même que tous ceux

8 qui s'intéressent à l'Yougoslavie doivent la connaître. Il s'agit de

9 l'accord Macek de 1939, accord conclu entre un dirigeant serbe et un

10 dirigeant croate afin de diviser ce qui était appelé la banovina. Le roi

11 avait changé le nom, il était question de banovina de Bosnie-Herzégovine.

12 Cela correspond à la division de la Bosnie entre les Serbes et les Croates.

13 Cela a été décidé, je pense, au printemps 1939. C'est ce qui aurait dû se

14 produire, mais la Deuxième guerre mondiale a éclaté et l'Allemagne nazie a

15 pris le contrôle d'une grande partie de l'Europe.

16 A cet égard, il est intéressant de noter que lorsque l'État fantoche de

17 Croatie s'est rallié à l'Allemagne nazie, au cours de la Deuxième guerre

18 mondiale, l'État indépendant de Croatie a vu le jour grâce au 3e Reich, et

19 toute la Bosnie a été abandonnée à cet État fantoche. Si l'on examine une

20 carte de l'Europe occupée en date de 1942, 1943, 1944, conformément aux

21 divisions politiques qui existaient à l'époque, vous pourrez constater

22 l'existence d'un État indépendant de Croatie comprenant la Bosnie-

23 Herzégovine. Cela date de 1941. Bien entendu, ils ont perdu la Bosnie-

24 Herzégovine à la fin de la guerre.

25 Les Croates éprouvaient un intérêt assez malsain, dirons-nous, pour la

Page 4232

1 Bosnie-Herzégovine. Tout le monde le savait, ce n'est pas uniquement une

2 question d'intérêt historique. Lorsque le président Tudjman, durant le

3 conflit, s'est rendu à Londres en 1993 ou 1994, alors que le conflit était

4 en cours, il s'est rendu pour faire un discours. A cette occasion, il a

5 dessiné sur une serviette en papier, à l'intention de ses hôtes

6 britanniques, une carte représentant la division de la Bosnie-Herzégovine

7 entre les Serbes et les Croates. Cette division, il l'avait bien à

8 l'esprit.

9 Si bien que cette carte Cvetkovic-Macek est une carte que tous ces

10 dirigeants avaient à l'esprit, à l'époque. Cela faisait partie, en quelque

11 sorte, de leur éducation, de même que les Américains ont des connaissances

12 au sujet de la guerre civile, et ainsi de suite. Cela ne veut pas dire

13 qu'ils sont en faveur de cela. Mais tout le monde avait bien conscience de

14 cela, et il en va de même, bien entendu, pour les dirigeants serbes de

15 Bosnie et les dirigeants croates et les dirigeants musulmans. Tout le monde

16 le savait. Psychologiquement, cela a joué un grand rôle dans l'état

17 d'esprit des dirigeants serbes de Bosnie, car ils étaient toujours prêts à

18 parvenir à un accord avec les Croates, si cela était possible.

19 Q. Est-ce que le Dr Karadzic laisse entendre ici que les Serbes de Bosnie

20 et les Croates de Bosnie parviendraient à un accord au sujet des régions de

21 Bosnie-Herzégovine que chacun voulait, et qu'ensuite les Musulmans

22 devraient accepter ce qui restait, car de toute façon, ils ne pouvaient pas

23 combattre sans les Croates ?

24 R. Oui, tout à fait. C'est ce qu'il a dit. Mais, si les Serbes et les

25 Croates sont intelligents et échangent volontairement les frontières, cet

Page 4233

1 échange aidera. Il a, ensuite, dessiné une carte, et il ne faisait aucun

2 doute pour lui que c'est ce qui allait se passer, et que les Musulmans

3 devraient bien l'accepter.

4 M. TIEGER : [interprétation] Je souhaiterais que l'on attribue une cote à

5 ce document avant d'examiner l'entrée suivante.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Madame la Greffière.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pièce à conviction de l'Accusation

8 P213.

9 M. TIEGER : [interprétation]

10 Q. Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que cela fait partie d'une série de

11 cartes que vous utilisez dans le cadre de vos activités -- de votre travail

12 concernant l'ex-Yougoslavie ?

13 R. Vous voulez parler de cette carte Cvetkovic-Macek ?

14 Q. Oui.

15 R. Oui, tout à fait.

16 Q. Monsieur l'Ambassadeur, pourriez-vous ensuite examiner l'entrée du

17 journal en date du 23 novembre 1992 ? Donc je vous renvoie à l'entrée du 23

18 novembre 1992 --

19 R. [aucune interprétation]

20 Q. [aucune interprétation]

21 R. [aucune interprétation]

22 Q. Aux fins du compte rendu d'audience, la première page de cette réunion

23 porte le numéro ERN RO164155.

24 R. Oui, j'ai l'entrée en date du 23 novembre.

25 Q. Il s'agit d'une réunion avec M. Mitsotakis. Pourriez-vous nous dire qui

Page 4234

1 était cette personne ?

2 R. Oui. Il s'agit du Premier ministre grec, Constantin Mitsotakis.

3 Q. Pourriez-vous, je vous prie, vous référer à la cinquième page de cette

4 entrée portant le numéro ERN RO164157. On peut voir une entrée en haut de

5 page, M. Mitsotakis prend la parole et dit : "Le problème n'est pas le

6 pourcentage de territoire, Milo serait d'accord pour 45 %. Il me l'a dit."

7 Ensuite, on peut lire : "Difficile à accepter --"

8 R. Oui, je vois cela.

9 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire de quoi parle M. Mitsotakis ici ?

10 R. Il évoque ici une conversation qu'il a eue avec le président Milosevic.

11 Comme tout le monde le sait, les gouvernements grec et yougoslave avaient

12 des liens étroits, et beaucoup pensait, sans doute à raison, que la Grèce

13 soutenait généralement la position serbe en ce qui concerne l'ex-

14 Yougoslavie.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je préférerais ne pas vous interrompre,

16 mais nous avons ici la mauvaise page à l'écran. Ce qui nous préoccupe,

17 c'est le caractère public de ce procès, nous souhaiterions que quiconque

18 suit ce procès soit en mesure de comprendre. Si vous parlez d'une page qui

19 est une page différente de celle qui apparaît à l'écran, cela pose un

20 problème.

21 M. TIEGER : [interprétation] Il va falloir placer cette page sur le

22 rétroprojecteur.

23 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]

24 M. STEWART : [interprétation] Je souhaiterais formuler la même observation

25 : Il est nécessaire que le passage pertinent soit consigné correctement et

Page 4235

1 publiquement au compte rendu d'audience, car le caractère public de ce

2 procès est très important.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Veuillez m'indiquer quand je peux poursuivre.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cette page doit d'abord être placée sur

6 le rétroprojecteur. Je veux parler de la page dont les quatre derniers

7 chiffres du numéro ERN sont 4157.

8 Nous avons la bonne page à l'écran à présent.

9 Veuillez poursuivre.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Mitsotakis relatait une conversation qu'il

11 avait eue avec M. Milosevic. Ce qu'il dit, c'est que : "Le problème n'est

12 pas le pourcentage de territoire. Milosevic m'a dit qu'il serait satisfait

13 avec 45 %." Ce qu'il voulait dire par là, c'est que, si la carte proposée

14 par Vance et Owen envisageait que les Serbes de Bosnie occupent environ 45

15 % du territoire, il serait satisfait avec cela. Il pourrait l'accepter.

16 Mais il poursuit -- Mitsotakis poursuit en disant que : "Milosevic affirme

17 que ce qui est difficile à accepter est que la région accordée aux Serbes

18 de Bosnie ne soit pas ethniquement pure." Le premier ministre Mitsotakis

19 déclare ici : "Milosevic m'a dit qu'en ce qui concerne le territoire, 45 %

20 serait satisfaisant, mais ce territoire n'est pas encore ethniquement pur.

21 Nous pouvons en déduire qu'il doit être ethniquement pur." Mitsotakis

22 poursuit, en disant : "Mais nous" -- c'est-à-dire, nous les occidentaux,

23 vous, les négociateurs, nous les Grecs -- "nous ne pouvons pas admettre le

24 nettoyage ethnique, donc nous avons un dilemme." Milosevic dit : "Nous

25 pouvons prendre 45 % du territoire, les Serbes de Bosnie accepteront 45 %

Page 4236

1 du territoire, d'après Milosevic, mais seulement si ce territoire est

2 ethniquement pur, et nous ne pouvons pas faire cela à leur place. Mais nous

3 ne pouvons pas admettre cela. Nous ne pouvons pas permettre cela. Nous ne

4 pouvons pas autoriser cela, donc nous avons un dilemme." C'est ce qu'a dit

5 le premier ministre Mitsotakis.

6 M. TIEGER : [interprétation]

7 Q. Est-ce que le point de vue exprimé par le président Milosevic à M.

8 Mitsotakis correspond au point de vue des dirigeants serbes de Bosnie,

9 comme vous avez pu l'apprendre au cours de ces négociations ?

