Affaire n° : IT-98-33-A
LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président

M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge David Hunt
M. le Juge Mehmet Güney

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Arrêt du :
1er juillet 2003

LE PROCUREUR

c/

Radislav KRSTIC

_____________________________

ARRÊT RELATIF À LA DEMANDE D’INJONCTIONS

_____________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les conseils de l’accusé :

MM. Nenad Petrusic et Norman Sepenuk

 

1. L’appelant Radislav Krstic (« Krstic ») a demandé que soient délivrées à deux témoins éventuels une injonction de comparaître en un lieu (qui reste à désigner ), en Bosnie-Herzégovine1. Il s’agit de donner au conseil de Krstic l’occasion d’interroger ces témoins en vue d’ajouter des éléments à la demande déjà déposée en vertu de l’article 115 du Règlement de procédure et de preuve (« Règlement ») aux fins de l’admission d’éléments de preuve supplémentaires à l’appui de l’appel interjeté de sa condamnation.

2. La demande d’injonctions de comparaître se fonde sur l’article 54 du Règlement, lequel dispose que :

À la demande d’une des parties ou d’office, un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite du procès.

Cet article s’applique, mutatis mutandis, à la procédure devant la Chambre d’appel2. La demande soulève des questions qui revêtent une certaine importance pour la procédure du Tribunal dans son ensemble et c’est pourquoi la présente Décision est rendue publiquement en dépit du caractère confidentiel de la Requête3.

3. L’importance de ces questions tient au nombre croissant de demandes d’admission d’éléments de preuve supplémentaires en appel, suite à la communication par l’Accusation, après le jugement de première instance et conformément à l’obligation de communication permanente que lui fait l’article 68 du Règlement4, de déclarations recueillies auprès de personnes qui connaissent les événements examinés par la Chambre de première instance et qui — pour utiliser un terme neutre — placent ces événements sous un autre éclairage.

4. Dans ce cas, pour que les déclarations soient admises en appel, la Défense doit tout d’abord établir « la non-disponibilité au procès5 » de la déclaration elle-même, mais aussi celle des éléments de preuve qu’elle contient sous quelque forme que ce soit. Elle tente souvent de répondre à cette condition en affirmant qu’elle a tenté avant le procès ou durant celui-ci de s’informer auprès des témoins éventuels des éléments de preuve qu’ils pourraient fournir, mais que ceux-ci se sont abstenus de coopérer ou ont refusé de le faire.

5. Cependant, pour que des éléments de preuve supplémentaires soient admis en vertu de l’article 115 du Règlement, la Défense doit démontrer non seulement que ceux- ci n’étaient pas disponibles au procès, mais aussi que l’exercice de la diligence voulue n’aurait pas permis de les découvrir6, c’est-à-dire montrer (notamment) qu’elle a eu recours à

[...] tous les mécanismes de protection et de contrainte prévus par le Statut et le Règlement du Tribunal international afin de présenter les moyens de preuve à la Chambre de première instance7

et qu’elle a signalé à la Chambre de première instance toutes les difficultés rencontrées pour obtenir des éléments de preuve au nom de l’accusé, y compris celles résultant de manœuvres d’intimidation et de son incapacité à retrouver certains témoins8. L’obligation de diligence se rapporte donc directement aux procédures du Tribunal (en particulier, à celle de l’article 54 du Règlement) aussi bien avant le procès, que durant celui-ci et en appel.

6. En réponse à la demande d’admission d’éléments de preuve supplémentaires en vertu de l’article 115, présentée par Krstic en appel de sa condamnation9, l’Accusation a avancé, comme elle le fait dans la plupart des cas, qu’il n’avait pas exercé la diligence voulue durant le procès. Elle a affirmé que les articles  54 (injonction de comparution) et 71 (recueil de dépositions) indiquent les « mécanismes de protection et de contrainte » qu’il aurait dû utiliser — ce qu’il n’a pas fait — avant le procès ou durant celui-ci10.

7. À l’Accusation, qui lui reprochait de ne pas avoir exercé la diligence voulue, Krstic a répondu qu’aucun conseil de la Défense ne contraindrait un témoin à comparaître ni ne tenterait de faire recueillir sa déposition (tout particulièrement en présence de l’Accusation) à moins d’avoir « une idée au moins approximative des informations que celui-ci aurait à offrir11 », et qu’aucun ne citerait le témoin « de but en blanc », sans s’être auparavant renseigné sur ce qu’il avait à dire12. Krstic a également avancé que les mesures demandées en application de l’article 54 seraient refusées au motif qu’elles ne sont pas « nécessaires » lorsque le témoin a refusé d’être interrogé13.

8. La Chambre d’appel admet que, lorsque la Défense ne connaît pas la nature précise des éléments de preuve qu’un témoin éventuel peut offrir et n’a pas pu obtenir qu’il coopère de son plein gré, il ne serait pas raisonnable de lui demander d’utiliser « tous les mécanismes de protection et de coercition disponibles » pour contraindre le témoin à déposer « de but en blanc » devant la Chambre sans savoir à l’avance ce qu’il dira. Cela serait contraire au devoir du conseil, qui est d’agir avec compétence et loyauté envers son client14. C’est pourquoi il n’est généralement pas approprié dans ce cas de délivrer une injonction de comparaître au témoin éventuel (article 54) ni de recueillir sa déposition pour l’utiliser par la suite durant le procès (article 71)15.

9. Toutefois, c’est à tort que la Défense suppose dans sa Réplique que la délivrance d’injonctions de comparution de témoins devant la Chambre compétente épuise les possibilités de l’article 54. Le texte même de cet article et la Décision Tadic 16 le montrent clairement : l’intention n’était pas que la Défense ne soit tenue d’utiliser « tous les mécanismes de protection et de coercition disponibles » que lorsqu’elle sait quels éléments de preuve le témoin éventuel a à offrir mais que celui-ci refuse de coopérer (pour quelque raison que ce soit). Pour faire preuve de la diligence voulue, la Défense doit utiliser les mécanismes appropriés, même si elle ne connaît pas la nature précise du témoignage éventuel, dès lors qu’elle ne peut obtenir la coopération du témoin en s’adressant à lui.

10. L’article 54 autorise un juge ou une Chambre de première instance à délivrer les ordonnances et injonctions « nécessaires aux fins [...] de la préparation ou de la conduite du procès ». Cela lui donne de toute évidence la possibilité, lorsque la préparation ou la conduite du procès l’exigent, de délivrer une injonction convoquant un témoin éventuel à une date et en un lieu donnés pour y être interrogé par la Défense. Par analogie avec les demandes de consultation de documents confidentiels produits dans d’autres affaires (demandes qui doivent être justifiées par un motif judiciaire légitime), une ordonnance ou une injonction de comparaître en application de l’article 54 deviendrait « nécessaire » au sens de cet article si la Défense présentait un motif judiciaire légitime de procéder à cet interrogatoire. Le demandeur d’une telle ordonnance ou injonction avant le procès ou durant celui-ci doit démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le témoin éventuel sera en mesure de donner des renseignements qui apporteront une aide sensible à sa cause sur des questions précisément identifiées et qui seront débattues au procès17.

11. La rôle joué par le témoin éventuel dans les événements considérés, les relations qu’il a ou a pu avoir avec l’accusé et qui pourraient être en rapport avec les accusations, le fait que l’on pense qu’il a eu la possibilité d’observer les événements (ou d’en apprendre l’existence) et toute déclaration qu’il a faite à l’Accusation ou à d’autres sur ces événements permettront, pour une large part, de déterminer si le témoin éventuel dispose d’éléments qui apporteront une aide sensible à la cause de la Défense. Il faudrait que ce critère soit appliqué avec suffisamment de souplesse. Cependant, comme c’est également le cas pour les demandes de consultation de documents confidentiels, la Défense ne sera pas autorisée à se lancer dans une campagne de pêche aux informations lorsqu’elle ne sait pas si la personne visée dispose d’informations pertinentes mais demande toutefois à l’interroger, dans l’unique but d’apprendre si cette personne dispose ou non d’informations qui pourraient lui être utiles.

12. Lorsque le témoin éventuel a déjà refusé de coopérer avec la Défense, cette procédure ne serait bien sûr adoptée que si le juge ou la Chambre de première instance considérait qu’une telle ordonnance permettrait très probablement d’obtenir sa coopération. La Défense ne peut prendre seule une telle décision sans risque d’erreur. Si le juge ou la Chambre de première instance décidait que cela ne permettrait probablement pas d’obtenir la coopération souhaitée, ou si une telle ordonnance n’avait pas les effets escomptés, il ou elle pourrait à défaut adresser au témoin éventuel une ordonnance ou une injonction de comparaître devant le Tribunal en application de l’article 54. Le juge ayant délivré l’injonction lui expliquerait alors l’importance de sa coopération pour parvenir à un jugement équitable et le type de protection que le Tribunal peut lui offrir, si nécessaire. Si l’on obtient la coopération recherchée, la Défense pourra interroger le témoin, mais en privé, avant que le Tribunal ne le laisse partir18.

13. Dans certains cas, une fois que les difficultés rencontrées par la Défense ont été portées à l’attention de la Chambre, il se peut que l’Accusation, conformément à son devoir d’assister le Tribunal aux fins d’établir la vérité et de rendre justice (entre autres) aux accusés19, utilise ses propres ressources et ses pouvoirs un peu plus vastes (y compris celui de persuader ) pour permettre un entretien direct entre le témoin éventuel et la Défense.

