Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le vendredi 1er avril 2005

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 07.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, veuillez je vous

6 prie nous donner le numéro de l'affaire.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, affaire IT-00-39-T, le

8 Procureur contre Momcilo Krajisnik.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame la Greffière. Bonjour à

10 tous.

11 Monsieur Gaynor, êtes-vous prêt ? Je souhaite d'abord vérifier que, oui,

12 nous sommes bien en audience publique pour l'instant, mais le dispositif

13 d'altération d'image est en place.

14 M. GAYNOR : [interprétation] Oui.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Essayez de vous rappeler des moments où

16 nous sommes ou non, à huis clos partiel, parce qu'hier il y a eu beaucoup

17 trop d'expurgations nécessaires.

18 M. GAYNOR : [interprétation] Certainement, Monsieur le Président.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allons chercher le témoin maintenant.

20 Mme LOUKAS : [interprétation] Puis-je vous faire savoir, Monsieur le

21 Président, que mon interprète était dans le foyer du Tribunal, mais que

22 c'est toujours la même chose. Nous avons, nous, du côté de la Défense,

23 beaucoup de mal à faire entrer des personnes dans le bâtiment. Il attendait

24 quelqu'un du Greffe qui vienne pour lui permettre d'entrer dans le bâtiment.

25 A un moment donné, je ne sais pas exactement quand mon interprète me

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1 rejoindra dans le prétoire.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Loukas, oui, c'est dommage. Il

3 arrivera effectivement plus tard. J'imagine que vous pouvez vous en passer

4 pendant quelques minutes. Si nous pouvons intervenir pour résoudre cette

5 question, pour vous aider, n'hésitez pas à nous faire savoir.

6 Mme LOUKAS : [interprétation] Oui, parce que c'est quelque chose qui se

7 reproduit constamment.

8 La deuxième chose que je souhaiterais évoquer --

9 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

10 Mme LOUKAS : [interprétation] -- ce sont les expurgations.

11 M. GAYNOR : [interprétation] S'agissant de l'Article 89(F), il est très

12 clair pour ce qui est des expurgations de la déclaration initiale, qui a

13 été reconnue hier, mais cela signifie pas que l'Accusation n'a pas le droit

14 de poser des questions sur ces points-là.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien.

16 Mme LOUKAS : [interprétation] Je ne suis pas en désaccord, mais il faut

17 quand même que les expurgations soient de véritables expurgations.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne suis pas sûr de bien suivre ce

19 dont vous parlez, mais il n'est pas nécessaire de résoudre cette question

20 avant de poursuivre l'interrogatoire du témoin.

21 Mme LOUKAS : [interprétation] En effet.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il faudrait m'expliquer un peu ce que

23 vous entendez par expurgation à objectif général. Je ne vois pas très bien

24 ce que vous voulez dire. On y reviendra plus tard.

25 Saluons d'abord le témoin. Monsieur le Témoin, je vous rappelle que vous

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1 êtes toujours sous serment, suite à la déclaration solennelle que vous avez

2 prononcée au début de votre déposition, quand vous vous êtes engagé à dire

3 la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Vous allez maintenant être

4 de nouveau interrogé par

5 M. Gaynor dans le cadre de l'interrogatoire principal.

6 LE TÉMOIN : TÉMOIN 382 [Reprise]

7 [Le témoin répond par l'interprète]

8 Interrogatoire principal par M. Gaynor : [Suite]

9 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur.

10 R. Bonjour.

11 Q. Je souhaite vous rappeler, Monsieur le Témoin, que si votre image est

12 altérée sur l'écran, on entend ce que vous dites. Essayez de ne donner

13 aucun élément permettant de vous identifier vous-même, ou un membre de

14 votre famille.

15 M. GAYNOR : [interprétation] J'aimerais demander maintenant aux Juges de la

16 Chambre de se reporter au paragraphe 47.

17 Q. Inutile pour vous, Monsieur le Témoin, de vous reporter à ce passage.

18 Vous avez dit avoir vu à cette époque Rajko Kusic se déplacer dans le

19 bâtiment et parler avec des détenus. Ma question est la suivante : à

20 combien de reprises, au cours de votre détention à l'école, avez-vous vu

21 Rajko Kusic dans l'enceinte de l'école ?

22 R. Difficile à dire. Difficile de vous donner un chiffre exact. Je ne peux

23 pas vous le dire. Je ne peux pas me souvenir de chaque fois qu'il est venu,

24 mais vu mon expérience là-bas, disons peut-être 10, 15 fois.

25 Q. Monsieur, dans votre déclaration, vous nous dites que Rajko Kusic s'est

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1 adressé aux détenus. Je voudrais que nous parlions plus particulièrement

2 d'un moment où il s'est adressé aux détenus qui se trouvaient dans la salle

3 du personnel de l'école. Vous souvenez-vous de cette intervention ?

4 R. Oui. Oui, c'était sa plus longue visite, me semble-t-il. Bien entendu,

5 nous n'avons pas pu tous entrer dans la pièce en question. Cela a duré à

6 peu près une heure. Rajko Kusic nous a dit que nous ne coopérions pas

7 suffisamment avec la police serbe, et que ceux qui étaient emmenés pour

8 être interrogés ne fournissaient pas d'informations précises et lui

9 rendaient la vie difficile, rendaient son travail difficile et qu'il était

10 confronté à des difficultés parce qu'on lui avait fixé une date butoir,

11 c'est ce qu'il nous a dit et il a dit : "Je suis en retard, pour ce qui est

12 du nettoyage de Rogatica. D'autres villes sont contrôlées mais pas

13 Rogatica. Demain il va falloir que j'aille expliquer à Pale pourquoi c'est

14 pas encore le cas ici."

