Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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4 Jeudi 23 mars 2000

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6 L'audience est ouverte à 09 heures 35.

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8 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

9 M. le Président. - Bonjour, madame, messieurs. Je salue la

10 cabine technique, les interprètes.

11 Interprète. - Bonjour, Monsieur le Président.

12 M. le Président. - Je vous entends aussi donc. Nous sommes ici

13 pour continuer l'affaire du général Krstic. Je vois encore, pour le compte

14 rendu, que nous sommes les mêmes. Je crois que je vois M. Cayley derrière

15 la colonne. Il y a toujours cette question. Donc nous allons continuer

16 notre affaire.

17 Je crois que nous avons un témoin pour aujourd'hui, n'est-ce

18 pas, Monsieur Harmon ?

19 M. Harmon (interprétation). - Oui, nous poursuivons

20 l'interrogatoire de Mme Omanovic. Bonjour, Monsieur le Président, Madame

21 et Messieurs les Juges. Je dis bonjour également au conseil de la défense.

22 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)

23 M. le Président. - Bonjour, madame Omanovic. Vous m'entendez ?

24 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, je vous entends. Bonjour.

25 M. le Président. - Nous allons donc continuer votre témoignage

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1 aujourd'hui. Je vous rappelle que vous êtes sous serment et vous allez

2 continuer à répondre aux questions que M. Harmon va vous poser. Merci.

3 M. Harmon (interprétation). - Bonjour, madame Omanovic.

4 Mme Omanovic (interprétation). - Bonjour.

5 M. Harmon (interprétation). - Avant que nous revenions à votre

6 description des événements à Potocari, j'ai quelques questions à vous

7 poser au sujet d'un certain nombre de personnes. Connaissez-vous

8 Sreten Petrovic, la famille Streten Petrovic ?

9 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, je connais cette famille,

10 car Streten habitait dans le même quartier que moi à Srebrenica.

11 M. Harmon (interprétation). - Quel est l'âge de Streten

12 Petrovic, à peu près ?

13 Mme Omanovic (interprétation). - Il a une quarantaine d'années,

14 il est un petit peu plus jeune que moi.

15 M. Harmon (interprétation). - Connaissez-vous le nom du père de

16 Streten Petrovic ?

17 Mme Omanovic (interprétation). - On l'appelai Ilija "Saspata"

18 parce qu'il avait des moustaches très longues, fort caractéristiques même

19 avant la guerre.

20 M. Harmon (interprétation). - Merci beaucoup. Maintenant,

21 revenons-en au point où nous étions hier, au moment où nous avons levé

22 l'audience. Dans le cadre de votre déposition, vous nous aviez dit comment

23 vous êtiez allée de Srebrenica à Potocari, votre fuite. Vous nous dites

24 que vous êtes arrivée à l'usine Zinc. C'est bien exact ?

25 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, nous sommes arrivés jusque

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1 la cour de l'usine Zinkara et nous nous sommes installés là, nous y avons

2 passé la nuit.

3 M. Harmon (interprétation). - Pouvez-vous décrire aux Juges les

4 conditions qui prévalaient à l'usine Zinc ?

5 Mme Omanovic (interprétation). - Quand nous sommes arrivés de

6 Srebrenica, nous étions placés sur le site de la cour de cette usine de

7 Zinkara. Les gens arrivaient là. Et alors, tout simplement, je ne sais

8 comment, je croyais que nous n'irions pas plus loin. Il y avait là une

9 base de l'ONU, chacun cherchait à se caser quelque part pour avoir où

10 passer la nuit. Chacun avait des bagages et cherchait à s'installer, à se

11 trouver un endroit pour dormir.

12 Il y avait un plateau près de Peciste où nous étions surtout

13 concentrés. J'ai trouvé un couvercle de containers, puisque c'étaient des

14 containers de l'usine de zinc, et nous allions mettre des couvercles puis

15 ramasser du foin dans les prés, et c'est ce qui nous servait de lits. Nous

16 avions un chariot pour nos affaires. Les affaires étaient restées sur le

17 chariot, et nous nous étions couchés par terre. Nous avions plutôt chacun

18 un petit coin où nous attendions ce qui allait se passer.

19 Pendant tout le temps où nous étions assis là, on nous tirait

20 dessus de Zvesda au fusil à lunettes, et on se penchait d'un côté ou de

21 l'autre. En face, il y avait le village de Peciste d'où les soldats serbes

22 tiraient sur les maisons. Avec les bruits des explosions d'obus, nous nous

23 penchions d'un côté ou de l'autre en lançant des cris d'effroi pendant

24 toute la nuit. Certains vomissaient.

25 Il y avait donc là un espace où nous vivions, où les toilettes

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1 se trouvaient, où les gens vomissaient sur place, et tout se passait dans

2 un espace très restreint. Nous étions entassés pratiquement les uns sur

3 les autres.

4 M. Harmon (interprétation). - Vous avez parlé du village de

5 Peciste. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu, ce qui produisait dans

6 ce village et dans les maisons qui étaient aux alentours de ce village ?

7 Mme Omanovic (interprétation). - Aux alentours de ce village de

8 Peciste, il y avait des maisons qui brûlaient, qui étaient incendiées.

9 Chacune de ces maisons avait été pilonnée, volait en éclats.

10 M. Harmon (interprétation). - De l'endroit où vous vous teniez,

11 étiez-vous en mesure de voir des soldats qui mettaient le feu aux

12 maisons ?

13 Mme Omanovic (interprétation). - Non, je ne pouvais pas

14 personnellement voir les soldats incendier les maisons, mais les maisons

15 brûlaient. On ne voyait pas les gens mettre le feu, mais on voyait les

16 maisons brûler, les flammes s'élever au-dessus des maisons.

17 M. Harmon (interprétation). - Dans l'usine Zinc et autour de

18 cette usine, à peu près combien de réfugiés y avait-il ? Pouvez-vous nous

19 donner une estimation ?

20 Mme Omanovic (interprétation). - Je ne saurais vous dire le

21 nombre exact, mais il y avait plusieurs milliers de personne sur cet

22 espace, autour de l'usine de zinc et à l'intérieur, nous étions donc

23 entassés, et sur le plateau entier il y avait peut-être une superficie

24 d'un kilomètre carré. Toute la superficie était couverte, tous les gens

25 qui étaient venus de Srebrenica se trouvaient là, dans ces installations,

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1 autour de l'usine de zinc. Il y avait l'usine du 11 Mars. Et puis, il y

2 avait une espèce de bandeau jaune qui séparait la base de l'ONU et le

3 reste de la population qui s'était amoncelée ici.

4 M. Harmon (interprétation). - Quel type de nourriture vous a-t-

5 on donné ? Aviez vous de l'eau, et quel type d'eau ?

6 Mme Omanovic (interprétation). - On avait que ce que les gens

7 avaient emporté avec soi. En général, les personnes se trouvaient démunis

8 tant de vivres que d'eau.

9 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et

10 Messieurs les Juges, je vais maintenant montrer un film qui fait environ

11 47 secondes. Il faut donc être très attentifs, enfin, si je puis me

12 permettre. Mais ce film permet de voir la foule de gens qui se trouvait à

13 cet endroit. Je vais demander qu'on baisse un peu les lumières et que l'on

14 nous montre donc cette vidéo qui est très brève et que nous avons extraite

15 des vidéos dont nous disposons. Nous pensons que cela donne une idée très

16 fidèle du nombre de personnes qui se trouvaient sur place. Il s'agit de la

17 pièce à conviction n°°51.

18 (Diffusion de la cassette vidéo.)

19 Madame Omanovic, vous avez déjà vu ces images, je vous les ai

20 déjà montrées. Est-ce que ces images reflètent bien le nombre de

21 personnes, de réfugiés qui se trouvaient autour de ce complexe à

22 Potocari ?

23 Mme Omanovic (interprétation). - C'est précisément ainsi que

24 cela se présentait. Et c'est bien la description de la situation dans

25 laquelle nous nous sommes trouvés à Potocari.

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1 M. Harmon (interprétation). – La nuit du 11, vous étiez près de

2 l'usine de zinc. Pouvez-vous nous dire quelle atmosphère prévalait à ce

3 moment-là ? Quel était le sentiment général des réfugiés à ce moment-là ?

4 Mme Omanovic (interprétation). - Tous les gens étaient apeurés,

5 ils avaient faim et ils étaient hors d'eux. On s'attendait, on se

6 demandait ce qui allait se passer par la suite. La situation était

7 organisée par une appréhension générale. Je ne sais comment vous décrire

8 les sentiments autrement.

