Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 7 juin 2001.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 30.)

3 (Audience publique en vidéoconférence.)

4 M. le Président (interprétation): Très bien. Pourrions-nous entendre le

5 premier témoin par le lien vidéo?

6 (Le témoin, Mme Desanka Bogdanovic, apparaît sur les écrans.)

7 Madame, pourriez-vous, s'il vous plaît, lire la déclaration solennelle qui

8 figure sur le document qui vous est donné par le Procureur?

9 Mme Bogdanovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

10 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

11 M. le Président (interprétation): Vous pouvez-vous asseoir, Madame.

12 Maître Bakrac?

13 (Interrogatoire principal du témoin, Mme Desanka Bogdanovic, par Me

14 Bakrac.)

15 M. Bakrac (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je m'excuse.

16 Madame, est-ce que vous m'entendez?

17 Mme Bogdanovic (interprétation): Oui.

18 Question: Je vais vous demander puisque nous travaillons par le lien

19 vidéo et puisque nous parlons la même langue de respecter une pause avant

20 de répondre à ma question: nous parlons la même langue et tout ce que nous

21 disons va être traduit.

22 Madame, s'il vous plaît, présentez-vous.

23 Réponse: Je m'appelle Desanka Bogdanovic, née Djukanovic.

24 Question: Vous êtes née où et en quelle année?

25 Réponse: Je suis née le 14 juillet 1936 à Cetinje, au Monténégro.

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1 Question: Quelle est votre profession, Madame?

2 Madame, m'avez-vous entendu? Je vous ai demandé quelle était votre

3 profession?

4 Réponse: Je ne vous entends pas.

5 Question: Je vais vous poser la question encore une fois: m'entendez-vous,

6 Madame?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Quelle est votre profession, Madame?

9 Réponse: Eh bien, j'ai fait l'école normale à Karlovac, en Croatie, pour

10 devenir institutrice.

11 Question: A quel moment avez-vous commencé à travailler et où?

12 Réponse: J'ai commencé à travailler le 1er septembre 1959 à Foca.

13 Question: Où avez-vous commencé à travailler?

14 Réponse: J'ai commencé à travailler à Brod, à l'école élémentaire de Brod,

15 près de Foca.

16 Question: M'entendez-vous, Madame?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Est-ce que vous avez toujours travaillé à Foca comme

19 institutrice ou bien est-ce que vous avez changé de profession?

20 Réponse: J'ai travaillé en tant qu'institutrice jusqu'en 1984 et, ensuite,

21 dans le cadre de la même institution, je suis devenue la secrétaire de

22 l'école.

23 Question: A quel moment avez-vous commencé à travailler à l'école

24 élémentaire de Veselin Maslasa, à Foca?

25 Réponse: Le 1er septembre 1962.

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1 Question: Et vous avez travaillé dans cette école Veselin Maslasa jusqu'à

2 quelle année?

3 Réponse: Jusqu'en 1995, quand je suis partie à la retraite.

4 Question: Est-ce que vous avez jamais été condamnée? Est-ce que vous avez

5 un casier judiciaire?

6 Réponse: Non, jamais. J'ai un casier judiciaire vierge et c'est la

7 première fois que je suis présente à un tribunal.

8 Question: Au cours de vos années de travail, dans le cadre de votre

9 profession, est-ce que vous avez eu des récompenses, des médailles?

10 Réponse: J'en ai reçu beaucoup et celle qui me tient le plus à coeur est

11 la médaille de la ville de Foca, dite du "20 janvier".

12 Question: M'entendez-vous?

13 Réponse: Oui, là, je vous entends.

14 Question: Et donc cette médaille que vous avez reçue, cette distinction,

15 est-ce que cela veut dire que vous êtes un citoyen honorifique de la ville

16 de Foca?

17 Réponse: Oui, c'est bien cela. C'est bien cela la signification de cette

18 récompense.

19 Question: Madame, connaissez-vous M. Milorad Krnojelac?

20 Réponse: J'ai rencontré Milorad Krnojelac pour la première fois en 1974.

21 Question: Où avez-vous rencontré M. Krnojelac?

22 Réponse: Eh bien, nous avions une vacance de poste pour le poste

23 d'enseignant de mathématiques dans notre école. Donc il s'est présenté à

24 ce poste et il a été accepté.

25 Question: D'après ce que vous savez, Milorad Krnojelac a donc commencé à

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1 travailler dans votre école en 1974: il y est resté jusqu'à quelle date?

2 Réponse: Il y est resté jusqu'au mois d'avril 1992.

3 Question: Entre 1974 et 1992, quelles étaient les missions qu'a eues M.

4 Krnojelac dans votre école?

5 Réponse: Il était enseignant de mathématiques, mais comme il était très

6 populaire, il était le Président de l'assemblée des travailleurs et du

7 Conseil des travailleurs, il était membre de différentes commissions.

8 Question: Vous dites qu'il a travaillé jusqu'au mois d'avril 1992. Savez-

9 vous ce qu'il a commencé à faire, quel était son travail à partir de cette

10 date-là?

11 Réponse: Il avait son obligation de travail. Tous les travailleurs avaient

12 une obligation de travail qui leur était impartie par le ministère des

13 Affaires intérieures. Milorad Krnojelac a reçu son obligation de travail

14 dans le KP Dom de Foca.

15 Question: Où habitiez-vous au moment où la guerre a éclaté à Foca?

16 Réponse: J'habitais à Donje Polje, là où la population est majoritairement

17 musulmane.

18 Question: Vous habitiez avec qui au moment où le conflit a éclaté?

19 Réponse: Avec mon époux.

20 Question: Comment s'appelle votre époux?

21 Réponse: Svetozar Bogdanovic.

22 Question: Est-ce que vous avez passé toute la guerre à Donje Polje?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Est-ce que Donje Polje fait partie de la ville de Foca, donc

25 est-ce bien un quartier de Foca où habite la population musulmane?

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1 Réponse: Oui, la majorité de la population habitant Donje Polje est de

2 nationalité musulmane.

3 Question: Est-ce que, au début du conflit, quelqu'un vous a proposé de

4 vous protéger ou bien de vous aider à déménager dans un autre appartement?

5 Réponse: Oui, puisque le conflit a commencé et puisque nous ne pouvions

6 pas sortir de Donje Polje, des amis se sont rappelés de nous, Hajrija

7 Sabanovic avec sa fille Mervana, et notre ami Sirbubalo Nedziba.

8 Question: Est-ce que vous vous souvenez ce qu'ils vous ont proposé?

9 Réponse: Ils nous ont proposé de déménager chez elles, c'est juste en face

10 de chez nous.

11 Question: Pourquoi ils vous ont proposé cela, de déménager chez elles?

12 Réponse: Parce qu'elles savaient que des Musulmans se rendaient dans les

13 maisons des Serbes et elles avaient peur que nous ayons des problèmes, que

14 nous soyons maltraités.

15 Question: Et avez-vous déménagé chez une de vos voisines?

16 Réponse: Elles habitaient toutes les trois ensemble. Nous avons refusé

17 cette proposition.

18 Question: Si je vous ai bien compris, vous êtes restée donc chez vous,

19 dans votre appartement, pendant toute la guerre?

20 Réponse: Oui, oui. Avec trois autres familles, des Serbes aussi.

21 Question: Ces voisines qui vous ont invités à venir habiter chez elles,

22 est-ce qu'elles vous ont rendu visite pendant le conflit?

23 Réponse: Juste après notre refus de déménager chez elles, elles sont

24 venues nous voir chez nous.

25 Question: Est-ce que, à l'époque, donc pendant le conflit qui prévalait à

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1 Donje Polje, est-ce que des Musulmans entraient dans les maisons serbes à

2 Donje Polje?

3 Réponse: Oui et c'est pour cela qu'elles ont exprimé le souhait de nous

4 protéger.

5 Question: Pendant que vous étiez dans votre appartement, est-ce que des

6 soldats musulmans armés sont venus dans votre appartement?

7 Réponse: Grâce à ces trois personnes qui étaient là, présentes, et qui

8 avaient bien informé tout le monde du fait qu'elles étaient chez nous, eh

9 bien, nous n'étions dérangés par qui que ce soit.

10 Question: Après la fin du conflit à Foca, est-ce que ces trois dames de

11 nationalité musulmane ont quitté votre appartement?

12 Réponse: Oui. Donc Sabanovic Hajrja et Mervana sont parties chez elles

13 dans leur maison et Nedziba Sirbubalo est rentrée chez elle dans son

14 appartement.

15 Question: Et pendant combien de temps elles sont restées à Donje Polje,

16 dans ce quartier de Foca?

17 Réponse: Elles y sont restées jusqu'au 1er juillet 1992. Elles

18 s'occupaient de leur jardin, elles menaient une vie normale.

19 Question: Vous avez dit le 1er juillet 1992. Etes-vous sûre de la date?

20 Etes-vous sûre qu'elles ont quitté Foca à cette date-là?

21 Réponse: Je ne suis pas sûre si c'était vraiment le 1er juillet mais, en

22 tout cas, soit le 31 juin ou le 1er juillet; c'était à peu près à cette

23 date-là.

24 Question: Dites-nous de quelle façon ces deux personnes se sont adressées

25 à vous et pour quelle raison?

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1 Réponse: Eh bien, nous avons passé toute la guerre ensemble à Foca. Nous

2 avons partagé le bien et le mal. Nous vivions honnêtement. Après, elles

3 sont passées dans leur maison...

4 Question: Excusez-moi, je ne vous ai pas très bien entendue. Pourriez-vous

5 répéter ce que vous venez de dire?

6 Réponse: Elles habitaient dans leur maison à elles; elles s'occupaient de

7 leur jardin, elles menaient une vie normale.

8 Question: Est-ce qu'elles ont exprimé le souhait de quitter Foca? Est-ce

9 qu'elles vous ont dit quoi que ce soit à ce sujet-là?

10 Réponse: Une fois, elles sont venues... En fait, nous nous voyions tous

11 les jours: soit nous allions les voir chez elles, soit elles venaient nous

12 voir chez nous. Donc un jour, elles ont exprimé le souhait de se rendre à

13 Berane, au Monténégro, chez leur belle-fille qui, avec son bébé, habitait

14 là-bas chez ses parents.

15 Question: Pour quelle raison sont-elles venues vous voir, vous, pour

16 réaliser ce désir?

17 Réponse: Sans doute parce qu'elles avaient confiance en moi, comme c'était

18 le cas pour moi d'ailleurs: j'avais confiance en elles.

19 Question: Est-ce qu'elles ont pu quitter Foca sans aucun problème,

20 librement? Est-ce qu'elles ont pu faire ce voyage toutes seules?

21 Réponse: Non, parce qu'à l'époque il y avait le couvre-feu à Foca. A Brod,

22 à trois kilomètres de Foca, il y avait un poste de contrôle tenu par les

23 policiers. Donc il n'était pas possible d'entrer dans la ville de Foca

24 sans être contrôlé.

25 M. Bakrac (interprétation): Puisqu'au mois de juillet des groupes

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1 importants de personnes ont pu quitter la ville de Foca, êtes-vous sûre

2 que c'était bien au mois de juillet à cause du couvre-feu, etc.?

3 Mme Kuo (interprétation): Objection, Monsieur le Président!

4 Le conseil de la défense est en train d'avancer une information qui ne

5 fait pas du tout partie de la déposition du témoin et il guide le témoin.

6 M. le Président (interprétation): Ecoutez, moi, je ne me souviens pas,

7 Maître Bakrac, qu'on ait parlé de cela, à quelque moment que ce soit, dans

8 le cadre de cette affaire: je veux dire de cette information concernant de

9 grands groupes ou des groupes importants de personnes qui quittaient la

10 ville de Foca librement.

11 M. Bakrac (interprétation): Nous avons fourni une décision; je ne sais

12 plus quelle était la cote de ce document. Il s'agit d'un document qui

13 consiste en une décision de quitter la ville. Il y a de nombreux témoins

14 qui ont témoigné à ce sujet, qui on dit qu'ils partaient en bus.

15 Donc je ne vois pas quelle est la raison de cette question.

16 M. le Président (interprétation): Oui, évidemment. Evidemment que nous

17 avons des preuves, que nous avons eu des témoignages comme quoi des gens

18 ont pu quitter Foca. Mais vous, vous venez de dire qu'ils ont pu quitter

19 la ville de Foca librement et je pense que c'est cela la base de cette

20 objection.

21 M. Bakrac (interprétation): Puisque vous mentionnez le couvre-feu, etc.,

22 et puisque ceci s'est passé il y a neuf ans, j'ai voulu vous demander si

23 vous étiez bien certaine qu'elles ont quitté la ville de Foca au mois de

24 juillet, et si vous permettez la possibilité que cela se soit produit au

25 mois de juin.

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1 Mme Kuo (interprétation): Objection à nouveau, Monsieur le Président,

2 puisque le conseil de la défense guide à nouveau le témoin. Elle était

3 très affirmative concernant ce qu'elle a dit et maintenant il lui propose

4 une autre date.

5 M. le Président (interprétation): Elle a dit qu'elle n'était pas sûre si

6 c'était le 1er juillet, mais c'est la seule concession qu'a faite le

7 témoin.

8 Mme Kuo (interprétation): Oui, elle a dit que c'était au début du mois de

9 juillet ou peut-être à la fin du mois de juin. Et maintenant le conseil de

10 la défense lui propose la possibilité que cela se soit produit au début du

11 mois de juin. Je pense que ceci n'est pas correct, tout simplement.

12 M. le Président (interprétation): Je n'en suis pas sûr. Il ne lui suggère

13 pas cela. Il lui demande si elle admet la possibilité que cela se soit

14 produit plus tôt; il lui demande s'il est possible que ceci se soit

15 produit, par exemple, plus tôt au mois de juin. Je ne vois pas pourquoi on

16 fait objection.

17 Mme Kuo (interprétation): Oui, mais c'est la façon dont il fait cela: il

18 lui donne une période bien précise et il veut qu'elle soit d'accord.

19 M. le Président (interprétation): Très bien. Est-ce que vous pourriez lui

20 poser la question différemment? Est-ce que vous pourriez lui demander de

21 façon plus générale si ceci aurait pu se passer plus tôt qu'à la fin du

22 mois de juin?

23 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Avec votre

24 permission, je souhaite vous dire que la défense n'a jamais soulevé des

25 objections quand des témoins à charge avaient fait des erreurs concernant

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1 les dates, concernant les mois; et nous n'avons jamais protesté quand le

2 Procureur demandait à ses propres témoins s'ils étaient bien sûrs des

3 dates.

4 Je voudrais vous dire aussi que nous nous appuyons sur le document ID-90.

5 Donc je suis assez étonné par cette objection. Ceci s'est passé il y a

6 neuf ans et nous avons tout simplement demandé au témoin si elle admettait

7 la possibilité que tout ceci se soit passé plus tôt.

8 M. le Président (interprétation): Bon. La façon dont l'objection a été

9 prononcée, vous pourrez peut-être ne pas faire trop attention à cela. Mais

10 je vais vous demander tout simplement de poser la question de la façon

11 dont le Procureur posait ses questions à l'époque: vous pouvez lui

12 demander s'il est possible que ceci se soit passé plus tôt?

13 C'est ce que je vous propose. Ce n'est pas que nous ne vous traitons pas

14 de la même façon que le Bureau du Procureur. Je vous assure: il y a une

15 égalité des armes ici.

16 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je le crois et

17 je vais obéir à ce que vous venez de dire.

18 Madame le Témoin, est-ce que vous pourriez me dire si vous admettez la

19 possibilité que ces deux personnes aient quitté la ville de Foca plus tôt

20 qu'à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet? Est-ce que

21 c'est possible que ceci se soit passé plus tôt?

22 Mme Bogdanovic (interprétation): Non, ceci n'a pas pu se passer plus tôt.

23 Nous avons perdu l'orientation dans le temps et, quand nous sommes partis

24 vers le Monténégro, nous avons vu les premières tomates et poivrons; nous

25 nous sommes demandées: mais d'où viennent tous ces légumes, comment cela

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1 se fait-il? Et c'est là que nous avons compris qu'en réalité, l'été avait

2 commencé et que c'était bien la belle saison qui commençait. Car à

3 l'époque, nous, nous ne voyions même pas de légumes ou de végétation.

4 C'était une pure abstraction!

5 Question: Donc, quand elles sont venues vous voir pour vous demander

6 qu'elles voulaient partir pour le Monténégro, qu'avez-vous fait?

7 Réponse: Eh bien, j'étais bien embarrassée. Il n'y avait aucun moyen de

8 transport, il y avait ces contrôles, ces points de contrôle à Brod,

9 c'était vraiment très risqué de s'aventurer dans une telle entreprise. De

10 l'autre côté, je me voyais obligée, du point de vue humain et moral,

11 envers ces deux femmes formidables qui m'ont, elles, beaucoup aidée.

12 Question: Et qu'avez-vous fait ensuite?

13 Réponse: Eh bien, j'ai souffert, je n'osais me confier à personne et je ne

14 savais pas comment faire cela. Tous les jours, quand je disposais d'un

15 petit peu de temps... M'entendez-vous?

16 Question: Non, non, nous n'avons pas reçu de traduction de ce que vous

17 venez de dire. Pourriez-vous répéter, s'il vous plaît?

18 Réponse: Eh bien, j'étais bien embarrassée. Je me suis demandée comment

19 rendre visite à ces deux femmes formidables qui nous ont beaucoup aidés

20 quand nous, nous avons eu des problèmes.

21 Question: Et qu'avez-vous fait ensuite?

22 Réponse: Eh bien, je n'osais me confier à qui que ce soit, et puisque

23 Milorad Krnojelac, quand il avait du temps libre, puisqu'il venait nous

24 rendre visite à l'école avec beaucoup de nostalgie -parce qu'il regrettait

25 d'avoir quitté l'école-, et donc il m'a vu de mauvaise humeur, il a

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1 compris que j'étais de mauvaise humeur et il m'a demandé ce qu'il y avait.

2 Alors je me suis confiée à lui.

3 Il y a encore un problème...

4 Question: M'entendez-vous, Madame?

5 Réponse: Oui, là, je vous entends.

6 Question: Je ne parlais pas, je vous ai laissé continuer tout simplement.

7 Vous avez commencé à dire quelque chose, j'attendais que vous terminiez

8 vos phrases.

9 Réponse: J'ai dit que Milorad Krnojelac, quand il avait du temps libre,

10 venait à l'école, qu'il faisait cela souvent. Il m'a vu de mauvaise

11 humeur. Il m'a demandé ce que j'avais, et moi, e me suis confiée à lui.

12 Il a réfléchi et il a dit: "Si je peux faire quoi que ce soit, je vais

13 faire un effort.".

14 Question: Donc vous lui avez fait part, vous lui avez dit...

15 Réponse: ...que j'avais une obligation morale et humaine de faire sortir

16 ces femmes de Foca et de les aider à joindre leur famille.

17 Question: Soyez gentille, dites-nous, Madame, à quel moment se termine

18 l'année scolaire?

19 Réponse: Le 15 juin.

20 Question: Puisque vous venez de me dire que l'année scolaire se termine le

21 15 juin et que Milorad Krnojelac venait vous voir à l'école, et que c'est

22 à ce moment-là que vous lui avez demandé de vous aider, est-ce que vous

23 admettez donc, à cause de tout cela, la possibilité que tout ceci s'est

24 passé plus tôt que la date que vous avez indiquée, avant le 15 juin?

25 Réponse: Non, non.

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1 Je n'entends pas à nouveau, je n'entends rien.

2 Question: M'entendez-vous, Madame?

3 Réponse: Oui, seulement maintenant.

4 Question: Allez, dites, continuer.

5 Réponse: Les enfants n'étaient plus à l'école, ils ne venaient plus à

6 l'école, les vacances avaient commencé. Cependant, comme j'étais la

7 secrétaire de l'école, et ceci depuis 1984... M'entendez-vous, Maître

8 Bakrac?

9 Question: Oui, vous pouvez continuer Madame.

10 Réponse: Donc comme j'étais la secrétaire de l'école depuis 1984, eh bien,

11 j'étais obligée de travailler. Moi et le directeur en exercice de l'école,

12 eh bien, nous étions obligés de venir à l'école tous les jours.

13 M. Bakrac (interprétation): Et qu'est-ce qu'il vous a dit, Milorad

14 Krnojelac, quand vous lui avez parlé?

15 Mme Bogdanovic (interprétation): Il m'a dit que ceci allait être

16 difficile, que si j'avais une obligation morale, eh bien, qu'il fallait

17 que je tente de m'en acquitter et qu'il allait faire son possible pour

18 m'aider.

19 M. le Président (interprétation): (Pas d'interprétation en français.)

20 On va essayer d'arranger. Il me semble que c'était hier le même cas.

21 Est-ce que vous m'entendez maintenant?

22 Interprète: La cabine française marche toujours.

23 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous êtes capable de voir,

24 d'après le transcript, ce qui a été dit et ce qu'il faudrait que le témoin

25 reprenne?

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1 M. Bakrac (interprétation): Oui.

2 Madame, est-ce que vous m'entendez maintenant?

3 Mme Bogdanovic (interprétation): Oui.

4 M. Bakrac (interprétation): Soyez aimable. Ma dernière question, vous

5 l'avez captée j'espère. Est-ce que vous m'entendez?

6 M. le Président (interprétation): La communication a été coupée, mais il

7 me semble qu'elle a été rétablie et nous avons encore une fois l'image en

8 couleur sur nos écrans.

9 M. Bakrac (interprétation): Madame, est-ce que vous m'entendez?

10 Il me semble, Monsieur le Président, que dès que je branche mon micro et

11 que je me mets à parler, il y a tout de suite une coupure de nos

12 communications.

13 M. le Président (interprétation): Je ne suis pas tout à fait sûr de cela,

14 mais attendons une seconde pour voir si quelque chose pourra être arrangé.

15 M. Bakrac (interprétation): Est-ce que vous m'entendez maintenant, Madame?

16 Est-ce que vous m'entendez, Madame?

17 Mme Bogdanovic (interprétation): Oui, ce n'est que maintenant que je vous

18 entends.

19 Question: Oui, Madame. Alors la réponse qui était la vôtre à ma dernière

20 question n'a pas été traduite en totalité.

21 Je voulais savoir, lorsque vous avez adressé cette demande à Milorad

22 Krnojelac, lorsque vous lui avez dit quel était votre problème, je

23 voudrais savoir ce qu'il vous a répondu, lui.

