Page 983
1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3
4 Mercredi 22 mars 2000
5
6 L'audience est ouverte à 09 heures 35.
7
8 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)
9 M. le Président. - Bonjour, mesdames, messieurs. Est-ce que les
10 interprètes m'entendent ?
11 Les interprètes. - Bonjour, Monsieur le Président.
12 M. le Président. – Bonjour, je vous salue. Je salue le banc de
13 l'accusation, la défense, le général Krstic.
14 Nous sommes les mêmes aujourd'hui pour le compte rendu, nous
15 sommes dans l'affaire Krstic. Nous allons continuer le témoignage commencé
16 hier. Je donne donc la parole à M. Cayley, s'il vous plaît.
17 M. Cayley (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.
18 Bonjour, Monsieur et Madame les Juges. Nous en arrivons à la fin du
19 témoignage de M. Mandzic. Je demanderai qu'on le fasse pénétrer dans le
20 prétoire.
21 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)
22 M. le Président. - Bonjour, monsieur. Vous m'entendez ?
23 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je vous entends. Je souhaite
24 le bonjour à tout le monde.
25 M. le Président. - Avez-vous la traduction correcte ? Oui, je le
Page 984
1 pense.
2 M. Mandzic (interprétation). – Oui.
3 M. le Président. - Je vous rappelle que vous continuez, vous
4 êtes sous serment. Vous allez continuer à répondre aux questions que
5 Me Cayley va vous poser. Merci d'être venu aujourd'hui aussi.
6 M. Cayley(interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
7 Bonjour, monsieur.
8 M. Mandzic (interprétation). – Bonjour, monsieur Cayley.
9 M. Cayley (interprétation). - Nous en sommes restés hier au
10 point de votre déposition où vous évoquiez le 11 juillet 1995, lorsque
11 vous êtes retourné depuis Bratunac à la base de l'ONU à Potocari.
12 J'aimerais maintenant avancer quelque peu dans le temps, pour en venir au
13 12 juillet 1995, le matin du 12 juillet, vous vous trouvez donc à
14 l'intérieur de la base de l'ONU. Pouvez-vous décrire pour le Tribunal la
15 scène telle qu’elle se présentait tant à l'intérieur de la base qu'aux
16 alentours, dans la matinée du 12 juillet 1995 ?
17 M. Mandzic (interprétation). – Oui, dans la base du Bataillon
18 néerlandais de Potocari se trouvaient logés temporairement 5 000 réfugiés,
19 à peu près. C'étaient pour la plupart des personnes âgées ayant du mal à
20 marcher et quelques dizaines de blessés souffrant de blessures dues au
21 pilonnage de la ville et des villages environnants par l'armée de la
22 Republika Srpska. Toutes ces personnes étaient logées dans des conditions
23 tout à fait inadéquates, elles devaient coucher à même le sol. Or,
24 c'étaient des personnes âgées. Elles étaient regroupées à l'air libre,
25 dans la rue, et les usines qui entouraient la base de Potocari. Il y avait
Page 985
1 encore 25 000 réfugiés à peu près qui avaient exactement les mêmes
2 problèmes que les personnes regroupées à l'intérieur du camp.
3 M. Cayley (interprétation). - Quelle chaleur faisait-il ce jour-
4 là, Monsieur ?
5 M. Mandzic (interprétation). – La température dépassait
6 30 degrés. Donc, la chaleur était déjà très difficile à supporter, sans
7 parler de la peur, de l'insuffisance en eau, en vivres, en moyens
8 sanitaires, etc.
9 M. Cayley (interprétation). - Les enfants et les bébés, dans
10 quel état se trouvaient-ils, quelle était leur condition à cette époque ?
11 M. Mandzic (interprétation). – Les enfants se trouvaient dans
12 une situation très difficile que j'ai déjà décrite. Il n'y avait pas de
13 nourriture, et donc leurs mères ne pouvaient pas les nourrir. Les mères
14 étaient épuisées, les enfants aussi, ils pleuraient, ils criaient.
15 Il n'y avait aucun produit d'hygiène pour laver ces enfants, les
16 changer, donc c'était un spectacle lamentable, qui a provoqué un
17 traumatisme en chacun d'entre nous lorsque nous y repensions plus tard.
18 M. Cayley (interprétation). - A 10 heures, ce matin-là, le
19 colonel Karremans vous a une fois de plus appelé. Pouvez-vous dire aux
20 Juges pourquoi il vous a appelé et ce que vous avez fait après votre
21 entretien avec lui ?
22 M. Mandzic (interprétation). – Eh bien, si nous repensons à la
23 nuit précédente, c'est-à-dire la nuit du 11 au 12 juillet et à cette
24 première rencontre à Bratunac avec les représentants du pouvoir militaire
25 de la Republika Srpska, le général Mladic a lancé en fait un ultimatum en
Page 986
1 exigeant du Bataillon néerlandais et de nous-mêmes que le lendemain, le
2 12 juillet, nous arrivions à Bratunac à 10 heures accompagnés d'une
3 délégation bosnienne qui devait s'occuper de tous ces réfugiés. Nous nous
4 sommes donc organisés et le 12 juillet, à 10 heures, nous nous sommes
5 trouvés à Bratunac avec les représentants du Bataillon néerlandais.
6 M. Cayley (interprétation). - Où êtes-vous allé exactement à
7 Bratunac, ce matin-là ?
8 M. Mandzic (interprétation). – La réunion s’est déroulée encore
9 une fois à l'hôtel Fontana de Bratunac, comme la veille, comme le soir du
10 jour précédent.
11 M. Cayley (interprétation). - Vous évoquez une délégation
12 bosnienne autre que vous-même. Qui étaient les membres de cette
13 délégation ?
14 M. Mandzic (interprétation). – Moi-même, Monsieur
15 Ibro Nuhanovic, qui n'a pas survécu aux événements de Srebrenica, puisque
16 le 13 juillet dans la matinée les unités de la Republika Srpska l'ont
17 séparé de sa famille, et encore aujourd'hui, nous n'avons aucune nouvelle
18 de lui. Et Mme Kamila Osmanovic composait la délégation bosnienne qui donc
19 se composait de trois représentants.
20 M. Cayley(interprétation). - Si vous pouvez vous en souvenir,
21 qui étaient les officiers néerlandais qui vous ont accompagné à cette
22 réunion ?
23 M. Mandzic (interprétation). – Le commandant du Bataillon
24 néerlandais était à ce moment-là le lieutenant-colonel Karremans. Il y
25 avait un commandant de l'armée néerlandaise, le commandant Boering et,
Page 987
1 dans mon souvenir, le troisième officier représentant les militaires
2 néerlandais était un autre membre du commandement. Je ne me rappelle pas
3 son nom. Cela dit, je peux le reconnaître, je l'ai reconnu hier sur les
4 images de la cassette vidéo que vous avez diffusée.
5 M. Cayley(interprétation). - Je vous ai montré des séquences
6 vidéo de cette réunion, je ne vais pas les faire visionner ici même au
7 prétoire, mais est-ce que vous pourriez brièvement nous décrire vos
8 souvenirs de cette réunion ?
9 M. Mandzic (interprétation). – Vous parlez de la deuxième
10 réunion, celle qui a commencé à 10 heures du matin le 12 juillet ?
11 M. Cayley (interprétation) - Exactement, monsieur Mandzic.
12 M. Mandzic (interprétation). – Oui, eh bien, cette deuxième
13 réunion était très comparable à celle qui avait eu lieu le soir du jour
14 précédent. A savoir que, pendant que nous discutions, et de façon tout à
15 fait intentionnelle, quelqu'un est arrivé de l'extérieur, s'est adressé au
16 général Mladic en lui disant : "Les Bosniens sont en train d'arriver sur
17 le stade de Bratunac". Ce stade était le terrain de football de Bratunac.
18 Nous avons entendu cette nouvelle qui nous a beaucoup troublés.
19 Mais j'ai jeté un coup d'oeil à ma montre, et puisqu'il est impossible en
20 une demi-heure que des milliers de réfugiés arrivent à Bratunac depuis
21 Potocari, il m'est apparu clairement qu'il s'agissait d'une provocation
22 montée de toutes pièces et destinée à terroriser les représentants
23 bosniens pour qu'ils se trouvent plus vulnérables dans la présentation de
24 leurs exigences.
25 Autrement dit, ce qu'ils souhaitaient, c'était de nous
Page 988
1 démoraliser et de nous réduire sur le plan physique également, de façon à
2 nous rendre incapables d'agir. Et j'indique que l'un des membres de notre
3 délégation a subi ce jour-là un choc psychique important.
4 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous vous souvenez
5 d'autres aspects qui ont été discutés lors de cette réunion ?
6 M. Mandzic (interprétation). – Lors de cette réunion, il a été
7 question également des modalités de l'évacuation de la population, mais
8 aucune mesure concrète n'a été discutée.
9 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous vous souvenez qui
10 assistait à cette réunion ?
11 M. Mandzic (interprétation). – En dehors des officiers
12 représentant le commandement de l'armée de la Republika Srpska, étaient
13 présents, selon mon souvenir, deux civils représentant la municipalité de
14 Bratunac : Miroslav Deronjic qui, à ce moment-là était président du parti
15 démocratique serbe au sein de la municipalité de Bratunac, et Milisav
16 Simic, si je ne m'abuse, qui à ce moment-là était le président de la
17 municipalité de Bratunac.
18 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous nommer les personnes
19 représentant le commandement de l'armée de la Republika Srpska qui étaient
20 présentes ce matin-là à cette réunion dans la matinée du 12 juillet ?
21 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je me rappelle parfaitement
22 qu'à côté du général Mladic était assis le général Krstic qui subit ce
23 procès aujourd'hui, ainsi que plusieurs autres officiers dont je me
24 rappelle le visage, mais je ne saurais dire leur nom ici aujourd'hui.
25 M. Cayley (interprétation) - Vous souvenez-vous si M. Miroslav
Page 989
1 Deronjic a prononcé des paroles pendant cette réunion, a dit quelque
2 chose ?
3 M. Mandzic (interprétation). – Je ne me rappelle pas, mais il me
4 semble que Simic a parlé.
5 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous dire exactement ce que
6 M. Simic a dit à cette réunion ?
7 M. Mandzic (interprétation). – Oui, Simic s'est adressé au
8 général Mladic en lui disant qu'ils étaient dans la nécessité de réaliser
9 des entretiens informatifs avec certains Bosniaques qu'ils suspectaient
10 d'être membres des forces armées.
11 M. Cayley (interprétation) - Vous souvenez-vous à quelle heure
12 la réunion a pris fin ?
13 M. Mandzic (interprétation). – Oui, entre 11 heures et 11 heures
14 et demie.
15 M. Cayley (interprétation) - Après la réunion, qu'avez-vous
16 fait ?
17 M. Mandzic (interprétation). – Après la réunion, nous sommes
18 retournés avec les officiers néerlandais dans le camp du Bataillon
19 néerlandais. Dans cette situation très difficile, nous réfléchissions à ce
20 qu'il convenait de faire car, manifestement, nous n'avions reçu aucune
21 garantie ferme quant au fait qu'une solution positive serait trouvée pour
22 régler la situation de tous ces réfugiés.
23 Donc, moi-même et M. Ibro Nuhanovic étions très inquiets et nous
24 avons pensé à établir une liste des réfugiés présents, ce qui était une
25 tâche très difficile dans ces conditions.
Page 990
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 991
1 Et il me semble que je devrais indiquer également que, durant la
2 première et la deuxième réunion, le général Mladic avait promis que toutes
3 ces personnes, quel que soit leur âge, leur sexe, etc., seraient
4 autorisées, si elles le souhaitaient, à partir. Et nous constaterons que,
5 par la suite, il ne s'est pas agi d'une évacuation, mais bel et bien d'une
6 déportation sous la contrainte.
7 Mladic a répété à plusieurs reprises qu'il autoriserait
8 l'évacuation de toutes ces personnes si elles souhaitaient partir.
9 M. Cayley (interprétation) - Vous avez évoqué le général Mladic.
10 Etait-il là, ce jour-là, à Potocari ?
11 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui, oui. Il est arrivé à
12 Potocari entre midi et 13 heures, si je me souviens bien, ce jour-là.
13 M. Cayley (interprétation) - A midi ou à 1 heure, lorsqu'il est
14 arrivé, l'expulsion, la déportation, le déplacement de la population
15 avait-il commencé ?
16 M. Mandzic (interprétation). – Dans mon souvenir, le général
17 Mladic est arrivée à Potocari, comme je viens de le dire. Il a pénétré
18 dans cette masse de réfugiés entre midi et 13 heures, selon moi. Et il me
19 semble que la déportation a commencé après 13 heures ce jour-là, le
20 12 juillet, après le départ de Mladic de Potocari.
21 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous pouvez situer de
22 manière approximative le moment auquel le déplacement de la population a
23 commencé ?
24 M. Mandzic (interprétation). – Après 13 heures, le 12 juillet.
25 M. Cayley (interprétation) - Pouvez-vous décrire au Tribunal
Page 992
1 exactement ce que vous avez vu ? Ce qui s'est passé dans le contexte de
2 cette expulsion ?
3 M. Mandzic (interprétation). – Ce jour-là, le 12 juillet 1995,
4 dans l'après-midi, je me trouvais dans le camp des soldats néerlandais et
5 j'ai vu, comme toutes les autres personnes présentes dans le camp, que
6 l'on faisait monter à bord de plusieurs autobus des femmes et des enfants.
7 Nous avons vu ainsi se remplir les autobus les uns après les autres. Il y
8 avait une dizaine d'autobus qui attendaient sur place que la population
9 monte à bord.
10 Et voyant cela, nous nous sommes rendus compte tout d'un coup
11 que ce à quoi nous assistions était la séparation de la population,
12 puisque ne montaient à bord que les femmes et les enfants. Donc où étaient
13 les hommes de 15-16 ans et jusqu'à 60 ans et plus ? Cela a provoqué chez
14 nous un trouble supplémentaire, mais nous étions impuissants à faire quoi
15 que ce soit.
16 M. Cayley (interprétation). – Avançons maintenant, passons au
17 début de la soirée du 12 juillet. Je pense que le commandant Karremans, le
18 commandant néerlandais, est encore venu vous parler. Pouvez-vous dire au
19 Tribunal ce qui s'est passé après cet entretien ?
20 M. Mandzic (interprétation). - Dans l'après-midi, entre 17 et
21 18 heures, ce jour-là, le commandant Franken de l'armée néerlandaise s'est
22 adressé à moi et à M. Nuhanovic en nous disant qu'il nous fallait sortir
23 du camp néerlandais de Potocari, et que des officiers membres de l'armée
24 de la Republika Srpska nous attendaient à l'extérieur du camp.
25 Donc, moi-même et M. Nuhanovic -qui malheureusement n'est plus
Page 993
1 vivant aujourd'hui, nous pouvons donc mentionner son nom-, nous nous
2 sommes dirigés vers la porte de sortie, et alors que nous nous dirigions
3 vers cette sortie du camp qui était ouverte, un soldat serbe complètement
4 armé et équipé s’est mis à courir dans notre direction et s'est adressé à
5 M. Ibro Nuhanovic. Il parlait d'une façon très agressive, et lui a dit :
6 "Es-tu un Turc ?". Nuhanovic est resté très calme, moi aussi. Mais cela
7 n'a pas arrêté ce soldat serbe qui a frappé d'un coup très violent
8 Nuhanovic. Ce soldat était assez corpulent. Ayant reçu ce coup, Nuhanovic
9 est tombé.
10 Un officier se trouvait non loin, il a vu la scène, un officier
11 néerlandais, et il a à ce moment-là réagi, en disant en anglais : "Non,
12 non, ce n'est pas correct". Le soldat serbe s'est alors éloigné, nous
13 avons avancé encore de 10 à 15 mètres, et nous avons vu à ce moment-là
14 sortir d'une voiture le général Mladic qui nous a donné l'ordre de
15 l'accompagner au milieu de cette masse de personnes regroupées à Potocari.
16 A ce moment-là, le général Mladic m’a donné à moi-même et à
17 M. Nuhanovic l'ordre de nous adresser à cette population, bien que nous
18 n’ayons eu rien de particulier à leur dire, car nous vivions le même sort
19 que ces 30 000 personnes. Mais je me rappelle bien que le général Mladic
20 s'est de nouveau adressé à cette population expulsée en leur disant : "Pas
21 de panique, vous serez tous évacués en toute sécurité jusqu'aux
22 territoires contrôlés par l'armée de Bosnie-Herzégovine, d'abord les
23 personnes âgées et les handicapés, les mères accompagnées d'enfants, et
24 ensuite le reste, les autres".
25 Mais ce qui a accru la panique ce jour-là, c'est que, dès la
Page 994
1 matinée de cette journée, les soldats de l'armée de la Republika Srpska
2 avaient encerclé le camp, cet encerclement avait commencé dans la nuit du
3 11 ou 12 juillet. Et dans les premières heures de la matinée, ils ont
4 enfoncé le corridor qui existait et se sont mêlés à la population expulsée
5 en commençant à rechercher de façon très sélective certaines des personnes
6 regroupées à cet endroit qu'ils faisaient sortir de la foule sans aucun
7 motif, et ces personnes n'ont pas encore été retrouvées encore
8 aujourd'hui.
9 Toute la journée, on a pu voir brûler les maisons des environs,
10 et ces maisons, ils les incendiaient également de façon sélective,
11 toujours dans le but de semer la terreur, d'empêcher toute possibilité de
12 retour, d'envoyer un signal très clair indiquant que les Bosniens
13 n'auraient plus la possibilité de vivre à Srebrenica.
14 M. Cayley (interprétation). – Après que Mladic se soit adressé à
15 la foule et que vous soyez à l’extérieur de la base, êtes-vous retourné à
16 l'intérieur de la base néerlandais ?
17 M. Mandzic (interprétation). – Oui, moi-même et Ibro Nuhanovic,
18 nous sommes retournés dans le camp du Bataillon néerlandais où nous avons
19 passé la nuit du 12.
20 M. Cayley (interprétation). – Avez-vous entendu quelque chose au
21 cours de cette nuit-là ?
22 M. Mandzic (interprétation). - Oui, c'est ce qui, encore
23 aujourd'hui, me bouleverse lorsque j'y repense. Il s'agissait de voix
24 prononçant des mots incompréhensibles et des bruits de coups, dont nous ne
25 pouvions déterminer la provenance dans cette nuit, pendant cette nuit du
Page 995
1 12 au 13 juillet, puisque nous nous trouvions -comme je l'ai dit- à
2 l'intérieur du camp du Bataillon néerlandais à Potocari, dans le bâtiment
3 qui abritait le commandement.
4 Ce bâtiment avait été fortifié par les officiers néerlandais à
5 l'aide de blocs de béton, de façon à mieux garantir leur sécurité en cas
6 d'attaque contre le Bataillon néerlandais. Je répète donc qu'au cours de
7 cette nuit-là j'ai entendu des coups de feu, des cris, des hurlements,
8 mais sans pouvoir déterminer l'origine de ces bruits, puisque le bâtiment
9 était fortifié par des blocs de béton.
10 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que l'on pourrait soumettre
11 la pièce à conviction 5/2 au témoin, et la pièce 5/6 également si
12 possible ?
13 (L'huissier s'exécute.)
14 Monsieur, vous avez déclaré au Tribunal que vous étiez à
15 l'intérieur de la base, cette nuit-là, dans un bâtiment qui avait été
16 consolidé, protégé contre des tirs d'artillerie par du béton. Pouvez-vous
17 indiquer avec le pointeur sur cette photo exactement où vous avez logé
18 cette nuit-là du 12 juillet ?