9 M. Harmon (interprétation). – Bien, concentrons-nous sur la

10 journée suivante, parce que le lendemain, donc on vous a choisie pour être

11 la représentante des Musulmans qui se trouvaient là. On vous a demandé de

12 participer à une réunion à l'hôtel Fontana. Pouvez-vous nous dire dans

13 quelles circonstances on vous a ainsi choisie ?

14 Mme Omanovic (interprétation). - Le matin, c'est-à-dire le

15 lendemain, Ibro Nuhanovic, Zinacevic et Nesima Mandzic sont venus me

16 chercher. Ils m'ont dit qu'il fallait aller au campement hollandais pour

17 convenir de l'aménagement de l'espace où nous nous trouvions. J'étais

18 couchée, je me suis changée, j'étais mal vêtue, je me suis changée.

19 J'ai dit "Pourquoi moi ?" On m'a dit : "Tu es de Srebrenica

20 même". Beaucoup de gens étaient partis à la veille de la guerre de

21 Srebrenica, il était resté fort peu d'habitants de Srebrenica lettrés.

22 Comme j'avais un peu plus d'instruction, et en ma qualité de mère, et de

23 femme, on m'a désignée comme représentante des femmes de Srebrenica pour

24 voir avec les soldats hollandais, pour nous faire aider du point de vue

25 des vivres et des conditions de vie.

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1 Mais il faisait si chaud dans ce camp-là que nous craignions que

2 des épidémies se manifestent. Je crois que nous aurions pu périr de faim,

3 de cette chaleur, des contagions et des mauvaises conditions de vie.

4 Je me suis rendue avec eux vers ce campement hollandais pour

5 convenir avec les gens, aux fins d'organiser avec leur aide la vie sur

6 l'espace où nous nous étions trouvés.

7 M. Harmon (interprétation). – Monsieur le Président, je vais

8 maintenant vous montrer la pièce à conviction n°°49, il s'agit d'un

9 extrait très bref tourné lors de cette réunion. Le film fait lui-même

10 huit minutes. Il ne représente qu'une partie de cette réunion.

11 Je vais demander à M. Dubuisson de distribuer à Madame et

12 Messieurs les Juges des photocopies de cette réunion. La pièce à

13 conviction porte le n°°49, 49a pour l'anglais, 49b pour le français, 49c

14 pour le BCS. Je vais demander aux interprètes de traduire le film.

15 Je souhaiterais donc que l'on baisse la lumière, que l'on

16 commence la projection de ce film, pièce 49.

17 (Diffusion du film.)

18 Interprétation du film :

19 "Entrez, entrez,

20 (Les interprètes s'excusent mais le son est très mauvais.)

21 Question : Comment vous appelez-vous ?

22 Oui, présentez-vous, s'il vous plaît.

23 Mme Omanovic : Je prendrai la même chose que vous. J'aimerais de

24 l'eau minérale, s'il vous plaît.

25 Question : Quelle est votre profession, Madame, s'il vous

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1 plaît ?

2 Mme Omanovic : Economiste.

3 Question : Economiste ?

4 Mme Omanovic : Oui.

5 Question : Vous êtes diplômée de quelle université ?

6 Mme Omanovic : De Brcko.

7 Question : Vous êtes mariée ?

8 Mme Omanovic : Oui.

9 Question : Vous vous appelez Amela ?

10 Mme Omanovic : Non, Camila.

11 Question : Camela ?

12 Mme Omanovic : Non, Camila. J'ai deux enfants et un petits-fils.

13 Question : Si jeune et déjà grand-mère !

14 Mme Omanovic : Grand-mère, oui.

15 Question : Quand êtes-vous née ?

16 Mme Omanovic : En 1953.

17 Question : En 1953 ! Vous faisiez quoi dans la vie ?

18 Mme Omanovic : Mon collègue et moi étions dans la même classe à

19 l’école secondaire.

20 Question : Vous n’avez pas besoin de moi, alors ?

21 Mme Omanovic : Effectivement.

22 Intervenant. – (On entend quelqu’un dire) Quelle coïncidence !

23 Question : Vous pouvez résoudre le problème alors, vous étiez en

24 classe ensemble, ça va bien.

25 Mme Omanovic : Et pourquoi pas !

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1 Question : Un ancien béguin de l'époque, peut-être ?

2 Mme Omanovic : Non, nous étions juste des amis proches. Nous ne

3 savions pas qu’on en arriverait là. Si nous avions été politiciens, si

4 nous, simples citoyens, si je ne me suis querellée avec personne à

5 Srebrenica, j'avais une vie agréable. Il se trouve que je suis restée à

6 Srebrenica, voilà. Nous devons survivre. Nous devons survivre, je répète.

7 Question : Et quant à ce qui va se passer maintenant, occupez-

8 vous des fonctions politiques quelconques ?

9 Mme Omanovic : J'étais juste directrice d’un service de

10 comptabilité, je n'ai jamais été politiquement engagée.

11 Question : Pendant la guerre ?

12 Mme Omanovic : Non.

13 Question : Que fait le monsieur assis à côté de vous ?

14 Ibro Nuhanovic : Je m'appelle Ibro Nuhanovic. Je suis licencié

15 en économie. J'étais homme d'affaires. Et maintenant, pendant la guerre,

16 me voilà à Srebrenica. Maintenant, nous sommes là par hasard, voilà tout.

17 Question : Pourriez-vous parler plus fort ?

18 Mme Omanovic : Je disais pendant la guerre nous sommes arrivés à

19 Srebrenica par hasard. Avant, j'habitais à Vlacenica.

20 Question : D’où êtes-vous originaire ?

21 Mme Omanovic : Je suis née dans le village de Soboranj, une

22 municipalité de Han Pjesac.

23 Question : Le village de ?

24 Mme Omanovic : Han Pjesac. Je suis partie en 1955. Après, je

25 suis allée à l’école secondaire, j’ai étudié à l’université. J'ai

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1 travaillé à Bratunac, j’ai travaillé à Srebrenica. Bref, j’ai été choisie

2 pour venir ici avec ces gens, j'ai été invitée.

3 Question : Je veux vous aider ! Mais je veux la coopération

4 absolue de la population civile puisque votre armée a été vaincue. Il

5 n'est pas nécessaire que vos gens se fassent tuer, votre mari, vos frères

6 ou vos voisins.

7 Tout ce que vous avez à faire, c’est de dire ce que vous voulez.

8 Comme je l’ai dit hier soir à quelqu’un : soit vous survivez, soit vous

9 disparaissez. Pour votre survie, je demande que tous les hommes

10 responsables d'attaque ou de crime, il y en a beaucoup envers notre

11 peuple, remettent leurs armes à l'armée de la Republika Srpska. Au moment

12 de remettre les armes, vous pouvez soit choisir de rester sur le

13 territoire, soit -si le coeur vous en dit- aller où vous voulez. Le

14 souhait de chacun sera respecté, aussi nombreux que vous soyez.

15 Mme Omanovic : Et maintenant, comment entrons-nous en contact

16 avec eux ?

17 Question : Vous êtes bien placée pour le savoir ! Vous pouvez,

18 si tout est prêt, le reste de votre armée peut déposer les armes et les

19 remettre à mes officiers en présence d’officiers de la Forpronu. Vous

20 pouvez choisir de rester ou partir si vous le souhaitez. Si vous souhaitez

21 partir, vous pouvez aller où bon vous semble. Après remise des armes,

22 chacun ira où il dira qu'il veut aller.

23 C'est pourquoi il est nécessaire de fournir uniquement le

24 carburant. C'est moi qui fournirai les véhicules. Si vous ne pouvez pas

25 fournir ce carburant, vous pouvez payer pour, si vous avez des ressources.

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1 Si vous ne pouvez pas payer pour, il faudrait que la Forpronu fasse venir

2 4 ou 5 camions citernes pour faire le plein des camions, parce qu’il y a

3 beaucoup de monde, et il faut trouver une solution.

4 Si vous choisissez de partir, et je ne veux pas vous influencer

5 dans votre choix, je n'ai rien contre vous, je n’ai rien contre les

6 innocents et ceux qui n'ont rien fait, vous pouvez choisir si vous voulez

7 aller vers l’est, traverser la Serbie, ou aller là-bas, cela m'est égal.

8 Si vous voulez aller vers l'ouest, à vous de dire où vous voulez aller.

9 Mme Omanovic : Ils ont dit qu'ils devraient aller à Bratunac, au

10 stade.

11 Question : Qui a dit cela ?

12 Mme Omanovic : Les gens.

13 Question : Ils viennent, laissez-les aller au stade et là l'un

14 des représentants d’ici sera avec ces gens pour les voir embarquer.