15 Il s'exprimait d'une façon que moi, personnellement, j'ai trouvé menaçante

16 et il a dit qu'il fallait que nous coopérions de manière plus active avec

17 ceux qui nous interrogeaient. Je peux vous dire sur la base de mon

18 expérience que les questions qu'il posait se résumaient aux éléments

19 suivants : chaque jour, ils interrogeaient les gens pour demander où

20 étaient les hommes de Sandzak, où se trouvaient les Musulmans de Rogatica,

21 ceux qui défendaient Rogatica. Je vous parle de mon cas personnel, de ce

22 que j'ai vécu. Chaque fois, je leur disais la vérité, chaque fois je leur

23 disais qu'autour de moi, je n'avais vu aucun Musulman, parmi mes amis, mes

24 connaissances, mes voisins, et cetera. Je n'avais donc jamais vu personne -

25 -

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1 Q. Merci. Dans votre --

2 R. -- avec des armes.

3 Q. Dans votre réponse, vous venez de nous dire que Kusic a

4 dit : "Il faut que j'aille me présenter à Pale demain pour expliquer

5 pourquoi tout ceci n'a pas encore été fait." Est-ce que vous vous souvenez

6 que Rajko Kusic ait fait d'autres références à Pale ?

7 R. Chaque fois qu'il venait nous voir, et qu'il s'adressait à nous,

8 s'adressait à un groupe d'entre nous, à un grand nombre de détenus, parlait

9 de ses obligations, de l'obligation qui était la sienne d'envoyer un

10 rapport à Pale, parce qu'il prenait du retard dans cette opération. On a eu

11 un échange une seule fois, une fois très brièvement, et une autre fois on a

12 parlé. Il a dit qu'il était en retard, qu'il ne respectait pas la date

13 butoir et qu'il risquait d'avoir des problèmes avec les dirigeants de Pale

14 et qu'il fallait donc qu'il adopte une manière de travailler différente

15 avec nous, les détenus du camp ainsi qu'avec ceux qui étaient encore des

16 civils et qui se trouvaient peut-être encore au centre-ville, cachés dans

17 les caves.

18 Il parlait de cela assez souvent. Il disait qu'il devait aller à Pale,

19 qu'il devait faire des rapports verbalement là-bas.

20 Q. Vous nous dites que : "Kusic avait dit qu'il devait faire des rapport

21 là-bas verbalement." Vous a-t-il dit à qu'il devait faire ces rapport là-

22 bas ?

23 R. Uniquement la première fois, au cours de notre première rencontre, il a

24 dit qu'il devait aller à Pale, et qu'il devait informer les dirigeants

25 militaires à Pale. Il n'a donné aucun nom.

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1 Q. Avant de passer à un autre sujet, encore une question. Y avait-il un

2 poste de télévision dans l'enceinte de l'école ?

3 R. Oui, le groupe dans lequel j'étais a été transféré dans une salle plus

4 grande et c'est là qu'il y avait la télévision. On ne la regardait pas.

5 Q. Avez-vous vu Rajko Kusic à la télévision ?

6 R. Au bout d'un certain temps, parce qu'au début il n'y avait pas de

7 courant. Au bout d'un certain temps l'électricité a été rétablie dans cette

8 partie de la ville et dans le bâtiment. J'imagine qu'une fois que la

9 télévision avait été allumée, et si bien que quand le courant est revenu,

10 la télévision s'est rallumée, et on a vu qu'ils avaient filmé l'assemblée à

11 Pale. M. Krajisnik prononçait un discours et Rajko Kusic se tenait à

12 gauche. Il n'était pas assis, il était debout en uniforme et il était

13 appuyé contre un radiateur ou contre le rebord d'une fenêtre, en tout cas,

14 je l'ai vu se tenir debout là, au cours de cette assemblée, je l'ai vu à la

15 télévision. Quand les soldats ont vu que le courant avait été rétabli et

16 que la télévision était allumée, ils ont amené le poste de télévision.

17 M. GAYNOR : [interprétation] J'aimerais demander aux Juges de se rapporter

18 au paragraphe 49, au milieu du paragraphe, il y est fait référence à une

19 conversation.

20 Q. Monsieur le Témoin, dans la déclaration que vous avez faite, vous

21 parlez d'une discussion que vous avez eue avec Sveto Veselinovic, président

22 du SDS municipal. Vous dites qu'il vous a critiqué parce que vous étiez un

23 Musulman. Vous souvenez-vous de cette conversation ?

24 R. Je m'en souviens oui. Deux soldats m'ont dit que je devais aller avoir

25 une conversation, ou être interrogé comme ils disaient, par un des

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1 dirigeants du SDS de Rogatica, ils m'ont emmené voir Sveto Veselinovic.

2 Notre conversation ne s'est pas prolongée très longtemps et je le

3 connaissais, ce Sveto Veselinovic, enfin je ne le connaissais pas

4 personnellement très bien, mais il me tournait le dossier. Il regardait par

5 la fenêtre et il m'a dit, sans donner aucun nom, il m'a dit simplement la

6 chose suivante, sur un ton très sec. Il m'a dit : "Tous les Musulmans vont

7 disparaître." Ceci sur un ton très cinglant, comme s'il était en train de

8 me réprimander.

9 Je n'ai rien dit parce que je ne voulais rien dire. Je n'étais pas prêt à

10 répondre, et cela m'avait complément choqué, cette déclaration et j'avais

11 peur, j'avais peur de ce qui allait se passer ensuite.

12 Il a continué son petit discours, il a dit : " Regarde, il fait soleil, il

13 faut beau aujourd'hui, la récolte des prunes sera bonne cette année, on

14 aura de bon alcool de prunes." Je ne voyais pas très bien de quoi il

15 voulait parler, où il voulait en venir. Ensuite il est revenu au thème de

16 Musulmans et des gens du camp. Il a dit, à ce moment-là : "Tout va être

17 comme cela doit être. Un tiers des Musulmans va être tué, un tiers va se

18 convertir à la religion orthodoxe et un tiers va s'enfuir."

19 Plus tard ensuite, il s'est remis à parler du temps qu'il faisait,

20 puis il a rappelé les soldats, et ceux-ci me ramenaient dans la salle où je

21 me tenais normalement à l'école.

22 Q. Première question sur ce point; quand il vous a parlé du tiers

23 des Musulmans qui allait être tué, un tiers qui allait être converti, et un

24 tiers qui allait s'enfuir, est-ce que pour vous cela tenait simplement de

25 la rhétorique politique ou comment avez-vous compris les propos qu'il vous

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1 a ainsi tenus ?