24 Réponse: Il a dit qu'il allait essayer de m'aider si l'occasion se

25 présentait.

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1 Question: Et que s'est-il passé ensuite? Vous a-t-il aidé à résoudre ce

2 problème?

3 Réponse: Oui. Ces deux personnes, Hajrija et Mervana, ont insisté pour

4 sortir de la ville le plus tôt possible, espérant que leurs fils

5 pourraient quitter Sarajevo et qu'ils pourraient tous rejoindre leur

6 famille à Berane. Ainsi, j'ai téléphoné à Milorad pour lui demander s'il

7 avait pu faire quelque chose pour nous dans ce sens-là.

8 En réponse, il a dit qu'il avait trouvé un homme à lui qui a voyagé

9 souvent pour cette destination, à savoir en direction de Stjepan Polje et

10 que, le lendemain matin, nous devions être prêtes. Prêtes à partir.

11 Question: Et le lendemain matin, Milorad Krnojelac est-il venu vous voir,

12 vous chercher? Où, quand et avec qui?

13 Réponse: D'abord, il m'a téléphoné depuis le KP Dom, vers 6 heures 30, en

14 précisant que nous devions sortir devant ma maison, ce que nous avons fait

15 d'ailleurs toutes les trois. Avec nous, il y avait mon époux, Svetozar

16 Bogdanovic, de même que mes voisines et Sirbubalo Nedziba avec. Et nous

17 l'attendions devant ma maison.

18 Question: Et Milorad Krnojelac est-il venu? Et avec qui?

19 Réponse: Milorad Krnojelac est venu avec un homme, avec le chauffeur en

20 question.

21 Question: Est-ce que vous m'entendez, Madame?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Et lorsqu'ils sont venus, est-ce que vous leur avez parlé?

24 Réponse: Nous n'avons pas vraiment parlé. Nous n'avons fait que pleurer et

25 pleurer beaucoup. Nous les avons mises toutes les deux dans la partie

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1 arrière, sur le siège arrière de la voiture. Elles étaient plutôt

2 accroupies pour que nous puissions ensuite mettre leurs affaires à elles.

3 Ensuite, on s'est embrassés. Milorad Krnojelac leur a dit au revoir en

4 leur souhaitant un bon voyage et j'ai vu des larmes dans ses yeux.

5 Question: Etes-vous partie avec vos deux voisines et avec ce chauffeur?

6 Réponse: Oui, j'étais partie avec pour qu'elles se débrouillent mieux au

7 Monténégro parce qu'elles ne connaissaient pas bien le terrain.

8 Question: Est-ce que vous avez de la parenté au Monténégro?

9 Réponse: Oui, je suis monténégrine, née à Cetinje. J'ai des parents à moi

10 à Podgorica.

11 Question: Etes-vous donc partie en voyage avec elles et, plus tard, ces

12 femmes ont-elles fait des commentaires au sujet des événements en cours?

13 Je pense à ces deux femmes que vous avez pu faire sortir.

14 Réponse: Nous avons pu les faire sortir sans encombre et en sécurité. La

15 police à Brod ne nous a pas arrêtés. Il me semble que ces policiers

16 connaissaient le chauffeur qui nous a conduites. Et c'est en toute

17 sécurité que nous sommes arrivées au Monténégro, à Berane, et ensuite nous

18 sommes partis pour Podgorica, en bus.

19 Etant donné que c'est à 21 heures du soir que le bus pour Berane devait

20 partir, je les ai emmenées chez mes parents où nous avons pu prendre notre

21 déjeuner, nous reposer ensuite, prendre ensuite un souper; après quoi, un

22 de mes parents, de concert avec moi, les a prises toutes les deux pour les

23 emmener à la gare routière.

24 Question: Vous avez dit que vous étiez venues jusqu'à la frontière

25 d'abord. S'agissait-il de Stjepan Polje?

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1 Réponse: Oui, c'est comme cela que cette localité s'appelle.

2 Question: Et ces deux dames, lorsque vous leur avez dit adieu à Podgorica,

3 est-ce qu'elles vous ont parlé de Milorad Krnojelac?

4 Réponse: Oui. C'était plutôt un au revoir pénible, comme si nous savions

5 que c'était notre dernière entrevue. Parce que j'ai entendu dire plus tard

6 que Sabanovic Hajrija était décédée; c'est une dame qui vient d'une

7 famille musulmane assez célèbre. Et c'est à travers les larmes que toutes

8 les deux, en me donnant des accolades, m'ont précisé: "Deza, nous devons

9 bien retenir le nom de Milorad Krnojelac, car viendra le moment où l'on en

10 aura bien besoin."

11 Question: Dites-moi, est-ce que, plus tard, Milorad Krnojelac vous a posé

12 la question au sujet de la troisième personne, à savoir au sujet de

13 Nedziba?

14 Réponse: Oui. Ce matin, lorsqu'il était venu dire au revoir à ces deux

15 femmes, il les a vues toutes les deux et la troisième également, Nedziba.

16 Et comme nous étions toutes les quatre à pleurer, et mon époux avec

17 encore que c'est un homme, lui aussi pleurait, il lui a posé la question

18 à elle aussi, ce qu'elle pensait enfin sur sa vie à elle. Elle a répondu

19 qu'elle voulait rester là. Mais il lui a dit sèchement -ce dont je suis

20 toujours redevable: "Si jamais tu as des problèmes, tu n'as qu'à me

21 contacter; on va essayer d'arranger quelque chose pour toi".

22 Question: Merci, Madame. Etant donné que vous connaissez Milorad Krnojelac

23 depuis 1974, dites-moi: est-ce que M. Milorad Krnojelac faisait preuve

24 d'aucun préjugé national quelconque? Etait-il nationaliste dans un sens

25 quelconque?

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1 Réponse: Non. C'est justement pour ces raisons-là que je me suis confiée à

2 lui. Parce que, quant à moi, j'avais d'autres amis aussi, des amis de

3 notre maison, de notre famille, que nous fréquentions tous les jours

4 presque, mais à qui je n'ai pas pu faire confiance peut-être et à qui je

5 ne pouvais pas me confier en cette matière. Milorad Krnojelac, quant à

6 lui, par aucun geste, n'a fait preuve de nationalisme. C'est quelqu'un qui

7 a fêté Noël catholique et orthodoxe à la fois; d'ailleurs sa femme est

8 croate de nationalité. Il a été aimé tant par des Musulmans que par des

9 Serbes et Monténégrins parce que, pour parler de notre collectif

10 d'enseignants, ainsi se présentait l'appartenance ethnique.

11 D'ailleurs, en témoigne le fait qu'il a été élu Président du Conseil

12 ouvrier, qu'il a été élu Président de l'assemblée des employés, c'est-à-

13 dire du collectif, enfin du collège d'enseignants.

14 M. Bakrac (interprétation): Merci, Madame, merci beaucoup de cette

15 déposition.

16 Monsieur le Président, le conseil de la défense n'a plus de question pour

17 ce témoin.

18 M. le Président (interprétation): Madame Kuo, contre-interrogatoire?

19 (Contre-interrogatoire du témoin, Mme Desanka Bogdanovic, par Mme Kuo.)

20 Mme Kuo (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

21 Bonjour Madame. Est-ce que vous m'entendez?

22 Mme Bogdanovic (interprétation): Oui, je vous entends et je vous souhaite

23 le bonjour.

24 Question: Madame, vous êtes de religion orthodoxe?

25 Réponse: Oui et Monténégrine de nationalité.

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1 Question: Vous avez mentionné vos amies Mervana, Hajrija et Sabanovic en

2 disant qu'elles étaient musulmanes. Pouvez-vous nous dire quels étaient

3 leurs âges, approximativement, à cette époque-là?

4 Réponse: Hajrija pouvait avoir vers les 70 ans, Mervana était ingénieur

5 chimiste. Je crois qu'elle est née en 1960/1962, quelque chose comme ça.

6 Je ne peux pas vous dire avec précision.

7 Question: Est-ce que vous savez si Mervana était mariée, et si oui, où se

8 trouvait son époux?

9 Réponse: Elle n'était pas mariée. Elle avait un frère à Sarajevo.

10 D'ailleurs ce sont deux jumeaux, elle et son frère.

11 Question: Et quant à l'autre amie et voisine, Nedziba, elle est musulmane,

12 n'est-ce pas?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Vous avez dit qu'au moment où le conflit armé éclata, vous

15 habitiez Donje Polje et que vos amies étaient fort inquiètes pour vous,

16 pour votre sort, votre mari, étant donné que vous étiez orthodoxes, n'est-

17 ce pas?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Mais vous avez refusé leur offre, à savoir de vous rendre chez

20 elles pour vivre avec parce que vous ne vous considériez pas comme

21 menacée?

22 Réponse: Non, non. Je me considérais parfaitement menacée, mais il y avait

23 dans le bâtiment que nous avons habité deux couples. Il y avait un Croate,

24 son épouse qui était serbe, et puis il y avait sa mère également et leur

25 fils. Nous n'avons pas voulu laisser tous ces gens-là, abandonner ces gens

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1 un peu âgés tout de même pour les laisser seuls. Voilà, c'était ça la

2 raison.

3 Question: Mais vous avez tout de même permis que vos amies musulmanes

4 viennent chez vous pour se faire protéger, n'est-ce pas?

5 Réponse: Oui, oui. Elles m'ont dit tout simplement: "Puisque tu ne veux

6 pas venir chez nous avec ton époux, voilà que nous allons te rejoindre,

7 nous venons chez vous". Et toutes les trois, elles sont venues chez nous.

8 Question: Et vous n'avez pas rejeté cette offre, c'est-à-dire vous ne leur

9 avait pas refusé la venue chez vous pour être avec vous?

10 Réponse: Non, non, non, juste le contraire, j'ai dit notamment qu'elles

11 pouvaient venir en toute liberté vivre avec nous.

12 Question: Vu de l'extérieur, il était clair que les gens qui habitaient ce

13 bâtiment étaient serbes orthodoxes et qu'il y avait une personne de

14 nationalité croate, n'est-ce pas?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Ce que je voulais dire est comme suit: lorsque vos amis

17 musulmans sont venus chez vous, ils n'ont pas déménagé, ils n'ont pas

18 changé de résidence officiellement, tout simplement ils vous ont rejoints

19 chez vous pendant quelques jours.

20 Réponse: Changé plutôt, ils ont changé parce que pendant tout ce temps-là,

21 pendant lequel temps ont duré les opérations de guerre dans la ville de

22 Foca, ils étaient avec nous.

23 Question: Et pendant combien de temps était-ce?

24 Réponse: Je ne peux plus me souvenir. Nous étions par exemple, pour ne

25 parler que de l'abri dans les caves, pendant 12 journées entières.

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1 Question: Avant qu'ils viennent chez vous, jamais aucun Musulman n'a fait

2 irruption dans votre appartement, n'est-ce pas?

3 Réponse: Non parce que... Ecoutez, je crois qu'immédiatement un jour après

4 l'éclatement des hostilités, elles sont venues m'appeler. Est-ce que

5 c'était en date du 4? Je ne sais plus.

6 Question: Par conséquent, il s'agissait de cette période où le danger

7 était dans l'air et lorsque les Musulmans évidemment, comme vous avez dit,

8 pénétraient dans des appartements d'autrui, elles ne sont pas venues chez

9 vous dans votre appartement, n'est-ce pas?

10 Réponse: Je ne sais pas pendant combien de temps toute cette situation

11 durait, mais étant donné qu'elles sont venues chez nous, étant donné que

12 les gens les avaient connus avant, cette dame Sabanovic Hajrija a envoyé

13 sa fille Mervana au quartier général des Musulmans qui se trouvait non

14 loin de là, dans le bâtiment de l'Elektrodistribucija, pour faire savoir

15 aux gens du quartier général qu'elles étaient chez nous, en précisant

16 qu'elles avaient décidé de venir dans une famille de braves gens et que

17 les Musulmans ne devaient absolument pas être inquiets, parce que cette

18 Hajrija notamment a été vraiment une personne fort respectée et chérie,

19 venant d'une vieille famille de Musulmans très en vue dans la ville. Cet

20 ainsi qu'elle leur a fait part de son inquiétude.

21 Question: Madame, la communication a été coupée un moment, je voudrais

22 vous donner lecture là où on s'est arrêtés et ce que nous avons en

23 traduction, lorsque vous avez dit qu'elle venait d'une vieille famille

24 musulmane fort respectée, qu'est-ce que vous avez dit plus tard? Nous ne

25 l'avons pas capté.

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1 Réponse: J'ai dit qu'elle a envoyé sa fille Mervana au quartier général du

2 parti SDA, parti musulman.

3 Question: Madame, jusqu'au 18 avril, Foca était entre les mains des

4 Serbes, n'est-ce pas, jusqu'à cette date-là?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Et dans votre déposition, préalablement, vous avez mentionné

7 cela comme étant une libération de Foca. C'étaient vos paroles, il me

8 semble.

9 Réponse: Oui, on le disait ainsi, et pour ainsi dire on devait, on était

10 obligé de le dire ainsi.

11 Question: La déposition que vous avez faite, vous, date de 1998. Je

12 voulais tout simplement vous entendre confirmer vous-même que vous aviez à

13 ce moment-là utilisé le terme de "libération" de la ville de Foca pour

14 expliquer ce qui s'était passé, en fait, pour décrire les événements.

15 Réponse: Au moment de ma déposition, à cette époque-là, j'étais gravement

16 malade; je le suis encore aujourd'hui. J'ai été vraiment malade,

17 contusionnée; une partie de mon corps était paralysée. Je crois qu'il m'a

18 été difficile de vraiment contrôler chaque parole que j'ai peut-être

19 proférée.

20 Question: Madame, vous avez dû voir ce qui s'était passé au moment où les

21 forces serbes ont pris le contrôle de la ville de Foca parce que, au

22 moment où les forces serbes ont pris la ville de Foca, vous avez considéré

23 cela comme une libération de la ville, alors que vous vous sentiez menacée

24 par les forces musulmanes?

25 Réponse: Non, non, non. Je ne le considérais pas ainsi et je ne ressentais

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1 pas, moi, moins de peur qu'avant.

2 Question: A ce moment-là donc, vos amis musulmans ont quitté votre

3 appartement et vous n'avez plus considéré comme nécessaire évidemment une

4 aide quelconque ou une protection quelconque de leur part, n'est-ce pas?

5 Réponse: Je n'ai pas considéré comme nécessaire une protection de leur

6 part, mais je ressentais pour autant toujours la même peur, une grande

7 peur. Parce que mon époux appartenait à un parti politique non

8 nationaliste, c'est-à-dire qu'il était adhérent au Mouvement pour la

9 Yougoslavie. C'est ainsi qu'on l'a toujours vu d'un autre œil qu'eux.

10 Question: Vous n'habitiez donc plus enfin les sous-sols, les caves du

11 bâtiment que vous habitiez?

12 Réponse: Non, nous n'étions plus dans les sous-sols, nous étions dans mon

13 appartement et les deux Sabanovic se sont retrouvées dans leur appartement

14 à elles. Et Sirbubalo Nedziba, elle aussi, elle était dans son

15 appartement.

16 Question: Depuis le 18 avril, lorsque les forces serbes ont pris le

17 pouvoir et imposé le contrôle de la ville, n'est-il pas vrai de dire que

18 les citoyens musulmans étaient devenus des personnes persécutées, qu'il y

19 avait des restrictions établies à leur encontre et qu'il y avait beaucoup

20 plus de restrictions à leur égard, comparaison faite avec les restrictions

21 à l'égard d'autres citoyens d'autres nationalités de Foca?

22 Réponse: Je ne suis pas vraiment tout à fait informée de cela. Pour ne

23 parler que de ces trois personnes qui étaient en toute liberté et qui

24 étaient là, à cultiver leur jardin, de même en est-il pour Sirbubalo

25 Nedziba: elle aussi, elle avait toute liberté de sortir en ville. Je n'ai

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1 pas pu évidemment réfléchir à d'autres personnes. Mes préoccupations

2 étaient également autres: on n'avait vraiment plus de quoi se nourrir. Et

3 je crois que c'est à cela que l'on devait penser, mais on ne pouvait pas

4 réfléchir à d'autres problèmes.

5 Question: Madame, dans la déposition faite au conseil de la défense, vous

6 avez dit que les Sabanovic ont décidé de quitter Foca "étant donné

7 certains événements qui se sont produits". Or, ces événements concernent

8 notamment la persécution des Musulmans; les Musulmans ont été considérés

9 comme des personnes indésirables dans Foca.

10 Réponse: Excusez-moi, je n'ai pas bien capté le début de votre question.

11 Question: Je vais répéter la question: dans la déposition faite au conseil

12 de la défense, à laquelle je me suis référée, la déposition datant de

13 1998, vous avez dit que "la famille Sabanovic avait décidé de quitter Foca

14 étant donné certains événements". Ce sont vos paroles à vous.

15 Alors je voudrais dire tout simplement que ces événements n'étaient autres

16 que la persécution des Musulmans, suite à quoi les Musulmans se sentaient

17 indésirables dans la ville de Foca?

18 Réponse: Non. Pour la plupart des cas, tous leurs voisins étaient déjà

19 partis. C'était la première raison, la raison numéro un. Et lorsque je

20 leur avais demandé si elles étaient harcelées par qui que ce soit, elles

21 ont dit que non. Mais plutôt elles espéraient voir les leurs sortir de

22 Sarajevo pour pouvoir rejoindre leur famille à Berane, parce qu'il y avait

23 leur bru avec un bébé nouveau-né de cinq mois. C'était cela leur

24 préoccupation, c'était l'objectif numéro un.

25 Question: Madame, vous avez dit avoir de la famille au Monténégro. Vous

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1 n'aviez pas besoin d'un permis pour aller les voir, n'est-ce pas?

2 Réponse: Non, je ne pouvais pas sortir sans permis. Et eux non plus ne

3 pouvaient pas venir me voir.

4 Question: Lorsque les Sabanovic se sont adressées à vous, c'était pour

5 vous demander de l'aide, n'est-ce pas?

6 Réponse: Elles se sont adressées à moi car elles me considéraient comme

7 étant une amie sincère, et je les considérais également sincères.

8 Question: Oui, mais elles se sont adressées à vous pour vous demander de

9 l'aide en tant qu'amies, n'est-ce pas?

10 Réponse: Etant donné qu'à l'époque il n'y avait absolument aucun moyen de

11 transport, les autobus ne fonctionnaient pas, les voitures ne pouvaient

12 pas se déplacer non plus, et étant donné que je ne pouvais absolument pas

13 engager qui que ce soit, ni demander à qui que ce soit, même si j'avais eu

14 ma propre voiture, il m'aurait été impossible de sortir ou de m'en servir

15 car je n'avais pas d'essence. Donc il y avait un problème, là également.

16 Question: Donc l'essence était une matière assez rare, n'est-ce pas, à

17 l'époque? Et seulement peu de personnes, un petit nombre de personnes

18 avait accès à l'essence, n'est-ce pas?

19 Réponse: Non, pas certaines personnes, mais les personnes qui s'étaient

20 approvisionnées de réserves d'essence en prévoyant le pire. Donc moi

21 aussi, j'avais, je m'étais procurée, j'avais mis un peu d'essence de côté

22 dans mon garage; malheureusement, mon garage est passé au feu.

23 Question: Donc vous nous dites que les gens qui savaient ou qui

24 prévoyaient qu'une guerre allait éclater avaient commencé à

25 s'approvisionner en matières.

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1 Réponse: Eh bien, concernant l'essence, même avant la guerre, il y en

2 avait de plus en plus rarement. En fait, il y en avait moins même avant la

3 guerre. Moi, si je m'étais attendue, si j'avais prévu ce qui allait se

4 passer, je ne serais pas restée à Foca; je serais probablement allée au

5 Monténégro chez ma parenté.

6 Question: Madame Bogdanovic, est-ce que vous êtes en train de nous dire

7 que les Sabanovic se sont adressées à vous et vous ont demandé votre aide

8 simplement parce qu'elles n'avaient pas de moyen de transport?

9 Réponse: Oui. Et elles avaient également éprouvé le désir de rencontrer

10 leur famille, d'être avec leur famille.

11 Question: N'est-il pas exact de dire qu'elles avaient besoin d'un permis

12 pour pouvoir quitter Foca et se rendre au Monténégro, comme vous nous avez

13 indiqué que vous-même en aviez besoin d'un?

14 Réponse: Nous avions tous besoin d'un laissez-passer. Elles pouvaient

15 sortir à bord d'autobus, à bord desquels les Musulmans sortaient de façon

16 volontaire ou bénévole, mais elles n'ont pas voulu monter à bord de ces

17 autobus. Elles ne voulaient pas faire partie de ces groupes-là, mais elles

18 voulaient simplement se rendre par elles-mêmes et voir leurs belles-sœurs.

19 Question: Mais n'est-il pas exact de dire qu'elles avaient besoin d'un

20 permis ou d'un laissez-passer pour pouvoir sortir?

21 Réponse: Non, ce n'est pas vrai. Nous pouvions tous obtenir un laissez-

22 passer, mais le problème était plutôt chez la police de Brod qui, même à

23 moi qui avais eu le droit d'obtenir un laissez-passer, ils ne m'auraient

24 pas donné un tel document car je ne pouvais pas sortir, ils ne voulaient

25 pas me laisser sortir.

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1 Question: Oui, mais les Sabanovic, il aurait fallu qu'elles se dirigent ou

2 qu'elles s'adressent aux autorités serbes de Foca pour pouvoir quitter la

3 ville, n'est-ce pas, et elles ne pouvaient pas le faire?

4 Réponse: Non, non. Elles auraient pu le faire et c'est justement ce

5 qu'elles ont fait. Mervana et moi-même, nous sommes allées, et elles ont

6 obtenu les laissez-passer. Par contre, ce document comportait le nom

7 précis de l'endroit où elles devaient aller, donc c'était pour se rendre à

8 la ville de Berane voir leur belle-fille.

9 Question: Donc ce n'était pas un secret, c'était un départ tout à fait

10 ouvert?

11 Réponse: Non, non. Il y avait quand même un besoin de garder tout cela de

12 façon assez secrète car moi-même j'avais obtenu… il nous aurait fallu

13 obtenir un permis car moi aussi je ne pouvais venir que jusqu'à Stjepan

14 Polje, donc ce permis ne m'aurait pas servi à grand-chose.

15 Question: Donc si les Sabanovic, si les autorités avaient donné aux

16 Sabanovic un laissez-passer pour quitter, ce n'était pas nécessaire de

17 cacher ce fait, de faire tout cela de façon secrète?