14. Soulignons également que l’obligation faite à la Défense d’informer la Chambre qu’elle ne peut obtenir la coopération d’un témoin éventuel, que mentionne la Décision Tadic, constitue non seulement une première étape dans l’exercice de la diligence voulue mais également une garantie, puisque le refus du témoin éventuel est enregistré au moment des faits. Cela évite que l’Accusation reproche ensuite à la Défense — ce qu’elle fait inévitablement lorsque celle-ci demande ensuite l’admission d’éléments de preuve supplémentaires durant l’appel interjeté de la condamnation — de ne pas pouvoir prouver qu’elle a tenté en vain, comme elle l’affirme, d’obtenir la coopération d’un témoin éventuel.

15. Bien entendu, il ne suffit pas d’informer la Chambre pour satisfaire à l’obligation de diligence. La Défense doit également demander à la Chambre de première instance de prendre des mesures pour contraindre le témoin éventuel récalcitrant à coopérer. Si celle-ci refuse les mesures demandées parce qu’elle les juge inappropriées dans l’affaire dont elle est saisie ou si, les mesures étant accordées, tous les moyens dont dispose le Tribunal échouent, en règle générale, le conseil serait réputé avoir exercé la diligence voulue à l’égard de ce témoin.

16. Si, dans une affaire, la Défense n’a pas exercé la diligence voulue parce qu’elle n’a pas fait ces démarches, elle sera tenue, généralement lorsqu’elle demandera l’admission d’éléments de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement au cours de l’appel interjeté de la condamnation, d’établir en outre que l’exclusion des éléments de preuve supplémentaires pourrait causer une erreur judiciaire20.

17. Lorsque, comme en l’espèce, un appelant demande la délivrance d’une injonction de comparaître à un témoin éventuel pour que celui-ci soit interrogé en vue de présenter son témoignage en appel en application de l’article 115, le motif judiciaire légitime qu’il convient d’établir est légèrement différent. L’appelant doit démontrer qu’il a des motifs raisonnables de croire que le témoin éventuel pourra vraisemblablement donner des informations qui l’aideront sensiblement sur des questions nettement identifiées soulevées dans le cadre de l’appel interjeté de la condamnation, que la Défense n’a pu obtenir la coopération du témoin et que l’on peut à tout le moins raisonnablement s’attendre à ce qu’une ordonnance permette d’obtenir la coopération nécessaire pour que la Défense puisse interroger le témoin. Si cela est établi, alors, sous réserve de la réponse apportée à la question d’ordre général soulevée par l’Accusation en l’espèce, l’appelant aurait droit à ce que soient rendues les ordonnances qu’il demande en application de l’article 54.

18. Les deux témoins éventuels concernés par la présente demande ont fait une déclaration à l’Accusation après le procès et ont par conséquent coopéré avec l’Accusation21. Selon Krstic, les déclarations indiquent que chacun d’eux a connaissance de faits pertinents pour l’appel et l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que des questions supplémentaires permettent de préciser la nature de ces connaissances. Les preuves présentées par Krstic sur ces points ne peuvent être mentionnées dans la présente décision publique. L’Accusation s’est montrée équitable en déclarant n’avoir aucune objection de principe à ce que la Défense interroge les deux témoins éventuels22, et en paraissant clairement accepter (si on la lit en contexte) que ces documents suffisent à établir ce qui est requis pour délivrer une injonction de comparution à l’égard des deux témoins, sous réserve de la réponse apportée à la question d’ordre général soulevée par l’Accusation. La Chambre d’appel (le Juge Shahabuddeen excepté ) est convaincue que, sous réserve de la réponse apportée à la question d’ordre général soulevée par l’Accusation, Krstic aurait droit à voir délivrées les deux injonctions qu’il demande. La Chambre va maintenant examiner la question d’ordre général susmentionnée.

19. L’Accusation reconnaît que le Tribunal a le pouvoir de délivrer à un témoin une injonction de comparaître ou de produire les documents par lesquels il a eu connaissance des informations au sujet desquelles il doit déposer, ou les documents que cette personne doit produire en tant qu’individu agissant à titre privé23. Cela est juste. Dans la Décision Blaskic24, la Chambre d’appel a considéré que le Statut conférait ce pouvoir au Tribunal à titre de compétence incidente ou accessoire25. L’Accusation signale cependant que, lors des événements sur lesquels Krstic affirme que ces témoins éventuels pourraient déposer, tous deux étaient officiers dans l’armée d’un État ou d’une entité26 et que, quelles que soient les informations pertinentes qu’ils ont pu avoir, ils les auraient obtenues en qualité de responsables officiels et dans le cadre de leurs fonctions officielles, plutôt que comme personnes agissant à titre privé27. Il semble en être ainsi au vu des documents fournis dans la Requête et des déclarations faites par les témoins éventuels dans leurs déclarations à l’Accusation. Dans ces circonstances, selon l’Accusation, la Chambre peut voir son pouvoir de délivrer des injonctions « limité »28. L’Accusation fonde son argument sur un certain nombre de passages de la Décision Blaskic rendue par la Chambre d’appel.

20. Dans cette Décision, la Chambre d’appel affirme qu’une injonction peut être délivrée à des responsables officiels lorsqu’ils ont obtenu des éléments de preuve pertinents avant de prendre leurs fonctions officielles et que ces éléments n’ont aucun rapport avec leurs fonctions « actuelles » de responsables officiels d’un État29 ou lorsqu’ils ont obtenu ces informations alors qu’ils exerçaient leurs fonctions officielles mais non pas dans le cadre de celles-ci30. Dans ces circonstances, le représentant officiel a obtenu l’information en sa qualité de personne privée et non pas dans l’exercice de ses fonctions officielles. Cependant, lorsqu’il a obtenu cette information dans le cadre de ses fonctions officielles, la Chambre d’appel a conclu qu’il bénéficiait d’une immunité de fonction31. Elle a ajouté qu’un organisme international comme le Tribunal doit tenir compte de la souveraineté de chaque État32, que le droit international coutumier protège l’organisation interne de chaque État souverain33 et que comme « comme les agents des États ne sont que des instruments aux mains des États souverains, il n’y a aucun intérêt pratique à les désigner individuellement, à les obliger à produire des documents et à les contraindre à comparaître devant la Cour34  ». Elle a rejeté « la possibilité que le Tribunal international puisse décerner des injonctions aux responsables officiels des États agissant ès qualités35  ». Dans cette affaire, la Chambre d’appel a considéré que, pour obtenir certains documents, il était nécessaire de délivrer à l’État concerné, en application de l’article 29 du Statut, une ordonnance contraignante en vue d’obtenir la production de l’information requise, en laissant à l’État le soin d’identifier la personne chargée d’exécuter cette ordonnance au nom de l’État36.

21. L’Accusation est convaincue que la Requête de Krstic devrait être considérée en cas de nécessité comme une demande d’ordonnance contraignante37 et reconnaît que les conditions applicables à une demande d’ordonnance contraignante ont été remplies38, à l’exception peut-être d’une condition relative à l’un des témoins éventuels39. Le conseil de Krstic a informé la Chambre d’appel verbalement qu’il n’avait pas déposé de réplique à la Réponse de l’Accusation parce qu’il n’estimait pas pouvoir apporter une contribution supplémentaire sur ce point.

22. Il est cependant nécessaire de se prononcer d’emblée sur la question de savoir si la position adoptée par la Chambre d’appel dans la Décision Blaskic empêche de délivrer une injonction de comparaître à un témoin dont on attend qu’il témoigne sur ce qu’il a vu ou entendu alors qu’il était un responsable officiel, dans l’exercice de ses fonctions officielles.

23. La Décision Blaskic concernait la production de documents. L’injonction de production en question avait été adressée à la République de Croatie et au Ministre de la défense en place. La nature de ces documents n’était pas précisée mais la Décision nous permet d’inférer qu’il s’agissait probablement de documents officiels et que c’est parce qu’ils était chargés de la conservation de ces documents que l’État et le ministre se voyaient adresser cette ordonnance. Il est bien connu en droit que, lorsque les documents à produire appartiennent à l’État ou à une entreprise, eux seuls peuvent se voir demander de les produire et que c’est à l’État ou à l’entreprise qu’il revient de désigner l’agent compétent pour ce faire. C’est pourquoi la délivrance d’une injonction au Ministre de la défense aux fins de produire les documents devrait de toutes façons être écartée. La Décision de la Chambre de première instance selon laquelle il aurait fallu, non pas adresser une injonction à un État, mais demander une ordonnance contraignante en application de l’article 29 du Statut du Tribunal, concernait la production de documents et non une comparution aux fins de témoigner.

24. La Décision Blaskic n’avait pas à se prononcer sur la question — qui ne la concernait pas directement —de savoir si l’on pouvait décerner à un individu une injonction de témoigner sur ce qu’il avait vu et entendu en tant que responsable officiel dans l’exercice de ses fonctions. La Chambre d’appel a expliqué qu’on ne pouvait pas adresser d’injonction à des responsables officiels dans l’exercice de leurs fonctions parce que « ces officiels ne sont que des agents de l’État et [que] leurs actions officielles ne peuvent être attribuées qu’à l’État40». Cette affirmation s’applique à la personne chargée de la conservation de documents officiels, mais non à un responsable officiel qui peut témoigner sur ce qu’il a vu et entendu (hormis peut-être s’agissant d’un document officiel). À la différence de la production de documents officiels, l’État ne peut lui-même produire les éléments de preuve que seul ce témoin peut fournir. La référence à l’absence de tout « intérêt pratique [...]à obliger [les responsables officiels] à produire des documents et à les contraindre à comparaître devant la Cour » ne peut s’appliquer qu’aux personnes chargées de la conservation des documents officiels41.