15 Mme Omanovic : Puis-je vous demander si ma fille et son enfant

16 peuvent partir ?

17 Question : Eh bien, oui.

18 Mme Omanovic : Elle ne devrait pas la laisser ici. Je préfère

19 encore rester ici moi-même.

20 (Tout le monde parle en même temps.)

21 Question : Si nécessaire, Madame, vous, votre fille et votre

22 petite fille seront transférées dans mon véhicule, ne craignez rien.?

23 (Fin de la diffusion)

24 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, nous venons de

25 voir ce qui n’est qu'un extrait de cette réunion, n'est-ce pas ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, c'est une partie de la

2 réunion, enfin de l'enregistrement de la réunion.

3 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous nous parler de la

4 réunion ? Quand vous êtes entrée, que s'est-il passé ?

5 Mme Omanovic (interprétation). – J'ai accédé à cette pièce, j'ai

6 vu mon ami de classe, Miroslav Deronjic, j'étais très effrayée. Et je me

7 suis tournée à un moment vers lui, je lui ai dit : "Miroslav, mon frère,

8 mais que faites-vous de ces gens innocents ? Aidez-nous. Ce sont des gens

9 qui sont désarmés, qui sont pieds nus, qui ont faim, qui ont soif, qui

10 sont ici à la merci des gens qui n'arrêtent pas de tirer?. Alors M. Mladic

11 a dit : "Asseyez-vous?, nous avons fait connaissance. Il nous a parlé. Il

12 nous avait dit qu'il avait traversé le plus grand succès de sa vie dans la

13 conquête de Srebrenica.

14 J'avais l'impression qu'il avait préparé tout cela comme un

15 agencement de pièce de théâtre pour nous montrer. Il faisait un signe de

16 la tête à quelqu'un derrière nous. Quelqu'un avait apporté une plaque, une

17 inscription de l'assemblée municipale de Srebrenica. Il nous a montré

18 cette plaque cassée. Il a dit que c'était le plus grand succès de sa vie.

19 Puis, il a fait un autre signe, on a apporté un livre

20 d'enregistrement des naissances et des décès. Il l’a lu, je sais par

21 exemple quelle est la personne qui s'était mariée à Srebrenica le plus

22 récemment. Et il avait dit que nous pouvions rester ou disparaître.

23 Dans cet exposé, dans ces mots-là, je savais que si nous

24 acceptions de quitter Srebrenica il y avait une possibilité de survivre.

25 Si nous nous efforcions de rester, au contraire j'avais l'impression que

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1 nous cesserions d'exister.

2 M. Harmon (interprétation). – Vous dites qu'au début de la

3 réunion vous avez parlé avec M. Deronjic.

4 Je demanderai la pièce à conviction suivante, la pièce à

5 conviction de l'accusation n°°52. Je demanderai qu'elle soit distribuée et

6 qu'elle soit également placée sur le rétroprojecteur, s'il vous plaît.

7 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous baisser un peu la

8 photo, s'il vous plaît ? Madame Omanovic, il s'agit là d'une photographie

9 qui est extraite du film que nous venons de voir, et je voudrais vous

10 demander, s'il vous plaît, de bien vouloir identifier sur cette pièce à

11 conviction de l'accusation n°°52 M. Deronjic.

12 Mme Omanovic (interprétation). - Il était assis juste en face de

13 moi. Voilà, c'est mon copain de classe.

14 M. Harmon (interprétation). – Je souhaite que soit inscrit au

15 compte rendu le fait que Mme Omanovic a indiqué l'homme qui se trouve à

16 droite, à l'extrémité droite de la photographie et qui tient dans sa main

17 un verre.

18 Vous nous dites qu'au début, vous avez demandé quelque chose à

19 M. Deronjic. Que vous a-t-il dit après que vous ayez formulé cette

20 demande ?

21 Mme Omanovic (interprétation). – Il a essayé de dire qu'il avait

22 lui aussi connu des victimes. Mais Mladic l'a interrompu. Il n'a laissé

23 personne discuter avec nous. J'avais l'impression qu'il souhaitait mener

24 la parole, être l'acteur principal de cette réunion.

25 M. Harmon (interprétation). – Est-ce que quelqu'un d'autre a eu

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1 son mot à dire, dans cette réunion, ou est-ce Mladic qui a eu la parole

2 tout au long et qui dirigeait les débats ?

3 Mme Omanovic (interprétation). - Le général Mladic avait tenu et

4 présidait la réunion en général seul.

5 M. Harmon (interprétation). – Je voudrais maintenant vous

6 présenter la pièce à conviction suivante, je vais demander qu'elle soit

7 placée sur le rétroprojecteur, pièce à conviction de l'accusation n°°53,

8 je souhaiterais qu'elle soit communiquée aux Juges ainsi qu'aux conseils

9 de la défense.

10 Il s'agit ici encore d'une photographie extraite du film que

11 nous venons de visionner. Est-ce que vous reconnaissez sur cette

12 photographie quelqu'un d'autre que le général Mladic ?

13 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, je connais cet homme-ci,

14 également.

15 M. Harmon (interprétation). – Vous indiquez l'homme qui porte

16 une chemise civile verte, et qui se trouve à gauche ? Le connaissez-vous ?

17 Mme Omanovic (interprétation). - Je le connais, je ne connais

18 pas son nom, mais nous nous sommes rencontrés en ville. Je sais qu'il

19 habitait à Bratunac, je me rendais souvent à Bratunac parce que ma soeur y

20 vivait. C'était la ville la plus proche de Srebrenica, ce qui fait que

21 nous nous rencontrions et que nous connaissions pas mal de gens là-bas.

22 Lorsque je me suis rendue là-bas, pour voir de quoi avait l'air la

23 situation, pour l'évacuation, j'ai rencontré à la sortie derrière le

24 bandeau jaune de séparation de la base de l'ONU cet homme-là. Il se

25 trouvait à côté d'un autobus.

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1 M. Harmon (interprétation). – A-t-il dit quoi que ce soit ?

2 Mme Omanovic (interprétation). - Il a dit : "Madame Camila, où

3 sont vos enfants ?" J'ai menti et j'ai dit que mes enfants étaient déjà

4 partis en autocar. Il m'a dit : "Personne ne peut vous aider, votre

5 destinée est scellée". Je savais alors que j'avais fort peu de chances de

6 survivre avec mes enfants. Mes enfant se trouvaient toujours sur le

7 plateau devant l'entrée de cette entreprise de transport public.

8 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, après la fin de

9 la réunion, où êtes-vous allée ?

10 Mme Omanovic (interprétation). - Nous avons été ramenés vers la

11 base de l'ONU. Comme en sortant nous passions vers le campement de l'ONU,

12 j'avais vu que des soldats serbes se promenaient entre les gens qui

13 étaient là-bas. J'ai demandé au chauffeur de me ramener vers le plateau où

14 se trouvaient mes enfants. Il l'a fait en effet, et au lieu de me diriger

15 vers la base de l'ONU, je suis allée voir mes enfants en attendant que

16 nous rejoignent Nuhanovic et Mandzic.

17 Nous avions convenu à Bratunac d'établir une liste pour évacuer

18 d'abord les personnes âgées, les femmes et les enfants. Je croyais qu'il

19 allait en être ainsi. Toutefois, cela n'a rien donné. Ils ne se sont plus

20 présentés, ils ne sont plus venus faire cela, mais des camions et des

21 autocars sont venus et sans ordre aucun, on a laissé les gens monter et on

22 a entamé cette évacuation.

23 M. Harmon (interprétation). – Le 12, avez-vous vu le général

24 Mladic à Potocari ?

25 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, il était venu derrière

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1 cette bande jaune de séparation. Il était accompagné de ses soldats. Ils

2 ont distribué quelques chocolats et quelques pains aux gens placés le plus

3 près d'eux. Ils se sont promenés dans le campement, entre les réfugiés qui

4 avaient été amenés là, puis il est reparti.

5 M. Harmon (interprétation). – Vous nous dites que les gens

6 commençaient à se diriger vers les autocars. Est-ce que c'étaient des

7 familles où il y avait les pères, les fils, notamment ?

8 Mme Omanovic (interprétation). - Les familles se sont dirigées

9 toutes ensemble. Chacun cherchait à se sauver, en montant dans des

10 camions. Ils se sont tous précipités. Quand vous regardez de Srebrenica,

11 enfin, du point de vue des gens de Srebrenica, c'était comme si accéder

12 aux camions ou à un autocar vous permettrait de survivre. Il y avait une

13 formidable mêlée, beaucoup de cris, de bousculade. Là, il y avait des

14 hommes, des femmes et des enfants, tous ensemble.

