Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 27 septembre 2006

2 [Jugement en appel]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 13 heure 06.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, veuillez annoncer

7 l'affaire, je vous prie.

8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agit de l'affaire IT-00-39-T, le

9 Procureur contre Momcilo Krajisnik.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Greffier.

11 La Chambre de la première instance est réunie aujourd'hui pour rendre son

12 jugement dans l'affaire le Procureur contre Momcilo Krajisnik. Aux fins de

13 la présente audience, la Chambre présentera brièvement ses constatations et

14 conclusions en l'espèce. Elle tient à souligner que ce qui suit n'est qu'un

15 résumé, et que seul fait autorité l'exposé des constatations et des

16 conclusions de la Chambre que l'on trouve dans le texte écrit du Jugement

17 dont des copies seront mises à la disposition de tous à l'issue de

18 l'audience.

19 Momcilo Krajisnik devait répondre d'un chef de violation des lois aux

20 coutumes de la guerre, meurtre, d'un chef de génocide, d'un chef de

21 complicité de génocide et de cinq chefs de crime contre l'humanité;

22 persécution, extermination, assassinat, expulsion et transfert forcé. Il

23 est accusé d'avoir commis, planifié, incité à commettre, ordonné, ou de

24 toute autre manière, aidé et encouragé les crimes qui lui sont imputés et

25 de ne pas avoir pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher

26 que les actes incriminés soient commis ou en punir les auteurs.

27 L'acte d'accusation dressé en l'espèce concerne 35 municipalités de Bosnie-

28 Herzégovine. Les crimes reprochés auraient été commis dans ces

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1 35 municipalités entre le 1er juillet 1991 et 30 décembre 1992.

2 Né le 20 janvier 1945, dans la municipalité de Novi Grad en

3 Bosnie-Herzégovine, Momcilo Krajisnik a fait des études d'économie et

4 travaillait comme économiste dans plusieurs entreprises de Sarajevo.

5 Sa première rencontre avec Radovan Karadzic remonte à 1983. Le

6 12 juillet 1990, Momcilo Krajisnik s'est affilié au Parti démocratique

7 serbe, le SDS. Le 20 septembre 1990, il a été élu député à l'assemblée de

8 Bosnie-Herzégovine avant d'en devenir le président le 20 décembre 1990.

9 La Chambre va maintenant rappeler brièvement le contexte politique en

10 Bosnie-Herzégovine et dans la République serbe de Bosnie-Herzégovine

11 naissante.

12 Les premières élections pluripartites en Bosnie-Herzégovine se sont

13 tenues les 18 novembre 1990. Les partis politiques qui représentaient les

14 trois principaux groupes ethniques ont remporté la majorité des sièges, à

15 savoir le SDS, l'Union démocratique croate, HDZ, et le Parti de l'action

16 démocratique SDA, le principal parti politique des Musulmans de Bosnie. Ces

17 trois partis se sont accordés sur la répartition des pouvoirs.

18 Ainsi, dans tous les organes gouvernementaux et institutions

19 publiques, de l'échelon central aux échelons inférieurs, la distribution

20 des postes s'est faite selon un système de quota. Pourtant, la méfiance, la

21 peur et le ressentiment se sont accrus au sein des trois principaux groupes

22 ethniques de Bosnie-Herzégovine. En conséquence, au début de l'année 1991,

23 les Croates de Bosnie et les Musulmans de Bosnie ont entrepris d'organiser

24 des groupes armés. Vers cette période, le SDS s'est employé activement à

25 armer la population serbe. Les Serbes de Bosnie s'en sont également remis à

26 la protection de l'armée populaire yougoslave.

27 Le 15 octobre 1991, l'assemblée de Bosnie-Herzégovine a voté une

28 résolution sur la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, et ce, malgré la

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1 forte opposition des députés serbes. Dix jours plus tard, le SDS a formé

2 une assemblée des Serbes de Bosnie dont Momcilo Krajisnik est devenu le

3 président. Des structures gouvernementales parallèles ont commencé à être

4 mises en place.

5 Le 28 février 1992, l'assemblée des Serbes de Bosnie a adopté la

6 constitution de la République serbe de Bosnie-Herzégovine qui prévoyait,

7 entre autres, l'organisation de celle-ci.