25. La seule décision prise par la Chambre d’appel dans la Décision Blaskic qui concerne directement un responsable officiel dont on s’attend à ce qu’il témoigne sur ce qu’il a vu ou entendu (hormis s’agissant d’un document officiel) dans l’exercice de ses fonctions, c’est qu’il bénéficie d’une immunité de fonction. L’existence de cette immunité n’est pas en cause ici. Ce qui est en cause dans la présente décision, c’est l’étendue de cette immunité de fonction. À ce propos, la Décision Blaskic dit ce qui suit42 :

38. La Chambre d’appel rejette la possibilité que le Tribunal international puisse décerner des injonctions aux responsables officiels des États agissant ès qualités. Ces officiels ne sont que des agents de l’État et leurs actions officielles ne peuvent être attribuées qu’à l’État. Ils ne peuvent faire l’objet de sanctions ou de pénalités pour une action qui n’est pas privée mais entreprise au nom d’un État. En d’autres termes, les responsables officiels des États ne peuvent subir les conséquences des actes illicites que l’on ne peut leur attribuer personnellement mais qui sont imputables à l’État au nom duquel ils agissent : ils jouissent d’une immunité dite fonctionnelle. C’est là une règle bien établie du droit international coutumier qui remonte aux dix- huitième et dix-neuvième siècles43 et qui, depuis, a été réaffirmée à de nombreuses reprises. Plus récemment, la France a adopté dans l’affaire du Rainbow Warrior44 une position fondée sur cette règle. Celle-ci a aussi été clairement énoncée par la Cour Suprême d’Israël dans l’affaire Eichmann45.

La question est développée plus loin46  :

41. [...] Il est bien établi que le droit international coutumier protège l’organisation interne de chaque État souverain. Il laisse à chacun d’eux le soin de déterminer sa structure interne et, en particulier, de désigner les individus qui agiront en tant qu’organes ou agents de l’État. Chaque État souverain a le droit d’adresser des instructions à ses organes, aussi bien ceux opérant au plan national que ceux opérant dans le champ des relations internationales, de même qu’il peut prévoir des sanctions ou autres remèdes en cas de non-respect de ces instructions. Le corollaire de ce pouvoir exclusif des États est que chacun d’eux est en droit d’exiger que les actes ou opérations accomplis par l’un de ses organes agissant ès qualités soient imputés à l’État, si bien que l’organe en question ne peut être tenu de répondre de ces actes ou opérations.

La règle générale en cause est bien établie en droit international et repose sur l’égalité souveraine des États (par in parem non habet imperium). [...]

La règle générale en cause a été appliquée en de nombreuses occasions, même s’il s’agissait principalement de l’appliquer à travers son corollaire, à savoir le droit pour un État de réclamer pour ses organes une immunité fonctionnelle à l’égard des juridictions étrangères (cf. supra, para. 38)47. Cette règle s’applique indubitablement aux relations des États entre eux. Cependant, il convient également, et cela a de fait toujours été le cas, que les organisations et les juridictions internationales en tiennent compte. À chaque fois que ces organisations ou juridictions ont souhaité adresser à des États des recommandations, des décisions (dans le cas du Conseil de sécurité agissant au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies) ou des ordonnances ou requêtes judiciaires, elles se sont abstenues de s’adresser à un responsable officiel particulier de l’État. Elles ont adressé la recommandation, décision ou l’ordonnance judiciaire à l’État pris comme entité, ou à ses “autorités”48. Dans le cas des juridictions internationales, elles ont, bien sûr, transmis leurs ordonnances ou requêtes par l’intermédiaire de l’agent représentant l’État devant la juridiction ou des agents diplomatiques habilités.

[...]

43. Par conséquent, la Chambre d’appel conclut que, d’après le droit international général aussi bien que d’après le Statut lui-même, les Juges ou les Chambres de première instance ne peuvent décerner d’ordonnances contraignantes aux responsables officiels des États. Sans aller jusqu’à qualifier l’obligation visée à l’article 29 d’obligation de résultat, comme l’a avancé un amicus curiae49, il est indéniable que les États, qui sont destinataires de telles obligations, disposent pour s’y conformer d’une relative liberté au plan du choix des personnes responsables et des modalités d’exécution. Il appartient à chaque État concerné de déterminer les organes internes pertinents et compétents pour l’exécution de l’ordonnance. Il s’ensuit que si un Juge ou une Chambre entendent décerner une ordonnance aux fins de production de documents, de saisie d’éléments de preuve, d’arrestation de suspects, etc., ils doivent s’adresser à l’État concerné car il s’agit d’actes impliquant des mesures à prendre par un État, ses organes ou ses responsables officiels.

26. Le raisonnement de la Chambre d’appel dans la Décision Blaskic est que, comme l’agent a agi au nom de l’État, seul l’État peut être tenu responsable des actes de celui-ci50, avec pour corollaire que l’État peut exiger que ses agents (lorsque leurs actes ne sont attribuables qu’à l’État) bénéficient d’« une immunité fonctionnelle à l’égard des juridictions étrangères51 ». La Chambre d’appel affirme que cette règle s’applique bien entendu aux relations entre États, mais que les juridictions internationales, entre autres organismes, doivent en tenir compte et l’ont toujours respectée52. Toutes les sources citées par la Chambre d’appel pour démontrer l’existence d’une immunité de fonction se rapportent à une immunité contre des poursuites. Il se peut (nous n’avons pas à nous prononcer ici) qu’entre États une telle immunité de fonction existe contre des poursuites engagées pour ces actes, mais il n’est pas exact de dire qu’une telle immunité existe dans les tribunaux pénaux internationaux53. Cette immunité a été refusée aux « chefs d’État » et aux « hauts fonctionnaires54 » dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg comme dans le Statut de ce Tribunal55. 27. Mais il ressort très clairement des passages déjà cités de la Décision Blaskic et des paragraphes 23 et 24 ci-dessus que l’énoncé du paragraphe 38 de la Décision Blaskic — « la Chambre d’appel rejette la possibilité que le Tribunal international puisse décerner des injonctions aux responsables officiels des États agissant ès qualités » — n’est justifié que dans le cas de la production de documents que ces personnes sont chargées de conserver en leur qualité officielle. La Chambre d’appel n’a pas affirmé que l’immunité de fonction dont bénéficient les agents des États les dispense de devoir témoigner sur ce qu’ils ont vu ou entendu dans l’exercice de leurs fonctions. Rien de ce qu’a dit la Chambre d’appel dans la Décision Blaskic ne devrait être interprété comme dispensant les représentants officiels de témoigner, comme il est demandé en l’espèce. L’Accusation n’a produit aucune source à l’appui et aucune n’a été découverte. Ce type d’immunité n’existe pas. La question ne se pose pas en l’espèce de savoir s’il existe différentes catégories de responsables officiels auquel ce type d’immunité peut s’appliquer et il n’est donc pas nécessaire de la trancher ici.

28. Si l’agent d’un État témoigne devant le Tribunal, que ce soit sur ordre ou volontairement, il ne peut être contraint à répondre à aucune question portant sur des informations fournies en application de l’article 70, ou sur leur origine, s’il refuse de répondre pour des motifs de confidentialité56. S’agissant de la possibilité qu’on l’interroge sur des questions mettant en jeu des intérêts de sécurité nationale, on pourrait envisager d’adopter une procédure analogue à celle de l’article 54 bis du Règlement.

Dispositif

29. La Chambre d’appel (le Juge Shahabuddeen excepté) ordonne qu’il soit enjoint aux deux témoins éventuels désignés dans la Requête de se présenter en un lieu désigné en Bosnie-Herzégovine à une date qui sera fixée par la Défense de Krstic après consultation avec l’Accusation (et si nécessaire avec la Section des victimes et des témoins ) pour y être interrogés par la Défense de Krstic.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

1er juillet 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Juge Theodor Meron

Le Juge Shahabuddeen joint une opinion dissidente à la présente Décision.

[Sceau du Tribunal]


OPINION DISSIDENTE DU JUGE SHAHABUDDEEN

1. Tout en appréciant l’intention progressiste qui l’anime et bien qu’elle m’agrée à de nombreux égards, je suis dans l’obligation d’expliquer pourquoi il m’est impossible de me ranger à la Décision rendue ce jour s'agissant des deux sujets traités.

A. Compétence du Tribunal pour délivrer une injonction à un responsable officiel afin qu’il témoigne sur ce qu’il a vu ou entendu ès qualités

2. En premier lieu, je ne peux souscrire à la conclusion de la Chambre d’appel selon laquelle elle est compétente pour enjoindre à un responsable officiel de témoigner sur ce qu’il a vu ou entendu dans l’exercice de ses fonctions. La Chambre a cherché à distinguer la présente espèce de la Décision Blaskic57, dont on pourrait penser qu’elle constituait un obstacle, au motif que ladite décision traitait uniquement de la production de documents officiels. Il est dit à juste titre, au paragraphe 19 de la Décision d’aujourd’hui, que « quelles que soient les informations pertinentes que [les deux témoins éventuels] ont pu avoir, ils les auraient obtenues en qualité de responsables officiels ». Cependant, il est ensuite affirmé qu'ils peuvent néanmoins se voir adresser des injonctions leur demandant de témoigner sur ce qu’ils ont vu et entendu, tant qu’il ne s’agit pas de produire des documents officiels. J’aurais souhaité pouvoir partager ce point de vue mais, à la réflexion, cela m’est difficile. La principale difficulté réside dans l’affirmation selon laquelle la Décision Blaskic s’applique aux seuls documents officiels. Peut-être serait-il bon par conséquent d’examiner cet argument.

