Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 19 juin 2006

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 24.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à tous.

6 Monsieur le Greffier, pourriez-vous appeler l'affaire ?

7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour. Il s'agit de l'affaire IT-00-39-

8 T, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.

10 Monsieur Krajisnik, nous avons reçu encore quelques documents, enfin, du

11 moins, des photocopies des documents accompagnées d'un résumé, et ces

12 documents ont été donnés aux deux parties pour qu'elles voient ce qu'elles

13 comptent en faire. Le résumé va être traduit et, bien sûr, traduit en

14 priorité. Donc, tout a été mis en œuvre pour arriver à ce but. Ensuite,

15 Monsieur Krajisnik, avant de poursuivre, nous avons quelques points

16 logistiques à traiter portant principalement sur des pièces à conviction.

17 Tout d'abord, pour ce qui est des pièces P1091 et P1092, je tiens à

18 avertir les parties de ce qui suit.

19 Le 10 mars 2006, deux clips d'un film vidéo ont été diffusés en

20 prétoire. Le premier clip qui a été diffusé à la page T2116 [comme

21 interprété] montrait l'intronisation de 18 personnes appelées des Vojvodas

22 chetniks. Cette pièce a été admise sous la cote P1091. Le deuxième clip

23 vidéo qui faisait partie de la même pièce montrait des déclarations de

24 Vojislav Seselj et Radovan Karadzic, quand le Dr Seselj a justement emmené

25 ces nouveaux Vojvodas chetniks à Pale. Ce clip a été diffusé à la page

26 T21118 [comme interprété], et par inadvertance, on lui a donné une autre

27 cote, c'est-à-dire la P1092.A. Donc, la Chambre ordonne le Greffe, par la

28 présente, de corriger le compte rendu en donnant à ce deuxième clip le

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1 numéro de pièce qui est correct, c'est-à-dire la cote P1091.

2 Ensuite, le point suivant porte sur la numérotation du P292 et du P389. Une

3 liasse de conversations téléphoniques interceptées ont été versées par

4 l'Accusation le 27 septembre 2004 et versées au dossier sous la cote P292.

5 Un CD reprenant des conversations téléphoniques interceptées a été versé le

6 8 novembre 2004 et versé au dossier sous la cote P389. Afin de pouvoir

7 identifier et citer ces intercepts de façon plus simple, la Chambre donne

8 par la présente assertion au Greffe de numéroter chaque conversation

9 interceptée comme un intercalaire séparé avec un numéro de cote

10 correspondant. Donc, ceci sera modifié dans la liste des pièces du Greffe,

11 qui doit aussi contenir référence aux numéros d'identification KID de

12 chaque intercept téléphonique, étant donné que ce nombre a été cité très

13 souvent dans ce prétoire pour identifier les intercepts téléphoniques bien

14 précis.

15 Le point suivant, maintenant, est un rappel de l'ordonnance du 6 juin sur

16 les pièces. La Chambre tient à rappeler aux parties qu'en vertu de

17 l'ordonnance de la Chambre sur les pièces qui a été rendue le 6 juin 2006,

18 toutes les pièces manquantes et toutes les traductions manquantes doivent

19 être données au Greffe demain le 20 juin au plus tard.

20 Enfin, la Chambre tient à donner une date butoir pour la présentation des

21 documents de M. Krajisnik. Au cours de son témoignage, M. Krajisnik a

22 présenté un grand nombre de documents. Ces documents ont été distribués à

23 la fois au conseil de l'Accusation et au conseil de la Défense afin de

24 déterminer quels documents convenaient d'être traduits pour être versés au

25 dossier. La Chambre fixe, par la présente, une date butoir du vendredi 23

26 juin 2006 pour les parties qui devront donc présenter ces documents si

27 elles veulent qu'ils soient versés au dossier à cette date. Et bien sûr, si

28 les traductions ne sont pas tout à fait prêtes, un délai peut être demandé.

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1 Voici donc tous les points de procédure qui devaient être traités. Monsieur

2 Stewart, maintenant, Monsieur Josse, êtes-vous prêts pour les questions

3 supplémentaires ?

4 M. JOSSE : [interprétation] Tout à fait.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Krajisnik, je tiens à vous

6 rappeler que vous êtes encore tenu par la déclaration solennelle que vous

7 avez faite au début de votre déposition.

8 LE TÉMOIN : MOMCILO KRAJISNIK [Reprise]

9 [Le témoin répond par l'interprète]

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Josse, vous avez la parole.

11 Nouvel interrogatoire par M. Josse :

12 M. JOSSE : [interprétation] Tout d'abord, j'aimerais donner à M. Krajisnik

13 une liasse de documents. Comme lors de l'interrogatoire principal, j'ai

14 fait mettre des repères sur ces documents pour que M. Krajisnik sache

15 exactement à quels passages nous allons nous référer.

16 Q. Monsieur Krajisnik, on vous a posé un grand nombre de questions sur

17 Sarajevo. Tout d'abord, j'aimerais que vous regardiez le document qui porte

18 la cote "B1" et qui fait donc partie des principes qui avaient été admis

19 lors de Dayton.

20 Il s'agit d'un document qui est écrit en anglais. Vous nous avez

21 donné ce document; nous aimerions savoir où vous l'avez obtenu, s'il vous

22 plaît ?

23 R. Cela vient des documents que j'ai rapportés de Dayton. Il me semble que

24 chaque participant avait exactement le même jeu de documents de contexte et

25 les a donc remmenés de Dayton.

26 Q. Avez-vous la moindre idée de la personne qui aurait rédigé ce

27 document ?

28 R. Les médiateurs, les personnes qui travaillaient là-bas, y compris les

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1 représentants de la Communauté européenne et les Américains. L'un d'entre

2 eux a rédigé ceci et l'a proposé. Une proposition à peu près identique

3 était à l'ordre du jour quand on a parlé de Sarajevo en tant que district.

4 Q. L'écriture, l'écriture manuscrite que l'on trouve en haut à droite de

5 ce document, pouvez-vous nous dire exactement qui a écrit cela ?

6 R. C'est moi qui ai écrit cela.

7 Q. Que pouvons-nous lire ?

8 R. "I : Proposition pour Sarajevo."

9 Q. Juste par curiosité, comment ce document vous a-t-il été traduit à

10 l'époque, s'il vous plaît ? Pourriez-vous nous le dire ?

11 R. Je crois qu'il n'a pas été traduit; on s'est débrouillé comme on a pu.

12 Quelqu'un qui savait l'anglais l'a interprété, enfin, l'a traduit. Il n'y

13 avait pas de temps pour qu'il soit, pas de temps pour qu'il soit traduit

14 pour les personnes qui ne parlaient pas anglais à la conférence. Mais on a

15 obtenu une traduction par la suite, et j'ai une version serbe aussi. Je ne

16 sais pourquoi vous ne l'avez pas obtenue, d'ailleurs.

17 Q. Pourquoi, d'après vous, ce document est-il si important ?

18 R. Parce qu'à Dayton, lors des discussions entre notre délégation et M.

19 Holbrooke, notre délégation, donc la délégation des Serbes de Bosnie-

20 Herzégovine, donc de la Republika Srpska, ont accepté cette proposition.

21 Nous pensions, enfin, nous étions tout à fait d'accord pour que Sarajevo

22 soit un district, parce qu'à notre avis, il n'y avait pas d'autre bonne

23 solution. Nous pensions aussi à l'époque que Sarajevo était l'obstacle qui

24 empêchait que l'on trouve une solution générale pour la Bosnie-Herzégovine.

25 Q. Mais comment est-ce que ce document peut s'intégrer avec la proposition

26 de l'Accusation qui est que vous vouliez que la ville de Sarajevo soit

27 divisée ?

28 R. Jusqu'à Dayton, la proposition des médiateurs était de ne pas diviser

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1 Sarajevo, mais de la transformer, avec un tiers, le centre de la ville

2 appartenant à la Republika Srpska et deux tiers à la fédération. On disait

3 toujours -- ou plutôt, comme il y avait une organisation qui chapeautait --

4 qui devait chapeauter toute la Bosnie-Herzégovine, on considérait qu'il

5 fallait aussi une organisation qui chapeauterait tout Sarajevo, parce que

6 dans le fonctionnement d'une ville, il faut toujours qu'il y ait des

7 organes qui s'occupent de tout conjointement. C'est peut-être pour cela

8 qu'ils font cette affirmation. Mais cela dit, j'avais aussi déclaré que

9 nous avions aussi droit à certains quartiers de Sarajevo, sans que l'on

10 divise Sarajevo comme elle l'est aujourd'hui.

11 Q. Ce document que nous avons sous les yeux, dans quelle mesure le camp

12 serbe a-t-il accepté ce qui est proposé dans ce document ?

13 R. Même du temps du plan Cutileiro, le plan serbe avait accepté cette

14 solution comme solution transitoire en attendant de trouver une meilleure

15 solution, la meilleure solution, c'est-à-dire que Sarajevo soit un

16 district, parce que c'était Sarajevo vraiment le gros problème, cela a

17 toujours été en fait la pierre d'achoppement. Les Musulmans voulaient tout

18 Sarajevo; c'était là qu'était le problème. En revanche, de notre côté, nous

19 pensions que nous avions droit à une partie de Sarajevo. D'ailleurs, à

20 l'heure actuelle, il y a encore un débat en Bosnie-Herzégovine. Cela a été

21 publié dans Slobodna Bosna. Les comptes rendus des délibérations sont

22 publiés, donc la direction où on a parlé en 1993. Et maintenant, c'est en

23 train d'être publié, et d'ailleurs, j'ai l'article. Si vous voulez, je peux

24 vous le montrer. Donc, c'est un débat qui porte sur plusieurs pages et qui

25 traite de ce propos.

26 M. JOSSE : [interprétation] Pourrions-nous avoir une cote, s'il vous

27 plaît ?

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier.

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1 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera le D253.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

3 M. JOSSE : [interprétation]

4 Q. Maintenant, vous avez aussi donné un passage d'une interview avec le

5 général MacKenzie, donc il s'agit d'une vidéo.

6 R. Oui.

7 Q. Vous avez proposé ce document pour qu'il soit vu par les Juges. Cette

8 interview fait partie d'un extrait d'un documentaire télé; c'est bien cela,

9 un documentaire qui serait passé à la télévision ?

10 R. Oui, vous avez raison. Il s'agit d'un film dont est extraite la

11 déclaration du général MacKenzie, et le DVD est disponible, mais je n'ai

12 pas pu l'ouvrir sur mon ordinateur. Je n'ai pu ouvrir que certains

13 passages.

14 Q. Nous voulons diffuser un passage de cinq à dix minutes qui comprend

15 cette interview avec la général MacKenzie.

16 Mais avant de ce faire, Monsieur Krajisnik, pourriez-vous nous aider,

17 pour ce qui est du producteur de ce programme que nous allons diffuser ?

18 R. Non, je n'en ai aucune idée. Mais cela dit, c'est écrit, je crois.

19 Enfin, cela a été diffusé. Il s'agit d'une émission qui a été vue en

20 Yougoslavie à la télé. C'est un Européen qui l'a faite, mais je ne sais pas

21 exactement qui est le réalisateur, mais je sais que cela a été diffusé en

22 "prime-time" en Serbie, en Bosnie-Herzégovine et ailleurs, d'ailleurs.

23 C'est pour cela d'ailleurs que nous présentons ce DVD.

24 Q. Il a été obtenu par les enquêteurs; c'est bien cela ?

25 R. Oui. Nos enquêteurs l'ont trouvé.

26 M. JOSSE : [interprétation] Messieurs les Juges, l'émission est en anglais.

27 Il y a des sous-titres en B/C/S qui, à notre avis, sont complets. A l'heure

28 actuelle, cela dit, il n'y a pas encore de compte rendu, de script, donc je

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1 ne sais pas ce que vous tenez à dire aux interprètes. Comme je vous le dis,

2 il y a des sous-titres en B/C/S et l'émission est en anglais.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous savons que la présence des sous-

4 titres n'est pas toujours exhaustive, d'abord parce que les sous-titres,

5 souvent, sont quand même assez limités, donc on doit un peu réduire les

6 paroles dites. Donc, j'aimerais que les interprètes, dans la mesure du

7 possible, puissent traduire ce qui est entendu en anglais, en B/C/S ou en

8 français. Bien sûr, si c'est infaisable, et nous comprenons très bien que

9 ce soit infaisable, et bien à l'impossible, nul n'est tenu. Nous ne pouvons

10 pas ralentir malheureusement l'orateur puisque c'est diffusé. Nous

11 prendrons la traduction venant des cabines d'interprètes comme une

12 traduction provisoire uniquement, bien sûr, et nous demandons à la Défense,

13 bien sûr, que l'anglais soit transcrit pour qu'on ait un script et que le

14 CLSS puisse le traduire une bonne fois pour toute. Mais donc, nous

15 demandons aux interprètes de faire de leur mieux et ce sera une traduction

16 provisoire.

17 Si les interprètes considèrent que c'est impossible, ils peuvent nous

18 le faire savoir, bien sûr.

19 L'INTERPRÈTE : Très bien.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors, on va aller, on va essayer.

21 L'INTERPRÈTE : De toute manière, nous n'avons pas encore entendu, donc nous

22 n'avons aucune idée de la vitesse à laquelle la personne parle, du son, et

23 cetera.

24 M. JOSSE : [interprétation] Je tiens à avertir les interprètes que cela va

25 très, très vite.

26 L'INTERPRÈTE : Cela risque donc d'être infaisable, surtout que nous n'avons

27 pas de script.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Josse, au moins ceux d'entre

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1 nous qui comprenons l'anglais pourront suivre. J'espère que je pourrai

2 suivre moi-même et que mes collègues aussi pourront suivre. Enfin, on va

3 bien voir. Nous souhaitons bonne chance aux interprètes.

4 M. JOSSE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.

6 M. JOSSE : [interprétation] On va essayer.

7 [Diffusion de la cassette vidéo]

8 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] "Il faudra néanmoins -- "

9 L'interprète de la cabine française s'excuse, mais on n'entend

10 absolument rien.

11 [voix sur voix] "-- souvenir que deux Musulmans ont tué le père d'un

12 marié alors qu'un prêtre a été blessé.

13 "Le meurtre de Nikola Gardovic en date du 1er mars a marqué le début

14 de la guerre à Sarajevo. En dépit des promesses des autorités, les

15 meurtriers qui étaient bien connus n'ont jamais été arrêtés. Le jour

16 d'après, les Musulmans et les Serbes ont posé des barricades. Dans

17 l'impossibilité de protéger la population civile, les Serbes de Bosnie ont

18 demandé à ce que des parties serbes de la ville soient gardées par leur

19 police à eux et que Sarajevo devienne une zone protégée sous

20 l'administration des Nations Unies. Les Musulmans, eux, ont insisté sur le

21 droit à Izetbegovic de diriger non seulement la Sarajevo, de gérer

22 Sarajevo, mais aussi la Bosnie entière. Il s'agissait de convaincre

23 l'opinion publique occidentale du fait que les Serbes étaient des

24 agresseurs.

25 L'intervenante : Si vous ne connaissez pas l'histoire, ce qui a été

26 le cas de la plupart des journalistes, il a été facile de les présenter

27 comme agresseurs.

28 Les journalistes américains, les diplomates et les correspondants

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1 étrangers ont été passés sous le camp de l'influence de ce qui s'était dit

2 à Washington. L'essentiel a été d'entendre ce que le département de l'Etat

3 américain disait.

4 Dans son autobiographie, le secrétaire d'Etat Baker a dit qu'il avait

5 envoyé son secrétaire chargé de la presse, Margaret Tutwiler, pour aider le

6 ministre des Affaires étrangères bosnien, Hari Silajdzic, et pour lui faire

7 obtenir le soutien des médias occidentaux.

8 Et il a également adressé -- il s'est adressé pour avoir ces

9 contacts. Alors dans quatre réseaux de télévision, le Washington Post et

10 autres, les postes de télévision et la presse, il y avait une disposition -

11 - une prédisposition pro musulmane. Il n'a pas été parlé de l'holocauste

12 des Serbes, pas parlé de la guerre civile avec des crimes commis de part et

13 d'autre. Il y a eu beaucoup plus de crimes perpétrés de la part des Serbes,

14 ce qui ne signifie pas qu'il n'y en a pas eu de la part des deux autres

15 parties dans l'histoire.

16 C'est une partie de notre histoire, de notre culture. C'est ce qui a

17 été diffusé par l'industrie des divertissements, et sur la scène en Bosnie,

18 nous avons dû avoir, bien sûr, des bons gars et des mauvais gars. Il a été

19 facile de dire que les bons gars, c'étaient les Musulmans. Les Serbes, eux,

20 c'étaient des mauvais gars, des mauvais garçons, alors que les Croates

21 étaient de braves gars parce qu'ils nous aimaient bien. Alors, je pense que

22 certains reporters --"

23 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

24 M. TIEGER : [interprétation] Je trouve qu'il y a beaucoup de choses

25 dans ce document. Je ne comprends pas vraiment pourquoi -- d'une question

26 supplémentaire. J'ai l'impression que cela aurait dû être soulevé lors de

27 l'interrogatoire principal. Je vois beaucoup de gens qui parlent sur

28 beaucoup de sujets, je ne sais pas très bien où cela veut en venir et je

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1 trouve qu'il aurait fallu que nous puissions voir ce document et l'étudier

2 pour savoir si oui ou non il est pertinent, et je ne suis pas vraiment

3 certain que cela soit un bon document à présenter dans le contexte des

4 questions supplémentaires.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Josse, vous n'avez pas encore

6 posé de questions, de toute façon.

7 Mais Monsieur Josse, qu'avez-vous à dire ?

8 M. JOSSE : [interprétation] Deux commentaires. Comme les Juges le sait,

9 c'est M. Krajisnik qui l'a présenté très tôt, et d'ailleurs, nos éminents

10 confrères auraient pu l'étudier et l'utiliser, puisque comme la Chambre l'a

11 bien fait remarquer à l'Accusation, les documents étaient là, ils pouvaient

12 s'en servir.

13 Nous présentons ce document en tant que conseil de M. Krajisnik et dans le

14 contexte de la ville de Sarajevo, parce qu'il y a des questions très

15 sérieuses qui lui ont été posées en ce qui concerne Sarajevo. Vous allez

16 voir d'ailleurs dans quelques minutes qu'il y a bientôt l'interview du

17 général MacKenzie qui traite des questions qui ont été posées par

18 l'Accusation à M. Krajisnik, questions d'ailleurs qu'il a réfutées.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger, qu'avez-vous à dire ?

20 M. TIEGER : [interprétation] Ecoutez, l'Accusation tient à être équitable,

21 certes, tient à être même très ouverte. Néanmoins, je tiens à dire qu'il

22 n'est pas juste de dire que parce que M. Krajisnik est censé de présenter

23 de nouveaux documents, souvent pour des raisons totalement inconnues,

24 chaque matin, en fait, il y avait toujours deux nouveaux documents qui nous

25 étaient présentés, donc je ne considère pas que l'un de ces documents a été

26 présenté parmi les autres. Cela devrait nous permettre d'en traiter. Je

27 pense qu'on aurait dû en traiter auparavant et pouvoir reprendre ce

28 document lors du contre-interrogatoire de M. Krajisnik. Bon, je ne vais pas

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1 faire une montagne d'une taupinière, mais il faut voir un petit peu où va

2 ce document. J'ai l'impression, en tout cas, que nous voyons un document

3 qui présente beaucoup d'informations qu'il faudrait étudier de près, et si

4 la Défense tient à utiliser ce document et toutes les informations qui se

5 trouvent dans le document, nous voulons absolument que la Chambre nous

6 permette de l'étudier de beaucoup plus près. Comme l'a dit M. Josse, tout

7 ce que nous savons, c'est qu'il y avait le général MacKenzie qui allait

8 parler, on ne savait pas du tout de quoi parlaient ce document et ce clip,

9 et cetera.

10 Enfin, je ne tiens pas vraiment à soulever des obstacles procéduraux

11 qui seraient inutiles, mais bon, je tiens quand même à dire que cette vidéo

12 nous semble être quelque chose qui aurait dû être présenté au cours de

13 l'interrogatoire principal de M. Krajisnik, et c'est pour ceci que, voilà,

14 je soulève le point maintenant, avant qu'il ne soit trop tard.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien, M. Tieger.

16 Nous ne savons pas encore en effet si cela va être une montagne ou

17 une taupinière, mais cela dit, la Chambre préférerait que l'on continue la

18 diffusion du document, puis une fois qu'on saura exactement de quoi il

19 retourne, nous verrons quel chemin emprunter.

20 [Diffusion de la cassette vidéo]

21 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] "Alors, les rapports ont été, jusqu'à une

22 certaine mesure, censurés au niveau où il y avait des éléments antiserbes.