18 Réponse: Etant donné que les autorités civiles émettaient ces permis ou

19 ces laissez-passer et que c'étaient les soldats qui étaient à la tête de

20 ces autorités, c'étaient les autorités civiles qui émettaient les laissez-

21 passer, mais elles ne voulaient pas dire grand-chose pour les autorités

22 militaires, elles n'avaient aucune validité auprès des autorités

23 militaires. Parce qu'elles étaient mal coordonnées, les autorités civiles

24 et les autorités militaires.

25 Question: Est-ce que vous êtes en train de nous dire que les autorités

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1 civiles et les autorités militaires ne coopéraient pas ou ne travaillaient

2 pas ensemble, de concert?

3 Réponse: Je crois que non.

4 Question: Vous êtes en train de nous dire qu'un permis qui avait été émis

5 officiellement par la municipalité serbe de Foca n'aurait pas été respecté

6 par les autorités militaires de Foca, qui étaient également serbes et qui

7 avaient pris le pouvoir de Prijedor?

8 Réponse: Je ne peux pas l'affirmer, mais je peux simplement vous dire

9 d'après moi-même, que mon laissez-passer à moi ne pouvait pas, en fait,

10 n'était pas valide.

11 Question: Madame, en fait, le but de ce voyage n'était pas pour que vous

12 alliez visiter votre parenté, mais vous êtes allée pour les accompagner en

13 fait. Vous nous dites que les Sabanovic voulaient absolument quitter Foca,

14 et elles se sont adressées à vous pour vous demander de l'aide. N'est-ce

15 pas? Et cette information vous a bouleversée d'une certaine façon, vous a

16 contrariée. C'est ce que vous nous avez dit. Donc vous n'avez dit à

17 personne cela à l'exception de votre très bon ami, Milorad Krnojelac. Est-

18 ce que c'est exact? En fait, il ne s'agit pas de vous mais il s'agit de

19 leur sûreté, de ces autres personnes-là.

20 Réponse: J'avais essayé auparavant de me rendre au Monténégro pour essayer

21 de me procurer de la nourriture, mais mon laissez-passer n'était pas

22 valide, de sorte que je supposais que le laissez-passer de Mervana,

23 qu'elle avait obtenu des autorités serbes lorsqu'elle allait avec moi, ne

24 serait pas valide non plus. C'est la raison pour laquelle je craignais le

25 tout, et c'est la raison pour laquelle je ne pouvais pas, je n'osais pas

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1 m'adresser à personne, à l'exception de Milorad Krnojelac bien sûr.

2 Question: Lorsque les Sabanovic se sont adressées à vous pour vous

3 demander de l'aide et vous dire qu'elles voulaient quitter Foca, c'est une

4 information que vous estimiez importante de garder secrète. En fait, vous

5 n'avez pas divulgué cette information à personne, même pas à vos amis les

6 plus proches à l'exception de Milorad Krnojelac. C'étaient vos pensées,

7 c'est ce que vous croyiez à l'époque, n'est-ce pas?

8 Réponse: Oui, car non seulement je n'osais pas me confier à personne, mais

9 je n'ai pas également osé en parler à qui que ce soit simplement parce que

10 je sentais une certaine peur qui rôdait dans l'air, et je ne pourrais pas

11 vous dire pourquoi exactement, mais je sentais une certaine peur. Je ne

12 sais pas mais je sentais une peur. Je sentais la peur et il y avait

13 également cette maladie, car aujourd'hui, vous savez, je suis gravement

14 malade, c'est quelque chose qui a été diagnostiqué par les médecins

15 donc... Cette maladie était causée par le stress.

16 Question: Cette peur que vous êtes en train de nous décrire, c'était une

17 peur que vous aviez également concernant la sûreté des Sabanovic?

18 Réponse: J'avais peur pour elles mais j'avais peur pour moi aussi. J'avais

19 peur moi-même et lorsque je les ai même escortées au Monténégro, j'avais

20 peur. Maintenant, pour vous dire la raison pour laquelle exactement, je ne

21 sais pas. Mais la peur avait pénétré mon âme, la peur avait pénétré mon

22 corps au complet, s'était emparée de moi et je ne pouvais pas

23 simplement... Vous savez, je me sens comme une personne cosmopolite, je

24 suis une femme du monde et je suis tout à fait ... Je ne suis pas

25 préoccupée ni par la couleur de la peau d'une personne ni par son

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1 appartenance ethnique, je ne vois que l'homme dans l'être humain.

2 Question: Vous avez pleuré néanmoins lorsque vous avez quitté les

3 Sabanovic parce que vous croyiez que vous ne les reverriez plus jamais,

4 étant donné qu'elles n'avaient pas exprimé le désir de revenir à Foca?

5 Réponse: Nous n'avions pas parlé de cela. Nous n'avions pas discuté du

6 fait qu'elles avaient planifié de revenir ou non, mais simplement cette

7 séparation était difficile. Vraiment, pour vous dire, tout le monde

8 pleurait.

9 Question: Et en réalité, un peu plus tard, vous nous avez dit que Hajrija

10 était morte mais sa fille Mervana n'est plus jamais revenue à Foca, n'est-

11 ce pas?

12 Réponse: Non, je ne le sais pas car, même pendant la guerre, déjà en 1993,

13 j'avais été opérée à Belgrade, j'avais souffert d'un cancer. Par la suite,

14 j'ai été à Belgrade pendant un long moment. Par la suite, je suis allée à

15 Podgorica chez ma parenté. C'est là que j'ai subi la chimiothérapie, les

16 radiations et que j'ai reçu des cytostatiques également. Donc j'ai

17 vraiment été grièvement malade et je n'ai vraiment pas pu penser à autre

18 chose.

19 Question: Lorsque les Sabanovic ont quitté Foca, elles ont également

20 laissé derrière leur maison et presque tous leurs biens, n'est-ce pas?

21 Réponse: Elles ont emporté deux sacs, deux valises remplies de choses, de

22 choses dont elles avaient besoin immédiatement. Hajrija m'avait laissé la

23 clef et elle m'a dit de l'emmener avec moi. Car, vous savez, il y avait

24 une commission pour placer les réfugiés auprès de la municipalité et elle

25 a dit de remettre la clef à ces autorités parce qu'elles croyaient que,

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1 s'il y avait peut-être une femme ou des réfugiés serbes qui fuyaient

2 Podgorica, elles pourraient prendre les clefs et prendre possession de

3 leur maison ou entrer dans leur maison. Car à ce moment-là, tout serait

4 (inaudible)… que leurs biens leur soient donnés par Allah. C'était leur

5 expression à elles.

6 Question: Revenons maintenant en 1992, date à laquelle vous avez appris

7 que les Sabanovic voulaient quitter. Vous nous avez dit que vous

8 travailliez en tant que secrétaire de l'école. Il s'agissait de l'été, en

9 fait du mois de juin 1992.

10 Est-ce que c'est l'école... Vous avez dit que l'école, les classes se sont

11 terminées le 5 juin. A cette époque-là, en fait, les élèves n'allaient pas

12 à l'école, les écoles n'étaient plus ouvertes?

13 Réponse: Non, non. Les écoles étaient ouvertes, on travaillait moins

14 d'heures, mais outre les premiers jours où il y avait des combats, outre

15 ces jours-là, pour le reste du temps, les écoles fonctionnaient

16 normalement.

17 Question: Donc cela veut dire que les enseignants enseignaient? Ils

18 étaient là pour enseigner?

19 Réponse: C'était un personnel plutôt féminin qui avait reçu son obligation

20 de travail, car tous les hommes avaient reçu également leur obligation de

21 travail, soit pour se rendre à l'armée, d'autres pour aller -comme

22 Krnojelac- au KP Dom. Mais pour la majorité des personnes, c'étaient

23 vraiment des femmes, à part le directeur qui faisait fonction de

24 directeur; il était serbe et il était âgé de plus de 62 ans. C'était le

25 seul homme à l'école.

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1 Question: Donc, en d'autres mots, en fait, les classes avaient lieu: on

2 enseignait, les cours se donnaient: les cours d'histoire, de mathématiques

3 et ainsi de suite? On enseignait aux élèves?

4 Réponse: Oui, bien sûr que les cours avaient lieu. C'étaient des femmes

5 qui enseignaient pour la plupart, en fait, car le personnel n'était

6 constitué que de femmes. Et il y avait certaines enseignantes qui devaient

7 même enseigner jusqu'à trois matières. Donc c'était très bien organisé:

8 des cours étaient donnés le matin et d'autres cours étaient donnés dans

9 l'après-midi. Il y avait deux équipes de relève.

10 Question: Milorad Krnojelac savait très bien que les écoles

11 fonctionnaient, qu'elles travaillaient, qu'elles étaient opérationnelles.

12 Vous nous avez dit qu'il vous avait également visitée, vous avait rendu

13 visite parce qu'il était nostalgique?

14 Réponse: Oui. Et c'est à ce moment-là que l'école... Vous savez, j'étais,

15 selon mon obligation de travail, la secrétaire de cette école et le

16 directeur faisait le rôle de directeur. Alors que nous, les enseignantes,

17 nous étions obligés de venir tous les jours à l'école. Les enseignantes

18 devaient, se devaient d'aller travailler. Elles n'avaient pas le droit de

19 ne pas se présenter à l'école. Alors elles venaient toutes enseigner.

20 Question: Et lorsque vous dites que vous avez poursuivi votre travail

21 après que l'école avait été fermée pour l'été, vous avez continué à

22 travailler même après le 15 juin; et ce, au cours de l'été?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Pourriez-vous nous dire quelles étaient les heures d'ouverture

25 de l'école à l'époque?

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1 Réponse: Je crois que c'était de 7 heures 30; ensuite, cela dépendait des

2 cours. Les cours étaient plutôt…, la durée des cours été raccourcie: donc

3 les cours ne duraient pas 45 minutes mais 35 minutes; les classes étaient

4 plus courtes et cela dépendait également des cours. Donc la première

5 relève, la session du matin durait jusqu'au déjeuner et, par la suite, la

6 session de l'après-midi commençait à 12 heures 30.

7 Question: Y avait-il toujours quelqu'un à l'école?

8 Réponse: Oui, il y avait toujours deux femmes qui étaient de garde. Par

9 exemple, elles pouvaient travailler je ne me souviens pas de l'heure

10 exacte, mais par exemple, elles pouvaient être là de 7 heures jusqu'à la

11 moitié de la nuit. Par la suite, deux autres femmes venaient les relever

12 vers la moitié de la nuit et elles travaillaient jusqu'à une certaine

13 heure le matin.

14 Question: A quel moment est-ce que Milorad Krnojelac venait visiter

15 l'école?

16 Réponse: Eh bien, quand il était libre. Pour la plupart du temps, il

17 pouvait venir vers 11 heures, midi, vers cette heure-là, car il voyageait

18 énormément: il allait se procurer de la nourriture, se procurer de la

19 nourriture pour le KP Dom, pour la ferme dans laquelle il y avait des

20 vaches, des poules. Donc lorsqu'il venait me voir, nous nous entretenions

21 et nous parlions de cela, précisément de cela.

22 Je me souviens qu'une fois, en blaguant comme ça, je lui ai posé la

23 question: "Mon Dieu, Milorad! Je crois que tu es devenu fermier!", et il

24 m'a dit: "Mais oui, justement c'est cela", car il n'y avait pas de

25 nourriture. La population n'avait rien à manger. Nous recevions de la

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1 farine et nous faisions du pain avec cette farine, mais cette farine

2 n'était pas bonne, cette farine sentait mauvais.

3 Question: Madame, Madame, essayez de répondre aux questions.

4 Vous savez que Milorad Krnojelac ne venait pas à l'école de façon

5 officielle, n'est-ce pas?

6 Réponse: Il n'avait aucune raison officielle pour venir à l'école, mais il

7 regrettait énormément d'avoir quitté l'école, il trouvait cela très

8 dommage tout ce qui était arrivé, il était très triste.

9 Mme Kuo (interprétation): Donc ce que vous nous dites maintenant, c'est

10 que pendant vos heures de travail, pendant les heures pendant lesquelles

11 il était, il aurait dû en fait être au KP Dom pour travailler. Donc au

12 lieu de travailler là où il devait travailler, il visitait l'école pour

13 des raisons purement personnelles car il éprouvait un sentiment de

14 nostalgie. C'est ce que vous nous dites?

15 Mme Bogdanovic (interprétation): Non. Il effectuait des tâches pour

16 lesquelles il avait été attitré, donc plutôt pour aller se procurer des

17 aliments, et donc il devait se procurer de la nourriture pour le KP Dom.

18 Et lorsqu'il se rendait à la société Perucica, c'est à ce moment-là qu'il

19 venait nous rendre visite.

20 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, je voulais réagir. Je

21 me suis levé. Le témoin a essayé d'expliquer et mon éminente collègue a

22 essayé de l'interrompre en plein milieu de son explication. Elle voulait

23 répondre à la question et nous dire les raisons pour lesquelles il venait

24 et comment il se fait qu'il venait. Cela a été dit juste à la fin, mais je

25 me suis levé avant la fin de la réponse car ma collègue avait l'intention

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1 d'interrompre le témoin.

2 M. le Président (interprétation): Maître Bakrac, le témoin ne devrait pas

3 répondre plus longuement, elle devrait s'en tenir aux questions. C'est un

4 problème que nous avons. Les témoins désirent nous dire des choses qui ne

5 sont pas pertinentes ou ne s'en tiennent pas à nos questions, et le

6 Procureur a le droit de les interrompre et de leur dire: vous devez

7 répondre à ma question. C'est ce que Mme Kuo a fait. Je n'ai pas cru

8 qu'elle interrompait la réponse du témoin. Elle a interrompu le témoin

9 concernant la raison... En fait, lors de la réponse précédente, d'après ce

10 que j'ai compris, le témoin avait terminé de répondre à la question

11 précédente et était en train de répondre à la deuxième question.

12 Donc je crois que vous devriez permettre au Procureur de couper le témoin

13 si celui-ci ne répond pas à sa question. Si vous voyez que le Procureur

14 est en train de couper le témoin lorsque le témoin donne la réponse, eh

15 bien, vous avez le droit à ce moment-là de vous objecter.

16 Mme Kuo (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

17 Dites-nous, Madame, Milorad Krnojelac n'était pas à l'école pour acheter

18 de la nourriture?

19 Mme Bogdanovic (interprétation): Non, il ne venait pas à l'école pour

20 acheter de la nourriture mais, en face de l'école, à environ 50 mètres de

21 là, il y avait une société dans laquelle il y avait un magasin principal

22 qui vendait des denrées alimentaires.

23 Question: Mais il n'allait pas à l'école pour livrer non plus des denrées

24 alimentaires?

25 Réponse: Non, il n'allait pas livrer de denrées alimentaires pour l'école

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1 car il ne se procurait pas cette nourriture pour l'école mais bien pour le

2 KP Dom.

3 Question: Donc je vous pose la question suivante: bien que sa seule raison

4 de s'arrêter de venir vous voir à l'école, c'est simplement pour une

5 raison tout à fait purement sociale, c'est pour vous saluer, c'est tout,

6 avant de poursuivre son chemin. Est-ce que c'est exact?

7 Réponse: Il venait se procurer de la nourriture et pendant qu'on chargeait

8 cette nourriture à bord du camion qui devait transporter cette

9 marchandise, cette nourriture, Milorad prenait quelques minutes pour venir

10 me voir. Ce n'étaient pas des visites très longues. Je crois qu'il y avait

11 toujours un chauffeur qui l'attendait et dès que le tout avait été chargé,

12 il quittait l'école et s'en allait.

13 Mme Kuo (interprétation): Monsieur le Président, il est 11 heures.

14 M. le Président (interprétation): Merci. Nous allons lever la séance

15 jusqu'à 11 heures 30.

16 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 34.)

17 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir. Madame Kuo?

18 Mme Kuo (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

19 Madame Bogdanovic, avant la pause, vous étiez en train de décrire des

20 visites brèves que M. Krnojelac a effectuées à l'école, pendant la

21 journée, de temps en temps. Donc l'école s'est terminée le 15 juin...

22 M'entendez-vous, Madame?

23 Mme Bogdanovic (interprétation): Je ne vous entends que maintenant,

24 Madame.

25 M. le Président (interprétation): Je dois dire que la qualité du son qui

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1 vient par le lien vidéo est vraiment mauvaise; ce n'est pas étonnant

2 qu'elle ait du mal et qu'elle éprouve les mêmes difficultés que les

3 interprètes éprouvent pour entendre ce qui se passe.

4 Nous devons donc nous accommoder de ce problème, j'en ai bien peur.

5 Mme Kuo (interprétation): Madame Bogdanovic, avant la pause, vous étiez en

6 train de décrire ces brèves visites de Milorad Krnojelac à l'école. Je

7 voudrais vous demander si le fait que l'année scolaire s'est terminée le

8 15 juin 1992, eh bien, si ce fait a influencé, de quelque façon que ce

9 soit, la fréquence de ses visites? Ou bien a-t-il continué à vous rendre

10 visite à l'école?

11 Mme Bogdanovic (interprétation): Il a continué à venir après cette date et

12 ce qui s'est passé concernant les Sabanovic, eh bien, ceci s'est passé

13 après cette date, après le 15 juin.

14 Question: Donc, entre le 15 juin et à peu près le 1er juillet, il n'y a

15 pratiquement pas eu de période où Milorad Krnojelac ne soit pas venu à

16 l'école? Je veux dire qu'à aucun moment, pendant cette période, il n'était

17 absent?

18 Réponse: Je n'ai pas compris votre question.

19 Question: A quelle fréquence venait-il à l'école, à peu près?

20 Réponse: Quand il avait du temps libre, parce qu'il s'occupait surtout de

21 l'approvisionnement en vivres.

22 Question: Etait-ce, par exemple, tous les deux ou trois jours?

23 Réponse: Je ne me souviens pas. Toujours est-il qu'il venait quand il

24 avait le temps de venir parce que, souvent, il se rendait au Monténégro ou

25 en Serbie pour trouver des vivres.

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1 Question: Vous nous avez dit que les Sabanovic ont quitté la ville de Foca

2 soit le 1er juillet soit le 31 juin. Mais le mois de juin n'a que trente

3 jours: donc je me dis que vous pensiez probablement au 30 juin ou bien au

4 1er juillet, n'est-ce pas, Madame?

5 Réponse: Oui, il s'agissait d'un lapsus. Oui.

6 Question: A peu près deux jours avant leur départ, vous avez parlé avec

7 Milorad Krnojelac et vous lui avez dit, enfin, vous lui avez fait part de

8 ce désir qu'éprouvaient les Sabanovic de quitter la ville?

9 Réponse: Oui. Mais avant, peut-être quelques jours avant, Milorad

10 Krnojelac m'avait déjà promis qu'il allait essayer de voir s'il pouvait

11 faire quoi que ce soit.

12 Question: Donc vous avez parlé de cela avec lui-même quelques jours avant

13 le 28 juin?

14 Réponse: Eh bien, oui. J'ai déjà dit cela!

15 Question: Très bien. Je voulais juste être sûre en ce qui concerne les

16 dates.

17 Donc, à l'époque où vous avez parlé de ce désir des Sabanovic de quitter

18 la ville, il ne vous a pas fait part de problèmes personnels qu'il avait à

19 ce sujet? Ou bien il ne vous a pas parlé de soucis personnels ou familiaux

20 qu'il avait à l'époque? Sa réaction immédiate a été d'aider les Sabanovic,

21 n'est-ce pas?

22 Réponse: Il a voulu aider les Sabanovic et il a voulu m'aider moi, puisque

23 nous étions amis. Et moi, je me suis confiée à lui parce que je savais que

24 c'était un humaniste, que ce n'était pas un nationaliste, que c'était un

25 homme formidable, un homme honnête.

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1 Question: Monsieur Krnojelac ne vous a jamais dit: "Je ne pense pas que je

2 peux vraiment t'aider parce que je crains ce qui peut m'arriver à moi",

3 n'est-ce pas?

4 Réponse: Il m'a dit qu'il allait essayer de faire cela, parce que je suis

5 sûre que le commandement militaire l'observait, lui.

6 Question: Monsieur Krnojelac ne vous a jamais dit que ceci ne relevait pas

7 de ses pouvoirs et qu'il ne pouvait pas vous aider?

8 Réponse: Non, il ne m'a pas dit cela. Il m'a dit qu'il allait essayer de

9 voir ce qu'il pouvait faire.

10 Question: Et il ne vous a jamais dit non plus qu'il y avait très peu de

11 pétrole et qu'il n'avait pas de voiture, et que donc il ne pouvait pas

12 vous aider? Il ne vous a jamais dit cela?

13 Réponse: Nous n'avons pas parlé de cela.

14 Question: Il ne vous a jamais dit que les autorités militaires

15 l'observaient et qu'à cause de cela, il ne pouvait pas vous aider?

16 Réponse: Moi, je suis arrivée à la conclusion, quand il m'a dit qu'il

17 avait trouvé un homme de confiance et qu'il ne fallait pas que j'en parle

18 à qui que ce soit, eh bien, c'est en me basant sur cela que j'en suis

19 arrivée à la conclusion qu'on l'observait.

20 Mme Kuo (interprétation): Et qu'est-ce qu'il a dit? Qui l'observait?

21 M. Bakrac (interprétation): Objection, Monsieur le Président! Le témoin

22 n'a pas dit cela. Le témoin n'a pas dit que c'est Krnojelac qui l'a dit.

23 Elle vient de dire que c'était elle-même qui était arrivée à cette

24 conclusion.

25 Mme Bogdanovic (interprétation): Oui.

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1 M. Bakrac (interprétation): Ensuite, Mme Kuo lui pose la question "qui lui

2 a dit cela?", alors que le témoin a bien dit qu'elle était arrivée à cette

3 conclusion par elle-même, par ses propres moyens. Nous n'avons pas réagi à

4 plusieurs reprises, Monsieur le Président, alors que le Procureur a de

5 nouveau posé des questions auxquelles le témoin avait déjà répondu.