15 M. Harmon (interprétation). – Est-il arrivé quoi que ce soit aux

16 hommes et aux jeunes garçons qui se trouvaient au sein de ces familles qui

17 se dirigeaient vers les bus ?

18 Mme Omanovic (interprétation). – Ils étaient séparés entre

19 chacun des autocars, c'est-à-dire dans la rue où les autocars avaient été

20 garés, il y avait des soldats et des civils qui avaient le droit de

21 prélever quelqu'un de la masse, de dissocier quelqu'un, et sur ce tracé,

22 pour monter dans les autocars, chacun avait le droit de dissocier les gens

23 qui ne leur convenaient pas. Je ne savais pas selon quel critère.

24 M. Harmon (interprétation). – Les hommes et les jeunes garçons

25 que l'on a séparés des autres, où sont-ils allés ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). - Ils se dirigeaient vers la

2 maison blanche. Il y avait une colonne ininterrompue, silencieuse et

3 tranquille. On avait l'impression que la colonne n'avait pas de fin. Il y

4 avait toujours des nouveaux venus, et d'autres qui disparaissaient

5 derrière la maison blanche. Je ne sais pas où ils sont allés mais ils se

6 dirigeaient vers la maison blanche.

7 M. Harmon (interprétation). – Pouvez-vous dire à la Chambre quel

8 était le groupe d'âge auquel appartenaient ces hommes que l'on séparait du

9 reste, de ces gens qui se dirigeaient vers les bus ?

10 Mme Omanovic (interprétation). - Il y avait notamment des

11 personnes, surtout ceux qui avaient plus de 13 ans, il y avait des garçons

12 qui étaient bien grands et bien développés, qui n'avait pas 13 ans, ils

13 ont été séparés également. Tous ceux qui avaient au-delà de 13 ans étaient

14 séparés.

15 M. Harmon (interprétation). – Est-ce que vous avez vu, parmi ces

16 hommes qui avaient été séparés du reste du groupe, des hommes qui étaient

17 handicapés d'une façon ou d'une autre ?

18 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, j'ai vu Mehmedovic Mirza.

19 C'était un mal formé, un débile total, il ne s'exprimait que par des

20 mimiques, il a été laissé lui aussi de côté.

21 M. Harmon (interprétation). – Est-ce qu'il se trouvait dans ce

22 groupe d'hommes alignés en direction de la maison blanche ?

23 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, il y a essayé de leur dire

24 quelque chose, mais on l'a bousculé, et il a été mis de côté. Il était

25 complètement débile : il ne savait absolument rien expliquer, il ne savait

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1 pas s'exprimer mais ils l'ont mis de côté quand même.

2 M. Harmon (interprétation). - Madame Omanovic, savez-vous s'il a

3 survécu ?

4 Mme Omanovic (interprétation). - Il n'a pas survécu.

5 M. Harmon (interprétation). - Ces hommes que l'on avait séparés

6 du reste du groupe, avaient-ils avec eux leurs biens personnels, des sacs

7 par exemple ?

8 Mme Omanovic (interprétation). - Ils avaient des effets

9 personnels, mais ils n'avaient pas le droit de les porter vers la maison

10 blanche. Il y avait un grand monticule où s'amoncelaient les affaires, où

11 on leur disait de laisser les affaires. Ils n'avaient pas le droit de les

12 apporter avec eux.

13 M. Harmon (interprétation). - Vous avez assisté à cette scène,

14 madame Omanovic. Ensuite, où êtes-vous allée ?

15 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis revenue vers ma

16 famille, et j'ai décidé alors, après... Vous entendez après Bratunac ?

17 M. Harmon (interprétation). - Après avoir assisté à la

18 séparation de ces hommes et de ces jeunes garçons du reste du groupe, et

19 après avoir vu le général Mladic circuler dans Potocari. Etes-vous

20 retournée à l'usine Zinc ou êtes-vous allée ailleurs ?

21 Mme Omanovic (interprétation). - Je suis allée à l'usine de zinc

22 regagner ma famille et j'ai remarqué que dans le campement, partout, il y

23 avait des hommes armés qui se promenaient. A proximité de ma famille, il y

24 avait 5 à 10 hommes qui regardaient ma fille, qui grinçaient des dents,

25 qui injuriaient. J'avais peur de passer la nuit sur place. Il y avait une

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1 petite forêt à côté, j'avais peur que nous ne soyons emmenés là-bas, moi,

2 ma femme, mon fils.

3 J'ai traversé la cour, j'ai traversé la rue. Il y avait là un

4 endroit sur le plateau où les autocars s'approvisionnaient en carburant.

5 Nous étions installés là et concentrés autour de cet endroit. Des gens

6 étaient autour de nous. D'autres étaient transportés de l'autre côté. Il y

7 avait une grande foule très concentrée, très dense autour de nous.

8 M. Harmon (interprétation). - Vous nous dites que ces soldats

9 proféraient des injures. Etait-ce à l'encontre de votre fille ou à

10 l'encontre d'autres réfugiés ?

11 Mme Omanovic (interprétation). - Ils injuriaient ma fille, ils

12 disaient : "Je baise ta mère. Si jeune, tu as déjà un enfant." Elle avait

13 16, 17 ans, elle avait un enfant, oui. Ils l'a regardaient en lui lançant

14 des regards inamicaux, et j'avais très peur pour elle, en effet.

15 M. Harmon (interprétation). - Vous dites que vous vous êtes

16 déplacés. Vous êtes donc allés en face de l'usine Zinc, vers la compagnie

17 de transport ?

18 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, nous sommes allés là-bas,

19 et nous nous sommes installés là-bas le deuxième jour.

20 M. Harmon (interprétation). - Combien d'autres réfugiés se

21 trouvaient à cet endroit où vous vous étiez réinstallés ?

22 Mme Omanovic (interprétation). - Eh bien, tous ceux qui n'ont

23 pas réussi à monter dans les autocars se trouvaient là, sur un espace

24 encore plus restreint. Nous nous tassions nous-mêmes pour nous trouver le

25 plus près possible des moyens de transport.

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1 M. Harmon (interprétation). - Pouvez-vous nous dire à peu près

2 combien il y avait des gens qui se trouvaient là ?

3 Mme Omanovic (interprétation). - Une fois de plus, plusieurs

4 milliers, car le soir nous avions appris qu'un seul millier, un millier de

5 gens seulement avait réussi à embarquer pour Tuzla. Tous les autres se

6 trouvaient là, ils étaient encore plus entassés. Chacun se bousculait pour

7 être le plus près possible de l'arrêt de l'autocar.

8 M. Harmon (interprétation). - Je souhaiterais maintenant que

9 vous nous disiez ce que vous avez vu et ce que vous avez entendu dans la

10 nuit du 12 jusqu'au 13 au petit matin, alors que vous vous trouviez à cet

11 endroit où se trouvaient les bus.

12 Mme Omanovic (interprétation). - Cette deuxième nuit a été

13 encore plus terrible que la première. Je crois que ça a été la nuit la

14 plus terrifiante de ma vie. Vers la tombée de la nuit et toute la nuit,

15 les soldats serbes et des Serbes, enfin, la population serbe tirait en

16 l'air, criait. Des soldats circulaient parmi nous avec des torches

17 allumées vers les visages des gens. Ils allaient de l'un à l'autre, et des

18 autocars on entendait des cris. Une femme accouchait, hurlait, il n'y

19 avait personne pour l'aider. Une autre dans l'autocar qui était devenue

20 folle, et la population a été prise de terreur. Tous les gens criaient,

21 hurlaient. Cela se faisait par vague. Les gens se bousculaient, allaient

22 les uns vers les autres.

23 Et puis, ils ont jeté quelque chose qui ressemblait à du sable.

24 Les gens toussaient et après on a dit que c'étaient des poisons, des gaz

25 asphyxiants. Nous avions couvert les visages des gens pour ne pas qu'ils

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1 soient empoisonnés. Les gens vomissaient, toussaient. Lorsque la lune est

2 apparue, les gens ont commencé à s'endormir. Les gens étaient fatigués. Et

3 puis, tout à coup, en provenance d'un abattoir qui se trouvait non loin de

4 là, on a entendu la voix d'un homme qui ressemblait à celle de Fikret

5 Hodzic et qui disait, en voix d'outre-tombe : "Où es-tu, Besib ?".

6 Les gens se dirigeaient les uns par-dessus les autres, et puis

7 la voix disparaissait. Les gens se calmaient. Puis de nouveau il y avait

8 des sons de personnes qui souffraient. Donc c'était une nuit de terreur.