3. Dans la Décision Blaskic, la Chambre d’appel a considéré que l’on ne pouvait pas décerner d’injonction à un responsable officiel dans le but de l’obliger à produire des documents qu’il est officiellement chargé de conserver. Toutefois, on pourrait parvenir au même résultat en délivrant à un État une ordonnance contraignante de produire des documents, par l’intermédiaire d’une personne qu’il lui revient de désigner. L’inexécution d’une telle ordonnance entraînerait, non pas l’application d’une sanction pénale par la Chambre, comme dans le cas d’une injonction, mais la transmission au Conseil de sécurité d'un rapport sur le manquement de l’État à son obligation de coopération avec le Tribunal visée à l’article 29 du Statut.

4. Par conséquent, même si la Décision Blaskic traitait effectivement de documents, il me semble que c’est le raisonnement suivi par la Chambre d’appel pour parvenir à sa décision qui importe. Logiquement, ce raisonnement s’applique par extension à toute autre information obtenue par le responsable ès qualités. C’est l’interprétation autorisée que le Tribunal en a donné, dans une jurisprudence constante.

5. La Chambre d’appel a rendu la Décision Blaskic le 27 octobre 1997. L’article  54 bis a été introduit le 17 novembre 1999. Il établissait la procédure précise à suivre pour demander « une ordonnance aux fins de production de documents ou d’informations en application de l’article 54 [...] ». Il est raisonnable de supposer que, pour les juges du Tribunal qui ont adopté ce nouvel article, celui-ci s'appuyait sur la Décision Blaskic, dont le raisonnement signifiait à leurs yeux que tant les documents que les informations (lorsque celles-ci sont obtenues par des responsables officiels dans l’exercice de leurs fonctions) ne pouvaient être recherchés qu'auprès de l’État concerné et, plus précisément, que ces informations ne pouvaient pas être obtenues au moyen d'une injonction ou d'une ordonnance contraignante adressée directement au responsable officiel. Dans l'exercice de leur fonction législative, les juges du Tribunal ont ainsi élaboré, pour obtenir ce type d’information d’un État, le régime prudent de l’ordonnance contraignante, qui comporte des dispositions visant à protéger les intérêts de sécurité nationale de l’État. Tout cela aurait été vain s’il restait possible d’obtenir des informations directement auprès du responsable officiel lui-même en lui adressant une injonction. Par conséquent, l’article excluait nécessairement la possibilité de délivrer une injonction à un responsable officiel concernant des informations qu’il aurait obtenues à titre officiel.

6. Cette approche, que nous analysons plus loin, ne nécessite pas vraiment d'examiner le champ d’application de la Décision Blaskic : seul le nouvel article est pertinent. Cependant, dans l'hypothèse où le champ de cette Décision resterait à étudier, nous proposons d’examiner quatre arguments avancés à l’appui de l’idée que la décision ne s’étendait pas aux informations (à savoir ce que le témoin a vu et entendu), à moins qu’il ne s’agisse de produire un document officiel (et peut -être des informations y figurant).

7. Premièrement, on pourrait avancer que la Chambre d’appel dans l’affaire Blaskic aurait estimé que la responsabilité pénale individuelle des responsables officiels, telle que prévue à l’article 7 2) du Statut du Tribunal et reconnue au paragraphe 41 de la Décision Blaskic, ne pourrait être établie sans que le Tribunal soit compétent pour enjoindre à d’autres responsables officiels de témoigner sur les informations qu’ils détiennent. En d’autres termes, les dispositions de l'article 7 2) du Statut prévoyant la responsabilité pénale individuelle des responsables officiels autoriseraient implicitement le Tribunal à décerner des injonctions à d’autres responsables officiels pour qu’ils témoignent sur ce qu’ils ont vu et entendu.

8. J’estime que l'un ne découle pas nécessairement de l'autre. Cette approche confond la preuve d’un acte et son mode de production. La délivrance d’une injonction ou d’une ordonnance contraignante n’est qu’une manière de mettre des éléments de preuve à la disposition de la Chambre. Même si une ordonnance contraignante est délivrée, les éléments de preuve pourront toujours être présentés, par ce biais, à l’appui de poursuites fondées sur l’article 7 2) du Statut.

9. En outre, si le fait que la responsabilité pénale individuelle des responsables officiels peut être engagée signifie que d’autres responsables officiels ne bénéficient plus de l’immunité de fonction concernant ce qu’ils ont vu et entendu dans l’exercice de leurs fonctions, on comprend mal pourquoi cette levée de l’immunité ne s’étendrait pas aux documents officiels ; il devrait être possible d’en enjoindre la production.

10. De surcroît, on pourrait demander des informations à un responsable officiel dans une affaire où l’accusé n’a pas lui-même ce statut. Dans ce cas, il ne serait pas possible d’utiliser l’argument de la responsabilité pénale individuelle des responsables officiels. L’immunité n’existerait pas si l’accusé était un responsable officiel, mais elle existerait probablement si les accusations portaient sur quelqu’un d’autre. On voit ainsi que l’argument tiré de la responsabilité pénale individuelle des responsables officiels est d’une efficacité limitée.

11. Deuxièmement, on pourrait avancer que la Chambre d’appel dans Blaskic aurait estimé que la création de tribunaux pénaux internationaux entraînait automatiquement la levée de toute immunité de fonction des responsables officiels. Selon moi, une telle idée est dénuée de fondement. La levée automatique de toute immunité de fonction des responsables officiels ne saurait découler, pour ainsi dire, d'une simple répulsion entre des forces juridiques opposées ; il faudrait démontrer qu’un principe juridique identifiable est à l'œuvre, par exemple l’existence d’un accord tendant à la levée de l’immunité.

12. Les tribunaux pénaux internationaux sont établis par les États agissant de concert, directement ou indirectement, comme c’est le cas du Tribunal, qui a été établi par le Conseil de sécurité au nom des États membres de l’Organisation des Nations Unies. Rien ne permet de penser que, parce qu’ils agissent de concert pour établir de tels tribunaux, les États entendent renoncer à leurs immunités de fonction individuelles. Leurs immunités telles qu’elles existent en droit international sont réputées perdurer sauf si la décision d’établir un tel tribunal contient des indications en sens contraire. On pourrait penser, dans le cas du Tribunal, que l’article 29 du Statut contient de telles indications. Cependant, cette disposition vise l'obligation de coopérer, dont le respect peut être assuré au moyen d'une ordonnance contraignante, qui ne prévoit pas de sanctions pénales contraires aux immunités de fonction traditionnelles des États. L’accord de renonciation à l’immunité que suppose l’article 7 2) du Statut, dont nous avons déjà traité, ne peut pas non plus constituer une telle indication. Il est difficile de voir autrement ce qui, dans le Statut, montrerait qu’en établissant le Tribunal en tant que juridiction pénale internationale les États avaient l’intention de renoncer à leurs immunités de fonction individuelles.

13. Troisièmement, on pourrait soutenir que la Décision Blaskic s’explique selon un principe de droit qui ne permet pas d’étendre aux informations le raisonnement appliqué aux documents officiels. Au paragraphe 23 de sa décision en l’espèce, la Chambre d’appel dit qu’il « est bien connu en droit que, lorsque les documents à produire appartiennent à l’État ou à une entreprise, eux seuls peuvent se voir demander de les produire et que c’est à l’État ou à l’entreprise qu’il revient de désigner l’agent compétent pour ce faire » et que « ScC'est pourquoi la délivrance d’une injonction au Ministre de la défense aux fins de produire les documents devrait de toutes façons être écartée ».

14. Cependant, il ne semble pas que ce soit sur cette base que la Chambre d’appel ait agi dans l’affaire Blaskic. Ayant invoqué la maxime par in parem non habet imperium, elle a considéré que c’était sur ce fondement — un principe de droit international — que reposait l’immunité de fonction. Certes, les décisions citées par la Chambre d’appel pour illustrer la mise en œuvre de ce principe dans les affaires de droit international concernaient des poursuites et non pas des injonctions. Mais au paragraphe 41 de sa décision dans l’affaire Blaskic, la Chambre d’appel s’en est expliquée : « SdCans le cas des juridictions internationales, elles ont, bien sûr, transmis leurs ordonnances ou requêtes par l’intermédiaire de l’agent représentant l’État devant la juridiction ou des agents diplomatiques habilités. »

15. Quatrièmement, il semble y avoir un débat quant aux catégories d’informations couvertes par l’immunité. D’une part, toutes les catégories d’informations ne sont pas protégées ; la Décision Blaskic le reconnaît elle-même. D’autre part, il n’est pas juste de restreindre la définition du terme « information » aux documents centralisés en un lieu sous l’autorité de l’État, comme les archives. Un État agit par l’intermédiaire de ses fonctionnaires ; il dispose des informations qu’ils ont acquises dans tout le champ de son activité, nationale et internationale, y compris les informations sur ce qu’ils ont vu ou entendu. Il n’est pas utile de tenter de préciser le sujet plus que ne l’a fait la Décision Blaskic.

16. Si je comprends bien cette affaire, le critère retenu est celui de savoir si les pièces ont été acquises par le témoin éventuel ès qualités. C’est à raison, selon moi, que la Chambre a conclu dans sa Décision de ce jour que ce critère était rempli en l’espèce ; ce nonobstant, elle a décidé de délivrer des injonctions aux deux témoins éventuels. À l’inverse, cette même conclusion me conduit à penser que les informations recherchées peuvent être présentées à la Chambre d’appel par le moyen d'une ordonnance contraignante adressée à l’État et il me semble qu’il ressort des écritures des parties que l’Accusation n’y est pas opposée.