2 R. A ce moment-là, j'ai finalement compris que la fin était proche

3 pour moi-même et pour ma famille. D'abord, il y avait ce camp, ensuite, ce

4 qui s'était passé au camp, cette conversion au camp -- enfin, toutes les

5 pièces du puzzle semblaient être maintenant en place. J'avais l'impression

6 que j'en étais arrivé à la fin. Je n'étais pas parvenu à m'enfuir au début,

7 avant le pilonnage de Rogatica parce qu'à ce moment-là, les gens étaient

8 partis de manière organisée, les femmes et les enfants et il semble que les

9 Musulmans, les femmes, les enfants étaient parvenus à s'en aller. Cela

10 avait été possible.

11 Mais je me suis rendu compte que ce qu'il me disait, c'est ce qui s'était

12 effectivement passé, c'est ce qu'ils avaient fait et comme j'étais encore

13 vivant, moi-même, j'ai estimé que je faisais partie de ceux du groupe qui

14 allaient être tués. Je me trouvais dans l'impossibilité de réagir. J'ai

15 essayé, à un moment donné, de lui demander de laisser ma famille tranquille,

16 de la laisser en vie, mais je n'ai pas eu la force. Vraiment, j'étais

17 complètement bouleversé, j'étais choqué et je ne lui ai même pas demandé de

18 m'aider. J'allais le faire, mais je ne lui ai même pas demandé de m'aider,

19 moi ou ma famille.

20 Q. Est-ce que c'est la première fois que vous aviez entendu parler de cela,

21 qu'une partie des Musulmans allait être tuée, une partie convertie et une

22 partie allait s'enfuir ? Est-ce que vous en aviez déjà entendu parler de

23 cela, précédemment ?

24 Mme LOUKAS : [interprétation] Ici, le Procureur ne relate pas de manière

25 exacte ce qui vient d'être dit par le témoin. Il n'a pas cité correctement

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1 les propos du témoin.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Gaynor, veuillez, s'il vous

3 plaît, citer exactement ce qui a été dit par le témoin pour qu'il n'y ait

4 pas de contestation à ce sujet ?

5 M. GAYNOR : [interprétation] Mais, bien sûr.

6 Q. Précédemment, vous nous avez dit, Monsieur le Témoin, que Sveto

7 Veselinovic vous avait dit qu'un tiers des Musulmans allait être tué, un

8 tiers allait être converti et un tiers expulsé.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est "expulsion," ici; c'est un autre

10 mot.

11 Mme LOUKAS : [interprétation] Précisément, Monsieur le Président.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce n'était pas ces mots.

13 Mme LOUKAS : [interprétation] Oui, si on regarde la déclaration, puis, si

14 on regarde le compte rendu, effectivement --

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Regardons ce qui a été dit. Je cite :

16 "Un tiers des Musulmans sera tué, un tiers deviendra orthodoxe et un tiers

17 s'enfuira." Voilà ce qu'a dit le témoin

18 M. GAYNOR : [interprétation] Merci.

19 Q. Monsieur le Président vient de répéter les propos que vous avez tenus.

20 Monsieur le Témoin, est-ce que c'est la première fois que vous entendiez ce

21 type de propos, qu'on parlait de ce genre de choses ?

22 R. Non. A l'école, au camp, il arrivait parfois que Rajko Kusic ou

23 d'autres, moins gradés que lui, nous donnent des informations selon

24 lesquelles l'assemblée de Pale en est arrivée à de nouvelles conclusions en

25 disant qu'à Rogatica -- mais il faut savoir qu'au départ, on a parlé de

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1 37 % de Musulmans qui -- de population musulmane. Ensuite, cela a été

2 réduit à 20. Cela a encore diminué. Les informations que nous avons reçues,

3 c'est qu'il ne pourrait y avoir aucun Musulman à Rogatica.

4 En fait, la première fois que j'ai eu connaissance d'information de ce type,

5 c'est à la télévision, à l'assemblée de Sarajevo parce qu'à ce moment-là, M.

6 Karadzic -- je ne me souviens pas, bien entendu, de tous les discours, mais

7 je me souviens de la chose suivante, cela s'est gravée dans ma mémoire, M.

8 Karadzic a dit que -- enfin, je ne sais pas exactement de quoi il parlait,

9 mais il a dit que, si cela continuait, les Musulmans disparaîtraient de la

10 surface de la terre.

11 Q. Au début 1992, combien y avait-il de mosquées dans la ville de

12 Rogatica ?

13 R. Il y en avait deux.

14 Q. A la fin de l'année 1992, veuillez nous parler de l'état dans lequel se

15 trouvait ces mosquées ?

16 R. A la fin de 1992, j'ai vu ce qui restait des mosquées plus tard et,

17 quand les gens ont été emmenés pour être interrogés; j'ai vu, moi-même,

18 certains quartiers de la ville et j'ai vu dans quel état étaient les

19 mosquées et j'étais complètement choqué parce que les deux mosquées avaient

20 été détruites.

21 Q. Savez-vous, approximativement, à quel moment, les mosquées ont été

22 détruites ?

23 R. Une mosquée a été détruite -- si je me souviens bien, au mois de juin

24 ou début juillet; il s'agit de la mosquée qui se trouve plus près de

25 l'école secondaire. L'autre mosquée qui était un peu plus loin de l'école

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1 secondaire, je ne peux pas vous dire avec certitude quand cette mosquée a

2 été détruite, mais je suppose que cette mosquée a été détruite au cours du

3 nettoyage de ce quartier. Cela aurait pu être vers la fin du mois de juin

4 et vers le début du mois de juillet. Mais je ne me souviens pas de la date

5 exacte de la destruction de cette mosquée-là.

6 Q. Concentrons-nous maintenant sur la première mosquée. Pourquoi croyez-

7 vous que cette mosquée avait été détruite ?

8 R. C'est comme cela, comme -- nous avons appris cela. Un jour, les soldats

9 serbes, c'est-à-dire mes connaissances, sont arrivés jusqu'à l'école, au

10 bord d'un char et ils nous ont fait savoir de nous rapprocher tout près de

11 la portière vitrée du char. Danko Neric tenait un drapeau dans sa main, un

12 drapeau noir avec un crâne et son frère tenait un drapeau de la Republika

13 Srpska, il s'agissait d'un drapeau rouge tricolore. Le char était en train

14 de fonctionner. Le moteur du char était très bruyant et nous ne pouvions

15 pas entendre leurs propos. Ils tenaient une bouteille d'eau de vie. Ils ont

16 bu un peu dans la bouteille; après quoi, le char a continué à se déplacer

17 dans la direction de la mosquée.