8 Le gouvernement de la République serbe de Bosnie-Herzégovine était

9 dirigé par le premier ministre qui, à l'époque des faits, était Branko

10 Djeric. Il comportait 13 ministères.

11 L'assemblée des Serbes de Bosnie comptait 82 députés, pour la plupart

12 des membres du SDS. Le 27 mars 1992, l'assemblée a établi le Conseil de

13 sécurité nationale, SNB, présidé par Radovan Karadzic et dont Momcilo

14 Krajisnik était membre ex officio. Des réunions étaient organisées entre le

15 SNB et le gouvernement de la Réplique serbe de Bosnie-herzégovine afin de

16 trancher des questions d'ordre militaire, politique et administratif. Le

17 SNB donnait également des instructions aux unités locales de la Défense

18 territoriale et aux autorités municipales qui lui envoyaient des rapports.

19 Le 12 mai 1992, l'assemblée a remplacé le SNB par une présidence à

20 trois en attendant l'élection du futur président de la République serbe de

21 Bosnie-Herzégovine. Radovan Karadzic, Nikola Koljevic et Biljana Plavsic en

22 ont été nommés membres. Radovan Karadzic a ensuite été élu par ces pairs,

23 président de la présidence. Le SNB a cessé ses activités peu après.

24 Tout en n'étant pas officiellement membre de la présidence, Momcilo

25 Krajisnik a assisté à toutes les réunions de celle-ci, à l'exception

26 peut-être de l'une d'entre elles entre le mois de mai et le mois de

27 décembre 1992. Momcilo Krajisnik n'était pas qu'un simple spectateur lors

28 de ces réunions. Il s'occupait notamment des questions économiques. Par la

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1 suite, il s'est également vu confier la responsabilité d'assurer la liaison

2 et la coordination avec les commissaires de guerre nommés par la présidence

3 pour prendre en charge les municipalités. Momcilo Krajisnik a contribué de

4 manière importante aux travaux de la présidence. Il se conduisait comme un

5 membre à part entière de celle-ci et était reconnu comme tel par les autres

6 membres. Le premier ministre Djeric a lui aussi assisté aux réunions de la

7 présidence.

8 La Chambre est convaincue que la présidence de la Réplique serbe de

9 Bosnie-herzégovine a fonctionné, en réalité, comme une présidence à cinq

10 depuis sa création le 12 mai 1992.

11 La présidence de la République serbe de Bosnie-Herzégovine exerçait

12 des pouvoirs considérables allant au-delà de ce que prévoyait la

13 constitution. Ainsi, le ministre de l'Intérieur, Mico Stanisic et le

14 ministre de la Justice, Momcilo Mandic, rendaient directement compte à la

15 présidence et suivaient ses instructions affaiblissant, par là même, le

16 gouvernement. Celui-ci a néanmoins exercé une influence importante sur

17 nombre de questions qui se sont posées durant le conflit, comme il est

18 expliqué plus en détail dans le Jugement.

19 La présidence contrôlait également l'armée des Serbes de Bosnie, VRS,

20 créée par l'assemblée le 12 mai 1992. En vertu de la constitution, le

21 président de la République serbe de Bosnie-Herzégovine était le commandant

22 suprême de la VRS. L'état-major principal de la VRS était commandé par le

23 général Ratko Mladic. Ce dernier consultait régulièrement la présidence,

24 laquelle prenait souvent des décisions concernant des questions d'ordre

25 militaire.

26 La présidence maintenait par ailleurs des contacts fréquents avec les

27 autorités municipales essentiellement par l'entremise de Momcilo Krajisnik.

28 En tant que président de l'assemblée des Serbes de Bosnie, Momcilo

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1 Krajisnik entretenait des rapports étroits avec les députés qui jouaient

2 également un rôle actif dans leurs municipalités respectives.

3 La composition et les méthodes de fonctionnement de l'assemblée

4 étaient conçues de manière à ce que la prise de décisions soit largement

5 influencée par la politique du SDS. Momcilo Krajisnik, en tant que

6 président de l'assemblée et membre éminent du SDS, a joué un rôle important

7 dans l'influence exercée par le SDS sur l'assemblée des Serbes de Bosnie.