23 Les Bosniens oeuvraient de même de l'autre côté.

24 Il est un fait que les Serbes s'étaient emparés des deux tiers de la

25 Bosnie, alors qu'ils ont depuis tout temps possédé cette partie du

26 territoire et c'étaient des agriculteurs et ils avaient en leur possession

27 des terres agricoles.

28 Alors, c'était devenu un cliché pour dire que les Serbes s'étaient

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1 emparés de 70 % de la Bosnie, parce qu'on avait supposé dès le départ qu'il

2 n'y avait pas du tout de Serbes, et en réalité, la grande partie des

3 territoires en Bosnie était des terres Serbes avant qu'il n'y ait eu des

4 combats, en laissant entendre que les Serbes étaient venus d'une autre

5 planète et qu'ils ont fait leur apparition alors qu'ils n'avaient pas leur

6 place là.

7 Sous l'influence de ce qu'on a pu voir, Kenny est devenu l'un des

8 critiques des médias au niveau des Serbes. Kenny et les autres ont défendu

9 la thèse au terme de laquelle l'OTAN devait bombarder les Serbes.

10 Je suis cet intervenant probablement responsable en personne de ce

11 qui est qualifié de nettoyage ethnique. J'ai essayé de secouer l'opinion

12 publique mondiale, et une partie de mon travail consistait à trouver de

13 quoi étoffer les propos de Margaret Tutwiler. C'est elle qui demandait des

14 nouvelles 'chaudes'. On m'avait envoyé un télégramme disant que les Serbes

15 étaient en train de réaliser un nettoyage ethnique, c'est ce qu'il a dit.

16 Et j'ai dit : bon. A ma surprise, personne n'a éliminé cette expression.

17 Les agresseurs sont en train de procéder à une politique criminelle

18 de nettoyage ethnique.

19 A partir de ce moment-ci, la notion de 'nettoyage ethnique' est

20 entrée dans la politique officielle. Avant cela, elle n'avait pas été

21 utilisée, c'était une notion qui est restée en vigueur, et cela a été

22 rattaché avec un génocide, ce qui ne correspond pas du tout à la réalité.

23 La réalité, c'est que toutes les parties avaient procédé à un

24 nettoyage ethnique depuis le début de la guerre.

25 Il y a des éléments de preuve importants qui disent que cela arrive

26 partout en Bosnie, et cela arrive dans les zones protégées des Nations

27 Unies, dans toutes les parties de la Bosnie.

28 La perception des médias a influé sur la politique des occidentaux

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1 vis-à-vis de la Bosnie, ce qui fait que le conflit s'était exacerbé. La

2 seule partie qui pouvait conserver la paix était l'armée yougoslave,

3 l'armée populaire yougoslave stationnée à Sarajevo. Elle avait les

4 effectifs, les officiers, le matériel pour faire face aux factions en

5 guerre des trois côtés. Le général Kadijevic a justement essayé de le faire

6 à une rencontre avec les leaders des trois parties. Toutefois, sous la

7 menace des sanctions sur lesquelles avaient insisté les Etats-Unis, la JNA

8 a été démobilisée. A Sarajevo, la plupart des armes lourdes sont restées

9 entre les mains des Serbes. Dans les autres parties de la Bosnie, les

10 Musulmans et les Croates ont hérité des armes qui se trouvaient au niveau

11 des usines d'armes. Au lieu d'avoir des armées professionnelles qui

12 seraient responsables pour ce qui est du maintien de l'ordre, les gardiens

13 de la paix des Nations Unies avaient une mission pratiquement impossible de

14 séparer les parties en conflit. Le secrétaire des Nations Unies avait

15 critiqué les forces serbes pour ce qui est de leur rôle autour de Sarajevo.

16 Il a dit plus tard que la plupart des 19 cessez-le-feu où il a servi de

17 médiateur ont été enfreints par le Musulmans, parce que c'était leur

18 politique que d'obliger les occidentaux d'y intervenir, le général des

19 Nations Unies.

20 Alors, il s'agissait de prolonger le conflit aux fins de générer une

21 intervention. Je crois que la plupart des intervenants seront d'accord pour

22 le dire.

23 Les conflits à Sarajevo dans les médias ont un peu été présentés

24 comme une espèce de siège, alors que les lignes de front n'ont pas été

25 modifiées grandement pendant la guerre. Les Serbes tiraient dans les

26 régions, sur les régions où il y avait des Musulmans, alors que les

27 Musulmans, de leur partie de la ville, tiraient en direction des Serbes.

28 Je crois que les gens ne sont pas conscients du fait que la

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1 communauté serbe a souffert presque autant que les deux autres communautés

2 en présence.

3 Les correspondants de guerre ont commenté, tels que David Hackworth

4 de News Week, pour dire que quelque 300 chars -- prendre quelque 300 chars,

5 et cela, au niveau de Sarajevo, a été une rigolade pour les Serbes.

6 Le général MacKenzie a également estimé qu'il pouvait s'emparer de la

7 ville en quelques jours s'il l'avait voulu.

8 Le général MacKenzie : Etant donné qu'ils avaient toutes ces armes de

9 l'ex-JNA à leur disposition, une prédominance militaire ainsi que les chars

10 à Lukavica, les blindés de Lukavica, ils pouvaient attaquer, lancer une

11 attaque finale sur la ville, et avec de grandes chances de succès.

12 Le gouvernement bosnien s'est comporté rarement comme un gouvernement

13 sous siège.

14 A plusieurs reprises, les Nations Unies ont informé du fait que les

15 forces bosniaques pilonnaient des régions qu'il ne faudrait pas être

16 pilonnées, comme cela est le cas de l'aéroport.

17 Dans son livre "L'odyssée des Balkans", Lord Owen a dit que les

18 forces musulmanes, de temps à autre, pilonnaient l'aéroport pour

19 interrompre le flux de l'aide humanitaire et attirer l'attention de

20 l'opinion publique sur la ville assiégée. Sarajevo est devenu le symbole de

21 la Bosnie, et depuis le début de la crise, il n'y avait qu'une unité

22 auxiliaire là-bas. C'est ainsi que nous avons pu avoir un accès direct

23 d'une minute à l'autre à tout ce qui passait pendant la guerre.

24 Les événements de Sarajevo ont été souvent destinés pour la diffusion

25 dans les médias. La présence de la CNN, de l'ITV, de la BBC et de Sky TV

26 n'ont fait que rendre plus difficile la présence des opérations militaires,

27 parce que le monde entier avait tout pu voir tout de suite et être informé

28 pour juger, partant de là. Dans le reste des parties de la Bosnie, sans la

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1 présence des médias, l'on pouvait faire tout ce que bon vous semblait."

2 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

3 M. JOSSE : [interprétation]

4 Q. Monsieur Krajisnik, nous avons entendu bien des éléments ou des

5 citations de la part du général Mackenzie. Tout d'abord, une affirmation a

6 été présentée au terme de laquelle les Musulmans ont enfreint le cessez-le-

7 feu à Sarajevo. Que sauriez-vous nous dire à ce sujet ?

8 R. Ici, je n'ai fait que témoigner au sujet de ce que nos militaires à

9 nous nous ont expliqué. Lorsque l'on faisait face à des accusations de la

10 part de la communauté internationale, ils nous disaient que c'étaient des

11 violations faites par les Musulmans et qu'eux ne faisaient que riposter. Je

12 ne savais pas ce qu'il en était, mais j'ai retrouvé des dires analogues de

13 la part du général MacKenzie, c'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce

14 que ce soit présenté ici.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que nous pourrions essayer de

16 déterminer de quelle période de temps il est question ici ? Est-ce qu'il

17 s'agit de 1992 ou de 1992 à 1995 ? Parce qu'on n'a aucune idée du cadre

18 temporel. Je crois qu'il a été question de 19 violations de cessez-le-feu,

19 alors je crois que nous pourrions vérifier si cela s'est produit en 1992.

20 Monsieur Krajisnik, si vous le savez, veuillez nous le dire; si vous ne le

21 savez pas, dites-nous que vous ne le savez pas.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout ce que je sais, c'est que M. MacKenzie

23 était là-bas en 1992, et ultérieurement, il y a eu d'autres commandants de

24 la FORPRONU de présents.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Donc, vous supposez qu'il est en

26 train de parler de la période où il a connu les choses directement ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est ce que je suppose. Il doit être en

28 train de parler de sa propre expérience, mais je n'en sais trop rien. Je

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1 sais seulement que c'est la période où il a été présent.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Maître Josse.

3 M. JOSSE : [interprétation]

4 Q. Alors d'après vous, Monsieur Krajisnik, ces propos de la part du

5 général ont-ils été compris comme étant ceux d'une personne qui a

6 directement pris part aux négociations à l'occasion de ces 19 cessez-le-

7 feu, à savoir qu'il a été impliqué lui-même dans les négociations ?

8 R. Oui, on peut le voir. Il dit que sur 19 cessez-le-feu, la plupart ont

9 été enfreints par les Musulmans. Il n'a pas dit tous, il a dit la plupart.

10 Je sais qu'il a participé aux négociations avec nos militaires, et c'est M.

11 Koljevic qui a eu le plus de contacts avec lui pour ce qui est des

12 autorités civiles.

13 Q. Il a également dit qu'au début de la guerre, les forces serbes, si

14 elles l'avaient voulu, auraient pu sans difficulté s'emparer de Sarajevo.

15 Est-ce que vous pourriez le commenter ?

16 R. Je ne suis pas un stratège militaire et j'aurais beaucoup de mal à

17 commenter, pour ma part. Je pense que l'intention n'avait pas été celle de

18 s'emparer de Sarajevo et j'estime qu'il serait difficile de s'emparer de

19 Sarajevo, quel que soit le nombre de blindés que vous ayez à votre

20 disposition. Mais c'est ce que je pense en ma qualité de profane. Eux, ce

21 sont des militaires, ils doivent mieux savoir que moi. Mais l'intention n'a

22 pas été celle de s'emparer de la ville de Sarajevo, mais plutôt de

23 préserver les positions qui étaient tenues. C'est pour autant que j'en

24 sache. Je ne sais pas si les militaires avaient des plannings différents;

25 cela, je ne sais pas vous le confirmer.

26 Q. Lorsqu'il s'agit de cette affirmation faite par ces soins pour dire que

27 cela arrangeait les Musulmans que de faire durer les combats à Sarajevo aux

28 fins de se procurer un appui des occidentaux --

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1 R. C'est avec beaucoup de regrets que je dois dire que cette chose est

2 très exacte. Les négociations n'arrangeaient pas les Musulmans. Ils avaient

3 une Bosnie-Herzégovine internationalement reconnue. Leur gouvernement était

4 légitime et légal aux yeux de la communauté internationale, et la Bosnie,

5 elle, a été reconnue comme un Etat unitaire et non pas comme un état

6 transformé, comme les deux autres parties l'avaient exigé, ce qui fait que

7 toute conférence, à leurs yeux, était superflue. Ils voulaient maintenir le

8 statut quo.

9 M. JOSSE : [interprétation] Peut-on attribuer une cote à ce disque, je vous

10 prie ?

11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D254, Messieurs les

12 Juges.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier d'audience.

14 M. JOSSE : [interprétation]

15 Q. J'aimerais passer maintenant --

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être vais-je poser une ou deux

17 questions, si vous le permettez.

18 Lorsque nous nous sommes entretenus auparavant, vous avez plutôt dit tout à

19 l'heure que ces conférences, à leurs yeux, étaient superflues. Alors à ce

20 sujet, j'aimerais savoir quel est le pourcentage du territoire passé sous

21 le contrôle des Serbes, disons vers la fin de 1992.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était très certainement à plus de 50 %. Mais

23 Monsieur le Président, je vais vous dire pourquoi j'estime pouvoir affirmer

24 qu'il était de l'intérêt des Musulmans de ne pas avoir de conférences. Ils

25 avaient réclamé une intervention militaire afin que les Serbes révoltés ou

26 insurgés ou les insurgés croates soient calmés, afin que l'OTAN vienne là

27 et que la Bosnie soit pacifiée de la sorte; c'est la raison pour laquelle

28 les conférences ne les arrangeaient pas. Ils ont estimé qu'ils devaient se

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1 présenter comme étant les victimes afin que l'OTAN débarque pour

2 intervenir, et cela a été le cas à plusieurs reprises.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors à ce moment-là, il y avait dans

4 des municipalités avec une majorité serbe et qui ont été contrôlées par des

5 forces musulmanes et croates ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne saurais vous le dire exactement, et si

7 tant est que cela ait été le cas, leur nombre n'était pas très grand. Je

8 vais ajouter peut-être autre chose, Monsieur le Président. Dans la partie

9 centrale de la Bosnie-Herzégovine, dans les grandes villes, il y avait une

10 grande partie de la population ou des populations où les Serbes étaient en

11 minorité. Je ne dirais pas qu'il s'agissait de municipalités, mais il y

12 avait des parties de municipalités où les Serbes étaient en grand nombre

13 restés sur des territoires musulmans : Zenica, Travnik, Tuzla, Mostar,

14 Sarajevo. Il n'y a pas eu donc des municipalités entières, mais ils ont été

15 nombreux dans certaines parties, par exemple à Tuzla; cela, je le sais.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il en a été de même pour la partie

17 adverse, je suppose, pour ce qui est des parties adverses, les populations

18 musulmanes et croates qui se trouvaient dans des municipalités en

19 population majoritaire, alors que les municipalités étaient contrôlées

20 militairement par des Serbes.

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y avait sur le territoire serbe rien que

22 Prijedor et Banja Luka qui étaient des villes assez grandes; le reste,

23 c'étaient des bourgades, pour l'essentiel. Mais vous avez raison quand vous

24 dites que par exemple, à Vlasenica, qui comptait 8 000 à 10 000 habitants,

25 il y avait une majorité de Musulmans. Peut-être en a-t-il été de la sorte

26 pour Bratunac aussi. La différence consiste dans la taille de ces

27 municipalités.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'autre différence, et vous allez me

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1 dire, c'est comme vous l'avez dit au début, qu'il n'y a pas eu de

2 municipalités avec une majorité serbe à être placées sous le contrôle

3 militaire des Musulmans ou des Croates. C'est ainsi que j'avais commencé ma

4 question. Est-ce que cela n'a pas été l'une des principales différences ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas. Je ne sais pas s'il y a eu des

6 municipalités à majorité serbe qui étaient placées sous leur contrôle. Si

7 cela a été le cas, il n'y en a eu qu'une ou deux. Je n'arrive pas à m'en

8 souvenir maintenant. C'était pour l'essentiel des municipalités de petites

9 tailles. Il est certain que vous avez raison, à savoir qu'il y a eu des

10 municipalités où ils ont été majoritaires mais où les militaires serbes ont

11 exercé leur contrôle. A Tuzla, par exemple, il y avait plus de Serbes que

12 d'en trois ou quatre autres municipalités de la Bosnie de l'est qui étaient

13 des municipalités serbes. Il en était de même pour ce qui est de Zenica.

14 Dans les grandes villes, où il y a une grande population et cela a été le

15 cas de Mostar, entre autres.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez continuer, Maître Josse.

17 M. JOSSE : [interprétation]

18 Q. J'aimerais que nous passions maintenant aux questions liées au plan

19 Cutileiro. Monsieur Krajisnik, vous avez présenté un document qui porte une

20 inscription qui est celle de C2. C'est encore une carte.

21 R. Est-ce qu'on en a fini avec le précédent ?

22 Q. Pour autant que je sois concerné, oui.

23 R. Oui, mais je vois que peut-être faudrait-il que je réponde à la toute

24 première des questions posées. Je l'ai présentée aujourd'hui et vous avez

25 fait une proposition à cet effet, mais je crois que j'ai dit que Sarajevo

26 aurait dû être Serbe et peut-être pour moi faudrait-il --

27 Q. Donnez-moi un instant, je vous prie. Justement, j'allais en parler un

28 peu plus tard, mais je veux bien que nous en parlions maintenant.

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1 R. Aucun problème ne se pose. On peut en parler quand cela vous arrangera.

2 Allez-y.

3 Q. Fort bien. J'aimerais que nous nous penchions maintenant sur le

4 document Cutileiro que vous avez présenté ici. Il s'agit, dans la liasse de

5 documents, de la pièce qui porte l'inscription C2. Cela aurait été établi

6 par l'Institut chargé du droit international et de la coopération

7 économique internationale en 1997 à Banja Luka. On dit que ce sont les

8 documents de Dayton et de Paris. Je pense que la version couleur pourrait

9 être placée sur le rétroprojecteur parce qu'il est particulièrement

10 important de comprendre la teneur de cette carte concrète.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Plaçons-la sur le rétroprojecteur.

12 M. JOSSE : [interprétation]

13 Q. Pendant que ceci est en train d'être fait, Monsieur Krajisnik, peut-

14 être pourriez-vous nous dire quelque chose au sujet de cet institut et au

15 sujet de la façon dont vous vous êtes procuré ledit document.

16 R. Oui.

17 Q. Répondez d'abord à ma question, puis ensuite on parlera de la carte.

18 R. Il existe un livre qui a été rédigé par le Dr Vitomir Popovic et le Dr

19 Vlado Lukic. Le Dr Vlado Lukic est l'un des participants à la Conférence de

20 Paix à Dayton et dans le livre intitulé "Les accords de Dayton et de

21 Paris," je précise que tous les documents de ces deux conférences sont

22 joints, et il y a les cartes qui ont été établies pendant ces négociations.

23 L'une de ces cartes-là c'est justement celle que vous avez sous les yeux.

24 Je puis apporter ici le livre pour que vous vérifiiez qu'il s'agit bien de

25 cartes tirées de ce livre.

26 Q. Maintenant, cette carte dans le livre est-elle en couleur ?

27 R. Elle est exactement comme celle que vous êtes en train de voir sur le

28 moniteur.

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1 Q. Pourquoi avez-vous voulu attirer l'attention des Juges de la Chambre

2 sur cette carte-là ?

3 R. J'ai été véritablement très surpris lorsque, ici, j'ai vu que l'on

4 problématisait les cartes à Cutileiro. J'ai retrouvé une autre source pour

5 que vous puissiez voir ce qui a été publié officiellement comme plan

6 Cutileiro. Je ne me souviens pas d'une autre carte que nous aurions

7 qualifié de plan à Cutileiro. Je dois vous admettre que je n'ai pas entendu

8 parler d'autres cartes. Peut-être des cartes de travail, mais c'est la

9 carte de Cutileiro que nous qualifions comme telle. C'est partant de cette

10 carte-là que nous avions fondé ce qui a constitué nos objectifs

11 stratégiques.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Josse, pourriez-vous, je vous

13 prie, nous fournir plus dans les explications concernant les cartes.

14 Qu'est-ce qui est en vert, en blanc, en rose, et cetera ?

15 M. JOSSE : [interprétation] Il y a un index, Monsieur le Président.

16 Je ne sais pas si l'on pourrait le présenter à l'écran.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être si l'on déplaçait légèrement

18 la carte vers le haut, voilà comme ceci. Je vois maintenant qu'il

19 semblerait que la couleur verte représente les territoires musulmans, que

20 le rouge semblerait représenter les territoires croates, le blanc

21 représente les territoires serbes et Sarajevo se trouve représenté par la

22 couleur rose. Permettez-moi d'examiner cette carte.

23 M. JOSSE : [interprétation] Oui, merci.

24 Q. Dites-nous, Monsieur, qu'en est-il de la façon dont le corridor est

25 dépeint dans la partie orientale de la Bosnie selon cette carte ?

26 R. Si vous vous souviendrez de ma carte à moi, le corridor devrait être

27 placé ici, c'est le corridor qui liait la Semberija ; je parle de la

28 partie orientale, là où il y aurait eu ce corridor dans cette partie tout à

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1 fait étroite. C'est ce corridor qui annexait la Semberija d'une certaine

2 façon. Vous ne m'avez pas posé de questions concernant le corridor de

3 Posavina, n'est-ce pas ?

4 Q. Non, non, je ne l'ai pas fait.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce que je ne comprends pas c'est qui a

6 proposé cette carte ? Vous dites que c'est la carte Cutileiro, j'aimerais

7 savoir est-ce que c'est la carte avec laquelle vous êtes d'accord ? Vous

8 avez dit : Nous étions d'accord avec le plan Cutileiro. Est-ce que c'est

9 bien la carte qui vous convenait, étiez-vous tombés d'accord sur cette

10 carte ? Comment comprendre cette carte ? J'ai du mal à comprendre la façon

11 dont vous aimeriez que nous comprenions la chose. Vous avez dit : C'est la

12 carte Cutileiro, celle qui date du mois de février 1992, alors que d'après

13 ce que j'ai compris, c'est que l'accord a eu lieu au mois de mars --

14 M. JOSSE : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre, avec votre

15 permission, Monsieur le Président, si j'ai bien compris votre question :

16 est-ce que le témoin est en train de nous dire que la carte qui se trouve

17 sur le rétroprojecteur était, effectivement, la carte qui se trouvait sur

18 la table des négociations ou est-ce que c'était une autre carte qui

19 ressemblait à ceci. Est-ce que c'est cela que vous posez comme question ?