19 M. Mandzic (interprétation). – Le 12 juillet, j'étais à
20 l'intérieur de la base du Bataillon néerlandais, plus précisément dans le
21 bâtiment qui abritait les officiers. Sur cette photo, le bâtiment se
22 trouve ici.
23 M. Cayley (interprétation). - Qu'il soit inscrit au procès-
24 verbal que le témoin indique l'immeuble en haut, à gauche, dans la case
25 jaune qui délimite la base de l'ONU.
Page 996
1 Veuillez maintenant soumettre au témoin la pièce à conviction
2 5/6.
3 Monsieur, reconnaissez-vous cet immeuble ?
4 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je le reconnais. Il s'agit
5 d'un complexe industriel. L'usine du 11 Mars, qui faisait partie de la
6 société Energo Invest. Dans ce bâtiment, plus précisément devant le
7 bâtiment passe la route qui relie Bratunac, de Potocari à Srebrenica. Dans
8 la nuit du 12 au 13 juillet, des dizaines de milliers de personnes se
9 trouvaient regroupées dans ce secteur.
10 J'ajoute d'ailleurs que le 11 juillet je suis resté à
11 l'intérieur de ce bâtiment jusqu'à 9 heures, lorsque j'ai été appelé par
12 le commandement du Bataillon néerlandais.
13 M. Cayley (interprétation). - Merci, monsieur. Nous en avons
14 terminé avec ces pièces à conviction.
15 Avançons encore dans le temps. Passons donc au 13 juillet.
16 Pouvez-vous dire au Tribunal quelles étaient les rumeurs que vous avez
17 commencé à entendre le matin de ce jour-là, concernant les hommes
18 bosniaques présents à Potocari et dans les environs ?
19 M. Mandzic (interprétation). – Oui. Ce matin-là, le matin du
20 13 juillet 1995, plusieurs personnes que je ne connaissais pas, qui ne
21 sont plus vivantes aujourd'hui car elles n'ont pas survécu à ces atrocités
22 de Srebrenica, se sont approchées de moi pour me dire : "La nuit dernière,
23 des personnes ont été tuées par des soldats de l'armée de la Republika
24 Srpska qui ont emmené les hommes jusqu'aux premières maisons pour les tuer
25 à l'extérieur du camp, où se trouvaient regroupés 25 000 réfugiés à peu
Page 997
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 998
1 près. Personne ne pouvait dormir, on a entendu des cris toute la nuit".
2 Cet homme a continué son récit en me disant : "Untel, originaire
3 de Skalana, un village avoisinant, a passé toute la nuit à essayer de se
4 suicider pour que les représentants de l'armée de la Republika Srpska ne
5 le retrouvent pas et ne se défoulent pas sur lui".
6 Et le même genre de choses m'ont été dites par d'autres
7 personnes, qui ont réussi à sauter par-dessus la clôture qui les séparait
8 de l'intérieur du camp du Bataillon néerlandais, de sorte que j'ai été
9 gagné par la peur, comme tous les autres !
10 Après cela, je suis allé voir l'adjoint du commandant du
11 Bataillon néerlandais pour lui demander s'il était possible de mettre un
12 terme à cette soi-disant évacuation qui, en fait, n'en était pas une, mais
13 était une véritable déportation.
14 Je me rappelle que le commandant Franken qui remplaçait le
15 commandant Karremans à ce moment-là m'a dit -et je me rappelle très bien
16 les mots qu'il a utilisés en anglais- : "Ce n'est pas possible, mais je
17 fais de mon mieux".
18 M. Cayley (interprétation). - Veuillez continuer, je ne veux pas
19 vous interrompre.
20 M. Mandzic (interprétation). – Oui. J'ai alors demandé au
21 commandant Franken ce qu'il était possible de faire, quelle était la
22 solution, quelle était l'issue. Je lui ai dit que tous les hommes seraient
23 séparés des autres habitants.
24 Je lui ai demandé si les hommes survivraient, s'il serait
25 possible de prouver par la suite qu'ils avaient vécu à cet endroit. A ce
Page 999
1 moment-là, le commandant m'a dit : "Faisons quelque chose, établissons une
2 liste des personnes présentes à l'intérieur du camp, même si ce n'est pas
3 possible d'établir cette liste pour les personnes à l'extérieur du camp".
4 Je me suis immédiatement attelé à cette tâche. J'ai pénétré dans ces
5 ateliers abandonnés de l'usine et avec l'aide de quelques jeunes gens,
6 j'ai commencé à établir la liste des hommes présents âgés de 16 à 17 ans
7 et plus.
8 Je dois dire que l'établissement de cette liste m'a posé
9 quelques problèmes, notamment parce que certains de mes concitoyens
10 avaient très peur de voir leur nom figurer sur cette liste. Je me rappelle
11 que certains disaient : "Eh bien, nous avons confiance en toi, nous te
12 connaissons, mais qu'arrivera-t-il si notre nom figure sur cette liste et
13 que cette liste tombe entre les mains des soldats de la Republika
14 Srpska ?".
15 C'est donc dans ces conditions que nous sommes tout de même
16 parvenus à dresser une liste indiquant quels étaient les homme présents
17 dans le camp et âgés d'au moins 16, 17 ans. Nous avons dénombré ainsi
18 239 hommes. Bien sûr, le nombre des hommes présents était beaucoup,
19 beaucoup plus important mais, pour les raisons que je viens d'indiquer,
20 parce qu'ils avaient peur pour certains que cette liste ne tombe entre les
21 mains des soldats de la Republika Srpska, ils n'ont pas tous donné leur
22 nom.
23 J'ai remis cette liste au commandant Franken. Et moi aussi,
24 d'ailleurs, j'hésitais énormément, je me demandais ce qu'il allait advenir
25 si cette liste comportant 239 noms tombe entre les mains des soldats de
Page 1000
1 l'armée de la Republika Srpska. J'ai posé la question au commandant
2 Franken quui m'a dit : "Ne t'inquiète pas trop, s'il le faut, je mettrai
3 cette liste dans mon slip et j'interdirai à quiconque de me fouiller".
4 Effectivement, cette liste existe toujours aujourd'hui, mais les
5 hommes dont les noms figurent sur la liste ne sont pas vivants. Et il faut
6 penser aux familles qui pleurent tous ces disparus et pour qui cette liste
7 n'est d'aucune aide.
8 M. Cayley (interprétation) - Monsieur Mandzic, l'évacuation des
9 personnes qui se trouvaient à l'intérieur de la base de l'ONU, à quelle
10 heure cette évacuation a-t-elle pris fin le 13 juillet ?
11 M. Mandzic (interprétation). – Dans la soirée, si je me souviens
12 bien, aux alentours de 19 heures.
13 M. Cayley (interprétation) - Les bus, les camions qui évacuaient
14 ces personnes, avez-vous pu voir ces camions et ces bus de près ?
15 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui. J'ai pu les voir à une
16 distance de 200 mètres à peu près. D'ailleurs, à d'autres moments, je
17 circulais à l'intérieur du camp, et j'ai même pu voir à une cinquantaine
18 de mètres les inscriptions lisibles sur les autobus.
19 J'affirme que cette déportation a été planifiée. C'est ce que
20 montre le grand nombre d'autobus et de camions qui sont arrivés de
21 l'extérieur de villages comme Bijelina, ou de la ville de Banja Luka,
22 Bratunac, etc.
23 Je me rappelle très bien un autobus Semberija Transport de
24 Bijelina, le nom de l'entreprise était inscrit sur l'autobus. Avant la
25 guerre, c'était une entreprise de transport. Il y avait aussi des autobus
Page 1001
1 de Drina Transport, autre entreprise de transport de Zvornik. Et puis, il
2 me semble aussi qu'il y avait des autobus de l'entreprise de transport
3 AutoTransport, de Banja Luka.
4 M. Cayley (interprétation) - Avez-vous pu constater quel était
5 l'état de la population civile dans ces bus ?
6 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui, oui. J'ai vu à une
7 distance de 50 à 100 mètres ces malheureuses mères de famille, épouses,
8 soeurs de quelqu'un, qui pleuraient, hurlaient, s'arrachaient les cheveux.
9 Ces personnes ont pu monter à bord des autobus pour partir, mais leurs
10 pères, leurs frères, leur époux n'étaient pas avec elles. Alors que dans
11 les journées des 11 et 12 juillet les familles étaient réunies, et elles
12 avaient vécu ensemble de nombreuses années. C'est un fait qui est
13 terrible.
14 Vous devriez voir ces femmes et les conditions dans lesquelles
15 elles vivent encore aujourd'hui. Tout cela vous apparaîtrait de la façon
16 la plus claire.
17 M. Cayley (interprétation) - Vous avez évoqué tout à l'heure
18 qu'il y avait eu des blessés et qu'ils se trouvaient à l'intérieur de la
19 base de Potocari. Qu'est-il advenu de ces blessés le 13 juillet ?
20 M. Mandzic (interprétation). – Un groupe de blessés a été évacué
21 ce jour-là, mais un autre groupe composé, il me semble, de blessés plus
22 graves, en attente d'intervention chirurgicale et qu'il était impossible
23 de transporter, sont restés à Potocari.
24 M. Cayley (interprétation) - Et ce jour-là, vous avez dit plus
25 tôt dans votre déposition qu'il y avait un grand nombre de personnels de
Page 1002
1 la VRS à l'intérieur même de la base et dans les environs. Vous souvenez-
2 vous si des soldats ou des officiers de la VRS sont entrés dans la base de
3 Potocari ?
4 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je me rappelle. Je l'ai déjà
5 dit, mais je tiens à indiquer une nouvelle fois que, dès les premières
6 heures de la matinée du 12 juillet, l'armée de la Republika Srpska a
7 pénétré à l'intérieur de Potocari pour terroriser la population civile,
8 l'intimider et séparer les hommes des femmes et des enfants de façon à
9 indiquer que l'évacuation allait se faire selon ces modalités sélectives.
10 Et le 13 juillet, je me rappelle qu'un officier de l'armée de la
11 Republika Srpska a pénétré également dans le camp, son nom est
12 Momir Nikolic. Avant la guerre, il était enseignant à Bratunac.
13 Momir Nikolic a annoncé qu'il avait été chargé de vérifier l'identité des
14 blessés, leur âge et la façon dont, les circonstances dans lesquelles ils
15 avaient été blessés. Je me trouvais tout près de là, au moment où cet
16 officier, Momir Nikolic, a interrogé un Bosnien, gravement blessé, qui
17 attendait de se faire opérer dans le camp, en lui disant : "Dans quelles
18 circonstances as-tu été blessé ?". Le blessé a commencé par garder le
19 silence et M. Nikolic a ajouté : "Ces blessures, tu les as eues sur le
20 champ de bataille, donc tu ne pourras pas être évacué vers un centre
21 médical pour te faire soigner".
22 Ensuite, il s'est approché d'autres blessés encore, en leur
23 posant le même genre de questions destinées à déterminer à quel endroit
24 ils se trouvaient pendant la guerre, dans quelles circonstances ils ont
25 été blessés et en quel lieu.
Page 1003
1 Durant cette même journée, j'ai vu un autre officier de la
2 Republika Srpska qui portait des lunettes, et avait une quarantaine
3 d'années, et que l'on voyait hier sur les images de la cassette vidéo. Je
4 ne me rappelle pas son nom ou son prénom, mais je pourrais le reconnaître.
5 M. Cayley (interprétation). – Veuillez soumettre au témoin la
6 pièce à conviction n° 43, s'il vous plaît.
7 (L'huissier s'exécute.)
8 Il serait donc exact de dire que M. Nikolic a joué un rôle actif
9 dans la décision concernant les blessés, lesquels seraient évacués de la
10 base militaire et ceux qui devraient y rester ?
11 M. Mandzic (interprétation). - Oui, c'est tout à fait cela. Il a
12 procédé à un tri sélectif pour déterminer quelle catégorie de blessés
13 serait évacuée et bénéficierait de soins médicaux, et quels blessés
14 devraient rester à Potocari.
15 Oui, c'est ici la photographie de cet officier de l'armée de la
16 Republika Srpska qui a pénétré dans le camp militaire le 13 juillet, et
17 qui avait participé les 11 et 12 juillet aux réunions de Bratinac.
18 M. Cayley (interprétation). – Qu'il soit inscrit au procès-
19 verbal que le témoin se réfère à une photo d'un individu qui portent des
20 lunettes. Pièce à conviction n° 43.
21 Monsieur Mandzic, saviez-vous quel était le rang de M. Nikolic
22 dans la VRS ? Le savez-vous ?
23 M. Mandzic (interprétation). - Certains l'ont présenté en tant
24 que colonel, mais je ne sais pas si c'est exact, un colonel de l'unité
25 dont la zone de responsabilité couvrait Bratunac.
Page 1004
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1005
1 M. Cayley (interprétation). – Et c'est tout ce que vous savez
2 sur le rang de M. Nikolic ?
3 M. Mandzic (interprétation). - Oui, on lui donnait du colonel,
4 et sa zone de responsabilité couvrait le territoire de Bratunac.
5 M. Cayley (interprétation). – Maintenant, ce mouvement, ce
6 déplacement de la population, vous souvenez-vous à quelle heure
7 l'évacuation de la population qui restait dans la base de l’ONU a pris fin
8 ce 13 juillet ?
9 M. Mandzic (interprétation). - Aux alentours de 19 heures, le
10 13 juillet, le camp militaire néerlandais dans lequel étaient regroupées
11 5 000 personnes à peu près, a été pratiquement vidé car les officiers de
12 l'armée de la Republika Srpska ont donné l'ordre à tous les réfugiés de
13 quitter le camp.
14 Donc, après 19 heures, il n'est resté dans le camp que
15 27 Bosniens qui, pour la plupart travaillaient pour la Forpronu ou le MSF
16 en tant qu'employés locaux et un petit groupe de blessés. Ce sont donc les
17 seules personnes qui se trouvaient à l'intérieur du camp.
18 M. Cayley (interprétation). – Puisque ces personnes s'étaient
19 trouvées dans la base plutôt qu'à l'extérieur, avez-vous pu les observer
20 de plus près, et observer de plus près ce qui s'est passé avec ces
21 personnes qui ont été expulsées ?
22 M. Mandzic (interprétation). - Oui.
23 M. Cayley (interprétation). – Pourriez-vous dire exactement ce
24 que vous avez vu au Tribunal, exactement ce qui s'est passé ?
25 M. Mandzic (interprétation). - Oui, le 12 juillet, et le
Page 1006
1 13 juillet également, j'observais la situation et j'ai vu des femmes
2 accompagnées d'enfants en bas âge monter à bord des autobus, des camions.
3 J'ai déjà dit que les enfants pleuraient, que les femmes
4 hurlaient, qu'elles s'arrachaient les cheveux parce que les êtres qu'elles
5 chérissaient le plus avaient été séparés d'elles. Donc ce que j'ai vu le
6 plus c'était l'évacuation ou plutôt la déportation des femmes et des
7 enfants.
8 Et l'évacuation ou plutôt la déportation des personnes qui se
9 trouvaient auparavant à l'intérieur de l'enceinte du camp, ayant été
10 forcées de sortir du camp, ont été réalisées dans les mêmes conditions.
11 Chaque fois, un ou deux soldat arrivait et disait : "Ce groupe
12 doit sortir par ici, celui-là par là". Et, chaque fois, une vingtaine de
13 personnes sortaient en réponse à ces ordres.
14 M. Cayley (interprétation). – Vous dites avoir vu des hommes
15 déportés. Il paraîtrait que vous suggériez par là que les hommes étaient
16 séparés ?
17 M. Mandzic (interprétation). - Oui, moi, j'observais la scène à
18 une distance de 50 à 100 mètres, et j'ai pu voir que seules les femmes
19 accompagnées d'enfants en bas âge, c’est-à-dire âgés de 1 an à 12 ou
20 13 ans, montaient à bord des autobus et des camions. J'ai pu voir les
21 femmes hurler, s'arracher les cheveux. Ce jour-là, le 13 juillet, comme
22 cela avait été le cas le 12 juillet, la scène se répétait inlassablement.
23 Il était clair que les hommes et les jeunes gens âgés d'au moins 12 ou
24 13 ans avaient été séparés par la force du reste de leur famille.
25 M. Cayley (interprétation). - Qui procédait à la séparation de
Page 1007
1 ces hommes de leur famille ?
2 M. Mandzic (interprétation). – Les soldats de l'armée de la
3 Republika Srpska.
4 M. Cayley (interprétation). - Evoquons donc ces soldats de la
5 Republika Srpska. Avez-vous observé quels étaient leurs uniformes, leurs
6 insignes ?
7 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui. Le premier jour, le
8 11 juillet, puis le lendemain, le 12 juillet, alors que je rentrais de
9 Bratunac vers Potocari, j'ai pu voir des centaines de soldats le long de
10 la route, des soldats qui portaient des uniformes. D'ailleurs, leurs
11 uniformes étaient tout neufs. Certains d'entre eux portaient l'emblème de
12 l'armée de la Republika Srpska, d'autres ne portaient aucun emblème, mais
13 ils portaient un uniforme de l'armée tout neuf. J'ai pu entendre ces
14 soldats parler et leur accent n'avait rien à voir avec le dialecte utilisé
15 par les Serbes et les Bosniens dans le nord de la Bosnie, puisqu'ils
16 mettent des "j" dans les mots.
17 M. Cayley (interprétation). – Avançons dans le temps. La base
18 est maintenant vide, tous les réfugiés sont partis. Vous y restez avec
19 quelques membres du Bataillon néerlandais. Le 17 juillet, vous avez signé
20 une déclaration avec le commandant Franken. Est-ce que l'on pourrait
21 soumettre la pièce à conviction n°°47, la dernière pièce pour ce témoin ?
22 Il y a en fait quatre pièces 47 : 47 A, B et C pour la
23 traduction en français, et 47 D, la traduction en BCS.
24 Monsieur le Président, si je puis vous expliquer ces pièces à
25 conviction, il y a en fait deux traductions anglaises. Pourquoi ? Parce
Page 1008
1 que l'une de ces traductions que je vous montrerai sur le rétroprojecteur
2 a été faite sur le terrain même le 17 juillet, pour faciliter la signature
3 du représentant du Bataillon néerlandais. Cette première traduction
4 comportait des inexactitudes. Nous avons la version originale en BCS. Nous
5 avons procédé à une autre traduction anglaise qui est donc la traduction
6 officielle. Nous vous présentons ainsi tous les documents, et, comme je
7 l'ai dit, il y a, pour cette raison, deux versions anglaises.
8 (Précision de l'interprète : mettre des "j" dans les mots, c'est
9 parler Jekavien.)
10 Monsieur Mandzic, avant de vous poser les questions, pouvez-vous
11 placer sur le rétroprojecteur la pièce à conviction 47 B ? Pouvez-vous
12 l'ajuster ? Très bien.
13 Monsieur Mandzic, est-ce que cela représente la version anglaise
14 de la déclaration que vous avez signée le 17 juillet ?
15 M. Mandzic (interprétation). – Oui, c'est bien cela.
16 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous, s'il vous plaît,
17 mettre le document sur le rétroprojecteur, je crois que c'est le 47 D, et
18 c'est dans la langue du témoin. Pourriez-vous également tourner la page ?
19 Monsieur, cela c'est bien un document portant votre signature,
20 que vous avez signé dans votre propre langue, et comportant également les
21 signatures des représentants des Serbes de Bosnie civils, des autorités
22 serbes de Bosnie, est-ce exact ? Et c'est le major Franken, c'est sa
23 signature qui apparaît au bas de la page ?