18 Après un certain temps, on a entendu quelques coups. Je ne sais pas si --

19 enfin, quelques tirs, plutôt. Je ne sais pas si c'était du char que cela

20 provenait. Dans dix minutes, le char est rentré, s'est arrêté de nouveau à

21 côté de l'école. Ils nous ont salué, mais nous ne pouvions pas comprendre

22 ce qu'ils disaient parce que le moteur était bruyant. Le lendemain, pas

23 dans la même heure, mais dans la matinée, ils sont rentrés à bord de ce

24 même char. Il y avait la même procédure. Le char est parti et après quoi,

25 on n'a entendu qu'un seul tir. Nous nous attendions à ce que le char

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1 revienne, mais il n'est pas revenu. Après un certain temps, une période

2 très courte, Rajko Kusic est arrivé avec pas mal de soldats. J'ai vu que

3 quelque chose de particulier s'était passée. Ils ont pris quatre ou cinq

4 hommes de ce camp de détention et ils les ont emmenés avec eux. C'est à ce

5 moment-là, en fait, le char est arrivé -- enfin, le char a explosé parce

6 qu'il y avait une mine terrestre sur laquelle le char est conduit et c'est

7 pour cela que ces hommes musulmans du camp ont été pris pour qu'ils servent

8 de boucliers humains et pour que les Serbes puissent dégager ces morts de

9 ce char.

10 Q. Je dois vous interrompre pour un instant. Je voudrais qu'on revienne à

11 la question initiale.

12 Vous avez dit que vous croyez que la première mosquée avait été

13 détruite et vous avez dit dans quel mois, mais dites-nous brièvement,

14 concrètement pourquoi vous avez cru que cette mosquée avait été détruite ?

15 R. C'est par la suite que j'ai compris ainsi que les autres dans le camp,

16 qu'il fallait détruire tout ce qui appartenait aux Musulmans, les lieux de

17 culte, les boutiques, tout ce qui appartenait aux Musulmans. J'ai pu en

18 conclure que tout cela allait vraiment arriver.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La question de M. Gaynor était si vous

20 avez vu cela, c'est-à-dire que la mosquée avait été détruite, si vous avez

21 entendu parler que cette mosquée avait été détruite; autrement dit, quelles

22 étaient vos connaissances concrètes par rapport à la destruction de la

23 mosquée.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je savais que, du char, il y avait quelques

25 tirs dans la direction de la mosquée au premier jour et le lendemain, il y

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1 avait d'autres tirs pour que la mosquée soit détruite complètement.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avez-vous vu le char en train de tirer ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Entre l'école et la mosquée, il y avait des

4 maisons et d'autres bâtiments et on ne pouvait pas voir cela.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avez-vous entendu le char tirer ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je l'ai entendu en train de tirer.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant cette première destruction

8 partielle de la mosquée, avez-vous vu que la mosquée, auparavant, était

9 intacte ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez vu de vos propres

12 yeux que la mosquée a été partiellement détruite, après avoir entendu des

13 tirs ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais dans le groupe des personnes qui

15 allaient aider pour que les blessés et les morts soient dégagés du char,

16 mais j'ai vu, plus tard, que la mosquée avait été complètement détruite.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Comment saviez-vous que la mosquée avait

18 été partiellement détruite ce premier jour ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Danko Neric et son frère étaient arrivés

20 l'après midi, après que le char soit parti, le premier jour. Ils sont

21 arrivés dans le hall de l'école et ils ont parlé avec certaines personnes.

22 Mon épouse se trouvait à la proximité. Danko était un enfant que mon épouse

23 appréciait, il était gentil.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il faut que je vous interrompe pour un

25 instant. Je vous ai demandé si vous aviez entendu cela de lui directement

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1 ou d'une autre façon indirecte ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Indirectement.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

4 Monsieur Gaynor, vous pouvez continuer.

5 M. GAYNOR : [interprétation]

6 Q. Dans votre déclaration, paragraphe 44, vous faites référence à Nebojsa

7 Motika et il a dit que les hommes étaient dans une sorte de compétition

8 pour voir quel nombre de bulas - c'est l'appellation péjorative pour les

9 femmes musulmanes - combien de ces bulas seront violées. Pouvez-vous nous

10 expliquer ce que signifie ce terme "bulas ?"

11 R. Le terme "bulas," à ma connaissance, selon l'étymologie du mot, c'est

12 une femme musulmane qui s'occupe d'une personne morte, de sexe féminin,

13 pour qu'elle soit enterrée. Il s'agit d'une personne qui prépare tout pour

14 qu'une femme qui est morte soit enterrée. Elle fait des prières, elle lave

15 le cadavre et les soldats serbes appelaient "bulas" toutes les femmes, y

16 compris les enfants et les femmes âgées. Dans le camp, il y avait une femme

17 âgée qui était "bula."

18 Q. Je vous remercie, Monsieur.

19 M. GAYNOR : [interprétation] Maintenant, je prie qu'on distribue la pièce à

20 conviction suivante. Entre-temps, je voudrais expliquer ce que représente

21 cette pièce à conviction.

22 Dans la municipalité de Visegrad, en 2000 et 2001, il y avait pas mal

23 d'exhumations dans la municipalité de Rogatica. L'information concernant

24 l'exhumation qui serait présentée dans des rapports séparés montre qu'il y

25 avait des identifications des restes humains qui ont été trouvés dans des

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1 fosses et il y avait beaucoup de documents qui représentent

2 l'identification des victimes.

3 Dans une autre affaire devant le Tribunal, dans l'affaire Vasiljevic,

4 pour que toutes ces informations soient collectées et résumées, ce document

5 a été préparé. Dans ce document, se trouvent toutes les informations

6 préparées par la commission de Bosnie concernant les personnes disparues.