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, pas du tout. Ma question est à

21 savoir quel est le rôle que jouait cette carte. Je ne peux pas m'imaginer

22 que pendant les négociations, il n'y avait qu'une seule carte sur la table.

23 Nous en avons vu plusieurs alors que Monsieur Krajisnik nous apprend que

24 c'est la carte Cutileiro. J'aimerais savoir qui a présenté cette carte.

25 Est-ce que c'était M. Cutileiro lui-même ? Etait-ce présenté par le côté

26 serbe, par le côté croate, par qui exactement êt à quel moment et quel rôle

27 cette carte a-t-elle joué au cours des négociations ou pendant les

28 négociations, c'est-à-dire que cela je n'arrive pas à comprendre ce qu'est

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1 cette carte exactement.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, M. Cutileiro -- lorsque

3 nous sommes arrivés à créer les trois unités constitutives, on a commencé à

4 élargir les territoires et c'est le feu M. Darwin qui a fait cette carte.

5 Je me souviens de son nom de famille, il était anglais. M. Darwin, a dit :

6 Voici ces territoires que nous pourrions tracer. Ce ne sont pas des

7 territoires qui sont à 100 % ni Croate, ni Musulman, ni Serbes, et cetera,

8 mais voici je fais une esquisse des territoires et les échanges de

9 territoires, vous pouvez le faire et vous arriverez certainement à un

10 accord. Vous avez tout à fait raison, c'était une carte de travail selon

11 laquelle c'était un point de départ et plus tard il a fallu créer d'autres

12 cartes, bien sûr, mais en partant de cette carte-là.

13 Plus tard, nous avons tous présenté des propositions de cartes. Vous

14 les avez toutes vues, je ne sais pas s'il y avait d'autres cartes,

15 toutefois. Peut-être que oui, c'était il y a très longtemps effectivement,

16 mais comment vous dire, c'est la carte qui correspond le mieux aux unités

17 constitutives, c'est-à-dire que M. Darwin a pu identifier les territoires,

18 les régions, qui pourraient appartenir aux unités constitutives de façon

19 séparée et c'est certainement la carte la plus importante sur laquelle on

20 revenait tout le temps.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En essayant d'examiner la carte, je me

22 demande si je dois comprendre que Prijedor devait se retrouver dans la

23 partie croate ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Prijedor se trouve exactement à la frontière

25 du territoire croate. Vous avez raison. Voici le territoire croate et il y

26 a un point qui se trouve sur la partie jaune ou la partie rouge et c'est ce

27 qui appartient aux Croates.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais je comprends qu'on a présenté

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1 cette carte à un certain moment donné précis alors que les négociations

2 étaient en cours. Mais il me semblerait que cette carte est assez

3 différente des autres cartes qui ont suivies celle-ci. Monsieur Krajisnik,

4 est-ce que vous vous souvenez si elle a été présentée au début du mois de

5 février ou à la fin février ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je sais que cette carte nous a servi de base

7 le 11 mai lorsque nous avons rédigé les objectifs stratégiques. J'estimais

8 que cette carte, selon moi, avait certainement été faite avant, mais

9 certainement pas après, cela est certain.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous dites que cette carte vous a

11 inspiré à rédiger des objectifs stratégiques qui devaient être mis en œuvre

12 à la suite de ces négociations. Est-ce que je vous ai bien compris ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. Voici ce que je voulais dire : c'est

14 que cette carte se trouvait devant nous lorsque nous avons formulé les

15 objectifs stratégiques pour l'assemblée du 12 mai. Cette carte de Cutileiro

16 c'était celle-là. Nous disions : Voici, avec nos objectifs stratégiques

17 nous irons les présenter aux négociations.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Josse.

19 M. JOSSE : [interprétation]

20 Q. Lorsque vous pensiez que vous aviez un accord avec les Musulmans

21 concernant les négociations présidées par M. Cutileiro, comment cet accord

22 reflétait la carte qui est sur le rétroprojecteur ou comment est-ce qu'elle

23 se rapportait, quel était le lien entre les deux ?

24 R. Le 18 mars on a créé trois unités constitutives selon un accord. Cette

25 carte était une carte de travail. Il a fallu travailler d'après une carte

26 et nous estimions que ce qui était très important c'est d'essayer de faire

27 un échange de territoire grâce à cette carte ou d'essayer d'améliorer

28 éventuellement ou de prouver que nous avions certains droits, et cetera, et

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1 cetera. Lors de ces négociations, nous avons eu, à un moment donné, à

2 négocier avec les Croates, et le 12 mai, nous avions dit que nous allions

3 changer les frontières du territoire dans la Posavina, que nous allions

4 l'échanger pour obtenir Posavina. Je l'avais déjà dit. C'est Karadzic qui

5 l'avait déjà déclaré, mais je vous l'ai déjà dit ici. En date du 18 mars,

6 on était tombé en accord entre les Croates, les Musulmans et la Communauté

7 européenne ainsi qu'avec les Serbes, et c'était en 1992.

8 M. JOSSE : [interprétation] Pourrait-on, je vous prie, attribuer une cote à

9 cette carte ?

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, je vous écoute.

11 M. LE GREFFIER : [interprétation] D255, Monsieur le Président.

12 M. JOSSE : [interprétation] Avec la page couverture, n'est-ce pas, Monsieur

13 le Président ?

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, certainement. La page de garde qui

15 établit ce qu'elle représente en réalité et elle fera partie de la pièce,

16 elle sera annexée ensemble.

17 M. JOSSE : [interprétation] Je vous remercie.

18 Q. Pourrait-on demander à M. Krajisnik de prendre la pièce C1, je vous

19 prie, qui sera distribuée sous peu.

20 Voici un extrait qui est tiré de l'Economiste.

21 R. Je ne l'ai pas, je n'ai que C2 sous les yeux, je n'ai pas C1.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons revenir à --

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis vraiment désolé, excusez-moi, je l'ai

24 retrouvé.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien, Monsieur Krajisnik. Auriez-

26 vous la gentillesse, je vous prie, de revenir sur la carte couleur. Je

27 voulais encore vous poser une dernière question. Vous avez dit cette carte,

28 que vous avez appelée la carte Cutileiro, j'essaie de voir la partie --

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1 Monsieur Krajisnik, lorsque j'essaie de résumer votre témoignage, vous nous

2 avez dit : "Cette carte se trouvait sur la table des négociations lorsque

3 nous avons formulé les objectifs stratégiques lors de l'assemblée du 12

4 mai; c'était la carte Cutileiro qui nous servait de base."

5 Ensuite, Me Josse vous a demandé : "Lorsque vous pensiez que vous

6 aviez un accord avec les Musulmans, pour les négociations qu'avait présidé

7 M. Cutileiro, il a dit de quelle façon est-ce que cet accord établissait un

8 lien entre ce qui a été dit et la carte."

9 J'essaie de comprendre. Nous avons une carte sous les yeux, la carte

10 de février 1992 qui est différente de ce que, selon moi, selon la

11 compréhension que j'avais, sinon pas de l'accord mais du point de départ

12 pour les négociations. Vous dites le 12 mai qu'on a pris la carte du mois

13 de février plutôt celle du 18 mars qui nous a guidés et qui nous a permis à

14 formuler nos objectifs stratégiques.

15 M. JOSSE : [interprétation] Je suis vraiment désolé d'interrompre, Monsieur

16 le Président, mais j'aimerais savoir si M. Krajisnik pourrait nous parler

17 de la différence entre cette pièce-ci et ce que vous aviez pensé être la

18 carte Cutileiro.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais l'examiner, mais si vous me

20 dites que c'est en fait la même carte, à ce moment-là, je vais devoir faire

21 une meilleure comparaison.

22 M. JOSSE : [interprétation] Nous voulions dire qu'elles sont très

23 semblables. Nous n'avons pas assez une analyse détaillée, donc c'était le

24 point de départ -- enfin, il semblerait que ce soit là le point de départ

25 pour les objectifs stratégiques.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais faire une comparaison entre

27 celle-ci et la carte D7.

28 M. JOSSE : [interprétation] C'est B, je crois.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, d'accord, donc il s'agissait de

2 ceci, de la pièce B7.

3 M. JOSSE : [interprétation]

4 Q. Il y a un autre document Cutileiro, je l'ai déjà mentionné. M.

5 Krajisnik, il semblerait qu'il soit -- en fait, ceci est un extrait de

6 l'hebdomadaire l'Economiste du 15 décembre 1995. La date n'apparaît pas

7 dans l'article. L'article n'a pas été traduit, mais je vais le lire.

8 On voit ici : "Monsieur, dans votre article sur la Bosnie du mois de

9 novembre 1992, vous dites qu'au mois de février 1992, avant le début de la

10 guerre, Lord Carrington et moi-même, 'avaient rédigé une constitution qui

11 aurait transformé le pays en une confédération en employant le style des

12 cantons suisses. Les Musulmans ont refusé d'accepter ce qu'ils estimaient

13 être une désintégration de la Bosnie.' Mais pas tout à fait. Après

14 plusieurs rondes de négociations sur les 'principes pour la constitution ou

15 les arrangements futurs de la constitution pour la Bosnie-Herzégovine,' les

16 trois parties, les Musulmans, les Serbes et les Croates, sont tombées

17 d'accord à Sarajevo le 18 mars sur un accord qui serait la base des

18 négociations futures. Ceci s'est poursuivi, les cartes ont été présentées,

19 et tout ceci a continué jusqu'à l'été, lorsque les Musulmans ont renié

20 l'accord. S'ils n'avaient pas fait ceci, la question bosnienne aurait pu

21 être réglée et résolue beaucoup plus tôt avec moins de pertes, surtout du

22 côté des Musulmans, pour ce qui est des vies et des territoires. Pour être

23 tout à fait juste, le président Izetbegovic et son entourage ont encouragé,

24 ont retardé cet accord et de se battre pour une Bosnie unitaire, pour

25 établir un Etat unitaire, en pensant qu'ils pensaient mieux."

26 Qu'est-ce que vous en pensez ?

27 R. Je suis tout à fait persuadé que M. Cutileiro a dit cela, mais si M.

28 Izetbegovic avait accepté, mais cela aurait été autre chose. Mais il était

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1 victime de pressions et de pressions externes également, par les agences

2 lui demandant de renoncer, d'annuler cet accord, de ne pas accepter cet

3 accord.

4 Q. Justement, c'est ce que j'allais vous demander. Est-ce que vous pensez

5 que M. Cutileiro parle, lorsqu'il pense de personnes externes voulant du

6 bien, est-ce que vous pensez que c'est de cela qu'il parle ?

7 R. Je ne peux pas les appeler. Je ne peux pas appeler l'ambassadeur

8 Zimmerman un étranger, un homme de l'extérieur, mais je sais qu'il lui a

9 proposé de refuser, alors que M. Izetbegovic avait dans ses rangs à lui

10 beaucoup de personnes, qu'il était entouré de personnes qui ne répondaient

11 de rien, pour rien, qui étaient responsables de rien et qui étaient là

12 simplement pour refuser toute transformation de la Bosnie-Herzégovine,

13 toute proposition de transformation alors qu'ils avaient un pouvoir

14 politique. Ils pouvaient, de cette façon, influencer M. Izetbegovic, de

15 sorte qu'il était coincé et il se trouvait écarté entre ses désirs, les

16 pressions nationales et les encouragements venant de l'extérieur et des

17 hommes politiques de l'extérieur. Je n'essaie pas de justifier

18 M. Izetbegovic, mais je dois vous dire que j'ai passé beaucoup de temps

19 avec lui et je sais qu'il lui arrivait d'accepter certaines choses, mais

20 plus tard, il devait renoncer à ce qu'il avait accepté, refuser et renier,

21 car il n'avait pas le choix. Donc, il lui arrivait souvent de revenir sur

22 sa parole.

23 M. JOSSE : [interprétation] Pourrait-on attribuer la cote, je vous prie,

24 pour ce document ?

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous écoute, Monsieur le Greffier.

26 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document portera la cote D256,

27 Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

28 M. JOSSE : [interprétation]

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1 Q. Je souhaiterais maintenant rester avec M. Izetbegovic et examiner un

2 entretien qu'il a accordé au mois d'octobre 2000. C'était un entretien qui

3 se trouve dans le document F1 de la liasse de documents, Monsieur

4 Krajisnik.

5 Nous avons un entretien assez long. Il n'y a qu'une partie très

6 courte qui m'intéresse, donc je vais vous poser des questions. Dites-moi

7 d'abord d'où est-ce que ceci est tiré.

8 R. On voit ici un quotidien de Dani, c'est un quotidien musulman.

9 Q. Pourriez-vous, je vous prie, nous donner lecture du titre de cet

10 entretien ?

11 R. "Les seuls gens que je déteste, ce sont les traîtres."

12 Q. Nous voyons que dans l'introduction on parle, cinq lignes à partir du

13 haut, nous voyons un mot qui précède votre nom; de quoi s'agit-il ?

14 R. "Donc je confirme de la façon la plus explicite que la personne avec

15 laquelle il était possible de parler, c'était Krajisnik. En réalité, il

16 était la personne qui répondait à toutes les critiques qui ne le -- il

17 semble répondre à toutes les critiques qui n'ont pas eu de sympathie pour

18 lui, ni au cours de la matinée, ni au cours de l'après-midi, pour lui et

19 ses opinions. En dernier, après toutes ces années, il prétend qu'il

20 préfèrerait former une coalition avec le SDP plutôt que de s'unir avec le

21 SDS ou le HDZ, mais seulement sous certaines conditions qui sont telles que

22 cette coalition n'aurait jamais eu lieu."

23 Q. Prenez la page 19, je vous prie. A la dernière page, au coin supérieur

24 droit, c'est un document qui a été annoté pour vous, et nous voyons une

25 question qui commence par "Jednom," une fois. Pouvez-vous lire la question,

26 je vous prie, mais lentement, n'est-ce pas ?

27 R. "Vous avez déclaré déjà lors d'un entretien, et corrigez-moi si je ne

28 m'abuse, que pour ce qui est des représentants du peuple serbe dans la BiH,

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1 le représentant avec lequel on peut tomber d'accord, c'était Krajisnik.

2 Pourquoi ? Parce que Radisic et Jelavic sont des nationalistes ?"

3 C'était la question.

4 Izetbegovic répond : "Oui, j'ai déjà dit quelque chose de semblable.

5 J'ai passé de très grands nombres d'heures de négociations avec Krajisnik

6 et je n'oublierai jamais les négociations pénibles qui ont eu lieu sur la

7 monnaie bosnienne. C'était une vraie torture, mais je n'avais pas

8 l'impression -- plutôt, je n'ai pas ressenti de la haine envers Krajisnik.

9 Les seuls gens que je déteste sont les traîtres. J'imagine que ceci est dû

10 à mon expérience de prisonnier. Krajisnik n'était pas un traître. Il s'est

11 battu pour le peuple serbe comme il le savait et comme il le pouvait, car

12 c'est ainsi qu'il avait défendu le peuple serbe. Pour ce qui est de Jelavic

13 et de Radisic, je vous en parlerai une autre fois."

14 M. JOSSE : [interprétation] Pourrions-nous avoir une cote, s'il vous

15 plaît ?

16 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera donc le D257.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.

18 Monsieur Josse, j'aimerais avoir un peu d'éclaircissement sur une

19 réponse précédente qui a été donnée par le témoin.

20 On vous a demandé -- enfin, M. Josse vous a demandé si la lettre envoyée

21 par M. Cutileiro à l'Economiste, à l'hebdomadaire The Economist, étaye

22 votre thèse des événements du printemps et de l'été 1992. Alors beaucoup

23 est dit dans cette lettre. Il est bien évident que M. Cutileiro déclare que

24 si les Musulmans s'étaient tenus à l'accord tripartite, cela aurait permis,

25 comme il le dit, et je cite : "Le problème bosnien aurait pu être résolu

26 beaucoup plus tôt en économisant beaucoup de vies principalement musulmanes

27 et en sauvegardant aussi des territoires musulmans."

28 Donc, vous dites que cette lettre -- parce que vous êtes d'accord avec ce

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1 qui est arrivé, ce qui est décrit dans cette lettre, donc vous êtes

2 d'accord pour dire donc que si un accord avait été atteint, cela aurait été

3 des vies musulmanes et des territoires musulmans qui auraient été épargnés;

4 c'est bien cela ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, cela veut dire que des vies musulmanes

6 aussi aurait pu être épargnées. Il y aurait eu beaucoup moins de morts des

7 trois côtés.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Krajisnik, je vous dis -- M.

9 Cutileiro dit : "Des vies principalement musulmanes auraient été

10 épargnées." Je voudrais savoir si vous êtes d'accord avec cela ou non, donc

11 si c'est principalement des vies musulmanes qui ont été perdues, du fait du

12 temps qu'a pris le règlement de la question bosnienne. Personne n'est en

13 train de dire que M. Cutileiro ne dit que les Serbes n'ont perdu aucune vie

14 ou que les Croates n'ont perdu aucune vie, et cetera, pas du tout. Je

15 voudrais savoir si vous êtes d'accord avec M. Cutileiro quand il dit que du

16 fait que de ce règlement très tardif, que ce sont surtout les Musulmans qui

17 ont perdu.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que M. Cutileiro a raison. Les pertes

19 humaines, les pertes principalement se sont faites du côté musulman. Il

20 faut être honnête, c'est comme cela que cela s'est passé.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour ce qui est des territoires aussi ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, pour ce qui est des territoires, j'ai des

23 réserves, là j'émets des réserves, parce que les Musulmans habitaient

24 principalement dans des villes, c'étaient des citadins, mais pour ce qui

25 est des vies perdues, c'est vrai, là M. Cutileiro a raison. Il a raison, il

26 y a bien sûr eu des pertes des deux autres côtés, mais il est vrai que

27 c'est les Musulmans qui ont subi les plus grosses pertes en vies humaines.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Krajisnik. Je regarde la

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1 pendule, et il est temps de faire une pause, mais nous avons commencé un

2 peu en retard parce qu'il y avait des problèmes techniques, donc si vous

3 avez encore des questions pour 10 minutes, on peut peut-être poursuivre

4 encore 10 minutes.

5 M. JOSSE : [interprétation] Très bien. Je vais maintenant poser encore une

6 question à M. Krajisnik. Il n'a pas besoin d'avoir le document sous les

7 yeux, mais pour Messieurs les Juges, il serait bon que vous l'ayez. Vous,

8 c'est le P1213.

9 Q. Monsieur Krajisnik, on vous a posé un grand nombre de questions,

10 principalement, le Président vous a posé des questions, pour ce qui est

11 donc de la question des fusils automatiques de fabrication russe. Alors si

12 vous regardez dans votre dossier, il faudrait peut-être se pencher sur le

13 document qui a été attribué le numéro I1. C'est dans la liasse que nous

14 avons donnée ce matin, Monsieur Krajisnik.

15 Tout d'abord, il s'agit d'un document qui a déjà un numéro ERN. Cela dit,

16 j'aimerais savoir quand même comment vous avez obtenu ce document, Monsieur

17 Krajisnik.

18 R. C'est un document qui vient du bureau du Procureur. Il a d'ailleurs un

19 numéro, je l'ai trouvé dans ma documentation, je ne sais pas d'où il vient,

20 mais il a un numéro en haut, en haut dans un coin en haut, mais il a aussi

21 un numéro ERN, le 005973. Cela fait partie donc d'un rapport qui provient

22 du 1er Corps de la Krajina.

23 Q. Pourriez-vous nous lire le titre lentement, s'il vous plaît, les mots

24 qui sont inscrits au-dessus du tableau ?

25 R. "Aperçu des armes et des équipements donnés aux unités et états majors

26 de la TO par le 5e Corps."

27 Q. Bien. Nous n'avons pas encore de traduction, il faut donc s'en

28 souvenir. Mais cela dit, quelle est la ligne qui selon vous, traite donc de

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1 ces fameux fusils automatiques de fabrication russe ?

2 R. La ligne 6 du tableau. Je peux déchiffrer ce qui y est écrit : "7.62

3 millimètres automatique, M49/57." C'est le modèle, la 49/57.