24 M. Mandzic (interprétation). – Oui, c'est exact.
25 M. Cayley (interprétation). - Les traductions en français et en
Page 1009
1 anglais sont les traductions que j'aimerais que vous suiviez. Ce sont les
2 pièces à conviction 47 A et 47 B. Monsieur Mandzic, maintenant j'ai
3 quelques questions pour vous concernant ce document.
4 Dans le deuxième paragraphe, le document stipule que le
5 12 juillet 1995, à l'hôtel Fontana, à Bratunac, à notre demande, les
6 négociations ont été faites entre les représentants de nos autorités
7 civiles et les représentants de l'armée Republika Srpska, donc des
8 autorités serbes de la Republika Srpska et de l'armée concernant
9 l'évacuation de notre population civile de l'enclave de Srebrenica.
10 Monsieur Mandzic, est-ce que c'est exact de dire que cette
11 réunion avait été convoquée, à votre demande, le 12 juillet 1995 ?
12 M. Mandzic (interprétation). - Non, ce n'est pas exact. Si vous
13 vous rappelez, je l'ai dit hier, et même on peut très bien le voir sur
14 l'enregistrement, qu'aucun des représentants du côté bosnien n'a demandé
15 de faire cet accord, ni le 11 ni le 12. C'est la Forpronu qui a organisé
16 la première réunion à Bratunac le 11 juillet. Et je répète, ces
17 négociations n'ont pas été faites à la demande des Bosniens.
18 M. Cayley (interprétation). - Si nous pouvons maintenant nous
19 référer à la partie du document qui dit : "A la fin des négociations entre
20 les deux parties, il a été convenu que notre population civile pouvait
21 rester dans l'enclave ou quitter dépendamment des désirs des individus".
22 Maintenant, monsieur Mandzic, est-ce que c'est bel et bien ce
23 qui s'est passé le 12, et le 13 juillet ?
24 M. Mandzic (interprétation). – Non. Vraiment, aucun des mots qui
25 se trouvent sur ce document ne correspond à la réalité telle qu'elle était
Page 1010
1 le 12 et le 13 juillet, ni les journées qui ont suivi. Et le comité
2 international de la Croix-Rouge a enregistré par milliers des personnes
3 disparues dont on ne connaît pas le sort même aujourd'hui. J'aimerais dire
4 à vous, Monsieur le Président, et à l'honorable Tribunal, j'aimerais que
5 dans ces déclarations, les représentants bosniens n'ont pas participé à
6 cette déclaration, et les représentants du Bataillon néerlandais n'ont pas
7 participé non plus, mais c'étaient bien les représentants du pouvoir de la
8 Republika Srpska et l'ont donné aux officiers hollandais, néerlandais et
9 aux officiers des représentants bosniens.
10 M. Cayley (interprétation) - Au troisième paragraphe, donc après
11 ce paragraphe dont on a parlé, il stipule que c'était arrangé, que
12 l'évacuation serait faite par l'armée et la police de la Republika Srpska
13 et que la Forpronu donnerait, ferait la supervision et donnerait une
14 escorte à l'évacuation.
15 Est-ce que cette déclaration reflète la vérité telle qu'elle
16 s'est déroulée au sol le 12 et le 13 juillet ?
17 M. Mandzic (interprétation). – Non, cela ne reflète pas du tout
18 la vérité telle qu'elle s'est déroulée à Potocari et sur la route de
19 Potocari, menant de Potocari à Kladanj, Kladanj étant une petite ville au
20 nord-ouest en Bosnie. C'était le premier territoire tenu par les soldats
21 de l'armée de la Bosnie-Herzégovine, qui était sous leur contrôle à partir
22 de l'année 95, à partir de 1992.
23 Le major Franken, durant cette nuit, entre le 12 et 13 juillet,
24 s'est déjà plaint que les soldats de la Republika Srpska avaient presque,
25 avaient pris toutes les voitures qui faisaient l'escorte des Bosniens qui
Page 1011
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1012
1 étaient déportés vers Srebrenica et que, finalement, il ne pouvait même
2 plus envoyer des soldats, puisqu'il n'avait plus de véhicule, et qu'il ne
3 pouvait pas les soumettre au risque que l'armée de la Republika Srpska les
4 attaquerait.
5 M. Cayley (interprétation) - Donc, vous nous dites qu'en réalité
6 il y avait peu de convois qui étaient finalement vraiment escortés par la
7 Forpronu.
8 M. Mandzic (interprétation). – C'était seulement la première
9 journée, le 12 juillet. Lorsque vraiment les officiers du Bataillon
10 néerlandais ont envoyé les soldats et les véhicules pour suivre des
11 autobus dans lesquels se trouvaient des Bosniens que les soldats de la
12 Republika Srpska voulaient déporter vers Kladanj. Mais sur le chemin,
13 entre Potocari et Kladanj, d'après les dires du commandant Franken, ces
14 soldats ont été arrêtés par les soldats de la Republika Srpska, ils ont
15 été maltraités, on leur a enlevé les véhicules de la Forpronu. C'est donc
16 la raison pour laquelle ils n'ont pas pu faire leur devoir. Donc déjà le
17 13 juillet, la déportation avait été faite sans l'escorte et sans la
18 présence des forces de la Forpronu.
19 M. Cayley (interprétation) - Au tout dernier paragraphe, et
20 c'est peut-être une déclaration que vous ne pouvez pas vraiment commenter,
21 mais le dernier paragraphe dit qu'aucun incident n'a été provoqué des deux
22 côtés pendant l'évacuation, et que le côté serbe a suivi tous les
23 réglements des conventions de Genève. Et il y a une phrase qui est écrite
24 concernant les convois escortés par les forces de la Forpronu. Qu'est-ce
25 que vous avez à dire sur cela ?
Page 1013
1 M. Mandzic (interprétation). – Oui. Comme j'ai déjà mentionné au
2 Tribunal, le représentant civil serbe, le représentant Deronjic, est venu
3 déjà avec cette déclaration, elle était déjà préparée. C'était un
4 ultimatum, et il demandait, il exigeait que cette déclaration soit signée.
5 Mais il savait également, il connaissait la situation. Il savait qu'à
6 Bratunac, du 13 au 17 juillet, on avait gardé un groupe de quelques
7 dizaines de blessés, dont je parlais, qui étaient évacués le 13 juillet.
8 Dans le camp, il y avait également 27 Bosniens.
9 Il savait exactement, pertinemment, qu'à l'intérieur du camp il
10 y avait des dizaines de personnes gravement blessées. Il jouait sur cette
11 carte, avec cette carte-là. Il pensait que nous devions signer puisqu'on
12 parlait de vies des gens, il s'agissait de vies. Et donc c'était la
13 condition que toutes ces personnes que j'ai mentionnées pour pouvoir les
14 sauver, que c'était bien cela. Il a donc bien fallu prendre en
15 considération la situation d'environ 400 à 450, la position de 400 à
16 450 soldats néerlandais qui étaient en Bosnie.
17 J'ai relu ces déclarations plusieurs fois. J'ai regardé le
18 commandant Franken dans les yeux, et le commandant Franken savait très
19 bien que cette déclaration ne convenait pas du tout à la tragédie qui se
20 déroulait, qu'il s'agissait de parler de la convention de Genève, des
21 droits de l'homme d'une façon cynique. On parlait de la loi internationale
22 de guerre, etc., mais c'était très cynique.
23 Encore une fois, j'aimerais souligner, pendant ces jours-là, au
24 mois de juillet de l'année 1995, nous étions complètement seuls, nous
25 étions sans aide, le monde se taisait et ne savait pas ce qui se passait à
Page 1014
1 Srebrenica, c'est-à-dire à Potocari. La communauté internationale n'était
2 pas en mesure d'envoyer à Srebrenica et à Potocari des représentants de la
3 Croix-Rouge, ni les représentants de la Croix-Rouge, ni les représentants
4 du HCR, ou des Nations Unies. Nous avons seulement eu des contacts avec
5 les officiers du Bataillon néerlandais de la Forpronu, et eux qui étaient
6 en contact avec leur commandement en Hollande. Ils avaient en fait très
7 peur pour le sort de leurs soldats, et j'aimerais être très honnête, moi
8 je m'inquiétais du sort de mes concitoyens. Il était clair que bien sûr,
9 nous voulions tous arrêter cette hécatombe. Je pense que la préoccupation
10 principale du commandant néerlandais était que ces soldats retournent
11 sains et saufs à la maison.
12 C'est à ce moment-là que le commandant Franken a suggéré que
13 cette déclaration qui nous avait été faite ou offerte par Deronjic,
14 représentant civil, et c'est pour cela qu'il a ajouté cette phrase, donc
15 la phrase manuscrite : "seulement si on prend en considération les convois
16 qui sont escortés par les forces de l'ONU".
17 Cela change le sens. Cela veut dire que cette déclaration
18 pourrait se rapporter seulement, si l'évacuation pouvait seulement se
19 rapporter aux personnes qui seraient évacuées par les personnes qui
20 étaient escortées par les officiers néerlandais.
21 Déjà, le 12 et le 13 juillet, les soldats néerlandais ont
22 déclaré que seulement deux ou trois autobus avaient pu être escortés
23 jusqu’à Kladanj, mais pas plus loin ou pas plus. Pour les autres autobus,
24 et il y en avait des centaines, ils n'ont pas été en mesure de les
25 escorter puisque les soldats serbes leur avaient enlevé leurs véhicules et
Page 1015
1 l’équipement. Et c'est pour cela, c'est en suivant la suggestion du
2 commandant Franken que j'ai signé cette déclaration.
3 Monsieur le Président, j'aimerais que vous compreniez que
4 c'était un ultimatum de la part des représentants civils militaires
5 serbes, telle que la situation se présentait cette journée-là, le 12 et
6 13 juillet 1995. Il y avait des dizaines de milliers de personnes qui
7 étaient déportées, et nous ne savions même pas si ces personnes étaient
8 arrivées à destination, c’est-à-dire dans des abris temporaires. Il était
9 absolument impossible pour nous de savoir ce qui se passait exactement.
10 En signant cette déclaration, nous voulions faire en sorte que
11 les blessés qui se trouvaient à Potocari et à Bratunac et que les
12 27 Bosniens qui travaillaient à la Forpronu, comme représentants civils de
13 la Forpronu, nous voulions prendre en considération la vie des soldats
14 néerlandais. Ce qui est tragique et triste, c’est que cette déclaration
15 fait appel au respect de toutes les déclarations des conventions de Genève
16 et de la loi de guerre. Mais nous pensions et nous étions forcés à la
17 signer, puisque, d'après nous, c'est de notre signature que dépendait le
18 sort des centaines de personnes, même si nous n'étions pas convaincus que
19 ces quelques centaines de personnes civiles et de soldats, représentants
20 du Bataillon néerlandais, seraient donc sauvés par cette signature.
21 M. Cayley (interprétation). – Monsieur le Président, à ce
22 moment-ci, nous pourrions peut-être prendre une pause. J'ai environ
23 5 minutes de mon examen principal encore.
24 M. le Président. - Je crois que c'est quand même un bon moment
25 pour faire la pause, le témoin doit être fatigué, les interprètes, nous-
Page 1016
1 mêmes. Nous allons donc faire une pause de 20 minutes. Et nous allons
2 reprendre après la pause.
3 (L'audience, suspendue à 10 heures 53, est reprise à 11 heures
4 20.)
5 M. le Président. - Vous vous êtes réconfortés avec une petite
6 pause, un petit café ou autre chose. On peut continuer, et pour cela vous
7 avez la parole, Maître Cayley.
8 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
9 Monsieur Mandzic, à partir du 17 juillet et jusqu'au 21 juillet, où étiez-
10 vous ?
11 M. Mandzic (interprétation). - J'étais au sein du commandement
12 du Bataillon néerlandais. Dans le cadre de cette base, il y avait quelques
13 centaines de soldats néerlandais et 27 Bosniens que j'ai mentionnés plus
14 tôt. C'étaient des personnes qui travaillaient pour la Forpronu comme
15 interprètes et traducteurs et d'autres personnes qui travaillaient pour
16 Médecins sans frontières. C'est un organisme qu'on appelle MSF, donc
17 Médecins sans frontières.
18 Nous étions donc à Potocari du 11 au 21 juillet jusqu'à midi ou
19 12 heures. C'est à ce moment-là que nous avons quitté Potocari et
20 Srebrenica et nous nous sommes donc rendus au territoire de la République
21 fédérale de la Yougoslavie, à Sabac. Et nous nous sommes dirigés vers le
22 nord, vers la Croatie et, le 22, très tôt le matin, nous nous sommes
23 trouvés à Zagreb.
24 M. Cayley (interprétation). - Vous avez mentionné que les gens
25 qui étaient à l'intérieur de la base étaient des membres du Bataillon
Page 1017
1 néerlandais. Il y avait également d'autres personnes, c'était des
2 Bosniens. Et plus tôt, vous avez mentionné que l'homme qui vous avait
3 accompagné à la réunion, le 12 juillet, le matin, s'appelait Ibro
4 Nuhanovic. Vous avez également dit dans votre témoignage qu'Ibro a disparu
5 par la suite.
6 Pouvez-vous dire au Tribunal ce que vous savez de ce qui est
7 arrivé à Ibro Nuhanovic et à sa famille ?
8 M. Mandzic (interprétation). – Oui. Ibro Nuhanovic, avant la
9 guerre, était directeur d'une entreprise qui faisait…, donc une entreprise
10 de bois. Il avait deux fils, ils étudiaient à l'époque et il était marié.
11 Il avait donc une épouse. Le 12 et le 13 juillet, il était avec la
12 délégation bosnienne.
13 Comme vous le savez, et comme je l'ai mentionné plus tôt, le
14 12 et le 13 juillet, une déportation massive de Bosniens a eu lieu et une
15 séparation des sexes, la séparation des hommes, et c'est pour cela qu'il y
16 a eu une demande de la part du côté serbe que le fils et la femme d'Ibro
17 soient déportés. Ibro était au courant de cette demande mais, en tant que
18 parent et en tant que père et en tant que mari, d'après lui, il n'a pas
19 été en mesure de voir cette séparation parce que c'était pour la première
20 fois de leur vie qu'ils allaient se séparer. Ils n'avaient aucune façon
21 d'avoir des nouvelles les uns des autres.
22 Alors, il est allé avec son fils et sa femme, son épouse, et ils
23 sont allés ensemble pour... C'est quelques jours plus tard, lorsque nous
24 sommes arrivés à Zagreb, qu'on nous a informés que ni lui ni son fils, ni
25 son épouse étaient sur le territoire contrôlé à l'époque par l'armée de la
Page 1018
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1019
1 Bosnie-Herzégovine ; ni même son fils, qui aujourd'hui est en vie et qui
2 vraiment est tout seul, esseulé, il est terriblement triste parce que ses
3 deux parents et son frère ne sont plus en vie.
4 Il a même essayé d'appeler des gens qu'il connaissait avant la
5 guerre, il a essayé d'entrer en contact avec des gens, des connaissances
6 pour savoir si quelqu'un aurait un détail concernant ses parents et son
7 frère. Mais personne ne pouvait lui donner aucun renseignement.
8 J'ai été en mesure, ou j'ai pu parler avec le fils d'Ibro, qui
9 est encore en vie, qui se trouvait dans cette colonne, qui était parmi ces
10 27 Bosniens. J'ai pu lui parler. Je dois vous dire que le fils d'Ibro est
11 un intellectuel, il travaille pour les forces des Nations Unies à l'IPTF,
12 sur le territoire de Tuzla, mais c'est une personne qui est complètement
13 psychologiquement brisée puisqu'il ne peut plus vivre de la même façon. Il
14 ne peut plus vivre de la même façon, il a eu d'énormes pertes.
15 M. Cayley (interprétation) - Monsieur le Président, je n'ai plus
16 d'autres questions pour le témoin, donc je propose le contre-
17 interrogatoire.
18 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Cayley. Maintenant,
19 monsieur Mandzic, vous allez répondre aux questions que la défense,
20 Me Petrusic ou M. Visnjic, c'est Me Petrusic qui va vous les poser, s'il
21 vous plaît.
22 M. Petrusic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,
23 bonjour, monsieur Mandzic.
24 [(Il a dit "M. Nuhanovic" reprend l'avocat de l'accusation, dit
25 M. Mandzic, dit l'interprète.)]
Page 1020
1 Ma première question serait la suivante, monsieur Mandzic.
2 Pourriez-vous nous dire et nous expliquer de quelle façon les Serbes et
3 les Musulmans vivaient sur le territoire de la municipalité de Srebrenica
4 avant cette crise, avant la guerre ?
5 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je peux. C'est tout un
6 plaisir de vous parler de cela. Je suis très heureux que vous m'ayez posé
7 cette question. La Bosnie-Herzégovine avant la guerre était une union
8 multiethnique dans laquelle vivaient trois peuples constitutionnels : les
9 Bosniens, les Serbes et les Croates et les autres, les autres. La vie dans
10 un secteur multiculturel, multiethnique, était très harmonisée. C'était
11 une telle harmonie, on respectait les traditions, les confessions des
12 différents peuples.
13 Il n'y avait pas, et je le répète, il n'y a jamais eu ni de
14 problèmes ethniques, ni de problème national pour que les gens ne parlent
15 pas. Tout le monde s'entraidait, les gens vivaient ensemble et la
16 situation était la même à Srebrenica. C'est un très bon exemple de la
17 multiethnicité qui régnait sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine et
18 sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.
19 M. Petrusic (interprétation). - En automne 1991, sur le
20 territoire de la Bosnie-Herzégovine, il y a eu des élections et, avant
21 cela, des partis politiques ont été formés. Après cela, donc ce processus
22 d'élection qui a eu lieu à l'époque, il a fallu créer des organes
23 politiques dans la municipalité de Srebrenica.
24 Comme vous étiez à l'époque résident de Srebrenica, si je me
25 souviens bien de votre déclaration, lorsque vous avez donné le détail, vos
Page 1021
1 détails personnels, ma question est la suivante : pourriez-vous nous dire
2 de quelle façon est-ce que ces organes ont été constitués, ces organes de
3 pouvoir avant, donc pendant les élections ?
4 M. Mandzic (interprétation). – Oui, merci, j'ai compris votre
5 question. Les premières élections qui ont eu lieu en Bosnie-Herzégovine et
6 pour la municipalité de Srebrenica ont eu lieu en 1990, à l'automne, et
7 non pas en 1991. Et après ces résultats des élections municipales à
8 Srebrenica, nous avons eu des élections multipartites. Et les élections,
9 les résultats étaient tels, il faut le mentionner, que les partis
10 politiques bosniens avaient donc la majorité au sein du gouvernement et de
11 l'assemblée municipale de Srebrenica.
12 M. Petrusic (interprétation). - Vous étiez président de
13 l'assemblée municipale ?
14 M. Mandzic (interprétation). – Non, je ne l'étais pas, vous
15 pouvez même le vérifier. Vous pouvez vérifier, je n'ai pas été membre à ce
16 moment-là, après les élections municipales en 1997. Je suis maintenant
17 représentant de la municipalité.
18 M. Petrusic (interprétation). - Donc vous parlez aujourd'hui,
19 vous êtes membre du conseil municipal ?
20 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je le suis maintenant.
21 M. Petrusic (interprétation). - Mais les Serbes étaient en
22 minorité dans la municipalité de Srebrenica d'après quelques données. Il y
23 avait environ de 25 % à 30 % de Serbes ?