10 R. Oui. En règle générale, cela correspondait à leur point de vue, mais

11 les Serbes de Bosnie avaient une position plus radicale que celle du

12 président Milosevic. Cela ressort clairement de ce qui s'est passé en avril

13 et mai 1993 lorsque Milosevic a essayé de les convaincre de signer le plan

14 Vance-Owen et que ces derniers ont refusé. Cela s'est passé en ma présence,

15 devant mes yeux. Il y a des pages de ce journal qui concernent cette

16 question particulière. Là encore, en mai 1993, lorsque le président

17 Milosevic s'est adressé à l'assemblée des Serbes de Bosnie dont M.

18 Krajisnik était président, et s'est déclaré en faveur de l'acceptation et

19 de la ratification du plan par les Serbes de Bosnie. Il s'est avéré que le

20 Dr Karadzic s'est opposé à ce plan, comme le reste des dirigeants serbes de

21 Bosnie, mais qu'il l'a signé sous la contrainte.

22 Deux semaines plus tard, l'assemblée des Serbes de Bosnie a rejeté ce plan

23 et s'en était terminé. Bien que leur point de vue soit plus ou moins

24 similaire, les dirigeants serbes de Bosnie étaient plus radicaux que le

25 président Milosevic.

Page 4237

1 Q. Je souhaiterais, à présent, que nous parlions de l'entrée du 6 janvier

2 1993 qui porte le numéro ERN R0164271.

3 M. STEWART : [interprétation] Un petit point, un problème qui se pose

4 régulièrement dans ces passages du journal du témoin, ce sont les

5 astérisques. Je pense qu'il serait utile de savoir d'où viennent ces

6 astérisques.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense que le témoin a déclaré que,

8 lorsqu'il s'agissait de questions importantes, il avait apposé, à côté des

9 passages importants, des astérisques. Mais il n'a pas parlé

10 "d'astérisques", il a parlé d'étoile.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, d'étoile.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, il a parlé "d'étoile" hier, et non

13 pas "d'astérisque."

14 M. STEWART : [interprétation] Oui. Peu importe qu'il s'agisse d'une

15 "étoile" ou d'un "astérisque", mais ceci était une remarque de nature

16 générale qui concerne l'ensemble des documents que nous avons examinés

17 jusqu'à présent.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Puis-je répondre à cette question ?

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] A chaque fois que j'entendais quelque chose

21 qui me paraissait important, sur le moment, je notais, à côté des passages

22 que je couchais sur le papier, un petit signe ou quelque chose pour me

23 rappeler qu'il s'agissait de quelque chose d'important. C'est pour cela que

24 ces petits signes apparaissent tout au long du journal, qui comporte un

25 millier de pages.

Page 4238

1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est ce que cela signifie. Ce sont des signes

3 qui ont été apposés à l'époque à propos de passages que je jugeais

4 importants.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est bien comme cela que j'avais

6 compris votre déposition d'hier.

7 Veuillez poursuivre, Monsieur Tieger.

8 M. TIEGER : [interprétation]

9 Q. Je souhaiterais attirer votre attention sur l'un des passages marqués

10 par une étoile, et cela figure en bas, à droite, de la deuxième page de

11 votre journal. En ce qui concerne cette entrée, M. Milosevic s'exprime et

12 indique : "Qu'il a parlé 'brièvement' à Karadzic la veille au soir. Lui et

13 Krajisnik souhaiteraient se mettre d'accord afin de mettre en œuvre sur la

14 constitution." Il est question de "fédération" ou de "confédération". A

15 l'entrée qui figure juste en dessous, "Karadzic et Krajisnik pensent

16 qu'Izzie ne veut pas la paix et il veut provoquer une intervention

17 étrangère."

18 Est-ce que vous pouvez nous en parler, s'il vous plaît.

19 R. Cette entrée est en date du 6 janvier. Quelques jours plus tôt, le plan

20 de paix Vance-Owen avait été présenté officiellement aux trois parties

21 belligérantes, si bien que les pourparlers étaient entrés dans une phase

22 plus sérieuse et plus officielle. Donc, le plan de paix comportait trois

23 parties, une partie énonçant neuf principes constitutionnels pour la

24 Bosnie-Herzégovine; une deuxième partie concernant les mesures au plan

25 militaire; et troisièmement, une carte. Donc, il s'agissait là des trois

Page 4239

1 parties constituantes du plan de paix Vance-Owen. Premièrement, les

2 principes constitutionnels; deuxièmement, les mesures militaires; et,

3 troisièmement, la carte.

4 S'agissant des principes constitutionnels, il est dit que -- le troisième

5 dit que les lois de Bosnie-Herzégovine ne laissaient pas de place à la

6 Republika Srpska, que la législation qui concernait directement les

7 intérêts vitaux des trois peuples constitutifs devait être convenue par

8 consensus; c'est-à-dire, en d'autres termes, que si une question concernait

9 directement les Serbes de Bosnie, les Croates de Bosnie ou les Musulmans,

10 il fallait parvenir à un accord par consensus.

11 Mais toutes les autres lois concernant la Bosnie-Herzégovine, ne seraient

12 pas convenues par consensus. Il n'y avait pas de veto. En fait, ces

13 principes évoquent cela de façon explicite, à savoir que toutes les autres

14 règles juridiques et les autres règles en matière de législation ne

15 pourraient pas faire l'objet d'un veto. C'est le terme utilisé dans ces

16 principes.

17 Comme nous l'avons dit un peu plus tôt, l'un des objectifs des Serbes de

18 Bosnie, l'un de leurs six objectifs en temps de guerre, était de bénéficier

19 d'un droit de veto au sujet de toutes les activités du gouvernement central

20 de Bosnie, toutes les décisions prises par ce gouvernement central.

21 Milosevic dit, j'ai parlé avec le Dr Karadzic. Karadzic et Krajisnik

22 veulent qu'un principe de consensus s'applique concernant la constitution.

23 En d'autres termes, absolument tout.

24 Ils souhaitent également une fédération ou une confédération et ils

25 n'étaient pas prêts à accepter un État bosniaque -- un seul et même État

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1 bosniaque. Ils voulaient la création d'une Republika Srpska. Ils disaient,

2 fréquemment, nous voulons une fédération d'État ou une confédération de

3 trois États, ce qui était le cas dans le plan Cutileiro, ou deux États.

4 Car, plus tard, pas à ce stade, mais après mars 1993, les Musulmans de

5 Bosnie et les Croates de Bosnie ont formé une fédération. Cette fédération

6 existait davantage sur le papier que dans la réalité, mais elle a été

7 appelée fédération bosno musulmane et bosno croate. Elle existe encore à ce

8 jour. Il y a une délimitation prévue dans les accords de Dayton entre la

9 Fédération et la Republika Srpska. Il affirmait ici : Nous voulons une

10 fédération ou une confédération.

11 Ils poursuivent, en disant que le Dr Karadzic et M. Krajisnik pensent que

12 M. Izetbegovic ne veut pas la paix, il souhaite provoquer une intervention

13 étrangère.

14 Q. Est-ce que vous pensiez qu'il était important que le Président

15 Milosevic fasse référence à Karadzic et à Krajisnik en expliquant les

16 souhaits des Serbes de Bosnie ?

17 R. Important, de quelle manière ?

18 Q. Il est fait référence ici à Karadzic et à Krajisnik et pas à d'autres

19 dirigeants serbes de Bosnie. Est-ce que c'est important à vos yeux ?

20 R. Il parlait avec les deux dirigeants principaux. Nous savions qui ils

21 étaient, cela confirmait ce que nous savions déjà.

22 Je ne me serais pas attendu à ce qu'il dise : "J'ai parlé avec Buha,

23 ou Lukic, ou Koljevic." Non, il parlait, très clairement, de Karadzic et de

24 Krajisnik, car c'étaient eux les hauts dirigeants.

25 Q. Pourrais-je attirer votre attention sur l'entrée suivante, celle du 11

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1 janvier 1993 ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Est-ce que je pourrais apporter une correction

3 à ce que j'ai dit un peu plus tôt, s'il vous plaît ?

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque je parlais de la règle de consensus,

6 eu égard aux principes constitutionnels prévus au plan Vance-Owen, j'ai dit

7 que je pensais qu'il s'agissait du troisième point. En fait, il s'agit du

8 quatrième point. D'après les principes Vance-Owen, je cite : "Les activités

9 gouvernementales ordinaires ne peuvent faire l'objet d'aucun veto par aucun

10 groupe."

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci de votre correction.

12 M. TIEGER : [interprétation]

13 Q. Nous parlons ici du 11 janvier 1993, numéro ERN R0164287. Si vous avez

14 ce document sous les yeux, on peut voir qu'il s'agit d'une réunion avec des

15 dirigeants serbes de Bosnie, on voit le Dr Karadzic, M. Krajisnik, M. Buha,

16 Misa Milosevic, le général Mladic, et M. Lukic.

17 Je souhaiterais attirer votre attention sur la page suivante, dont les

18 quatre derniers chiffres du numéro ERN sont 4288, nous pouvons voir des

19 commentaires de M. Krajisnik.

20 M. TIEGER : [interprétation] Avant de poursuivre je souhaiterais que cette

21 page soit placée sur le rétroprojecteur.

22 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je vais vous lire certaines parties de ces

23 commentaires pour des raisons expliquées par Me Stewart, tout à l'heure.