9 Je réfléchissais à la façon dont je pourrais éventuellement

10 sauver mes deux enfants. Pour moi, la vie ne m'intéressait pas. Je voulais

11 couper avec des ciseaux à ongles les cheveux de ma fille pour lui faire

12 mettre un châle par-dessus les cheveux, la dissimuler pour qu'elle essaie

13 de se tirer elle-même de cette foule et de se sortir de là.

14 J'ai dit à mon fils -il y avait un homme qui était couché à

15 côté-, je lui ai dit : "Assied-toi à côté de lui et invente-toi un autre

16 nom. Dis-lui que c'est la seule personne, que tu es le seul être que tu es

17 sur terre, dis-leur que c'est ton grand-père". Mais le petit s'était

18 blotti contre moi, il ne voulait pas. J'ai passé la nuit à me casser la

19 tête pour savoir comment sauver mes enfants. Je me suis dirigée vers la

20 sortie, là où les gens allaient et j'ai vu que l'on séparait des

21 personnes. Je suis revenue sur mes pas. Les enfants avaient leur petit

22 sac, j'ai pris le bébé de toutes mes forces. Il y avait quelque chose pour

23 donner à manger au bébé, je portais le bébé. Mes enfants me tenaient

24 enlacée autour de la taille. J'essayais de me frayer un chemin, je n'avais

25 plus la force de lutter contre tout ce qui se passait, tout ce qui nous

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1 arrivait.

2 Je suis arrivée à ce bandeau jaune. Il y avait là un

3 transporteur de la Forpronu. Il y avait une croix rouge et je croyais que

4 c'était...

5 M. Harmon (interprétation). - Madame Omanovic, je vous prie de

6 m'excuser mais je vais vous interrompre. Je voudrais que, pendant quelques

7 minutes encore, nous en restions à la nuit avant que vous n'essayiez vous-

8 même de monter dans les autocars. Vous allez en rester et continuer à

9 parler de cette nuit pendant encore quelques minutes.

10 Vous nous dites que des gens venaient dans le complexe où se

11 trouvaient les bus et qu'ils en faisaient sortir des réfugiés. Qui étaient

12 ces gens qui venaient prendre les réfugiés ? Quelle était leur tenue

13 vestimentaire ?

14 Mme Omanovic (interprétation). - Des soldats serbes venaient en

15 uniforme serbe et en uniforme de l'ONU. Ils circulaient entre nous avec

16 des torches pour rechercher des personnes. Mais je ne savais pas selon

17 quel critère. Ils faisaient des signes de la main, les gens se levaient et

18 les suivaient. Et puis ils revenaient, et ainsi de suite.

19 M. Harmon (interprétation). - Connaissez-vous un certain Sefik

20 Mustafic ?

21 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, je l'ai connu, c'était mon

22 voisin. Il se trouvait à proximité de nous pendant tout le séjour à

23 Potocari.

24 M. Harmon (interprétation). - Pouvez-vous dire à la Chambre ce

25 qui lui est arrivé ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). - Mustafic Sefic avait été

2 emmené. Au bout d'un certain temps, il est revenu, il était terrifié. Il a

3 dit... Enfin, on lui a demandé ce qui s'était passé, alors il disait qu'il

4 ne pouvait rien nous dire, que peut-être il nous raconterait la chose un

5 jour. Il s'était assis à côté de nous, puis il est reparti. Je croyais

6 qu'il était parti se promener, mais il s'est pendu.

7 M. Harmon (interprétation). - Pendant que vous vous trouviez à

8 l'intérieur de ce complexe où se trouvaient les bus, vous avez entendu

9 dire que des femmes avaient été violées par des soldats serbes ?

10 Mme Omanovic (interprétation). - Tout ce qui s'est passé dans le

11 campement. Nous nous trouvions les uns à côté des autres, de bouche à

12 oreille on savait ce qui se passait. On avait appris que des personnes

13 avaient été égorgées, d'autres violées ou emmenées. Le campement entier

14 était au courant de ce qui se passait, tout ce qui se passait dans une

15 partie circulait de bouche à oreille vers l'autre. C'étaient des nouvelles

16 qui intéressaient tout un chacun. Tous ceux qui apprenaient quelque chose

17 le répétaient vers les autres. Nous savions tout ce qui se passait dans le

18 campement, non plutôt pas le campement, mais l'emplacement où nous avions

19 été entassés.

20 M. Harmon (interprétation). – Quel a été l'effet, la conséquence

21 de la séparation des hommes et des jeunes garçons, les rumeurs de viol,

22 les cris des personnes torturées que vous avez entendus, pendant la nuit ?

23 Quel effet tout cela a eu sur les réfugiés qui se trouvaient avec vous ?

24 Mme Omanovic (interprétation). - Chaque moment de ce séjour dans

25 le campement était consacré au fait de savoir qui allait être emmené,

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1 violé ou tué. Nous attendions le moment de savoir à qui le tour. C'est la

2 raison pour laquelle il y a eu cette bousculade pour partir au plus vite

3 de là. Nous ne savions pas où nous allions être emmenés, mais nous

4 voulions que quelque chose arrive, nous n'avions plus la patience ni la

5 force de combattre cette incertitude. Nous voulions tous partir, quitter

6 cet endroit-là au plus vite.

7 M. Harmon (interprétation). – Plus tard, vous avez appris que

8 votre jeune fils avait vu quelque chose alors que vous vous trouviez là.

9 Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit ?

10 Mme Omanovic (interprétation). – Mon fils a vu 5 ou 6 corps de

11 personnes égorgées au bord de la rivière. Il n'a pas bougé. Il n’a plus

12 voulu me quitter. D’autres gens ont vu cela. Il s'était blotti contre moi,

13 il ne voulait plus se séparer de moi à aucun moment.

14 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, maintenant je

15 voudrais que vous nous parliez du matin du 13 juillet. Est-ce que ce jour-

16 là, vous avez essayé de partir, avez-vous essayé de monter dans un autocar

17 ou dans un camion, et pouvez-vous expliquer aux Juges dans quelles

18 circonstances ?

19 Mme Omanovic (interprétation). – J'ai décidé de m'en aller coûte

20 que coûte ce matin-là. J’avais commencé à vous raconter la chose : ils

21 m'avaient enlacée, j'avais pris le bébé et je me suis dirigée vers ce

22 bandeau jaune. Enfin, c'était difficile parce que tout le monde se

23 bousculait. Et il s'accrochait à ma taille. Nous nous frayons à un chemin.

24 Je suis arrivé à ce transporteur militaire, où il y avait une croix rouge

25 et je croyais que c'était la Croix-Rouge internationale.

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1 Il y avait Hasanovic Mina qui était interprète, qui disait aux

2 gens de se calmer, de réinstaller l’ordre. J'ai essayé de lui confier mes

3 enfants. J’allais revenir, mais dans la bousculade elle n’a pas compris ce

4 que je voulais.

5 Je me suis dirigée vers le premier autocar. Les Serbes étaient

6 l'un à côté de l'autre, en se tenant par les coudes. On ne nous a pas

7 laissés monter dans le premier, ni dans le deuxième, ni dans le troisième

8 autocar. Dans aucun de ces autocars, nous n'avons réussi à embarquer. On

9 avait séparé des gens au fur et à mesure. Certains avaient été laissés

10 pour monter dans tel autocar.

11 Nous, on nous a permis de nous diriger vers un camion. A

12 l'entrée du camion, il y avait des pierres, il y avait des objets en or.

13 On m'a donné à moi un médaillon. On a donné plusieurs bagues à ma fille.

14 J'ai dit : "Mais pour quoi faire ?" on m'a répondu qu'on allait nous

15 demander cela à Bratunac.

16 On avait fait courir le bruit que de Bratunac à l'emplacement où

17 les gens étaient débarqués sur le territoire bosnien, il y avait aussi des

18 gens que l'on séparait. Ils ont dissocié deux personnes au niveau du

19 camion. J'avais commencé à crier : ?Help, help !? en pensant qu'il y avait

20 la Croix-Rouge internationale. Les Serbes ont crié : ?Mettez en marche le

21 moteur et allez-y?.

22 J’avais mes enfants d'un côté et de l'autre. Mes enfants

23 disaient : ?Ne pleure pas?. J'ai pris mes enfants. J'ai sauté du camion,

24 ils se sont dirigés vers Bratunac. Un soldat serbe est arrivé, il m'a

25 dit : "Arrête, tu vas voir ce qui va se passer à Bratunac?. Alors je lui

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1 ai dit : ?Tuez-moi, mais laissez mes enfants, ces enfants sont innocents?.