24 M. Mandzic (interprétation). – Oui, c'est exact.
25 M. Petrusic (interprétation). - A l'époque, ils ne participaient
Page 1022
1 pas, ils n'avaient pas, ils n'étaient pas membres, ils ne participaient
2 pas au sein du conseil municipal ?
3 M. Mandzic (interprétation). – Non, pas du tout, ils faisaient
4 partie. Pour vous donner une idée un peu plus claire, après les élections
5 multipartites, même avant ces élections, il y avait de la multiethnicité,
6 mais toutes les entreprises qui étaient multiethniques fonctionnaient très
7 bien, ainsi que les autres, ainsi que tous les établissements, ainsi que
8 toutes les entreprises.
9 M. Petrusic (interprétation). - Les représentants musulmans,
10 est-ce qu'on a posé la question au représentant musulman et au
11 représentant de l'assemblée municipale ? Ont-ils demandé au représentant
12 de l'assemblée municipale, est-ce que ce représentant devait être, est-ce
13 que le maire devait être M. Zekic ?
14 M. Mandzic (interprétation). – Je voudrais souligner qu'à
15 l'époque je n'étais pas membre du conseil municipal, donc je n'avais pas
16 de mandat à l'époque. Mais, d'après mon souvenir, le président de
17 l'assemblée municipale était issu du peuple bosnien, puisque le président
18 devient, l'emporte avec la majorité.
19 M. Petrusic (interprétation). - Donc, même à l'époque, en 1991,
20 est-ce qu'on pourrait dire qu'il y a eu des changements au niveau
21 politique et que cela s'est reflété sur la population ?
22 M. Mandzic (interprétation). – Non. Au sein de ce système
23 multipartite, il y aurait peut-être eu de petites différences, mais cela
24 n'a pas été, cela ne se reflétait pas : la population vivait d'une façon
25 très harmonieuse, s'entraidait. Et je vais vous donner des exemples plus
Page 1023
1 tard de ma ville natale, de ce qu'elle a, nous étions tous ensemble, nous
2 allions à l’école ensemble, les Bosniens et les Serbes, nous nous
3 visitions, nous nous rendions visite jusqu'au mois d'avril 1992.
4 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur Mandzic, pourriez-vous
5 nous expliquer les raisons pour lesquelles la population serbe a quitté
6 Srebrenica en 1992, a donc dû quitter Srebrenica, quitter Srebrenica
7 en 1992 ?
8 M. Mandzic (interprétation). - Oui, déjà au printemps et même
9 avant le printemps, au mois de février, il y a eu des politiciens locaux
10 issus du peuple serbe qui ont demandé la mise en place d'une assemblée
11 nationale serbe au sein de l'assemblée municipale de Skelani et d'autres
12 municipalités mono-nationales qui se trouvaient au sein de la municipalité
13 de Srebrenica.
14 Je ne sais pas si M. le Président m'a compris. Je voulais dire
15 que sur un territoire de 529 km2 que représentait donc Srebrenica -c'est
16 donc le territoire de Srebrenica- il y avait environ 38 000 personnes, des
17 politiciens locaux serbes de la municipalité de Srebrenica qui voulaient
18 une division de la municipalité, qui voulaient une division nationale, ce
19 qu’il n'était pas possible de faire puisque les gens vivaient tous
20 ensemble et les maisons étaient collées les unes aux autres. Dans un même
21 immeuble, vous aviez des Serbes, des Bosniens et d’autres ethnies.
22 Donc, d'après moi, même comme membre du conseil municipal et les
23 gens qui habitaient, les habitants… C'était une demande qui ne faisait que
24 renforcer les différences et qui ne menait à rien.
25 M. Petrusic (interprétation). - Donc les Serbes ont quitté
Page 1024
1 Srebrenica ?
2 M. Mandzic (interprétation). – Si je me souviens bien, un petit
3 nombre, c'est-à-dire… Oui, une plus grande partie ont dû quitter le
4 centre-ville où il y avait environ 5 000 habitants, ils ont quitté la
5 ville en essayant d'aller à Ljuboja, à Bojno, dans les environs. Ils se
6 sont réfugiés dans les environs et je disais : "Pourquoi voulez-vous
7 déménager ?". Les gens disaient : "On dirait que les temps ne sont pas
8 très sûrs, on dirait que la guerre va éclater", etc.
9 M. Petrusic (interprétation). – Est-ce que les autorités
10 municipales et les structures politiques qui étaient en place à l'époque
11 ont pu faire quelque chose pour que cette population ne quitte pas la
12 ville ?
13 M. Mandzic (interprétation). - Oui. Ils ont essayé. D'abord,
14 avec leur autorité personnelle et beaucoup d'enthousiasme, l'ancien
15 président de la municipalité, le président Visnjivic s'est engagé lui-même
16 directement. Il se rendait d'un village à l'autre, il allait d'une
17 municipalité à l'autre et il demandait, il suppliait les gens de ne pas
18 paniquer. Il disait aux gens : "Nous vivons ici sur ce territoire depuis
19 des centaines d'années, nous serons en mesure d'outrepasser cette crise,
20 mais il faut travailler ensemble".
21 Je dois dire qu'à l'époque, puisque les Serbes quittaient, mais
22 il y avait encore beaucoup plus de Bosniens qui avaient quitté, c’est
23 d'abord les Bosniens qui ont quitté la ville à la fin du mois de mars ou
24 d'avril 1992. Srebrenica, au mois d’avril. C'étaient d'abord les Bosniens
25 qui ont quitté la ville. Une partie des Serbes également a quitté la ville
Page 1025
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1026
1 mais, par la suite, ils sont retournés dans la ville. La plupart des
2 Bosniens qui vivaient dans cette ville a quitté la ville et n'est toujours
3 pas de retour dans la ville.
4 M. Petrusic (interprétation). - A l'époque, monsieur Mandzic, il
5 y a eu des formations armées, d'abord à Potocari, dans les villages de
6 Suceski et les autres villages environnants, qui étaient sous Naser Oric,
7 Zulfo Tursunovic et les autres. Avez-vous des renseignements là-dessus ?
8 M. Mandzic (interprétation). - Il faut revenir en arrière, il
9 faut trouver la raison pour cela. Il y a eu des gardes de village de
10 formés.
11 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur, permettez-moi, je vais
12 vous reposer la question de nouveau, si vous croyez que c'est nécessaire
13 j'aimerais que vous répondiez d'abord à ma question.
14 M. Mandzic (interprétation). - A Bratunac déjà, en avril, déjà
15 au début d'avril, les unités paramilitaires venaient d'arriver, les unités
16 d’Arkan, et d'autres qui s'appelaient Bijeli Labudovi. Ils ont forcé la
17 population bosnienne à quitter la ville et les villages environnants. La
18 même chose est arrivée à Srebrenica où les unités de Cecelj et d’Arkan,
19 avec le support de quelques dirigeants locaux, ces mêmes unités ont
20 pénétré dans Srebrenica et ils ont causé… Ils ont fait en sorte que le
21 peuple bosnien se retire vers des villages isolés. Ces unités
22 paramilitaires qui étaient arrivées de Serbie, c'est-à-dire de la
23 Yougoslavie, ont attaqué ces villages bosniens, de sorte que la population
24 a dû se défendre. Nous pourrions dire qu'il y avait, dans ces villages,
25 des gardes de villages, non pas tellement organisées, mais leur devoir
Page 1027
1 était d'arrêter l'exode de la population.
2 M. Petrusic (interprétation). – Il y a également eu la formation
3 de la zone protégée, l'accord sur la démilitarisation.
4 M. Riad (interprétation). - J'aimerais demander à l'interprète
5 de dire question-réponse, car c'est toujours la même voix, on ne sait pas
6 quand la question et quand la réponse s’arrêtent.
7 M. Petrusic (interprétation). - Nous parlons maintenant de
8 l'année 1993, de la Résolution des Nations Unies, qui donc établit une
9 zone de protection et un accord de démilitarisation de la zone entre
10 M. Sefer Alilovic et le général de l'armée de la Bosnie-Herzégovine et le
11 général Mladic.
12 Est-ce que cette zone, monsieur Mandzic, donc l'enclave la zone
13 protégée de Srebrenica, était effectivement vraiment démilitarisée ?
14 M. Mandzic (interprétation). - Généralement parlant, oui.
15 D'abord et avant tout, toute l'artillerie lourde avait été donnée ou
16 remise aux forces de protection de la paix avec l'aide, d'après ce que je
17 me souviens, d'après ce que l'on entendait dire et d'après les listes que
18 les représentants de la Republika Srpska faisaient, que le matériel lourd
19 avait été remis, le matériel léger également.
20 J'ai pu le voir, j'ai pu le constater moi-même et tous les gens
21 qui vivaient dans l'enclave. On pouvait voir des piles à côté de
22 l'immeuble des PTT, de la poste. Nous pouvions voir des armes plus légères
23 et des armes lourdes qui étaient remises et qui formaient une pile à côté
24 des PTT. Je ne sais pas ce qu'ils faisaient avec ces armes, mais ils les
25 détruisaient probablement.
Page 1028
1 M. Petrusic (interprétation). - A Srebrenica, est-ce qu'il y
2 avait le commandement de la 28ème Division dont le commandant était
3 M. Oric ?
4 M. Mandzic (interprétation). - Je pourrais vous dire qu'elle
5 n'existait pas vraiment ou réellement. Nous, dans l'enclave, en fait, il
6 n'y avait pas d'unité militaire armée. J'ai pu constater, au mois de
7 septembre 1995, aux alentours de Tuzla, j'ai vu la formation, j'ai assisté
8 à la formation de la 28ème Division que le colonel Hazim Delic a formée,
9 mais cela c'était quelques mois après que l'enclave avait été prise par
10 l’armée de la Republika Srpska.
11 M. Petrusic (interprétation). - En 1995 ?
12 M. Mandzic (interprétation). – Oui, en 1995, autour de la
13 Division de Tuzla, le commandant de l'armée, Hazim Delic, a donc fait
14 cette formation.
15 Et, simplement, je voulais vous dire ou vous mentionner que déjà
16 depuis le mois de janvier 1993 je ne fais pas partie des forces armées et
17 je travaille dans l'éducation des enfants.
18 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, puisque je
19 suppose que vous connaissez parfaitement bien toute la situation qui
20 régnait en juillet 1995 et dans la période suivant juillet 1995, ainsi que
21 la situation précédente dans la région, pouvez-vous nous expliquer la
22 chose suivante : dans la colonne qui s'est créée, dans la nuit du 10 au
23 11 juillet, dans le village de Susnjari, comment il a pu se trouver au
24 sein de cette colonne au moins 5 000 hommes armés, si véritablement la
25 démilitarisation avait eu lieu ?
Page 1029
1 M. Mandzic (interprétation). - Les choses se sont passées
2 ainsi : moi je ne me suis pas trouvé dans ce village dont vous venez de
3 donner le nom, Susnjari. Mais j'ai déjà dit que la démilitarisation avait
4 pour l'essentiel été réalisée à savoir, toutefois, que certaines personnes
5 qui avaient un permis de port d'armes, et je parle d'armes légères, par
6 exemple un fusil de chasse ou une autre arme personnelle, ces personnes
7 avaient conservé cette arme en souvenir la plupart du temps, et c'est la
8 raison pour laquelle on pouvait voir à Srebrenica des civils qui avaient
9 conservé une arme de ce type. Mais j'ajoute que le nombre de ces personnes
10 ne peut pas dépasser quelques centaines.
11 Si l'on cherche aujourd'hui des preuves des documents auprès du
12 poste de police de Srebrenica, on se rendra compte que s'agissant de ceux
13 qui portaient une arme de ce type avant la guerre, on ne peut en trouver
14 que quelques centaines, au maximum 500. Donc voilà les personnes qui
15 détenaient une arme personnelle. Pour le reste, je ne suis pas au courant.
16 Et ces personnes qui avaient conservé une arme l'avaient fait
17 pour être capables de se défendre en cas d'attaque soudaine. Et si elles
18 se constituaient en groupes, il s'agissait de gardes villageoises qui
19 n'avaient rien à voir avec une unité sous contrôle de l'armée.
20 M. Petrusic (interprétation). – Donc si je vous ai bien compris,
21 dans les circonstances de l'époque dans notre pays, il s’agissait d’armes
22 qu'il était tout à fait possible d'acheter chez un armurier, à condition
23 bien sûr d'être détenteur d'un permis de port d'arme ?
24 M. Mandzic (interprétation). - Avant la guerre, vous voulez
25 dire ?
Page 1030
1 M. Petrusic (interprétation). – Oui, en effet, je parlais des
2 armes de chasse.
3 M. Mandzic (interprétation). – Mais tous les habitants ne
4 pouvaient pas se procurer une arme. Je me rappelle que des dizaines de
5 demandes ont été présentées pour obtenir un permis de port d'arme dans une
6 communauté locale à laquelle je pense en particulier et que dix personnes
7 seulement l'ont obtenu.
8 M. Petrusic (interprétation). - Quand était-il des armes
9 automatiques, par exemple des armes légères d'infanterie ? Ces armes ne
10 donnaient pas lieu à la délivrance d'un permis ?
11 M. Mandzic (interprétation). – Non, non.
12 M. Petrusic (interprétation). - Dans le village de Slapovici, et
13 je parle du 8 juillet, y avait-il des formations armées le 8 juillet à
14 Slapovici ?
15 M. Mandzic (interprétation). - Je ne sais pas. La seule chose
16 que je sais, c’est que le 6 juillet déjà des unités de l'armée de la
17 Republika Srpska ont enfoncé le barrage de Zeleni Jadar qui était tenu par
18 les forces de la Forpronu et a poursuivi son avance dans la direction du
19 village de Slapovici où se trouvaient plusieurs milliers de réfugiés qui
20 avaient été déplacés déjà en 1992, 1993, des villages entourant Bratunac,
21 par exemple.
22 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, le projet de
23 relogement des Suédois portait sur plusieurs centaines d'appartements ?
24 M. Mandzic (interprétation). – Oui, tout à fait.
25 M. Petrusic (interprétation). - Il a permis de reloger combien
Page 1031
1 d'habitants ?
2 M. Mandzic (interprétation). - Selon moi, entre 2 et 3 000. Les
3 représentants du pouvoir municipal de Srebrenica de l'époque ont sans
4 doute des éléments plus précis à leur disposition.
5 M. Petrusic (interprétation). – Mais un point d'éclaircissement,
6 vous avez parlé hier de ces personnes qui ont quitté Slapovici pour se
7 rendre à Srebrenica. Il s'agit de ces personnes ?
8 M. Mandzic (interprétation). – Oui, mais il y a aussi les
9 villages de Bajramovici et d'autres villages avoisinant immédiatement
10 Slapovici, et ce sont ces habitants qui ont créé une colonne.
11 M. Petrusic (interprétation). – Donc vous parliez de tous les
12 villages ?
13 M. Mandzic (interprétation). – Oui, je parlais de Slapovici et
14 des villages voisins, de l’autre côté d'une toute petite colonne,
15 Pusmulici, Bajramovici, etc., de sorte que si on fait le total du nombre
16 de ces personnes qui ont quitté leur foyer, on arrive à plus de 5 000
17 personnes.
18 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur Mandzic, s'agissant de
19 la première et de la deuxième réunions tenues à Bratunac, les 10 et
20 11 juillet, pourriez-vous nous donner quelques informations
21 supplémentaires par rapport à ce que vous avez dit hier et aujourd'hui, eu
22 égard notamment à l'éventuelle participation du général Krstic à ces
23 réunions.
24 M. Mandzic (interprétation). – Tout ce que je peux dire, c'est
25 que le général Krstic, qui est assis dans ce prétoire et l'était également
Page 1032
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1033
1 hier, était présent à côté de Mladic, mais qu'il n'a pas dit un mot des
2 modalités de règlement des problèmes de la population ou des modalités
3 d'une évacuation éventuelle qui, en fait, s’est soldée par une
4 déportation. Le général Krstic a gardé le silence.
5 Est-ce qu’en gardant le silence il entérinait ce que disait le
6 général Mladic, c'est aux Juges de cette Chambre qu'il appartiendra d'en
7 décider.
8 M. Petrusic (interprétation). - Donc, vous avez participé à la
9 réunion du 12 juillet également, avec deux autres représentants de la
10 population musulmane. Pouvez-vous me dire qui menait les pourparlers, les
11 négociations ? Etait-ce la Forpronu ? Je vous rappelle le compte rendu
12 d'audience de l'audience d’hier. Etait-ce les représentants de la Forpronu
13 ou vous-même qui dirigiez ces négociations ?
14 M. Mandzic (interprétation). – Ces négociations nous ont été
15 imposées par l'armée de Republika Srpska et elle les a imposées, tout
16 d'abord et avant tout, à la Forpronu. Donc, d'un point de vue juridique,
17 ces négociations se menaient entre l'armée de la Republika Srpska et la
18 Forpronu.
19 Quant à nous, nous étions les représentants d'une délégation qui
20 avaient besoin et souhaitaient pouvoir exprimer ses préoccupations par
21 rapport à la situation, et par rapport au sort que vivaient plus de
22 30 000 personnes. Nous souhaitions parler de leurs besoins sur le plan
23 humanitaire, etc..
24 Même si, au cours de cette réunion, je vous le rappelle au cas
25 où vous l'auriez oublié, j'ai dit au général Mladic, et ce n'était pas
Page 1034
1 facile, il fallait beaucoup de courage pour le faire, je lui ai dit :
2 "Général, dans la situation qui vient de naître sur le territoire de la
3 municipalité de Srebrenica" -et je pensais à Potocari plus précisément, et
4 compte tenu de la situation de ces 30 000 réfugiés qui se sont regroupés-,
5 j'ai demandé au général Mladic si la communauté internationale et ses
6 organisations, le HCR, le CICR, etc., en étaient informés.
7 M. Petrusic (interprétation). - S'agissant de la situation à
8 l'intérieur de la base, et du fait que les hommes ont été séparés du reste
9 de la population, pouvez-vous nous dire si des critères particuliers ont
10 été appliqués, si les hommes qui étaient séparés du reste de la
11 population, l’étaient parce qu'ils étaient en âge de porter les armes par
12 exemple, ou si cela s'est fait en l'absence de quelque critère que ce
13 soit ?
14 M. Mandzic (interprétation). - Comme je l'ai déjà dit, j'ai vu
15 que l'on faisait monter à bord des autobus les femmes, les enfants en bas
16 âge, âgés de un à 12 ans, et je n'ai pas vu ce qui se passait avec les
17 autres personnes.
18 J'en ai conclu que les soldats de l'armée de la Republika Srpska
19 séparaient les hommes et les jeunes gens âgés de 12 ans à 60 ans et plus
20 du reste de la population, parce que, pour l'essentiel, ce que l'on voyait
21 à Potocari c'était surtout des vieillards et des hommes handicapés, des
22 hommes qui avaient au moins 65 sinon 70 ans et qui, bien entendu,
23 n'étaient pas en âge de porter les armes.
24 Je vais vous donner un exemple, Madame et Messieurs les Juges,
25 le village de Tokurac, un village du voisinage. J'habitais dans une rue de
Page 1035
1 ce village, et il y avait un vieillard de 85 ans qui y habitait également.
2 Il a été amené dans une charrette parce qu'il ne pouvait pas marcher. Cet
3 homme, qui avait pour seule occupation de garder des moutons, et qui
4 n'avait jamais rien fait d'autre, n'est plus vivant aujourd'hui. Il a été
5 tué.