6 M. le Président (interprétation): Maître Bakrac, nous nous efforçons de

7 faire ce procès de la façon la plus équitable possible et nous appliquons

8 les mêmes règles à la fois au Bureau du Procureur et à la défense, et je

9 pense qu'il n'est pas juste de votre part de continuer à insinuer que nos

10 décisions sont favorables plutôt au Procureur qu'à vous. Ce n'est pas la

11 peine de parler, ce que vous avez fait, ce que le Procureur a fait avant.

12 Nous allons nous occuper de ces objections que vous venez de soulever. Le

13 témoin, en effet, n'a jamais dit qu'il lui a dit cela. Elle a bien dit

14 qu'il s'agissait de sa conclusion, la conclusion à laquelle elle était

15 arrivée par elle-même.

16 Donc en effet, vous avez raison, la question n'était pas bonne, mais je

17 vous prie de ne pas répéter sans arrêt qu'il y a un problème d'équité en

18 ce qui concerne le traitement de la Chambre à l'égard des deux parties.

19 M. Bakrac (interprétation): Ecoutez, Monsieur le Président, je suis

20 désolé, je n'ai nullement eu cette intention de vous dire que la Chambre

21 ne traitait pas les deux parties de la même façon. Peut-être qu'il s'agit

22 d'une erreur d'interprétation, mais vraiment je n'ai à aucun moment

23 souhaité dire cela. J'ai juste dit que le Procureur pose souvent ce genre

24 de question, et je me suis dit que ceci était un exemple qui illustrait

25 bien cette fâcheuse habitude.

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1 Quand par exemple on donne une réponse, le témoin donne une réponse, le

2 Procureur tout de même repose la question portant sur cette réponse du

3 témoin. Je m'excuse de ce problème.

4 M. le Président (interprétation): Je ne veux pas maintenant rentrer dans

5 l'analyse de ce qui a été dit avant, etc., mais en tout cas, hier et

6 aujourd'hui, il y a eu un certain nombre de questions qui ont été posées

7 d'une façon qui n'est pas parfaitement acceptable. Mais je pense que le

8 Procureur n'est pas le seul qui l'ait fait. Je pense que tout le monde le

9 fait de temps en temps.

10 Mme Kuo (interprétation): Monsieur le Président, nous allons retirer cette

11 question. Je pense qu'en effet cette question n'était pas très claire. Je

12 pense que Me Bakrac avait raison. Mais nous allons obtenir une réponse

13 plus claire.

14 Madame Bogdanovic, je voudrais clarifier ce problème. Vous nous avez dit

15 ce que Milorad Krnojelac vous a dit et ensuite, je vais vous demander de

16 nous dire quelles sont vos conclusions concernant ce qu'il vous a dit.

17 Donc dites-nous d'abord ce qu'il vous a dit.

18 Mme Bogdanovic (interprétation): Mais par rapport à quoi? Qu'est-ce qu'il

19 m'a dit par rapport à quoi? Je ne comprends pas.

20 Question: Je vais reposer la question, excusez-moi. Vous nous avez dit que

21 vous êtes arrivée à la conclusion que l'on observait, que les militaires

22 observaient Milorad Krnojelac, n'est-ce pas?

23 Réponse: Oui. Oui, moi je suis arrivée à cette conclusion personnellement.

24 Question: Et vous vous êtes basée sur quoi pour arriver à une telle

25 conclusion?

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1 Réponse: Parce qu'il m'a dit ce qu'il allait faire pour aider ces femmes,

2 eh bien, qu'il ne fallait que je n'en parle à qui que ce soit à ce sujet.

3 Question: Mais pourquoi êtes-vous arrivée à la conclusion que l'on

4 observait lui précisément et pas quelqu'un d'autre par exemple?

5 Réponse: Parce que si ce n'était pas le cas, j'aurais pu librement dire à

6 qui je voulais que c'était Milorad Krnojelac qui m'avait aidée à faire

7 sortir ces deux femmes, alors que je n'osais même pas le confier à mes

8 meilleures amies.

9 Question: Mais pourquoi pensiez-vous que c'était précisément les

10 militaires qui l'observaient et pas quelqu'un d'autre?

11 Réponse: J'en suis arrivée à une telle conclusion parce qu'il traitait de

12 questions civiles, il s'occupait de la nourriture, il fallait trouver la

13 nourriture, il s'occupait de la ferme, du bétail, trouver donc les

14 produits pour nourrir le bétail, les gens, les hommes, etc. Donc je savais

15 qu'il ne s'occupait que des affaires économiques. C'est ce que je lui ai

16 dit une fois: "Ecoute, tu n'es qu'un simple commercial, c'est tout".

17 Question: Madame Bogdanovic, est-ce que vous avez eu l'impression qu'il ne

18 voulait pas que l'on sache ce qu'il était en train de faire justement

19 parce qu'il a utilisé une voiture appartenant au KP Dom, du pétrole

20 appartenant au KP Dom et du personnel du KP Dom pour faire quelque chose

21 qui n'avait rien à voir avec les affaires du KP Dom? Est-ce que ceci

22 aurait pu, par exemple, être la raison pour laquelle il ne voulait pas que

23 vous en parliez?

24 Réponse: Ce véhicule n'appartenait pas du tout au KP Dom. Ce véhicule

25 appartenait à cet homme qui est venu nous chercher. C'était un véhicule

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1 privé qui était la propriété de cet homme qui nous a fait sortir.

2 Question: Et cet homme qui est venu vous chercher, c'était un gardien ou

3 un policier du KP Dom, Zoran Mijovic, n'est-ce pas?

4 Réponse: Pour être franche, je ne connaissais même pas son nom, c'était la

5 première fois que je le voyais et je pense que je ne l'ai plus jamais

6 revu. Tout ce que je savais, c'est qu'il était employé au KP Dom et que,

7 souvent, il partait vers Stjepan Polje, c'est-à-dire vers le Monténégro.

8 Question: Donc le chauffeur connaissait très bien cette route qui reliait

9 Foca à Stjepan Polje, n'est-ce pas?

10 Réponse: Mais oui, c'est bien pour cela que Milorad lui a demandé de le

11 faire, pour que l'on ne soit pas arrêté par la police militaire. Je ne

12 sais pas d'ailleurs si c'était la police militaire ou bien si c'était

13 l'armée. Ecoutez, je ne sais même pas qui c'était mais, en tout cas, pour

14 qu'on ne soit pas arrêté. Et on ne l'a pas arrêté lui parce que, lui, il y

15 allait souvent. Il y allait souvent pour son travail et tout ce qu'il

16 faisait, c'était de faire un signe de la main en passant pour les saluer,

17 c'est tout. C'est comme cela que nous sommes passés nous aussi.

18 Question: Donc, autrement dit, le fait que vous soyez dans le véhicule,

19 présente dans le véhicule, ceci n'a pas influé sur le passage vers Stjepan

20 Polje, c'est-à-dire que le chauffeur n'avait pas de problème puisqu'il

21 connaissait cette route, n'est-ce pas?

22 Réponse: Oui, grâce à lui, nous avons réussi à passer, à faire la route

23 sans être contrôlés du tout.

24 Question: Et donc vous nous dites que ce véhicule était la propriété du

25 chauffeur. Quel était ce véhicule, quelle était sa marque?

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1 Réponse: Eh bien, c'était une voiture blanche, mais je ne connais pas sa

2 marque. Assez ancienne, une voiture assez vieille. Mais à l'époque, vous

3 savez, mon état psychique ne me permettait pas de réfléchir au sujet du

4 véhicule. Tout ce que je savais, c'était que ce véhicule lui appartenait.

5 C'est ce qu'il m'a dit; il m'a dit cela au cours du voyage.

6 Question: Nous allons revenir à cette époque où vous avez parlé à M.

7 Krnojelac, où vous lui avez dit qu'il fallait faire sortir les Sabanovic

8 de Foca. Jusqu'au moment où vous lui avez dit cela, vous n'aviez osé dire

9 cela à qui que ce soit d'autre, n'est-ce pas? Vous n'avez pas confié cette

10 demande à qui que ce soit: vous pensiez que cette demande que vous ont

11 faite les Sabanovic était une demande secrète?

12 Réponse: Non, non. Ce n'est pas eux qui ont fait cette demande. Moi,

13 j'avais peur, mais c'est tout.

14 Question: Après avoir parlé avec Milorad Krnojelac, le lendemain, vous lui

15 avez dit que les Sabanovic souhaitaient quitter Foca immédiatement, n'est-

16 ce pas?

17 Réponse: Quand il m'a dit qu'il allait faire quelque chose et qu'il était

18 en train de faire quelque chose, et quand j'en ai parlé aux Sabanovic,

19 elles étaient vraiment heureuses, elles étaient reconnaissantes. Elles

20 m'ont dit qu'elles souhaitaient partir immédiatement, le lendemain si

21 possible. Et moi, je leur ai demandé si elles avaient été dérangées par

22 qui que ce soit au cours de la nuit ou la nuit précédente, si c'était pour

23 cela qu'elles souhaitaient partir aussi vite; elles m'ont répondu que non,

24 que ce n'était pas le cas.

25 Question: Et ensuite, vous avez parlé à Milorad Krnojelac et vous lui avez

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1 dit que les Sabanovic souhaitaient partir le lendemain. Donc vous avez

2 fait part de cela à M. Krnojelac, n'est-ce pas?

3 Réponse: Oui, oui. Oui, je lui ai fait part de cela et il m'a répondu

4 qu'il allait me dire si cela pouvait se faire dès le lendemain. Et il m'a

5 dit ensuite que cela devait se faire avant 7 heures du matin.

6 Question: Donc, le lendemain, à l'heure décidée par M. Krnojelac, à 7

7 heures du matin, vous vous êtes tous rassemblés pour faire ce voyage?

8 Réponse: Non, nous nous sommes rassemblés avant 7 heures du matin: nous

9 sommes partis avant 7 heures du matin.

10 Question: Si j'ai bien compris, la première fois où vous avez parlé avec

11 M. Krnojelac, c'est quand il est venu à l'école. Mais quand vous l'avez

12 recontacté pour lui dire que ces dames voulaient partir dès le lendemain,

13 et quand il vous a recontactée pour vous dire qu'il avait tout arrangé

14 pour partir tôt le lendemain matin, de quelle façon communiquiez-vous? De

15 quelle façon vous êtes-vous mis d'accord sur tout cela: à nouveau, par le

16 biais de cette personne travaillant à l'école?

17 Réponse: Non. Non, nous nous sommes parlé au téléphone. Mais nous ne

18 donnions pas de noms, nous n'avons pas prononcé de noms. On s'est dit:

19 "Ah! la chose est réglée. Demain, entre 6 heures et demie et 7 heures,

20 nous viendrons. Il viendra, cet homme."

21 D'ailleurs, moi, je ne m'attendais pas à ce que Milorad Krnojelac

22 accompagne le chauffeur.

23 Question: A l'époque, aviez-vous déjà prévu de vous rendre au Monténégro?

24 Ou bien est-ce que vous avez décidé cela à l'improviste avec le chauffeur?

25 Réponse: Non, je l'ai décidé avec ces deux femmes.

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1 Question: Donc le chauffeur ne vous a jamais demandé d'y aller avec lui?

2 Réponse: Mais je ne le connaissais même pas! C'était la première fois, ce

3 matin-là, que je le voyais.

4 Question: Mais la question que je vous ai posée était: est-ce que le

5 chauffeur vous a demandé, ce matin-là, si vous vous vouliez partir avec

6 lui? Parce que vous aviez déjà décidé de partir, n'est-ce pas?

7 Réponse: Oui. J'avais déjà pris ma décision. Mais enfin, il m'a posé la

8 question puisqu'il ne savait pas quelle était ma décision. Donc il m'a

9 demandé si elles partaient toutes seules; moi, j'ai dit: "Non, non, je

10 vais avec elles".

11 Question: Mais pour être vraiment clair, il ne vous a pas demandé de venir

12 avec lui pour l'aider, etc.?

13 Réponse: Non. Non, il m'a demandé... C'est-à-dire que moi, j'ai ouvert la

14 porte avant pour entrer dans le véhicule et il m'a demandé: "Est-ce que tu

15 viens aussi?", et moi, j'ai répondu que oui.

16 Question: Et quelle était la taille de cette voiture? Etait-ce une petite

17 voiture, une grande voiture?

18 Réponse: C'était une petite voiture Zastava, quelque chose comme Zastava,

19 une voiture toute simple. A l'arrière, deux personnes pouvaient s'asseoir

20 et devant deux personnes aussi. Moi, j'étais assise à côté du chauffeur.

21 Question: Mais il y avait aussi de la place pour les deux sacs de chacune

22 des Sabanovic, n'est-ce pas?

23 Réponse: Oui, elles étaient accroupies jusqu'au moment où nous passions

24 par le point de contrôle de Brod. Ensuite, nous avons mis finalement le

25 sac sur le siège arrière; ensuite, elles se sont assises.

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1 Question: Donc, en fait, vous les cachiez sous les sacs jusqu'au moment où

2 vous êtes sortis de Foca?

3 Réponse: Oui, à peu près.

4 Question: Vous avez dit aussi que votre époux était présent et qu'il était

5 membre d'un parti qui n'était pas un parti nationaliste et, qu'à cause de

6 cela, on le regardait différemment. Est-ce que vous pourriez nous

7 expliquer cela?

8 Réponse: Eh bien, il était dans ce mouvement pour la Yougoslavie, les gens

9 appartenant à toute nationalité faisaient partie de ce parti des Serbes,

10 des Croates, des Musulmans, etc., mais comme à l'époque déjà étaient en

11 train d'être créés ces partis nationalistes aussi bien musulmans que

12 serbes, etc., eh bien, il ne trouvait pas cela bien. Cela le gênait.

13 Question: Mais moi, ce qui m'intéresse, c'est cette deuxième partie de

14 votre description. Vous avez dit qu'on les considérait comme étant

15 différents. Mais qui les considérait comme étant différents?

16 Réponse: Eh bien, le commandement militaire en général. Par exemple, il a

17 eu son obligation de travail à la banque et il montait la garde une nuit

18 sur deux tout seul, il n'y avait pas d'électricité, pas de chauffage.

19 Question: Donc vous dites que le fait que votre mari n'était pas

20 nationaliste extrême, eh bien, cela faisait de lui une personne suspecte

21 de la part des autorités militaires?

22 Réponse: Oui, à peu près. Evidemment, je ne peux pas l'affirmer mais il

23 était considéré comme différent tout de même.

24 Question: Au cours de votre déposition faite préalablement, vous avez dit

25 que Milorad Krnojelac vous avait déjà connue.

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1 Réponse: Excusez-moi, je n'ai pas capté votre question.

2 Question: Je suis intéressée à quelque chose que vous avez dit dans votre

3 déposition préalable, j'essaie de citer et pour tirer au clair, pour ne

4 pas qu'il y ait malentendu. Vous avez fait mention d'un appel téléphonique

5 fait par Milorad Krnojelac à partir du KP Dom avant de partir ce matin-là,

6 en précisant qu'il vous a appelée depuis le KP Dom. Ce matin, a-t-il

7 téléphoné à 6 heures 30 depuis le KP Dom?

8 Réponse: Pour dire vrai, sincèrement je ne sais pas. Peut-être qu'il m'a

9 téléphoné de chez lui, mais je n'ai jamais vraiment réfléchi à cela.

10 Question: Mais vous nous avez dit au cours de votre déposition, ce matin,

11 qu'il a appelé depuis le KP Dom. Pourquoi l'avez-vous dit? Parce qu'il

12 devait être au KP Dom au moment où il vous a téléphoné, n'est-ce pas?

13 Réponse: Je ne sais pas où il était ce matin-là, mais j'ai dit qu'il m'a

14 appelée depuis le KP Dom au moment où il a fallu me dire que l'affaire a

15 été arrangée. C'est ce qu'il a dit. Et cette chose aura lieu à telle et

16 telle date, à telle et telle heure. C'est à ce moment-là qu'il a téléphoné

17 depuis le KP Dom. Mais pour dire à quel moment ce matin-là depuis où il a

18 pu téléphoné et d'où il a pu téléphoner, je ne peux pas le savoir,

19 franchement. Je ne lui ai pas demandé.

20 Question: Bon. La route, votre voyage en route de Foca à Stjepan Polje ne

21 s'est pas passé avec des problèmes, il s'est plutôt passé sans encombre.

22 Vous êtes passée par les contrôles.

23 Réponse: Personnellement, j'ai surtout eu peur du point de contrôle de

24 Brod. Nous les avons en quelque sorte fait asseoir derrière et, une fois

25 passé le point de contrôle, on a mis leur sac évidemment dans les coffres

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1 et on a continué normalement le voyage vers le Monténégro.

2 Question: Mais vous êtes arrivée à Stjepan Polje ce même matin avant 9

3 heures 30, n'est-ce pas?

4 Réponse: Oui, parce que j'ai voulu partir pour Podgorica avec un bus

5 monténégrin qui partait à 10 heures. Or, nous sommes venus un peu plus

6 avant cette heure-là, on a pris un rafraîchissement, etc.

7 Question: La famille Sabanovic et vous-même, vous n'avez pas eu de

8 problème pour passer la frontière, vous n'avez pas été obligés de demander

9 un permis quelconque ou de faire quoi que ce soit auprès de la police,

10 n'est-ce pas? Et le chauffeur n'a pas été obligé de faire quoi que ce soit

11 pour vous aider à passer la frontière?

12 Réponse: Non, justement c'est pour cette raison-là que je suis partie

13 avec, parce que je suis Monténégrine et pour pas qu'elles aient des

14 problèmes pour passer la frontière.

15 Question: Par conséquent, le chauffeur n'a pas été obligé d'aller à pied

16 sur le pont, de traverser le pont pour le demander aux officiers

17 notamment, à savoir demander la permission qu'ils se rendent en sécurité.

18 Réponse: Je ne sais pas. Je sais qu'il s'est arrêté à l'entrée du pont.

19 C'est juste le passage frontière qui fait la limite du Monténégro et de la

20 Bosnie-Herzégovine et étant donné qu'il y avait Hajrija qui avait du mal à

21 marcher, évidemment, nous, on est restés là. Et je sais que je l'ai vu

22 seulement quand il était de retour. Il avait une boîte de gâteaux secs je

23 crois, quelque chose qu'il a pu acheter en route entre-temps. Mais est-ce

24 qu'il a parlé aux policiers et pour dire ce qu'il leur a dit, lui, ça je

25 n'en sais rien.

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1 Question: Le chauffeur est parti avant ce bus de 10 heures, ou est-ce

2 qu'il a attendu un moment avant que vous montiez à bord de ce bus ou quoi?

3 Réponse: Non, non, non, parce qu'il avait déjà repris le chemin du retour

4 à Foca. Nous étions seuls à monter dans le car.

5 Question: Vous ne l'avez pas vu par exemple aller prendre un verre avec

6 les policiers? Tout simplement il a repris sa voiture et il a fait son

7 retour à Foca?

8 Réponse: A ce moment-là, quand il a laissé la voiture à cet endroit, nous

9 avons dû faire un demi kilomètre à pied pour aller à Stjepan Polje où se

10 trouvait notamment le point de contrôle de la police monténégrine.

11 Question: Vous êtes allée voir vos parents au Monténégro. Pendant combien

12 de temps êtes-vous restée chez eux au Monténégro?

13 Réponse: Le lendemain matin, j'étais déjà de retour.

14 Question: Et lorsque vous êtes retournée à Foca, vous étiez seule, n'est-

15 ce pas?

16 Réponse: Je suis venue en car jusqu'à Stjepan Polje. Ensuite, je m'étais

17 mise à attendre, attendre un véhicule quelconque en direction de Foca. Il

18 est vrai qu'une voiture est passée par là, c'était un homme plutôt âgé et

19 il m'a prise en voiture. C'est ainsi que je suis arrivée à bord de sa

20 voiture à Foca.

21 Question: La voiture qui s'est arrêtée, était-ce la voiture à quelqu'un

22 avec qui vous vous étiez déjà mis d'accord pour qu'il s'arrête là pour

23 vous prendre dans sa voiture, pour vous ramener à Foca? Ou était-ce par

24 hasard?

25 Réponse: C'était par pur hasard. Déjà j'avais bavardé un petit peu avec

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1 certaines femmes qui travaillaient dans ce café de Stjepan Polje pour

2 voir, si jamais des problèmes surgissent de sorte que je ne puisse pas

3 rentrer à Foca, que je puisse rester chez elles pour coucher, pour passer

4 la nuit.

5 Question: Vous nous avez déjà dit préalablement que Milorad Krnojelac

6 était préoccupé également au sujet de la troisième musulmane nommée

7 Nedziba. Mais quant à elle, elle ne voulait pas, elle ne souhaitait pas

8 quitter Foca à ce moment-là?

9 Réponse: Non, elle ne voulait pas quitter Foca et Milorad, quant à lui,

10 m'a dit que, si évidemment elle avait quelque problème, je n'avais qu'à

11 aller le chercher et voir si peut-être lui pouvait voir quelque chose pour

12 elle. Encore faut-il que je précise que c'était pour la première fois de

13 sa vie qu'il les voyait, tant l'une que les deux autres de ces trois

14 Musulmanes.

15 Question: Nedziba est musulmane, n'est-ce pas?

16 Réponse: Oui, certainement.

17 Question: Et jamais il ne s'était produit ce cas où M. Krnojelac devait

18 aller rendre ce service à Nedziba pour l'aider à faire la même chose?

19 Réponse: Non, parce que nous avions dans le voisinage un homme, un voisin

20 qui se trouvait souvent à Stjepan Polje et il y avait un camion qui

21 faisait la navette. C'est d'ailleurs le premier voisin de Nedziba.

22 D'ailleurs, c'est aussi un des membres du SDS. Mais connaissant bien

23 Nedziba comme étant une femme honnête et brave femme, lui a tout arrangé

24 de concert avec mon mari pour que, plus tard, à bord de ce camion, elle

25 puisse faire le trajet. Elle était restée d'ailleurs chez les miens

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1 pendant une quinzaine; après quoi, elle est allée rejoindre son parent et

2 ami, et ses amis de Belgrade. Encore aujourd'hui, elle habite Belgrade .

3 Question: Madame Bogdanovic, je voudrais vous demander si vous saviez que

4 la maison de Milorad Krnojelac avait été incendiée. Vous savez qu'au début

5 de la guerre, au début même de la guerre, sa maison a été incendiée,

6 n'est-ce pas?

7 Réponse: Oui, je sais. Et il n'y a pas que sa maison à lui qui a été

8 incendiée. Il y a eu pas mal de maisons qui ont été incendiées et qui se

9 trouvaient dans cette partie de la ville de Foca.