4 Q. Alors comment est-ce que ceci pourrait éclairer notre lanterne ?

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que nous mélangions totalement,

6 pourriez-vous nous aider, s'il vous plaît, Monsieur Josse, à comprendre ce

7 qui est en cause ici ? C'est l'interprétation d'un rapport sur les armes

8 trouvées dans ces automobiles, c'est cela ? Je crois que le problème était,

9 peut-être que je me trompe et corrigez-moi, s'il vous plaît, mais je crois

10 que ceci avait été compris, même par M. Krajisnik, comme étant des armes

11 qui étaient des armes antiques.

12 M. JOSSE : [interprétation] Oui, si je me souviens bien du problème,

13 c'était l'âge de ces armes.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je me souviens, il s'agissait de

15 vieux fusils automatiques, c'est cela ?

16 Très bien, comme c'est le problème, M. Krajisnik, pourriez-vous, s'il vous

17 plaît, répondre à la question et nous dire en quoi cette sixième ligne de

18 ce tableau pourrait éclairer notre lanterne ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Il s'agit de fusils automatiques à tambour,

20 modèle 49 à 57. Ils ont été fabriqués pendant la Deuxième Guerre mondiale.

21 Cela tire des munitions de calibre 7,62, comme on voit à deux rangées au-

22 dessus, on voit le fusil, le 7,62 qui est un fusil automatique. Cela c'est

23 le nouveau alors que le 49 à 57 est un vieux fusil automatique qui

24 commençait à être fabriqué pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il s'agit

25 des fusils automatiques qui ont le barrier [phon] à tambour, ce que

26 possédait la TO. Ils sont apparus au début de la guerre.

27 M. JOSSE : [interprétation]

28 Q. Comment est-ce que vous savez que ceci fait référence aux armes qui ont

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1 été mentionnées dans la pièce P1213, c'est-à-dire, le rapport fait au

2 ministère de l'Intérieur à Sarajevo ?

3 R. Les seules armes automatiques de fabrication russe étaient celles qui

4 avaient ce fameux barrier [phon] à tambour. Etant donné que ce qui était

5 écrit était "des automatiques russes," j'ai compris qu'il s'agissait bien

6 de ceux qui avaient ce fameux barrier [phon] à tambour. Ma réponse était

7 que je n'en savais rien, mais j'essayais d'interpréter ce que cela pouvait

8 bien vouloir dire. Il s'agit aussi de fusils automatiques russes. C'est

9 ainsi qu'ils étaient appelés ces fameux fusils qui avaient le barrier

10 [phon] à tambour.

11 M. JOSSE : [interprétation] Pourrions-nous avoir une cote, s'il vous

12 plaît ?

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera le D258.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Krajisnik, pouvez-vous nous

16 dire les autres fusils automatiques qui sont sur cette liste, de quelle

17 origine sont-ils ? J'ai beaucoup de mal à déchiffrer ce qui est écrit sur

18 ce tableau.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais essayer de vous expliquer un tout

20 petit peu. La première arme est un pistolet, un 7,52, je crois, fabriqué

21 par l'usine Crvena Zastava en Kragujevac. Ensuite il y a le pistolet 7,65,

22 c'est un pistolet automatique.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, le premier, il est écrit

24 "pistolet." Pourriez-vous me le lire parce que j'ai beaucoup de mal à

25 déchiffrer.

26 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai du mal aussi à le lire. J'arrive quand

27 même à le déchiffrer.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est quoi le premier mot ?

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] "Pistolet 7 millimètres 62."

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous nous dites que c'est un pistolet

3 d'une certaine marque, mais comment est-ce que vous savez que c'est un

4 pistolet qui est de cette marque-là ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] J'en avais un avant la guerre, moi-même, j'en

6 possédais un.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien, très bien. Comment est-ce que

8 vous pouvez être convaincu que le pistolet qui est mentionné sur cette

9 première ligne serait un pistolet de marque -- je cherche à la ligne du

10 transcript, je vais retrouver la marque de cette arme.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, je ne suis pas militaire certes, mais je

12 sais que tous ces pistolets qui sont mentionnés ici, mis à part le premier,

13 deuxième et troisième, étaient fabriqués par l'usine Crvena Zastava à

14 Kragujevac par la division militaire de cette usine et ils étaient

15 disponibles pour quiconque voulait acheter des armes pour sa possession

16 personnelle.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous nous dites tout que vous n'avez pas

18 appris cela du document en le voyant lui-même, mais c'est de notoriété

19 publique et c'est pour cela que vous en avez conclu que ce sont des

20 pistolets qui ont été fabriqués par cette usine.

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est parce que Crvena Zastava avait une

22 usine d'armes extrêmement moderne. Par exemple, le fusil 7,62 qui est à la

23 quatrième rangée, c'est la Kalachnikov, une automatique bien connue. Cette

24 usine fabriquait des fusils automatiques modernes en utilisant sous licence

25 Kalachnikov. La Kalachnikov bien sûr c'est quand même un fusil automatique

26 très moderne. Numéro 5 c'est le PAP 7,62; c'est un fusil semi-automatique.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous savez, je ne m'y connais pas

28 vraiment dans ce domaine. Vous dites "sous licence

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1 Kalachnikov." Kalachnikov, il me semble, c'est une société russe c'est

2 cela, qui aurait concédé des licences à d'autres entreprises pour fabriquer

3 des armes. Je ne connais absolument rien à la fabrication des armes. S'il

4 vous plaît, pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit, quand vous nous

5 dites des fusils qui sont fabriqués sous licence Kalachnikov. C'est cela ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Kalachnikov était un scientifique, c'est le

7 nom d'un scientifique. Le fusil a été nommé d'après lui. Il avait 85 ans,

8 je pense qu'il a donné à Zastava la licence pour fabriquer cette arme, et

9 c'était une arme létale.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout le monde avait des Kalachnikovs de ce

12 type.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous me dites qu'à la quatrième case, ce

14 fusil automatique de 7,62 était fabriqué sous licence Kalachnikov par cette

15 usine CZ; c'est bien cela ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que l'usine Kalachnikov a concédé

18 d'autres licences pour fabriquer d'autres types de Kalachnikovs ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas, non, je ne sais pas. Dans

20 l'ancienne Yougoslavie il y avait toujours distribution de production

21 militaire. Quelque chose serait fabriqué dans une usine, à Zastava et

22 Kragujevac, on faisait ce type de petites armes, et à Vitez en en Slovénie

23 on faisait ce qu'on devait faire. Il y en a qui faisaient des chars. Il y

24 en avait qui faisaient d'autres choses, qui faisaient des canons.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'était une production yougoslave, si

26 j'ai bien compris. Tout cela c'est fabriqué de façon nationale ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout à fait.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Passons maintenant à la

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1 sixième case. Vous savez, je ne m'y connais vraiment pas grand-chose,

2 j'essaie juste de comprendre. Vous nous dites que cette arme de 7

3 millimètres 62 est de fabrication russe. Pourriez-vous nous dire exactement

4 d'abord ce qui est écrit dans la case ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] "Automatique, 7,62 mm." Ensuite, il y a un

6 grand "M49/57."

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Cela, c'est fabriqué en Russie ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. On les appelait des fusils automatiques

9 russes. C'est Automat Dobosar, ceux qui avaient ce fameux canon. Quant à

10 savoir si c'était fabriqué en Russie ou ailleurs, je ne sais pas. On les

11 appelait comme cela parce qu'ils étaient vieux. C'étaient des vieilles

12 armes.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On ne faisait pas référence à

14 Kalachnikov comme à une arme russe, c'est cela ? Quelle était la

15 nationalité de M. Kalachnikov pourtant ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, on appelait cela des fusils automatiques,

17 des fusils automatiques.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais c'est ce qui est écrit à la

19 case numéro 6 : "Automat, 7,62 millimètres."

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, mais la munition est différente, le

21 calibre est différent. On appelait cela des balles spéciales. Le modèle est

22 différent parce qu'en haut, il s'agit d'un fusil alors qu'en bas, il s'agit

23 d'une arme automatique. Ce n'est pas la même chose.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Alors le "PAP 7,62

25 millimètres," c'est quoi exactement ? Celui qui se trouve à la cinquième

26 case.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est un fusil semi-automatique, calibre 7,26.

28 Je crois que cela aussi c'était fabriqué par Zastava à Kragujevac, je le

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1 crois en tout cas. On n'a eu ces armes qu'au début de la guerre, ensuite il

2 n'y a plus eu que des automatiques.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est un tout petit peu plus clair dans

4 mon esprit. Monsieur Josse, nous pouvons peut-être poursuivre. Non, je

5 regarde la pendule, je crois qu'il va falloir que l'on s'arrête. J'essaie

6 juste de comprendre quelles sont les conclusions qu'il convient de tirer de

7 ce tableau pour ce qui est de la discussion que nous avons eue. Nous allons

8 quand même suspendre la séance pour la pause.

9 Nous reprendrons à 4 heures 30. Merci.

10 --- L'audience est suspendue à 16 heures 02.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Josse, l'Accusation a informé les

12 Juges de la Chambre du fait que le document I1 se trouvait déjà à être

13 versé au dossier.

14 M. JOSSE : [interprétation] Oui, ils nous l'ont dit également.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que cela a été attaché au

16 document P741.1. Partant de l'original, nous pouvons voir que le mot

17 utilisé qui est celui de "Automat", et c'est là que l'on a commencé à

18 interpréter le type d'armes que c'était. Lorsqu'à l'époque la question a

19 été soulevée, les interprètes ont fait comprendre de quelle façon il devait

20 être procédé la traduction. Là où en sixième case, il est dit

21 "mitrailleuse", cela n'est peut-être pas tout à fait bien parce que l'on ne

22 sait pas s'il s'agit d'une mitrailleuse ou d'une arme automatique, d'un

23 fusil automatique.

24 En même temps, une partie du problème provient du fait de savoir s'il

25 s'agissait d'une arme assez ancienne, qui datait depuis il y a très

26 longtemps pendant le conflit. Peut-être pourrions-nous demander à

27 M. Krajisnik ?

28 Vous avez dit, Monsieur Krajisnik, que c'étaient des armes qui

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1 dataient de la Deuxième Guerre mondiale, alors quelle pertinence y a-t-il à

2 préciser que l'arme était ancienne, mis à part le fait que ce n'est pas une

3 arme tout à fait moderne ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai parlé du type d'armes et j'ai dit que

5 cela datait de la Deuxième Guerre mondiale. Cela a été fabriqué même après

6 la Deuxième Guerre mondiale. J'avais un oncle qui faisait partie de l'armée

7 populaire yougoslave et qui possédait une mitraillette à chargeur tambour,

8 et c'est pour cela que j'ai su que cela datait de la Deuxième Guerre

9 mondiale.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne dis pas que ce n'est pas meurtrier;

12 c'est une arme meurtrière, bien entendu, mais qui est un peu caduque. On

13 peut toujours tuer quelqu'un avec.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais est-ce que cela a été utilisé à des

15 fins militaires ? En 1992, j'entends. Est-ce qu'ils avaient décidé de s'en

16 servir ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, au début, c'était là,

18 mais à partir du moment où il y a eu des armes plus modernes, celles-ci ont

19 été retirées. Tout le monde préférait les armes automatiques, les fusils

20 automatiques qui étaient plus modernes et meilleurs. Pour ce qui est des

21 autres, je ne sais pas ce qu'il en est advenu. Je n'en ai aucune idée.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais ces armes vieux jeu, si je puis

23 dire ainsi, ont-elles été distribuées pour le conflit de 1992 ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suppose que oui, mais je ne le sais pas. Je

25 ne puis que supposer.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est ce que l'on peut déduire de la

27 pièce P741. Dans la lettre envoyée par le général Talic à l'intention du 1er

28 Corps de la Krajina, du commandement du 1er Corps de la Krajina, il est

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1 donné une explication disant que ce sont des armes délivrées aux unités et

2 au QG de la TO; en d'autres termes, à des structures extérieures aux forces

3 armées, depuis le début des activités qui visaient à faire protéger les

4 Serbes vis-à-vis du génocide en Croatie et de la Republika Srpska. Alors

5 partant de la lettre, il nous est donné de conclure -- la lettre jointe à

6 cette liste -- on pourrait conclure que l'arme en question pouvait jouer un

7 rôle actif dans les hostilités, ou ai-je mal compris ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, la Défense territoriale

9 a été placée sous l'armée populaire yougoslave, mais de façon dissociée du

10 reste des forces armées. Alors quand on les a distribuées, c'était pour

11 qu'on puisse se battre avec, pas pour qu'on les garde à la maison. Vous

12 avez raison.

13 M. JOSSE : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je faire un

14 commentaire ?

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

16 M. JOSSE : [interprétation] Nous avons été la partie qui a choisi de

17 procéder à des questions complémentaires sur ce sujet, compte tenu des

18 échanges entre M. Krajisnik et vous-même au sujet de ces armes automatiques

19 russes. Toujours est-il que bon nombre de questions à ce sujet pourraient

20 connaître une réponse meilleure faite par d'autres témoins comparaissant

21 devant les Juges de la Chambre qui seraient plus qualifiés, pour ce qui est

22 de parler de ce qui s'est passé sur le terrain, que ne l'est M. Krajisnik.

23 Les Juges de la Chambre ont entendu bon nombre de personnes qui ont été

24 impliquées dans le conflit sur une base journalière, et les Juges ont

25 également pu entendre des experts militaires qui également pourraient

26 parler de la question.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

28 M. JOSSE : [interprétation] Donc, je tiens à faire remarquer que M.

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1 Krajisnik a lui-même fait remarquer qu'il n'était pas un expert en matière

2 militaire et il n'est pas contesté le fait qu'il n'a pas pris physiquement

3 part au combat, ce qui fait que cela est un point sur lequel les deux

4 parties sont tombées d'accord.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais il y a eu une possibilité qui

6 a été celle de laisser entendre par le fait que c'étaient des armes

7 caduques qui seraient donc censées diminuer l'importance de l'événement

8 dont il a été question. Or, M. Krajisnik a été tout à fait explicite à ce

9 sujet, et je crois que c'est versé au dossier, à savoir que c'est consigné

10 au compte rendu d'audience. Le fait que ces armes aient été caduques

11 n'empêche pas le fait qu'elles aient pu être distribuées, et si

12 contestation quelconque il y a, nous pourrons nous repencher sur la

13 question. Mais vous pouvez donc continuer, Maître Josse. Une fois constaté

14 que le P741 est déjà versé au dossier, le numéro D258 pourra être libéré,

15 pourra être disponible.

16 M. JOSSE : [interprétation] Alors peut-être pourrions-nous attribuer cette

17 cote au document suivant, qui est le document H1 dans la liasse de

18 documents qui vous a été distribuée ?

19 Ici, il s'agit d'une interview avec M. Krajisnik. C'est le journal Srpski.

20 C'est daté du 21 décembre 1992. Messieurs les Juges, l'avant-dernière

21 question et la réponse qui a été apportée sont ce qui nous intéresse. Nous

22 vous demanderions de vous pencher sur la page 2 où il y a une version

23 agrandie pour qu'on puisse lire plus aisément.

24 Q. Vous l'avez en surligné en jaune et vous avez la version agrandie, et

25 je vous prierais de nous donner lecture de la question et de la réponse qui

26 a été apportée, en allant lentement, je vous prie.

27 R. "Vous n'ignorez pas le fait que la commission chargée des droits de

28 l'homme auprès des Nations Unies a même voté une résolution par laquelle

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1 seuls les Serbes au sein de la Bosnie-Herzégovine sont accusés d'un

2 génocide ?"

3 Réponse : "Le terme de 'nettoyage ethnique' ne correspond pas, du

4 moins pas entièrement à ce qui est en train de se passer sur le territoire

5 de l'ex-Bosnie-Herzégovine, car nous ne considérons pas que les Serbes - et

6 c'est eux que je prends en exemple - aient été expulsés de Vitez ou de

7 Zenica s'il leur a été fourni la possibilité de déménager paisiblement, à

8 savoir de s'en aller là où c'est plus sûr pour eux - sur le territoire de

9 la Republika Srpska. Personnellement, je suis contre toute forme de

10 contrainte. Je condamne de façon énergique toute tentative d'expulsion

11 forcée des gens de leurs foyers ancestraux, c'est pourquoi le terme de

12 'nettoyage ethnique' doit être pris avec des réserves. Il a été utilisé

13 rien que dans le rapport de Tadeusz Mazowiecki, ex-premier ministre

14 polonais qui, de façon extrêmement unilatérale, hypocrite, comme s'il

15 faisait un rapport sur commande, a accusé rien que les Serbes en ex-Bosnie-

16 Herzégovine."

17 Voulez-vous que je continue la lecture ?

18 Q. Non. Vous souvenez-vous de l'interview que vous avez accordée ?

19 R. Depuis le temps qui s'est passé, je ne me souviens pas de l'interview,

20 mais je sais que cela a été mon opinion au sujet du nettoyage ethnique et

21 du rapport présenté par M. Mazowiecki.

22 Q. Est-ce que cette position de l'époque diffère de la position qui est la

23 vôtre aujourd'hui ?

24 R. Malheureusement, pour ce qui est du rapport Mazowiecki, il n'y a aucune

25 différence. Pour ce qui est du nettoyage ethnique, je sais ce que signifie

26 que d'abandonner son foyer, et de nos jours, je suis profondément contre,

27 profondément contre toute expulsion de la population, parce que j'estime

28 que c'est l'événement sur le plan émotionnel le plus grave qui pourrait

Page 25994

1 survenir pour quelqu'un. Même à ce jour, je rêve de mon village, quoi que

2 n'ayant pas été ethniquement nettoyé moi-même; je l'ai quitté, tout

3 simplement.

4 M. JOSSE : [interprétation] Messieurs les Juges, voulez-vous que cette

5 pièce constitue la pièce à conviction D258 ?

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

7 M. TIEGER : [interprétation] Il me semble que c'est également une pièce à

8 conviction de l'Accusation. J'essaie de vérifier pour retrouver le numéro.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors si c'est une pièce à conviction,

10 nous allons attendre. Avez-vous d'autres documents ou d'autres questions à

11 poser à M. Krajisnik à ce sujet, Me Josse ?

12 M. JOSSE : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à lui poser au

13 sujet de ces interviews.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors, bien.

15 Monsieur Krajisnik, je suis en train de lire attentivement ce que

16 vous venez de dire. Vous avez dit : "Le terme de 'nettoyage ethnique' ne

17 correspondait pas entièrement à ce qui était en train de se passer sur le

18 territoire de la Bosnie-Herzégovine," et vous énoncez les raisons.

19 A cette fin, vous estimez que : "Les Serbes ne devraient pas être

20 considérés comme étant expulsés de Vitez ou de Zenica," à titre d'exemple

21 seulement, "s'ils ont eu la possibilité de déménager de façon pacifique."

22 Par cette réponse, vous laissez entendre qu'ils n'ont pas pris cela

23 comme une possibilité de s'en aller à titre pacifique ou d'une façon

24 paisible, ou est-ce que je vous ai mal compris ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, Monsieur le Président. J'ai dit que ces

26 gens ont été heureux de pouvoir quitter des territoires dangereux et ils

27 ont été heureux d'arriver à nos territoires. Ils ont peut-être jugé plus

28 important le fait d'avoir eu la vie sauve, d'avoir pu se sauver. Sur la

Page 25995

1 base d'une réciprocité, j'ai appris que les Musulmans qui résidaient sur

2 notre territoires avaient également souhaité partir vers des régions plus

3 sûres, mais j'ai estimé devoir être contre le fait d'expulser quelqu'un,

4 parce que j'ai pu observer les Serbes arrivant chez nous et j'en ai tiré ce

5 type de conclusion, parce que bon nombre de Serbes ont quitté la Bosnie

6 centrale.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Alors ce que je crois comprendre,

8 c'est que vous êtes en train de dire que si l'on décide en fin de compte de

9 partir vers des lieux plus sûrs, cela ne constitue pas un nettoyage

10 ethnique.

11 La question suivante que j'ai à vous poser, c'est de dire que si la

12 vie pour quelqu'un est si dangereuse ou misérable --

13 M. JOSSE : [interprétation] Puis-je me permettre d'interrompre ?

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

15 M. JOSSE : [interprétation] Parce que là, ce sont des choses tout à fait

16 différentes, n'est-ce pas ?