24 Cela commence après la note portant sur les propos tenus par M. Krajisnik

25 qui je cite : "Se félicite de nos bonnes intentions, mais il souligne la

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1 continuité territoriale et mentionne les trois conditions en bloc de

2 l'assemblée serbe."

3 R. Le mot est "trois."

4 Q. "Premièrement, la Bosnie-Herzégovine qui doit être une communauté

5 étatique composite, et nous n'avons rien dit concernant cette concession,

6 autrement dit, nous devons pouvoir avoir des relations avec d'autres

7 états." Ensuite, le numéro 2 qui se termine en un point d'interrogation.

8 Ensuite, c'est le 3, "carte inimaginable." Est-ce que vous pouvez lire la

9 suite ?

10 R. "Il est inimaginable de ne pas avoir la continuité territoriale."

11 Q. L'entrée suivante : "Le nom de l'État est très important," et

12 ensuite, "il faut ajouter le mot 'composite' et la continuité

13 territoriale."

14 M. STEWART : [interprétation] Monsieur le Président, je ne sais pas si ceci

15 est important ou pas, puisque je ne suis pas le témoin ni l'auteur du

16 journal, mais lorsque M. Tieger a lu ce qu'il a dit et ensuite il a dit "Le

17 numéro 2 se termine en point d'interrogation," je pense que c'est une

18 manière de lire qui est difficile à suivre car, clairement, le point 2 fait

19 suite au point 1. Peut-être qu'il n'est pas nécessaire de débattre de cela

20 de manière supplémentaire --

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être que le témoin peut nous

22 fournir une explication concernant le point 2.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Le point 2, c'est moi qui ai mis le point

24 d'interrogation. Il s'agit ici de quelques indications. Je me demandais

25 pourquoi il soulevait ce point, alors que nous en avions entendu parlé à de

Page 4243

1 nombreuses reprises. J'ai l'impression qu'il nous faisait, simplement,

2 perdre notre temps. Effectivement, il s'agit là d'un point qui séparait.

3 Par rapport au point 1, ce n'est pas la conséquence directe du point 1, et

4 c'est ce que j'ai indiqué.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci de cette clarification.

6 Poursuivez, Monsieur Tieger.

7 M. TIEGER : [interprétation]

8 Q. Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pourriez expliquer le contexte

9 dans lequel ces remarques ont été faites et ce que M. Krajisnik vous a

10 expliqué à vous et aux autres négociateurs ?

11 R. M. Krajisnik a dit pour une nième fois, enfin il a réitéré la position

12 standard extrême des Serbes de Bosnie, que j'avais, déjà, expliqué, à

13 savoir nous devons avoir notre propre État, qui doit avoir son propre nom,

14 nous devons avoir la Republika Srpska et avoir la continuité territoriale.

15 Nous devons avoir les Serbes. Nous devons avoir la possibilité d'avoir les

16 rapports spéciaux avec d'autres états, et cetera, et cetera. Cela, c'est

17 typique si vous voulez, la position extrême serbe typique concernant ces

18 questions-là. La seule chose qu'il n'a pas mentionnée, c'était la division

19 de Sarajevo parmi les six buts de la guerre. Il en a mentionné quatre, mais

20 il n'en a pas mentionné six, seulement quatre. Il n'a pas mentionné le

21 partage de Sarajevo, alors qu'il a mentionné cela à de nombreuses autres

22 reprises. Lors de cette intervention, il n'a pas, non plus, mentionné le

23 fait qu'il avait, absolument, besoin d'avoir le droit de veto concernant le

24 gouvernement central.

25 Ici, il n'en parle pas. Nous avons eu une présentation directe des quatre

Page 4244

1 objectifs de guerre des Serbes de Bosnie. Quatre sur six.

2 Q. Est-ce que, en particulier, vous avez compris quelque chose lorsqu'il

3 faisait référence à ses relations spéciales avec d'autres états ?

4 R. Oui. Bien sûr. Il parlait de la Serbie. C'est évident qui étaient les

5 autres états. Parfois, il parlait "des états avoisinants." Vous savez, il

6 ne s'agit pas d'Uruguay, ni des Etats-Unis, c'est la Serbie.

7 Q. Vous avez indiqué que M. Krajisnik n'a pas mentionné le partage de

8 Sarajevo dans ses remarques cette fois-ci. Est-ce que vous et les autres

9 négociateurs, est-ce que vous étiez, déjà, au courant de son point de vue

10 concernant cela ?

11 R. Le partage de Sarajevo était, probablement, le seul objectif de guerre

12 que M. Krajisnik soulignait plus que tous les autres. Nous étions,

13 entièrement, conscients de ses points de vue.

14 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite que l'on traite, maintenant, de

15 votre journal portant sur la date du 15 janvier 1993. La première page

16 comporte le numéro ERN 0174301 [comme interprété]. En haut de la page, il

17 est écrit que c'est une réunion à laquelle ont assisté M. Buha et M. Lukic

18 du côté des Serbes de Bosnie, je souhaite attirer votre attention en

19 particulier sur deux entrées que l'on trouve à la troisième page ERN qui se

20 termine par 4303. Tout d'abord, encore un point marqué par un astérisque.

21 C'est M. Buha qui parle, et l'entrée est comme suit : "Corridor, nous en

22 avons besoin. Peut-être tenir un référendum afin de décider."

23 Monsieur l'Ambassadeur, à quoi fait-on référence ici ?

24 R. Est-ce que vous pouvez me dire de quoi vous parlez ? Je ne vois pas

25 cela.

Page 4245

1 Q. Excusez-moi. C'est la page dont le numéro ERN se termine par 4303.

2 R. Oui, corridor. Il parle de la Posavina, de la route qui relie Belgrade

3 à Banja Luka via Bijeljina et Brcko. D'habitude, l'on faisait référence à

4 cela en tant que "corridor", ou parfois on disait simplement "la Posavina."

5 C'est la route au sud de la rivière de Sava. "Posavina", cela veut dire la

6 région autour de la Sava. Soit en disait "Posavina" ou "le corridor." Ceci

7 reliait la capitale de Serbie et la capitale des Serbes de Bosnie à Banja

8 Luka. Il s'agit d'une route est-ouest.

9 Q. En ce qui concerne la référence au référendum et, également, la

10 dernière entrée de la même page, M. Buha dit : "Pour Karadzic, identifiez

11 les zones controversées et résoudre cela sur la base d'un référendum."

12 R. A ce moment-là, comme nous l'avons déjà dit, les Serbes de Bosnie

13 contrôlaient environ 70 % de la Bosnie. Le nettoyage ethnique était,

14 presque, terminé. Par conséquent, la proposition d'organiser un référendum

15 était, certainement, dans l'intérêt des Serbes de Bosnie, puisque très peu

16 de Musulmans ou des Croates de Bosnie étaient là, capables de voter. Ils

17 étaient, tous presque, en Allemagne, en Croatie, ou ailleurs. En 1993 déjà,

18 il y avait environ 900 000, presque un million de personnes déplacées dans

19 un pays qui comptait quatre million d'habitants en 1991. Il s'agissait-là

20 d'un nombre énorme de personnes déplacées. Par conséquent, si l'on

21 organisait un référendum dans des zones, préalablement, nettoyées

22 ethniquement, ceci était, totalement, dans l'intérêt de celui qui avait

23 procédé au nettoyage ethnique. Mais bien sûr, personne n'allait entrer dans

24 ce genre d'argument avec les Serbes de Bosnie.

25 Q. Monsieur l'Ambassadeur, peut-être que nous pourrions nous pencher sur

Page 4246

1 le journal portant sur la date du 26 janvier 1993.

2 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je vois quelle heure il

3 est.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je regarde l'heure. J'essaye de le

5 faire discrètement, mais je pense que nous pourrions, effectivement,

6 procéder à une pause. Nous allons avoir une pause jusqu'à six heures moins

7 dix, et ensuite nous allons poursuivre nos travaux jusqu'à sept heures.

8 --- L'audience est suspendue à 17 heures 30.

9 --- L'audience est reprise à 17 heures 55.

10 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

11 Q. Monsieur l'Ambassadeur, avant la pause j'ai attiré votre attention sur

12 une réunion qui a eu lieu le 26 janvier 1993, et le numéro ERN de la page

13 R0164344.

14 Les quatre derniers chiffres peuvent vous aider à trouver cet endroit;

15 c'est 4344.

16 R. Oui, je l'ai.

17 Q. Monsieur l'Ambassadeur, apparemment ceci porte sur une réunion avec le

18 Dr Karadzic et M. Krajisnik. Tout d'abord, je souhaite vous poser la

19 question suivante : est-ce que vous-même et le secrétaire Vance et Lord

20 Owen, est-ce que vous avez parfois rencontré les chefs de délégations au

21 cours des discussions ?

22 R. Ah, oui, fréquemment. Nous avons eu des discussions bilatérales. Elles

23 faisaient partie des négociations, de toutes négociations. On rencontre

24 tout le monde en plénière, mais après on rencontre les parties aussi

25 individuellement.