6 M. Petrusic (interprétation). - Vous avez parlé de l'officier,
7 du colonel Nikolic. Avez-vous des informations plus précises ? Pouvez-vous
8 dire s'il s'agissait d'un officier de la troupe ?
9 M. Mandzic (interprétation). - Je ne comprends pas ce que vous
10 voulez dire par le mot "troupe".
11 M. Petrusic (interprétation). – Etait-ce un officier de
12 l'infanterie ou avait-il des fonctions plus particulières s'agissant du
13 maintien de la sécurité ? Est-ce que c'était un officier de
14 renseignements ? Je dis cela parce qu'il a été question du fait qu'il
15 avait interrogé des personnes.
16 M. Mandzic (interprétation). - Je ne sais pas à quel service
17 appartenait cet officier. Je ne saurais pas le confirmer.
18 M. Petrusic (interprétation). – Eh bien, ce fameux 12 juillet,
19 lorsque selon ce que vous avez dit, l'armée de la Republika Srpska est
20 arrivée, c'est-à-dire le jour où vous avez pu voir des soldats et des
21 officiers de l'armée de la Republika Srpska, pouvez-vous nous dire s'ils
22 portaient des insignes sur leur uniforme, des insignes divers, autrement
23 dit des emblèmes particuliers ?
24 M. Mandzic (interprétation). – Je l'ai déjà dit aux Juges de
25 cette Chambre, j'ai vu des centaines de soldats. Certains de ces soldats
Page 1036
1 portaient des emblèmes, d'autres non.
2 Mais ce qui m'a le plus surpris, c'est de constater qu'il
3 s'agissait de plusieurs centaines de jeunes hommes en uniforme, que je
4 n'avais jamais vus jusque-là dans la région. Je crois pouvoir dire que je
5 connais bien la région où je suis né. D'ailleurs, si l'un d'entre eux
6 avait été originaire de ma région, il m'aurait aussi reconnu.
7 Mais je répète qu'il y avait des soldats en grand nombre qui ne
8 portaient pas d'insignes non plus. Je veux parler de ces sodas de l'armée
9 de la Republika Srpska.
10 M. Petrusic (interprétation). - Mais y avait-il des policiers
11 parmi eux ? Pouviez-vous, à l'époque, distinguer un policier d'un soldat ?
12 M. Mandzic (interprétation). – Non, non, d'ailleurs, je n'ai vu
13 aucun insigne de la police qu'il s'agisse de la police civile ou de la
14 police militaire.
15 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, la déclaration
16 qui vous a été soumise à la fin de l'interrogatoire principal de mon
17 collègue de l'accusation, pouvez-vous me dire si le commandant Franken,
18 qui a signé cette déclaration, ou éventuellement vous-même, auriez eu la
19 possibilité de demander la rédaction d'une nouvelle déclaration, d'une
20 autre déclaration ? Vous m'avez compris ?
21 M. Mandzic (interprétation). – Oui, oui, je vous ai compris.
22 Votre question est très intéressante. Avec le recul du temps, la question
23 peut être posée de cette façon.
24 Mais si l'on prend en compte la situation de ces 30 000 réfugiés
25 à l'époque, et le fait qu'il s'agissait de les déporter vers un lieu
Page 1037
1 inconnu, si l'on tient compte du fait que les unités de l'armée de la
2 Republika Srpska ont les 12 et 13 juillet arrêté le convoi transportant
3 les blessés à Bratunac, et que dans ce convoi il y avait des blessés
4 graves, si l'on tient compte également du fait qu’à Potocari, le
5 17 juillet, se trouvait regroupé un autre groupe de blessés graves dont
6 certains saignaient -je me souviens bien avoir vu le médecin du contingent
7 néerlandais effectuer des interventions chirurgicales, malgré le fait que
8 les conditions étaient très difficiles- tous les jours, des soldats de
9 l'armée de la Republika Srpska faisaient irruption à Potocari pour
10 procéder à des vérifications et nous terroriser. Ils montaient la garde à
11 l'extérieur du camp pendant la nuit.
12 Je rappelle que le commandant Nikolic, ou plutôt je me trompe,
13 c'est par le terme de colonel qu'on s'adressait à lui, donc le
14 colonel Nikolic venait en personne interroger les gens, leur poser des
15 questions, leur demander où ils étaient en 1992, en 1993, s’ils
16 connaissaient Naser Oric, s’ils connaissaient Zulfo Tusoric, etc.
17 Donc les pressions étaient quotidiennes, je dirais même
18 constantes, des pressions qui s'exerçaient sur les Bosniens et sur moi-
19 même. Il n'y avait donc aucune issue, il n’y avait pas de solution, parce
20 que si le désir d'une autre déclaration avait été exprimé j'aurais
21 beaucoup aimé m'asseoir à table et me mettre à écrire. Mais ils auraient
22 dû nous le proposer.
23 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, le 17, la
24 délégation serbe ne se composait que de Miroslav Deronjic, n’est-ce pas ?
25 M. Mandzic (interprétation). - Oui.
Page 1038
1 M. Petrusic (interprétation). - Je lis la fin de la
2 déclaration : "S'agissant du convoi, il sera escorté par les forces des
3 Nations Unies", ce qui est un sens assez différent.
4 Donc je n'ai aucun doute sur la peur qui régnait, mais si l'on
5 ajoute cette phrase qui, je le répète, change considérablement le sens de
6 la déclaration, pensez-vous qu'il aurait été possible de rédiger une autre
7 déclaration, si l'on tient compte du fait qu'il n'y a aucun soldat, aucun
8 policier à cette réunion destinée à aboutir à la signature de cette
9 déclaration. Il n'y a que des civils représentant la municipalité de
10 Srebrenica ? Donc pouvez-vous répondre à la question que je viens de poser
11 par oui ou par non ?
12 M. Mandzic (interprétation). - Dans la déclaration, il est fait
13 mention également d'autres représentants du pouvoir civil, à savoir des
14 Serbes. Regardez bien, mais c'est Deronjic qui a signé en leur nom à tous.
15 Et ce jour-là, il est vrai que j'ai vu Deronjic dans la base du Bataillon
16 néerlandais. Mais, toute cette journée, quand Deronjic était aux côtés du
17 commandant Franken, quand on m'a appelé moi aussi, il y avait aussi des
18 soldats et des officiers de l'armée de la Republika Srpska qui étaient
19 présents.
20 A l'endroit où nous nous sommes assis pour signer le document,
21 on pouvait voir à 5 mètres à peine des sentinelles de l'armée de la
22 Republika Srpska. Donc, nous ne pouvions pas influer pour obtenir une
23 modification de ce document, à part l’ajout de cette dernière phrase dans
24 le document, à savoir que le convoi serait escorté par les forces de la
25 Forpronu.
Page 1039
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1040
1 M. Petrusic (interprétation). - Savez-vous enfin que sous la
2 supervision du CICR, les Musulmans blessés ont été évacués de l'hôpital de
3 Bratunac pour être transportés jusqu'au territoire de la Bosnie-
4 Herzégovine sous escorte du comité international de la Croix-Rouge ?
5 M. Mandzic (interprétation). - Je ne dispose pas de tous les
6 détails. Je ne sais pas si tous ces blessés ont réussi à rester en vie. La
7 plupart d'entre eux sont encore vivants, effectivement. Je parle des
8 blessés.
9 Le 17 juillet, compte tenu des pressions exercées par les
10 représentants du Comité international de la Croix-Rouge, ils ont été
11 transportés effectivement mais, Monsieur le Président, Madame et Monsieur
12 les Juges, le nombre des blessés ou des handicapées dont on n'a aucune
13 nouvelle jusqu'au jour d'aujourd'hui est beaucoup plus nombreux.
14 M. Petrusic (interprétation). – Monsieur Mandzic, je vous
15 remercie. Monsieur le Président, je n'ai plus de questions à poser au
16 témoin.
17 M. Mandzic (interprétation). - Merci à vous également, Maître.
18 M. le. Président. - Monsieur Cayley ?
19 M. Cayley (interprétation). – Merci, Monsieur le Président. Je
20 n'ai pas de questions supplémentaires à poser au témoin, M. Mandzic.
21 Je demanderai simplement le versement au dossier d'un certain
22 nombre de pièces à conviction. Il s'agit des pièces suivantes : la
23 pièce 40, la vidéo qui montre la deuxième rencontre à Bratunac ; la
24 pièce 40 a, b, c, il s'agit des traductions en anglais, en français et en
25 BCS du procès-verbal de cette réunion ; la pièce 41 qui est un cliché
Page 1041
1 montrant le colonel Karremans qui est tiré de ce film vidéo ; la pièce 42
2 qui est un cliché montrant Petar, l'interprète et puis la pièce 43, qui
3 est le cliché sur lequel on voit un officier de l'armée de la VRS que le
4 témoin n'a pas pu identifier mais qu'il a reconnu comme étant l'un des
5 participants à la réunion ; la pièce 44, un cliché montrant le général
6 Mladic ; la pièce 45, un cliché montrant le général Krstic ; la pièce 46,
7 un cliché montrant une plaque brisée qui a été utilisée lors de la
8 réunion ; la pièce 47 accompagnée de ces traductions, 47 a traduction en
9 anglais ; 47 b, traduction en anglais faite sur le terrain ; 47 c,
10 traduction en français ; 47 d, traduction en BCS -de la pièce 47-. Et
11 enfin, la pièce 48 qui est le cliché où l'on voit le commandant
12 néerlandais, le commandant Boering.
13 Je demande donc le versement au dossier de l'ensemble de ces
14 pièces, Monsieur le Président.
15 M. le Président. – Oui, Monsieur Cayley, peut-être que nous
16 allons continuer avec la présence de M. Mandzic. Après, à la fin, on va
17 considérer cela en demandant à la défense ou peut-être on peut le faire
18 déjà ?
19 Maître Petrusic, avez-vous quelque objection au versement de ces
20 pièces ?
21 M. Petrusic (interprétation). – Non, Monsieur le Président.
22 M. le Président. – Donc les pièces sont versées.
23 Maintenant, je vais donner la parole à mes collègues pour savoir
24 s'ils ont des questions. Monsieur le Juge Riad, vous avez la parole, s'il
25 vous plaît.
Page 1042
1 M. Riad (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
2 Bonjour, monsieur Mandzic.
3 M. Mandzic (interprétation). - Bonjour.
4 M. Riad (interprétation). - Je vous prierai de bien vouloir me
5 donner des précisions supplémentaires par rapport à ce que vous nous avez
6 déjà dit.
7 D'abord au sujet de la réunion qui s'est tenue à l'hôtel
8 Fontana, et dont vous avez parlé avec les représentants du Procureur et
9 des avocats de la défense, cette réunion du 12 juillet qui a commencé à
10 10 heures, vous avez dit que le général Krstic étaient assis à côté du
11 général Mladic et qu'il avait gardé le silence.
12 Y a-t-il eu une quelconque autre manifestation au cours de cette
13 réunion de la part du général Krstic ou de quelque autre personne, une
14 manifestation d'assentiment, ou de désapprobation, ou une expression
15 menaçante, ou a-t-il simplement gardé le silence ? A votre avis, est-ce
16 qu’il aurait pu exprimer un sentiment quelconque en présence de Mladic ?
17 M. Mandzic (interprétation). - Monsieur le Juge, nous parlons
18 ici de la deuxième réunion ; celle du 12 juillet 1995, à l'hôtel Fontana.
19 Effectivement, aux côtés du général Mladic, se trouvait ce jour-
20 là le général Krstic. Et le général Krstic, comme tous les autres
21 officiers du commandement de l'armée de la Republika Srpska, n'a rien
22 ajouté à ce qu’avait dit le général Mladic. Lorsque le général Mladic a
23 fait la déclaration qu'il a faite à mon adresse, en disant : "Nesib, tout
24 est entre vos mains, vous pouvez rester sur place ou disparaître".
25 En tant qu'être humain, vivant sur cette planète, en tant
Page 1043
1 qu'être humain qui a reçu la vie de Dieu, nous avons bénéficié du droit de
2 vivre en paix. Et il est logique que la survie d'une population, d'une
3 communauté soit déterminée par le Seigneur, par le Créateur.
4 Or, le général Mladic déclare : "Vous pouvez disparaître". Aucun
5 des représentants militaires de l'armée de la Republika Srpska, aucun des
6 représentants civils serbes ne réagit en entendant ces mots. Ils sont donc
7 d'accord avec la pensée exprimée par le général, à savoir que la
8 disparition d'une partie de la population locale est une éventualité
9 réalisable, possible. Et c'est cela qui a semé la terreur parmi nous, les
10 représentants de la population bosnienne.
11 Pendant toutes ces journées, nous étions constamment soumis à
12 des pressions émanant, en premier lieu, des soldats de l'armée de la
13 Republika Srpska, mais également à des pressions psychologiques liées à
14 l'encerclement et à la création de ce ghetto dans un espace extrêmement
15 restreint à Potocari, en juillet 1995.
16 M. Riad (interprétation). - Je viens de vous entendre répéter à
17 plusieurs reprises le terme "disparaître", "vanis" en anglais. Vous êtes
18 sûr d'avoir bien compris ce que le général Mladic voulait dire ? Avez-vous
19 compris ce mot comme signifiant que vous deviez disparaître de la planète,
20 du globe terrestre ou de Srebrenica et de la Bosnie ? S'agissait-il très
21 clairement à votre avis d'extermination ?
22 M. Mandzic (interprétation). - Ce terme, ce mot, le mot
23 disparaître, je l'ai entendu comme signifiant la disparition des personnes
24 dont il était question, c'est-à-dire la mort. A mes yeux, quelqu'un leur
25 enlevait le droit à l'existence, à la vie. Et les forces qui avaient le
Page 1044
1 contrôle à ce moment-là, étaient les forces de l'armée de la Republika
2 Srpska. C'est tout à fait explicitement que le général Mladic a exprimé
3 cette opinion.
4 M. Riad (interprétation). - Quels étaient le nombre des
5 officiers qui accompagnaient le général Mladic, qui se trouvait aux côtés
6 du général Mladic ? Et quel était le grade, si vous le connaissez du
7 général Krstic ou quelle était l'importance du général Krstic dans ce
8 groupe d'officiers entourant le général Mladic ?
9 M. Mandzic (interprétation). - Je me rappelle que le premier
10 soir -je parle de la réunion du 11 juillet- aux alentours de 11 heures du
11 soir, le général Mladic a présenté les officiers de l'armée de la
12 Republika Srpska qui étaient présents ; et notamment le général Krstic. Il
13 l'a présenté comme étant le commandant du corps d'armée, ce qui d'ailleurs
14 m'a surpris à l'époque.
15 J'étais surpris d'entendre que le commandant du corps d'armée
16 était le général Krstic parce qu'ayant écouté de temps en temps la radio
17 -or, il était très difficile de capter les émissions de radio à Srebrenica
18 à cette époque-là, parce que les émetteurs radio des environs avaient été
19 détruits, donc le signal était très difficile à capter- mais j'avais tout
20 de même entendu qu'en 1993 et en 1994 c'était le général Zivanovic qui
21 était le commandant du corps d'armée de la région. La plupart des Serbes
22 de Bratunac et de la région de la municipalité de Srebrenica le
23 connaissaient. Et tout d'un coup, il nous est annoncé que c'est le
24 général Krstic qui commande le corps d'armée qui se trouvait stationné sur
25 le territoire de la municipalité de Srebrenica et de Bratunac.
Page 1045
1 Je répète que le général Krstic, au moment de cette réunion, n'a
2 pas dit un mot de plus, n'a rien ajouté aux propos du général Mladic.
3 M. Riad (interprétation). - D'après ce que vous venez de dire,
4 je crois comprendre que le général Krstic a remplacé le général Zivanovic
5 que vous connaissiez comme étant le commandement du corps d'armée. Et ce
6 remplacement était-il à vos yeux lié aux événements du moment ?
7 M. Mandzic (interprétation). – Non, l'identité du commandant du
8 corps d'armée n'a eu aucune influence sur les événements. Mais je
9 m'attendais à ce que le commandant soit le général Zivanovic parce qu'il
10 est originaire de Srebrenica. Et je ne savais pas qu'il était remplacé par
11 le, je ne me souvenais pas avoir entendu dire qu'il avait été remplacé par
12 le général Krstic. Mais si l'on repense au plan élaboré pour s'emparer de
13 l'enclave, si l'on repense à l'opération de séparation des hommes, si l'on
14 repense à toutes les pressions physiques et psychologiques exercées sur la
15 population de ces réfugiés, un contexte se crée.
16 M. Riad (interprétation). - Commandant du corps d'armée, cela
17 veut dire qu'on donne les ordres ?
18 M. Mandzic (interprétation). – Dans la République, dans
19 l'ancienne République fédérale yougoslave, dans l'ancienne République
20 fédérative socialiste de Yougoslavie, un commandant du corps d'armée était
21 membre de l'état-major, si je ne m'abuse, c'est-à-dire le commandant en
22 second du commandant des forces armées. Dans sa zone de responsabilité,
23 donc il était la personne qui avait le contrôle intégral et la
24 responsabilité intégrale de toute opération menée. Bien évidemment, il en
25 informait l'état-major.
Page 1046
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1047
1 M. Riad (interprétation). - Vous avez évoqué les soldats de la
2 VRS que vous ne connaissiez pas à l'époque et qui étaient jeunes, qui
3 n'avaient pas d'emblème, qui avaient un accent différent. Etant donné que
4 vous êtes, il me semble que vous êtes un homme cultivé, vous connaissez
5 donc les différents accents de la région, quel accent avaient-ils à votre
6 avis ? De quelle partie venaient-ils, pensez-vous ?
7 M. Mandzic (interprétation). – Moi, j'ai terminé mes études
8 secondaires à Belgrade. J'y ai travaillé un an et demi, après la fin de
9 mes études secondaires. Donc je connais bien l'ékavien qui est parlé par
10 exemple ici aujourd'hui par l'avocat qui vient de m'interroger. En Serbie,
11 on utilise en général le dialecte ékavien ; et en Bosnie-Herzégovine et
12 plus précisément dans la partie nord-est de la Bosnie-Herzégovine, c'est
13 le dialecte jékavien qui est utilisé.
14 Or, durant ces journées, comme je l'ai déjà dit, j'ai vu des
15 soldats jeunes, très soignés dans leur apparence physique, rasés de près,
16 bien habillés, portant un uniforme neuf, qui mettaient le feu de façon
17 sélective aux maisons de Potocari, et je suppose qu'ils le faisaient sur
18 ordre. Et le dialecte que parlaient ces soldats était tout à fait
19 manifestement l'ékavien, donc un dialecte différent du jékavien. On
20 entendait l'ékavien et le jékavien dans la région, pendant ces journées.
21 Et d'ailleurs, dans mon souvenir, cette forme d'ékavien que l'on
22 entendait n'avait rien à voir avec l'ékavien qui est parlé également par
23 les habitants de l'ouest de la Serbie. Moi, j'ai plutôt l'impression que
24 c'était l'ékavien que l'on parle en Voïvodine et en Slavonie.
25 M. Riad (interprétation). - Vous avez terminé ? Très bien. Une
Page 1048
1 autre précision concernant la liste donnée au commandant Franken,
2 239 hommes sur cette liste, qui apparemment ont disparu, si j'ai bien
3 compris. Il vous a dit qu'il mettrait cette liste dans son slip et que
4 personne ne pourrait la confisquer. Avez-vous une idée de ce qui est
5 advenu de cette liste par la suite ?