8 De plus, la Chambre a entendu des témoignages selon lesquels Momcilo

9 Krajisnik tolérait les discours incitant à la haine raciale et les propos

10 alarmistes tenus devant l'assemblée des Serbes de Bosnie. Il ressort des

11 procès-verbaux de séances présentées à la Chambre, que Momcilo Krajisnik,

12 durant la période couverte par l'acte d'accusation, n'a jamais réprimandé

13 les députés qui proféraient des insultes à l'encontre des autres

14 communautés, et qu'il s'est parfois lancé lui-même dans des diatribes

15 similaires. Les pouvoirs que détenait Momcilo Krajisnik, en sa qualité de

16 président de l'assemblée des Serbes de Bosnie, lui permettaient de propager

17 facilement ses opinions sur la séparation ethnique.

18 La Chambre va maintenant examiner de près les événements survenus sur le

19 terrain durant la prise de contrôle des municipalités énumérées dans l'acte

20 d'accusation.

21 Après que l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine eut été reconnue par la

22 communauté internationale au début du mois d'avril 1992, les Serbes de

23 Bosnie ont entrepris de s'emparer du pouvoir dans les municipalités en

24 question. La Chambre constate, qu'à partir du 18 mars 1992, il existait une

25 attaque dirigée contre la population civile musulmane de Bosnie et croate

26 de Bosnie, vivant sur le territoire des 35 municipalités énumérées dans

27 l'acte d'accusation. Cette attaque s'est traduite par de nombreuses mesures

28 discriminatoires telles que l'imposition d'un couvre-feu, la mise en place

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1 de barrages et de postes de contrôle où les membres des groupes ethniques

2 visés étaient régulièrement arrêtés et fouillés, les perquisitions menées

3 aux domiciles des Musulmans et des Croates et le licenciement de ces

4 derniers.

5 A partir du mois d'avril, les forces serbes ont attaqué les Musulmans et

6 les Croates vivant dans des villes, des villages et des hameaux qui, pour

7 la plupart, n'étaient pas défendus et ne comportaient aucun objectif

8 militaire. Des Musulmans et des Croates ont été malmenés et tués. Souvent,

9 les hommes étaient arrêtés et emmenés dans des centres de détention, tandis

10 que les femmes et les enfants étaient obligés d'abandonner leurs foyers

11 avant d'être placés en détention ou contraints de quitter la municipalité.

12 Leurs maisons étaient ensuite pillées et détruites par les forces serbes ou

13 bien saisies par les autorités serbes. Les forces serbes ont également

14 détruit les édifices consacrés à la religion et les lieux de culte revêtant

15 de l'importance aux yeux des Musulmans et des Croates.

16 Dans nombre de centres où étaient détenus les Musulmans et les Croates, les

17 conditions étaient insupportables. L'alimentation, l'approvisionnement en

18 eau, les soins médicaux et les installations sanitaires étaient

19 insuffisants. Les détenus étaient souvent battus et parfois violés par des

20 membres des forces serbes, qu'il s'agisse de gardiens ou de personnes

21 autorisées à pénétrer dans les centres de détention. De nombreux détenus se

22 sont vu infliger des souffrances physiques et psychologiques. Leur état de

23 santé s'est détérioré, un grand nombre d'entre eux sont morts. Beaucoup

24 d'autres encore ont été délibérément tués pour des paramilitaires, des

25 policiers ou d'autres membres des forces serbes.

26 Pour illustrer les faits résumés plus haut, la Chambre va dresser un

27 tableau des événements survenus dans la municipalité de Zvornik.

28 A Zvornik, une municipalité majoritairement peuplée de Musulmans, la

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1 cellule de Crise serbe a mobilisé les membres serbes de la Défense

2 territoriale au début du mois d'avril 1992. Des forces paramilitaires parmi

3 lesquelles figuraient les hommes d'Arkan, les hommes de Seselj, les Guêpes

4 jaunes et les Bérets rouges ont commencé à arriver sur le territoire de la

5 municipalité à la demande de Branko Grujic, le président de la cellule de

6 Crise. Les forces de police de la municipalité se sont scindées en fonction

7 de l'appartenance ethnique. Les policiers serbes de Zvornik se sont

8 installés à Karakaj où se trouvait le siège de la cellule de Crise serbe.

9 La police serbe et les forces paramilitaires ont érigé des barrages sur

10 l'ensemble du territoire de la municipalité.