10 Question: Et lorsque vous avez appris cet événement, vous et votre

11 famille, vous avez offert des habits à la famille Krnojelac pour les

12 aider, pour qu'ils ne souffrent pas trop?

13 Réponse: Non.

14 Mme Kuo (interprétation): Je n'ai plus de questions pour ce témoin.

15 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous avez des questions

16 supplémentaires, Maître Bakrac?

17 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, je crois que la

18 déposition de ce témoin a été interrompue. Elle essayait de dire qu'il

19 était resté sans rien. Et c'est à ce moment-là que Mme Kuo était sur le

20 point de remercier en disant qu'elle n'avait plus de question pour ce

21 témoin. La réponse du témoin était: "Oui, il était resté sans rien".

22 M. le Président (interprétation): Je devrai vous expliquer quelque chose

23 qui devrait vous être familier déjà, à savoir que le son qui parvient

24 jusqu'à nous d'une région si lointaine est affreux et que les interprètes

25 ont déjà beaucoup de mal pour traduire ce qu'ils ont entendu. Et si

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1 quelque chose a été dit pendant le temps où Mme Kuo avait pris la parole,

2 il se peut que vous l'ayez entendu, mais ceux qui sont dans leur cabine

3 peut-être n'ont pas entendu. Et ceci n'est pas évidemment une erreur

4 commise par les interprètes, Monsieur Bakrac.

5 Alors, revenons à notre question: avez-vous des questions supplémentaires,

6 Monsieur Bakrac?

7 M. Bakrac (interprétation): Non, je ne pense pas que ce soit une erreur de

8 nos interprètes. Je vais peut-être reposer cette question en question

9 supplémentaire.

10 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, Mme Desanka

11 Bogdanovic, par Me Bakrac.)

12 Madame, ma collègue, Mme Kuo, vous a demandé si vous avez été informée du

13 fait que la maison de Krnojelac a été incendiée et si vous avez aidé la

14 famille de Krnojelac. Qu'avez-vous répondu?

15 Mme Bogdanovic (interprétation): J'ai dit qu'il n'y a pas que la maison de

16 Milorad Krnojelac qui a été incendiée, mais que plusieurs maisons qui se

17 trouvent dans ce quartier ont été incendiées. Et qu'il était, Krnojelac,

18 il était resté sans rien.

19 M. Bakrac (interprétation): Oui, nous l'avons entendu, nous l'avons déjà

20 votre réponse dans le compte rendu d'audience.

21 Monsieur le Président, je n'ai plus de question pour ce témoin.

22 M. le Président (interprétation): Merci, Madame, d'être venue pour

23 témoigner.

24 Vous pouvez disposer. Je vous remercie.

25 (Le témoin, Mme Desanka Bogdanovic, quitte la salle de vidéo conférence.)

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1 (Questions relatives à la procédure.)

2 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur le Président?

3 M. le Président (interprétation): Oui, Madame Uertz-Retzlaff?

4 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Etant donné que nous sommes à

5 attendre notre prochain témoin, je voudrais revenir à une question posée

6 par vous-même concernant les échanges et la disparition de personnes.

7 M. le Président (interprétation): Oui, allez-y!

8 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Nous considérons que ceci ne concerne

9 que le premier point de l'Acte d'accusation; cela ne concerne pas les

10 meurtres, étant donné que nous avons fait une distinction nette entre ce

11 qui s'était passé au KP Dom passages à tabac, assassinats et meurtres-,

12 et nous avons fait une distinction claire pour parler des gens qu'on a

13 fait sortir, qui n'ont pas été maltraités et qui ont fini par être

14 considérés comme portés disparus, alors que nous n'en savons rien.

15 Par conséquent, ceci ne concerne que le premier point de l'Acte

16 d'accusation: "Persécution". Et nous avons dit, dans notre mémoire

17 préalable au procès, que nous ne voulions pas faire de distinction entre

18 "échanges vrais" et "faux échanges". Nous les considérons au même titre et

19 nous les considérons sous le point "déporté", personnes déportées.

20 M. le Président (interprétation): Oui, nous avons voulu tout simplement

21 savoir si vous voulez dire quelque chose de plus. Bon, je vous remercie.

22 Je reprends dès le début.

23 (Le témoin, M. Svetozar Bogdanovic, est sur les écrans.)

24 Monsieur, voulez-vous, s'il vous plaît, faire la déclaration solennelle,

25 lire le bulletin qui vous a été tendu par la secrétaire d'audience.

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1 M. Bogdanovic (interprétation): Je déclare que je dirai la vérité, toute

2 la vérité, et rien que la vérité.

3 M. le Président (interprétation): Merci Monsieur, vous pouvez vous

4 asseoir. A vous, Maître Bakrac.

5 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

6 (Interrogatoire principal du témoin, M. Svetozar Bogdanovic, par Me

7 Bakrac.)

8 Bonjour Monsieur, m'entendez-vous?

9 M. Bogdanovic (interprétation): Oui, je vous entends et vous souhaite

10 bonjour.

11 Question: Je voudrais vous dire tout d'abord ce que nous disons à tous les

12 témoins, à savoir: nous parlons la même langue, ensuite nous avons

13 quelques menus problèmes dus à la ligne de communication. Par conséquent,

14 toutes les fois où je vous poserai une question, je vous prie de faire une

15 petite pause avant d'y répondre parce que ma question doit être traduite.

16 Vous m'avez bien entendu et vous avez compris?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Votre nom et prénom, Monsieur?

19 Réponse: Je suis Svetozar Bogdanovic.

20 Question: Où êtes-vous né et quand?

21 Réponse: Excusez-moi, j'ai un surnom, "Bela" qu'on me surnomme.

22 Et je suis né le 20 janvier 1937, à Pluzine, République du Monténégro.

23 Question: Monsieur, soyez aimable et dites-nous quelle est votre

24 profession.

25 Réponse: Je suis retraité actuellement, mais avant d'être mis à la

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1 retraite, j'étais économiste, technicien économiste.

2 Question: Dites-moi, depuis quand vous habitez Foca?

3 Réponse: J'habite Foca depuis le 1er septembre 1959 et j'y habitais

4 jusqu'en octobre 1996.

5 Question: Avez-vous été employé à Foca pour cette période-là et où?

6 Réponse: J'ai travaillé à Foca, c'est depuis le 1er septembre 1959 que

7 date mon premier emploi. J'ai travaillé à la société Sik Maglic, société

8 qui s'occupe de transformation de bois.

9 Je vais faire une petite pause pour reprendre ce que j'ai envie de dire.

10 Question: Oui, allez-y!

11 Réponse: Lorsque j'ai passé pour travailler ensuite au centre médical de

12 Foca où j'ai travaillé depuis 1960 à 1974. Après quoi, depuis 1974, c'est-

13 à-dire en 1974/1975, j'ai travaillé à la Hidrogradnja Buk Bijela. Il

14 s'agit d'une centrale électrique en construction près de Foca. Et en 1975,

15 je me suis fait embaucher à la banque de Foca, filiale de la banque de

16 Foca où j'ai d'ailleurs travaillé jusqu'à ma retraite.

17 Question: Merci, Monsieur.

18 Dites-nous, avez-vous un casier judiciaire? Avez-vous été l'objet de

19 jugement ou de sanction quelconque?

20 Réponse: Non, jamais je ne me suis rendu à un Tribunal quelconque, même

21 pas à titre de témoin, et je n'ai pas de casier judiciaire. Je n'ai jamais

22 été condamné non plus.

23 Question: Soyez aimable, Monsieur, et dites-nous si vous connaissez M.

24 Milorad Krnojelac.

25 Réponse: Oui, je connais M. Milorad Krnojelac, je connais son épouse,

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1 Slavisa.

2 Question: Depuis quand connaissez-vous M. Krnojelac?

3 Réponse: Je connais M. Krnojelac depuis 1974 environ. Et puis évidemment

4 pendant tout ce temps depuis, depuis et pendant que j'ai été à Foca.

5 Question: Monsieur Krnojelac a-t-il travaillé ensemble avec votre épouse?

6 Réponse: Oui. D'abord, il a travaillé en qualité d'enseignant. Plus tard,

7 il sera le directeur de l'école élémentaire Veselin Maslesa, dans laquelle

8 école élémentaire mon épouse a pratiquement passé toute sa vie de travail

9 jusqu'au moment où elle a été mise à la retraite.

10 Question: Au moment où la guerre éclata à Foca, où commencèrent ces

11 conflits de guerre, où étiez-vous, où habitiez vous, vous et votre épouse?

12 Réponse: Nous habitions rue Boris Kidric n°19. Il s'agissait d'un bâtiment

13 d'habitation qu'on appelait Bolnicka Zgrada; c'est-à-dire bâtiment qui

14 appartenait à l'hôpital et qui se trouvait dans le quartier intitulé Donje

15 Polje.

16 Question: Etait-ce bien le quartier qui, en majorité, était habité par la

17 population musulmane?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Au début du conflit armé, cette partie de la ville se trouvait-

20 elle sous contrôle des forces armées musulmanes?

21 Réponse: Oui, autant que je sache, les forces musulmanes tenaient sous

22 leur contrôle cette partie de la ville au début même et pendant un premier

23 temps des hostilités.

24 Question: Est-ce du fait que cette partie de la ville se trouvait sous le

25 contrôle des combattants de nationalité musulmane, quelqu'un serait venu

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1 pour vous demander de l'aide?

2 Réponse: Je ne sais pas, votre question me semble un peu ambiguë. Qu'est-

3 ce que vous voulez dire par "demander de l'aide"?

4 Question: Je voulais savoir s'il y avait eu des voisines de chez vous qui

5 seraient venues pour vous proposer ou demander de l'aide à ce moment-là.

6 Réponse: Oui, il s'agit de notre voisine Hajrija Sabanovic et de sa fille,

7 Mervana, qui nous ont invités à passer chez elles pour être en sécurité ou

8 plutôt en sécurité. Or, nous avons refusé cette proposition et nous avons

9 plutôt proposé que lesdites personnes passent chez nous.

10 Il s'agit d'un bâtiment qui se trouve juste de l'autre côté de la rue,

11 vraiment très près de chez nous, il a fallu juste traverser la rue. C'est

12 ainsi qu'elles sont passées chez nous.

13 Question: Pouvez-vous nous dire la raison de tout cela? Pourquoi sont-

14 elles passées chez vous?

15 Réponse: Etant donné qu'on se connaissait des décennies durant et qu'on a

16 vécu vraiment dans le sens du bon voisinage -dans le sens du terme le

17 mieux compris-, elles considéraient probablement comme nécessaire de nous

18 protéger contre d'éventuelles provocations auxquelles on pouvait

19 s'attendre, étant donné le chaos qui régnait à cette époque-là.

20 Question: Sont-elles restées avec vous jusqu'à la fin des hostilités à

21 Foca?

22 Réponse: Oui, elles sont restées avec nous jusqu'à la fin même des

23 opérations de guerre à Foca.

24 M. Bakrac (interprétation): Dites-nous, est-il exact que plus tard, une

25 fois un terme mis aux hostilités, elles sont passées chez elles, elles ont

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1 regagné leur appartement?

2 M. le Président (interprétation): Voulez-vous reprendre cette question,

3 s'il vous plaît?

4 M. Bakrac (interprétation): Une fois les hostilités terminées, ont-elles

5 regagné, ces voisines ont-elles regagné leur appartement?

6 M. Bogdanovic (interprétation): Oui, oui, c'est ce qu'elles ont fait, mais

7 de temps en temps elles venaient nous voir.

8 Question: A un moment donné, ces voisines à vous ont-elles décidé de

9 quitter Foca? En étiez-vous au courant?

10 Réponse: Oui, personnellement j'en étais au courant. Je sais qu'elles

11 avaient décidé de quitter Foca.

12 Allô? Vous m'entendez? Je disais qu'elles ont décidé...

13 M. Bakrac (interprétation): Nous avons des problèmes de communication,

14 Monsieur le Président. Je ne reçois pas de réponse.

15 M. Bogdanovic (interprétation): Est-ce que vous m'entendez?

16 M. Bakrac (interprétation): Oui, je vous entends. Soyez aimable et répétez

17 la totalité de votre réponse, de votre réponse à ma question préalable:

18 ont-elles décidé de quitter Foca, vous ai-je demandé?

19 M. Bogdanovic (interprétation): Oui, elles ont décidé de quitter Foca à un

20 moment donné, et c'est à nous qu'elles se sont adressées pour les aider en

21 cela.

22 Question: Et les avez-vous aidées? Si oui, de quelle façon?

23 Réponse: Elles nous ont relaté -ce qui s'est avéré exact- qu'elles avaient

24 des parents à Ivangrad, actuellement Berane, en République du Monténégro,

25 et qu'elles souhaitaient se rendre à Berane. Quant à nous, nous leur avons

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1 permis ou plutôt on était au courant tous les deux de tout ce qu'il

2 convenait de faire; mais c'était plutôt mon épouse qui leur a permis de

3 sortir vers le Monténégro, pour aider ces voisines.

4 Question: Et à qui vous êtes-vous adressés pour demander de l'aide?

5 Réponse: Eh bien, mon épouse et moi, nous nous sommes mis à réfléchir de

6 quelle façon il fallait les faire sortir vers le Monténégro jusqu'à

7 Stjepan Polje, le point qui fait la frontière entre les deux régions. A ce

8 moment-là, il n'y avait pas de transports réguliers ordinaires. Alors,

9 nous avons été obligés de trouver une autre solution, à savoir trouver la

10 personne la plus convenable et qui serait prête à nous aider de sorte que

11 ces deux personnes puissent quitter les lieux. Et cela sans encombre, en

12 toute sécurité.

13 Or mon épouse, toujours en accord ensemble, elle et moi, nous avons

14 décidé, mon épouse et moi, de nous adresser à Milorad Krnojelac, quelqu'un

15 dont les qualités humaines, morales et autres étaient vraiment sans faille

16 et à qui on pouvait s'adresser sans peur aucune.

17 Question: Pardon, mon micro était débranché. Vous avez dit "dont les

18 qualités humaines et morales étaient sans faille": saviez-vous qu'à cette

19 époque-là, Milorad Krnojelac pouvait peut-être avoir quelque préjugé

20 d'ordre nationaliste, etc., enfin, malgré toutes ces qualités morales dont

21 vous parliez?

22 Réponse: Milorad Krnojelac, que je connaissais donc depuis 1974, par le

23 biais de mon épouse surtout mais également par d'autres rencontres...

24 Parce que moi, j'étais quelqu'un qui s'occupais de sports à titre

25 bénévole; la ville de Foca était une petite ville où tout le monde se

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1 connaissait. Je crois pouvoir dire que Milorad Krnojelac, jamais, n'a fait

2 preuve d'aucune intolérance à l'égard des gens qui appartenaient à une

3 autre ethnie. Encore que je précise que son épouse, Slavisa, était

4 d'origine croate, de nationalité croate.

5 Question: Monsieur, vous parlez très vite et, comme nous avons des

6 parasites dans nos lignes qui causent des interruptions, je vous prie de

7 ralentir un petit peu.

8 Réponse: Très bien.

9 Question: Savez-vous à quel moment les hostilités ont pris fin à Foca?

10 Réponse: D'après mes bons souvenirs, je dirais que c'était en date du 18

11 avril 1992, que ce soit un jour avant ou un jour après, qu'en sais-je?

12 Question: Et à la suite de cela, ces femmes vous ont-elles fait part de

13 leur demande?

14 Réponse: Non, pas immédiatement. A la fin, après la fin des hostilités

15 dans la ville même. Mais il me semble qu'elles sont sorties de la ville,

16 si je me souviens bien, en date du 1er juillet 1992.

17 Question: Etes-vous certain qu'il s'agit bien de la date du 1er juillet

18 1992 ou s'agirait-il peut-être d'une période qui aurait précédé cette date

19 ou qui se serait peut-être déroulée après cette date?

20 Réponse: D'après mon souvenir -car vous savez, il y a plusieurs choses que

21 l'homme oublie-, voici ce dont j'ai l'impression de me souvenir: je crois

22 qu'il s'agissait bien du 1er juillet 1992.

23 Question: Est-ce que c'est bien vous qui vous êtes adressé à Milorad

24 Krnojelac ou bien est-ce que c'était votre femme?

25 Réponse: C'était ma femme puisque Milorad Krnojelac venait très souvent à

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1 l'école, étant donné qu'il avait même été le directeur de cette école

2 primaire. Par la suite, il a reçu l'obligation de travail pour aller faire

3 ce qu'il a fait. Donc c'est elle qui s'est entretenue avec lui pour la

4 simple raison que c'était un homme à qui l'on pouvait faire confiance.

5 Question: Lorsque Milorad Krnojelac s'est entretenu avec elle, l'école,

6 l'année scolaire était encore en cours, n'est-ce pas?

7 Réponse: Oui, c'est exact.

8 Question: Merci. Dites-nous maintenant: que vous a dit votre épouse après

9 l'entretien qu'elle a eu avec Milorad Krnojelac? Est-ce que votre épouse

10 vous a raconté la teneur de la conversation qu'ils ont eue?

11 Réponse: Oui, mon épouse m'a relaté quelle était la teneur de leur

12 conversation et m'a dit qu'il essaierait de les aider; qu'il trouvait que

13 c'était une obligation morale de procéder de la sorte. Et il a dit qu'il

14 ferait de son mieux pour assurer un transport, un véhicule.

15 Question: Est-ce que M. Krnojelac a bien fait ce qu'il avait dit qu'il

16 ferait?

17 Réponse: Oui, et j'étais présent ce jour-là lorsque Mme Hajrija Sabanovic

18 et sa fille, Mervana, qui était en fait, elle était diplômée en génie

19 chimique. J'étais présent lorsque cet incident avec cette voiture s'est

20 déroulé.

21 Question: Y avait-il d'autres personnes présentes? Y avait-il un autre

22 voisin présent?

23 Réponse: Oui, il y avait une femme qui s'appelait Sirbubalo Nedziba,

24 c'était une voisine, elle était musulmane.

25 Question: Est-ce que vous avez vu lorsque M. Krnojelac est arrivé devant

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1 le bâtiment?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Monsieur, veuillez attendre la fin de ma question avant de

4 répondre.

5 Réponse: Oui, très bien. Je suis désolé.

6 Question: Etiez-vous donc présent?

7 Réponse: Oui, j'étais présent.

8 Question: Vous souvenez-vous quelle heure il était lorsque M. Krnojelac

9 est arrivé? Et est-ce que vous vous souvenez s'il y était arrivé seul?

10 Réponse: Il est arrivé entre 6 heures du matin et 7 heures du matin. Je ne

11 pourrais pas vous donner l'heure exacte, mais c'était entre 6 heures et 7

12 heures. En fait, c'était peut-être plutôt vers 7 heures du matin ce jour-

13 là.

14 Question: Est-ce que Milorad Krnojelac est sorti de sa voiture? Est-ce

15 qu'il s'est entretenu avec vous? Vous souvenez-vous?

16 Réponse: Non, il ne m'a pas parlé du tout. Il était triste et je voyais

17 que c'était très pénible pour lui de voir que de telles situations aient

18 lieu.

19 Question: Est-ce que M. Krnojelac est entré dans cette voiture? En fait,

20 pourriez-vous nous dire qui est entré dans cette voiture et qui conduisait

21 la voiture?

22 Réponse: C'est un chauffeur qui est entré à l'intérieur de ce véhicule. Je

23 ne connaissais pas ce chauffeur. Il y avait également Mme Hajrija qui est

24 entrée à l'intérieur et sa fille aussi, ma femme également. Ensuite,

25 Milorad Krnojelac leur a souhaité bonne chance et il a pleuré.

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1 Question: Et par la suite, vous-même et Milorad Krnojelac, vous vous êtes

2 séparés et il est parti faire ce qu'il avait à faire, et vous-même, vous

3 en avez fait de même?

4 Réponse: Oui, c'est exact.

5 Question: Et votre épouse a-t-elle accompagné ces deux femmes également ce

6 chauffeur, et ils se sont dirigés en direction du Monténégro, n'est-ce

7 pas?

8 Réponse: Oui, c'est exact.

9 Question: Quand votre femme est-elle revenue du Monténégro? Vous souvenez-

10 vous?

11 Réponse: Ma femme est revenue le lendemain, et si je puis vous raconter...

12 Question: Non, ce n'est pas important.

13 Réponse: Elle est allée jusqu'à Podgorica en passant par Stjepan Polje,

14 elle s'est rendue jusqu'à Podgorica et elles ont dû prendre l'autobus de

15 Stjepan Polje. C'est un chemin qui durait dix heures. Donc elle a placé,

16 Mme Mervana et Mme Hajrija Sabanovic, elle les a placées à bord de ces

17 autobus car ces femmes allaient voir leur nièce. Et elle les a

18 accompagnées, elle les a placées à bord de cet autobus qui se rendait à

19 Berane.

20 Question: Monsieur, je suis désolé mais ce n'est pas vraiment important de

21 nous parler de ces détails car votre épouse nous a relaté l'événement en

22 détail, donc ce n'est peut-être pas important, et ce n'est pas nécessaire

23 de répéter le tout.

24 Réponse: Oui, très bien, je comprends.

25 Question: Est-ce que votre épouse... En fait, vous nous avez dit que vous

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1 connaissez Milorad Krnojelac par le biais de votre épouse et vous le

2 connaissez également de par vos activités dans la ville. Est-ce que vous

3 connaissiez également sa famille?

4 Réponse: Oui. Oui, je connaissais son épouse personnellement car nous

5 avons travaillé bon nombre d'années ensemble à la banque.

6 Question: Pourriez-vous nous donner votre opinion sur Milorad Krnojelac,

7 sur sa famille, son épouse et ses enfants?

8 Réponse: Son épouse et ses fils sont de merveilleuses personnes. C'est une

9 merveilleuse famille. Sa femme, c'est une femme dévouée à la famille. Je

10 ne pourrais dire aucun mal de cette famille.

11 Question: Est-ce que vous savez si, au début du conflit armé, on a

12 incendié la maison de Milorad Krnojelac?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Est-ce que vous leur avez fourni une aide quelconque?

15 Réponse: Oui, nous leur avons donné de la literie car nous avons pu

16 séparer certaines choses que nous avions de trop, nous leur avons donné

17 une télévision, nous leur avons donné également des oreillers, de la

18 literie et ainsi de suite. Et à son fils à lui, nous avons donné une

19 chemise, un veston, car le fils allait se marier et comme vous savez, ils

20 ont tout perdu avec cette maison qui a brûlé. Donc ils n'avaient plus

21 rien.