7 J'ai parcouru cela avec le témoin et je vais indiquer au témoin, ce

8 document. Juste avant cela, il faut qu'une cote soit attribuée à ce

9 document.

10 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce à conviction de

11 l'Accusation portant la cote P580.

12 M. GAYNOR : [interprétation]

13 Q. Monsieur, est-il vrai que j'ai attiré votre attention aux noms de

14 cette liste des personnes qui habitaient Rogatica et est-ce vrai qu'on a

15 indiqué par la couleur verte, le mot Rogatica pour attirer votre attention

16 à ces noms ?

17 R. Oui.

18 M. GAYNOR : [interprétation] Monsieur le Président, juste pour éclaircir,

19 le témoin dispose de la version où ces noms ont été surlignés et cela sera

20 versé au dossier.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Gaynor, je vois certains mots

22 manuscrits et ces mots apparaissent dans de différentes lignes.

23 M. GAYNOR : [interprétation] Oui.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous expliquer ou demander ce

25 que cela représente ?

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1 M. GAYNOR : [interprétation] Je n'avais pas l'intention de demander cela au

2 témoin.

3 Il s'agissait du témoin expert qui a fait cela dans l'affaire

4 Vasijlevic pour indiquer de quelle localité ces cadavres ont été exhumés.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

6 M. GAYNOR : [interprétation] Ces cadavres proviennent de la localité

7 Paklenik et les autres, de la localité du site Slap.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

9 M. GAYNOR : [interprétation] Maintenant, vous recevrez des preuves

10 provenant d'un expert --

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce sont les indications des sites

12 d'exhumation.

13 M. GAYNOR : [interprétation] Oui.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.

15 M. GAYNOR : [interprétation]

16 Q. Est-ce vrai que je vous ai demandé d'indiquer, par la couleur verte,

17 les noms des personnes que vous connaissiez ?

18 R. Oui.

19 Q. Est-ce que vous avez, par la suite, surligné, par la couleur verte, les

20 noms de ces personnes ?

21 R. Oui. J'ai surligné, par la couleur verte, les noms des personnes que je

22 connaissais.

23 Q. De quelle appartenance éthique était ces personnes ?

24 R. Ces personnes étaient musulmanes. Mladenovic Adonis était de mariage

25 mixte et c'est la seule personne qui portait un nom serbe sur cette liste.

Page 11288

1 Cette liste, je l'ai vue et dans cette liste, j'ai trouvé les noms des

2 habitants de Rogatica. Pour ce qui est des autres noms, ce sont des noms

3 musulmans.

4 Q. Concentrons-nous maintenant sur les noms que vous avez identifiés.

5 Pouvez-vous nous expliquer s'il s'agissait des membres de l'armée ou des

6 civils, à votre connaissance.

7 R. Je suis sûr absolument que ces personnes étaient avec moi en tant que

8 civils au niveau de la place, et nous nous abritions dans des caves.

9 Personne d'entre eux ne portait d'uniforme ni d'arme.

10 M. GAYNOR : [interprétation] Maintenant, je prie qu'un exemplaire de cette

11 pièce à conviction, que le témoin tient, soit versée au dossier.

12 Q. J'ai encore une dernière question pour vous. Dans votre déclaration,

13 vous avez décrit comment votre ville a été prise par les forces serbes,

14 comment la population musulmane a été encerclée, qu'une partie de la

15 population musulmane était détenue à l'école, et comment les mosquées ont

16 été détruites. Vous avez décrit des sévices lesquels vous avez subis, ainsi

17 que les membres de votre famille. Pouvez-vous nous expliquer, en vos

18 propres mots, expliquer à la Chambre quelle influence cela avait sur vous.

19 R. Tout ce qui s'est passé à Rogatica avait une influence terrible sur moi

20 donc je suis tombé gravement malade. J'ai perdu confiance aux gens que

21 j'aimais, qui étaient mes amis. J'avais peur d'eux toujours. J'essaie de

22 trouver encore quelque chose, un lien, pour pouvoir parler avec un Serbe,

23 pour pouvoir le contacter, mais tout ce qui s'est passé, les faits sont

24 très douloureux. C'est pour cela que mes souffrances, mes douleurs que

25 j'éprouve, même aujourd'hui, je ne peux pas oublier ces images, je ne peux

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1 pas les écarter de mon esprit. Je ne peux pas comprendre le comportement de

2 mon ancien ami Rajko, de mes anciennes connaissances, de mes témoins de

3 mariage. Je ne peux pas comprendre qu'ils ont fait tout cela et je ne peux

4 pas comprendre comment ils ont pu faire de tels actes qui n'étaient pas

5 humains.

6 Rajko m'a dit : "C'est la guerre," mais je ne savais pas qu'une

7 guerre aurait pu être comme cela. Je n'ai vu la guerre que dans des films.

8 Tout ce qui a été fait à Rogatica, c'est quelque chose qu'un homme ne

9 pourrait jamais imaginer ni concevoir. Même aujourd'hui, je ne peux pas

10 accepter cela comme une vérité. Je pense toujours qu'il s'agissait d'un

11 cauchemar. Pourtant, il s'agissait des choses qui se sont réellement

12 passées. Il s'agissait d'une réalité cruelle.

13 J'ai essayé à trois reprises de me suicider. Cela n'a pas réussi

14 parce que j'ai compris que tout ce qui a été fait pendant la guerre, et là,

15 je parle, malheureusement, de mes anciens amis, de mes anciens voisins, que

16 ces hommes sont devenus complètement fous, et pourquoi ? Je ne peux pas

17 savoir. Cette question pourquoi, c'est une question très courte, seulement

18 de quelques lettres. Pour moi, cette question, en fait, il y a beaucoup de

19 livres que je ne peux pas lire, que je ne peux pas comprendre. Même si j'ai

20 vécu tout cela.

21 D'un côté, je ressens toujours cette douleur, concernant aussi tous

22 les civils, tous les enfants innocents qui ont été tués. De l'autre côté,

23 mon sens d'humanité ne peut pas me dire mais, (expurgée) tu vivais avec ces

24 gens-là. A un moment donné, j'ai pitié d'eux aussi, de ces criminels.