2 Il m'a répondu qu'il n'y avait pas d'innocents parmi nous. Je suis arrivée

3 à des fils, à une extrémité des fils de fer, il y avait une espèce de

4 passage, je me suis faufilée par là et je suis arrivés à la base de l'ONU.

5 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, vous parlez de

6 Bratunac, est-ce que quelque chose s'était passé à Bratunac, en 1992 ou en

7 1993, à votre connaissance ?

8 Mme Omanovic (interprétation). – A Bratunac, on avait également

9 séparé des gens juste au début de la guerre. Sur le terrain de sport de

10 Bratunac, des gens ont été amenés, et pour bien des gens on a plus rien

11 appris d'autre à leur sujet. Ils ont donc probablement été abattus.

12 M. Harmon (interprétation). – Vous vous êtes donc glissée sur

13 sous une barrière, que s'est-il passé ensuite ?

14 Mme Omanovic (interprétation). – J'ai couru jusqu'au campement

15 de l'ONU. Et j’ai appelé les interprètes, je les ai prié de nous aider en

16 leur disant qu'à Bratunac on faisait descendre les gens des camions, et

17 qu'il y avait pas mal de choses qui se passaient, qu'on ne les séparait

18 pas seulement à Potocari mais là-bas aussi. Je lui ai demandé de nous

19 aider.

20 Et mon frère est arrivé à ce moment-là. Je lui ai demandé de

21 m'aider à me tuer. C'était la seule façon de se sauver. On m'aurait fait

22 le cadeau de la mort. J'avais appréhendé de tomber entre les mains des

23 soldats serbes, parce qu'on a dit tellement de choses vilaines qu’on avait

24 les cheveux qui se dressaient sur la tête rien qu’à écouter les histoires

25 qu’on nous racontait. Ils étaient capables de violer la fille de quelqu'un

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1 devant sa mère, de dépecer le bébé de quelqu'un. Je préférais mourir

2 plutôt que de passer par là.

3 Mon frère m'a dit qu'il avait en poche de quoi se tuer. Mon

4 frère avait été professeur à l'école. Et l’un de ses élèves lui tenait un

5 pistolet pointé vers la tête et il lui a dit : ?Vous nous avez tenu des

6 cours à l’école, vous nous tiendrez des cours ici aussi?.

7 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, je vais vous

8 demander, au nom des interprètes, de ralentir un petit peu votre débit,

9 s'il vous plaît.

10 Mme Omanovic (interprétation). – Fort bien. Mon frère m'a montré

11 une corde qu'il avait préparée à son intention pour se pendre. Je lui ai

12 arraché cela des mains, les enfants étaient en train de regarder les

13 transports en camion. J'ai demandé aux jeunes de quitter les fenêtres pour

14 ne pas regarder des cadavres. Il y avait une espèce de pièce qui était

15 destinée à sécher probablement la viande ou autre chose.

16 Et j’avais vu deux soldats serbes en compagnie d’un soldat de

17 l'ONU. Ma peur était tellement grande que j'avais l'impression que c'était

18 moi qu'il cherchait. Je suis montée, je me suis couchée sur le sol de la

19 pièce où je me trouvais. Ils sont entrés, ils ont regardé dans la salle de

20 l'usine. Ils ont fait un tour, ils sont retournés.

21 Une fois qu’ils sont partis, je me suis assise sur ce plancher

22 de cette pièce, et j'ai passé la corde autour de mon cou, en l’ayant

23 attachée au préalable au plafond et j'ai sauté, je me suis retrouvée par

24 la suite à l’hôpital, je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite.

25 M. Harmon (interprétation). – Madame Omanovic, je vous remercie.

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1 Cela termine mon examen en chef, merci, Monsieur le Président.

2 M. le Président. – Merci, Monsieur Harmon.

3 Je crois qu’avant de commencer le contre-interrogatoire on va

4 faire une pause. On aura donc une pause de 20 minutes.

5 (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à

6 10 heures 55.)

7 M. le Président. – Madame Omanovic, maintenant, vous allez

8 répondre aux questions que la défense du général Krstic, notamment

9 Me Petrusic ou Me Visnjic, vont vous poser des questions, s'il vous plaît,

10 madame. Maître Petrusic, vous avez la parole.

11 M. Petrusic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

12 Madame et Monsieur les Juges. J'aimerais saluer l'accusation, bonjour

13 madame Omanovic.

14 Avant de vous poser quelques questions, madame, j'aimerais vous

15 dire que la défense ne voudrait surtout pas faire en sorte que vous vous

16 rappeliez de ces événements malheureux que vous avez vécus en juillet

17 de 1995. J'espère que vous allez comprendre, en tant que femme éduquée,

18 j'espère que vous allez comprendre le rôle de la défense et donc,

19 puisqu'il s'agit bien de trouver la vérité et de voir tout ce qui s’est

20 passé à Srebrenica, je vais maintenant passer aux questions concrètes.

21 Madame Omanovic, au début de votre déclaration, déposition, vous

22 avez dit que le 10 juillet il y a eu une séparation des hommes du reste de

23 la population musulmane, près de la station d'essence à Srebrenica.

24 Pourriez-vous nous dire si cette séparation était faite d'une façon

25 spontanée, ou est-ce qu'elle était faite à la demande de quelqu'un ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, nous pouvons dire que

2 c'était une façon spontanée. Les femmes et les enfants sont partis vers

3 Potocari, et tous les hommes d'âge adulte se sont dirigés vers Kazani, à

4 gauche, à côté de la station d'essence.

5 M. Petrusic (interprétation). - Est-ce que parmi ces gens, parmi

6 les hommes, y avait-il des hommes portant des uniformes ?

7 Mme Omanovic (interprétation). - Je ne sais pas à quel moment

8 vous voulez que je commence à répondre ?

9 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur le Président, je crois

10 que nous avons un problème de langue, puisque nous parlons la même langue.

11 Ils ont dit que… Si vous le permettez, Monsieur le Président, est-ce que

12 je peux à la fin de chaque question dire "fin de question" ? De cette

13 façon, le témoin pourrait comprendre qu'elle devrait répondre.

14 M. le Président. - Je vois que Me Harmon veut dire quelque

15 chose. Un moment, Maître Petrusic.

16 M. Harmon (interprétation). - J'ai expliqué au témoin, puisqu’il

17 parle la même langue, j'ai expliqué au témoin qu'elle devait faire une

18 pause pour qu'on ne crée pas de problème pour l'interprétation, et je

19 crois que c'est la source du problème. C'est pour cela Mme Omanovic

20 demande à quel moment elle doit débuter ou entamer sa réponse. C'est

21 l'origine du problème.

22 M. le Président. - Merci beaucoup, Maître Harmon, pour cet

23 éclaircissement. Maître Petrusic et madame Omanovic, vous savez, quand

24 nous parlons la même langue, il y a toujours ce risque de parler très vite

25 et de ne pas faire de pause, de façon à ce que les interprètes puissent…,

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1 parce que les interprètes vont un peu derrière ce que l'on dit. Il faut

2 donc attendre un peu.

3 Donc, si Me Petrusic fait une pause après que vous avez parlé,

4 et vous faites une pause après que Me Petrusic termine de parler, très

5 bien, mais je crois que vous comprenez bien, même du point de vue non

6 verbal, quand on a fini de parler. Et donc, c'est le moment de faire une

7 petite pause pour commencer, pour donner aux interprètes la possibilité de

8 nous accompagner.

9 Donc, imaginez toujours qu'il y a entre vous, une personne, un

10 interprète pour que les choses aillent bien. Mais je crois que la

11 suggestion de Me Petrusic est tout à fait possible de dire : "j'ai

12 terminé", mais je crois que ce n'est pas nécessaire. Je crois que l'on va

13 vraiment entraîner une bonne communication. Vous pouvez essayer, Maître

14 Petrusic et Madame Omanovic. Vas-y.

15 M. Petrusic (interprétation). - Madame Omanovic, pourriez-vous

16 répondre à la question suivante : est-ce que parmi ces hommes il y avait

17 des hommes portant un uniforme ?

18 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, il y avait également des

19 hommes portant un uniforme. Il n’y en avait pas beaucoup, mais quelques-

20 uns d'entre eux portaient un uniforme.