Page 4247

1 Q. Est-ce que les efforts étaient parfois déployés afin de rencontrer des

2 chefs de délégations, des hauts responsables qui présidaient les

3 délégations ?

4 R. Oui.

5 Q. Cette réunion en particulier, est-ce qu'il en faisait partie ?

6 R. Oui.

7 Q. Je souhaite attirer votre attention sur deux entrées au fond de la page

8 à droite portant sur quelque chose qui s'est passé suite à une discussion

9 concernant les discussions et les négociations en cours. Dans votre

10 journal, vous dites, je cite : "Non pas seulement 43 %, mais une barre dans

11 100 %. Pensez aux structures, institutions, non pas seulement la

12 géographie." Ensuite, vous avez la réponse de M. Krajisnik : "Jamais." Est-

13 ce que vous pouvez expliquer le contexte de ces remarques et leur

14 importance, s'il vous plaît ?

15 R. Oui. Lorsque l'on a discuté de la carte du plan Vance-Owen, les Serbes

16 de Bosnie étaient majoritaires dans trois provinces sur les dix qui

17 faisaient partie de l'État de Bosnie Herzégovine. Dans trois de ces

18 provinces, les Serbes de Bosnie étaient majoritaires. Ces trois provinces

19 faisaient 43 % du territoire de la Bosnie Herzégovine. Les Serbes de Bosnie

20 occupaient, comme nous l'avons déjà dit, 70 %. Donc, ils ont dû se retirer

21 de manière tout à fait importante de 40 % de la terre qu'ils contrôlaient.

22 Ils disaient que 43 % ne leur suffisait pas.

23 Avant cela, vous avez remarqué que le Dr Karadzic avait dit qu'il

24 souhaitait échanger Ozren, une montagne au sud-est de Doboj dans la Bosnie

25 centrale contre quelque chose autour de Prijedor. Il s'agissait de ce genre

Page 4248

1 de conversation. Elles étaient tout à fait fréquentes. On parlait de la

2 géographie. On parlait des échanges de certaines régions contre d'autres

3 régions.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je veux simplement vous interrompre

5 momentanément. Si l'on se penche sur ces pages-là, je vois qu'à gauche en

6 haut, je vois la date du 26 janvier 1993, mais à droite dans la page, je

7 vois une page qui me paraît être celle du 23. Est-ce que vous pourriez me

8 confirmer s'il s'agit effectivement d'une même réunion ou peut-être c'est

9 une erreur ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est une erreur.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, cela me satisfait entièrement, mais

12 je voulais être sûr qu'il n'y avait pas d'autres dates.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, visiblement puisque c'était l'année 1993,

14 j'ai repris le numéro 3 et je l'ai placé après le numéro 2 au lieu d'écrire

15 le 26, donc c'est devenu le 23. Effectivement, c'est une erreur.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup.

17 Veuillez poursuivre, Monsieur Tieger.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, ce genre de discussions 43 %, et cetera,

19 c'étaient des discussions infinies, et je disais, mais vous n'avez pas

20 seulement les 43 %. Il s'agit d'un seul État. Selon le plan Vance-Owen, les

21 principes constitutionnels entérinent les libertés de la circulation dans

22 l'ensemble de pays, donc vous faites partie de 100 %. Vous n'êtes pas

23 simplement isolés et limités à 43 % du pays puisque vous allez vivre dans

24 l'ensemble du pays. C'est ce que je disais; vous faites partie de 100 %

25 d'un État.

Page 4249

1 J'ai continué, j'ai dit : pensez aux structures, aux institutions dans

2 lesquelles vous allez participer entièrement sur la base du pied d'égalité

3 avec les autres, ne pensez pas seulement à la géographie. M. Krajisnik a

4 dit : Ah non, jamais. Inacceptable. Impossible. Nous n'envisageons pas les

5 choses comme cela. Donc, il a rejeté cette conversation.

6 M. TIEGER : [interprétation]

7 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite maintenant attirer votre attention

8 sur une réunion qui a eu lieu un peu plus tard, ce même jour vers 17

9 heures. Ceci figure à la page R0164346. C'est une réunion à laquelle on

10 assistait M. Krajisnik, M. Karadzic, M. Buha du côté serbe, et M.

11 Izetbegovic et Silajdzic du côté des Musulmans de Bosnie, et les

12 négociateurs internationaux ?

13 R. Un interprète.

14 Q. Oui. Merci.

15 Apparemment, sur la base de la discussion reflétée dans vos notes, on

16 souligne plusieurs choses, y compris Sarajevo. Je le dis notamment car je

17 souhaite attirer votre attention sur une entrée à la page suivante qui se

18 termine par 4347 dans la dernière ligne au fond à droite.

19 Cette entrée est un commentaire de M. Krajisnik. D'après vos notes, l'on y

20 lit : "Surpris que les 'partenaires' n'acceptent pas cette proposition. Ils

21 savent très bien que Sarajevo est la ville la plus grande serbe en Bosnie-

22 Herzégovine et la deuxième ville la plus grande serbe dans l'ensemble de

23 l'ex-Yougoslavie."

24 Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pouvez expliquer le contexte de

25 cette remarque, la nature des discussions à l'époque, et son importance ?

Page 4250

1 R. Oui. La discussion portait sur le partage de Sarajevo. C'était un thème

2 récurant. Nous avons fait venir les leaders des Musulmans de Bosnie, à

3 savoir, le président Izetbegovic et son ministre des Affaires étrangères,

4 Haris Silajdzic, avec les deux leaders serbes de Bosnie, M. Karadzic et M.

5 Krajisnik, et il y avait nous également. Nous avions des discussions face-

6 à-face concernant le statut futur de Sarajevo. C'était cela qui était au

7 fond de la discussion, et cela est reflété amplement à travers mes notes.

8 La différence de l'opinion était que le camp des Musulmans de Bosnie, comme

9 vous voyez, Izetbegovic réitérait sa position selon laquelle Sarajevo

10 devait être traitée comme "tout autre ville." Ceci figure au début de la

11 conversation à la page qui se termine en 346. Je cite, "Réitère la position

12 de traiter Sarajevo comme tout autre ville." Ensuite, à la page suivante,

13 Lord Owen essaie de trouver une formule afin de partager la ville

14 conformément à un accord, et visiblement ceci ne marche pas.

15 Izetbegovic dit ensuite : "Si l'on partage un opstina c'est la même chose

16 que de partager un pays" parce que c'était l'une des suggestions que Lord

17 Owen a fait auprès des parties : peut-être vous pourriez partager un

18 opstina, et Izetbegovic est en désaccord. Comme vous pouvez voir, Lord Owen

19 et Izetbegovic se sont penchés sur une carte, et Karadzic est intervenu

20 pour dire : "Nous allons avoir besoin de garanties internationales," et

21 cetera. C'était tout.

22 Vers la fin, M. Krajisnik parle, puisque la discussion a duré pendant un

23 certain temps, et c'est la fin, je vois que c'était après 6 heures, alors

24 que la discussion avait commencé à 5 heures, ils avaient passé plus d'une

25 heure au sujet de ce seul point de Sarajevo. Quel allait être le règlement

Page 4251

1 concernant Sarajevo ? Comment Sarajevo allait être gouverné ? Et cetera.

2 M. Krajisnik dit qu'il est surpris que les partenaires, à savoir, les

3 Musulmans de Bosnie n'acceptent pas la suggestion des Serbes de Bosnie de

4 partager la ville. Ensuite, il dit qu'ils savent parfaitement que Sarajevo

5 avait plus d'habitants serbes que toutes les autres villes en Bosnie-

6 Herzégovine et plus d'habitants serbes que tout autre ville sauf Belgrade

7 en ex-Yougoslavie. Il souligne l'importance de Sarajevo pour les Serbes de

8 Bosnie. Comme je l'ai déjà dit, c'était une question très importante pour

9 M. Krajisnik, Sarajevo. Sa ville natale.

10 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite vous poser une question concernant

11 le langage contenu dans cette entrée. Est-ce que vous vous souvenez que si

12 M. Krajisnik a dit qu'à son avis Sarajevo jusque-là était une ville serbe

13 et une ville musulmane, et pas une ville unique, multiculturelle, mixte ?

14 R. Non, je ne pense pas. Il faudra lui poser cette question à lui, mais je

15 n'ai jamais eu cette impression. Il la considérait avec les autres leaders

16 serbes, notamment le Dr Karadzic, que les Serbes allaient être menacés dans

17 cette ville, tout comme ils allaient être menacés dans une Bosnie

18 indépendante, à moins qu'ils aient leur propre république et leur propre

19 zone de Bosnie.

20 Q. Nous allons continuer en ce qui concerne ce même sujet et peut-être

21 nous pourrions attirer votre attention sur l'entrée du

22 27 janvier 1993. On peut trouver cela à la page R0164352. C'est une réunion

23 qui a commencé à 15 heures 40 dans l'après-midi et qui s'est terminée à 17

24 heures 10 dans l'après-midi. Mis à part les négociateurs, ont assisté le Dr

25 Karadzic, M. Krajisnik et M. Buha.

Page 4252

1 R. Oui, la réunion s'est poursuivie le lendemain, qui a porté sur les

2 questions de Sarajevo et ce qu'il fallait faire au sujet de Sarajevo. Ils

3 ont traité des propositions différentes. Ils ont proposé des formules

4 différentes. On les rejetait. On se penchait sur des cartes différentes et

5 après on les écartait. M. Krajisnik dit directement, la seule solution est

6 de diviser Sarajevo. C'était la position des Serbes de Bosnie; la seule

7 solution était de diviser Sarajevo.