17. En dernière analyse, si, comme je le maintiens, le raisonnement de la Chambre dans Blaskic s'applique également au cas présent, il nous faut alors, conformément à la jurisprudence constante du Tribunal, déterminer si l’on ne s’écarte pas effectivement de cette décision et, dans l'affirmative, s’il existe des motifs impérieux de le faire. Je pense que la Décision de ce jour marque une rupture, que ne justifie aucun motif impérieux.

18. Un dernier argument peut être avancé, subsidiairement à l’interprétation précédemment proposée de la Décision Blaskic. Supposons que le raisonnement suivi dans ladite affaire ne s’applique pas à l’espèce, mais porte exclusivement sur des documents officiels et que, par conséquent, la question ne se pose pas de savoir si l’on s’écarte de cette décision en l’espèce. L’article 54 bis du Règlement demeure. Selon moi, si on l’interprète correctement, cet article dispose que le seul moyen admissible de se procurer des informations obtenues par un responsable officiel dans l’exercice de ses fonctions, est de demander à la Chambre d’adresser une ordonnance contraignante à l’État concerné. Même si cet article découle d’une mauvaise interprétation de la Décision Blaskic, la question qui se pose à présent est celle de la validité de l’article et non pas de l’interprétation de la Décision.

19. On ne pourrait remettre en question la validité de cet article que si, en l’adoptant, les juges avaient excédé la compétence législative que l’article 15 du Statut leur confère. Or celui-ci les autorise à « adopter un règlement ». Il semble donc leur donner l’autorité requise pour élaborer l’article 54 bis. L’article est donc valide. Et, à bien le lire, il exclut la possibilité de délivrer une injonction à un responsable officiel pour avoir connaissance d’informations acquises par lui ès qualités. Pour cette raison et pour d’autres, mentionnées ci-dessus, je ne suis pas en mesure d’apporter mon soutien à la Décision de ce jour qui affirme le contraire.

B. Compétence pour enjoindre à des témoins éventuels de se prêter à un interrogatoire par la Défense

20. Mon deuxième point de désaccord avec la Décision de ce jour porte sur le paragraphe  29 de celle-ci, où l’on lit que la « Chambre d’appel [...] ordonne qu’il soit enjoint aux deux témoins éventuels désignés dans la Requête de se présenter en un lieu désigné en Bosnie-Herzégovine à une date qui sera fixée par la Défense de Krstic après consultation avec l’Accusation (et si nécessaire avec la Section des victimes et des témoins) pour y être interrogés par la Défense de Krstic ».

21. Dans une requête initiale du 1er avril 2003, la Défense demandait à la « Chambre d’appel d’enjoindre au témoin [nom du témoin] de comparaître devant la Chambre pour témoigner ». Une autre requête de la même date, mais concernant un autre témoin, était formulée dans des termes identiques. Les requêtes demandaient que les témoins comparaissent devant la Chambre d’appel, comme il est d’usage. Je n’y aurais vu aucun obstacle.

22. Cependant, le 3 avril 2003, un supplément aux requêtes initiales a été déposé, qui renvoyait aux « deux requêtes aux fins de la délivrance d’injonctions SauxC témoins » et « confirmait que l’ordonnance demandée par la Défense à la Chambre d’appel requérait que les témoins se présentent en un certain lieu en Bosnie-Herzégovine pour y être interrogés par la Défense en vue d’ajouter des éléments à sa demande déjà déposée en vertu de l’article 115 concernant ces deux témoins ».

23. Selon la décision de la Chambre d’appel, les dates et lieux proposés pour l’interrogatoire seront fixés par la Défense « après consultation avec l’Accusation ». Apparemment, toutefois, celle-ci n’a pas le droit de participer à l’interrogatoire, lequel n’aura pas lieu sous serment et ne fera pas partie des procédures engagées par le Tribunal lui-même, (qui comprennent la procédure de déposition). Il s’agira d’un interrogatoire extrajudiciaire visant à ajouter des éléments à la demande faite par la Défense en vertu de l’article 115 concernant ces deux témoins. Rien ne laisse entendre par ailleurs que les témoins doivent produire des documents : aucun document n’a été mentionné ni décrit dans les demandes adressées à la Chambre d’appel. Les témoins sont « convoqués » pour apporter des informations d’ordre général durant l’interrogatoire par la Défense qui est envisagé.

24. C'est à bon droit que la Chambre d’appel part de l’idée que les requêtes modifiées sollicitent la délivrance d’injonctions. Comme on le sait, une injonction doit être exécutée sous peine de l’application de sanctions pénales. Je ne suis pas persuadé que la Chambre d’appel soit compétente pour délivrer les injonctions requises. Elle a le pouvoir de faciliter la tenue d’un entretien entre un témoin éventuel et la Défense, mais non celui de contraindre ce témoin.

25. Cette distinction a été illustrée dans l’affaire Tadic58. Dans le cadre de son appel, Tadic a demandé l’admission d’éléments de preuve supplémentaires. Il craignait que des responsables officiels de l’État (ou entité) où les éléments de preuve devaient être recueillis y fassent obstacle et il a donc déposé ex parte une « Requête aux fins de décerner une ordonnance contraignante à » cet État pour qu’il prenne certaines mesures. Accédant à la Requête, la Chambre d’appel a demandé à l’État « d’informer la Défense [...] des coordonnées précises des individus énumérés » et « d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour permettre à la Défense [...] de recueillir les dépositions des individus énumérés59». Les dispositions nécessaires ont été prises par les autorités et les individus concernés ont été interrogés en temps voulu par le conseil et le coconseil de Tadic, au poste de police60. Mais la Chambre d’appel n’a délivré aucune injonction aux personnes elles-mêmes leur demandant de se présenter pour être interrogées par le conseil de la défense.

26. Ainsi, la Chambre d’appel a facilité l’enquête en préparant le terrain pour que les personnes concernées se présentent à la Défense, mais elle n’a pas usé de coercition pour ce faire. On pourrait penser que telle est la marche à suivre. Il existe toutefois des arguments en sens contraire, que nous devons maintenant examiner.

27. Il est avancé que c'est de l'article 54 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, lequel, avec les modifications voulues, s’applique aux procédures en appel engagées sur la base de l’article 107, que la Chambre d’appel tire la compétence de faire droit aux requêtes modifiées. L’article 54 dispose que :

À la demande d’une des parties ou d’office un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite du procès.

28. La formulation de l’article 54 est certes large, mais elle est aussi brève qu’elle est large. Il faut donc l’interpréter et l’appliquer de manière raisonnable. La disposition donne le pouvoir général de délivrer des injonctions, mais savoir si ce pouvoir peut s’exercer dans une espèce donnée dépend de la nature de celle-ci. Ainsi, la Chambre d’appel a considéré dans la Décision Blaskic61 que cet article, malgré son ampleur apparente, ne lui donnait pas le pouvoir de délivrer une injonction à un État ou à son Ministre de la défense aux fins de produire des documents officiels. Que la Chambre d’appel utilise en l’espèce les pouvoirs que lui confère l’article 54 pour aplanir les difficultés qui pourraient empêcher un témoin éventuel de se présenter à la Défense est une chose, mais qu’elle le fasse pour contraindre le témoin éventuel à se présenter à la Défense, et en le menaçant de sanctions pénales, en est une autre.

29. On pourrait considérer que la Décision Blaskic reconnaît que le Tribunal peut adresser une ordonnance contraignante à un État afin qu’il fournisse des documents à une partie et que, de la même manière, le Tribunal est compétent pour délivrer une injonction à un témoin éventuel afin qu’il se présente à un entretien d’information avec la Défense. Cependant, lorsqu’il adresse une ordonnance contraignante à un État aux fins de fournir des documents à une partie, le Tribunal agit en application de l’article 29 du Statut relatif à l’obligation faite aux États de coopérer avec le Tribunal. La sanction consiste en un rapport adressé au Conseil de sécurité ; cela ne s’applique pas aux individus. Par conséquent, le principe à l’œuvre dans la Décision Blaskic est spécifiquement lié à l’obligation statutaire faite aux États de coopérer avec le Tribunal.

30. On pourrait également faire valoir que les mesures demandées s’inscrivent dans le cadre du droit reconnu à la Défense de consulter les pièces confidentielles produites dans d’autres affaires jugées par le Tribunal, droit soumis à la condition d’un but judiciaire légitime. Mais ce droit de consultation n’est pas pertinent. L’Accusation a connaissance des pièces confidentielles, il est juste que la Défense y ait aussi accès et l’ensemble de ce processus est sous le contrôle du Tribunal. Il y a entre les deux cas une différence trop marquée pour que l’on puisse se permettre de procéder par analogie.

31. Il est à remarquer que, dans certains systèmes nationaux, une juridiction peut ordonner à un tiers de communiquer des documents précis à une partie en un lieu et à une date donnés62. Mais cela n’est possible que pour des documents et semble se limiter aux procédures civiles. Or, nous sommes ici dans le cadre d’une procédure pénale et l’objectif est d’obtenir des informations d’ordre général et non simplement la production de documents.