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, alors je vais partager, je vais

18 scinder les choses. Si la vie de quelqu'un est mise à tel point en danger

19 que les gens choisissent de s'en aller vers des lieux où ils sont plus

20 sûrs, et j'essaye de formuler ma question de façon tout à fait attentive,

21 est-ce que ceci exclu la possibilité de considérer cela comme étant un

22 nettoyage ethnique ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] La question est très délicate, Monsieur le

24 Président. Je suis opposé à toute contrainte; or, la contrainte est

25 difficile à prouver parce qu'il y a un mélange de raisons objectives et

26 subjectives. Si vous voulez placer quelque chose au premier plan, vous avez

27 tendance à placer les raisons subjectives. Mais si vous dites objectivement

28 que vous avez peur parce que vous êtes minoritaires, cela dépend du nombre

Page 25996

1 d'éléments à prendre en considération. Je ne peux pas m'ériger en arbitre

2 pour savoir quels sont les éléments qui l'ont emporté, s'agissant des

3 Musulmans qui sont partis, parce que si quelqu'un leur a délibérément rendu

4 la vie difficile, non pas en raison de la guerre, parce que la guerre

5 apporte suffisamment de situations difficiles, mais si cela a été le cas de

6 façon délibérée - et peut-être cela a-t-il été le cas avec les Serbes à

7 Zenica - ils peuvent toujours dire : Dieu merci, on a la vie sauve. Mais il

8 y a aussi des expulsions forcées. Là, la situation est tout à fait nette,

9 c'est la raison pour laquelle j'ai dit que j'étais opposé au nettoyage

10 ethnique et j'ai comparé cela avec la partie serbe, parce que je ne sais

11 pas ce qui s'est passé avec la partie musulmane. Je ne sais pas ce qui l'a

12 emporté, s'agissant des Musulmans, parce qu'ils ont tous signé le fait

13 d'avoir -- de vouloir partir, puis après, ils ont dit qu'ils ont été

14 nettoyés ethniquement. Donc, il serait difficile d'avoir a posteriori

15 l'intelligence nécessaire. Mais la guerre vous rend la tâche aisée pour ce

16 qui est de rendre la vie dure à quelqu'un. Il n'y a déjà pas assez de

17 nourriture pour tout le monde, cela pourrait suffire comme raison, et ce

18 n'est peut-être pas forcément délibéré, cela pourrait être complètement

19 fortuit et ce sont des choses que j'ai pu voir.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dans ce que vous venez de dire, vous

21 avez signalé que tout un chacun avait exprimé le souhait de s'en aller, et

22 cetera, et qu'ils étaient heureux de s'en aller et que par la suite, ils

23 ont dit qu'ils ont fait l'objet d'un nettoyage ethnique et qu'il est

24 difficile de soulever le tout, d'arbitrer. Est-ce qu'à votre avis, cela

25 n'aurait pas constitué un nettoyage ethnique, ou à votre avis, est-il

26 difficile de décider si oui ou non il s'agit d'un nettoyage ethnique et

27 qu'il dépendrait des circonstances, pour ce qui est de pouvoir parler de

28 nettoyage ethnique ? Pouvons-nous entendre votre point de vue ?

Page 25997

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais essayer d'être objectif le plus

2 possible. Pour le moins qu'on puisse dire, il ne s'agit pas là de pur et

3 simple nettoyage ethnique. Je vous ai donné l'exemple de Pale. J'ai

4 interrogé bon nombre de personnes et ils ont dit qu'il n'y avait aucune

5 contrainte. Puis, ces gens-là ont dit qu'ils ont fait l'objet d'un

6 nettoyage ethnique. Maintenant, il faut faire des tas de choses pour

7 prouver que ce n'est pas le cas, parce que les gens ont fui les régions où

8 ils étaient minoritaires. Alors, il se peut qu'il y ait eu ce que vous

9 dites, à savoir qu'il y ait eu contrainte de la part de quelqu'un, mais il

10 avait suffit d'être minoritaires pour que les gens aient exprimé le souhait

11 de s'en aller dans la plupart des villes. Je ne peux pas juger de ce qui

12 s'est passé dans les différentes municipalités, mais j'essaye autant que

13 faire se peut d'être objectif.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

15 Maître Josse, veuillez continuer, je vous prie. Pour votre

16 information, je tiens à préciser que l'interview fait partie de la pièce

17 P583, intercalaire 121.

18 M. JOSSE : [interprétation] Oui, merci.

19 Q. Monsieur Krajisnik, vous vous êtes référé un peu plus tôt à une

20 interview qui figure au tout début du classeur et cela porte une référence

21 A6, et vous avez dit que vous vouliez en parler.

22 M. JOSSE : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agit

23 de la pièce 1241. Nous avons des copies que nous avons fait distribuer et

24 cela a été distribué pendant le contre-interrogatoire du témoin.

25 Q. En page 5, en toute dernière page, du côté droit, et à l'intention des

26 interprètes, je dirais que c'est vers la moitié de la dernière colonne et

27 vous avez, Monsieur Krajisnik, un passage qui est marqué mais qui n'est pas

28 traduit. L'Accusation ne l'a pas fait traduire. Ce n'est pas une critique.

Page 25998

1 C'est juste une observation. J'aimerais que vous donniez lecture lentement

2 de ce passage.

3 R. "Donc, qui est-ce qui en est coupable ? Peut-être doit-on blâmer

4 davantage ceux qui les ont incités et moins la partie musulmane, quoique

5 cette dernière aurait dû tenir compte de la guerre, mais ils sont à blâmer.

6 Quand nous disons, c'est notre faute à nous, quand c'est eux qui le disent,

7 ils le sont aussi. Je ne veux pas problématiser davantage, mais l'essentiel

8 est la chose suivante : étant donné que la guerre nous a été imposée, cette

9 guerre a apporté des réalités nouvelles. Malheureusement, il y a eu

10 beaucoup de victimes en guise de produit de ces réalités nouvelles. A

11 présent, il n'y a plus de Serbes en Bosnie centrale. Il n'y en a plus ou il

12 y en a bien moins. Peut-être sont-ils 100 000 en Bosnie orientale là où il

13 y avait des Musulmans, mais là il n'y a plus de Musulmans car ces derniers

14 ont fui vers la partie centrale de la Bosnie. Tout simplement maintenant,

15 tant les Serbes que les Musulmans et les Croates, se sont séparés, ou mieux

16 vaut-il dire peut-être, les Serbes et les autres parce qu'au sein de la

17 fédération, il y a encore des enclaves mixtes. Ils se sont séparés comme se

18 sépare l'huile et l'eau et qu'on le veuille ou pas, toute la vie durant,

19 parce que quand vous remplissez une bouteille pour une moitié de l'huile et

20 pour une moitié de l'eau et quand vous mélangez cela vous donne une

21 émulsion, mais quand vous laissez reposer, cela se sépare. L'ex-régime

22 avait gardé cela ensemble moyennant recours à des clés moyennant

23 contraintes, et nous avons été 'mélangés' pour donner un tout."

24 L'INTERPRÈTE : L'interprète précise que le texte n'est pas très clair.

25 M. JOSSE : [interprétation]

26 Q. Ce sont des propos que vous avez tenus en 1995. Comment ces propos

27 s'intègrent-ils, si tant est que cela est le cas, aux questions qui vous

28 ont été posées tant par les éminents confrères de l'Accusation que par le

Page 25999

1 Juge qui préside aux travaux de la Chambre, pour ce qui est de vos points

2 de vue relatifs au nettoyage ethnique ?

3 R. J'ai dit ici que la guerre a mis en place des réalités nouvelles. Je ne

4 voulais pas parler de la problématique qui était celle de savoir si des

5 gens ont quitté leur foyer ou ont été expulsés. Mais la réalité était celle

6 de dire qu'il n'y avait plus de Serbes à Zenica, qu'il n'y avait plus de

7 Musulmans à Zvornik, qu'il n'y avait plus de Serbes à Mostar, qu'il n'y

8 avait plus de Musulmans en Nevesinje ou que sais-je encore. Quand j'ai dit

9 cela, j'ai véritablement considéré que les uns, les autres et les tiers se

10 trouvaient dans la même situation. Il eut été trop grave que d'affirmer que

11 les Serbes ont quitté leurs territoires et que les Musulmans ont été

12 expulsés des leurs ou vice-versa. Je crois que la destinée en temps de

13 guerre, s'agissant de ces trois groupes ethniques, a été la même plus ou

14 moins pour les trois parce qu'ils ont été exposés à des circonstances plus

15 ou moins identiques pour ce qui est d'abandonner leurs foyers.

16 J'ai ajouté qu'à l'époque socialiste, il a été créé un faux-semblant

17 de fraternité et d'unité où nous avons soi-disant été une seule et même

18 chose, mais dès que la guerre a commencé, on a tout suite vu qu'il y avait

19 des animosités parce il y a eu une guerre généralisée qui a éclaté

20 immédiatement entre les trois groupes ethniques. Ils ont été "ensembles"

21 côte à côte dans l'époque du socialisme, en "grand amour" mais dès que la

22 guerre a éclaté, cela a été une guerre totale entre les groupes ethniques

23 et non pas une guerre entre groupes sociaux ou groupes idéologiques ou que

24 sais-je. Je le dis à grand regret mais c'est la réalité.

25 Q. J'aimerais maintenant --

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le Juge Hanoteau a une question.

27 M. LE JUGE HANOTEAU : Monsieur Krajisnik, vous dites : [interprétation]

28 "Pendant le système socialiste, il y avait une fausse apparence de

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1 fraternité, une unité dans laquelle nous étions tous unis."

2 [en français] Vous dites : [interprétation] "Sous le système socialiste,

3 pendant cette époque, il y avait beaucoup 'd'amour' entre les trois

4 groupes."

5 [en français] Excusez-moi, Monsieur Krajisnik, vous semblez dire qu'il y a

6 une fraternité qui est imposée par le régime socialiste; et d'un autre

7 côté, vous dites : Il y avait de l'amour dans cette société. Merci de me

8 dire si c'est ou non, une contradiction.

9 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai dit amour, entre guillemets, peut-être

10 l'ai-je fait à tort. Mais j'ai cru. J'ai cru que jamais entre nous, il ne

11 serait y avoir une guerre ou de la haine. Je ne croyais pas à l'existence

12 de la haine. J'étais un idéaliste. J'avais des amis musulmans, des amis

13 croates. Nous nous respections mutuellement et ainsi de suite, mais chose

14 incroyable, quand la guerre a éclaté, c'est incroyable que de voir comment,

15 à quel point, de quelque part, la haine a jailli. Il n' y a pas la faute

16 seulement des leaders.

17 Tout simplement, tout un et chacun avait commencé à tirer des

18 exemples de mémoire datant d'il y a plus de 100 ans ou je ne sais combien.

19 J'ai constaté que ce que j'ai estimé être une véritable fraternité, unité

20 et de l'amour, c'était du mensonge. Et il y avait cette clé ethnique, parce

21 que si le Serbe était directeur, l'adjoint était Croate ou Musulman. Si le

22 gérant était Croate, le Musulman devait être son suppléant. Et on a fait

23 cela pour que les choses fonctionnent parfaitement. Des frères ne sauraient

24 vraiment pas se battre ou se faire la guerre. Alors s'ils se qualifient de

25 frères et que ce n'est pas le cas, très facilement, il y a des situations

26 où il y a bagarre ou guerre. C'est ce que je voulais dire. J'ai été

27 terriblement surpris de voir, de voir qu'une telle effusion de sang pouvait

28 survenir du jour au lendemain. C'est ce qui s'est passé et autre chose,

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1 vous m'excuserez, de nos jours.

2 Cela fait 12 ans qui se sont écoulés depuis Dayton et il est

3 incroyable de voir dans certains secteurs combien les animosités sont

4 encore vives, comme si la guerre venait de prendre fin hier. Je n'y suis

5 pas, mais à Mostar, à Sarajevo, partout. Il n'y a plus de criminels de

6 guerre, il y a d'autres gens là-bas, mais les animosités sont là; et sont

7 en train de mentir ceux qui affirment que tout va bien là-bas. Ce n'est pas

8 vrai. Je le vois. Il y a des scissions qui s'opèrent entre les hommes. Je

9 ne sais pas pourquoi, je n'en sais rien. Vous pouvez voir, même dans les

10 médias ce qui se passe dans la Bosnie-Herzégovine. Même maintenant, 14 ans

11 après la fin de la guerre. Je n'en sais rien. Il faudrait faire recours à

12 des psychologues pour qu'ils vous expliquent les raisons de la chose. La

13 chose la plus facile, c'est de dire : c'est la faute à autrui, à quelqu'un,

14 à un tiers. Mais il y avait quelque chose en Bosnie, une espèce de germe

15 qui n'a fait que s'épanouir. Je ne sais pas si j'ai réussi à vous

16 expliquer, Monsieur le Président.

17 Quand j'ai dit ici que quand c'est nous qui racontons c'est leur faute.

18 Quand eux, ils parlent, c'est notre faute à nous. Chacun dit : c'est la

19 faute de l'autre. Vous écoutez un Serbe, c'est les autres qui sont

20 coupables; quand vous écoutez les Musulmans, c'est les autres qui sont

21 coupables. Et c'est ainsi que les choses se sont passées.

22 M. LE JUGE HANOTEAU : Monsieur Krajisnik, et si je vous demandais

23 aujourd'hui : qu'est-ce que vous en pensez ? Parce que vous y avez réfléchi

24 à tout cela. Quelle est votre explication ?

25 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]

26 M. LE JUGE HANOTEAU : Je disais, Monsieur Krajisnik, j'ai écouté avec

27 beaucoup d'attention ce que vous venez de dire, mais je voudrais savoir

28 aujourd'hui, après toutes ces années passées, est-ce que vous trouvez une

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1 explication à cette résurgence de la haine qui a causé des souffrances,

2 nous avons bien compris, chez tout le monde ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, la question musulmane et la

4 question serbe, la question croate en Bosnie ne se trouvent être résolues.

5 Je pense peut-être de façon différente. Ils ont tous estimé que les Croate

6 devaient recevoir une entité à eux. Cela c'est d'un. Mais j'estime que les

7 Musulmans, eux, devraient bénéficier d'une entité à eux, parce que le

8 problème c'est qu'il y a à chaque fois, une partie qui veut l'emporter sur

9 l'autre. Il faut que les trois parties soient sur un pied d'égalité. Je

10 vous assure, il s'est passé des siècles. Les gens vivaient les uns à côté

11 des autres et ils vivaient bien ensemble lorsqu'ils étaient sur un pied

12 d'égalité. Lorsque l'un ne dominait pas l'autre. Maintenant, les Musulmans

13 et les Croates n'ont pas d'entité à eux et ils sont tournés contre les

14 Serbes qui eux ont une entité à eux. Ils se disputent tous entre eux. La

15 haine, elle, est survenue parce que ces trois groupes ethniques n'ont pas

16 un vécu à eux en Bosnie-Herzégovine. Ils ont ressenti la nécessité d'avoir

17 un Etat, pas un Etat au vrai sens du terme, mais s'ils pouvaient ne pas

18 être dominés par les uns ou les autres, cela donnerait la paix. Il ne

19 s'agit pas de partager la Bosnie, il faut qu'ils aient leurs entités à eux.

20 Il faut qu'ils aient leur pouvoir local à eux, où ils pourront décider pour

21 eux et non pas qu'un autre groupe ethnique vienne vous diriger les choses

22 ou vous imposer les choses parce que la situation, telle qu'elle est, est

23 intenable. Cela, c'est mon opinion, ma libre opinion personnelle. Peut-être

24 ne suis-je pas dans mon droit.

25 M. LE JUGE HANOTEAU : Merci, Monsieur.

26 M. JOSSE : [interprétation]

27 Q. Je voudrais vous poser une question au sujet de la 22e Session. Un

28 extrait d'un discours fait par M. Srdjo Srdic.

Page 26003

1 M. JOSSE : [interprétation] Nous nous sommes penchés sur la question et

2 nous avons trouvé deux traductions différentes. Or, je sais que M. Tieger

3 avait mentionné aux Juges de la Chambre qu'il y a eu une session où

4 l'Accusation avait fourni une traduction nouvelle. Peut-être pourrions-nous

5 confier à M. Krajisnik cette partie pertinente de l'intervention.

6 M. TIEGER : [interprétation] Est-ce que vous pourriez nous donner les pages

7 en B/C/S ou en anglais, comme cela, on pourra vous aider.

8 M. JOSSE : [interprétation] En B/C/S, il s'agira du 02149745 ou plutôt de

9 la page 37. J'aimerais que l'on remettre cela à M. Krajisnik.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que Monsieur l'Huissier pourrait

11 nous aider ?

12 M. TIEGER : [interprétation] Je m'excuse. Pourriez-vous reprendre le numéro

13 que vous avez donné ?

14 M. JOSSE : [interprétation] Oui. Il s'agit du 02149745.

15 M. TIEGER : [interprétation] Fort bien.

16 M. JOSSE : [interprétation] En anglais, nous avons deux traductions

17 différentes, comme je l'ai dit. Il y en a une qui porte en bas de page, le

18 numéro 115 et l'autre porte 118 à 123, en bas.

19 M. TIEGER : [interprétation] La page 115 en anglais semblerait représenter

20 le texte correspondant de ce que vient de citer en B/C/S mon éminent

21 confrère. Il s'agit également d'une traduction révisée. Je crois que par sa

22 longueur, nous pouvons que c'est bien ceci. Je crois qu'il s'agit d'une

23 citation.

24 M. JOSSE : [interprétation] Il y a un certain nombre de mots qui sont

25 illisibles, c'est ce que nous voulions dire. C'est très important. Ce que

26 je vais faire c'est qu'avec votre permission, j'en donnerai lecture de

27 l'autre, depuis l'autre traduction. Je vais demander à M. Krajisnik de

28 suivre attentivement ma lecture et de lire l'original, et si l'un des mots

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1 n'est pas clair ou si l'un des mots n'est pas tout à fait bien traduit, à

2 ce moment-là, il faudra nous le dire. Monsieur Josse, excusez-moi, je ne

3 sais pas si les traducteurs ou les interprètes vont être d'accord. Enfin,

4 il y a certains mots qui ne sont peut-être pas vraiment lisibles. Je ne

5 sais pas ce qu'on peut dire objectivement de ne pas représenter des mots

6 lisibles, mais en fait, il est certain que nous avons donné toutes les

7 parties lisibles à traduire.

8 M. JOSSE : [interprétation] J'ai un certain nombre de copies de la

9 traduction originale, et pour ce qui est de la nouvelle traduction, je n'ai

10 qu'une copie et nous pourrions la placer sur le rétroprojecteur et je --

11 peut-être, Monsieur le Président, c'est à vous de décider.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien, alors est-ce que vous voulez --

13 M. JOSSE : [aucune interprétation]

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne sais pas s'il est possible de

15 placer le document sur le rétroprojecteur de façon à voir les deux

16 exemplaires ? C'est ainsi que nous pourrions faire une comparaison entre

17 les deux. Je ne sais pas si on pourrait faire ceci peut-être en plaçant le

18 texte en haut ou le texte en dessous ? Pour l'autre, je ne sais pas si nous

19 pouvons nous livrer à cet exercice.

20 M. JOSSE : [interprétation] Permettez-moi, Monsieur le Président, de

21 montrer à l'huissier le passage qui nous intéresse.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Puis, je vous prie d'indiquer

23 à l'huissier.

24 M. JOSSE : [interprétation] J'ai souligné l'une de ces versions, mais

25 l'autre, je ne l'ai pas surlignée.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Voilà l'original qui est

27 surligné.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Je me demande si le document

Page 26005

1 pourrait être placé de sorte à voir l'autre texte également afin de pouvoir

2 comparer les deux. Voilà, pouvez-vous déplacer un peu vers le bas de façon

3 à ce que nous pouvons peut-être -- je ne sais pas si nous pouvons voir les

4 deux exemplaires ? Nous ne voyons qu'une copie, mais si nous avions les

5 deux parties pertinentes, à ce moment-là nous pourrions peut-être comparer

6 les deux. Voilà, donc si vous -- peut-être un petit peu plus vers le haut.

7 M. JOSSE : [interprétation] Je crois que maintenant, nous avons les deux

8 textes sur le même écran.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, déplacez-les légèrement vers le

10 bas, je vous prie, maintenant. C'est ainsi que nous allons bien sûr voir le

11 nom de Srdic sur les deux copies. Si vous nous donnez lecture de la partie

12 surlignée à ce moment-là -- mais non, ce n'est pas cela qu'on voulait.

13 Monsieur l'Huissier, c'était tout à fait correct. Vous l'avez déplacé,

14 bien, voilà. C'est peut-être mieux comme cela.

15 M. JOSSE : [interprétation] Très bien, merci beaucoup.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

17 M. JOSSE : [interprétation]

18 Q. "Prijedor est composé en moyenne de 10,5 % jusqu'à 12 000 soldats sur

19 le front. Nous allons tous les rappeler de la ligne, les rappeler de

20 revenir de la ligne de front, et nous écraserons. Nous ne nous vous avons

21 pas demandé ni vous, ni M. Karadzic, ni M. Krajisnik quoi faire à Prijedor.