21 M. Petrusic (interprétation). – Ils formaient une colonne ?

22 Mme Omanovic (interprétation). – Il n'y avait pas de formation

23 de colonne. J'ai simplement vu le début. Si plus tard ou plus loin, on

24 avait formé une colonne, je ne le sais pas, mais les hommes étaient

25 séparés à partir de la rue et ils se regroupaient vers l'autre côté. Il y

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1 avait un autre groupe avec beaucoup d’hommes de l'autre côté. Donc ce

2 n'étaient pas des colonnes à ce moment-là.

3 M. Petrusic (interprétation). – Madame Omanovic, j'aimerais

4 parler de la réunion qui a eu lieu le 12 juillet à l'hôtel Fontana à

5 Bratunac vers 10 heures. Nous avons vu sur l'extrait vidéo… J'aimerais

6 vous poser la question : est-ce que le général Mladic a présenté chaque

7 participant à cette réunion ?

8 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, le général Mladic a

9 présenté tous les représentants, tous les participants de la réunion.

10 M. Petrusic (interprétation). - Lors de la présentation du

11 général Krstic, est-ce qu’il a dit quelque chose à son sujet ?

12 Mme Omanovic (interprétation). - Je ne me rappelle pas.

13 M. Petrusic (interprétation). – Pardon ?

14 Mme Omanovic (interprétation). - Je ne me rappelle pas s'il a

15 dit quelque chose d'autre. J'étais beaucoup trop effrayée et il y a un

16 grand nombre de détails dont je ne me rappelle plus.

17 M. Petrusic (interprétation). - Est-ce que le général Krstic a

18 pris part à cette réunion ?

19 Mme Omanovic (interprétation). - Je ne me rappelle pas si le

20 général Krstic parlait.

21 M. Petrusic (interprétation). - Quelqu'un d'autre qui

22 participait à cette réunion, est-ce que quelqu'un d'autre parlait ?

23 Mme Omanovic (interprétation). - Avec moi, non.

24 M. Petrusic (interprétation). - Madame Omanovic, pourriez-vous

25 dire quelles étaient les conclusions de cette réunion ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). - La réunion… Normalement, dans

2 une réunion, quelqu'un prend un procès-verbal, mais notre réunion s'est

3 terminée sur un ton un peu inhabituel. Quelqu'un est entré. Ils ont dit

4 que les gens ont pénétré à l'intérieur, sur le terrain de foot. Donc nous

5 nous sommes levés simplement et il n'y a pas eu… Personne ne prenait un

6 procès-verbal. Il n'y avait personne qui prenait des notes. Simplement,

7 lorsque quelqu’un avait dit qu'il fallait prendre du carburant, ils ont

8 pris des notes concernant le carburant, les véhicules, etc., mais cela ne

9 s'est pas déroulé de façon habituelle.

10 M. Petrusic (interprétation). - Est-ce que vous savez si, par la

11 suite, il y a eu un procès-verbal de fait concernant la réunion ?

12 Mme Omanovic (interprétation). - Je sais que lorsqu'une femme

13 est arrivée -je ne me rappelle plus de son nom, je pense que c'est

14 quelqu'un de la télévision étrangère-, cette dame est venue pour

15 l'entrevue. Il y a un garçon qui s'appelait Niels, je crois qu'il était

16 d'origine slovénienne, ou d’origine slovène, c'était un garçon qui m'a

17 montré le procès-verbal de la réunion. J'ai vu mon nom de famille

18 Purkovic, qui est mon nom de jeune fille. C'est à ce moment-là que j'ai vu

19 pour la première fois qu'il y avait eu un procès-verbal de fait, mais je

20 n'ai jamais vu de procès verbal fait pendant la réunion. Je sais que la

21 réunion s'est terminée d'une façon soudaine et mon nom de famille de jeune

22 fille apparaissait sur ce procès-verbal.

23 M. Petrusic (interprétation). - Après la réunion, est-ce que

24 vous avez revu le général Mladic à Potocari ?

25 Mme Omanovic (interprétation). - Je l'ai vu lorsqu'il est arrivé

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1 avec un groupe de soldats. Il marchait. Il a distribué des chocolats aux

2 enfants. Je crois que c'est un grand acteur et qu'il l’a fait pour les

3 caméras.

4 M. Petrusic (interprétation). - J'aimerais revenir à la nuit du

5 11 au 12 juillet. Est-ce que vous avez entendu des coups de feu autour de

6 vous ?

7 Mme Omanovic (interprétation). - Oui.

8 M. Petrusic (interprétation). – Et la nuit du 12 au 13 ?

9 Mme Omanovic (interprétation). - …

10 M. Petrusic (interprétation). - Madame Omanovic, vous avez dit

11 plus tôt que vous avez entendu des dires, que l’on violait des femmes.

12 Est-ce que c'était quelque chose de plus concret que vous avez entendu ou

13 est-ce que c'étaient simplement des rumeurs ? Est-ce que c'étaient des

14 informations, avez-vous obtenu des informations un peu plus concrètes là-

15 dessus ?

16 M. Petrusic (interprétation). - Dans mon témoignage, j'ai dit

17 que je n'ai jamais vu, je n'ai vu personne de tué. Je n'ai pas vu de

18 femmes violées. J'ai entendu les voix, les sons mais je ne l'ai pas vu

19 personnellement. Mais, dans le camp, dans la partie où nous nous

20 trouvions, tous les malheurs qui arrivaient, on les entendait. On

21 entendait parler de cela mais je ne l'ai pas vu moi-même personnellement.

22 M. Petrusic (interprétation). - Le 13 juillet, vous et votre

23 famille, on ne vous a pas…, on n'a pas permis à vous et à votre famille

24 d'entrer dans les autobus. Les autobus garés ?

25 Mme Omanovic (interprétation). – Non, ils ne nous ont pas

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1 laissés entrer dans l'autobus mais je crois que, lors de la conversation

2 avec Mladic, je l'ai prié de ne pas nous transporter comme du bétail. Moi,

3 j'ai entendu dire que les cinq autobus qui allaient de Srebrenica à

4 Bratunac qu’il y avait cinq bébés qui ont été asphyxiés. Donc j’ai demandé

5 à Mladic de nous considérer comme des gens, des personnes, de bien

6 organiser les choses. Il savait très bien aussi que j'avais un bébé. Il

7 m'a dit : "Je vais vous transporter avec mon autobus, mon propre autobus"

8 et il n'a pas permis à ce que mon bébé pénètre dans l'autobus, mais dans

9 le camion. Par la suite, ils ont même lancé des pierres sur ce camion.

10 Donc ils faisaient tout ce qu'il ne fallait pas faire.

11 M. Petrusic (interprétation). - Qui pénétrait dans les autobus

12 garés qui se trouvaient aux alentours ?

13 Mme Omanovic (interprétation). - Il y avait des gens. Les gens

14 entraient dans ces autobus mais je ne sais pas comment vous expliquer… A

15 côté de chaque autobus, il y avait des gens qui étaient là. Ces gens

16 étaient choisis, je ne sais pas quelle était la méthode, mais on séparait

17 les gens. Alors ils disaient : "Toi, tu peux rentrer" ou ils laissaient

18 les gens. Il y avait des gens qu'on laissait passer et d'autres personnes

19 qu'on ne laissait pas passer car il y avait énormément de gens autour de

20 l'autobus. Ils faisaient une sélection. Ils mettaient les coudes les uns

21 contre les autres et ils ne laissaient pas pénétrer la personne qu'ils ne

22 voulaient pas laisser pénétrer, rentrer dans l'autobus.

23 M. Petrusic (interprétation). - Ces gens qui faisaient cette

24 sélection et qui décidaient qui allait pénétrer dans les autobus et qui

25 allait rester, étaient-ils en uniforme ?

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1 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, il y avait des gens en

2 uniforme, mais il y avait aussi des civils.

3 M. Petrusic (interprétation). - Madame Omanovic, je sais que je

4 vous pose peut-être un peu trop de questions, mais étant donné l'état dans

5 lequel vous vous trouviez, permettez-moi de vous poser la question : est-

6 ce que vous auriez remarqué des emblèmes, des insignes de l'armée, de la

7 police ou d'autres unités, est-ce que vous pouvez nous dire quelque chose

8 là-dessus ?

9 Mme Omanovic (interprétation). - Croyez-moi que, à ce moment-là,

10 je ne sais pas si c'est parce que je n'osais pas regarder les hommes ou je

11 ne voulais pas, mais je ne rappelle d'aucun visage. J'ai pris mes enfants

12 tout près de moi, et tout ce que je voulais faire c'est d'entrer et donc

13 je n'ai remarqué personne à part cet homme qui se trouvait à la réunion et

14 qui m'a dit que mon destin, ma destinée était scellée, je n'ai reconnu

15 personne. Est-ce que c'était par peur ? Est-ce que c'était, je ne sais pas

16 pourquoi, mais je sais que je n'ai pas regardé ces gens. Tout ce que je

17 voulais, c'était d'entrer, d'essayer d'entrer à l'intérieur, d'entrer avec

18 mes enfants. Donc je n'ai pas regardé ces gens qui étaient.