25 Malheureusement, je les appelle les hommes, mais ceux qui ont fait cela ne

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1 sont pas des hommes et ne sont pas non plus des bêtes. Ce sont les

2 créatures qui, dans ces moments-là, ont fait ce qu'ils ont fait.

3 (expurgée)

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10 M. GAYNOR : (expurgée)

11 Q. S'il vous plaît, dites-nous brièvement quelle était l'influence

12 des événements de 1992 sur les Musulmans de Rogatica.

13 R. Encore une fois, je ne me suis pas concentré sur les choses.

14 Q. Ma question était de décrire brièvement l'influence des

15 événements survenus en 1992 sur les Musulmans de Rogatica.

16 R. Si j'ai bien compris la question, l'incidence de ces événements sur les

17 Musulmans de Rogatica était catastrophique. Les gens ont disparu, ont été

18 expulsés. Ils ont été détenus dans des prisons. On a expropriés leurs biens.

19 Leurs biens ont été pillés. Les gens ont été mutilés. Ceux qui ont survécu

20 à cela, ils ressentent des douleurs avec lesquelles ils doivent vivre.

21 M. GAYNOR : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai fini avec mon

22 interrogatoire principal en posant cette question au témoin.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Gaynor.

24 Monsieur le Témoin, maintenant commencera le contre-interrogatoire par le

25 conseil de la Défense, Mme Loukas.

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1 Madame Loukas, vous avez la parole.

2 Mme LOUKAS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Je

3 pourrai commencer et je pense que j'ai besoin du huis clos.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense que nous pouvons passer à huis

5 clos partiel.

6 [Audience à huis clos partiel]

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11 Pages 11292-11307 expurgées. Audience à huis clos.

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13 [Audience publique]

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous nous avez dit que certaines

15 personnes ont été envoyées réaliser des travaux forcés, qu'on vous avait

16 bousculés, qu'on vous avait passés à tabac toutes les nuits. Vous avez

17 donné le nom de certains des auteurs de ces faits. Vous avez notamment

18 mentionné un homme de Pancevo surnommé Noka qui était l'un des hommes

19 d'Arkan. Faut-il comprendre que c'était le seul membre d'une formation

20 paramilitaire qui se trouvait au camp, ou bien, il y en avait-il d'autres ?

21 Comment lui ou les autres coopéraient-ils avec les autres gardes du camp ?

22 R. Ce n'était pas le seul qui soit venu et ce n'est pas le seul à avoir

23 fait ce que tous les autres ont fait. Ils étaient nombreux. La première

24 chose qui permettait de les reconnaître immédiatement, c'était le dialecte

25 ékavien -- la version ékavienne du serbo-croate qu'ils parlaient, mais on

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1 ne les connaissait pas de vue, sinon. J'ai parlé de Noka, et je pourrais

2 vous parler d'autres personnes, mais je ne connais pas leurs noms. Je ne

3 sais pas qui étaient ces gens, mais ils étaient sous le contrôle du

4 commandant Kusic. Ils avaient, très vraisemblablement, reçu l'ordre de

5 faire ce qu'ils faisaient.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais est-ce qu'il y avait des forces

7 régulières, des forces de police ou des forces militaires qui participaient

8 à la garde des prisonniers du camp ?

9 R. Par "réguliers", forces régulières, pour moi, cela veut dire ce qui

10 existait avant la guerre à Rogatica, quand il y avait une police régulière

11 parce qu'après, pour moi, après la guerre ou pendant la guerre, tout était

12 irrégulier, il n'y avait plus rien de régulier. La police -- les militaires

13 qui nous gardaient c'étaient la police militaire, c'était l'armée serbe.

14 A ce moment-là, en tant que serbe, je -- en tant que prisonnier, je

15 n'avais pas l'impression qu'il s'agissait de forces régulières; pour moi,

16 c'était les forces de l'agresseur.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais vous nous dites qu'il y avait

18 des gens qui appartenaient à ce qui auparavant était la police régulière ou

19 l'armée régulière, avant le début du conflit. Pouvez-vous nous dire comment

20 les membres des formations paramilitaires coopéraient, ou peut-être ne

21 coopéraient pas avec ceux que je viens d'appeler les membres des forces

22 régulières, et que vous vous considérez comme des forces irrégulières. A

23 savoir les personnes qui étaient déjà membres de la police et de l'armée

24 avant la guerre.

25 R. Si j'ai bien compris votre question, moi en tous cas, j'ai identifié

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1 certains membres des forces régulières parmi les policiers qui se

2 trouvaient sous le commandant de Kusic. Il y avait c'est vrai des policiers

3 qui étaient très amers vu tout ce qui était en train de se passer, mais ils

4 n'osaient pas faire montre de cet amertume.

5 Il m'est arrivé de parler avec des gens de ce type qui me donnaient

6 une cigarette, ou me donnaient un kinyon [phon] de pain, ces gens, ils

7 condamnaient vraiment ce qui était en train de se passer, mais ils étaient

8 très peu nombreux et cela était des gens qui auparavant étaient membres de

9 la police, c'était des gens qui étaient respectés en ville en tant que

10 policiers, parce qu'ils faisaient leur travail correctement.

11 Mais en temps de guerre, la situation était différente. Ces gens

12 faisaient ce qu'ils avaient à faire, mais j'avais l'impression suite aux

13 brèves discussions que j'ai eues avec ces gens, j'avais l'impression que

14 c'était des gens qui condamnaient sévèrement ce qui était en train de se

15 passer.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais est-ce qu'ils remplissaient

17 leurs fonctions conjointement avec les membres des unités paramilitaires ?

18 R. Oui.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci de cette réponse.

20 Vous nous avez parlé des deux mosquées de Rogatica; est-ce que ces

21 mosquées avaient un nom pour les distinguer l'une de l'autre ?