6 M. Mandzic (interprétation). – J'ai fait des efforts pendant des
7 mois et des mois pour retrouver cette liste, pour retrouver la trace de
8 cette liste sur laquelle figuraient 239 noms d'hommes. Le fils d'Ibro
9 Nuhanovic dont j'ai parlé, celui qui avait été un des représentants de la
10 délégation bosnienne et dont on est sans nouvelle depuis cette date, a
11 également fait des efforts pour trouver la trace de cette liste.
12 Finalement, grâce aux efforts de représentant de l'Union
13 européenne qui sont venus en Bosnie, Hasan Nusanovic a reçu cette liste et
14 j'ai pu la voir. Cette liste est écrite de ma main, mais c'est seulement
15 quatre ou cinq mois plus tard que j'ai revu cette liste.
16 M. Riad (interprétation). - Mais pendant ces mois, avant que
17 vous ne l'ayez, vous ne savez pas qui détenait cette liste ?
18 M. Mandzic (interprétation). – Je ne sais pas qui détenait cette
19 liste. Des suppositions ont été exprimées selon lesquelles c'est le
20 commandant du Bataillon néerlandais ou plutôt son adjoint, le commandant
21 Franken, qui aurait donné cette liste au commandant de la Forpronu en ex-
22 Yougoslavie dont le siège, si je ne m'abuse, était à Zagreb. Mais nous, en
23 tant que particuliers, nous ne pouvions pas obtenir cette liste.
24 Il nous a été répondu, lorsque nous avons demandé cette liste,
25 qu'une copie de cette liste de 239 noms ne pouvait être fournie qu'à des
Page 1049
1 représentants officiels et non à des particuliers. Mais moi, ce que je
2 craignais, comme pas mal d'autres personnes d'ailleurs, c'était que cette
3 liste soit détruite et que la preuve de l'existence de ces personnes
4 disparaisse en même temps.
5 Monsieur le Président, Monsieur, Madame les Juges, j'ai relu
6 cette liste il y a quelques jours, juste avant mon voyage à destination
7 des Pays-Bas pour participer à cette audience du Tribunal, j'ai donc relu
8 cette liste, et mon coeur s'est serré, car ces hommes ne sont plus en vie.
9 Le monde entier a observé ces événements.
10 M. Riad (interprétation). - Certaines personnes n'ont pas voulu
11 figurer sur cette liste, que leur nom figure sur cette liste. Ont-ils
12 également disparu ? Sont-ils toujours en vie peut-être ?
13 M. Mandzic (interprétation). - J'aurais besoin d'une pause,
14 Monsieur le Président. J'ai besoin de reprendre mes esprits.
15 M. Riad (interprétation). - Je vous prie de m'excuser. Je peux
16 très bien en finir ici avec mes questions.
17 M. Mandzic (interprétation). - Vous pouvez continuer, mais ce
18 sont mes concitoyens, vous comprenez.
19 Je peux continuer, je peux continuer...
20 Monsieur le Président, en effet, il y a eu des hommes d'âge très
21 divers, y compris des hommes âgés de 80 ans et plus qui, en raison des
22 circonstances, n'ont pas accepté que leur nom soit inscrit sur la liste,
23 car ils craignaient que cette liste ne tombe entre les mains des soldats
24 de l'armée de la Republika Srpska. Et ils considéraient que si leur nom
25 n'était pas connu de ces soldats, il leur serait plus facile de franchir
Page 1050
1 les barrages routiers érigés par l'armée de la Republika Srpska.
2 Malheureusement, cela n'a pas été le cas.
3 Vous pouvez continuer, Monsieur le Juge.
4 M. Riad (interprétation). - Vous avez également évoqué, vous
5 avez répondu au conseil de la défense que les Serbes ont commencé à
6 quitter Srebrenica en 1992.
7 Déjà vous avez évoqué, je crois, 5 000 environ. Et ils ont dit
8 qu'il y avait simplement une incertitude dans l'air, c'est pour cela
9 qu'ils ont quitté. Il y avait, selon vous, pas de menaces, pas de réel
10 danger.
11 A votre connaissance, y avait-il des rumeurs ou peut-être
12 quelques informations qu'ils auraient pu recevoir avec du recul ? Ils
13 auraient peut-être pu avoir une idée de ce qui allait se produire et qu'il
14 était plus sûr d'évacuer, de quitter tout de suite ? Pourquoi sont-ils
15 partis s'il n'y avait aucune menace ni mauvais traitement ?
16 M. Mandzic (interprétation). - Monsieur le Président, Monsieur
17 le Juge, Madame la Juge, j'ai mentionné -je ne sais pas si la traduction a
18 été claire- avant la guerre, avant 1992, sur le territoire de la
19 municipalité de Srebrenica, il y avait environ 38 000 personnes.
20 Dans la ville en tant que telle il y avait environ
21 5 000 personnes, et plus de 32 000 personnes se trouvaient à l'extérieur
22 du centre-ville en tant que tel, et étaient éparpillées aux alentours. A
23 l'intérieur de ce centre-ville dans lequel vivaient donc 5 000 habitants,
24 il y avait environ 2 000 à 2 500 Serbes, parce qu'à l'intérieur du centre-
25 ville il y avait plus de Bosniens.
Page 1051
1 Au printemps, au mois d'avril 1992, lorsque la frontière de la
2 Bosnie-Herzégovine et les autres villes environnantes qui faisaient partie
3 de la République de Yougoslavie, telles que sont les villes de Banja
4 Basta, Ljubovica, des unités armées étaient posées aux frontières, une
5 concentration très forte de l'armée de la République fédérative de
6 Yougoslavie, qui déjà à l'époque, et déjà quelques mois auparavant, ne
7 permettait plus l'importation des vivres pour nourrir la population de la
8 Bosnie. Puisque les Bosniens et les Serbes devaient aller dans les villes
9 bosniennes et serbes avant cette guerre, ils pouvaient apercevoir les
10 unités armées.
11 Ces gens qui traversaient la frontière disaient qu'ils allaient
12 entrer en Bosnie pour défendre les Serbes, comme ils disaient -je le
13 répète, donc malgré le fait que je dise la vérité et toute la vérité-
14 jusqu'au mois d'avril sur le territoire de la municipalité de Srebrenica
15 et Bratunac il n'y avait pas de regroupement armé de Bosniens et de
16 Serbes.
17 Jusqu'à la mi-avril, ils vivaient tous ensemble et travaillaient
18 dans les entreprises. Les enfants allaient ensemble à l'école. Mais,
19 l'entrée des unités paramilitaires en Yougoslavie, je parle des unités
20 d’Arkan, de Cecelj, qui ont pénétré donc Bratunac, ont causé la panique et
21 ont semé la terreur chez les gens.
22 C’est à ce moment-là que Srebrenica, donc la ville de
23 Srebrenica, a été… Les Bosniens et les Serbes ont quitté la ville. Les
24 Serbes ont essayé de mettre leur famille dans les environs de la Serbie et
25 les Bosniens se sont dirigés vers un centre, dans de plus grandes villes,
Page 1052
1 telles que Tuzla et les villes environnantes, les villes aux environs de
2 Tuzla.
3 C'était assez reflété ( ?) très rapidement sur le territoire de
4 la municipalité de Srebrenica. De sorte que déjà, le 17 avril, les unités
5 paramilitaires, de concert avec, pour ainsi dire, des politiciens serbes
6 qui avaient des intentions militaires, ils ont donc pénétré Srebrenica.
7 Srebrenica était à ce moment-là une ville déserte. Les Bosniens avaient
8 déjà quitté, il avait quitté parce qu'ils avaient eu peur. Quelques
9 personnes âgées d'origine bosnienne étaient restées à l'entrée de ces
10 unités paramilitaires, mais, malheureusement, environ 80 personnes qui
11 étaient plus âgées, à la fin d'avril ou au début du mois de mai, ces
12 personnes âgées étaient tuées par ces unités paramilitaires. On parle de
13 personnes épuisés, de vieillards bosniens.
14 Et pour qu'il n'y ait pas de confusion, donc au mois d'avril,
15 pendant quelques jours, nous n'avions que quelques jours pour que les
16 citoyens, les uns et les autres quittent Srebrenica. Mais les gens qui
17 avaient les familles serbes...
18 M. Riad (interprétation). - Je crois que j'ai compris.
19 M. le. Président. – Merci, Monsieur le Juge M. Riad.
20 Madame le Juge Wald ?
21 Mme Wald (interprétation). – Monsieur Mandzic, vous avez parlé
22 dans votre déposition du fait qu'il y avait approximativement 5 000
23 personnes dans la base de l'ONU avant l'évacuation, et peut-être de 15 à
24 20 000 dans les alentours, dans les rues autour de la base. J'aurais deux
25 questions à ce propos.
Page 1053
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1054
1 Premièrement, vous avez également déclaré sous serment, et je
2 pense que nous avons vu une séquence vidéo concernant le colonel
3 Karremans, qui disait que la grande majorité des évacués étaient des
4 femmes, des enfants ou des personnes âgées, ou encore des personnes
5 malades. Est-ce que cela concernait aussi les personnes en dehors de la
6 base, les 15 à 20 000 comme ceux dans la base, ou est-ce qu'il y avait
7 beaucoup plus d’hommes à l'extérieur de la base ?
8 M. Mandzic (interprétation). - Merci, Madame le Juge. Dans la
9 base, dans ce camp, environ 5 000 personnes ont trouvé un abri temporaire.
10 Mais, à l'extérieur de ce camp, il n'y avait pas 15 à 20 000 personnes,
11 mais plutôt plus de 25 000 personnes s'y trouvaient.
12 Ils vivaient dans des conditions encore pires que les gens qui
13 avaient séjourné deux ou trois jours dans le camp. Il n'y avait pas d'eau,
14 il n'y avait pas de moyens hygiéniques, ni de nourriture, et ils étaient
15 attaqués par les unités de la Republika Srpska.
16 Mme Wald (interprétation). – Oui, j’ai bien compris sur la base
17 de votre déposition préalable. Mais ce que je voudrais surtout savoir
18 c'est, parmi ces 25 000 personnes, à l'extérieur de la base, est-ce qu’il
19 s'agissait aussi en grande majorité de femmes et d'enfants, ou est-ce
20 qu'il y avait également des hommes ? Les photos, les images semblent
21 montrer qu'il y avait aussi un grand nombre d’hommes, mais est-ce qu'il y
22 avait plus d'hommes à l'extérieur qu'à l'intérieur ? C’est là ma question.
23 M. Mandzic (interprétation). – Oui, parmi ces 25 000 personnes,
24 pour la plupart il y avait des femmes et des enfants. Mais si vous me
25 demandez précisément de vous parler des hommes âgés de 18 ans et plus, il
Page 1055
1 y en avait certainement plus à l'extérieur du camp qu'à l'intérieur.
2 Beaucoup plus, puisqu'il y avait 5 % de plus de personnes qui se
3 trouvaient à l'extérieur qu'à l'intérieur du camp.
4 Mme Wald (interprétation). – Merci. Ma deuxième question, un peu
5 dans la même direction, lorsque l'évacuation a commencé, est-ce que les
6 gens qui se trouvaient à l'extérieur de la base, c'est-à-dire les 25 000
7 que nous avons évoqués, ont-ils été forcés, ont-ils dû monter dans des
8 bus, que sont-ils devenus, ces personnes à l'extérieur de la base, une
9 fois l'évacuation commencée ?
10 M. Mandzic (interprétation). - L'évacuation, telle que je l'ai
11 mentionnée, la déportation, j'appelle ça la déportation, car je l'ai
12 sentie sur ma propre peau, a débuté le 12, en fait a débuté le 12 juillet,
13 dans l'après-midi, c'étaient d'abord les personnes qui se trouvaient à
14 l'extérieur du camp, et par la suite, dans les heures qui ont suivi, plus
15 tard dans l'après-midi du 13 juillet, c'était le tour… On a déporté les
16 personnes de l'intérieur du camp.
17 Mme Wald (interprétation). – Merci, monsieur. La nuit du 11, à
18 l’hôtel Fontana, première réunion à laquelle vous avez assistée, dont nous
19 avons vu une séquence vidéo, le général Mladic a dit à plusieurs
20 reprises : "Obtenez de vos gens qu'ils déposent les armes, leur survie
21 dépend de vous, si vous arrivez à les convaincre de déposer leurs armes,
22 vous pourrez assurer leur survie, sauver cette population".
23 A ce moment-là, comme vous l'avez déclaré, ainsi que d'autres
24 l'ont fait, les personnes dans la base et à l'extérieur également étaient
25 en grande majorité des femmes et des enfants. La colonne qui se dirigeait
Page 1056
1 vers Tuzla était déjà partie, si je ne m'abuse. La colonne était déjà
2 partie depuis un village voisin.
3 Comment avez-vous compris, interprété l'ultimatum émis par le
4 général Mladic ? Si vous aviez voulu vous plier à son ultimatum,
5 qu'auriez-vous fait de ces personnes qui étaient déjà parties de leur
6 propre initiative vers Tuzla ? Et puis, il y avait, encore une fois,
7 essentiellement des femmes et des enfants dans la base.
8 Donc, lorsque le général Mladic a parlé de survie, de
9 disparition, de reddition d'armes, à votre avis, que voulait-il vous
10 inciter à faire ?
11 M. Mandzic (interprétation). – Je me rappelle très bien des
12 menaces, des déclarations du général Mladic : "Rendez vos armes et vous
13 allez pouvoir survivre ou disparaître". Cette demande était complètement
14 incompréhensible puisqu'il n'y avait pas de représentants armés parmi ces
15 gens, mais le général Mladic et ses hommes n'arrêtaient pas de dire
16 "Rendez vos armes", et les gens n'avaient même pas une croûte de pain pour
17 manger, et surtout pas des armes !
18 Alors, j'ai vu que c'était un moyen de pression d'abord de
19 nature psychologique et j'avais peur, je craignais que le pire pouvait
20 arriver pour cette population.
21 Mme Wald (interprétation). - Quand vous vous êtes réunis une
22 deuxième fois, le lendemain matin, avec une délégation de trois personnes,
23 est-ce que le général Mladic a de nouveau soulevé cette même question ?
24 Vous n'avez pas dit grand-chose sur ce qui s'est passé ce matin-là, le
25 matin du 12. A-t-il encore dit, devant votre délégation : "Dites-moi que
Page 1057
1 vous êtes prêts à rendre les armes", ou a-t-il laissé tomber cette
2 question, donc le matin du 12 ?
3 M. Mandzic (interprétation). – Madame la Juge, le général
4 Mladic, le 12 juillet, a répété cette même demande envers notre
5 délégation : "Rendez vos armes". D'après ce que je me souviens, il a dit :
6 "Tous ceux qui rendront leurs armes, en tant que général et en tant
7 qu'homme, je garantis à tous ceux qui rendront leur arme qu'il n'y aura
8 pas de problème. Notre but n'est pas de faire du mal au peuple musulman.
9 Nous allons permettre à toute personne, indépendamment de l'âge, du sexe,
10 de choisir leur lieu d'habitation".
11 Mme Wald (interprétation). - Est-ce que l'un des membres de
12 votre délégation a proposé au général Mladic ou lui a laissé entendre que
13 vous n'aviez pas de population armée, qu'il n'y avait personne d'armé
14 parmi vous ; vous n'aviez que des blessés, des femmes, des enfants, des
15 personnes déplacées, qu'il n'y avait, qu'on ne pouvait pas leur demander
16 de rendre des armes alors qu'ils n'en avaient pas ?
17 M. Mandzic (interprétation). – Madame le Juge, d'abord, c'est ce
18 qu'a fait Mme Camila Omanovic comme membre de notre délégation. Elle a
19 dit : "Mais monsieur le général, nous n'avons rien à voir avec les gens
20 qui se trouvent dans les bois, dans les montagnes, qui sont peut-être
21 armés. Vous devez comprendre qu'il s'agit de personnes déplacées, sans
22 nourriture, sans médicament, ni vêtements, ni chaussures, ni vivres."
23 Mme Wald (interprétation). - Est-ce que j'ai bien compris, tant
24 le 11 au soir et le 12 au matin, il y avait une équipe qui filmait ces
25 réunions ou bien est-ce que c'était seulement la nuit du 11 ? Est-ce que
Page 1058
1 le général Mladic avait une équipe de télévision qui enregistrait le
2 tout ? Est-ce que c'était seulement le 11, ou bien le 12 également ?
3 M. Mandzic (interprétation). – Le 11, le 12 juillet également.
4 Cette équipe de tournage venait également à Potocari le 13 juillet. Elle
5 est venue à Potocari le 13 juillet.
6 Mme Wald (interprétation). - J'en viens maintenant à ma dernière
7 question qui porte sur le document signé le 17, dont nous avons, que nous
8 avons évoqué. Avec M. Cayley, vous avez passé en revue certaines
9 déclarations qui, selon vous, étaient inexactes, erronées. Est-ce que je
10 peux attirer votre attention sur une des déclarations que vous n'avez pas
11 évoquée ? J'aimerais simplement que vous me disiez, il est dit : "Il était
12 convenu que nous pouvions choisir où nous pourrions aller. La population
13 civile toute entière pourrait quitter l'enclave et serait évacuée du
14 territoire vers Kladanj."
15 Dites-moi, est-ce que cette déclaration était exacte ? Est-ce
16 que quelqu'un a pris la décision d'évacuer toute la population civile ?
17 M. Mandzic (interprétation). – Non, ce n'est pas exact. Monsieur
18 le Président, Madame, Monsieur le Juge, les unités de l'armée de la
19 Republika Srpska, du 6 au 11 juillet, ils ont, la population entière
20 bosnienne qui se trouvait à l'intérieur de l'enclave -et il y avait
21 environ 40 000 personnes-, ces gens-là étaient forcés de quitter leur
22 maison, leur demeure, de laisser leurs biens derrière et leurs terres
23 derrière eux.
24 La majorité s'est trouvée à Potocari, c'est-à-dire ils s'étaient
25 dirigés vers Potocari de la part des unités de l'armée de la VRS à cause
Page 1059
1 des actions du pilonnage. Donc ils étaient poussés, la population était
2 poussée de la part de l'armée de la Republika Srpska.
3 Le 11, le 12 et le 13 juillet, les unités de la Republika Srpska
4 ont encerclé la zone, ils ont pénétré, ils ont commencé à séparer la
5 population d'après le sexe et d'après l'âge. Ils ont commencé à diriger
6 les gens dans les autobus.
7 Nous n'acceptons pas facilement de quitter nos demeures, c'est
8 la mentalité du peuple de la Bosnie-Herzégovine et du peuple dans les
9 Balkans. De changer une ville, pour nous, représente un changement énorme,
10 de changer notre lieu de travail également représente un changement énorme
11 auquel nous avons de la difficulté à nous habituer. Et donc c'est pour
12 cela que cette déclaration n'est pas exacte et ne reflète pas la vérité.
13 Si les unités de la VRS, et que s'il y avait eu de la
14 compréhension, s'ils s'étaient retirés au moins là, ici, au début, à la
15 frontière de la zone, aux frontières des zones de la zone démilitarisée,
16 la population serait revenue.
17 Excusez-moi de vous interrompre, mais nous vivons depuis des
18 années en exil et nous voulons revenir et c'est très difficile pour nous
19 parce que nous sommes, même avant la guerre, quand je dis "nous", je parle
20 de nous les Bosniens et les Serbes, nous vivions bien, nous avions des
21 terres, des maisons à Srebrenica avant la guerre, il n'y avait pas de
22 sans-abris. Nous avions plus de maisons que de famille ! Nous avons des
23 données statistiques là-dessus et nous pourrions vous les démontrer.