32. Par ailleurs, dans certains pays, les témoins déposent sous serment dans le bureau d’un attorney. Mais, dans ce cas, les deux parties ont le droit d’être présentes, les procédures suivent les règles de la juridiction compétente, laquelle est représentée, et les éléments de preuve font réellement partie du dossier d’audience ou du moins peuvent y être versés. À ces égards, le cas qui nous intéresse est différent. La référence faite dans la Décision à la Section des victimes et des témoins du Tribunal ne suffit pas à y changer quoi que ce soit, puisque cette Section est chargée de veiller au respect de la vie privée des témoins et à leur protection et qu’elle n’est mentionnée dans la Décision, et de surcroît à titre facultatif, que dans le contexte de la désignation d’un lieu et d’une date d’entretien. De plus, la procédure qui se tient dans le bureau de l’attorney vise, pour les parties, à s’informer des éléments de preuve détenus par l’autre partie, en vue d’éviter la surprise au procès ou, comme on a pu le dire, de faire échec à une conception compétitive de la justice. Une partie peut effectivement produire ses propres témoins, mais l’idée n’est pas de lui permettre de s’informer sur ce que ses propres témoins vont probablement dire ; elle devrait déjà le savoir quand elle décide de présenter leur témoignage. De plus, cette procédure semble ne s’appliquer qu’au civil. Mentionner des affaires relatives à des lettres de demande d’entraide ou des commissions rogatoires ne fait pas progresser le débat63.

33. Un argument de poids est qu’en règle générale, il est imprudent pour un conseil de présenter un témoignage sans avoir pu en vérifier la teneur. On pourrait penser qu’il s’agit d’un argument en faveur de la délivrance d’injonctions en l’espèce pour que les témoins se fassent interroger par la Défense. Mais c’est au conseil qu’appartient la décision de faire témoigner quelqu’un sans avoir pu vérifier les informations qu’il détient. Même si le conseil n’a pu procéder à cette vérification, il peut avoir de solides raisons d’anticiper les grandes lignes du témoignage et il peut se sentir tenu par le devoir qui le lie à son client d'aller de l’avant, sans manquer à son obligation d’agir avec compétence et loyauté dans l’exercice de ses fonctions de conseil.

34. Dans l’affaire Rutaganda64, le témoin a été cité par la Chambre d’appel agissant d’office, mais c’était en fait la Défense qui était intéressée par son témoignage, et le fait que son conseil a procédé à un contre-interrogatoire plutôt qu'à un interrogatoire principal était sans effet sur la question de savoir si la vérification du témoignage prévu est une condition préalable nécessaire pour que le conseil puisse citer un témoin. De toute évidence, le conseil en l’espèce n’avait pas la moindre idée de ce qu’allait dire le témoin. Cependant, cela ne l’a visiblement pas empêché de le soumettre à un contre-interrogatoire vigoureux.

35. Par conséquent, je ne suis pas sûr que la nécessité de vérifier le témoignage des deux témoins éventuels suffise à justifier la délivrance d’injonctions leur demandant de se prêter à un interrogatoire par la Défense aux fins de donner à celle-ci des précisions, sous forme de preuves. La Défense dispose déjà des déclarations préalables des témoins que lui a communiquées l’Accusation. C’est sur la teneur de ces déclarations que la Défense s’est fondée dans la requête qu’elle a déposée en vertu de l’article 115. La Défense a donc des raisons de demander des injonctions tendant à ce que ces témoins se présentent devant la Chambre d’appel. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait demandé initialement. Une injonction exigeant, sous menace d’application de sanctions pénales, que ces témoins se prêtent d’abord à un interrogatoire par la Défense pour préciser les sujets mentionnés dans leurs déclarations est une toute autre chose.

36. On pourrait tirer argument de l’article 18 2) du Statut, qui confère au Procureur le pouvoir d’« interroger les suspects, les victimes et les témoins, [de] réunir des preuves et [de] procéder sur place à des mesures d’instruction ». Pourquoi le Tribunal n’aurait-il pas le pouvoir d’autoriser la Défense à interroger les témoins ? L’égalité des armes vient à l’esprit. La réponse est que cette disposition ne faisait qu’investir le Procureur, dont la charge est créée par le Statut, de la compétence d’interroger les témoins, droit dont l’accusé dispose en tant que personne, sans qu’il soit nécessaire que le Statut le lui accorde. En outre, ce droit figure implicitement à l’article 21 4) du Statut, qui donne à l’accusé le droit « e) [d’]interroger ou [de] faire interroger les témoins à charge et Sd’Cobtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ». La véritable question n’est donc pas de savoir si la Défense a le droit d’interroger des témoins éventuels mais si ceux-ci sont tenus de se soumettre à cet interrogatoire. Il ne me semble pas que le Tribunal a le pouvoir d’exiger d’un témoin qu’il se prête à un interrogatoire en dehors d’une audience au Tribunal, y compris une audition en présence d'un officier instrumentaire.

37. Cette conclusion s’applique aussi à la deuxième voie possible mentionnée par la Chambre d’appel au paragraphe 12 de sa Décision, selon laquelle la Chambre de première instance pourrait délivrer une injonction à un témoin pour qu’il soit interrogé « en privé » par la Défense après que le juge qui a délivré l’ordonnance lui aurait expliqué l’importance de sa coopération pour arriver à un résultat juste. Cette injonction viserait donc à demander à un témoin de se soumettre à un interrogatoire en privé ; dans l’entre-temps, le Tribunal devrait « le laisser partir ». Ce n’est qu’une méthode indirecte de parvenir au même résultat. Il n’est pas toujours vrai de dire que ce qui ne peut être fait directement peut l’être indirectement65, mais je pense que c’est le cas en l’occurrence.

38. On pourrait cependant considérer que l’intérêt supérieur de la justice et la recherche de la vérité exigent que le Tribunal aide l’Appelant dans son enquête en délivrant des injonctions aux deux témoins éventuels pour qu’ils se prêtent à un interrogatoire par la Défense en Bosnie, sous la menace de sanctions pénales. Qu’il me soit permis de dire que telle n’est pas ma vision des choses.

39. L’appelant a été condamné. Il se propose de contester sa condamnation en présentant des éléments de preuve supplémentaires. C’est à lui qu’incombe la charge de produire ces éléments de preuve, ce n’est pas la mission de la Chambre d’appel que de trouver ces éléments à sa place. Soit ces éléments existent, soit ils n’existent pas. S’ils n’existent pas, sa cause échoue. S’ils existent, on s’attend à ce qu’il en dispose avant de saisir la Chambre d’appel.

40. On peut lire dans l’ouvrage Blackstone Criminal Practice 2003, par. D24.18, que la déclaration d’un témoin éventuel (qu’elle ait été recueillie par voie de déposition devant un officier instrumentaire66 ou présentée par l’appelant) devrait toujours être à la disposition de la Chambre dès les premières phases de la procédure et qu’elle aidera certainement la Chambre à décider durant l’audience s'il est nécessaire d’entendre le témoin de vive voix. À titre d’exemple, cet ouvrage cite l’article 3 1) d) des règles de l’appel en matière pénale (Criminal Appeal Rules 1968 [Royaume-Uni]), en vertu desquelles l’appelant doit notifier sa requête tendant à ce que la Cour reçoive des éléments de preuve. Il doit le faire sur un formulaire 6, contenant la rubrique : « le témoin peut maintenant présenter les éléments de preuve suivants (qui n’ont pas été fournis au procès) ». La situation est illustrée en pratique par l’affaire R. v. James , 2000 Crim. L.R. 571, dans laquelle, pour citer le résumé fait dans la publication, la juridiction saisie a estimé que :

lorsqu’un témoin présente de nouveaux éléments de preuve dont on affirme qu’ils n’étaient pas disponibles au procès, il est essentiel que le conseil du défendeur fasse une déclaration sous serment décrivant les circonstances dans lesquelles le témoin s’est fait connaître et celles dans lesquelles il a fait sa déclaration.

Si je comprends bien, cela doit se faire en début de procédure. Un appelant qui tente de faire annuler sa condamnation en présentant des éléments de preuve supplémentaires devrait donc disposer desdits éléments avant d’introduire sa demande aux fins de les faire admettre. Je pense que tel est le principe.

41. Dans l’intérêt de la justice, la Chambre d’appel pourrait adresser une ordonnance contraignante à l’État concerné, lui demandant d’aplanir les obstacles qui empêchent la Défense d’interroger tout témoin disposé à se faire connaître. Mais je ne vois pas comment l’intérêt de la justice permettrait à la Chambre d’appel de faire un pas supplémentaire et de délivrer une injonction au témoin lui « demandant » de se prêter à un interrogatoire par la Défense sous menace de sanctions pénales. L’intérêt de la justice est une idée précieuse, mais qui doit opérer selon des principes reconnus, faute de quoi, elle s’entoure de mystère. Or, comme le disait Edmund Burke en parlant des « lois humaines, S...C la justice finit là où commence le mystère ».

42. Mes doutes auraient été dissipés si la décision d’aujourd’hui s’était référée à un cas net de jurisprudence nationale ou internationale où une juridiction aurait délivré une injonction à un témoin éventuel lui demandant de se prêter à un interrogatoire par la Défense, sous menace de l’application de sanctions pénales. Je ne suis pas convaincu qu’un tel précédent existe.