22 R. Personnellement, je n'étais pas très versé dans la religion, je

23 n'étais pas très pratiquant. J'avais suivi des études supérieures et je

24 savais ce que j'avais besoin de savoir au sujet de l'orthodoxie, du

25 catholicisme, de l'islam. J'essaie de vous expliquer que je ne connaissais

Page 11311

1 pas les noms précis de ces mosquées.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Inutile de nous l'expliquer, soit vous

3 le savez, soit vous ne le savez pas. Vous nous dites que vous ne

4 connaissiez pas le nom exact de ces mosquées. Pourriez-vous

5 --

6 R. Oui, mais je connais les noms qu'on utilisait pour les désigner, par

7 exemple il y en avait une qu'on appelle la mosquée de la ville Carsija, et

8 l'autre, Arnaudija.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci de cette réponse, ma dernière

10 question est la suivante. Vous avez dit à Me Loukas que vous n'aviez pas --

11 n'éprouviez pas d'amertume envers les Serbes, mais ensuite vous avez dit

12 que c'était un sentiment que vous éprouviez par contre à l'encontre des

13 Serbes de Rogatica qui avaient commis ces crimes. Comment dois-je

14 interpréter, comprendre votre réponse ? Est-ce que vous vous éprouviez

15 cette amertume envers tous les Serbes de Rogatica, parce que les Serbes de

16 Rogatica avaient commis des crimes, ou bien est-ce que ce sentiment, vous

17 le réserviez aux Serbes qui avaient commis les crimes qui ont eu lieu à

18 Rogatica, sans pour autant que cela affecte les autres Serbes. Est-ce que

19 vous pouvez m'expliquer exactement ce que vous avez voulu dire ?

20 R. J'éprouve de l'amertume uniquement pour les gens, pour les soldats

21 Serbes, et même il y a eu des femmes malheureusement parmi ces gens là, des

22 gens qui ont commis des actes affreux. Tomo Batinic -- également, c'est

23 quelqu'un qui cause une certaine amertume en moi parce qu'il était

24 président de la municipalité, même chose pour

25 M. Krajisnik, pour M. Karadzic, qui ont joué chacun leur propre rôle dans

Page 11312

1 tout cela. Je ne sais pas exactement en quoi cela consistait mais je ne

2 peux pas éprouver d'amertume pour ce qui est de mes amis. Les Serbes de

3 Rogatica que j'aimerais voir, avec qui j'aimerais pouvoir parler.

4 Malheureusement, un de mes amis, un Serbe, est mort. Les Serbes

5 n'avaient pas le droit d'entrer dans le camp, mais lui, il est parvenu à

6 entrer quelquefois, et chaque fois il amenait un petit peu de viande pour

7 ma fille, cachée sous son bras, cela je ne l'oublierai jamais, c'est

8 quelqu'un qui a fait un geste remarquable, je l'apprécie énormément. Il y

9 avait d'autres personnes de cette eau à Rogatica.

10 Je me permets de le répéter encore une fois. Je suis amer à cause, ou

11 envers les personnes qui se sont comportées de manière inhumaine, envers

12 les policiers inhumains, envers les auteurs inhumains de ces actes.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez inclus

14 M. Krajisnik dans ce groupe, alors que je vous interroge uniquement sur les

15 Serbes de Rogatica. Mais à partir de quels éléments incorporez-vous M.

16 Krajisnik au rang de ces personnes, quand vous nous dites, je cite : "Je ne

17 connais pas son rôle --" Attendez, je vais essayer de trouver le passage

18 précis : "Le rôle qu'ils ont joué dans tout cela." Sur la base de quels

19 éléments portez vous un jugement sur le rôle joué par M. Krajisnik, ou le

20 rôle qu'il aurait pu jouer ?

21 R. Je vais essayer de répondre aussi brièvement que possible, e ne

22 connaissais pas M. Krajisnik personnellement, je ne l'ai jamais connu

23 personnellement. En tous cas, M. Krajisnik, quand il intervenait en public

24 lorsque je l'ai vu à la télévision, il donnait l'impression d'être un homme

25 raisonnable. Je veux dire, moi vraiment je n'y connais absolument rien en

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1 politique, mais je pense qu'il a suivi cette politique, je ne sais pas si

2 les termes de -- sincèrement et honnêtement sont les plus appropriés, mais

3 en tous cas, je regardais la télévision, et pendant la guerre, je me suis

4 rendu compte de l'importance de la position qu'il occupait. Je me suis

5 rendu compte aussi de la signification des voyages de mon ami Kusic à Pale,

6 et des informations qu'il devait amener à Pale.

7 C'est là que je me suis rendu compte que M. Krajisnik devait

8 forcément savoir tout ce qui se passait, connaître ces détails, qu'en tant

9 qu'être humain, il devait forcément intervenir à un moment quelconque pour

10 dire : "Cela suffit, c'est inacceptable."

11 Les dirigeant politiques de la Republika Srpska n'ont rien fait pour

12 mettre un terme aux souffrances de la population civile de Rogatica, la

13 population des civils musulmans de Rogatica, au contraire, c'est devenu de

14 pire en pire chaque jour, jusqu'à l'"extermination" parce que les musulmans

15 de Rogatica ont effectivement disparu, ils sont partis, ils se sont

16 convertis, ils ont été convertis, ils ont fui. Moi, c'est la manière dont

17 j'envisage, dont j'appréhende la responsabilité de M. Krajisnik, de M.

18 Karadzic, c'est-à-dire, pour moi, que ce sont des personnes qui auraient pu

19 mettre un terme au massacre à Rogatica.

20 Personnellement, je suis déçu par moi-même, finalement, parce que

21 j'ai mal jugé la personnalité de M. Krajisnik, bien que je ne soit pas en

22 droit de juger qui que ce soit.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Personne ne vous a demandé de

24 donner une évaluation de la personnalité de M. Krajisnik.

25 Je vais vous poser une question extrêmement directe. Vous venez de

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1 nous expliquer que lorsque vous avez entendu parler de ces rapports qui

2 devaient être faits à Pale, vous vous êtes rendu compte qu'il auraient dû

3 être au courant, ils auraient pu mettre un terme à tout ce qui se passait.

4 Question très directe à votre endroit : Est-ce que c'est à partir de ce que

5 vous avez dit au sujet des rapports qui devaient être à Pale que vous vous

6 êtes forgé cette opinion ? Ou est-ce que c'est à partir de l'opinion que

7 vous avez au sujet des dirigeants ? Est-ce que c'est à partir de cette

8 opinion que vous en êtes venu à la conclusion qu'il devait y avoir des

9 rapports sur ce qui se passait à Pale ?