11 Les forces serbes, y compris la police, la Défense territoriale,

12 l'armée populaire yougoslave et des groupes paramilitaires ont ensuite

13 lancé une offensive armée contre la ville de Zvornik. La population civile

14 serbe avait déserté la ville avant l'attaque. Les forces serbes ont pris le

15 contrôle de la ville de Zvornik en une journée.

16 Le drapeau serbe a été hissé au sommet de la mosquée principale. De

17 nombreux civils ont été tués pendant l'attaque et beaucoup d'autres

18 craignant pour leurs vies se sont enfuis. Après l'attaque, les hommes

19 d'Arkan ont pillé les maisons et entassé des dizaines de cadavres,

20 notamment des cadavres d'enfants, de femmes et de personnes âgées dans des

21 camions et en ont laissé beaucoup d'autres dans les rues.

22 A la fin du mois d'avril, au début du mois de mai 1992, les forces

23 serbes ont exigé la reddition des Musulmans de Divic, un village également

24 situé dans la municipalité de Zvornik. Avant même l'expiration du délai

25 fixé, les forces serbes ont attaqué le village. Près de 1 000 Musulmans ont

26 pris la fuite pour se réfugier dans un village voisin. Par la suite,

27 certains d'entre eux ont tenté de regagner leurs villages et ont été

28 refoulés par les forces serbes. A la fin du mois de mai, des membres des

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1 Guêpes jaunes ont embarqué de force 400 à 500 Musulmans du village de Divic

2 dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, à bord d'autocars et

3 leur ont dit qu'ils seraient emmenés dans des territoires sous contrôle

4 musulman. Ces personnes ont été libérées à Crni Vrh et ont continué à pied.

5 Au début du mois de juin 1992, des policiers musulmans du village

6 musulman de Kozluk situé dans la municipalité de Zvornik, ont été

7 contraints de remettre leurs uniformes et leurs armes à un policier serbe.

8 Au cours du même mois, le village a essuyé une attaque. Et un nombre

9 important de soldats serbes, de membres de la Défense territoriale et des

10 unités paramilitaires sont entrés dans Kozluk à bord de chars et d'autres

11 véhicules militaires. Etaient présents parmi les forces serbes, Branko

12 Grujic, président de la cellule de Crise et Jovan Mijatovic, membre de la

13 cellule de Crise de Zvornik et député à l'assemblée des Serbes de Bosnie.

14 Ils ont informé les Musulmans du village qu'ils avaient une heure pour

15 quitter les lieux sans quoi ils seraient tués. Il les ont également

16 informés qu'ils ne pouvaient pas prendre leurs effets personnels, et les

17 ont forcé à signer des déclarations par lesquelles ils renonçaient à leurs

18 biens. Le même jour, un convoi organisé par les Serbes et transportant près

19 de 1 800 personnes a quitté la municipalité.

20 Au début du mois de juin, on a vu des Serbes s'installer dans des

21 villages de la municipalité de Zvornik dont les habitants musulmans avaient

22 été chassés. La plupart des 19 édifices musulmans de la municipalité

23 avaient été endommagés ou entièrement détruits à cause des bombardements ou

24 des explosifs utilisés pendant les attaques d'avril et de mai 1992.

25 Les Musulmans ont été mis en détention dans plusieurs endroits de Zvornik

26 et soumis à des violations physiques, psychologiques et sexuelles graves.

27 Au début du mois de juin, les membres d'un groupe paramilitaires, armés de

28 barres de fer pointues et de chaînes ont agressé les personnes détenues

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1 dans la maison de la culture du village de Celopek. Certains détenus ont

2 été contraints de se frapper mutuellement et les gardiens ont tué trois

3 d'entre eux. Les paramilitaires appartenant aux Guêpes jaunes ont tué au

4 moins cinq détenus dans la maison de la culture. Un détenu a eu l'oreille

5 coupée, d'autres ont eu les doigts sectionnés et deux détenus au moins ont

6 eu les organes génitaux mutilés.

7 Dans la municipalité de Zvornik, l'école technique de Karakaj est

8 devenue un centre de Détention dans lequel des hommes musulmans étaient

9 retenu prisonniers, gardés par des soldats serbes. Quelques heures après

10 leur arrivée à l'école, près de 20 détenus sont morts. Dans les jours qui

11 ont suivi, de nombreux détenus ont été sauvagement frappés. Par la suite,

12 160 détenus environ ont été emmenés par petits groupes et exécutés par les

13 gardiens serbes.