43. Cela étant, il me semble que la solution en l’espèce consiste à concilier deux intérêts publics : l’obtention des informations nécessaires dans le cadre d’un procès pénal, d’une part, et la protection de la vie privée, d’autre part. Faire droit aux requêtes modifiées revient nécessairement à requérir les témoins potentiels, sous peine de sanctions pénales, de se prêter à un interrogatoire par la Défense en Bosnie-Herzégovine et de répondre aux questions qui leur seront posées, ce qui est bien différent que de les mettre simplement en mesure de le faire, en levant les éventuels obstacles. À mon avis, la Chambre d’appel franchit ce faisant le pas séparant l’assistance de la coercition. L’équilibre entre les deux intérêts publics mentionnés ci-dessus s’en trouve perturbé. Si le pas est franchi, il y a atteinte à la vie privée. J’estime que la décision de ce jour représente effectivement une atteinte de ce type. C’est là l’origine de mon opinion dissidente.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

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Juge Mohammed Shahabuddeen

Fait le 1er juillet 2003
La Haye (Pays-Bas)


1 - Deux requêtes demandant la délivrance d’une injonction ont été déposées, une pour chaque témoin, intitulées : (Confidential) Defence Motion for the Issuance of Subpoena for Witness, 1er avril 2003. A (confidential) Addendum to Defence motion for the Issuance of Subpoena for Witness, 3 avril 2003. Elles seront désignées ensemble comme la « Requête ».
2 - Article 107 du Règlement.
3 - Cependant, aucun élément du présent arrêt ne justifie qu’il demeure confidentiel.
4 - L’article 68 (« Communication de moyens de preuve à décharge ») dispose que : « Le Procureur informe la défense aussitôt que possible de l’existence d’éléments de preuve dont il a connaissance et qui sont de nature à disculper en tout ou en partie l’accusé ou qui pourraient porter atteinte à la crédibilité des éléments de preuve de l’accusation. » Cette obligation reste en vigueur après le jugement : Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-PT, Arrêt relatif aux requêtes de l’Appelant aux fins de production de documents, de suspension ou de prorogation du délai de dépôt du mémoire et autres, 26 septembre 2000, par. 32 ; Musema c/ le Procureur, ICTR-96-13-A, Arrêt (« Defence Motion under Rule 68 Requesting the Appeals Chamber to Order the Disclosure of Exculpatory Material and for Leave to File Supplementary Grounds of Appeal »), 18 mai 2001, p. 3 et 4 ; Rutaganda c/ le Procureur, ICTR-96-3-A, Décision sur la « Urgent Defence Motion for Disclosure Pursuant to Rules 66 B) and 68 of the Rules of Procedure and Evidence, and for a Reconsideration of Deadlines imposed in Judge Jorda’s Order of December 12, 2002 », 13 février 2003, p. 5 ; Le Procureur c/ Kordic & Cerkez, IT-95-14/2-A, Ordonnance portant calendrier, 17 mars 2003, p. 3 et 4.
5 - Article 115 B) du Règlement.
6 - Le Procureur c/ Tadic, affaire n° IT-94-1-A, Décision relative à la requête de l’Appelant aux fins de prorogation de délai et d’admission de moyens de preuve supplémentaires, 15 octobre 1998 (« Décision Tadic »), par. 35 à 45 ; Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (Arrêt Kupreskic), par. 50 ; Le Procureur c/ Delic, affaire n° IT-96-21-R-R119, Décision relative à la requête en révision, 25 avril 2002 (« Décision Delic »), par. 10.
7 - Décision Tadic, par. 40, 44 et 45, 47 ; Arrêt Kupreskic, par. 50.
8 - Décision Tadic, par. 40 ; Arrêt Kupreskic, par. 50.
9 - Response to Defence Motions for Admission of Additional Evidence Under Rule 115, 31 janvier 2003, par. 155.
10 - Elle aurait également pu renvoyer à l’article 75 (Mesures destinées à assurer la protection des victimes et des témoins). Il peut également être envisagé de demander l’aide de l’État dans lequel le témoin réside, en application de l’article 29 du Statut du Tribunal, pour qu’il recueille un témoignage, une procédure semblable à celle, très courante, des lettres de demande d’assistance judiciaire (voir Halsbury’s Laws of England (4e édition), vol. 17, par. 294 à 296) ou à celle des commissions rogatoires prévues dans la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959.
11 - La Défense de Krstic a confondu ici la procédure prévue à l’article 71 (Dépositions), qui permet de recueillir des témoignages qui seront ensuite utilisés au procès avec la procédure officielle qui existe aux États-Unis pour s’assurer de ce que peut dire un témoin en l’absence de la partie adverse (et qui porte le même nom).
12 - Defence Reply to the Prosecution’s Response to Defence Motions for Admission of Additional Evidence Under Rule 115, 12 février 2003 (« Réplique »), par. 7.
13 - Réplique, par. 7.
14 - Code de déontologie pour les avocats exerçant devant le Tribunal international (IT/125/Rév. 1), 12 juillet 2002, article 3 ii) et iii). Ce devoir de loyauté ne doit bien entendu pas entrer en conflit avec son devoir envers le tribunal, qui est de concourir en toute indépendance à l’administration de la justice.
15 - Au paragraphe 12 infra, il est proposé d’utiliser l’article 54 pour permettre à un juge d’expliquer au témoin éventuel l’importance de sa collaboration et le type de protection que le Tribunal peut lui offrir, si nécessaire.
16 - Voir note de bas de page 6, supra.
17 - Cf. Le Procureur c/ Hadzihasanovic et consorts, Décision relative à la requête de Mario Cerkez aux fins d’accéder à des pièces confidentielles, 10 octobre 2001, par. 10 ; le Procureur c/ Kordic et Cerkez, Ordonnance relative à la requête de Pasko Ljubicic aux fins d’avoir accès à des documents confidentiels – pièces jointes, comptes rendus d’audience et pièces à conviction – dans l’affaire Kordic et Cerkez, 19 juillet 2002, p. 4 ; Le Procureur c/ Blaskic, Décision relative à la requête des Appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14 ; le Procureur c/ Kvocka et consort, Décision relative à la requête de Momcilo Gruban aux fins d’accéder à des pièces, 13 janvier 2003, par. 5 ; Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, Décision relative à la requête de Hadzihasanovic, Alagic et Kubura aux fins d’accès à des pièces jointes, des comptes rendus d’audience et des pièces à conviction confidentiels de l’affaire le Procureur c/ Kordic et Cerkez, 23 janvier 2003, p. 3.
18 - Ces deux types d’ordonnances devront prévoir de régler au témoin les frais nécessairement engagés pour leur exécution.
19 - Règlement interne du Procureur n° 2 (1999), Règles de déontologie pour les représentants de l’Accusation, 14 septembre 1999, par. 2 h).
20 - Décision Delic, par. 15.
21 - Chaque déclaration a déjà fait l’objet d’une demande présentée en application de l’article 115. La question en l’espèce est celle de savoir si, suite à ce qu’ils ont déjà dit, l’un de ces témoins ou les deux peuvent préciser certains aspects de leurs déclarations et, de ce fait, produire d’autres éléments de preuve qui pourraient figurer dans une demande supplémentaire en application de l’article 115.
22 - Prosecution’s Response to Defence Requests for Subpoenas, 11 avril 2003 (« Réponse »), par. 3.
23 - Réponse, par. 8, 11.
24 - Le Procureur c/ Blaskic, IT-95-14-AR108bis, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, 29 octobre 1997 (« Décision Blaskic »).
25 - Décision Blaskic, par. 46 à 48.
26 - L’Accusation paraît avancer que la jurisprudence de la Chambre d’appel n’établit aucune distinction entre eux (Réponse, par. 13 et 14). Cette affirmation mériterait examen, mais étant donné la décision prise ici, il n’est pas nécessaire d’y procéder en l’espèce.
27 - Réponse, par. 17.
28 - Ibid., par. 16.
29 - Décision Blaskic, par. 49. « Actuel » semble se rapporter au moment de communication de l’information, mais la phrase est obscure.
30 - Décision Blaskic, par. 50.
31 - Ibid., par. 38.
32 - Ibid. par. 40.
33 - Ibid., par. 41.
34 - Ibid., par. 44.
35 - Ibid., par. 38.
36 - Ibid., par. 43.
37 - Réponse, par. 23.
38 - On lit au paragraphe 12 de la Réponse : « Nous affirmons que les dispositions de l’article 54 bis du Règlement, pour ce qui est de la production de documents, ne sont pas sensiblement différentes et elles paraissent indiquer la voie à suivre pour délivrer des injonctions de comparution. À cet égard, l’article 54 bis A) dispose qu’une partie sollicitant une ordonnance contraignante i) identifie autant que possible les documents ou les informations visés par la requête, ii) indique dans quelle mesure ils sont pertinents pour toute question soulevée devant le juge ou la Chambre de première instance et nécessaires au règlement équitable de celle-ci, et iii) expose les démarches qui ont été entreprises par le requérant en vue d’obtenir l’assistance de l’État. » Quant à savoir si l’Accusation a retenu les bonnes conditions, aucune décision n’a été prise à ce sujet, mais encore une fois, vu la présente décision, il n’est pas nécessaire de se prononcer ici sur cette question.
39 - Réponse, par. 19 à 22. La condition dont le Procureur affirme qu’il n’est pas certain qu’elle ait été remplie dans le cas de ce témoin est la troisième, à savoir que, pour que l’ordonnance soit délivrée, le requérant doit entreprendre des démarches pour obtenir l’assistance de l’État concerné (Ibid., par. 21 et 22). L’Accusation signale que, même si Krstic a obtenu l’aide de l’État concerné, il n’avait pas informé ledit État que le témoin éventuel avait refusé d’être interrogé, ni donné autrement à cet État une chance raisonnable de coopérer en contraignant le témoin à répondre à l’interrogatoire (Ibid., par. 22). Cet argument n’est pas pertinent pour la délivrance d’une injonction et il n’est donc pas nécessaire de se prononcer ici sur cette question.
40 - Ibid., par. 38, 44.
41 - Ibid., par. 44.
42 - Ibid., par. 38. Les notes de bas de page 43 à 45 font partie de la Décision Blaskic.