8 Q. Cela voulait dire que les Musulmans devaient vivre d'un côté, les

9 Serbes de l'autre ?

10 R. Oui, et j'ai répondu à cela. J'ai fait remarqué que ceci n'était pas

11 acceptable et qu'une telle séparation était complètement inacceptable. J'ai

12 cité l'exemple de Berlin, de Beyrouth, et de Nicosie, en tant qu'exemples

13 de villes divisées. J'ai dit que ceci n'était pas acceptable pour la

14 communauté internationale.

15 Q. Monsieur l'Ambassadeur, peut-on maintenant nous pencher sur le journal

16 portant sur la date du 29 janvier 1993. Le numéro ERN RO164558. Excusez-

17 moi, 4358.

18 R. Oui.

19 Q. Il s'agit ici d'une réunion trilatérale entre les Serbes de Bosnie, les

20 Croates de Bosnie, et les Musulmans de Bosnie. Est-ce exact ?

21 R. Oui, le gouvernement bosnien, et Silajdzic, qui était à la tête de la

22 délégation bosniaque. Izetbegovic, je ne sais pas pourquoi, n'a pas assisté

23 à cette réunion, comme vous pouvez le voir, mais sinon, tous les leaders

24 les plus importants y étaient : Boban, Mate Boban et Akmadzic pour les

25 Croates; le Dr Karadzic et

Page 4253

1 M. Krajisnik, mais Izetbegovic n'y était pas.

2 Q. Après cette réunion trilatérale, immédiatement après, vous et Lord Owen

3 et le secrétaire Vance, vous avez eu une réunion bilatérale avec les Serbes

4 de Bosnie à 4 heures. Encore une fois, ont assisté le Dr Karadzic, M.

5 Krajisnik et M. Buha. Je souhaite attirer votre attention sur les premières

6 entrées portant sur cette réunion-là, le Dr Karadzic critique une

7 déclaration faite par Lord Owen concernant les Serbes, notamment

8 l'interview dans le Tribune de Genève.

9 R. Excusez-moi, Monsieur. Il fait référence à un journal, la Tribune de

10 Genève.

11 Q. Oui. Il fait part de ses préoccupations. Vous avez dit que : ?Nous

12 avons incendié des villages, mais beaucoup plus de villages serbes ont été

13 incendiés par les Croates ou par les Musulmans, et cetera, et cetera. Est-

14 ce que ceci représente encore un exemple de leur réponse aux allégations

15 portant sur le nettoyage ethnique, lorsqu'il disait simplement que les

16 autres faisaient la même chose ?

17 R. Oui, il s'agit d'un exemple de cela.

18 Q. Est-ce nous pourrions maintenant nous pencher sur la page suivante,

19 numéro R064360. Vous avez ici que M. Krajisnik a pris la parole. Il a dit

20 d'après ce que vous avez noté : "J'avoue que vous avez essayé, mais vous

21 n'avez pris en compte que les arguments des Musulmans. Nous devrions

22 terminer cela en Bosnie-Herzégovine." Est-ce que vous pouvez expliquer le

23 contexte ?

24 R. Il dit la même chose d'une autre manière: ?Partageons Sarajevo. Si nous

25 le faisons de manière réussie, nous aurons les Musulmans d'un côté et les

Page 4254

1 Serbes de l'autre côté. Dans ce cas-là, nous serons satisfaits et nous

2 allons cesser les combats.? Parce qu'encore une fois, j'attire votre

3 attention sur le fait qu'à ce moment-là, les Serbes de Bosnie, leur armée,

4 contrôlait 70 % de la Bosnie. Les Serbes de Bosnie étaient plutôt

5 satisfaits de la situation. La ligne de front était là où ils les

6 souhaitaient.

7 M. Krajisnik est en train de dire très poliment : "Si on trouve une

8 solution pour Sarajevo, nous pouvons arrêter nos activités partout

9 ailleurs, et nous aurons résolu le problème de la Bosnie-Herzégovine."

10 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite attirer votre attention sur

11 l'entrée du journal en date du 6 mars 1993, à la page R0164441.

12 Les Serbes de Bosnie qui ont assisté à cette réunion, ce sont le Dr

13 Karadzic, Dr Koljevic, M. Krajisnik, M. Buha, et M. Lukic. Je souhaite

14 attirer votre attention tout d'abord sur les trois premières entrées

15 concernant cette réunion-là. Tout d'abord, c'est le

16 Dr Karadzic qui parle. Il dit : "Votre carte est inacceptable," et cetera,

17 et cetera. Notre peuple ne l'acceptera jamais, et cetera." Ensuite, le

18 secrétaire Vance répond, en disant : "Vous devez l'accepter. Comportez-vous

19 comme un vrai dirigeant." Que disait le secrétaire Vance à Karadzic dans

20 cette discussion ?

21 R. C'est évident, il lui disait d'accepter cela, de prendre le rôle du

22 dirigeant et de diriger son peuple dans la direction de ses propres

23 intérêts, les intérêts de son peuple.

24 Q. Ensuite, il est écrit que M. Krajisnik a pris la parole et il a dit :

25 "Je vais être sincère, la carte, inacceptable."

Page 4255

1 R. Il réitère pour une énième fois que la carte est inacceptable.

2 Q. Après que le secrétaire Vance a dit ce qu'il a dit au

3 Dr Karadzic, vous me dites que votre population ne veut pas accepter cela.

4 Je vous dis, soyez un vrai dirigeant et accepter cela. Est-ce que c'est

5 suite à cela que M. Krajisnik a dit : "Je vais être honnête, je vais être

6 sincère." Ensuite, il a sincèrement exprimé son opinion concernant

7 l'acceptabilité de ces cartes, quelle que soit la position du peuple ou du

8 Dr Karadzic ?

9 R. Oui. Il fait part de sa propre opinion, mais aussi du parlement Serbe

10 de Bosnie. Il a un rôle de contrôle au sein de ce parlement. C'est pour

11 cela qu'il dit : "Je vais être sincère." Il dit à M. Vance : "Ne perdez pas

12 votre temps en essayant de convaincre Karadzic d'accepter cette carte. Là,

13 c'est tout à fait clair, ce qu'il dit, n'y a pas de doutes ni d'ambiguïté

14 dans cette déclaration.

15 Q. A la page suivante, qui comporte le même numéro ERN, nous avons une

16 discussion entre M. Buha, Lord Owen, ensuite M. Karadzic, M. Krajisnik et

17 M. Buha. Il est dit comme suit, M. Buha dit : "Je suis désolé de vous

18 corriger, mais je pense que le lien doit passer par Visegrad." Ensuite, le

19 Dr Karadzic, M. Krajisnik et M. Buha disent tous : "Non, c'est pas

20 possible. Il s'agit des territoires serbes." Il y a une référence, "Tout le

21 monde est en train de sourire," et cetera. Est-ce que vous pouvez expliquer

22 cela ?

23 R. Il s'agit d'un territoire qui avait été ethniquement nettoyé. C'est

24 ainsi quel le territoire est devenu serbe. Vous pouvez regarder une carte

25 ethnographique de la Bosnie afin de voir quelle était la population à

Page 4256

1 Cajnica avant la guerre. J'ai une carte qui a été créée aux États-Unis et

2 qui n'émanait pas des parties elles-mêmes. J'ai une carte ici que je peux

3 vous montrer, qui porte sur Cajnica, sur la Drina. Nous avons tous souri

4 parce qu'effectivement, il s'agissait-là d'un territoire serbe, car le

5 territoire a été nettoyé ethniquement des Musulmans. M. Krajisnik le sait,

6 nous le savons, et il sait que l'on le sait. Il s'agit là d'un dialogue de

7 sourd. C'est pour cela que nous ne l'avons pas poursuivi. Il s'agissait

8 d'un argument standard des Serbes. Au fond, leur position était ce qui nous

9 appartient nous appartient, et ce qui appartient aux autres nous faisons en

10 sorte que cela nous appartienne aussi. C'était cela.

11 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je suis en train de me pencher sur une carte

12 que nous avons déjà eue. Je ne sais très exactement comment elle a été

13 marquée, mais c'est la carte qui avait été –

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense que c'est la carte P211, n'est-

15 ce pas ?

16 M. TIEGER : [interprétation]

17 Q. Je me penche sur les statistiques qui étaient le résultat du

18 recensement de 1991, les chiffres démographiques de Rudoo, Cajnice et

19 Visegrad.

20 R. Oui.

21 Q. Il y est écrit, corrigez-moi si je me trompe, que Visegrad, c'est

22 Musulman à 63 % et 33 % Serbe; Rudoo 71 % Serbe, 27 % Musulman; Cajnice 53

23 % Serbe et 45 % Musulman.