22 La seule municipalité verte en Bosanska Krajina était Prijedor. Si nous

23 vous avions écouté, cette municipalité aurait encore été verte, nous nous

24 appellerions encore Krupa et Prijedor n'aurait pas été Prijedor. Nous nous

25 sommes occupés d'eux et nous les avons lapidés avec des pierres, et nous

26 les avons envoyés là où ils appartiennent."

27 Par la suite, nous voyons qu'entre parenthèses, il est écrit :

28 applaudissements. Maintenant question, Monsieur Krajisnik. Pour ce qui est

Page 26006

1 du mot "vert", ici dans ce texte, dans votre version à vous, le mot "vert",

2 est-ce qu'il est clair ?

3 R. Oui, oui. On fait trait aux Musulmans ici, lorsqu'on parle de la

4 couleur verte, on parle de Musulmans.

5 Q. Oui, parce que dans notre texte, il semblerait que ce mot n'était pas

6 tout à fait lisible. Bien, mais je crois que le sens des deux traductions

7 est essentiellement le même, en fait, les deux textes sont essentiellement

8 les mêmes. Qu'est-ce que vous aviez compris de ces propos de M. Srdic ?

9 Qu'est-ce qu'il voulait exactement dire dans son discours et comment cela

10 se fait-il qu'il a reçu cet applaudissement ?

11 R. M. Srdic était contre l'arrivée du Bataillon canadien à Banja Luka,

12 alors que M. Koljevic, puisqu'il était en contact avec la FORPRONU, il

13 avait proposé que l'assemblée adopte une décision selon laquelle le

14 Bataillon canadien de la FORPRONU devait être déployé ou cantonné à

15 Sarajevo. M. Srdic est tout à fait contre cet ordre, donc pour que le

16 Bataillon canadien soit cantonné à Banja Luka. M. Srdic est tout à fait

17 contre ceci et il dit : Nous n'avons pas demandé ni à M. Koljevic, ni à M.

18 Karadzic, ni à qui que ce soit d'autre de nous donner conseil sur ce que

19 nous devions faire pendant la guerre, et c'est pour cela qu'il faudrait

20 faire à Prijedor, et c'est pour ceci que nous avons, pour ce qui est de la

21 municipalité qui était peinte en verte, cette municipalité aurait été

22 encore intacte. Maintenant il y a plusieurs façon de comprendre ce qu'il

23 dit, mais puisqu'on a parlé du départ de très grand nombre de réfugiés, ou

24 plutôt, parlons de Musulmans de Trnopolje, de Manjaca, et cetera, je crois

25 que ce discours pouvait également faire allusion à ceci, c'est-à-dire que

26 ces derniers avaient fait leur bagages pour partir en direction de l'ouest

27 et que ces personnes de Prijedor avaient été dupées. On leur avait dit

28 qu'elles pouvaient revenir et qu'il avait interdit à Ceda Aleksic de

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1 revenir à Prijedor.

2 En fait, il étale ici son esprit de contradictoire, c'est-à-dire

3 qu'il est tout à fait contre, mais il explique avec véhémence qu'il est

4 contre l'arrivée du Bataillon canadien et qu'il prendra des mesures

5 radicales. C'était un vieil homme assez âgé, il parle de façon un peu

6 emphatique et je ne l'avais pas tout à fait compris littéralement. Bien

7 sûr, plus tard nous avons pris une décision, mais il a bien voulu nous

8 expliquer son point de vue et nous dire de cette façon-ci qu'il était

9 contre l'arrivée du Bataillon canadien. Puisque c'était une personne qui

10 parlait d'une façon un peu agressive avec énormément de tempérament, il a

11 reçu un applaudissement des députés, et nous étions vraiment pris de court,

12 nous ne savions pas comment nous comporter envers la FORPRONU. Et voilà, je

13 le répète, nous avions quand même décidé tous seuls, sans vous demander à

14 vous, c'est ce que j'avais dit, c'est une comparaison importante et ce que

15 nous allons faire à l'avenir, et si vous emmenez les soldats canadiens

16 contre lesquels il était -- je veux dire, contre l'arrivée desquels il

17 s'était exprimé. Pour ce qui est de Prijedor, la police avait encerclé

18 Prijedor et personne n'était au courant de ce qui s'est passé ce matin-là,

19 c'est-à-dire qu'ils ont pris le pouvoir.

20 Q. Je souhaiterais entrer un petit peu plus en détail et analyser ces

21 propos : "Nous ne vous avons pas demandé ni à vous, ni à M. Karadzic, ni à

22 M. Krajisnic." Est-ce que c'était un commentaire qui avait été conçu et

23 fait pour illustrer soit les liens ou les manques de liens qui existaient

24 entre cette municipalité-là et Pale ou est-ce qu'il voulait simplement

25 parler du Bataillon canadien et du rôle qu'il allait jouer dans cette

26 municipalité ?

27 R. Non. Pas du tout, c'était un fait. Il avait dit que nous n'avions pas

28 des liens avec Prijedor puisque le tout avait été fait sans se consulter,

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1 sans se concerter avec qui que ce soit. C'était un fait, il en parle, et

2 toutes les discussions tournent autour de l'arrivée du Bataillon canadien,

3 mais il en a profité pour exprimer également son point de vue quant à la

4 population de Prijedor, la libération de Prijedor, et qu'il ne s'agissait

5 pas d'une municipalité verte, mais une municipalité serbe.

6 Q. Avec votre permission, je souhaiterais vous reporter au document P100 -

7 - pardon, P1225. En l'occurrence, il s'agit ici d'un rapport émanant du

8 ministre de l'Intérieur. On vous a posé un certain nombre de questions sur

9 ce rapport dans le cadre des questions relatives à la présence des hommes

10 d'Arkan dans Pale.

11 M. JOSSE : [interprétation] Dans ce rapport, en haut de la page 3 en B/C/S,

12 en haut de la page 3 également en anglais -- c'est le témoin qui a besoin

13 de ce rapport. Je vous remercie d'avoir distribué ces documents. Je veux

14 dire la Chambre, mais il faudrait aussi le donner au témoin.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord.

16 M. JOSSE : [interprétation]

17 Q. Page 3, Monsieur Krajisnik, en B/C/S, je vous prie.

18 On peut lire, je vais résumer : lors d'une inspection du poste de sécurité

19 publique de Pale, il a été trouvé qu'un groupe des hommes d'Arkan sont

20 encore présents à la l'Hôtel Panaroma. Le chef Koroman a présenté ceci

21 comme un problème et il a voulu résoudre ce problème puisqu'il s'attendait

22 à ce que leur commandant et un certain nombre de personnes dans les jours à

23 venir résolvent ce problème."

24 Qui était le chef Koroman, je vous prie ?

25 R. C'était M. Malko Koroman. Il était le chef de police à l'époque et plus

26 tard aussi, d'ailleurs.

27 Q. S'agissait-il d'un homme qui parlait de façon régulière ? Est-ce que

28 vous avez régulièrement parlé à cet homme au cours de l'année 1992 ou est-

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1 ce que vous ne lui avez jamais adressé la parole ?

2 R. Je crois que c'était assez rare, mais je connaissais la personne. Je ne

3 nie pas de lui avoir jamais parlé, mais je n'avais absolument aucune raison

4 pour m'entretenir avec lui souvent. Je crois que je me suis entretenu avec

5 lui assez rarement, d'ailleurs.

6 Q. Est-ce qu'il ne vous a jamais mentionné, vous a-t-il parlé de la teneur

7 de ce rapport, notamment que des hommes d'Arkan étaient encore présents à

8 l'hôtel ?

9 R. Non, non, Monsieur Josse. J'ai voulu expliquer la chose suivante. J'ai

10 voulu dire qu'à Pale, il y avait également le ministre du MUP, Radevic et

11 les autres ainsi que les membres du gouvernement. Si ces derniers étaient à

12 l'Hôtel Panorama avec moi, s'ils m'accompagnaient, tous ces derniers, on

13 aurait pu appeler des hommes d'Arkan, c'est-à-dire qu'on n'aurait pas parlé

14 des réfugiés lors de la séance du gouvernement des réfugiés si les hommes

15 avaient été là. Je vous affirme avec certitude qu'il n'y avait absolument

16 pas d'hommes d'Arkan dans la partie du bâtiment dans laquelle j'étais.

17 Peut-être qu'ils y étaient, peut-être dans Buducnost, qui est une

18 installation où il y avait des blessés. Ils étaient placés là et c'est un

19 bâtiment qui est attenant à l'Hôtel Panorama et donc je ne sais pas si

20 c'est à cela qu'il faisait référence.

21 Même si Radevic était à Pale et les ministres étaient également à

22 Pale, pourquoi à ce moment-là est-ce que ces derniers auraient appris de

23 lui ? Il aurait pu également savoir qu'ils étaient à Panorama, mais pour ce

24 qui me concerne, je n'ai absolument aucune connaissance de la présence des

25 hommes d'Arkan à l'Hôtel Panorama. Personne ne m'en avait jamais parlé et

26 je ne les avais pas vus non plus.

27 Q. Au cours des années qui ont suivi l'année 1992 et avant de partir de

28 Pale pour vous rendre à La Haye, est-ce que vous ne vous êtes jamais

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1 entretenu avec M. Koroman ?

2 R. Oui, tout à fait, oui je lui ai parlé. En fait, plus tard, oui, dans la

3 période qui a suivi 1992, oui je lui ai parlé de toutes sortes de choses,

4 mais on n'a jamais parlé de ce problème et il ne m'en avait jamais vraiment

5 parlé. En fait, je ne sais pas s'il m'aurait répondu si je lui avais posé

6 la question, mais je ne lui ai pas posé de question, il ne m'en a pas parlé

7 et il n'a pas spontanément parlé non plus de ceci. Je n'avais d'ailleurs

8 jamais vu ce rapport auparavant.

9 Q. A l'intercalaire P1224, c'est un rapport, en l'occurrence, également

10 destiné au ministre de l'Intérieur, et je pourrais vous le montrer si vous

11 le voulez, il y a quelqu'un que l'on appelle chef et commandant à la SJB

12 Pale, donc au poste de sécurité publique de Pale. Donc, on parle d'une

13 personne à la page 3 en anglais, en haut de la page 3 en B/C/S. Qui était

14 le chef et le commandant du poste de sécurité publique de Pale, du SJB ?

15 R. C'était M. Arkan -- non pardon, c'était M. Koroman.

16 Q. Donc, c'est la même personne ?

17 R. Oui, oui, oui, tout à fait. C'est la même personne, il était le chef de

18 police. Je ne sais pas qui était le commandant, mais ce rapport a été

19 rédigé avant le rapport que vous m'avez montré tout à l'heure.

20 Q. Le commandant et le chef, ce sont deux personnes distinctes. Le chef de

21 police était M. Koroman et vous ne savez pas qui était son adjoint, le

22 commandant ?

23 R. Non, je ne me souviens pas du tout qui était le commandant. Mais le

24 chef de police était Koroman du poste de sécurité publique.

25 Q. Merci.

26 Je souhaiterais maintenant vous demander de prendre l'intercalaire

27 268 de la pièce d'Accusation. Malheureusement, je ne l'ai pas, je n'ai pas

28 la pièce, la cote de cette pièce. Je ne peux pas vous donner le numéro de

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1 cote, mais il s'agit de l'intercalaire 268.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est indiqué en haut du document. Il

3 s'agit de la pièce P64A, intercalaire 730.

4 M. JOSSE : [interprétation] Je suis vraiment désolé, je vous en remercie,

5 Monsieur le Président, mais je n'avais pas la cote sur mon document.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien, c'est l'Accusation qui nous a

7 communiqué ces pièces.

8 M. JOSSE : [interprétation] Je vous en remercie et je les remercie de leur

9 amabilité.

10 Q. Monsieur Krajisnik, à la dernière page, on fait référence au Dr Buha,

11 et au cours de votre déposition, on vous a demandé une question et vous

12 avez dit aux Juges de la Chambre que vous aimeriez leur dire quelque chose

13 concernant M. Buha. Le Président vous a arrêté et il a dit que le moment

14 n'était pas opportun et qu'il faudra parler de lui lorsque le bon moment

15 sera venu. Voilà, maintenant je vous donne la possibilité d'aborder ce

16 sujet.

17 R. Oui, oui, tout à fait. Je voulais simplement étoffer mes affirmations.

18 Je voulais simplement par cela dire que lors de ces réunions, il y a

19 beaucoup plus de personnes qui n'avaient été consignées au PV. Vous vous

20 souviendrez, M. Djokanovic a également témoigné pour dire qu'il avait été

21 présent à cette réunion alors que dans le PV, on n'a pas indiqué son nom en

22 tant que personne présente. C'était le but, c'est-à-dire qu'à un moment

23 donné, on a dit que Buha était également un membre de la présidence, mais

24 en réalité cela dépendait de la façon dont le secrétaire qui faisait le PV

25 a indiqué ces détails. Voilà, c'est tout ce que je voulais dire concernant

26 ce document.

27 M. JOSSE : [interprétation] Nous n'avons plus d'autres questions, Monsieur

28 le Président, pour M. Krajisnik.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Josse.

2 Un instant, je vous prie. Une question -- ce n'est pas le début des

3 questions que vont poser les Juges de cette Chambre à ce témoin, mais une

4 question qui découle d'une question de Me Josse. En parlant de M. Koroman,

5 est-ce que vous savez s'il existait des liens entre M. Koroman et les

6 formations paramilitaires ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Même si j'ai entendu un témoignage qui

8 nous parlait de "juta oce" [phon] de Pale, je n'avais pas entendu parler

9 des liens qu'il aurait potentiellement avec des formations paramilitaires,

10 c'est-à-dire qu'il avait parlé de Dzudza, mais je n'avais pas connaissance

11 de ceci, il ne m'en avait pas informé.

12 L'INTERPRÈTE : Note de l'interprète, "juta oce" veut dire guêpe jaune.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur.

14 [La Chambre de première instance se concerte]

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons prendre une pause, Monsieur

16 Krajisnik, et ensuite s'ensuivront les questions des Juges de cette Chambre

17 de première instance.

18 Nous retournerons ici à 6 heures cinq.

19 --- L'audience est suspendue à 17 heures 41.

20 --- L'audience est reprise à 18 heures 05.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Krajisnik, Monsieur Hanoteau a

22 quelques questions. Il va commencer par une première question.

23 Questions de la Cour :

24 M. LE JUGE HANOTEAU : Monsieur Krajisnik, je souhaiterais que nous

25 revenions tout à fait au début de votre audition et que vous nous parliez

26 un peu plus sur le milieu dans lequel vous avez été élevé, dans quel type

27 de famille vous avez été élevé, si vous le voulez bien ? Qu'est-ce que

28 faisaient vos parents ? Quelle était la composition de votre famille ? Dans

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1 quel cadre vous avez été élevé, un cadre urbain, rural ? Quelle école vous

2 avez fréquentée ? Je vais jusqu'au bout, Monsieur Krajisnik. Vous comprenez

3 bien que je suis intéressé par ce que vous avez dit tout à l'heure, c'est-

4 à-dire, cette société pluriethnique. Est-ce que vous avez été élevé dans ce

5 cadre pluriethnique ? Est-ce que votre famille recevait des Musulmans, des

6 Croates ? Est-ce qu'on se voyait ? Est-ce qu'on se fréquentait ?

7 Puis, compte tenu de votre âge, je voudrais savoir à partir de quel

8 moment vous avez compris qu'il y avait des tensions entre les communautés.

9 Et vous avez parlé de cette fraternité qui était recouverte par un certain

10 régime politique, peut-être. Est-ce que c'était une fraternité de façade ?

11 Comment avez-vous vécu tout cela ? Ce qui m'intéresse évidemment, c'est

12 pendant votre enfance, votre adolescence jusqu'à l'âge adulte, là où se

13 joue un peu ce que va être la vie de chacun. Merci.

14 R. Je suis né à la campagne. Mon père et ma mère avaient un autre fils,

15 nous étions deux, des enfants. J'ai eu plusieurs oncles, une famille assez

16 grande. A Zabrdje, là où je suis né, c'était un village serbe ethniquement

17 pur, mais je suis allé à l'école à Reljevo. Cette école réunissait les

18 enfants de la municipalité de Rajlovac au sens large du terme. Il y avait

19 des Musulmans, des Croates et des Serbes. Je dois vous dire qu'il y avait

20 surtout des Serbes, mais il y a eu des ressortissant d'autres groupes

21 ethniques. Nous étions amis et jamais, avec mes camarades de classe, je

22 n'ai eu une attitude autre que celle qui est l'attitude d'un ami. J'allais

23 à pied jusqu'à l'école. Cela faisait quelque 4 kilomètres de marche, dans

24 un autre village, sur les hauteurs qui s'appellent Smiljevici où c'était

25 assez mélangé, les Serbes, Croates et Musulmans.

26 La famille dont je suis issu est une famille patriarcale. Tous le

27 Krajisnik ont cru en Dieu et ont respecté les us et coutumes. Par exemple,

28 lorsque des collègues à moi venaient, des Musulmans ou des Croates, les

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1 Musulmans ne mangent pas de porcs, et ma mère alors leur faisait manger à

2 part. Elle disait : "Cela, il n'y a pas de porc, et là, il y a les plats

3 que mangent les Croates et les Serbes." Et on plaisantait. Mes collègues

4 disaient : "Mangeons d'abord ce qui est destiné aux Musulmans et on passera

5 ensuite à nos plats à nous." C'était un peu une façon de rire. Je suis allé

6 dans leur maison à eux, à Rajlovac, il y avait la famille d'un bon ami à

7 moi qui a été mon camarade de classe à l'école primaire, à l'école

8 secondaire, à la faculté, et nous avons même travaillé dans la même

9 société. Il m'a même servi de piston pour que je puisse me trouver du

10 travail.

11 Après l'école primaire, je voyageais en train de Rajlovac pour aller

12 à Sarajevo. Cela faisait quelque sept à huit kilomètres; je partais le

13 matin et je rentrais le soir. C'est ainsi que j'ai fréquenté la faculté.

14 Quand j'ai terminé mes études, j'ai commencé à travailler dans une

15 entreprise qui s'appelait Energoinvest. Donc s'agissant de ma famille, nous

16 avons tous travaillé jour et nuit, si je puis m'exprimer ainsi. A la

17 maison, quand j'allais à l'école, après l'école, je travaillais. Je faisais

18 toutes les tâches, j'accomplissais toutes les tâches qui sont celles d'une

19 propriété. Cela ne me dérangeait pas. J'ai estimé que pour avoir quelque

20 chose, on devait investir du travail à soi. Nous avons été l'une des

21 familles les plus aisées dans les parages; c'était dû au fait que nous

22 avons beaucoup travaillé.

23 Pour ce qui est des contacts que j'ai eus avec d'autres groupes

24 ethniques, je dirais que dans ma famille, mon père et ma mère m'ont éduqué

25 de cette façon-là en disant qu'il fallait toujours respecter les gens

26 appartenant à notre groupe ethnique, et peut-être même davantage que les

27 Serbes, parce que vous pouvez offenser moins les Serbes et vous pouvez plus

28 aisément offenser les autres ressortissants si vous faites quelque chose

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1 d'irréfléchi. C'est ainsi que je me suis comporté toute ma vie durant. A

2 titre d'illustration, je vous dirais que feu ma femme a été soignée par un

3 médecin. Je ne vais pas mentionner son nom parce qu'il pourrait avoir des

4 désagréments à Sarajevo. C'était un Musulman. Lui -- moi je suis parti

5 négocier à Genève, et lui a retrouvé le téléphone de ma famille et il a

6 demandé à ma mère, une fois que j'aurais passé un coup de fil, de lui

7 ramener des médicaments pour un fils qui souffrait d'asthme. Il avait une

8 autre maladie encore. J'ai acheté ces médicaments à Genève et j'ai envoyé

9 cela, j'ai confié cela aux délégués musulmans qui sont rentrés à Sarajevo

10 pour les lui remettre. Quand je lui ai demandé de faire une déclaration,

11 j'ai été déçu. Il m'a dit : Ecoute, tu sais où je vis, ne me place pas en

12 position désagréable. Cela m'a fait mal.

13 Les miens aussi auraient pu me reprocher la chose, pourquoi rends-tu

14 service en pleine guerre à un Musulman. Je ne veux pas qu'il y ait quoi que

15 ce soit d'éléments à décharge de cette nature. C'étaient des amis pendant

16 la guerre, et si je pouvais faire sortir quelqu'un de prison, si je pouvais

17 envoyer un colis ou si je pouvais rendre un service quelconque, je le

18 faisais parce que c'est quelque chose qu'on m'a inculqué, et quand bien

19 même je saurais que cela m'allégerait la peine, je ne le voudrais pas parce

20 que j'estime que Dieu voit ce que vous faites de bien.