24 Mme Wald (interprétation). - A l'époque de cette déclaration, le
25 17 juillet 1995, est-ce qu’il y avait encore des civils serbes vivant à
Page 1060
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1061
1 Srebrenica ? Je sais que vous avez beaucoup parlé des Bosniens et du fait
2 que les Bosniens et les Serbes avaient commencé à partir dès avril. Est-ce
3 qu’il y avait encore des Serbes qui restaient à Srebrenica en juillet ?
4 M. Mandzic (interprétation). – Est-ce que vous parlez jusqu'à la
5 prise de l'enclave ? Vous voulez dire le moment qui a précédé ?
6 Mme Wald (interprétation). - Après la prise, au moment de
7 l'évacuation de Potocari, est-ce qu'il y avait encore des civils serbes
8 vivant à Srebrenica ?
9 M. Mandzic (interprétation). – Depuis mai 1992 jusqu'en,
10 depuis 92 jusqu'en mai 92, il y avait une petite, donc depuis 92 à 95
11 jusqu'au 11 juillet, lorsqu'il y a eu cette déportation massive de la
12 population d'origine bosnienne de la ville et des villages environnants,
13 ce petit groupe est resté d'habitants d'origine serbe, de nationalité
14 serbe, et je peux vous donner votre certitude aujourd'hui puisque je
15 travaille à Srebrenica. Ils vivent encore là et j'espère que nous allons
16 tous revenir, bien sûr.
17 Mme Wald (interprétation). - Merci.
18 M. le Président. - Je vois que nous travaillons depuis une
19 heure 35. Cela veut dire que c'est presque un supplice pour les
20 interprètes. Je suis dans une situation de conflit. Moi-même, j'ai des
21 questions et il ne fait pas de sens de faire revenir le témoin au
22 prétoire. Est-ce que vous me donnez 10 minutes ? Jje parlerai lentement
23 pour ne pas échouer le petit reste d'énergie que vous avez.
24 Les interprètes. - Bien sûr, Monsieur le Président.
25 M. le Président. - Moi-même, j'ai trois questions, monsieur. Je
Page 1062
1 vais être le plus synthétique possible et je vous demanderai de répondre
2 aussi de la même manière. Raisons qui vous ont été présentées pour signer
3 le document du 17 juillet, y en a-t-il quelques-unes ?
4 M. Mandzic (interprétation). - Ce qui est mentionné dans ces
5 déclarations est inexact.
6 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre. Je vous
7 demande si les personnes qui vous ont présenté les documents vous ont
8 dit : "Vous allez signer ce document parce que…, afin de..." ?
9 M. Mandzic (interprétation). - Nous étions tous tout à fait au
10 courant du fait qu'à Bratunac, ville qui était donc sous le contrôle de
11 l'armée de la Republika Srpska, qu'il y avait environ quelques dizaines de
12 blessés. Qu’à Potocari, du 13 au 17 juillet, il y avait également dans
13 cette période-là, entre le 13 et le 17, une dizaine de personnes plus
14 gravement blessées. Il y avait des femmes, des enfants parmi ces blessés
15 et qu'il y avait également 27 personnes en santé qui également voulaient
16 survivre.
17 M. le Président. - Mais ce que vous êtes en train de dire sont
18 vos raisons, les raisons que vous avez perçues, que vous aviez. Ce que je
19 vous demande, c'est ce monsieur qui a été là, M. Deronjic, il vous a donné
20 des raisons pour signer ce document ?
21 M. Mandzic (interprétation). – Non.
22 M. le Président. - En sachant toute cette situation qui arrivait
23 en dehors, vous avez senti que vous deviez signer ce document. C'est
24 cela ?
25 M. Mandzic (interprétation). - Oui, la vie d'à peu près 80 ou
Page 1063
1 100 Bosniens dépendait de la signature et également le sort des
2 Néerlandais.
3 M. le Président. - Excusez-moi de vous interrompre, mais vous
4 avez compris que nous sommes un peu sous la pression du temps. Sur le même
5 document, j'ai une autre question : vous avez signé une déclaration de
6 votre langue, et une déclaration en anglais. C'est vrai ?
7 M. Mandzic (interprétation). - Oui.
8 M. le Président. - Est-ce que vous compreniez à l'époque
9 l'anglais ?
10 M. Mandzic (interprétation). - Quelque peu.
11 M. le Président. - Merci. L'autre question sur le même de
12 document est la suivante : plus ou moins, le document parle au pluriel,
13 utilise "notre demande, nous étions représentés, notre population", etc.,
14 et il y a un moment où il est dit : "Après la conclusion de cet accord,
15 j'ai exigé que l'évacuation de la population civile de l'enclave de
16 Srebrenica soit menée de façon absolument correcte". Ensuite, "J'ai
17 exigé". Qui a dit cela, qui a dit cette expression : "J'ai exigé" ?
18 M. Mandzic (interprétation). - La délégation bosnienne
19 n'existait plus à partir du 13 juillet. Monsieur Nuhanovic avec sa famille
20 avait quitté, donc on ne sait pas en fait ce qui leur est arrivé.
21 Madame Zemila Humanovic avait eu une crise de nerfs à cause de l'entrée de
22 l'armée de la Republika Srpska. Ils ont suivi très bien, ils savaient très
23 bien dans quel état psychologique les négociateurs se trouvaient. J'étais
24 le seul négociateur qui pouvait suivre la situation. Je prenais des notes
25 dans ma tête de tout ce qui se passait.
Page 1064
1 Il y a quelques événements que je n'ai même pas pu noter,
2 puisque je ne voulais pas que le carnet de notes tombe entre les mains des
3 membres de la Republika Srpska et ils le savaient très bien. Donc la seule
4 personne sur laquelle ils pouvaient faire des pressions, c'était moi. Et
5 il s'agissait de ma compréhension, et c'était de ma signature que la vie
6 de toutes ces personnes dépendait.
7 M. le Président. - Donc je peux comprendre que l'expression
8 "J'ai exigé" à la première personne du singulier, se réfère à vous ?
9 M. Mandzic (interprétation). – Non, mais ce n'est pas moi,
10 puisque ce n'est pas moi qui ai écrit ce texte. Ce n'est pas fondé
11 légalement. Ce n'est pas non plus fait…, ce n'est pas un document légal
12 puisque ce document a été préparé bien à l'avant et cela représentait un
13 ultimatum.
14 M. le Président. – Monsieur Mandzic, vous avez lu ce document
15 plusieurs fois, certainement plus de fois que moi-même. Et si vous
16 regardez le document, il y a toujours la première personne du pluriel,
17 nous, et nous et nous, et ainsi de suite, mais il y a un paragraphe et
18 seulement un paragraphe où le texte dit "J'ai exigé". Ce que je voudrais
19 comprendre, c’est qui a dit nous et qui a dit moi ? Est-ce que vous pouvez
20 m'expliquer ?
21 M. Mandzic (interprétation). – Nous et moi, c'était écrit
22 probablement par le représentant civil de l'armée de la Republika Srpska.
23 Dans ce document dans lequel il est stipulé "je n'exige pas", "je
24 n'affirme pas", ce n'est pas moi qui ai rédigé ce document.
25 M. le Président. - On peut donc d'une certaine façon dire qu'il
Page 1065
1 y a eu une certaine, si je peux utiliser le mot, une certaine
2 "schizophrénie" dans le même document. Il y a deux personnalités qui
3 parlent en même temps. Mais de toute façon, on va voir comment on peut
4 dépasser cette question.
5 Une autre question.
6 M. Mandzic (interprétation). – Puis-je, Monsieur le Président,
7 ajouter quelque chose ? Le rédacteur de cette déclaration a sciemment
8 écrit "je" ; les deux autres membres de la délégation étaient… Peut-être
9 Nuhanovic, cette journée-là, séparément, mais il était peut-être séparé et
10 peut-être même tué. Zemila Humanovic avait eu une crise ce jour-là. Donc,
11 par la suite, on parle de nous au pluriel. Pour le nous, il est important
12 d'avoir plusieurs signatures, mais la seule personne qui était en mesure,
13 qui était encore en vie, c'était moi. Donc, la personne qui a rédigé cette
14 déclaration connaissait très bien quel est l'état, quelle était la
15 situation.
16 M. le Président. - Donc, une autre question que j'ai maintenant,
17 c'est par rapport à la présence du général Krstic. Nous savons qu'il a été
18 présent à deux réunions à Bratunac, le 10 et le 11. L'avez-vous vu, après
19 ces réunions, d'autres fois ?
20 M. Mandzic (interprétation). – Non, le général Krstic, avant le
21 11 juillet, je ne l'ai pas revu. Je l'ai vu le 11 et le 12 juillet, donc
22 deux fois.
23 M. le Président. - Autre question. Monsieur, sur le document, la
24 pièce à conviction 40 A, sur la transcription en vidéo, je vais vous lire,
25 le général Mladic vous a demandé : "Etes-vous enseignant ?" . Vous avez
Page 1066
1 répondu : "Oui, je l'étais ce matin, mais je ne sais pas pour combien de
2 temps encore". Qu'avez-vous voulu dire avec cette expression ?
3 M. Mandzic (interprétation). – Le général Mladic m'a posé la
4 question : quelle était mon occupation et qu'est-ce je faisais avant la
5 guerre ainsi que pendant ma vie dans l'enclave ? Je lui ai répondu
6 qu'avant la guerre, j'étais professeur, j'étais enseignant également
7 lorsque j'étais dans l'enclave, de 1994 à 1995, j'étais enseignant et
8 directeur d'école.
9 M. le Président. – Monsieur, excusez-moi de vous interrompre,
10 allez directement à ma question. Le général Mladic vous a demandé : "Etes-
11 vous enseignant ?" Vous avez répondu : "Oui, je l'étais ce matin, mais je
12 ne sais pas pour combien de temps encore." Et Mladic continue : "Vous
13 sortez de quelle école ?". Vous dites : "De l'école électrotechnique".
14 Ce que je vous demande, c'est que voulez-vous dire : "Je l'étais
15 ce matin, mais je ne sais pas pour combien de temps encore". C'est cela ma
16 question.
17 Allez-y directement, s'il vous plaît.
18 M. Mandzic (interprétation). – Je ne savais pas si j'allais
19 rester en vie ou non. L'enclave était prise, la population était chassée.
20 Je vois que l'armée de la Republika Srpska n'a aucune pitié envers la
21 population. J'étais conscient que je pouvais m'attendre au pire.
22 M. le Président. - D'accord. Maintenant, j'ai terminé mes
23 questions pour l'instant. Vous avez répondu aux questions de Monsieur le
24 Procureur, de la défense, des Juges. Est-ce qu’il y a d'autres choses que
25 vous aimeriez bien dire mais qui n'ont pas encore été demandées ? S'il y
Page 1067
1 en a, vous pouvez les dire maintenant.
2 M. Mandzic (interprétation). – Monsieur le Président, Madame,
3 Monsieur les Juges, la vie dans Srebrenica entre 1992 et 1995, le sort qui
4 était réservé à la population et l'exil de la population, on pourrait en
5 parler longuement.
6 Mais, ce que j'aimerais dire, ce que j'aimerais souligner -et
7 qui n'est pas le sujet de cette institution- c'est comment passer outre ce
8 qui est arrivé. Je pense aux dizaines de milliers d'exilés qui vivent à
9 Sarajevo, à Tuzla et dans les villes environnantes et qui aimeraient
10 revenir dans leur foyer, mais qui, à cause des raisons politiques et
11 d'autres, ne retournent pas chez eux. Ils vivent comme des citoyens de
12 deuxième ordre, ils souffrent énormément.
13 Je sais que ce n'est pas le sujet de ce Tribunal. Ce n'est pas
14 la préoccupation principale de ce Tribunal, mais votre recommandation
15 serait certainement bien accueillie par toutes les institutions
16 internationales afin de pouvoir régler cette question et donc le résultat
17 de cet exil, pour que l'on puisse résoudre la situation et qu'on puisse
18 permettre aux citoyens de revenir chez eux pour vivre d'une façon normale.
19 M. le Président. – Monsieur, nous allons terminer. Vous avez
20 manifesté votre souffrance, beaucoup de courage de venir ici témoigner.
21 Vous avez aussi, je crois, je l'ai senti, manifesté votre tolérance.
22 Je crois pouvoir parler au nom de mes collègues, nous vous
23 souhaitons un bon retour à ces endroits qui ont témoigné de la souffrance,
24 mais qui doivent aussi être témoins de la tolérance et de la paix.
25 Je rappelle un peu qu'une injustice, quelque part, sera toujours
Page 1068
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1069
1 une menace partout.
2 Maintenant, je crois que je dois faire une compensation à toutes
3 les personnes et notamment aux interprètes. Nous allons faire une pause
4 d'une demi-heure. Et nous continuerons après la pause avec un autre
5 témoin. Une demi-heure.
6 Merci et bon retour.
7 (L'audience, suspendue à 13 heures 10, est reprise à
8 13 heures 50.)
9 M. le Président. - Maintenant que nous avons eu l'opportunité de
10 profiter aussi du printemps, je vois que les interprètes ont bien profité,
11 nous allons reprendre. Monsieur Cayley, c'est à vous.
12 M. Cayley (interprétation). – Monsieur le Président, simplement
13 une question finale qui a trait au document sur lequel vous vous étiez
14 penché, la pièce à conviction 47.
15 Il nous a été signifié par l'unité de traduction et
16 d'interprétation qu'en fait il y a une erreur dans la traduction française
17 du document. Au dernier paragraphe, page 1 du document de la traduction
18 anglaise, après que l'accord a été passé, en anglais il est dit : "I
19 claim", alors qu’en français ce terme a été traduit de manière erronée. En
20 effet, il ne s'agit pas de "j’exige", "j’exige" ce n'est pas une
21 traduction exacte de la version originale.
22 C'est donc le mot, "j'ai exigé" qui est faux par rapport à la
23 version BCS et à la version anglaise. Une version correcte sera produite
24 qui sera soumise à la Cour demain.
25 M. le Président. - Si on suit la version française "j'ai exigé",
Page 1070
1 on devrait dire dans la version anglaise "I claimed". Ma question n'est
2 pas de savoir si le temps est le passé ou le présent, c'était la personne.
3 On va donc attendre la version corrigée pour voir quel est le
4 résultat, Monsieur Cayley.
5 M. Cayley (interprétation). – Il me semble que le temps est en
6 fait correct, vous avez parlé du temps du verbe, que ce soit "je" ou
7 "nous", ce n'est pas le problème. Mais, d'après mon interprétation, si on
8 se fie au deuxième paragraphe il est dit :"Les représentants de notre côté
9 étaient Kamila Bohonic, moi-même, Mandzic donc, Kamila Perkovic, et
10 Nuhanovic".
11 Donc, en ce moment, je ne suis pas vraiment apte à donner plus
12 de précision, mais je crois qu'il ressort du document que M. Mandzic a
13 bien signé au nom de deux autres personnes qui n'étaient pas présentes,
14 raison pour laquelle ce document a été ainsi rédigé.
15 M. le Président. - De toute façon, normalement, je n'ai pas la
16 traduction française, je vois que, quand on a la traduction française, on
17 a des problèmes, mais je veux continuer à avoir la traduction française,
18 Monsieur Cayley.
19 M. Riad (interprétation). – Je crois que le mot "claim" en
20 anglais, ne correspond pas à "exiger" en français. "Exiger" est un terme
21 bien plus fort que "claim". Evidemment, je ne suis pas une autorité en la
22 matière, mais il me semble que "claim" pourrait plutôt correspondent à "ce
23 que je souhaiterais", donc "exiger" me paraîtrait beaucoup trop fort.
24 M. Cayley (interprétation). – Moi-même, je suis encore moins une
25 autorité en la matière. Mais, effectivement, c’est ce que j'ai compris,
Page 1071
1 c’est que le terme"exiger" est inexact, je crois que "exiger" correspond à
2 "request", c’est-à-dire "a demandé", alors qu’en fait il faudrait que cela
3 corresponde à une affirmation, une affirmation, "j’affirme", "je déclare"
4 plutôt que "j'exige".
5 M. le Président. - Nous ne sommes pas quand même un conseil de
6 révision des traductions, seulement on profite de cela pour dire que nous
7 travaillons dans des conditions difficiles. Les cas et les affaires sont
8 difficiles, on travaille dans des conditions difficiles, c'est pourquoi on
9 doit maintenir une bonne communication.
10 J’en profite pour faire mes excuses aux interprètes, mais moi-
11 même je suis sensibilisé au fait que nous avons une capacité de
12 résistance, une capacité de concentration qui, après avoir dépassé
13 quelques limites, fait tomber l'efficacité du travail, mais souvent il y a
14 convenance de faire des blocus de communication.
15 J’en profite pour dire maintenant, soit au Procureur, soit à la
16 défense, que nous savons que pour les enfants 50 minutes c'est une bonne
17 période de travail, pour les adultes on dit que cela monte un peu,
18 1 heure 10 à 1 heure 20.
19 Comme règle, je donnerai l’opportunité soit à la défense soit à
20 l'accusation, après 1 heure 10, 1 heure 20, de faire la pause, dans le
21 moment que les parties considèrent comme convenable. Je crois que c'est
22 préjudicielle à la communication de faire une interruption quand quelqu'un
23 est en train de finir.
24 Entre 1 heure 10 et 1 heure 20, les parties peuvent prendre une
25 l’initiative. Ou comme je l’ai fait à M. Cayley, on fait ce signe, c’est
Page 1072
1 un signe international que tout le monde comprend, c'est-à-dire : "On
2 passe à une pause ? D'accord ?"
3 Je crois que nous sommes prêts pour l'autre témoignage. Je vois
4 que c'est M. Harmon qui va nous dire ce qu'on va faire, vous, le
5 Procureur, qui êtes omniscient. Vous pouvez nous le dire, Monsieur
6 Harmon ?
7
8 (Témion : Mme Camila Omanovic)
9 M. Harmon (interprétation). – J'aimerais appeler à la barre
10 Camila Omanovic.
11 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)
12 M. le Président. – Bonjour, Madame Camila Omanovic. Vous
13 m'entendez bien ? Vous pouvez rester debout, s'il vous plaît, un petit
14 instant. Madame, vous allez lire la déclaration solennelle que
15 M. l'huissier va vous tendre.
16 Mme Omanovic (interprétation). - Je déclare solennellement que
17 je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
18 M. le Président. - Vous pouvez maintenant vous asseoir et
19 prendre la position la plus confortable pour vous.
20 Merci d'être venue, Madame Camila Omanovic, témoigner ici au
21 Tribunal pénal international. Pour l'instant, vous allez répondre aux
22 questions que le Procureur, Monsieur Harmon, va vous poser.
23 M. Harmon (interprétation). – Bonjour, Madame Omanovic.
24 Pouvez-vous m'entendre ?
25 Mme Omanovic (interprétation). - Je vous entends.
Page 1073
1 M. Harmon (interprétation). – Veuillez épeler votre nom de
2 famille, s'il vous plaît, pour le procès-verbal ?
3 Mme Omanovic (interprétation). – O-M-A-N-O-V-I-C.
4 M. Harmon (interprétation). – Veuillez épeler également votre
5 prénom pour le procès-verbal, s'il vous plaît ?
6 Mme Omanovic (interprétation). – C-A-M-I-L-A.
7 M. Harmon (interprétation). – Quelle est votre date de
8 naissance, s'il vous plaît ?
9 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis née le 15 avril 1953 à
10 Srebrenica.
11 M. Harmon (interprétation). – Je n'entends pas l'interprétation,
12 Monsieur le Président.
13 Nous allons procéder : Madame Omanovic. Pouvez-vous nous dire
14 quelque chose sur votre éducation, votre instruction ?