24 R. Visegrad ? Oui, je vois, merci.

25 Q. En toile de fond, les discussions semblaient porter sur le corridor

Page 4257

1 musulman de Sandzak, et porte sur les préoccupations à propos du corridor

2 de Posavina, si je regarde un petit peu en arrière, les dénotations qui ont

3 été faites à propos de cette réunion.

4 R. Je vais vous donner le contexte de cette discussion. C'étaient des

5 Serbes de Bosnie qui réitéraient toujours la même chose indéfiniment. Ils

6 précisaient que c'était un des défauts de cette carte Vance-Owen. C'est que

7 plus de 40 % des Serbes qui se trouvaient en Bosnie-Herzégovine n'étaient

8 pas dans des provinces où les Serbes avaient la majorité, si les Serbes

9 vivaient en dehors de ces provinces. Ce qui était un fait. C'est quelque

10 chose qui avait été fait tout à fait sciemment par les négociateurs, car

11 ils ne souhaitaient pas simplement reprendre le même schéma qu'une Bosnie

12 divisée au plan ethnique pendant la guerre ; ils voulaient un État où les

13 différents peuples pouvaient vivre ensemble et protégés par le droit

14 international, et les garanties de la liberté de circulation, un État

15 démocratique, où tout un chacun pouvait vivre ensemble dans un seul et même

16 État.

17 Cette carte n'était pas dessinée sur la lune. Les gens vivaient là où ils

18 vivaient. Il y avait des peuples majoritaires dans certaines régions.

19 L'Herzégovine était à 90 % habitée par des Croates de Bosnie. La Cazinska

20 Krajina, la poche de Bihac, comme on l'appelait, quelques municipalités ou

21 opstina, qui avaient une population musulmane à 90 %. Velika Kladusa, par

22 exemple, il y avait les provinces comme Rudoo, Bijeljina qui étaient

23 peuplées en grande partie par des Serbes. La carte Vance-Owen était censée

24 éliminer cela et permettre les échanges, permettre la mixité le plus

25 possible. Ce mélange entre les peuples, c'était un anathème pour les Serbes

Page 4258

1 de Bosnie. Vous voyez que Buha, par exemple, le dit. Peut-être que c'était

2 la personne qui en parlait de la façon la plus véhémente. Il est assez

3 grossier. C'est un personnage assez grossier, il s'exprime également de

4 cette façon. Il parle comme cela. C'est son style.

5 Si vous remarquez en bas de la page, fin de page 4411, Buha a dit : "Le

6 concept même de cette carte est erronée. 50 % des Serbes vivaient en dehors

7 des provinces serbes." Cela représente moins de

8 50 %. C'était de l'ordre de 40 à 45 %. Ensuite, il poursuit en disant:

9 "Vous avez violé vos propres principes en octobre 1990. Il s'agit là de la

10 viabilité et de la cohérence de vos provinces." Ce qui est une fausse

11 déclaration, ceci n'est pas vrai. Ensuite, il poursuit en disant: "Les

12 provinces numéro 4 et 6 sont trop petites, elles ne sont pas viables."

13 Voilà le contexte.

14 Lord Owen a répondu à cette réclamation de Buha à propos des provinces

15 numéro 6, que ceci était très éloigné par rapport à ce qui avait été

16 dessiné sur la carte. Il dit : "Cela ressemble à cela de façon à ce que

17 vous puissiez bloquer le corridor musulman de Sandzak, de la même façon que

18 la Posavina a bloqué votre corridor." C'était une province à majorité

19 croate et musulmane de la Posavina. La carte Vance-Owen a posé obstacle à

20 ce corridor. Les Serbes n'étaient pas satisfaits de cela, parce que l'un de

21 leurs principaux actes consistait à corriger cela depuis Belgrade, et la

22 carte Vance-Owen n'a pas fait cela. Owen indiquait ceci à propos de la

23 carte Vance-Owen. Il ne donnait pas aux Musulmans de Bosnie leur corridor

24 de Sandzak. Ce qui est une région musulmane de Serbie. Lui, Buha, ensuite,

25 semble marquer un point dans l'argumentation qui lui semblait important en

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1 disant que le lien avec Sandzak était Vesigrad. C'est cela le contexte du

2 débat.

3 Q. Ensuite, Lord Owen précise : ?Si vous voulez Vesigrad, donnez le

4 gouvernement de Rudoo et Cajnice. La réponse des Serbes de Bosnie, de la

5 délégation de Bosnie était de dire : ?Nous ne pouvons pas faire cela, il

6 s'agit du territoire serbe

7 R. Très bien.

8 M. STEWART : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agit de la page

9 qui se termine par 4411. En fait, 4441.

10 R. Très bien. Merci, je vous remercie.

11 R. Après ce débat inutile, le Dr Karadzic a changé de sujet. Je dois vous

12 préciser ce qui est assez habituel. Il savait qu'il s'agissait là d'un

13 débat inutile. Il a dit : "Parlons d'autres sujets." Etant donné que nous

14 nous trouvions à New York, il a évoqué le prix élevé des hôtels à New York.

15 Ce qui semblait le gêner. Les deux côtés savaient que ce débat,

16 malheureusement, n'allait pas aboutir.

17 Q. Je vais maintenant passer à la page suivante. Il s'agit de la même

18 réunion, Monsieur l'Ambassadeur, et le numéro ENR qui se termine par 4442,

19 à droite de la page, vous avez indiqué que

20 M. Krajisnik a soulevé deux points. Il est précisé ici, "J'ai deux

21 questions pour aider si je puis être utile. (A) A quoi correspond la

22 province numéro 3 ?" Ici entre parenthèses, il est déclaré que CRV ou le

23 secrétaire Vance précise que nous voulons une nouvelle nation". Tous les

24 Serbes répondent : "C'est ce que nous ne voulons pas." Le

25 Dr Karadzic de dire : "Les Serbes souhaitent être Serbes et les Croates des

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1 Croates."

2 R. Très bien, mais quelle est la question ?

3 Q. Monsieur l'Ambassadeur, s'agit-il là d'un autre exemple de cette

4 insistance que la Bosnie soit vraiment séparée ou sépare les Musulmans, les

5 Serbes et les Croates, c'est-à-dire, une ségrégation des Musulmans d'un

6 côté, des Serbes de l'autre et des Croates encore de l'autre ?

7 R. Oui, tout à fait. M. Krajisnik pose une question à propos de la

8 province numéro 3. Ensuite, le secrétaire Vance répond en disant : "Que

9 nous n'agissons pas ainsi sur le principe de la division ethnique. Nous

10 allons mettre en place une nation dans laquelle chacun pourra vivre

11 ensemble." Ils répondent tous en disant : "C'est quelque chose que nous ne

12 pouvons pas accepter." Car il s'agit d'un exemple si nécessité d'exemple il

13 y a, tel qu'ils voyaient les choses. Il s'agissait d'une division de ces

14 régions sur la base de région ethniquement pure.

15 Q. Ensuite, la page 4443, M. Krajisnik indique par sa question, sa

16 dernière question: "Etant donné que vous ne faites aucune concession à

17 notre point de vue, pouvons-vous nous diviser la Bosnie-Herzégovine en deux

18 ?" Ce à quoi le secrétaire Vance répond : "Non." Qu'est-ce qu'il entendait

19 par là par division de la Bosnie-Herzégovine en deux au cours de ce débat ?

20 R. Nous avons pu voir qu'il s'agissait là d'heures interminables de débat

21 sur la question de la carte. Nous sommes maintenant le 6 mars 1993. La

22 carte a été présentée aux parties depuis le mois de janvier déjà. Cela fait

23 plus de deux mois. Les débats ont porté là-dessus de façon répétée sur ce

24 sujet. Aucun accord n'a pu être conclu, et les Serbes de Bosnie n'ont pas

25 pu donner leur accord. Par conséquent, M. Krajisnik tente ici d'arriver à

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1 quelque chose et dit : "Etant donné que vous n'allez pas faire de

2 concession et tenir compte de notre point de vue, pourquoi ne pas tout

3 simplement diviser Bosnie en deux ? A ce moment-là, nous n'aurons pas

4 besoin de nous soucier de ceci. C'est la carte Vance-Owen. Pourquoi ne pas

5 simplement diviser en deux par le

6 Milieu, mais simplement l'a divisée en deux." La réponse était : ?Non, nous

7 ne pouvons pas le faire. On ne peut pas diviser le pays.?

8 Lord Owen a répondu de façon très claire : "Je remarque que des dirigeants

9 difficiles doivent être forts. Vous êtes quoi ? Vous êtes une super-

10 puissance des Etats-Unis. Vous allez agir, et cetera, et cetera. Autrement

11 dit, si vous n'êtes pas d'accord les Etats-Unis vous feront la guerre.

12 Réfléchissez-y. Le conseil de Sécurité va s'exprimer. Le temps nous

13 échappe. Ensuite, il poursuit en disant : "Je crains que la prochaine fois

14 les choses se présenteront de façon très différente pour vous." Il est en

15 train de dire aux dirigeants serbes de Bosnie, qu'ils doivent réfléchir

16 très sérieusement à ce plan de paix, parce qu'il est en train de leur dire

17 qu'ils doivent en substance choisir entre la paix et la guerre. Mais la

18 guerre avec les États-Unis non pas la guerre avec les Musulmans de Bosnie.