14 Les autres municipalités énumérées dans l'acte d'accusation ont été

15 le théâtre de faits similaires. Il s'agit de Banja Luka, Bijeljina,

16 Bileca, Bosanska Krupa, Bosanski Novi, Bosanski Petrovac, Bratunac, Brcko,

17 Cajnice, Celinac, Doboj, Donji Vakuf, Foca, Gacko, Hadzici, Ilidza, Ilijas,

18 Kljuc, Kalinovik, Kotor Varos, Nevesinje, Novi Grad, Novo Sarajevo, Pale,

19 Prijedor, Prnjavor, Rogatica, Sanski Most, Sokolac, Teslic, Trnovo,

20 Visegrad, Vlasenica et Vogosca.

21 La Chambre de première instance en vient à présent aux conclusions qu'elle

22 a tiré à propos de ces crimes.

23 La Chambre de première instance estime que les crimes suivants commis dans

24 les municipalités énumérées dans l'acte d'accusation ont été établis au-

25 delà de tout doute raisonnable. Extermination, un crime contre l'humanité,

26 commis contre des Musulmans de Bosnie et dans une moindre mesure contre

27 des Croates de Bosnie, dans quatorze municipalités. Et assassinat, un

28 crime contre l'humanité, commis contre des Musulmans et des Croates de

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1 Bosnie dans 28 municipalités.

2 Dans la mesure où tous les meurtres ont reçu la qualification d'assassinat

3 ou d'extermination, des crimes sanctionnés par l'article 5 du Statut du

4 Tribunal, il n'est point besoin de tirer des conclusions concernant

5 l'accusation subsidiaire de meurtre en tant que crime de guerre.

6 Il a été établi que les Musulmans et les Croates de Bosnie ont été

7 victimes d'expulsion, un crime contre l'humanité, dans 17 municipalités et

8 de transfert forcé, un crime contre l'humanité, dans 25 municipalités.

9 Les Musulmans et les Croates de Bosnie ont été victimes de persécution, un

10 crime contre l'humanité, dans les 35 municipalités énumérées dans l'acte

11 d'accusation. Des persécutions constituées par les actes suivants : mise

12 en place de mesures restrictives et discriminatoires, notamment le refus

13 de reconnaître des droits fondamentaux; meurtres; traitements cruels et

14 inhumains infligés pendant les attaques contre des villes et des villages

15 et dans différents centres de Détention; déplacements forcés; détention

16 illégale; travail forcé sur les lignes de front; appropriation ou pillage

17 de biens privés; et destruction de biens privés, de monuments culturels et

18 de lieux de culte.

19 Pour ce qui de l'accusation de génocide, la Chambre estime que même s'il a

20 été établi que les actes perpétrés dans les municipalités constituaient

21 l'actus reus du génocide, les preuves ne suffisent pas pour dire que les

22 auteurs de ces actes étaient animés d'une intention génocidaire, intention

23 de détruire en partie le groupe des Musulmans de Bosnie ou le groupe de

24 Croates de Bosnie, comme tel.

25 La Chambre en vient à présent à la responsabilité pénale de Momcilo

26 Krajisnik dans les crimes précités.

27 Vu les faits de l'espèce, la Chambre estime que la responsabilité

28 découlant de la participation à l'entreprise criminelle commune est celle

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1 qui s'impose. En conséquence, elle n'a pas examiné les autres formes de

2 responsabilité énoncées dans l'acte d'accusation.

3 La Chambre considère que l'existence d'une entreprise criminelle commune

4 ne suppose pas nécessairement une préparation et une planification ni un

5 accord explicite entre les membres de cette entreprise. La Chambre conclut

6 qu'une entreprise criminelle commune a existé sur tout le territoire de la

7 République Serbe de Bosnie-Herzégovine. Momcilo Krajisnik, Radovan

8 Karadzic et d'autres dirigeants serbes de Bosnie formaient le noyau dur de

9 cette entreprise. Les exécutants étaient répartis dans les régions et les

10 municipalités de la République serbe de Bosnie-Herzégovine et

11 entretenaient des liens étroits avec les dirigeants de Pale, la capitale

12 des Serbes de Bosnie.