21 Pour répondre à l'une des questions que vous avez posées, Monsieur le

22 Juge, pour ce qui est de savoir si j'avais pris des mesures quelconque

23 quand j'ai eu vent de crimes, je vais vous raconter autre chose dont je me

24 suis souvenu hier au sujet des groupes ethniques et autres.

25 Un haut représentant du groupe ethnique musulman m'avait dit qu'il y

26 avait une maison close dans notre région, notre secteur, et qu'il y avait

27 là-bas une jeune fille. Si je pouvais la faire venir à l'aéroport, il

28 s'agissait de la faire venir, si possible. Mais j'ai été surpris, je me

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1 suis dit : cela n'est pas possible, ce n'est pas vrai, cela ne se peut pas.

2 J'ai envoyé un accompagnateur ou je ne sais trop qui, et effectivement, ils

3 l'on retrouvée. Lorsqu'on est venu me voir, j'ai dit : mais est-ce qu'il y

4 a véritablement une maison close, est-ce qu'il y a des problèmes ? Elle m'a

5 dit : non, non, non, il n'est pas question. Alors je lui ai dit : Est-ce

6 que tu voudrais venir avec moi à l'aéroport, il y a ton père qui t'attend ?

7 Elle dit qu'elle le voulait bien. J'ai pris sa déclaration, j'ai signé, le

8 haut représentant a signé de sa part, et j'étais heureux d'avoir pu envoyer

9 cette fille vers son père parce que moi aussi, j'en ai une, une fille.

10 Toute ma vie, cela a été comme cela.

11 Alors quand vous me demandez quand est-ce que j'ai ressenti qu'il y a

12 cette dissension, ces antagonismes entre les groupes ethniques, je dirais

13 que le jour où les partis nationaux ont été créés, ce n'est pas eux, ces

14 partis qui ont créé des problèmes, non. A ce moment-là, à ce moment-là les

15 trois peuples se sont sentis plus libres. On peut être Musulman autant

16 qu'on veut, on peut être Serbe autant qu'on le veut, on peut être Croate

17 autant qu'on le veut. Du coup, je vais être sincère, du coup, quelqu'un a

18 dit : "Vous, Messieurs les Musulmans, si vous voulez vous présenter, vous

19 en charger, vous pouvez avoir un Etat à vous." Je ne les accuse pas, mais

20 c'est de leur faute, c'est ce qui a causé la guerre, parce que toute leur

21 vie, ils ont été monnaie d'échange. On les a qualifiés de Serbes, on les a

22 qualifiés de Musulmans, mais du coup, ils sont devenus peuple, nation, ils

23 ont pu avoir un Etat de Bosnie, en tant qu'Etat. Ils n'ont pas résisté à la

24 tentation. Ils ont voulu avoir une Bosnie, la Bosnie a été reconnue et il y

25 a eu une situation de chaos.

26 Je ne sais pas comment je me serais comporté si j'étais Musulman ou

27 si on me disait : tu peux avoir un Etat serbe. Parce que c'est ce type de

28 région. Mais dans ces premières journées, lorsque je suis devenu président

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1 du Parlement, c'était avec beaucoup d'idéalisme que j'ai essayé d'édifier

2 une société traditionaliste fondée le respect, mais j'ai vu que chacun

3 tirait de son côté et j'ai été mis à mal, parce que c'est comme si un bras

4 invisible était en train de manipuler chacune des trois parties en présence

5 pour semer la zizanie, pour qu'il y ait conflit. L'histoire finira bien par

6 le déterminer.

7 Mais le jour où on a commencé à parler de démantèlement de la

8 Yougoslavie et de la possibilité à faire en sorte que la Bosnie devienne un

9 Etat indépendant, c'est à ce moment-là que nos problèmes traditionnels qui

10 datent des Turcs encore, qu'ils se sont réinstallés, qui datent encore de

11 la Première Guerre mondiale et ainsi de suite. Il y a eu des tas

12 d'arguments de sortis du tiroir et plus personne n'a voulu mettre quoi que

13 ce soit de positif sur la table. Il y a eu des choses positives pendant la

14 Deuxième Guerre mondiale. On a sorti que les choses négatives, et quand on

15 a placé tout cela sur la table, chacun s'est mis à avoir peur de l'autre et

16 il y a eu conflit. Voilà, je pense avoir répondu à votre question pour ce

17 qui est du moment où en Bosnie, on a commencé à en parler d'un Etat. C'est

18 à partir de ce moment-là qu'à un niveau incroyable, les relations se sont

19 détériorées.

20 Pour ce qui est de la fraternité de l'unité socialiste, j'ai cru --

21 je n'étais pas membre du parti communiste ni du parti socialiste ou de la

22 Ligue des Communistes. J'avais compris qu'il y avait des hommes différents

23 et qu'il fallait les respecter. C'est mon éducation familiale qui m'a

24 incité à les respecter. Quand j'ai parlé de Turcs, moi, cela m'a fait mal

25 parce que je n'ai jamais rien dit de mal à l'égard des adversaires, et

26 c'étaient des ennemis pendant la guerre. Enfin, j'ai essayé de vous

27 illustrer tout tant que faire se pouvait. Si j'ai omis quelque chose, je

28 continue à me mettre à votre disposition.

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1 M. LE JUGE HANOTEAU : Oui, je vous avais demandé la profession de votre

2 père. C'était un agriculteur ? Qu'est-ce qu'il faisait ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Mon père était un agriculteur et ma mère était

4 femme au logis. Mon père avait quatre années de primaire et ma mère n'en

5 avait guère plus. Il en a eu de même pour tous mes oncles.

6 M. LE JUGE HANOTEAU : Pour en revenir à ce que vous avez dit sur cette

7 société qui précède les événements dont nous nous occupons, donc avant

8 l'apparition de ces partis, est-ce que vous estimez que sous cette période

9 de régime socialiste, une certaine répression a empêché l'apparition de ces

10 tensions interethniques ? Est-ce que c'était l'appareil policier ? Est-ce

11 que c'était l'appareil répressif qui expliquait qu'il y avait cette

12 apparente cohésion entre les communautés ?

13 R. Je vous ai déjà précisé que je n'ai pas été membre de la Ligue des

14 Communistes. Je n'ai pas été membre du parti. Mais comme tout le monde

15 s'attaque maintenant à ce parti, j'ai envie de le défendre, parce que

16 personne ne semble avoir été pour ce parti, mais tous semblent avoir été

17 contre. Alors il n'y a pas eu de répression dans ce sens-là, Monsieur le

18 Juge. Voilà ce qui s'est passé. En termes simples, il n'y a pas eu de

19 véritable liberté.

20 Si on vous laissait aller à l'église, si vous fêtiez une fête, vous

21 étiez un peu la brebis galeuse. Cela n'était pas valable pour les Serbes

22 seuls, c'était valable pour tous les groupes ethniques. Si vous n'étiez pas

23 membre de la Ligue des Communistes, vous ne pouviez pas progresser, avancer

24 sur le plan professionnel. J'ai été directeur, mais j'ai dû travailler

25 trois fois plus et faire mes preuves trois fois plus que celui qui était

26 membre de la Ligue des Communistes. Mais moi, par principe, je n'ai pas

27 voulu m'affilier pour ne pas avoir à rechercher la prospérité par des

28 moyens plus ou moins corrects. Pour avoir la paix à la maison, si on

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1 tombait sur un nationaliste, par exemple un Serbe nationaliste, on

2 finissait par dégoter dix jours après ou dans un délai de dix jours un

3 nationaliste croate et un nationaliste musulman, donc il s'agissait de

4 faire l'équilibre.

5 Par exemple, à la naissance de son fils, un homme venait à chanter

6 une chanson de son groupe et il passait quelques jours en prison ou un mois

7 en prison. Donc, je ne dis pas -- il y a eu des belles choses dans ce

8 socialisme. Il n'y a pas eu de liberté vraie et il y a eu une certaine

9 discrimination. On n'a pas respecté la qualité au travail, mais

10 l'appartenance ou non à ce seul parti ou parti unique.

11 M. LE JUGE HANOTEAU : Merci, Monsieur.

12 Ma deuxième question porte sur les activités que vous avez eues après les

13 accords de Dayton, et je voudrais que vous nous disiez ce qui s'est passé

14 jusqu'à votre arrestation. Qu'est-ce que vous êtes devenu à partir des

15 accords de Dayton ? Quelle a été votre carrière, s'il vous plaît ?

16 R. Après Dayton -- d'abord, à Dayton, j'ai eu beaucoup d'amertume pour le

17 fait de voir Sarajevo remis à l'autre partie d'une façon incorrecte. Je

18 sais, j'ai su tout de suite qu'il y aurait un exode. Lors de la réunion du

19 comité principal du Parti démocratique serbe, à savoir, de la présidence de

20 ce Parti démocratique serbe, il y a eu des candidats de proposés. Etant

21 donné que Karadzic ne pouvait pas occuper ces fonctions, il s'agissait de

22 savoir qui serait président du Parlement, qui serait président de la

23 république, qui serait le président du parti et qui seraient les membres de

24 la présidence. A ce moment-là, personne ne voulait partir à Sarajevo pour

25 être membre de la présidence.

26 C'est très émotionnel comme réaction, parce qu'ils ont estimé que les

27 Serbes ont été endommagés, on les a privés de Sarajevo. Ils ne voulaient

28 pas se disputer, ils ne voulaient pas à avoir à combattre avec les

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1 représentants musulmans et croates. Lorsque personne n'a vraiment voulu

2 l'accepter, les gens ont facilement décidé qui serait président à la

3 république, président du parti, président du Parlement. J'ai dit que je ne

4 serais pas président du Parlement, que je l'ai déjà assez été et que je

5 voulais me consacrer à ma famille et à moi-même. Lorsque personne n'a voulu

6 être membre de la présidence, j'ai accepté, j'ai fini par accepter. Ils ont

7 dit : on ne sais pas comment cela va être pour toi là-bas. Mais je suis

8 allé quand même à Sarajevo et j'ai été avec M. Izetbegovic, avec feu

9 Izetbegovic et M. Zubak. J'ai passé là-bas deux ans. J'ai estimé qu'il

10 fallait, pour moi, défendre les intérêts serbes et je les ai représentés au

11 maximum, pour le mieux. Mais jamais, par aucun fait et geste, je n'ai voulu

12 porter atteinte aux deux autres groupes ethniques. Eux deux étaient en

13 coalition et ils me mettaient très souvent en minorité. A un moment donné,

14 M. Zubak et moi-même avons été d'un côté et M. Izetbegovic se retrouvait de

15 l'autre. Il s'agissait de voter pour battre M. Izetbegovic. J'ai dit : non,

16 je vais m'abstenir, je vais être neutre, je ne veux pas que nous mettions

17 qui que ce soit en minorité. Nous devons édifier ici des positions

18 conjointes. Il est facile de mettre quelqu'un en minorité et de générer la

19 discorde. Il faut que nous fassions de notre mieux pour mettre en œuvre,

20 pour appliquer les accords de Dayton.

21 J'ai appliqué bon nombre de ces choses convenues avec les deux autres

22 au bout de deux ans. C'est quelqu'un d'autre qui occupé ce poste et j'ai

23 vu, j'ai constaté que je n'avais pas de quoi vivre. Il fallait bien que je

24 fasse quelque chose. Etant donné que je suis économiste, j'ai commencé à

25 faire des affaires à titre privé. J'ai commencé donc à faire quelque chose,

26 j'ai loué une bétonnière, une usine à béton, et j'ai commencé à travailler

27 avec une usine de ciment, une cimenterie primitive, mais toujours est-il

28 que je voulais subvenir aux besoins de ma famille. Quand j'ai été arrêté,

Page 26021

1 j'étais à Panorama. J'étais venu pour le week-end chez mes parents qui ont

2 été sous-locataires dans une maison. Sept jours avant d'être arrêté, ma

3 famille de l'étage est allée dans la maison qu'ils avaient construite, et

4 j'étais avec les enfants à l'étage. C'est là que j'ai été arrêté. Il me

5 restait encore des crédits, des problèmes. Pour dire vrai, mon frère et le

6 reste de la famille veillent au grain et essayent de faire quelque chose

7 pour que cela continue à tourner. C'est une toute petite société, mais je

8 crois qu'ils sont en train de se battre autant qu'ils le peuvent. Mon père

9 est décédé. La première des chambres qui a examiné mon affaire ne m'a pas

10 laissé aller à l'enterrement. Ma vieille mère est encore vivante; elle a du

11 mal à vivre, d'ailleurs. Mes trois enfants ont fini leurs études

12 universitaires à Pale, je n'ai pas pu les envoyer ailleurs. Ils ont eu des

13 diplômes d'économie et ils sont là, à Pale. C'est là qu'ils vivent.

14 M. LE JUGE HANOTEAU : Monsieur Krajisnik, vous aviez démissionné de vos

15 derniers mandats politiques avant de reprendre des affaires dans le privé ?

16 R. Non. Il y avait une règle électorale. Je m'étais porté candidat à la

17 présidence pour une deuxième fois, mais au sein de la Bosnie-Herzégovine,

18 il y avait des votes et il y avait les votes qui venaient par courrier, par

19 la poste, alors je l'ai emporté aux élections en Bosnie-Herzégovine. Mais

20 lorsque les votes de l'étranger sont arrivés, parce qu'ont eu le droit de

21 voter les Musulmans, les Croates et les Serbes à l'extérieur - je ne vais

22 pas dire que cela était fait en bonne et due forme ou pas, je ne veux pas

23 en parler - mais j'ai perdu pour je ne sais combien de votes et je me suis

24 tourné vers les affaires de le secteur privé. Mais j'avais brigué un

25 deuxième mandat pour cette présidence.

26 M. LE JUGE HANOTEAU : Dans ces mois qui précédaient ou qui ont précédé

27 votre arrestation, vous saviez que des poursuites étaient engagées contre

28 vous par ce Tribunal international, en tout cas, par son Procureur ?

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1 R. Je n'ai obtenu aucun indice à ce sujet. Il y a eu des pressions

2 psychologiques certaines, parce que devant l'immeuble où je travaillais, il

3 y avait très souvent un blindé de transport de troupes de la SFOR. J'ai

4 écrit une lettre au général Adams pour lui demander : pourquoi m'importune-

5 t-on ? Si on a quoi que ce soit contre moi, il convient de me le dire. Les

6 gens venaient de mal gré chez moi parce qu'ils avaient peur, il y avait

7 cette appréhension. Une fois que j'ai été arrêté, j'étais stupéfait.

8 J'avais fait de l'hypertension ici, j'en étais à 200. J'ai passé toutes

9 sortes de vérifications, parce quand vous déposez une candidature, vous

10 êtes vérifié. Au final, je n'ai pas eu la moindre idée de l'éventualité

11 d'être mis en accusation ici pour des crimes de guerre. Pour dire vrai,

12 lorsque quelqu'un vous suit, vous surveille, vous vous sentez très mal,

13 vous vous sentez mal à l'aise. Mais je n'ai pas pu penser que je pourrais

14 être inculpé, que je pourrais être arrêté.

15 Je dirais même qu'un haut responsable -- je ne vais pas mentionner

16 son nom, mais j'étais en bons termes avec lui, c'était quelqu'un de la

17 communauté internationale, un certain représentant de la Republika Srpska

18 étaient allés le voir et lui a dit qu'il savait pour sûr à mon sujet que je

19 n'étais pas inculpé. Il l'a dit à mon sujet. J'avais même voulu le citer à

20 comparaître en guise de témoin, mais ultérieurement, étant donné que nous

21 n'avons eu que peu de temps pour le faire, j'y ai renoncé, mais c'est

22 quelqu'un avec qui j'ai coopéré sur bien des sujets.

23 M. LE JUGE HANOTEAU : Alors ce sera ma troisième question, Monsieur

24 Krajisnik, si vous le voulez bien.

25 Dans le "cross-examination" du 29 mai dernier, le Procureur a fait

26 allusion à ce qui s'est dit à la 11e Session de l'assemblée et a cité une

27 partie d'une intervention d'un M. Zekic. M. Zekic disait, je vais le citer

28 en anglais puisque j'ai relevé ces termes en anglais, il parle des

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1 Musulmans :

2 [interprétation] "Avec leurs naissances, ils vont graduellement

3 s'emparer des territoires et nous allons nous retrouver dans une situation

4 très difficile avec leur croissance de naissances."

5 [en français] Le Procureur, sur cette phrase, et vous avez répondu.

6 Etait-ce une menace sur l'espace vital ? Non, c'était plutôt nos droits de

7 l'homme qui risquaient d'être menacés. Il y avait de l'espace territorial

8 plus que nous en avions tous besoin. J'aimerais s'il vous plaît que vous

9 développiez un peu ce thème, et pourquoi y avait-il une menace éventuelle

10 sur vos droits individuels, alors que je prends pour établi que l'on vivait

11 ensemble ? Comme vous l'avez rappelé, on était habitué à vivre ensemble.

12 Alors pourquoi tout d'un coup il y a cette menace qui peut affecter

13 les droits de chacun ? Est-ce que vous pouvez développer ce thème, s'il

14 vous plaît ?

15 R. -- parler du territoire. La Bosnie-Herzégovine compte 50 000 kilomètres

16 carrés et n'avait que quatre millions d'habitants. Quand on compare avec la

17 Hollande qui a 35 000 kilomètres carrés et 17 millions d'habitants, je

18 dirais qu'on aurait pu y installer trois fois plus d'habitants. Il n'y

19 avait pas donc insuffisamment d'espace. Le problème, c'était dans les

20 droits de l'homme, au niveau de la démocratie. Quand vous avez une natalité

21 liée à un chiffre numérique que vous mettez à profit pour mettre quelqu'un

22 en minorité et pour que ses droits de l'homme à lui soient abrogés, c'est

23 là que le problème se pose, quand il y en a plus des uns que des autres,

24 quand il n'y a pas d'instrument pour protéger une minorité.

25 Au début du travail pluripartite, du fonctionnement pluripartite, il

26 y a eu beaucoup de gens qui ont eu peur de cela, parce que nous ne pouvions

27 pas nous mettre d'accord sur l'énoncé du serment à prêter. Il y a tout de

28 suite eu des coalitions de créées et vous vous êtes tout de suite sentis

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1 mis en minorité. Quand vous êtes mis en minorité alors que vous aviez été

2 un peuple constitutif, tout ce qui est sacro-saint au niveau d'un peuple

3 peut être supprimé par quelqu'un d'autre, par exemple les insignes, les

4 drapeaux, ce genre de chose, l'alphabet et ainsi de suite. J'ai dit que ce

5 n'était pas le problème de la natalité en tant que tel; on aurait pu avoir

6 15 millions d'habitants et ce n'est pas la faute d'autrui si on a moins

7 d'enfants que les autres. Les Serbes ont moins d'enfants que les Musulmans,

8 là n'est pas le problème. Mais si cela -- s'il y a abus, si l'on dit que

9 l'on veut un état de droit et que si vous devez être 51 % pour pouvoir

10 imposer votre pouvoir et si vous avez des antécédents qui vous disent bien

11 des choses négatives, vous avez peur de cette natalité. C'est de façon

12 irrégulière, de façon anticonstitutionnelle qu'a été votée l'indépendance

13 de la Bosnie-Herzégovine.

14 Quand on dit : nous ne pouvons pas vivre avec vous, les Serbes, parce

15 que vous êtes majoritaires en Yougoslavie, alors nous avons dit : si vous

16 qui êtes majoritaires avez peur de nous, comment voulez-vous que nous en

17 Bosnie n'ayons pas peur de vous si vous allez devenir une majorité ? Et

18 c'est là que se pose le problème de la natalité. Le fait est que les

19 Musulmans avaient des familles bien plus nombreuses que cela n'a été le cas

20 pour les Serbes et les Croates. Donc, si l'on instrumentalise la natalité,

21 non pas pour s'emparer des territoires, mais pour cette fin-là, c'est là

22 que le problème survient.

23 Et c'est ce que Zekic a dit en étant un peu plus radical. Mais je

24 vous parle du problème survenu chez nous lorsque la vie politique a

25 commencé, a connu ce développement tel quel en Bosnie-Herzégovine. Lui,

26 Zekic, avait voulu dire qu'avant la guerre, c'était plus ou moins local,

27 parce que Srebrenica en tant que telle, qui a eu le malheur de connaître ce

28 qu'elle a connu au fil des siècles était serbe, puis musulmane, puis

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1 hongroise, puis que sais-je encore. Alors, chacun part de son point de vue

2 à soi, qu'il soit dans son droit ou pas, peu importe. Lui, il était

3 originaire de Srebrenica où il était en minorité et il avait redouté le

4 fait d'être en minorité.