19 Ensuite, et je note tout à la fin en lettre capitale, j'ai souligné,

20 "Faites attention."

21 Q. Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite maintenant me tourner

22 -–

23 R. Buha se tourne vers moi et dit : "Tout est terrible pour nous."

24 Q. Est-ce que je peux vous demander de passer à la date du 25 mars 1993

25 dans votre journal. Il semble s'agir ici d'une réunion trilatérale entre

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1 les Serbes de Bosnie, et le Dr Karadzic, le Dr Koljevic, M. Krajisnik, M.

2 Lukic. Si je puis attirer votre attention rapidement sur une entrée qui

3 figure sur la page comportant le numéro ERN R0164480, s'il vous plaît.

4 Au milieu de la page il y a une entrée à propos de remarques faites par le

5 Dr Karadzic qui dit, et je cite : "Il n'y a que des représentants légitimes

6 du peuple serbe comme a dit (MB)." Nous insistons pour que l'ancienne

7 Bosnie-Herzégovine cesse d'exister et existe maintenant sous la forme de

8 trois états et peuple constitutifs dans ces états. C'est la seule façon

9 dont on peut légitimer cela." Très rapidement, il poursuit en disant quelle

10 est la position des Serbes de Bosnie ?

11 R. Oui, et MB ici correspond à Mate Boban. Il cite le dirigeant croate de

12 Bosnie et il parle en son nom. Mais comme je vous l'ai dit précédemment,

13 Boban et les dirigeants serbes de Bosnie et les dirigeants croates de

14 Bosnie avaient le même point de vue à cet égard. Autrement dit, la Bosnie-

15 Herzégovine n'existait pas en tant qu'État unitaire indépendant. Le pays

16 n'existait que sous la forme d'un État composé de trois peuples

17 constitutifs habitant chacun dans leur région respective. Nous avons vu les

18 termes "Etat composite," "Etat fédéral," "État confédéral," tous ces termes

19 ont été utilisés par tous les dirigeants serbes de Bosnie. C'est exactement

20 ce qu'ils entendaient, y compris le Dr Karadzic, M. Krajisnik. C'est cela

21 qu'ils entendaient. Il répète ceci maintenant. Il cite le dirigeant croate

22 Mate Boban et le cite en disant qu'il était d'accord avec lui et c'était

23 exact.

24 Q. Monsieur l'Ambassadeur, puis-je attirer votre attention sur la date du

25 21 avril 1993, qui correspond à une entrée dans votre journal et qui

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1 comporte le numéro ERN R0164518.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Entre-temps, pour les besoins du compte

3 rendu d'audience, je souhaite, s'il vous plaît, dire que la page 74 ligne

4 4, il est indiqué "MB" -- je crois que nous avons ici les lettres capitales

5 "MD", il s'agit ici de "MB". Je souhaite éviter toute confusion.

6 Poursuivez je vous prie.

7 Q. Monsieur l'Ambassadeur, ici il est fait état d'une réunion en présence

8 de M. Cosic, pourriez-vous nous dire en premier lieu qui est M. Cosic ?

9 R. Dobrica Cosic, était à ce moment-là le président de l'Yougoslavie. Un

10 écrivain serbe très distingué, et qui, à ce moment-là écrivait en prose, un

11 écrivain émérite à l'époque.

12 Q. A droite de cette même page, en regard de deux astérisques, vous avez

13 fait une annotation. Il semble que M. Cosic ait pris la parole : "J'ai

14 essayé mais je n'ai pas réussi à convaincre Karadzic/Krajisnik à accepter

15 votre carte."

16 Tout d'abord, cette entrée indique t-elle que M. Cosic dit à vous-même et

17 au secrétaire Vance, qu'il avait tenté de convaincre le Dr Karadzic,

18 Krajisnik d'accepter la proposition en question ?

19 R. Oui, c'est effectivement ce que le texte dit.

20 Q. Est-ce une illustration du point de vue de M. Cosic, du président Cosic

21 sur les dirigeants serbes de Bosnie.

22 R. Oui, il a simplement évoqué le nom des deux hauts dirigeants. Il ne

23 parle pas de Koljevic, il ne parle pas de Buha et il ne l'a jamais fait. Il

24 sait qui sont les dirigeants.

25 Q. Je souhaite porter votre attention maintenant sur un autre point au

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1 cours de cette réunion.

2 M. STEWART : [interprétation] Je comprends fort bien quel est le rôle joué

3 par l'Accusation lorsqu'ils disent que M. Krajisnik est coupable. Là, ici,

4 ils tentent de le prouver, mais simplement de laisser cette remarque de

5 côté ainsi que l'extrait de cette réunion du 21 avril 1993, à supposer

6 simplement que ceci sera repris dans le contre-interrogatoire, à mon sens

7 est peu approprié. Ce passage que M. Tieger a présenté au témoin est, bien

8 évidemment, incomplet. En toute équité, je crois qu'il faudrait le

9 compléter. Monsieur le Président, vous verrez d'après ce passage : "Je n'ai

10 pas réussi à convaincre Karadzic, Krajisnik d'accepter votre carte -–" vous

11 omettez le reste de ce commentaire. Nous estimons que c'est inapproprié.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous parlez de, après le "but".

13 M. STEWART : [interprétation] Oui, tout à fait.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lisez plus loin, M. Tieger. Lisez ce

15 passage et les lignes qui suivent, s'il vous plaît et nous verrons s'il y a

16 des commentaires particuliers suite à ces lignes.

17 M. TIEGER : [interprétation] Écoutez, moi cela ne me pose aucun problème,

18 je crois que là je ne peux pas accepter la qualification d'inapproprié pour

19 la question que j'ai posée.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais le souci que j'ai, étant donné que

21 je ne peux pas tout lire ce qui suit. Je ne sais pas si nous pouvons le

22 faire maintenant ou un peu plus tard, de répondre aux propos un peu ambigus.

23 Nous allons maintenant nous concentrer sur cette affaire en question,

24 simplement consigner au compte rendu d'audience. Nous allons traiter la

25 question de la responsabilité que vous fait porter Me Stewart, par la suite.

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1 M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

2 Q. Monsieur l'Ambassadeur, pouvez-vous compléter cette partie qui fait

3 état des commentaires de M, Cosik ? Voulez-vous bien lire ?

4 "Je n'ai pas réussi à convaincre Karadzic et Krajisnik d'accepter votre

5 carte. J'ai essayé, mais je dois vous dire que je n'avais pas d'arguments

6 très convaincants. Je vous demande d'essayer encore une fois."

7 Q. Est-ce que cela change de quelle que manière que ce soit votre point de

8 vue selon lequel, M. Cosic considère que Messieurs Karadzic et Krajisnik

9 étaient les deux hauts dirigeants des Serbes de Bosnie ?

10 R. Non.

11 Q. Pouvons-nous nous pencher sur une réunion tenue ce même jour à laquelle

12 le Président Milosevic a assisté. Cette réunion est consignée à la page

13 portant le numéro ERN R0164520. Sur la page de droite, il y a un passage à

14 côté duquel se trouve une astérisque ou une étoile. Vous retranscrivez les

15 propos du Président Milosevic de la façon suivante : "J'ai demandé à

16 Karadzic et Krajisnik ce qu'ils voulaient. Je n'ai obtenu aucune réponse

17 concrète." Mais le corridor est une question clé. (Sort une carte ethnique

18 serbe.)

19 A la page suivante, qui porte le numéro ERN R0164521, en bas à gauche, le

20 président Milosevic dit, selon vous : "Un corridor ou un équivalent est

21 vital. Ont passé de nombreuses heures avec les Serbes de Bosnie. Ils

22 insistent énormément là-dessus. Nous ne voulons pas une Grande Serbie,

23 ainsi de suite."