43 - Cf., par exemple, la déclaration faite dès 1797 par le Ministre de la justice des États-Unis dans l’affaire Governor Callot. Une plainte au civil avait été déposée contre M. Callot, Gouverneur de l’île française de Guadeloupe. Le Ministre de la justice des États-Unis écrivit : « Je suis enclin à penser que, si la saisie du vaisseau est reconnue comme étant un acte officiel, effectué par le défendeur en vertu, ou sous couvert, des pouvoirs desquels il est investi en sa qualité de gouverneur, [cela constitue en soi] une réponse suffisante à l’action du plaignant ; que le défendeur ne devrait pas répondre devant nos cours d’une simple irrégularité dans l’exercice de ses pouvoirs ; et que l’étendue de son autorité ne peut, lorsque cela est approprié ou convient, être déterminée que par les autorités constituées de sa propre nation » [Traduction non officielle], J.B. Moore, A Digest of International Law, 1906, vol. II, p. 23. La célèbre affaire McLeod devrait également être mentionnée. Lors de la rébellion canadienne de 1837 contre les autorités britanniques (le Canada était à l’époque sous souveraineté britannique), les rebelles furent assistés par des citoyens américains qui traversèrent plusieurs fois le Niagara (frontière entre le Canada et les États-Unis) à bord du navire Caroline, afin de fournir aux insurgés des renforts et des munitions. Une partie des troupes britanniques, dirigée par le Capitaine McLeod, a alors été envoyée pour attaquer le navire. [Elle] abord[a] le navire dans le port de Fort Schlosser, aux États-Unis, tu[a] nombre d’hommes et mi[t] le feu au navire. Quelques années plus tard, en 1840, le Capitaine McLeod fut arrêté à Lewiston (territoire de New York) pour répondre [d'accusations] de meurtre et d’incendie volontaire. Un échange de notes diplomatiques entre les deux gouvernements s’ensuivit. La position officielle des États-Unis - qui avait déjà été avancée en des termes similaires par la Grande-Bretagne en 1838, par rapport à un éventuel procès contre un autre membre de l’équipe britannique qui avait attaqué le Caroline - a été clairement énoncée par le Secrétaire d’État Webster des États-Unis d’Amérique  : « Le fait qu’un individu faisant partie d’une force publique et agissant sous l’autorité de son gouvernement ne doive pas répondre à titre privé en tant qu’auteur d’un acte illicite, est un principe de droit public sanctionné par les usages de toutes les nations civilisées et que le Gouvernement des États-Unis n’entend pas contester... Que le procès soit pénal ou civil, le fait d’avoir agi sous l’autorité publique et en obéissance aux ordres de supérieurs légitimement désignés doit être considéré comme une défense valable. Autrement, les individus seraient tenus responsables des préjudices résultant des actes du Gouvernement et même des opérations de guerre », British and Foreign State Papers, vol. 29, p. 1139.
44 - Quand les deux agents français qui avaient coulé le Rainbow Warrior en Nouvelle-Zélande ont été arrêtés par la police locale, la France a déclaré que leur emprisonnement en Nouvelle-Zélande n’était pas justifié « compte tenu en particulier du fait qu’ils ont agi sur ordre de l’autorité militaire et que la France est prête à présenter des excuses à la Nouvelle-Zélande et à lui verser une indemnité pour le préjudice subi » (cf. Décision du 6 juillet 1986 du Secrétaire général des Nations Unies, Revue générale de droit international public, Tome LXXXXI, 1987, p. 1055).
45 - La Cour a déclaré, notamment, que la « théorie de l’« Acte d’État » signifie que l’acte réalisé par une personne en tant qu’organe de l’État, qu’elle soit chef de l’État ou un responsable officiel agissant aux ordres du gouvernement, doit être considéré comme un acte du seul État. Il s’ensuit que ce dernier est le seul responsable et, aussi, qu’un autre État n’a pas le droit de punir l’auteur de l’acte, sauf avec le consentement de l’État dont il a exécuté la mission. Si ce n’était pas le cas, le premier État s’ingérerait dans les affaires intérieures du second, ce qui est contraire à la conception de l’égalité des États fondée sur leur souveraineté”. International Law Reports, vol. 36, p. 308-309. Il convient de noter que, après ce passage, la cour a exprimé des réserves sur cette doctrine de l’Acte d’État. Ces réserves avaient pour but principal [de renforcer] la proposition que la doctrine ne s’applique pas aux crimes de guerre ni aux crimes contre l’humanité.
46 - Décision Blaskic, par. 41, 43. Les notes de bas de page 47 à 49 sont également tirées de la Decision Blaskic.
47 - Ce n'est que naturel : les États ont toujours tenu comme acquis qu’ils n’étaient pas autorisés à adresser des instructions ou ordonnances contraignantes à des autorités étatiques étrangères. Le seul domaine dans lequel des problèmes pratiques se sont faits jour se rapporte aux affaires dans lesquelles des juridictions nationales ont [voulu] juger des personnes physiques étrangères ayant agi en tant qu’autorités étatiques.
48 - S’agissant des décisions du Conseil de sécurité, se reporter au Mémoire [de l'amicus curiae] Condorelli, du 11 avril 1997, supra, par. 4 et note 9. D’après cet éminent auteur, le Conseil de sécurité a aussi adressé ses résolutions à des organes ou des institutions nationaux.
49 - Comme l’a fait remarquer M. Simma, cet article 29 énonce une obligation de résultat. Cf. mémoire [de l'amicus curiae Simma], du 14 avril 1997, p. 15. Aux termes de l’article 21, paragraphe 1, du Projet de codification du droit de la responsabilité des États, « Il y a violation par un État d’une obligation internationale le requérant d’assurer, par un moyen de son choix, un résultat déterminé si, par le comportement adopté, l’État n’assure pas le résultat requis de lui par cette obligation », Projet de code de la CDI [Commission du droit international, Rapport à la quarante-huitième session de l’Assemblée générale, 1996, Documents officiels de l’Assemblée générale, Quarante-huitième session, Supplément n° 10 (A/51/10)].
50 - Voir supra les paragraphes 38 iii) et 41 de la Décision Blaskic et notes de bas de page 43 à 45.
51 - Voir supra le paragraphe 41 de la Décision Blaskic.
52 - Voir supra le paragraphe 41 de la Décision Blaskic.
53 - Dans l’arrêt rendu le 14 février 2002 dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique) (affaire Yerodia), par. 61, la C.I.J. a indiqué : « Les immunités dont bénéficie en droit international un ministre ou un ancien ministre des affaires étrangères ne font en effet pas obstacle à ce que leur responsabilité pénale soit recherchée dans certaines circonstances. [...] un ministre des affaires étrangères ou un ancien ministre des affaires étrangères peut faire l’objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales internationales dès lors que celles-ci sont compétentes. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie [...] en [est un] exemple[...]. »
54 - Statut, article 7 : « La situation officielle des accusés, soit comme chefs d’État, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine ».Voir aussi l’article n°2 de la Loi n° 10 du Conseil de contrôle. Dans son jugement, le Tribunal de Nuremberg a déclaré (p. 234 et 235) : « On fait valoir que le Droit international ne vise que les actes des États souverains et ne prévoit pas de sanctions à l’égard des délinquants individuels. On a prétendu encore que lorsque l’acte incriminé est perpétré au nom d’un État, les exécutants n’en sont pas personnellement responsables; ils sont couverts par la souveraineté de l’État. Le Tribunal ne peut accepter ni l’une ni l’autre de ces thèses. [...] Le principe du Droit international, qui dans certaines circonstances, protège les représentants d’un État, ne peut pas s’appliquer aux actes condamnés comme criminels par le Droit international. Les auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale ou se mettre à l’abri du châtiment [...]. D’autre part, une idée fondamentale du Statut est que les obligations internationales qui s’imposent aux individus priment leur devoir d’obéissance envers l’État dont ils sont ressortissants. Celui qui a violé les lois de la guerre ne peut, pour se justifier, alléguer le mandat qu’il a reçu de l’État, du moment que l’État, en donnant ce mandat, a outrepassé les pouvoirs que lui reconnaît le Droit international. » Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, 14 novembre 1945 -1er octobre 1946 (1947).
55 - Article 7 2) du Statut du Tribunal : « La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine. »
56 - Article 70 D). Voir en général Le Procureur c/ Milosevic, affaire n° IT-02-54-AR108bis & AR73.3, version publique de la Décision relative à l’interprétation et à l’application de l’article 70 du Règlement, 23 octobre 2002.
57 - Affaire n° IT-95-14-AR108bis, du 29 octobre 1997.
58 - Arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin, affaire n° IT-94-1-A-R77, 31 janvier 2000.
59 - Ordonnance ex parte décernée à la Republika Srpska, affaire n° IT-94-1-A, 2 février 1998.
60 - Arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent conseil, Milan Vujin, affaire n° IT-94-1-A-R77, 31 janvier 2000, par. 7.
61 - Affaire n° IT-95-14-AR108bis, 29 octobre 1997.
62 - Règle de procédure civile 31.17 (Royaume-Uni).
63 - Voir aussi la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, 20 avril 1959 et le Protocole additionnel à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 17 mars 1978.
64 - ICTR-96-3-A du 26 mai 2003, par. 467 et suiv.
65 - Voir Re Ontario Judicature Act 1924 [1924] 3 D.L.R., p. 444, Hodgins J.A., opinion dissidente.
66 - Il s’agit véritablement d’une procédure hors audience ; il n’est pas envisagé de délivrer une injonction à un témoin éventuel pour qu’il se prête à un interrogatoire par la Défense.