15 Mme Omanovic (interprétation). - J'ai terminé mes études
16 primaires et secondaires à Srebrenica. Après quoi, je suis allée à
17 l'université de Tuzla, et j'ai obtenu un diplôme de premier cycle à
18 l'université de Srebrenica.
19 M. Harmon (interprétation). – Etes-vous née à Srebrenica ?
20 M. le Président. – Excusez-moi de vous interrompre, mais je ne
21 vois pas sur le transcript la date de naissance de Mme Camila Omanovic.
22 Peut-être qu'il faut le lui demander, non ? Merci.
23 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, veuillez répéter
24 votre date de naissance, s'il vous plaît ?
25 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis née à Srebrenica, le
Page 1074
1 15 avril 1953.
2 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous nous dire à quelle
3 date vous vous êtes mariée ?
4 Mme Omanovic (interprétation). - Je me suis mariée le 10 février
5 1977, avec Ahmet Omanovic.
6 M. Harmon (interprétation). – Avez-vous des enfants ?
7 Mme Omanovic (interprétation). – J'ai deux enfants, Jamina
8 Omanovic née le 25 décembre 1981, et une fille qui est née en octobre
9 1977. Ma fille est mariée à Srebrenica, elle a donné naissance à un enfant
10 en 1985.
11 M. Harmon (interprétation). – 1985 ou 1995 ?
12 Mme Omanovic (interprétation). - 1995.
13 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous dire aux Juges si vous
14 avez eu un petit-fils ou une petite-fille ?
15 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, né le 10 mars 1995.
16 M. Harmon (interprétation). – Avez-vous continué à travailler
17 dans la région de Srebrenica et Potocari après votre mariage ?
18 Mme Omanovic (interprétation). - Oui. J'ai travaillé à
19 Srebrenica et à Potocari. Pendant tout le temps où j'ai habité dans la
20 région, je travaillais et mon mari aussi.
21 M. Harmon (interprétation). – Serait-il juste de dire que vous
22 connaissez bien la région de Potocari ?
23 Mme Omanovic (interprétation). - Je connais assez bien la région
24 de Potocari, et mon mari y a travaillé depuis 1996, donc dans ces
25 conditions je connais bien Potocari.
Page 1075
1 M. Harmon (interprétation). – Permettez-moi de vous poser encore
2 une question sur votre passé. Etes-vous de croyance musulmane ?
3 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis de confession
4 musulmane.
5 M. Harmon (interprétation). – Votre mari, Ahmet, était-il
6 également de confession musulmane ?
7 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, mon mari, Ahmet, était
8 aussi musulman.
9 M. Harmon (interprétation). – J'aimerais porter votre attention
10 sur le 10 juillet 1995. J'aimerais que vous disiez aux Juges où vous vous
11 trouviez ce jour-là ?
12 Mme Omanovic (interprétation). - Ce jour-là, j'étais dans la
13 maison de mon frère, Blaho Purkovic, sa maison se trouve à la sortie de
14 Srebrenica.
15 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous voir la carte, à votre
16 droite, et veuillez indiquer, avec le pointeur, à peu près le lieu où la
17 maison de votre frère était située ?
18 (Le témoin s'exécute.)
19 Mme Omanovic (interprétation). - Elle se trouvait à peu près
20 ici, cette maison.
21 M. Harmon (interprétation). – Pour le compte rendu d'audience,
22 il est clair que le témoin l’indique au sud de la ville de Srebrenica,
23 près du virage en épingle, au sud de Srebrenica.
24 Veuillez vous rasseoir.
25 (Le témoin s’exécute.)
Page 1076
1 Qui se trouvait avec vous dans la maison de votre frère ce
2 10 juillet ?
3 Mme Omanovic (interprétation). - Le 10 juillet, il y avait mon
4 mari et mon frère, dans la maison de mon frère.
5 M. Harmon (interprétation). – Et ce jour-là, quelque chose
6 d'inhabituel s'est-il produit ? Pouvez-vous décrire ce qui s'est passé et
7 comment vous avez réagi à cet événement ?
8 Mme Omanovic (interprétation). - Ce jour-là, on a entendu de
9 nombreux coups de feu autour de la maison de mon frère. Je suis sortie sur
10 la terrasse à un certain moment. Je m'acquittais de mes tâches
11 quotidiennes. J'ai vu de très nombreuses personnes qui circulaient aux
12 alentours. Je n'y ai pas accordé une attention particulière parce que
13 j'avais envoyé mes enfants dans la maison de ma fille. Je suis restée avec
14 mon frère dans sa maison à lui. Nous avions du bétail que nous avions
15 acheté pour survivre.
16 A ce moment-là, il y avait donc de nombreux coups de feu qui
17 venaient d'assez loin. Nous n'étions par particulièrement effrayés parce
18 que nous avions déjà l'habitude des coups de feu. Mais, à un certain
19 moment, j'ai jeté un coup d'œil par la fenêtre pour regarder la maison
20 d'en face, de l'autre côté de la rivière, et j'ai vu un groupe de
21 personnes qui portaient leurs objets personnels qui m'ont fait des signes
22 sur la terrasse où je me trouvais en m'indiquant un danger qui provenait
23 d'en face. J'ai jeté un coup d'oeil dans cette direction et j'ai vu des
24 milliers de balles qui avaient déjà frappé la façade de la maison de mon
25 frère. Mon frère est sorti de la maison, il est passé d'une maison à une
Page 1077
1 autre pour s'en aller.
2 Quant à moi-même et à mon mari, nous ne sommes pas sortis tout
3 de suite, mais un peu plus tard nous sommes allés jusqu'à la maison
4 voisinne, et c'est ainsi que nous nous sommes trouvés réunis avec de très
5 nombreuses personnes provenant des maisons avoisinantes, et c'est en
6 groupe que nous sommes allés vers la ville.
7 Les coups de feu étaient de plus en plus nourris, ils
8 provenaient de toutes sortes d'armes très diverses, des balles et des obus
9 tombaient un peu partout, et c'est donc complètement hors de nous que nous
10 sommes arrivés en ville. Le soir, les tirs ont cessé, se sont arrêtés.
11 D'ailleurs, en ville, ils étaient moins nourris que dans les environs de
12 la ville d'où je venais. J'ai donc passé la nuit en ville avec ma fille et
13 un groupe de personnes très important qui s'était concentré dans la ville.
14 M. Harmon.(interprétation) - L'interprète me demande de vous
15 demander de parler un tout petit peu plus lentement, s'il vous plaît.
16 Maintenant, est-ce que vous voudriez vous pencher sur le
17 11 juillet et dire au Tribunal ce que vous avez fait ce jour-là ?
18 Mme Omanovic (interprétation) - Le 11 juillet, je suis retournée
19 dans la maison de mon frère, rue Petric, parce que j'avais laissé le
20 bétail sans nourriture. Et puis, il y avait le bébé, mon petit-fils, dont
21 les langes étaient restés à sécher à l'étage. Il était impossible de laver
22 tout ce qu'il fallait laver en ville, et donc mon mari et moi-même avons
23 décidé dans les premières heures de la matinée de retourner jusqu'à la
24 maison de notre frère, ce que nous avons fait. Nous avons longé la
25 rivière, et nous sommes arrivés dans la maison de mon frère sans avoir
Page 1078
1 entendu de coups de feu.
2 Srebrenica se trouve dans un vallon, et donc quelques-uns de nos
3 voisins nous ont parlé de coups de feu sporadiques tirés par des tireurs
4 embusqués. Mais le feu n'était pas très nourri. Nous sommes arrivés
5 jusqu'à la maison, les langes étaient tombés du fil sur lesquels ils
6 séchaient. Nous avons ramassé tous ces objets et nous sommes retournés
7 jusqu'à ma fille. Il y a eu une accalmie dans l'après-midi, et ensuite
8 l'enfer a commencé.
9 Les coups de feu provenaient de partout et de toutes sortes
10 d'armes. Les gens accouraient avec leurs bagages à la main. Ils se
11 dirigeaient tous vers Potocari : à Potocari se trouvaient une station
12 d'essence et, tout près, la base des Nations Unies. Donc les gens venaient
13 d'un peu partout : de Bratunac ou d'ailleurs, ils couraient dans tous les
14 sens, les obus tombaient un peu partout, les balles également, et nous
15 nous sommes regroupés. Mais la route était si étroite qu'elle était
16 insuffisante pour accueillir cette foule gigantesque de femmes et
17 d'enfants en bas âge. Il y avait des camions à cet endroit qui ont
18 transporté certaines personnes vers Potocari.
19 M. Harmon.(interprétation) - Permettez-moi de vous interrompre
20 un instant. Etiez-vous accompagnée de votre mari vers midi ce 11 juillet ?
21 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, j'étais avec mon mari,
22 toute la famille était ensemble, regroupée. Donc, à la station d'essence,
23 nous nous sommes séparés : lui est allé avec tous les hommes, tous les
24 hommes âgés de plus de 13 ans ont été sélectionnés, alors que nous, nous
25 allions en direction de Potocari, eux sont allés vers la caserne.
Page 1079
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1080
1 M. Harmon.(interprétation) - Quel est le jour de naissance de
2 votre mari ?
3 Mme Omanovic (interprétation) - Mon mari est né à Mostar le
4 10 juillet 1948.
5 M. Harmon.(interprétation) - A cette station d'essence, y avait-
6 il de nombreuses personnes qui se sont dispersées dans différentes
7 directions autres que vers Potocari ?
8 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, un grand nombre de
9 personnes sont allées ailleurs, et pas à Potocari.
10 M. Harmon.(interprétation) - Les gens qui se sont dirigés
11 ailleurs que vers Potocari, s'agissait-il, en grande majorité, d'hommes et
12 de jeunes hommes ou y avait-il aussi des femmes dans ce groupe-là ?
13 Mme Omanovic (interprétation) - C'étaient surtout des hommes et
14 des jeunes gens, mais il y avait également quelques femmes.
15 M. Harmon.(interprétation) - Est-ce que certains des hommes
16 dans ce groupe avaient des armes ?
17 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, certains des hommes avaient
18 des armes.
19 M. Harmon.(interprétation) - Votre mari avait-il une arme ?
20 Mme Omanovic (interprétation) - Mon mari n'en avait pas. Il
21 avait été opéré un mois avant, il se sentait très mal, mais il a tout de
22 même pris le chemin de la forêt parce qu'on racontait que, si l'on tombait
23 entre les mains des Serbes, on risquait d'être maltraité. Donc il ne
24 voulait pas subir ce sort et il a pris le chemin de la forêt avec les
25 autres hommes.
Page 1081
1 M. Harmon.(interprétation) - Est-ce que le 11 juillet 1995, est-
2 ce que c'est le jour où vous avez vu votre mari pour la toute dernière
3 fois en vie ?
4 Mme Omanovic (interprétation) - Oui, c'est le dernier jour, la
5 dernière fois que je l'ai vu, je ne l'ai plus jamais revu...
6 M. Harmon.(interprétation) - Madame, il y a des Kleenex sur
7 votre gauche.
8 Dans quelle direction êtes-vous allée et qui vous accompagnait ?
9 Mme Omanovic (interprétation) - Je suis partie dans la direction
10 de Potocari accompagnée de mon fils, de ma fille et de mon petit-fils.
11 M. Harmon.(interprétation) - Quel âge avait votre fils à
12 l'époque, et quel âge avaient votre fille et votre petit-fils ?
13 Mme Omanovic (interprétation) - Mon petit-fils avait 4 mois, ma
14 fille 17 ans, et mon fils 13 ans.
15 M. Harmon.(interprétation) - Pouvez-vous décrire pour le
16 Tribunal l'ambiance qui régnait lors de cette fuite vers Potocari ?
17 Combien de gens y avait-il à peu près ? Quelles étaient les conditions ?
18 Quel était l'état d'esprit des personnes qui fuyaient de Srebrenica dans
19 la direction de Potocari ?
20 Mme Omanovic (interprétation) - Le groupe était très nombreux,
21 plusieurs milliers de personnes, des femmes, des enfants, des bébés qui
22 étaient tous animés d'un seul but : fuir dans la direction de la base des
23 Nations Unies à Potocari parce que nous pensions que, si nous arrivions
24 jusque-là, nous pourrions être sauvés. Tout le monde courait, les gens
25 portaient leurs effets personnels dans les mains. Ils couraient un peu
Page 1082
1 partout, c'était une foule gigantesque de personnes qui étaient
2 complètement hors d'elles, qui ne pensaient qu'à une chose, arriver à
3 Potocari, parce que nous pensions que le salut se trouvait à Potocari.
4 Dans ces moments-là, des milliers et des milliers de balles nous
5 passaient au-dessus de la tête et tombaient un peu partout. On entendait
6 sans cesse le bruit des obus. Il y avait des femmes qui avaient un morceau
7 de pain à la main, le morceau de pain tombait par terre ; une vieille
8 femme a fini par tomber elle-même au sol. C'est dans ces conditions que
9 les véhicules de transport sont arrivés.
10 On a donc vu des blindés transports de troupes qui parfois,
11 lorsque que quelqu'un se trouvait allongé au sol, à côté, ramassaient le
12 corps et le mettaient sur le transport de troupes.
13 Ma fille marchait vers Potocari et la route était tellement
14 jonchée d'éléments personnels, de bagages que, puisque nous avions le
15 landau dans lequel se trouvait mon petit-fils, nous avons eu leplus grand
16 du mal à circulier, à avancer. Et c’est dans ces conditions que nous
17 sommes arrivés à Potocari, c’était terrible.
18 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que toutes les personnes
19 qui ont fui de Srebrenica vers Potocari ont fui à pied, ou certains ont-
20 ils été transportés par des véhicules de l'ONU ?
21 Mme Omanovic (interprétation). - Certaines personnes ont été
22 transportées par des blindés des Nations Unies. Mais il n'a pas été
23 possible de transporter tout le monde. Les gens qui étaient le plus proche
24 de la base des Nations Unies ont été entassés à bord de camion, mais
25 c'était un tel désordre, une telle masse de gens qui se pressaient les uns
Page 1083
1 contre les autres pour essayer de s’accrocher à l'arrière du camion et
2 monter dans le camion dans l'idée que cela les aiderait à arriver plus
3 vite au salut, que bien sûr les gens se sont entassés contre les camions,
4 et il y avait tellement de monde de tous les côtés qu’on voyait des gens
5 qui s'accrochaient à n’importe quel élément de la carrosserie, de tous les
6 côtés. Et le camion démarrait avec cette grappe de gens accrochés à tous
7 les éléments de sa carrosserie. Si quelqu'un tombait, ma foi il tombait et
8 le camion continuait.
9 M. Harmon (interprétation). – Monsieur le Président, nous
10 aimerions montrer la séquence d'un film, pièce à conviction de
11 l'accusation n° 50.
12 Pourrait-on baisser les lumières pour que nous puissions
13 visionner cette séquence ?
14 (Diffusion d'un film.)
15 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, est-ce que ces
16 images que nous avons vues donnent une image correcte des événements tels
17 que vous vous en souvenez ? Une image fidèle ?
18 Mme Omanovic (interprétation). – C'est exactement comme cela que
19 les choses se sont passées. Mais ce que nous venons de voir n'est qu'un
20 extrait. Imaginez des milliers et des milliers de personnes dans cette
21 situation, un nombre beaucoup plus important. Vous venez d'entendre des
22 cris, des voix. Multipliez ces bruits, parce que dans un camion il ne peut
23 monter que 100 personnes. Imaginez la situation avec plusieurs milliers de
24 personnes. Le volume des voix est beaucoup plus important et, en plus,
25 s'ajoute au bruit de ces voix le bruit des balles et des obus.
Page 1084
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Page blanche insérée aux fins d'assurer la correspondance entre la
14 pagination anglaise et la pagination française
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Page 1085
1 M. Harmon (interprétation). – Quel temps faisait-il, le
2 11 juillet à Potocari ?
3 Mme Omanovic (interprétation). - Il faisait très chaud ce jour-
4 là.
5 M. Harmon (interprétation). – Lorsque vous êtes arrivée à
6 Potocari, où vous êtes-vous rendue précisément ?
7 Mme Omanovic (interprétation). - Avec ma famille, je suis allée
8 dans la cour de l'usine.
9 M. Harmon (interprétation). – Est-ce que l'huissier voudrait
10 bien soumettre la pièce à conviction 5/2 et placer cette pièce sur le
11 rétroprojecteur, s'il vous plaît ?
12 Madame Omanovic, je vous ai déjà montré cette pièce, je vous
13 demanderai simplement d'indiquer sur la pièce à conviction 5/2
14 l'emplacement exact de l'usine de zinc, pour que les Juges puissent se
15 faire une idée de l'emplacement d'autres lieux qui seront pertinents, que
16 vous allez évoquer dans votre déposition.
17 Mme Omanovic (interprétation). - Le jour de mon arrivée dans la
18 cour de l'usine de zinc, en provenance de Srebrenica, j'étais avec mes
19 enfants ici, à l'extrémité de la cour, et le lendemain, je suis allée dans
20 l'enceinte de la gare routière, le centre des transports publics de la
21 ville, et je me suis installée ici, juste à côté sur l'esplanade que l'on
22 trouve devant la station d'essence. C'est là que j'ai passé la nuit.
23 M. Harmon (interprétation). – Comme nous avons devant nous cette
24 pièce à conviction, avez-vous travaillé un jour dans l'immeuble que l'on
25 appelait l'immeuble Feros ?
Page 1086
1 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, les trois dernières années
2 qui ont précédé la guerre, j'ai travaillé en qualité de chef-comptable
3 dans la société Feros qui se trouve ici.
4 M. Harmon (interprétation). – Nous allons évoquer plus tard,
5 dans votre déposition, une maison blanche située près de cette maison
6 Feros. Pouvez-vous indiquer l'emplacement de cette maison blanche ?
7 Mme Omanovic (interprétation). - La maison blanche est située en
8 face de la société Feros, donc par la fenêtre de mon bureau, je voyais
9 très bien la maison blanche.
10 M. Harmon (interprétation). – Est-ce que vous voudriez bien
11 regarder une fois de plus cette photo, juste pour voir si votre pointeur
12 est bien sur l'immeuble que vous voulez désigner ? Est-ce que vous voyez
13 cette route qui va du haut en bas, vous avez dit que la maison blanche se
14 trouvait juste en face de l'immeuble Feros, est-ce exact ?
15 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, oui, ici, c'est notre
16 entrepôt. Si c'est la route de Bratunac, alors la maison blanche se trouve
17 ici.
18 M. Harmon (interprétation). – Merci beaucoup madame Omanovic.
19 Simplement, en tant qu'éclaircissement, vous avez dit avoir
20 travaillé pendant trois ans dans cette région, dans cette zone, est-ce
21 juste ?
22 Mme Omanovic (interprétation). - Non j'ai dit trois ans, j'ai
23 travaillé trois ans pour la société Feros.
24 M. Harmon (interprétation). – Monsieur le Président, il est
25 2 heures 29, peut-être conviendrait-il de faire une pause avant d'entrer
Page 1087
1 dans les détails plus matériels, sur le fond ?
2 M. le Président. – Oui, Monsieur Harmon, vous avez raison. C'est
3 mieux de faire la pause maintenant que de risquer d'aller plus loin. Donc,
4 nous allons en rester aujourd'hui ici.
5 Demain, on va continuer, demain à 9 heures 30.
6
7 L'audience est levée à 14 heures 30.
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25