22 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur. La défense n'a plus de

23 question pour ce témoin.

24 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Bakrac. Madame Kuo le

25 témoin est à vous.

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1 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Svetozar Bogdanovic, par Mme Kuo.)

2 Mme Kuo (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

3 Bonjour, Monsieur Bogdanovic.

4 M. Bogdanovic (interprétation): Bonjour.

5 Question: Je voudrais simplement apporter quelques précisions sur ce que

6 vous avez dit un peu plus tôt. Vous avez dit que M. Krnojelac avait été le

7 directeur de l'école élémentaire. Il est devenu le directeur à l'automne

8 1994, n'est-ce pas, et pas avant cela?

9 Réponse: Non, non, excusez-moi. Puis-je répondre?

10 Question: Oui, certainement.

11 Réponse: Je connais Milorad Krnojelac depuis 1974. Je ne le connais pas en

12 tant que directeur. J'ai dit que plus tard il avait également été

13 directeur de l'école primaire.

14 Question: Monsieur, est-ce que vous êtes orthodoxe de confession?

15 Réponse: Je suis de nationalité monténégrine et je suis athé.

16 Question: N'êtes-vous pas Musulman ou Croate?

17 Réponse: Non, je suis Monténégrin.

18 Question: Vous nous avez dit que vous avez parlé avec votre femme du fait

19 que les Sabanovic vous avaient demandé de quitter Foca ou vous ont demandé

20 de l'aide. Ce n'est pas quelque chose que votre femme a gardé pour elle-

21 même et qu'elle n'a partagé qu'avec M. Krnojelac? D'après votre témoignage

22 à vous, elle en a d'abord parlé avec vous, n'est-ce pas, avant de penser à

23 parler à M. Krnojelac?

24 Réponse: Je ne sais pas si c'était avant ou après. Nous nous sommes

25 néanmoins consultés et nous voulions voir de quelle façon il nous était

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1 possible d'aider cette famille.

2 Question: Vous avez compris que c'est quelque chose que vous deviez garder

3 pour vous, cette discussion que vous aviez eue avec votre femme concernant

4 les Sabanovic, n'est-ce pas?

5 Réponse: Non, ce n'était pas nécessaire de parler à qui que ce soit ou de

6 demander aux autres, étant donné que nous avions le désir d'aider cette

7 bonne famille, car c'étaient de bons voisins.

8 Question: Mais vous aviez compris néanmoins que c'était une situation

9 dangereuse dans laquelle était cette famille, les Sabanovic?

10 Réponse: Non, je ne crois pas que la famille Sabanovic ait subi de mauvais

11 traitements quelconques. Mais, selon leur propre désir, nous avons

12 souhaité les aider, aider la famille Sabanovic.

13 Question: Le désir de la famille Sabanovic était de quitter Foca, de

14 quitter leur maison, d'abandonner leur maison ainsi que leurs biens et de

15 se déplacer, d'aller ailleurs, n'est-ce pas?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Vous avez également dit que cette famille musulmane-là n'avait

18 pas subi de mauvais traitements, mais il y a eu d'autres familles

19 musulmanes à Foca qui avaient subi des mauvais traitements, des familles

20 dont les hommes avait été emmenés au KP Dom, qui avaient été gardés,

21 détenus à cet endroit, dont la maison avait été incendiée. De toute façon,

22 ils avaient le sentiment qu'ils n'étaient plus les bienvenus à Foca?

23 Réponse: Madame, je sais peu de choses concernant ces faits-là. J'ai eu

24 également à effectuer mon obligation militaire à la banque et, pendant

25 deux ans, j'ai dû être de garde chaque deuxième nuit. J'ai travaillé donc

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1 de 7 heures du soir à 7 heures du matin, chaque deuxième nuit.

2 Question: Monsieur, est-ce que vous avez été membre d'un parti non-

3 national, d'un parti politique non-national?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Donc cela veut dire que vous n'étiez pas en désaccord avec les

6 nationalistes extrémistes avec lesquels les autres personnes de Foca

7 étaient d'accord?

8 Monsieur, est-ce que vous avez compris la question? J'ai peut-être posé

9 cette question de façon un peu confuse.

10 Réponse: Non, la question n'est pas confuse; je la comprends très bien. Je

11 suis un tel homme et je n'ai jamais choisi les gens selon leur

12 appartenance ethnique ou leur nationalité; j'ai toujours eu des amis de

13 toutes sortes de nationalités. J'ai même travaillé pendant trente ans au

14 sein d'une organisation sportive et je n'ai jamais demandé à qui que ce

15 soit de quelle appartenance ethnique il était. Je n'ai pas été membre

16 d'aucun parti politique et je sais personnellement que Milorad Krnojelac

17 non plus n'était pas un membre du SDS.

18 C'est bien connu qu'à Foca, il existait deux partis nationalistes: c'était

19 le SDS et le SDA. Moi, j'étais membre du SK; c'est un mouvement pour la

20 Yougoslavie. L'idée principale était de garder l'unité de la Yougoslavie

21 pour que justement le conflit qui a éclaté par la suite… En fait, on a

22 essayé de prévenir l'éclatement de la Yougoslavie.

23 Question: Puisque vous étiez impliqué dans les partis politiques modérés,

24 que vous n'étiez pas membre de partis politiques extrémistes, est-ce que

25 vous croyez que vous avez subi d'autres genres de traitement? Est-ce que

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1 vous avez souffert de ce fait lorsque les extrémistes ont pris le pouvoir

2 de la ville de Foca?

3 Réponse: Pour bien vous dire la vérité, il n'y avait pas de très grand

4 choix, on n'avait pas le choix, on n'avait pas un grand choix.

5 Personnellement, et je le ressens aujourd'hui, je ressens une tristesse à

6 cause du démantèlement de l'ex-Yougoslavie.

7 Question: Monsieur, ma question était plutôt de savoir de quelle façon

8 vous avez été traité. Je comprends votre sentiment face à la situation,

9 mais ma question est la suivante: puisque vous étiez impliqué dans des

10 partis politiques modérés, est-ce que vous trouvez que vous avez souffert?

11 Est-ce que les extrémistes vous ont fait subir de mauvais traitements?

12 Réponse: J'avais remarqué que j'étais traité d'une façon un peu

13 différente, mais je n'ai pas souffert directement, je n'ai pas eu de

14 conséquence de cela. Mais il est vrai qu'il y avait une crainte qui

15 existait au sein de la population, et surtout au cours du conflit armé.

16 Question: Nous parlons maintenant de la période… Lorsque vous parlez du

17 conflit armé, je ne sais pas si vous parlez des dix jours au mois d'avril

18 ou si vous parlez de la période qui a suivi cette époque. Est-ce que cette

19 peur générale s'est poursuivie, même après ces dix jours? Je parle de la

20 guerre.

21 Réponse: Est-ce que vous parlez de ma peur à moi, de ma peur personnelle

22 ou est-ce que vous parlez d'autre chose?

23 Question: Monsieur, j'essaie de comprendre votre réponse. Vous nous avez

24 parlé d'une espèce de crainte ou d'une peur généralisée, vous avez dit que

25 les habitants de la ville avaient ou ressentaient une peur. Ce que je veux

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1 savoir, c'est si c'était seulement pendant que les conflits armés ont

2 duré, pendant le mois d'avril, ou si vous voulez dire que cette peur s'est

3 poursuivie, que cette crainte généralisée prévalait également pendant la

4 période après l'été, en 1992, en passant par l'automne et jusqu'en 1993.

5 Réponse: Non, je parle du conflit armé, de la guerre en tant que telle,

6 donc jusqu'au 18 avril, jusqu'à la fin des opérations.

7 Question: Je veux simplement apporter quelques précisions. Il y a des

8 personnes qui parlent de la guerre jusque... Pour certaines personnes, la

9 guerre dure jusqu'au 18 avril alors que, pour d'autres personnes, les

10 opérations de combat, donc le conflit armé, durent jusqu'à l'accord de

11 Dayton. Je voulais simplement savoir pour vous que représente le conflit

12 armé exactement.

13 Réponse: Je parle de la peur qui existait du 8 au 18 avril, mais étant

14 donné que je ne détiens absolument aucune information concernant les

15 combats qui avaient lieu sur le front, car je n'avais absolument aucune

16 information à ce sujet, et étant donné que la ligne de front était à

17 l'extérieur de la ville de Foca, je ne sais trop où elle était exactement

18 située -je ne suis pas tout à fait au courant de cela-, je ne sais pas si,

19 chez les autres citoyens, il y avait une peur. J'ai simplement fait mon

20 obligation militaire, je travaillais à la banque où j'ai passé deux ans.

21 J'étais de garde à la banque chaque deuxième nuit et, par la suite, j'ai

22 effectué les travaux bancaires et, immédiatement après la fin du conflit

23 armé, j'ai travaillé et j'ai fait d'autres fonctions au sein de la banque.

24 Question: Merci, Monsieur.

25 Lorsque vous nous avez parlé d'avoir demandé à M. Krnojelac de vous aider,

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1 en fait, lorsque vous avez parlé avec votre femme du fait que vous devriez

2 demander à M. Krnojelac de l'aide, vous avez conclu que votre femme était

3 la personne qui devait l'aider: d'abord parce que c'est quelqu'un avec qui

4 il avait un bon rapport, mais aussi parce que c'était quelqu'un qui

5 pouvait organiser ce déplacement, n'est-ce pas?

6 Réponse: Ma femme s'est adressée à Milorad Krnojelac plutôt parce que

7 c'est un homme de confiance qui pouvait rendre ce service.

8 Question: Et lorsque votre femme vous a dit que M. Krnojelac avait pris

9 des arrangements pour organiser ce voyage, est-ce qu'elle vous a également

10 dit qu'elle partirait avec les Sabanovic au Monténégro, qu'elle irait

11 visiter des membres de sa famille habitant à cet endroit?

12 Réponse: Mon épouse est allée principalement pour assurer à Mmes Sabanovic

13 un passage sûr. Quant à sa famille qui demeure à Podgorica et à sa nièce

14 qui y demeure, comme je l'ai déjà dit un peu plus tôt dans la déclaration,

15 elles se sont vues, elles ont pris un déjeuner, elles ont pris du café et,

16 par la suite, mon épouse les a accompagnées jusqu'à la gare routière et

17 les a placées à bord de cet autobus parce que les Sabanovic voulaient

18 aller voir leurs parents. Et elles sont allées à Berane.

19 Mme Kuo (interprétation): Il est 13 heures.

20 M. le Président (interprétation): Oui, très bien. Donc nous allons

21 ajourner, nous allons prendre notre pause de la journée et nous

22 reprendrons les travaux à 14 heures 30.

23 (L'audience, suspendue à 12 heures 58, est reprise à 14 heures 30.)

24 M. le Président (interprétation): Madame Kuo, c'est à vous.

25 Mme Kuo (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

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1 Bonjour, Monsieur Bogdanovic.

2 M. Bogdanovic (interprétation): Bonjour.

3 Question: Tout à l'heure, vous avez déposé en disant que, d'après vous,

4 quand votre épouse a parlé avec M. Krnojelac, d'après vous, l'année

5 scolaire durait toujours. Il est vrai que l'année scolaire a duré tout le

6 long de l'été et que votre épouse a travaillé tout le long de l'été 1992,

7 n'est-ce pas?

8 Réponse: Je ne vois pas de quoi on parle, mais mon épouse a continué à

9 travailler puisqu'il y a d'autres choses à faire dans une école, à part

10 l'enseignement, après la fin de l'année scolaire, puisqu'elle était la

11 secrétaire de l'école.

12 Question: Vous ne vouliez pas dire que vous saviez que cette conversation

13 a eu lieu avant ou après que les élèves arrêtent d'aller à l'école; c'est-

14 à-dire que, d'après vous, ceci n'avait aucun rapport avec cette date

15 indiquée?

16 Réponse: Je ne pense pas que c'est important de savoir si cela s'est

17 produit avant ou après. Je ne peux pas vous le confirmer.

18 Question: Savez-vous combien de jours avant le 1er juillet, quand vous

19 avez dit que les femmes Sabanovic ont quitté Foca, est-ce que vous savez

20 combien de jours se sont écoulés avant que votre épouse ne parle avec M.

21 Krnojelac en lui demandant ce qu'elles lui ont demandé?

22 Réponse: Non, pour autant que je me souvienne, ceci s'est passé le 1er

23 juillet. C'est là qu'elles ont exprimé ce souhait, c'est là que nous avons

24 discuté. Et c'est mon épouse qui a eu cet entretien avec Milorad

25 Krnojelac.

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1 Question: Si j'ai bien compris, ceci s'est passé très rapidement mais pas

2 le même jour puisqu'elles sont parties très tôt dans la journée du 1er

3 juillet. Donc ces préparations, eh bien, elles ont dû se passer avant,

4 avant cette date-là.

5 Réponse: Oui.

6 Question: Mais vous ne vous souvenez pas de la date exacte? Vous ne savez

7 pas combien de jours avant, cela s'est fait?

8 Réponse: Non, je n'arrive pas à me rappeler. Je ne peux pas vous préciser

9 combien de jours avant.

10 Question: Quand votre épouse vous a dit qu'elle allait accompagner ces

11 deux femmes au Monténégro, est-ce que vous étiez inquiet pour sa sécurité

12 à elle?

13 Réponse: Non.

14 Question: Donc, d'après vous, cette route n'était pas dangereuse, n'est-ce

15 pas? C'était normal pour les gens de voyager entre Foca et Stjepan Polje?

16 Réponse: Vous savez, on ne prenait pas cette route-là volontiers parce

17 qu'il y avait des barrages routiers, des barrages de police sur cette

18 route-là. Donc il n'y avait pas vraiment de circulation. Il n'y avait pas

19 de transports publics qui passaient par là.

20 Question: Mais vous n'aviez pas de raison d'être inquiet au sujet de la

21 sécurité de votre épouse?

22 Réponse: Mais oui, sûrement que oui, Mais pas... Je n'étais pas très

23 inquiet, je ne me disais pas que quelque chose de terrible allait lui

24 arriver.

25 Question: Savez-vous si votre épouse avait besoin d'une permission pour

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1 aller visiter ses cousins au Monténégro ou bien si elle a pu le faire tout

2 simplement, sans aucune autorisation, pour autant qu'elle disposait d'un

3 véhicule?

4 Réponse: Je ne sais pas cela. Voyez-vous, nous n'avons même pas parlé de

5 cela et je ne sais pas du tout si elle a demandé une autorisation.

6 Question: Le matin du 1er juillet, quand ces femmes sont parties, M.

7 Krnojelac est venu, accompagné du chauffeur. Donc il est venu avec une

8 voiture, tôt dans la matinée, n'est-ce pas?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Savez-vous d'où il était arrivé? Est-ce qu'il était arrivé du KP

11 Dom?

12 Réponse: Je ne sais pas de quel endroit il était arrivé mais, en tout cas,

13 je l'ai vu avec le chauffeur devant notre immeuble.

14 Question: Et ce chauffeur, c'était un gardien, un policier du KP Dom,

15 n'est-ce pas?

16 Réponse: Je ne connais pas du tout cet homme-là et je ne sais pas quelle

17 est sa profession. Est-ce qu'il était gardien, est-ce qu'il était ouvrier?

18 Pour autant que je le sache, il était chauffeur au KP Dom.

19 Question: Monsieur Krnojelac ne vous a pas présentés, puisque c'était la

20 personne qui devait conduire votre femme au Monténégro?

21 Réponse: Non.

22 Question: Savez-vous à qui appartenait le véhicule?

23 Réponse: Non, non.

24 Question: Et quelle était la marque de cette voiture?

25 Réponse: Je ne sais pas. Je pense que c'était une voiture Yugo, soit une

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1 Zastava ou quelque chose de semblable.

2 Question: Quand les Sabanovic ont été placées dans le véhicule, elles

3 devaient s'accroupir dans la voiture et on les a couvertes avec des sacs

4 au moment où elles sont parties, n'est-ce pas?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Donc, de l'extérieur, vous ne pouviez pas savoir si les femmes

7 étaient assises à l'arrière du véhicule ou non?

8 Réponse: Oui, oui.

9 Question: Après le départ du véhicule avec les femmes à l'intérieur et

10 avec votre épouse, où est parti M. Krnojelac? Est-ce qu'il est resté avec

11 vous?

12 Réponse: Pour autant que je me souvienne, il est allé soit dans le centre

13 ville, soit au KP Dom, mais je ne saurais vous le dire avec exactitude.

14 Question: A ce moment-là, vous saviez que M. Krnojelac était le directeur

15 du KP Dom, il avait déjà été nommé au poste de directeur temporaire du KP

16 Dom, n'est-ce pas?

17 Monsieur Bogdanovic, pourriez-vous répéter votre réponse puisque les

18 interprètes, à cause de l'interruption du son, ne l'ont pas entendue.

19 Réponse: Oui, je savais qu'il était directeur du KP Dom, je savais que

20 tout au moins officiellement c'était lui le directeur du KP Dom.

21 Question: Pendant les activités militaires, la guerre, votre maison n'a

22 pas été brûlée, n'est-ce pas?

23 Réponse: Non, elle n'a pas été incendiée, mais trois obus sont tombés sur

24 le toit de l'immeuble.

25 Question: Et tout à l'heure, vous avez dit que vous avez fourni à la

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1 famille de M. Krnojelac du linge de maison, des vêtements, etc., puisque

2 leur maison avait brûlé.

3 Réponse: Oui, oui, leur maison a brûlé.

4 Question: Vous avez dit plus précisément que vous avez fourni des

5 vêtements à son fils, mais vous avez en effet donné des vêtements à toute

6 sa famille, y compris M. Krnojelac.

7 Réponse: Eh bien, nous avons donné des vêtements pour son fils qui, à

8 l'époque, allait se marier, et nous leur avons donné des vêtements

9 appartenant à mon fils. Donc ils pouvaient porter ces vêtements et nous

10 lui avons donné aussi une partie du linge de maison, ainsi qu'un poste de

11 télévision que nous avions dans notre appartement.

12 Question: Mais ce que je vous ai demandé, c'est si vous avez donné des

13 vêtements uniquement au fils de M. Krnojelac, ou bien aussi aux autres

14 membres de la famille de Krnojelac, y compris M. Krnojelac lui-même.

15 Réponse: Pour autant que je me souvienne, je lui ai donné une veste à moi,

16 une veste et c'est tout. A part ça, je ne lui ai rien donné à part les

17 affaires que j'ai mentionnées.

18 Question: Et juste pour mettre ceci au clair, quand vous dites une veste,

19 ce n'est pas une veste militaire, n'est-ce pas, c'était une veste civile?

20 Réponse: Oui, oui, j'avais des vêtements civils parce que, moi, je n'ai

21 jamais porté d'uniforme. Pendant toute la guerre, je n'ai jamais porté un

22 uniforme.

23 Question: Et avant d'abandonner ce thème, le thème concernant le départ,

24 est-ce que vous pourriez nous indiquer la couleur de la voiture dans

25 laquelle votre épouse et les Sabanovic sont parties?

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1 Réponse: Croyez-moi, je ne me souviens pas de la voiture, de la couleur

2 exacte de cette voiture.

3 Question: Très bien, merci.

4 Monsieur Bogdanovic, votre obligation de travail pendant la guerre était

5 en effet la même que le travail que vous avez fait avant la guerre, c'est-

6 à-dire que vous travailliez toujours à Privredna banka, n'est-ce pas?

7 Réponse: Mon obligation de travail, c'est le secrétariat de la Défense

8 populaire qui me l'a donné et donc il s'occupait aussi des assignations de

9 guerre, il donnait des missions à tout un chacun. Et puisque moi j'étais

10 un homme assez âgé, j'ai eu donc cette obligation de travail pendant les

11 deux premières années. J'étais comme un gardien dans la banque où, un soir

12 sur deux, entre 7 heures du soir et 7 heures du matin, je montais la

13 garde.

14 Question: Etait-ce le même travail que celui que vous aviez avant la

15 guerre, donc entre 1976 et jusqu'à 1992?

16 Réponse: Non, j'ai travaillé dans le centre de calculs électroniques, je

17 faisais le traitement des données. Pendant une certaine période, juste

18 avant la guerre, j'ai travaillé avec l'enregistrement sur les microfilms

19 des informations, puisque nous avions un département dans la banque qui

20 s'occupait de cela.

21 Question: Au cours de votre travail à la banque avant la guerre,

22 connaissiez-vous un certain Aziz Sahanovic?

23 Réponse: Sahanovic? Oui, je le connaissais. Je pense que ce n'était pas

24 Sahanovic, mais Sahinovic.

25 Question: Oui, oui, vous avez raison, Monsieur. Je pense que vous avez

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1 raison, j'ai mal prononcé le nom de cette personne mais c'était bien à lui

2 que je pensais. C'était un Musulman, n'est-ce pas?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Et il travaillait au département des devises, n'est-ce pas?

5 Réponse: Oui, il travaillait dans ce département qui s'appelait le

6 département des Affaires concernant les citoyens. Et dans le cadre de ce

7 département, eh bien, il y a un service des affaires du commerce de

8 devises.

9 Question: Et à un moment donné, on l'a accusé d'avoir pris 30 ou 36.000

10 deutsche marks de la caisse de la banque? On l'a accusé de cela, n'est-ce

11 pas?

12 Réponse: Je ne suis pas au courant de cela. Mais si ceci s'est passé avant

13 la guerre, je devrais. Mais je ne suis pas au courant. C'est une

14 information que je n'ai pas reçue et je suis surpris d'entendre cela.

15 Question: Je vous ai demandé en réalité si vous avez entendu parler de

16 telles accusations. Je ne vous ai pas demandé si c'était vrai ou non.

17 Savez-vous que M. Sahinovic avait été amené au KP Dom?

18 Réponse: Non.

19 Question: Savez-vous ce qui lui est arrivé pendant la guerre?

20 Réponse: Non. Comment voulez-vous que je le sache? Moi, j'étais en dehors

21 de tout cela, de tous ces événements.

22 Question: Vous nous avez dit plus tôt que Foca était une petite ville. Et

23 je me suis demandé si vous avez jamais entendu dire que M. Sahinovic avait

24 été passé à tabac de façon très sévère au KP Dom et qu'après cela, il a

25 disparu.