10 Ce que je vous demande, si ce que vous nous avez dit repose sur

11 l'information qui vous a été communiquée, selon laquelle on faisait des

12 rapports à Pale, ou bien si c'est exactement contraire, si vous en êtes

13 arrivé à la conclusion qu'il devait forcément y avoir rapport de la

14 situation à Pale, parce qu'ils devaient savoir ce qui se passait.

15 R. Tout à fait. C'est la seule raison, parce que je ne pouvais arriver à

16 aucune conclusion sur la base d'illusions, mais uniquement sur la base de

17 la réalité, de la réalité ce qui se passait. J'ai parlé à Rajko Kusic. Je

18 le connaissais. J'ai appris qu'il devait aller faire rapport à Pale. En

19 tant qu'être humain, je comprenais ce type de réaction. Il devait aller

20 faire un rapport sur la situation du camp de Rogatica, et forcément à

21 partir de cela, il devait y avoir réaction, il aurait dû y avoir une

22 réaction des hommes politiques, des dirigeants politiques, qui auraient dû

23 dire, "Bon, suffit. Il faut arrêter tout cela."

24 Cela n'a pas eu lieu. Cela ne s'est pas produit. L'amertume que j'éprouve,

25 elle se résume à la chose suivante : c'est que pour moi, il y a de

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1 nombreuses éléments qui permettent de penser que les dirigeants de -- enfin,

2 je pensais fermement plutôt que les dirigeants de Pale feraient quelque

3 chose pour arrêter tout cela, pour qu'on mette un terme à ce que l'on était

4 en train de faire à ces gens-là. Ce n'est pas une illusion que -- ce n'est

5 pas que je me berçais d'illusions, ce n'est pas que je pensais que les

6 dirigeants de la Republika Srpska allaient faire quelque chose. Ce n'est

7 pas quelque chose que j'espérais, parce que je ne pouvais pas adopter ce

8 genre de logique à l'époque.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avez-vous eu connaissance de conduites

10 répréhensibles graves de la part des Croates ou des Musulmans ? Je ne parle

11 pas ici de cas particuliers. Je vous demande simplement si, de manière

12 générale, vous avez entendu parler d'actes de ce type, de mauvais

13 traitements ?

14 R. Quand j'étais au camp vous voulez dire ?

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, et même plus tard peut-être.

16 R. Indéniablement, j'en ai entendu parler.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que votre amertume, elle -- vous

18 pourriez l'éprouver également pour les Croates ou les Musulmans qui

19 auraient -- se seraient livrés à des actes répréhensibles, auraient

20 maltraité ou même tué d'autres personnes ?

21 R. Bien sûr, tout à fait. Parce que pour moi, ceux sont exactement les

22 mêmes gens, les mêmes personnes. Je les vois exactement de la même manière.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

24 Questions de la part de l'Accusation ?

25 M. GAYNOR : [interprétation] Non.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Loukas, avez-vous des questions

2 supplémentaires à poser, suite aux questions qui ont été posées par les

3 Juges de la Chambre ?

4 Mme LOUKAS : [interprétation] Oui, excusez-moi, j'étais en train de

5 consulter mon confrère.

6 Une question très brève, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Témoin, encore une question.

8 Contre-interrogatoire supplémentaire par Mme Loukas :

9 Q. [interprétation] Monsieur le Témoin, vous avez déclaré -- permettez-moi

10 de vérifier la réponse que vous avez donnée -- vous parlez de Rajko Kusic.

11 En fait, vous ne savez pas, de fait, si Rajko Kusic allait, oui ou non,

12 présenter des rapports à Pale. Vous ne savez pas.

13 R. Je ne sais pas s'il leur faisait des rapports. Je sais qu'il a dit

14 qu'il devait le faire. Mais je ne sais pas effectivement s'il l'a

15 effectivement -- s'il l'a fait.

16 Mme LOUKAS : [interprétation] Je n'ai plus de questions.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Loukas.

18 Monsieur le Témoin 382, la Chambre sait qu'il n'a peut-être pas été très

19 facile pour vous de nous relater les événements, ces événements qui

20 remontent à plus de 10 ans. La Chambre vous est très reconnaissante d'être

21 venu à La Haye pour répondre aux questions de l'Accusation et de la Défense,

22 ainsi qu'aux questions posées par les Juges de la Chambre. La Chambre

23 souhaite que vous puissiez voir les bons côtés de la vie, et retrouver un

24 tout petit peu d'optimisme pour regarder vers l'avenir.

25 En tout cas, je vous remercie, et je vous souhaite un bon retour chez vous.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous prie, Monsieur l'Huissier, de

3 faire sortir et accompagner le Témoin 382 du prétoire.

4 [Le témoin se retire]

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le témoin suivant témoignera à huis

6 clos ?

7 M. GAYNOR : [interprétation] Monsieur le Président, juste avant l'entrée du

8 témoin suivant, il veut parler à huis clos, mais nous voulons dire que dans

9 la déclaration du témoin au paragraphe 50, la Défense et le Procureur

10 veulent expurger une phrase.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dans ce cas-là, il faut que vous

12 communiquiez le nouvel exemplaire. Vous dites qu'il s'agit d'une phrase ?

13 M. GAYNOR : [interprétation] Il s'agit d'une seule phrase au paragraphe 50.

14 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]

15 Mme LOUKAS : [interprétation] Monsieur le Président, concernant cela, au

16 cours de -- il vaut mieux peut-être laisser cela comme cela.

17 M. GAYNOR : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, nous parlons de la pièce à

19 conviction portant la cote P576. Au cours de l'audience d'hier, au

20 paragraphe 31, le mot "cent" a été expurgé dans la version en anglais, et

21 non pas le numéro 300. J'ai fait cela dans l'original. J'ai apposé mes

22 initiales et la date, parce que vous avez communiqué cela au Greffe, cet

23 original.

24 [Audience à huis clos]

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11 Pages 11318-11375 expurgées. Audience à huis clos.

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24 --- L'audience est levée à 14 heures 02 et reprendra le lundi

25 4 avril 2005, à 9 heures 00.