5 M. LE JUGE HANOTEAU : Je vais me permettre une remarque Monsieur Krajisnik,

6 parce que je voudrais bien comprendre. Vous dites "si le taux de naissance

7 était instrumentalisé", mais qu'est-ce que vous voulez dire par là ? C'est

8 là où j'ai du mal à suivre votre explication. Le taux de naissance n'est

9 pas forcément instrumentalisé, il est ce qu'il est et les sociétés suivent

10 leur cours. Pourquoi dire "si ce taux de naissance est instrumentalisé" ?

11 Est-ce qu'il était en l'espèce instrumentalisé ? Vous parlez des Musulmans,

12 bien entendu, je pense, plus que des Croates.

13 R. Les Croates étaient dans la position la plus difficile, en réalité.

14 Mais je vais vous dire ce que je voulais dire par là. Les Serbes et les

15 Croates s'en allaient vers la Serbie ou vers la Croatie. Donc, en sus de

16 cette faible natalité, ils s'en allaient. Les Musulmans, eux, venaient vers

17 la Bosnie-Herzégovine, donc en sus du taux de natalité, ils devenaient de

18 toute façon plus nombreux. Quand pour la première fois vous avez une

19 assemblée pluripartite avec des instruments de protection de ceux qui sont

20 en minorité et le fait qu'il y ait plus de partenaires croates et

21 musulmans, donc puisqu'ils avaient un objectif conjoint, et lorsqu'ils

22 enfreignent la constitution. Et si vous dites : s'ils le font maintenant,

23 comment va-t-on avoir une Bosnie demain avec une voix, un vote ? Comment

24 cela ne pourra-t-il pas survenir ? Et s'ils n'ont pas voulu rester avec

25 nous en Yougoslavie, puisque la Bosnie avait pratiquement toutes les

26 prérogatives d'un état au sein de cette Yougoslavie, alors si nous disons

27 maintenant : tu ne veux pas faire partie de la Yougoslavie, donne-nous ce

28 que tu avais, ce que la Bosnie avait en Yougoslavie, donne-le-nous au

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1 niveau de la Bosnie-Herzégovine. Nous ne demandons pas plus, nous

2 accepterons cette Bosnie-Herzégovine, mais donne-nous cette petite

3 autonomie où nous aurons nos droits à nous.

4 En d'autres termes, nous avons vu à l'œuvre l'instrumentalisation qui

5 a été faite de la majorité. Cette majorité venait par le taux de natalité

6 et par l'arrivée des Musulmans. S'ils venaient à faire 51 % de la

7 population, ils rejetteraient les Croates. Ils s'en sont servis tant qu'ils

8 en avaient besoin, jusqu'au moment où ils auraient 51 %. Et nous, nous ne

9 pourrions rien faire. Nous ne réclamions que des instruments de protection.

10 Et maintenant, c'est mis en place, Monsieur les Juges. Après les accords de

11 Dayton, cela a été mis en place, et très simplement, on tient compte du

12 fait de la nécessité de faire, par exemple, que le peuple croate qui est

13 moins nombreux qu'avant ne soit mis en minorité. Il faut qu'on se concerte

14 avec eux. Ce n'est pas parce qu'on est plus nombreux qu'il faut que ce soit

15 ainsi. Ce n'est pas parce que vous êtes plus nombreux que votre volonté

16 doit être faite. C'était la peur qu'avait le peuple serbe. Il est probable

17 que le peuple croate ait eu cette même appréhension. Je parle du peuple

18 serbe parce que je le sais.

19 Nous ne pouvions pas nous mettre d'accord sur l'alphabet, croyez-moi

20 bien. Au début, il y avait la langue serbo-croate, tout à coup, c'est

21 devenu croate, serbe, bosnien. Puis, l'alphabet, est-ce qu'on va avoir le

22 cyrillique et les caractères latins ? On a passé des journées et des

23 journées à débattre de choses improductives, parce que tout simplement,

24 chacun voulait narguer les autres. J'interrompais les sessions du Parlement

25 pour laisser les gens aller à la mosquée. Je leur ai dit : écoutez,

26 excusez-moi. Il y a un droit. J'ai estimé que c'étaient leurs droits. Je

27 voulais que les gens se rapprochent les uns des autres. Cela n'a pas

28 marché. Jusqu'au dernier moment, je suis resté au Parlement. Et tout

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1 simplement, il fallait bien qu'il y ait cette structure. Malheureusement,

2 le problème n'est pas seulement le fait d'avoir eu cette rupture et la

3 guerre au final, mais c'est que le malheur et les crimes vont être gardés

4 en mémoire pendant des centaines d'années, parce qu'en Bosnie-Herzégovine,

5 on se souvient encore de ce qui s'est passé il y a 500 ans et cela va

6 laisser des traces graves, lourdes dans la conscience des gens que ces

7 conséquence et séquelles de la guerre que nous venons de sortir.

8 [La Chambre de première instance se concerte]

9 M. LE JUGE HANOTEAU : Monsieur Krajisnik, je veux demander un

10 éclaircissement sur un point de vos explications que je n'ai pas bien

11 saisi. Vous avez dit que votre premier projet était de créer des assemblées

12 municipales serbes et non pas d'obtenir des territoires serbes. Vous vous

13 souvenez de cette phrase que vous avez prononcée ?

14 R. J'ai dit que nous voulions faire des assemblées municipales et c'est au

15 sujet des déclarations de M. Izetbegovic que je l'ai dit.

16 M. LE JUGE HANOTEAU : Tout à fait. Alors, je voudrais là qu'on entre dans

17 une -- que vous puissiez me donner une explication précise, parce que je ne

18 l'ai peut-être pas perçue ou je ne l'ai peut-être pas entendue. Si on prend

19 une municipalité qui est composée d'une ville principale et de plusieurs

20 villages ou hameaux. Dans cette municipalité, imaginons qu'il y a une

21 minorité serbe. Cette minorité serbe, en tout cas je l'imagine, avant le

22 conflit qui nous préoccupe aujourd'hui, elle devait être, cette minorité

23 serbe, sans cesse ou très fréquemment mise en minorité dans l'assemblée

24 municipale, dans les institutions municipales. Je pense que le nœud du

25 problème était là : vous souhaitiez que cette minorité serbe puisse être

26 défendue par des institutions qui lui soient propres. Est-ce que j'ai bien

27 compris jusque-là ?

28 R. Oui.

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1 M. LE JUGE HANOTEAU : Alors, que devenait la majorité musulmane ou croate ?

2 Votre minorité serbe constitue des institutions pour être représentées.

3 Mais comment vont vivre alors les autres communautés ? Vont-elles avoir

4 leurs propres institutions à elles, donc des institutions croates et

5 musulmanes, et comment ces trois institutions municipales vont-elles

6 cohabiter ? Qu'est-ce qui était prévu ? Et là, j'avoue que je ne comprends

7 pas et je vous demanderais de bien vouloir m'aider à comprendre, s'il vous

8 plaît.

9 R. Si j'ai bien compris, vous êtes en train de parler de Serbes qui sont

10 minoritaires dans une assemblée municipale et d'une municipalité, et ils

11 sont mis en minorité. Nous avons donné des instructions claires. Lorsque

12 l'on a créé une assemblée de la République serbe, il y a eu une initiative

13 qui visait à faire savoir qu'il y avait aussi des mises en minorité au

14 niveau des municipalités avec des coalitions de créées. Nous avons

15 recommandé de veiller à ce que chacun reste au niveau des assemblées

16 municipales, les députés et autres, et que cette assemblée municipale

17 serbe, si elle venait à se créer, vienne débattre des problèmes ou des

18 intérêts ethniques vitaux qui sont en jeu; ils peuvent être ethniques, ils

19 peuvent être aussi globaux. Il s'agissait par exemple de construire quelque

20 chose, de faire venir telle chose à tel endroit. Donc, il fallait qu'ils

21 puissent en débattre et qu'on puisse entendre leur voix, par exemple avoir

22 une chambre des groupes ethniques, dire par exemple : les Serbes s'estiment

23 être mis en minorité, mais voilà ce qu'ils pensent. C'était la fonction de

24 l'assemblée au niveau de la république que nous avions créée. Nous voulions

25 rester dans un Parlement conjoint, mais lorsqu'il n'y a pas un autre

26 instrument à notre disposition, il fallait que nous puissions dire qu'on

27 n'est pas d'accord. Mais cela a été vite changé, parce qu'il n'y a pas eu

28 de rapprochement, si je puis le dire.

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1 M. LE JUGE HANOTEAU : Là, si vous le permettez. Mais c'était déjà bien le

2 cas dans cette municipalité dont nous parlons. La minorité serbe était déjà

3 représentée, alors quel était l'instrument nouveau que vous mettiez en

4 place ? C'est cela que je ne comprends pas. L'assemblée municipale était

5 bien composée de représentants musulmans, croates et serbes. Dans

6 l'hypothèse que j'ai prise, les Serbes sont en minorité, mais ils pouvaient

7 s'exprimer de toute façon dans cette assemblée municipale, alors j'imagine

8 qu'ils étaient mis en minorité, donc vous vouliez que quelque chose d'autre

9 se passe pour mieux défendre les Serbes. Mais comment,

10 institutionnellement, vous vouliez mettre en place quelque chose de nouveau

11 qui permette aux Serbes de ne pas être mis en minorité ? Je ne vois pas

12 comment vous imaginiez cela. Alors recommencez, s'il vous plaît.

13 R. Le problème, cela n'a pas été une mise en minorité systématique, parce

14 que c'est une façon démocratique de s'exprimer. Le problème, c'est quand

15 quelqu'un vient enfreindre vos droits prévus par la loi, par la

16 constitution ou par je ne sais quoi. Vous avez un Club des députés serbes

17 qui dit : "Voilà c'est une assemblée serbe, et nous ne sommes d'accord

18 parce qu'on a été mis en minorité nonobstant les dispositions de la loi et

19 de la constitution."

20 Nous avons été 100 fois mis en minorité au niveau de l'assemblée de

21 la république par l'adoption d'une loi ou d'un texte, c'est normal. Quand

22 cela concerne votre destinée, vos intérêts vitaux, c'est là que le problème

23 s'est situé et c'est pour cela que nous avons voulu pouvoir dire que nous

24 ne sommes pas d'accord. Nous n'avons pas pu le réaliser mais il fallait

25 qu'on fasse bien entendre qu'on a été mis en minorité pour un droit qui est

26 fondamental. Voilà ce que nous avions envisagé de faire. Si, par exemple,

27 quelqu'un venait dire : La Bosnie va être indépendante. Il fallait que cela

28 se fasse conformément à la constitution et à la loi. Si on veut faire les

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1 choses autre les dispositions légales et constitutionnelles, vous vous y

2 opposez.

3 Je vous ai remis ici un document, quand M. Muhamed Filipovic l'a dit

4 dans son livre. Il a dit qu'on n'a pas pu le faire de façon légale, et ils

5 sont passés par le biais d'un référendum qui ne pouvait pas résoudre le

6 problème de l'indépendance de la Bosnie. Il fallait qu'il donne une

7 opinion, ce référendum. Il fallait quand même passer l'assemblée, par le

8 parlement. Or, cela n'a pas été fait. Le fait de mettre quelqu'un en

9 minorité c'est démocratique, mais quand on vient enfreindre vos droits qui

10 découlent de la constitution et des lois, c'est là que se situe le problème

11 et c'est de cela que je parle.

12 M. LE JUGE HANOTEAU : Lorsque cette minorité serbe est mise

13 systématiquement en minorité, vous souhaitiez la création d'une institution

14 autonome qui les représente complètement; est-ce que c'est bien cela ? Vous

15 les invitiez à créer une assemblée municipale purement serbe qui allait

16 coexister avec l'autre assemblée municipale; est-ce que c'est bien cela ?

17 R. Oui, vous avez raison. Ce Club de délégués aurait constitué cette

18 assemblée serbe et était censé débattre d'une décision où ils ont été mis

19 en minorité et revenir au parlement ou à l'assemblée conjoint. C'était

20 l'objectif, il fallait que les députés restent là. La décision était de

21 faire en sorte que les députés restent là où ils étaient parce que nous ne

22 voulions pas, nous, faire échouer cette assemblée. C'était une façon de se

23 défendre quand vous voyez quelqu'un enfreindre la loi et la constitution

24 sans en avoir le droit. Vous, verbalement, vous exprimez votre désaccord.

25 Vous ne pouvez pas le mettre en œuvre parce que c'est l'assemblée qui est

26 censée, au niveau municipalité, à titre officiel réaliser les choses. A

27 vrai dire cela a duré très peu de temps et il n'a pas pu être fait grand-

28 chose en effet.

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1 M. LE JUGE HANOTEAU : Merci, Monsieur.

2 Ma cinquième question a trait à M. Davidovic qui a été un témoin et

3 qui a donné, de sa présence sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, une

4 explication précise. Il a dit ceci, et je cite en anglais : "Bito Gracanin

5 [phon]," pardon par la prononciation --

6 [interprétation] "Bito Gracanin [phon]," excusez ma prononciation,

7 secrétaire fédéral du SUP a dit à Davidovic que ce groupe de policiers

8 avait été envoyé là en tant qu'aide de la part du premier ministre

9 yougoslave, M. Milan Panic, ou à la direction de la République de la Bosnie

10 serbe. Après les plaintes ultérieures, disant qu'il ne pouvait plus

11 contrôler les paramilitaires serbes en Bosnie-Herzégovine, qui étaient en

12 train de tuer des Musulmans et de piller."

13 [en français] Cette référence de M. Davidovic, elle est, elle

14 s'adresse, elle va vers le leadership de la "Bosnian Serb Republic." Je

15 voulais savoir, Monsieur Krajisnik, si à un moment ou à un autre, vous avez

16 entendu, par ceux avec lesquels vous travaillez, qu'on allait demander

17 l'appui d'une force spéciale fédérale pour se débarrasser de ce problème

18 des paramilitaires. Est-ce que cela a été évoqué de près ou de loin devant

19 vous ? Parce que vous me pardonnez d'être un peu long, Monsieur Krajisnik;

20 M. Davidovic est arrivé sur le terrain, il est bien arrivé avec un ordre de

21 mission. Comment explique-t-on qu'il fût là, sinon qu'il avait été demandé

22 par les autorités de votre république pour venir mettre un terme à l'action

23 des paramilitaires. Et a fortiori, pouvez-vous dire que vous n'avez été

24 absolument pas au courant de cet appel à un spécialiste de la répression,

25 enfin je crois que c'était cela. Pouvez-vous répondre à cette question ?

26 R. S'agissant de M. Panic c'est quelqu'un que je n'ai vu qu'une seule fois

27 de la vie à l'hôtel Hyatt de Belgrade. Je l'ai vu une fois. C'est quelqu'un

28 dont j'étais au courant. C'était le président du gouvernement, le premier

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1 ministre yougoslave. Le dénommé Davidovic qui est venu ici, je ne l'ai

2 jamais vu de ma vie. Je ne savais pas non plus que des unités spéciales de

3 la Serbie, voire de la Yougoslavie, étaient ici. Quand je dis ici, c'est

4 dans la Republika Srpska. Je me suis entretenu avec des détenus ici, et ils

5 m'ont parlé de Brcko en me disant qu'il y avait des gens avec des couvre-

6 chefs rouges. Pour moi, c'était du surréel, du fantastique. On va juger ici

7 M. Mico Stanisic. Il va vous dire la vérité entière parce qu'il est au

8 courant. Je veux bien croire que des unités spéciales de la Yougoslavie,

9 tant est qu'elles sont venues sur le territoire de la Republika Srpska,

10 n'auraient pas pu venir si quelqu'un ne les avait pas conviées. Je ne sais

11 pas si quelqu'un les a convié.

12 Je n'ai jamais entendu dire mon entourage, Koljevic, Karadzic,

13 Plavsic, dire que quelqu'un aurait réclamé l'arrivée d'unités spéciales

14 comme vous le dites au sujet de Davidovic. Et je sais que Davidovic n'était

15 pas là-bas pour sécuriser le gouvernement, le gouvernement n'est venu

16 qu'ultérieurement. Je ne me suis jamais entretenu avec lui. Il se peut

17 qu'il ait été à l'hôtel Bosanka à Belgrade, mais je n'ai rien eu à voir

18 avec lui, et il a dit bon nombre de choses inexactes qui m'ont fait

19 beaucoup de mal. Je ne sais pas pour ce qui est du reste s'il a dit la

20 vérité au sujet des guêpes jaunes et Bijeljina. Je n'en sais rien. Je ne

21 sais pas s'il y a pris part et si oui, de quelle façon. Il se peut que oui,

22 il y a bon nombre de documents qui disent que même la municipalité lui

23 avait refusé l'hospitalité à Bijeljina parce qu'il avait fait quelque chose

24 d'extérieur aux approbations qu'ils avaient fournies auparavant. Je ne sais

25 pas dans la régie de qu'il était là-bas. Je ne sais même pas s'il était

26 venu à Pale ou à Vrace. Je n'ai jamais entendu parler de cet homme. J'ai

27 entendu parler d'un autre Davidovic, et quand celui-là est venu ici c'était

28 quelqu'un dont je n'avais jamais entendu parler.

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1 M. LE JUGE HANOTEAU : C'est une question qui a trait à cela, Monsieur

2 Krajisnik, et j'en termine là. A l'heure où nous parlons, est-ce que vous

3 avez le sentiment que des choses ou des événements vous ont été cachés, à

4 l'époque où vous étiez en exercice du pouvoir.

5 R. Non, je suis convaincu du fait que l'on ne m'a rien dissimulé. J'ai été

6 convaincu du fait d'avoir été bien informé, du fait que ce que lui a dit

7 n'était pas exact. Il n'y avait aucune raison de dissimuler quoi que ce

8 soit. Le ministre, lui, n'avait aucune raison de venir me dire ce qu'il

9 faisait. Je ne pense pas qu'entre nous on ait dissimulé des informations

10 vis-à-vis des autres. Je ne pense pas que quelqu'un ait eu des informations

11 sans vouloir les transmettre à autrui. Non, vous avez des PV du

12 gouvernement où Mico Stanisic, en sa qualité de ministre chargé de remettre

13 de l'ordre dans Bijeljina, juste avant est allé là-bas. Je ne sais pas s'il

14 a contacté quelqu'un ou pas, il viendra vous le dire lorsqu'il témoignera.

15 Le gouvernement l'a fait de façon autonome. Il ne m'appartenait pas à moi,

16 ce n'était pas mon domaine d'intervention ou mon domaine d'intérêt pour

17 savoir qui va où pour faire quoi. Je n'ai pas eu l'impression que quelqu'un

18 dissimulait quoi que ce soit. Nous nous sommes entretenus sur bien des

19 sujets importants et je tiens à vous dire, vous pouvez me poser toutes les

20 questions que vous voulez, je vais vous dire tout de suite si on m'en a

21 parlé ou pas. Cela je n'en ai pas entendu parler.

22 J'ai entendu parler des Guêpes jaunes à Zvornik et on m'a dit que

23 c'était une unité spéciale du MUP qui a conduit le problème à son terme.

24 C'était une unité spéciale du MUP de la Republika Srpska, d'après ce qu'on

25 m'a dit. Ils ont arrêté M. Ostojic, ils l'ont malmené, il est venu au

26 gouvernement pour en parler et il en était de même pour M. Trbojevic et eux,

27 ils ont donné des ordres au MUP pour régler la situation. Personne n'a

28 jamais mentionné Davidovic. Il y a eu deux ministres que l'on avait fait

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1 sortir de la voiture à Zvornik pour fouiller la voiture et les fouiller.

2 C'est ce que j'ai appris à l'époque.

3 M. LE JUGE HANOTEAU : Merci, Monsieur.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il faut que nous en terminions pour

5 aujourd'hui, Monsieur Krajisnik. Je tiens à vous donner instruction à ne

6 pas vous entretenir avec quiconque pour ce qui est de témoignage fourni

7 jusqu'à ce jour et le témoignage à venir.

8 Nous allons lever l'audience et nous allons reprendre demain, le 20

9 juin, dans cette salle d'audience numéro II à deux heures et quart. Je

10 tiens également à informer les parties en présence du fait que jeudi nous

11 avons un emploi du temps quelque peu différent. Nous allons commencer à

12 l'heure habituelle, le matin, puis nous allons faire une pause prolongée

13 entre 11 heures et midi trente, suite à quoi nous allons continuer et

14 terminer relativement tôt dans cette journée. C'est dû à des problèmes

15 pratiques d'emploi du temps pour la journée. Je tenais à vous informer d'un

16 horaire inhabituel pour ce qui ce qui est de jeudi.

17 Nous allons l'audience aujourd'hui et je vous dis à demain deux heures et

18 quart.

19 --- L'audience est levée à 19 heures 04 et reprendra le mardi 20 juin 2006,

20 à 14 heures 15.

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