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1 Réponse: Non, puisque je n'avais aucun contact et je n'avais pas d'accès

2 aux informations. Et cela ne m'intéressait pas. Donc je n'ai pas pu

3 l'apprendre; je ne sais pas auprès de qui j'aurais pu m'adresser pour

4 apprendre cela.

5 Question: Mais pendant la guerre, vous n'avez jamais vu M. Sahinovic vous-

6 même, à Foca?

7 Réponse: Non.

8 Question: Pendant que vous travailliez à la Privredna banka, est-ce que

9 vous avez connu l'épouse de M. Krnojelac, Slavisa Krnojelac?

10 Réponse: Oui, oui. Nous avons travaillé longtemps ensemble avant la guerre

11 et je connaissais Slavisa.

12 Question: Pourriez-vous nous dire pendant quelle période Mme Krnojelac a

13 travaillé à la banque et ce qu'elle y faisait exactement?

14 Réponse: Elle travaillait à la comptabilité de la banque mais je ne

15 saurais vous dire depuis quand elle y travaillait. Tout ce que je peux

16 dire, c'est qu'elle était vraiment très consciencieuse et que c'était une

17 employée exemplaire.

18 Question: Vous avez dit qu'au cours de votre obligation de travail dans la

19 banque vous gardiez la banque, vous faisiez le gardien de la banque

20 pendant la nuit. Est-ce que, pour effectuer ce travail, vous portiez un

21 uniforme?

22 Réponse: Non, je n'ai jamais porté d'uniforme et je n'ai jamais eu

23 d'armes.

24 Question: Donc vous considériez ce poste comme un poste civil? Je pense au

25 poste que vous avez eu pendant la guerre.

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1 Réponse: Eh bien, cela dépendait comment on considérait l'obligation de

2 travail. L'obligation de travail, c'était une espèce d'obligation à moitié

3 civile; il fallait garder l'immeuble de la banque, c'est-à-dire que, dans

4 une banque, même en temps de paix...

5 Interprète. On n'entend plus rien!

6 Question: Mais autrement dit, pendant la guerre, en temps de guerre, cette

7 ligne qui séparait ce qui était civil et ce qui était militaire n'était

8 pas très précise; il n'y avait pas de distinction claire entre ce qui

9 était strictement militaire et ce qui était strictement civil. C'était un

10 peu mélangé, n'est-ce pas?

11 Réponse: Moi, je ne peux pas vous dire ce qu'il en est, je ne peux pas

12 faire de jugement là-dessus. Mais je sais quelle était la nature de mon

13 travail à moi; je ne sais pas ce que faisaient les autres, quelles étaient

14 leurs fonctions.

15 Question: Ce que j'essaie de vous dire, c'est que même votre travail à

16 vous, eh bien, sa vraie nature n'était pas très claire: on ne voyait pas

17 trop si c'était un job militaire ou un job civil, puisque c'était un peu

18 les deux?

19 Réponse: Eh bien, il s'agissait de garder le bâtiment et donc ce n'était

20 pas du tout un poste militaire.

21 Question: Mais c'est pourtant le secrétariat de la Défense nationale qui

22 vous a donné cette mission? Et il s'agit d'une composante militaire,

23 n'est-ce pas?

24 Réponse: Eh bien, il n'y avait pas d'autres organismes pour le faire;

25 cette institution prenait les décisions concernant les obligations de

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1 travail. Il n'y avait aucune autre structure dans la ville qui était en

2 mesure d'en décider pour distribuer les missions, les tâches.

3 Question: Donc c'étaient les autorités militaires qui gouvernaient la

4 ville, pour ainsi dire, n'est-ce pas?

5 Réponse: Non, je ne peux pas vous le dire. En tout cas, moi, je ne faisais

6 pas partie de ces organisations-là, je n'avais pas de contacts avec des

7 gens, je n'avais pas suffisamment de contacts pour donner une définition

8 précise concernant ces autorités

9 Question: Mais vous pensiez que si, par exemple, vous ne respectiez pas

10 les ordres donnés, eh bien, que vous alliez être sanctionné par les

11 militaires?

12 Réponse: Oui, oui, c'était très risqué que de refuser une obligation de

13 travail. Je sais personnellement que ceci est arrivé. Je sais que ceci

14 existait dans les trois peuples qui font la Bosnie-Herzégovine.

15 Question: Donc, ma dernière question -peu importe que vous n'ayez pas

16 porté d'uniforme militaire-, vous dépendiez tout de même des autorités

17 militaires?

18 Réponse: Je ne sais pas si on peut définir cela de la façon dont vous le

19 faites. Toujours est-il que, moi, je ne sais pas vous répondre à cette

20 question. Ma réponse ne sera forcément pas juste, précise.

21 Question: Je voudrais vous poser encore quelques questions au sujet de Mme

22 Krnojelac. Vous avez dit qu'elle a travaillé à la banque avant la guerre.

23 Est-ce qu'elle a travaillé aussi à la banque, est-ce qu'elle a continué à

24 travailler à la banque pendant la guerre?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Et quelle était sa fonction?

2 Réponse: Pendant la guerre, elle a continué à travailler puisque, juste

3 après la fin des opérations militaires dans la ville, la banque a rouvert

4 ses portes. Mais puisqu'il n'y avait que très peu de travail, on

5 fonctionnait au minimum, il y avait un certain nombre de départements qui

6 ne fonctionnaient plus. Eh bien, elle, elle s'occupait donc de la

7 comptabilité, du traitement des données et au guichet.

8 Question: A quel moment a-t-elle commencé à travailler pendant la guerre,

9 je veux dire pendant la période de la guerre?

10 Réponse: Eh bien, dès que les opérations militaires se sont arrêtées sur

11 le territoire de la municipalité.

12 Question: Et vous avez dit que pendant la guerre, la banque fonctionnait

13 au minimum. Mais est-ce que la banque fonctionnait tout de même? Est-ce

14 qu'il s'agissait juste de moins de travail ou bien est-ce que la banque

15 était temporairement hors service?

16 Réponse: Je ne saurais vous dire à quelle date du mois de mai cette banque

17 a été officiellement rouverte. Tous les travailleurs, tous les employés

18 ont reçu leur obligation de travail et surtout, les femmes qui étaient

19 vraiment obligées de venir travailler, surtout de travailler au guichet,

20 c'est-à-dire les fiches de payes, les guichets, etc., les centres de

21 calculs informatisés, il fallait qu'ils marchent aussi.

22 Question: Donc les salaires étaient payés même pendant la guerre?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Excusez-moi, Monsieur, vous vouliez ajouter quelque chose?

25 Réponse: Oui, pas les salaires, mais sur les comptes courants, les chèques

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1 en blanc, dans les boutiques, s'il y avait quelque chose à acheter, eh

2 bien, on pouvait payer avec ces chèques, pas avec l'argent parce qu'il n'y

3 avait pas vraiment d'argent qui circulait au tout début.

4 Question: Oui, je comprends qu'il n'y avait pas de monnaie en circulation.

5 Donc vous dites que les gens qui normalement devaient recevoir des

6 salaires, en fait, à la place de ces salaires, recevaient des avoirs sous

7 forme de chèques, etc., qui étaient ou pouvaient être utilisés pour

8 acheter quelque chose.

9 Réponse: Oui, surtout la nourriture évidemment et dans certaines

10 boutiques, s'il y avait des vivres, si ces mêmes boutiques étaient

11 achalandées. Mais vous savez, il n'y avait pas beaucoup de nourriture dans

12 les boutiques, il y avait une pénurie, une vraie pénurie de vivres dans

13 les boutiques.

14 Mme Kuo (interprétation): Je n'ai plus d'autres questions.

15 M. le Président (interprétation): Vous avez des questions supplémentaires,

16 Maître Bakrac?

17 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Svetozar

18 Bogdanovic, par Me Bakrac.)

19 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Je vais être très

20 bref.

21 Monsieur?

22 M. Bogdanovic (interprétation): Oui?...

23 Question: Tout à l'heure, répondant à la question du Procureur, vous avez

24 dit que le 1er juillet, ces deux dames dont nous avons parlé ont exprimé

25 leur souhait de quitter la ville de Foca. Est-ce que vous permettez la

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1 possibilité qu'elles ont quitté la ville de Foca quelques jours plus tard?

2 Réponse: Non. Comment dire?... En réalité, c'est avant le 1er juillet

3 qu'elles ont exprimé leur souhait de quitter la ville et d'aller voir

4 leurs parents au Monténégro.

5 Question: Dites-moi, Monsieur, ce trajet qu'elles devaient faire entre

6 Foca et Stjepan Polje, est-ce que, avant qu'elles ne partent, est-ce que

7 vous saviez si des incidents se sont produits sur ce même trajet?

8 Réponse: Non, non, je ne suis pas au courant de cela moi.

9 M. Bakrac (interprétation): Merci, je n'ai plus d'autres questions,

10 Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Juges.

11 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur, d'être venu témoigner

12 ici devant ce Tribunal. Maintenant, vous pouvez disposer.

13 M. Bogdanovic (interprétation): Je vous remercie également.

14 M. le Président (interprétation): Monsieur Krnojelac peut revenir.

15 M. Bogdanovic (interprétation): Est-ce que je peux le voir?

16 M. le Président (interprétation): Le témoin qui est toujours assis dans ce

17 studio distant, je pense qu'il faudrait lui expliquer que ce n'est pas M.

18 Krnojelac qui allait entrer, ce n'est pas l'accusé que nous allions voir,

19 mais son frère qui a déjà témoigné hier et qui va témoigner à nouveau.

20 (Le témoin, M. Svetozar Bogdanovic, quitte la salle de vidéo conférence.)

21 (Le témoin, M. Arsenije Krnojelac, est introduit dans le prétoire.)

22 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir, Monsieur.

23 Madame Uertz-Retzlaff, c'est à vous. Vous pouvez continuer le contre-

24 interrogatoire.

25 (Suite du contre-interrogatoire du témoin, M. Arsenije Krnojelac, par Mme

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1 Uertz-Retzlaff.)

2 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

3 Bonjour, Monsieur Krnojelac.

4 M. A. Krnojelac (interprétation): Bonjour.

5 Question: Au début de votre déposition, vous nous avez dit que vous êtes

6 né en 1935. Cela veut dire que vous avez pu survivre à la Seconde Guerre

7 mondiale, n'est-ce pas?

8 Réponse: Oui, j'y ai survécu dans la mesure où j'ai pu la retenir, étant

9 donné que j'étais vraiment en bas âge, petit.

10 Question: Mais vous savez que, pendant la Seconde Guerre mondiale, il y

11 avait des camps de détenus, des camps de détention dans l'ancienne

12 Yougoslavie: vous le saviez, n'est-ce pas?

13 Réponse: Je ne le savais pas.

14 Question: Est-ce que vous avez dit que vous le saviez ou vous ne le saviez

15 pas?

16 Réponse: Ceci ne m'était pas connu.

17 Question: Vous n'avez jamais entendu parler de Jasenovac où tant de Serbes

18 ont été exterminés? Vous n'avez pas entendu parler du camp de Jasenovac?

19 Réponse: J'en ai entendu parler, mais seulement lorsque j'étais déjà âgé

20 de quinze ans peut-être. Parce que, vous savez, après la Seconde Guerre

21 mondiale, on ne pouvait pas tout de suite aller à l'école. Un peu plus

22 tard seulement j'ai pu fréquenter une école élémentaire.

23 Question: Monsieur, pour les gens dans l'ancienne Yougoslavie, pour tous

24 les gens, de toutes les nationalités, l'histoire a toujours représenté un

25 facteur important, n'est-ce pas?

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1 Réponse: L'histoire a été, en vérité, un facteur important pour ceux qui

2 l'ont étudiée.

3 Question: Vous, en tant que Serbe, vous saviez -et plus tard, vous l'avez

4 encore mieux appris, lorsque vous n'étiez plus enfant- dans quelle mesure

5 les Serbes ont dû souffrir dans le camp de détention de Jasenovac, n'est-

6 ce pas?

7 Réponse: Je n'ai pas vraiment entendu parler de cela jusqu'au moment où la

8 télévision était devenue si répandue et lorsque celle-ci en a traité,

9 alors j'ai pu voir des choses.

10 Question: Mais aujourd'hui, vous savez quelque chose sur Jasenovac et vous

11 savez combien de civils serbes ont été tués là-bas, vous en avez une idée,

12 n'est-ce pas?

13 Réponse: Oui, bien sûr que j'ai une idée là-dessus, mais pour dire combien

14 de Serbes ont été tués, cela je ne peux pas vous le dire, je l'ignore.

15 Question: Monsieur, du fait que vous savez ce qui était arrivé à Jasenovac

16 et dans d'autres endroits de ce genre au cours de la Seconde Guerre

17 mondiale, vous avez dû savoir dans quelle mesure il devait être difficile

18 d'être directeur d'une prison en temps de guerre. Vous l'avez su, vous,

19 n'est-ce pas?

20 Réponse: Etre directeur temporaire comme Milorad Krnojelac l'a été ne

21 devait pas être très difficile parce que moi je pense que, lui, il a été

22 nommé directeur temporaire de l'entité nommée Ekonomija, c'est-à-dire de

23 l'entité économique et commerciale.

24 Question: Monsieur, nous parlons en des termes généraux pour dire qu'être

25 directeur d'une prison en temps de guerre, dans une situation donc

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1 pareille à celle qui régnait lors de la Seconde Guerre mondiale, supposait

2 une position difficile, n'est-ce pas? Cela est clair, n'est-ce pas?

3 M. Bakrac (interprétation): Objection, Monsieur le Président!

4 M. le Président (interprétation): Allez-y, Maître Bakrac.

5 M. Bakrac (interprétation): Je crois que le témoin vient de répondre à

6 cette question. C'est une question susceptible de généraliser les choses,

7 suivant laquelle le témoin est maintenant à faire des parallèles entre ce

8 qui s'était passé lors de la Seconde Guerre mondiale et ce qui s'était

9 passé dans le cas présent.

10 Lui, il a été cité à la barre pour témoigner de ce qu'il sait, on ne va

11 pas maintenant débiter des opinions concernant l'Histoire, etc. Et il a

12 répondu à la question en répondant à la fin: "mon frère s'est occupé

13 d'Ekonomija".

14 M. le Président (interprétation): Monsieur Bakrac, celui qui procède au

15 contre-interrogatoire ne se voit pas obligé d'accepter une première

16 réponse offerte par le témoin. Je vois bien où se dirige Mme Uertz-

17 Retzlaff et je me propose de vous l'expliquer parce que, faisant ainsi, je

18 devrais l'expliquer également au témoin.

19 Mais selon moi, il me semble que ce contre-interrogatoire est tout à fait

20 approprié. Allez-y, Madame Uertz-Retzlaff.

21 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur, je n'ai pas reçu la réponse

22 à ma question. Nous savons que, en des termes généraux, la position d'un

23 directeur de prison est une position difficile en temps de guerre si l'on

24 doit prendre en considération tous les faits historiques et autres.

25 M. A. Krnojelac (interprétation): Très vraisemblablement quelqu'un qui a

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1 été nommé en cours de guerre devra savoir qu'il s'agira évidemment d'une

2 position difficile en temps de guerre, parce que, en temps de guerre, tout

3 est plus difficile. Mais étant donné que Milorad a été affecté à cette

4 fonction, je n'ai rien à dire.

5 Question: Vous avez dû savoir qu'en temps de guerre, même en temps de

6 guerre, un directeur de prison a pour tâche et devoir de protéger les

7 détenus et les prisonniers, n'est-ce pas?

8 Réponse: Je le savais dans l'exacte mesure où je savais qu'il devait être

9 responsable des condamnés, des personnes condamnées.

10 Question: Oui, et quant à vous, vous avez considéré qu'un directeur de ce

11 type-là pouvait être enrôlé dans un comportement illégal à cause duquel

12 comportement, il devrait répondre plus tard de ses actes, n'est-ce pas?

13 Réponse: Etant donné son affectation, il ne pourrait pas répondre de tel

14 comportement, il ne devrait répondre que de ce qui se passait dans le

15 secteur économique et commercial.

16 Question: Monsieur, nous ne parlons pas maintenant de votre frère. Nous

17 parlons de directeur en général, nous parlons d'un directeur de camp

18 quelconque pour dire que le directeur d'un tel camp, d'une telle prison

19 peut prendre part à un acte illégal lorsqu'il ne protège pas les détenus

20 et les prisonniers. C'est un fait qui devait vous être connu.

21 Réponse: J'ignore qu'il était directeur du camp.

22 Question: Monsieur, je vous ai déjà dit tout à l'heure que nous ne sommes

23 pas en train de parler de votre frère. Nous parlons de ce dont vous avez

24 été informé au sujet de ce que la position d'un directeur de camp

25 représente, et ce à quoi vous vous attendez lorsque nous parlons du

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1 comportement d'une telle personne. Vous savez qu'un directeur qui serait

2 prêt à violer le règlement et qui ne serait pas prêt pour autant à

3 protéger les prisonniers et les détenus de ce camp, pourrait être passible

4 de peine plus tard, n'est-ce pas?

5 Réponse: En ce qui me concerne, je ne comprends pas très bien comment se

6 présente le poste de travail auquel serait nommé un tel directeur, lorsque

7 vous dites qu'il doit répondre de l'ensemble du camp qui a été établi au

8 KP Dom.

9 Question: Monsieur, le commandant du camp de Jasenovac est responsable de

10 ce qui s'était passé avec les Serbes qui y étaient et qui ont été étudiés.

11 Là il n'y a aucun doute, n'est-ce pas?

12 Réponse: Je ne sais pas, moi, pour ma part, qui devait en être

13 responsable.

14 Question: Monsieur, ma question est fort simple: le commandant du camp de

15 la mort de Jasenovac est responsable de ce qui s'était produit, n'est-ce

16 pas? Et récemment encore, il a été traduit en justice devant un Tribunal

17 en Croatie. Et vous le saviez?

18 Réponse: Non, je ne sais pas, je n'ai pas fait d'école, moi, ni d'études

19 qui m'auraient permis de le savoir.

20 Si je l'avais fait, j'aurais été au moins juge ou enfin à un poste

21 important, un poste beaucoup plus important!

22 Question: Monsieur, au cas où votre frère aurait été le directeur de

23 l'ensemble du KP Dom, c'est-à-dire responsable de tous les détenus, il

24 aurait été responsable des actes qui auraient provoqué la mort de ces

25 détenus, de ces prisonniers, n'est-ce pas?

Page 7093

1 Réponse: Oui, s'il avait été. Mais comme il ne l'a pas été, il ne peut pas

2 évidemment en être responsable.

3 Question: Et quant à ces responsabilités qui incombent au directeur, et

4 desquelles responsabilités il devait être chargé, vous avez pensé que,

5 d'après vous, il n'a pas été très sage de la part de votre frère

6 d'accepter cette nomination au poste de directeur temporaire, n'est-ce

7 pas?

8 Réponse: Mon frère a été nommé par la municipalité en qualité de directeur

9 temporaire -c'est une nomination d'ailleurs qui est l'œuvre du Comité

10 municipal exécutif, notamment en vue de relancer l'économie.

11 Question: Ce que vous avez craint comme pouvant se produire au KP Dom

12 s'est produit en effet au KP Dom: les détenus et les prisonniers ont été

13 maltraités au KP Dom. Le saviez-vous?

14 Réponse: Je ne sais pas qui les a maltraités et qui on a abusé.

15 Question: Mais vous savez que les Musulmans au KP Dom ont été maltraités

16 et passés à tabac, même exécutés. Vous le saviez, vous?

17 Réponse: Non, je ne suis pas au courant de cela.

18 Question: Vous saviez aussi que des civils musulmans, des hommes honnêtes,

19 y étaient détenus? Et vous saviez que ceci n'était pas équitable, que ceci

20 n'était pas juste?

21 Réponse: Personnellement, j'ignore qui y était détenus pour parler de

22 leurs noms. Parce que, d'une manière générale, j'en connais très peu et je

23 sais seulement qu'on disait, en parlant d'eux, que c'étaient des

24 Musulmans.

25 Question: Oui. Et c'était la seule raison pour laquelle ils y ont été

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1 détenus: cela est clair, n'est-ce pas?

2 Réponse: Voulez-vous répéter votre question, s'il vous plaît?

3 Question: Vous avez dit: "Je sais qu'en parlant de ces gens-là, de ces

4 détenus, on disait qu'ils étaient des Musulmans". Alors je vous demande,

5 pour préciser, si c'était la seule raison pour laquelle ils ont dû être

6 détenus: parce qu'ils étaient des Musulmans?

7 Réponse: Je ne pense pas que seuls les Musulmans y étaient détenus. Ceux-

8 ci étaient pris en charge par l'armée. Il y avait des gens qui ont été

9 détenus. Personnellement, je ne sais pas qui a été détenu mais il y avait

10 des Serbes qui étaient détenus. Alors que moi, je n'y étais pas, là,

11 pendant un certain temps.

12 Question: Je prie l'huissier de remettre au témoin la liste des noms. Il

13 s'agit du document P456, pièce à conviction P456.

14 (L'huissier s'exécute.)

15 Monsieur, le deuxième nom que nous lisons sur cette liste -lequel nom il

16 ne faut pas prononcer, Monsieur: il faut simplement se servir du chiffre

17 249-, parlant d'elle, vous avez dit que cette personne était un bon

18 mécanicien et que vous le connaissiez bien. Ce n'était pas un criminel

19 mais il était détenu au KP Dom du simple fait qu'il était musulman, n'est-

20 ce pas?

21 Réponse: Etait-il détenu du simple fait qu'il était musulman ou serbe?

22 Ceci, je l'ignore. Mais ce que je sais, c'est que c'était un bon mécano,

23 un bon mécanicien et un excellent travailleur.

24 Question: Mais vous savez qu'il était musulman? On peut le savoir d'après

25 son nom!

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1 Réponse: Je le sais et il n'était pas le seul: nombreux sont ceux qui y

2 ont été détenus. Et moi, je ne connais pas ce nombre de détenus.

3 Question: Et vous saviez bien que ceci n'était pas vraiment équitable de

4 voir détenir les gens qui n'étaient pas des combattants, n'est-ce pas?

5 Réponse: Personnellement, je ne savais pas que ces gens-là étaient

6 détenus, non plus que je ne savais s'ils étaient relâchés. J'avais mes

7 problèmes et mes soucis à moi, en dehors du KP Dom également.