13 Une entreprise criminelle commune peut exister, et ses membres peuvent

14 être tenus responsables des crimes commis dans les municipalités, par des

15 auteurs principaux qui pouvaient ne pas adhérer à l'objectif commun de

16 l'entreprise criminelle commune. Il suffit, en pareil cas, de montrer que

17 des membres de l'entreprise criminelle commune les ont poussés à commettre

18 ces crimes en exécution du but commun. Le fait que l'un au moins des

19 auteurs principaux pouvait ne pas avoir connaissance de l'entreprise

20 criminelle commune ou de son but, n'empêche pas de conclure que les

21 participants à l'entreprise criminelle commune ont commis les crimes dans

22 les municipalités énumérées dans l'acte d'accusation par l'entreprise de

23 ces auteurs principaux.

24 L'objectif de l'entreprise criminelle commune était de modifier

25 l'équilibre ethnique dans les régions convoitées par les dirigeants serbes

26 de Bosnie, et pour ce faire, de réduire radicalement le nombre des

27 Musulmans et des Croates de Bosnie en les expulsant. La Chambre constate

28 que les crimes initialement prévus par le but commun, étaient l'expulsion

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1 et le transfert forcé. Momcilo Krajisnik a donné son feu vert au programme

2 d'expulsion lors d'une séance de l'assemblée des Serbes de Bosnie où il a

3 appelé à, je cite : "Réaliser ce dont nous sommes convenus, à savoir la

4 séparation ethnique sur le terrain."

5 Il peut arriver que les moyens criminels mis en œuvre pour réaliser

6 un but criminel commun débordent le cadre initial prévu. C'est le cas

7 lorsque des membres très importants de l'entreprise criminelle commune

8 sont informés que de nouveaux crimes ont été commis en exécution du but

9 commun, lorsqu'ils ne prennent concrètement aucune mesure pour empêcher

10 que de tels crimes se reproduisent et lorsqu'ils persistent à réaliser

11 l'objectif commun.

12 En pareil cas, on reconnaît que les membres de l'entreprise criminelle

13 commune ont voulu l'élargissement des moyens, car la réalisation de

14 l'objectif commun ne peut plus, dès lors, s'entendre comme étant limité à

15 l'exécution des crimes initialement prévus.

16 S'il est possible que dans un premier temps l'objectif de l'entreprise

17 criminelle commune à laquelle Momcilo Krajisnik a participé, se soit limité

18 à l'expulsion et au transfert forcé, les preuves montrent que les moyens

19 criminels mis en œuvre pour réaliser cet objectif se sont rapidement

20 élargis pour inclure d'autres crimes tels que les persécutions,

21 l'assassinat, l'extermination. Ces crimes qui n'étaient pas initialement

22 prévus et qui sont rapportés dans le Jugement ont contribué à redéfinir les

23 moyens criminels mis en œuvre pour réaliser l'objectif de l'entreprise

24 criminelle commune pendant la période couverte par l'acte d'accusation.

25 Rien ne prouve qu'à un moment ou à un autre de cette période, le génocide

26 ait été envisagé dans l'objectif commun de l'entreprise criminelle commune

27 à laquelle il a été établi que Momcilo Krajisnik avait participé, ni qu'il

28 ait été animé de l'intention spéciale requise pour établir le génocide. Les

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1 preuves présentées ne permettent pas non plus de conclure que Momcilo

2 Krajisnik se soit rendu coupable de complicité de génocide.

3 La Chambre estime que la contribution générale de Momcilo Krajisnik à

4 l'entreprise criminelle commune visait à favoriser l'établissement et le

5 maintien du SDS et d'autres institutions essentielles à l'exécution des

6 crimes. L'accusé a également usé de ses talents d'homme politique, tant au

7 plan régional qu'international, pour faciliter la réalisation de l'objectif

8 de l'entreprise criminelle commune par le biais des crimes qui

9 s'inscrivaient dans le cadre de cet objectif. Momcilo Krajisnik avait

10 connaissance des détentions en masse et des expulsions de civils, et il

11 appelait celles-ci de ses vœux. Il avait le pouvoir d'intervenir, mais ne

12 s'est pas soucié de la situation extrêmement difficile dans laquelle se

13 trouvaient les personnes détenues ou chassées de chez elles. Momcilo

14 Krajisnik voulait que les civils musulmans et croates quittent en masse les

15 régions contrôlées par les Serbes de Bosnie, et il avait accepté que la

16 domination serbe et la création d'un Etat durable ne s'obtiendrait qu'au

17 prix de souffrances, de morts et de destruction.