24 Est-ce que vous pourrez expliquer les commentaires du Président Milosevic?

25 R. Oui. Il parle du fait que la continuité territoriale dont nous avons

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1 parlé plutôt était un point fondamental pour les dirigeants serbes de

2 Bosnie, à savoir la continuité territoriale de ce qu'ils appelaient la

3 Republika Srpska. La carte Vance-Owen ne leur octroyait pas une continuité

4 territoriale. Le corridor, était au plan territorial, la région la plus

5 importante pour eux. En deuxième plan, il y avait la Drina, le corridor de

6 la Posavina, à savoir, l'axe qui reliait Belgrade à Banja Luka, en passant

7 par Bijeljina et Brcko ne dépendait pas d'eux. Il affirme que le corridor

8 est la clé, et que le corridor ou son équivalent était vital, et qu'il

9 avait passé de nombreuses heures à en parler avec les dirigeants serbes de

10 Bosnie, et qu'il ne voulait pas lâcher le morceau.

11 Je dois dire que les dirigeants serbes de Bosnie ont maintenu cette

12 position au cours de années qui ont suivi, et ont insisté sur ce point

13 lorsque le groupe de contact a élaboré sa carte en date de juillet 1994;

14 ils ont insisté sur ce point dans le cadre de l'accord de Dayton, en vertu

15 duquel Brcko, qui est le point le plus étroit, le point d'étranglement, en

16 quelque sorte, de ce corridor, avait été une municipalité musulmane. Les

17 Musulmans insistaient beaucoup là-dessus. Lors de la réunion portant sur

18 l'accord de Dayton en 1995, Monsieur Milosevic insistait sur le fait que

19 cela devait être donné aux Serbes de Bosnie. C'est dans le cadre d'un

20 arrangement ambigu, que techniquement parlant, cette région devait se

21 retrouver en quelque sorte sous contrôle international. Au bout d'un an,

22 c'est à dire en 1996, on reviendrait à la situation qui prévalait avant la

23 guerre, pour ce qui est des Musulmans de Bosnie. Voilà ce qui figurait

24 dans l'accord-cadre de Dayton. Un médiateur devait être nommé, et Brcko,

25 qui se trouvait au coeur de la Posavina, du corridor, serait restitué aux

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1 Musulmans ou au Croates qui en exerceraient le contrôle. En 2004, cet

2 endroit est toujours placé sous le contrôle des Serbes de Bosnie. De facto,

3 cette région est placée sous le contrôle des Serbes de Bosnie. Ceci montre

4 à quel point les Serbes de Bosnie considéraient que le lien direct entre

5 Belgrade et Banja Luka, en passant par Brcko, était important. Il s'agit là

6 du corridor de Posavina.

7 Excusez-moi d'avoir répondu de façon aussi longue, mais ceci indique sans

8 doute l'importance vitale que les Serbes de Bosnie accordaient, et

9 accordent toujours, à leur lien physique avec la Serbie.

10 Q. Monsieur l'Ambassadeur, puis-je vous demander d'examiner à présent

11 l'entrée du 24 avril 1993 ? Ceci figure à la page portant les numéros ERN

12 R0164531.

13 Il s'agit d'une réunion avec le Dr Karadzic, le général Mladic, et M.

14 Krajisnik. Je souhaiterais attirer votre attention sur les passages

15 concernant le commentaire du Dr Karadzic. Cela commence en bas à gauche de

16 la page de votre journal, et cela se poursuit sur la page suivante. Je cite

17 : "Nous avons été en route, et nous ne pouvons pas persuader les gens de

18 chez nous de demeurer dans la province numéro 3 (Posavina), pareil en

19 Krajina et en Herzégovine orientale." Ensuite, à la page suivante : "Le

20 même problème aux endroits où les Musulmans sont nombreux. Les gens nous

21 disent, 'où vous nous trouvez de la terre ou nous combattrons jusqu'au

22 bout'." Ensuite, il est fait mention de Kupres, Ozren, et Donji Vakuf.

23 "Notre problème pratique : où allons nous mettre ces gens ?"

24 Monsieur l'Ambassadeur, s'agit-il d'une nouvelle réflexion au sujet de la

25 position des dirigeants serbes de Bosnie selon laquelle le plan de paix

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1 Vance-Owen ne procédait pas à une ségrégation suffisante entre les

2 Musulmans et les Serbes, et était fatal?

3 R. Oui. Cela ne divisait pas le pays sur une base ethnique, comme le

4 souhaitaient les Serbes de Bosnie. Ici, le Dr Karadzic nous dit cela très

5 franchement. Il faut garder à l'esprit que nous étions à la fin du mois

6 d'avril. Le gouvernement bosniaque avait ratifié l'intégralité du plan en

7 mars 1993. Les Croates de Bosnie l'avait déjà signé en janvier, si bien que

8 le dernier parti à s'opposer au plan était les Serbes de Bosnie. Karadzic

9 était naturellement l'objet de pression, naturellement, les pressions

10 visant à ce que les dirigeants se mettent d'accord, acceptent le plan,

11 étant donné que les deux autres parties l'avaient déjà fait et, de ce fait,

12 s'ils l'acceptaient, les combats pourraient cesser. Il dit ici que cela ne

13 va pas arriver. Nous n'habiterons pas avec les Musulmans. "Les gens nous

14 disent, et cetera, et cetera, mais il ne nous dit jamais qui sont ces gens.

15 Je pense que, en fait, quand il parle de ces "gens," il parle d'Aleksa

16 Buha. Les gens nous disent, et je le cite : "Soit vous nous trouvez de la

17 terre, soit nous combattrons jusqu'au bout." Il cite Kupres, Ozren et Donji

18 Vakuf et c'est tout. Bien entendu, c'était vrai. C'était la réalité. La

19 carte Vance-Owen envisageait un pays multiethnique, et non pas un État mono

20 ethnique. Les Serbes de Bosnie rejetaient cette idée.

21 Q. Est-ce qu'il vous a dit sans ambiguïté que, en ce qui concerne les

22 régions où les Musulmans sont nombreux, cette mesure n'était pas acceptable

23 pour les Serbes de Bosnie ?

24 R. Oui, c'est ce qu'il a dit. Le même problème se pose dans les endroits

25 où les Musulmans sont nombreux. Ces propos ne pouvaient pas être plus

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1 clairs. Il était très franc avec nous.

2 Q. Page suivante, dont les quatre derniers chiffres sont 4532, je souhaite

3 attirer votre attention sur deux entrées. La première se trouve à la page

4 gauche de la page, vers le milieu où le Dr Karadzic dit : "Nous savons que

5 Kupres est aussi vital pour les Croates que la Posavina l'est pour nous.

6 Avant la guerre, nous avons conclu un accord avec Boban :

7 Kupres/Posavina.""

8 Page suivante, il demande : "Pourquoi est-ce que les Serbes de Krajina ne

9 pourraient pas échanger des terres avec nous, dans le numéro 3."

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous ne savons plus très bien où nous en

11 sommes.

12 M. STEWART : [interprétation] Nous ne savons plus, non plus.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous faites référence à la page 4332, le

14 passage qui vous intéresse commencerait à gauche, y sont relatés des propos

15 du Dr Karadzic. Je ne vois aucune entrée, à part une entrée en haut à

16 droite. Mais à ce niveau-là, les propos sont différents de ceux que vous

17 avez lus.

18 M. STEWART : [interprétation] Apparemment, il s'agit d'une réunion, tout à

19 fait, différente. Il y a eu un problème au niveau des documents et de leur

20 numérotation.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. J'attire votre attention sur le

22 fait que sur la première page, nous voyons la date du 24 avril 1993, qui

23 est un samedi; page suivante, il ne s'agit plus de Belgrade, mais de

24 Genève. La date est celle du 23 janvier 1993.

25 Mon collègue m'a montré où réside cette erreur. Si vous examinez les quatre

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1 derniers chiffres du numéro ERN, vous voyez qu'il s'agit des chiffres 4531.

2 Ensuite, on voit 4332, nous revenons, ici, environ trois mois en arrière.

3 M. TIEGER : [interprétation] Excusez-moi.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être, pourrions-nous examiner

5 l'original ?

6 M. TIEGER : [interprétation] J'examine, en ce moment même, l'original.

7 C'est à l'original que je voulais faire référence.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Mais si le document original

9 porte les chiffres 4332, et il nous reste quand même un problème sur les

10 bras.

11 M. STEWART : [interprétation] Peut-être serait-il une bonne idée que M.

12 Tieger examine cela dans la soirée de façon à ce que nous voyons cela à

13 tête reposée demain.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous voulez lui accorder 12 heures

15 complètes ?

16 M. STEWART : [interprétation] Cela apparaît logique car, de cette manière,

17 M. Tieger, pourra résoudre le problème pendant la soirée.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il est 19 heures de toute façon,

19 Monsieur Tieger.

20 M. TIEGER : [interprétation] Je souhaiterais, simplement, souligner que je

21 faisais référence au document original et non pas au journal original.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous voulez parler de l'original dans le

23 classeur, n'est-ce pas ?

24 M. TIEGER : [interprétation] Tout à fait.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il est 19 heures. Nous allons lever

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1 l'audience. Nous siégerons demain matin à 9 heures. Nous sommes dans une

2 autre salle d'audience. Nous serons dans la salle d'audience numéro II.

3 Nous allons lever l'audience et nous reprendrons nos travaux demain.

4 J'espère que vous nous éclairerez au sujet de cette numérotation.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi. Puis-je prendre la parole. Je

6 souhaiterais, simplement, dire aux Juges de la Chambre que les notes que

7 j'ai, sous les yeux, sont continues, qu'il n'y a pas d'interruption, si

8 bien que le document que j'ai sous les yeux, au moins, est exact. Il n'y a

9 pas de problème de numérotation dans le document que j'ai sous les yeux.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il est, tout à fait, possible qu'il

11 s'agisse d'un problème dans les copies qui ont été distribuées. Nous allons

12 voir ce qu'il en est des numéros ERN. Je pense qu'il ne s'agit pas du

13 problème le plus difficile que nous aurons à résoudre dans ce prétoire. M.

14 Tieger nous informera de la situation demain.

15 Nous reprendrons nos travaux demain dans la salle d'audience numéro II, à 9

16 heures.

17 [Le témoin se retire]

18 --- L'audience est levée à 19 heures 03 et reprendra le jeudi 24 juin 2004,

19 à 9 heures 00.

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