8 Question: Monsieur, vos soucis concernaient également le directeur du

9 camp. Vous avez dû être inquiet du fait qu'il devait répondre de ce qui

10 s'était passé une fois la guerre terminée. Et vous les avez exprimés, les

11 soins qui étaient les vôtres, à l'adresse des détenus, des détenus

12 musulmans, n'est-ce pas?

13 Réponse: Je vous prie de répéter cette question.

14 Question: Votre préoccupation concernant la position du directeur du KP

15 Dom et relative au fait qu'il était responsable de ce qu'il était advenu

16 des Musulmans. Vous, vous en avez fait part à des Musulmans, à des détenus

17 musulmans, n'est-ce pas?

18 Réponse: Non, je n'ai pas été préoccupé parce qu'il n'était pas le

19 directeur du camp et d'ailleurs, je n'en ai jamais fait part à qui que ce

20 soit.

21 Question: Vous connaissiez M. Lisica, surnommé "Lija", parce qu'il était

22 soudeur et mécanicien auto. Enfin, vous le connaissiez bien et il a

23 travaillé à l'atelier de mécanique pendant la guerre.

24 Réponse: J'avais connu Lisica de l'époque du fonctionnement du garage

25 service de réparations Ozren. Une fois, en ce qui me concerne, pour parler

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1 du KP Dom, une fois je l'ai vu au KP Dom, mais évidemment sans avoir la

2 possibilité de le rencontrer.

3 Question: Monsieur Lisica habitait très près du quartier Cerezluk, n'est-

4 ce pas?

5 Réponse: Permettez-moi de vous dire que ce n'est pas si près que cela, il

6 habitait plutôt près de l'église, dans le quartier nommé Cohodar Mahala.

7 Question: Par conséquent, vous saviez où il habitait. Non seulement vous

8 le connaissiez parce que vous l'aviez rencontré avant à Ozren, mais vous

9 saviez également où il habitait.

10 Réponse: Je ne savais pas personnellement où se trouvait sa maison, mais

11 je sais qu'il habitait à peu près dans cet aire-là qui n'est pas très

12 éloignée du marché au bétail.

13 Question: Monsieur, vous avez également vu M. Lisica à Cerezluk parce

14 qu'il était ami avec la famille Kunarac, avec notamment M. Lekso Kunarac,

15 n'est-ce pas?

16 Réponse: Je n'ai pas pu le voir a Cerezluk, Lekso n'habitait pas Cerezluk,

17 ils étaient en dehors de Cerezluk jusqu'à une distance d'un kilomètre et

18 demi, alors que lui, il habitait encore plus loin que Lekso.

19 Question: Au sujet de la famille Kunarac, vient-elle de Cerezluk ou savez-

20 vous d'où ils viennent, de quel village ils viennent?

21 Réponse: Pour autant que je puisse m'en souvenir, la famille Kunarac

22 devrait tirer son origine de la localité nommé Zavajit.

23 Question: Vous dites donc, vous affirmez donc que vous n'avez vu M. Lisica

24 qu'une fois et cela de loin, sans avoir donc de rencontre avec lui. Mais

25 c'était le seul soudeur au KP Dom, n'est-ce pas?

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1 Réponse: Je ne sais pas s'il était le seul soudeur. En tout cas, lorsque

2 je l'ai vu cette fois-ci, ce n'était qu'au passage, du côté droit de mon

3 passage, à l'entrée de l'atelier de mécanique où je me rendais pour

4 rencontrer un des mécaniciens.

5 Question: En tant que chauffeur, vous aviez des contacts assez fréquents

6 avec les mécaniciens car c'est eux qui réparaient les véhicules, n'est-ce

7 pas?

8 Réponse: Non, pas souvent, ce n'était pas nécessaire. Nos véhicules

9 étaient en très bon état lorsque la guerre a éclaté, ils avaient tous été

10 réparés déjà. Il faut dire que nous n'avions pas non plus les pièces

11 détachées pour réparer les véhicules en question. C'était l'entreprise

12 d'Ozren, le garage Ozren à Brod qui s'en occupait.

13 Question: Mais Monsieur, vous n'avez pas seulement vu M. Lisica de très

14 loin une seule fois, vous l'avez vu assez souvent et vous lui parliez

15 quand même assez souvent. N'est-ce pas la vérité?

16 Réponse: Je ne le voyais pas souvent, je ne m'entretenais pas avec lui

17 souvent non plus. Ma présence était assez rare dans la cour ou devant la

18 cour. J'étais en fait souvent absent.

19 Question: Vous avez parlé avec M. Lisica de votre famille respective,

20 n'est-ce pas?

21 Réponse: Non, jamais, ni avant la guerre ni pendant la guerre.

22 Question: Vous avez dit à M. Lisica que votre fils Momo travaillait au KP

23 Dom, n'est-ce pas? C'est vous qui lui aviez appris ce fait, n'est-ce pas?

24 Réponse: Non, jamais. Avant la guerre, je n'avais aucune conversation avec

25 les condamnés, et surtout pas pendant la guerre puisque les problèmes

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1 étaient énormes. Et alors, je n'avais absolument aucune intention ou envie

2 de parler à ces gens-là.

3 Question: Puisque nous avons déjà parlé de votre fils Momo, les enquêteurs

4 de la défense, en fait, l'enquêteur de la défense qui s'appellera Rada

5 Sestovic Krnojelac, c'est bien la femme de votre fils, n'est-ce pas?

6 Réponse: Je ne vous ai pas compris.

7 Question: Est-ce que Mme Rada Sestovic Krnojelac est bien votre bru?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Et vous saviez qu'elle était un enquêteur de la part de la

10 défense?

11 Réponse: Je ne le sais pas.

12 Question: Au mois d'août 1992, vous avez dit à M. Lisica que le directeur

13 du KP Dom était votre frère et que vous n'étiez pas d'accord avec le fait

14 qu'il ait accepté ce poste, n'est-ce pas?

15 Réponse: Je n'ai pas dit cela et je ne me suis même pas entretenu avec

16 Lisica, je n'aurais donc pas pu le lui dire.

17 Question: Monsieur, vous avez dit que vous ne connaissiez pas M. Ekrem

18 Zekovic. C'est ce que vous nous avez dit hier lors de votre déposition.

19 Mais ce n'est pas vrai, n'est-ce pas?

20 Réponse: Oui.

21 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Connaissez-vous Zeka?

22 M. Bakrac (interprétation): Juste un instant, s'il vous plaît! Objection,

23 Monsieur le Président.

24 M. le Président (interprétation): Oui?

25 M. Bakrac (interprétation): La première partie de la question de mon

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1 éminente collègue était: "Hier, vous avez déclaré ne pas connaître

2 Zekovic"; alors le témoin a dit "oui". Et après ce "oui", ma collègue a

3 poursuivi pour dire: "Vous l'avez dit hier, mais ce n'est pas vrai, n'est-

4 ce pas?".

5 Et au compte rendu d'audience, nous voyons que le témoin dit: "Oui". Ce

6 n'est pas vrai qu'il l'a dit hier. Alors, je vous demanderais de réécouter

7 la bande audio ou simplement de demander à mon éminente collègue de bien

8 vouloir clarifier ce point avec le témoin.

9 M. le Président (interprétation): Ce que j'ai compris, c'est qu'il n'était

10 pas d'accord avec cette affirmation que ce n'était pas vrai. Mais très

11 bien.

12 Vous pouvez peut-être clarifier, Madame Uertz-Retzlaff?

13 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur, est-ce que vous maintenez

14 toujours que vous ne connaissiez pas M. Ekrem Zekovic?

15 M. A. Krnojelac (interprétation): J'affirme que je ne le connaissais pas

16 et je ne sais pas non plus où ce dernier travaillait.

17 Question: Connaissez-vous une personne surnommée "Zeka"?

18 Réponse: Non.

19 Question: Vous n'avez jamais entendu le nom d'Ekrem Zekovic prononcé à

20 quelque moment de l'année que ce soit?

21 Réponse: Je n'ai jamais entendu ce nom d'Ekrem Zekovic, et je n'ai jamais

22 essayé de me renseigner à savoir quels sont les noms de qui que ce soit.

23 Question: Monsieur, vous étiez au KP Dom au mois de juillet 1993, n'est-ce

24 pas?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Et en date du 8 juillet 1993, Ekrem Zekovic s'est échappé du KP

2 Dom. Vous connaissiez cela, vous aviez connaissance de cet événement,

3 n'est-ce pas?

4 Réponse: Au mois de juillet, pour ce qui me concerne, donc en juillet

5 1993, je ne travaillais pas au KP Dom, car je me trouvais dans mon village

6 et je coupais du foin, je fauchais de l'herbe!

7 Question: Monsieur, il n'y a que quelques instants, vous avez confirmé

8 avoir été au KP Dom au mois de juillet 1993, alors que maintenant, vous

9 nous dites que vous ne vous y trouviez pas. Quelle est la vérité?

10 Réponse: La vérité est la suivante: je ne me souviens pas des dates

11 précises, mais je sais qu'entre la fin du mois de juin et le début de

12 juillet, il faut faucher le de foin. Donc, comme je suis agriculteur, pour

13 moi, c'était une période importante; il fallait procéder à ces tâches.

14 Donc Micun Jokanovic m'avait libéré et m'avait donné la permission d'aller

15 au village, de faire des travaux à agricoles, car j'ai effectué de

16 nombreuses heures supplémentaires. C'est la raison pour laquelle il

17 m'avait donné cette permission.

18 Question: Monsieur, vous êtes revenu au KP Dom après la fauchaison?

19 Réponse: Oui, je suis revenu.

20 Question: Mais vous prétendez n'avoir jamais entendu parler d'Ekrem

21 Zekovic qui s'était échappé du KP Dom, et que l'on avait rattrapé par la

22 suite. Est-ce que vous prétendez toujours ne pas avoir connaissance de cet

23 événement?

24 Réponse: Oui, je vous l'affirme, car je n'avais pas eu connaissance de ces

25 événements: je ne faisais que faire mon travail, car ma profession est

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1 d'être chauffeur; je me concentrais là-dessus.

2 Question: Lorsque vous êtes revenu au KP Dom, après le 8 juillet, personne

3 ne vous a informé de cet événement? Personne ne vous a parlé de l'évasion

4 de cette personne?

5 Réponse: Je ne vois pas pourquoi on informerait un simple chauffeur des

6 événements qui ont eu lieu au KP Dom.

7 Question: Monsieur, en automne 1992, vous vous êtes entretenu avec M.

8 Zekovic, surnommé "Zeka", et Zekovic vous a demandé ce qui se passait dans

9 les villages environnants car, en tant que chauffeur, vous saviez beaucoup

10 de choses, n'est-ce pas?

11 Réponse: J'ai dit que je ne m'étais pas entretenu avec lui, je ne sais pas

12 où se trouve son village; donc je n'aurais pas pu lui donner

13 d'informations concernant son village. Je ne me suis jamais rendu à son

14 village.

15 Question: Vous lui avez même dit que vous aviez aidé des Musulmans qui se

16 trouvaient dans les villages environnants, et ce, au printemps de 1992.

17 Réponse: Je n'avais même pas la possibilité d'aller vers ces Musulmans

18 pour leur fournir de l'aide car j'arrivais à peine à m'aider moi-même. Je

19 suis un homme âgé, je l'étais déjà à l'époque et je suis de plus en plus

20 vieux.

21 Question: Vous avez néanmoins dit à M. Zekovic très clairement que vous

22 vous sentiez désolé, que vous étiez désolé de ce qui se passait et de ce

23 qui arrivait aux Musulmans, et que vous étiez complètement en désaccord

24 avec le poste que le SDS avait offert à votre frère. C'est ce que vous

25 avez dit, n'est-ce pas?

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1 Réponse: Je me demande bien comment j'ai pu lui dire ou tenir ces propos,

2 alors que je ne me suis jamais entretenu avec cette personne.

3 Question: Monsieur, dans le cadre de l'interrogatoire principal que vous

4 avez fourni hier, vous avez très souvent dit que ce n'était pas nécessaire

5 de parler de votre frère aux détenus. C'est ce que vous nous avez dit hier

6 mot pour mot.

7 Réponse: Pourriez-vous répéter votre question, s'il vous plaît?

8 Question: Monsieur, hier, j'ai remarqué que lorsque vous aviez dit de ne

9 pas avoir eu ces contacts, à plusieurs reprises vous avez mentionné que ce

10 n'était pas nécessaire de parler de votre frère avec les autres détenus.

11 Vous souvenez-vous avoir dit cela?

12 Réponse: Je ne me souviens pas.

13 Question: Vous avez également dit que vous n'étiez pas censé parler aux

14 détenus et aux condamnés. C'est ce qu'on vous avait dit, vous souvenez-

15 vous d'avoir dit cela hier?

16 Réponse: Non, personne ne m'a rien dit outre le fait que par moi-même, en

17 1977 et 1978, lorsqu'on m'a informé qu'avec les condamnés ce n'était pas

18 permis de parler, et donc j'ai appliqué cette règle jusqu'à ce jour.

19 Question: Mais vous avez parlé avec les détenus: vous nous avez dit hier,

20 lors de votre déposition, qu'à au moins une reprise vous avez fumé une

21 cigarette avec un mécanicien. Vous parliez à ces gens, n'est-ce pas?

22 Réponse: J'ai dit hier que j'étais allé voir un mécanicien afin que ce

23 dernier puisse examiner mon camion fourgon car je devais partir en voyage.

24 Et pendant qu'il procédait à la vérification, je suis entré moi-même dans

25 le canal pour voir de quoi il s'agissait. C'est à ce moment-là que j'ai

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1 allumé une cigarette et je lui ai laissé cinq cigarettes, quatre ou cinq

2 cigarettes pour qu'il fume tout seul.

3 Question: Mais si j'ai bien compris, aujourd'hui, en réalité vous espérez

4 ... En fait, en réalité, aujourd'hui, vous regrettez d'avoir parlé aux

5 détenus parce que ce n'est pas bon pour votre frère. Mais la réalité est

6 qu'effectivement, vous vous êtes entretenu avec ces détenus, vous leur

7 avez parlé de votre frère, vous avez parlé de votre frère avec Lisica,

8 avec le n° 73 et avec Zekovic.

9 Réponse: Cela ne peut pas être la vérité car moi-même, je n'ai pas

10 travaillé dans la cour. Je n'étais pas dans l'enceinte en tant que tel et

11 je n'ai pas pu voir ces personnes desquelles vous parlez, car je

12 travaillais à l'extérieur de l'enceinte même, du périmètre en tant que

13 tel. Alors qu'eux, ils n'étaient pas là, à cet endroit-là.

14 Question: Est-ce qu'il vous est arrivé de dire à votre frère Milorad

15 Krnojelac que vous n'étiez pas d'accord avec le fait qu'il ait accepté le

16 poste de directeur adjoint, de directeur intérimaire? Est-ce que vous lui

17 avez dit cela à quelque moment que ce soit?

18 Réponse: Non, je ne lui ai pas dit cela parce que c'est un homme qui aime

19 bien travailler et non seulement il était très capable; c'était un homme

20 qui pouvait faire le travail de directeur non seulement un travail

21 d'administrateur, et donc c'est nécessaire d'avoir quelqu'un qui pouvait

22 bien travailler à l'époque.

23 Il avait trois employés dans le département commercial et ils

24 travaillaient tous pendant la guerre, et c'était nécessaire d'avoir

25 quelqu'un qui était en mesure de prendre des décisions.

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1 Question: Monsieur, plus tard, alors que les événements se déroulaient,

2 est-ce que vous avez jamais parlé à quelque moment que ce soit à votre

3 frère? Lui avez-vous dit qu'il y avait des problèmes au KP Dom et que...

4 Avez-vous parlé de votre poste? En fait, avez-vous parlé du fait qu'il ait

5 accepté ce poste de directeur temporaire?

6 Réponse: Nous n'avons jamais parlé des problèmes au KP Dom à l'exception

7 du fait que quand je revenais d'un long voyage, je lui racontais, je lui

8 disais que j'étais fatigué. Et puis, il ne faisait que hausser les épaules

9 et ça se terminait comme ça.

10 Question: Il ne vous a jamais dit, néanmoins, qu'il avait essayé de se

11 faire remplacer ou de quitter ce poste de directeur temporaire?

12 Réponse: Non, il ne me l'a pas dit mais il n'avait pas le temps non plus

13 de le faire car il était très préoccupé, car il devait se procurer de la

14 nourriture pour les humains et également des aliments pour le bétail, le

15 fourrage; donc il n'avait pas le temps de s'occuper de cela ou de

16 s'entretenir de cela avec moi. Il n'avait même pas le temps de se reposer.

17 Question: Oui, très bien. Mais au mois de juillet 1992, le ministère de la

18 Justice l'a nommé en tant que directeur permanent à ce poste. Vous saviez

19 ceci, n'est-ce pas? Et vous n'arrêtez pas de dire qu'il était directeur

20 temporaire?

21 Réponse: Je ne le sais pas personnellement. Je sais que moi, je

22 l'interpellais en l'appelant "directeur". Des fois, je lui disais: "espèce

23 de commercial" aussi, pour blaguer. Mais il ne m'a jamais parlé de rien de

24 spécial et je ne lui ai jamais posé des questions. Et il ne m'a jamais

25 parlé de cette permanence qu'il avait reçue.

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1 Question: Monsieur, vous avez dit ne jamais avoir entendu parler du fait

2 qu'un détenu s'était évadé. Avez-vous jamais entendu, à quelque moment que

3 ce soit, qu'un garde ou qu'un membre de l'effectif de l'administration a

4 été sanctionné, a reçu des mesures disciplinaires pour ne pas avoir bien

5 pris ses tâches ou ses responsabilités, ou ne pas les avoir effectuées de

6 façon adéquate? Est-ce que vous le saviez, aviez-vous entendu parler de ce

7 fait?

8 Réponse: Non, je sais que jusque avant la guerre, je n'avais jamais

9 entendu parler de ces choses-là et je ne peux pas non plus vous dire que

10 j'ai su que quiconque avait été sanctionné, si je vous ai bien compris,

11 parce que la personne n'avait pas été disciplinée. De cela, je n'ai jamais

12 entendu parler.

13 Question: Monsieur, le KP Dom disposait d'un entrepôt pour l'essence,

14 n'est-ce pas?

15 Réponse: Il s'agissait d'un garage dans lequel on entreposait l'essence,

16 les huiles, les lubrifiants, les carburants et ainsi de suite.

17 Question: Et votre frère Milorad Krnojelac avait rempli... enfin, pouvait

18 se servir de l'essence pour s'approvisionner pour sa Yugo rouge? C'est là

19 qu'il allait, il allait à ce garage-là?

20 Réponse: Ce n'est pas moi qui disposais de cette essence, donc cet

21 événement m'est complètement inconnu.

22 Question: Monsieur, vous nous avez dit un peu plus tôt qu'outre de faire

23 le transport de la marchandise, il vous arrivait également de conduire les

24 détenus jusqu'à la ferme ou jusqu'à l'Ekonomija. Vous en avez parlé,

25 n'est-ce pas?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Qui vous a donné ces tâches, qui vous a demandé de faire ces

3 choses-là? Qui vous attribuait ces responsabilités?

4 Réponse: La personne qui était de service au KP Dom.

5 Question: Est-ce que vous voulez dire le garde qui était de service, le

6 garde qui était assis à l'entrée, tout près du portail d'entrée? De qui

7 parlez-vous exactement?

8 Réponse: Au portail, la personne qui était de garde m'attribuait des

9 tâches et me demandait de me placer avec le véhicule devant le portail.

10 C'est lui qui me disait de conduire des gens vers l'Ekonomija, vers la

11 ferme.

12 Question: Où est-ce qu'il pouvait vous trouver? Où vous trouviez-vous

13 normalement?

14 Réponse: Normalement, nous nous trouvions dans un ancien bureau du

15 chauffeur. C'est à cet endroit-là que le chef du transport se trouvait.

16 Donc, de cet endroit-là, nous nous déplacions également vers le réfectoire

17 qui se trouvait à l'extérieur de l'enceinte. C'est là que nous prenions

18 nos repas et c'est là que nous buvions nos cafés également.

19 Question: Et l'ancien bureau qui appartenait au chauffeur, est-ce que ce

20 bureau se trouvait dans le bâtiment administratif?

21 Réponse: Non. Cela se trouvait devant le bâtiment administratif et donc,

22 dans la cour ou dans l'enceinte, alors qu'on entrait au bâtiment

23 administratif et donc cela, cette pièce était un peu éloignée du portail,

24 elle se trouvait plutôt près de la porte d'entrée de l'atelier mécanique.

25 Question: Avec l'aide de l'huissier, je souhaiterais montrer au témoin la

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1 pièce à conviction P6.

2 Monsieur, j'espère que vous allez pouvoir bien voir ce qui se trouve sur

3 ce document. Est-ce que vous êtes en mesure de voir où cet endroit se

4 trouve sur cette carte?

5 Réponse: La personne qui a fait ce croquis devrait bien me montrer ou me

6 dire comment elle a dessiné ceci. Je ne suis pas ingénieur, je ne peux pas

7 lire ce plan. Si c'était écrit en serbe, je pourrais lire ou je pourrais

8 éventuellement m'y retrouver.

9 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur, nous allons placer cette

10 carte sur le rétroprojecteur de sorte que nous allons pouvoir faire un

11 zoom. De cette façon, comme il y a une inscription en langue serbe, vous

12 allez pouvoir voir l'inscription en question. Je demanderai à la régie

13 technique de nous donner un coup de main, s'il vous plaît.

14 Nous ne pouvons rien voir sur le rétroprojecteur...

15 M. le Président (interprétation): Je suis vraiment désolé de vous le dire

16 mais nous avons la vue de la Chambre qui nous montre votre dos! Bien,

17 maintenant essayons de placer ce document convenablement sur le

18 rétroprojecteur.

19 Mme Uertz-Retzlaff (interprétation): Monsieur le Président, je crois que

20 nous avons un problème technique. Je remarque également qu'il est 16

21 heures, alors je ne sais pas si vous désirez lever la séance...

22 M. le Président (interprétation): Cela ne devrait pas durer encore très

23 longtemps. En fait, vous avez encore plusieurs questions pour ce témoin,

24 j'imagine. Donc nous allons lever la séance jusqu'à lundi matin, 9 heures

25 30. Merci. (L'audience est levée à 15 heures 58.)