18 En conséquence, la Chambre conclut que Momcilo Krajisnik est coupable

19 d'avoir commis les crimes précités du fait de sa participation à

20 l'entreprise criminelle commune.

21 La Chambre en vient à présent à la peine.

22 L'Accusation a requis l'emprisonnement à vie contre Momcilo Krajisnik pour

23 les crimes que celui-ci a commis. Pour fixer une juste peine, la Chambre a

24 apprécié la gravité du comportement criminel de Momcilo Krajisnik dans son

25 ensemble. A ce propos, les arguments des parties, ainsi que d'autres

26 éléments pertinents ont été examinés ainsi qu'il est exposé dans le

27 Jugement.

28 De très grandes souffrances ont été infligées aux victimes en l'espèce, et

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1 les conséquences des crimes pour les communautés musulmanes et croates de

2 Bosnie-Herzégovine sont profondes. Ces crimes ont été perpétrés pendant une

3 longue période, souvent de manière brutale, haineuse ou sans que leurs

4 auteurs ne se soucient le moins du monde des victimes.

5 Momcilo Krajisnik a joué un rôle essentiel dans la perpétration des crimes.

6 Ses fonctions en tant que dirigeant des Serbes de Bosnie lui ont permis

7 d'aider l'armée, la police et les groupes paramilitaires à réaliser

8 l'objectif de l'entreprise criminelle commune. Il avait le devoir de

9 veiller au bien-être de la population et de maintenir l'ordre public. Les

10 habitants de la République serbe de Bosnie-Herzégovine étaient en droit

11 d'attendre qu'une personne du rang de Momcilo Krajisnik s'emploie à

12 prévenir ou à punir les crimes au lieu d'y participer.

13 La Chambre considère que les éléments suivants propres à l'accusé

14 constituent des circonstances atténuantes même si elle ne leur accorde

15 guère de poids. L'absence d'antécédent judiciaire, sa bonne conduite en

16 détention, le temps relativement long qu'il a passé en détention avant

17 l'ouverture de son procès, le fait qu'il ait tenté, quoique modestement,

18 d'apporter son aide à certains non-Serbes pendant la période des faits

19 ainsi que son âge et sa situation familiale.

20 Monsieur Krajisnik, veuillez vous lever ?

21 [L'accusé se lève]

22 Par les motifs qui viennent d'être brièvement exposés, la Chambre, après

23 avoir examiné l'ensemble des preuves et les arguments présentés par les

24 parties, le Statut et le Règlement, et se fondant sur les constatations et

25 les conclusions exposées dans le Jugement, décide ce qui suit :

26 Vous êtes reconnu non coupable et partant acquitté des chefs 1 et 2 de

27 l'acte d'accusation; à savoir génocide et complicité de génocide commis

28 avec l'intention de détruire en partie les Musulmans de Bosnie et les

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1 Croates de Bosnie.

2 Vous êtes également reconnu non coupable du chef 6 de l'acte d'accusation,

3 à savoir meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre.

4 La Chambre vous déclare coupable des chefs suivants :

5 Chef 3, persécution, un crime contre l'humanité;

6 Chef 4, extermination, un crime contre l'humanité;

7 Chef 5, assassinat, un crime contre l'humanité;

8 Chef 7, expulsion, un crime contre l'humanité;

9 Chef 8, transfert forcé constitutif d'actes inhumains, un crime

10 contre l'humanité.

11 Vous êtes tenu responsable de ces crimes sur la base de l'article 7(1) du

12 Statut du Tribunal.

13 Pour le rôle que vous avez joué dans ces crimes, nous vous condamnons,

14 Momcilo Krajisnik, à une peine unique de 27 ans d'emprisonnement. Vous avez

15 droit à ce que soit pris en compte le temps que vous avez passé en

16 détention préventive. Sachant que vous avez été arrêté le 3 avril 2000,

17 vous avez droit, en conséquence, à ce que 2 369 jours soient déduits de la

18 durée totale de la peine qui vous a été infligée.

19 L'audience est levée.

20 --- L'audience du Jugement en appel est levée à 13 heures 43.

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