19 Je sais qu'ils ne m'ont pas laissée entrer, mais qui ils

20 étaient, je ne peux pas vous le dire. Je ne me rappelle pas de ces gens-

21 là. Je ne me rappelle pas, je n'ai pas vu d'insigne, je ne sais pas qui

22 ils étaient.

23 M. Petrusic (interprétation). - Madame Omanovic, je vous

24 remercie. Je n'ai plus d'autres questions. Merci, Monsieur le Président.

25 M. le Président. - Monsieur Harmon, des questions

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1 supplémentaires ?

2 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai pas

3 d'autres questions, merci.

4 M. le Président. - Merci à vous aussi. Monsieur le Juge Fuad

5 Riad.

6 M. Riad (interprétation). - Madame Omanovic, bonjour. Pouvez-

7 vous m'entendre ?

8 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, je vous entends. Bonjour.

9 M. Riad (interprétation). - Je ne veux pas prolonger la position

10 difficile dans laquelle vous vous trouvez en donnant votre témoignage sur

11 les événements vécus, mais j'aimerais simplement comprendre deux détails.

12 Vous avez mentionné que le général Mladic a réitéré ou répété que vous

13 pouviez soit quitter ou périr. Quitter quoi ? Quelle est la zone ou

14 l'endroit auquel il se référait ? Est-ce qu’il pensait à Srebrenica ? Ou

15 est-ce qu'il pensait plutôt à un secteur plus large ? Dans votre opinion,

16 de quoi parlait-il lorsqu'il disait, de quelle zone, de quel secteur il

17 parlait ?

18 Mme Omanovic (interprétation). - Je croyais qu'il pensait à

19 Srebrenica, parce que c'était vraiment le seul endroit où les Serbes

20 n'étaient pas, où les Serbes ne s'y trouvaient pas. Nous étions encerclés,

21 c'était comme un campement parce que les autres, les territoires

22 avoisinants, environnants se trouvaient autour. Donc, cela veut dire qu'il

23 fallait simplement que l'on quitte et à ce moment-là le territoire

24 deviendrait complètement serbe.

25 Voyez-vous, nous nous trouvons dans l'enclave de la Drina. Donc

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1 nous sommes tournés vers la Serbie et il y a seulement cette petite

2 enclave de Srebrenica qui était encore, que les Serbes n'avaient pas

3 encore conquise.

4 M. Riad (interprétation). - Mais on ne vous permettait pas

5 d'aller vers une autre partie serbe de la Bosnie ?

6 Mme Omanovic (interprétation). - Non, c'était simplement pour

7 dire des choses dans l'air. Je ne sais pas pourquoi, mais c'était un

8 accord. Personne n'osait demander, personne n'a fait une liste. Il n'y a

9 pas eu d'accord de fait, il n'y a pas eu d'entente. On a simplement emmené

10 les autobus. Il savait très bien qu'en emmenant les autobus, les cinq

11 camions, c'était un chaos total. Il savait très bien que, lorsqu'ils

12 allaient emmener ces cinq autobus ou les autres moyens de transport, que

13 les gens allaient se diriger vers ces moyens de transport parce qu'ils ont

14 passé la nuit effroyable et que chacun a presque désiré la mort.

15 La mort aurait été, nous aurait sauvés finalement. On était

16 tellement, nous voulions disparaître, nous voulions quitter par ces

17 autobus, par ces moyens de transport et nous n'avions aucune possibilité

18 de rester. C'était simplement une question de formalité, c'étaient des

19 paroles en l'air. Personne ne nous a rien demandés. Ils ont simplement

20 emmené ces autobus et les gens se sont précipités vers les autobus, et

21 c'est comme cela que la déportation a commencé. On ne nous a pas laissé le

22 choix de choisir.

23 M. Riad (interprétation). - Bien, merci. Vous avez également

24 mentionné plus d'une fois que -je peux presque répéter ce que vous avez

25 dit-, que les gens, n'importe qui pouvait venir vers la base et indiquer

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1 un individu, une personne pour qu'on les sépare. Qu'est-ce que vous

2 vouliez dire, "n'importe qui" ? "N'importe qui pouvait venir et séparer

3 les personnes" ? Est-ce que vous parlez des soldats serbes de Bosnie ou

4 vous voulez dire des individus : que n'importe quel Serbe pouvait

5 simplement venir et choisir une proie pour la sortir ?

6 Mme Omanovic (interprétation). - C'étaient seulement des soldats

7 serbes, des Bosniens, des Bosniaques, des soldats serbes de Bosnie. Ils

8 les dirigeaient avec ces lampes de poche. Et pendant le jour, ils se

9 promenaient des deux côtés de la rue -car les gens étaient concentrés des

10 deux côtés-, et ils se promenaient par là. Et ces gens-là, on les

11 séparait, on les sortait de là. Pendant le jour, ils marchaient, ils

12 séparaient les hommes et, par la suite, ils disparaissaient et on n'en

13 avait plus du tout vent.

14 Alors c'est ce qui arrivait : ils arrivaient la nuit, les

15 soldats serbes arrivaient la nuit, ils pointaient la personne avec une

16 lampe de poche et ces personnes-là étaient escortées et on ne savait plus

17 du tout ce qui leur était arrivé.

18 M. Riad (interprétation). - Vous avez mentionné que, parmi ces

19 gens, il y avait également des hommes portant un uniforme des Nations

20 Unies. Est-ce que je vous ai bien compris ?

21 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, vous m'avez bien comprise.

22 Cette deuxième nuit, les soldats serbes parlaient notre langue, la langue

23 bosniaque, et ils portaient des uniformes de l'ONU. Ils venaient, portant

24 ces uniformes des Nations Unies, et ils marchaient parmi nous.

25 M. Riad (interprétation). - Donc c'étaient les soldats serbes

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1 qui portaient des uniformes des Nations Unies ?

2 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, c'étaient des soldats

3 serbes qui portaient des uniformes des Nations Unies.

4 M. Riad (interprétation). - Merci.

5 M. le Président. - Merci, Monsieur le Juge Fuad Riad.

6 Madame Wald, s'il vous plaît ?

7 Mme Wald (interprétation). - Quelques questions seulement.

8 Lorsque les gens ont pénétré dans les autobus à Potocari, ils voulaient

9 entrer, ils se précipitaient dans les autobus, ils voulaient partir,

10 quitter l'endroit, comme vous nous avez dit. Est-ce que les gens qui se

11 trouvaient autour de vous savaient où ils se dirigeaient, dans quelle

12 direction ils allaient, qu'est-ce qui allait se passer avec eux lorsqu'ils

13 arrivaient quelque part ? Ou est-ce qu'ils voulaient simplement fuir

14 Potocari en montant dans ces autobus ?

15 Mme Omanovic (interprétation). - Ils voulaient simplement fuir

16 l'horreur. Ils ne savaient pas du tout où ils allaient, où ils se

17 dirigeaient. Ils ne savaient pas ce qui les attendait, mais ils voulait

18 simplement en terminer, que cela soit avec la mort ou avec la vie, mais

19 les gens ne savaient plus où aller et que faire.

20 Mme Wald (interprétation). - Vous avez également mentionné que,

21 durant l'une des nuits, il y avait des cris que vous entendiez autour de

22 la base, vous pouviez entendre ces cris mais vous ne saviez pas exactement

23 ce qui se passait. Est-ce que c'étaient des cris de femme ?

24 Mme Omanovic (interprétation). - Oui, il y avait des cris de

25 femme. C'était une femme qui accouchait, elle gémissait, elle criait. Il y

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1 avait une autre femme qui était devenue comme folle dans l'autobus. Alors,

2 les idées qu'elle voyait devant ses yeux, dans cette folie, cela se

3 transportait sur nous. C'était une nuit absolument effroyable.

4 Mme Wald (interprétation). - Ma dernière question est la

5 suivante : vous avez dit que vous étiez terriblement effrayée, que vous

6 aviez peur de tomber entre les mains des soldats serbes ou que votre fille

7 tombe entre les mains des soldats serbes. Vous avez parlé d'avoir entendu

8 des rumeurs, vous vous êtes référée aux choses qui se sont passées sur

9 l'autobus en route vers Bratunac.

10 De quelle façon est-ce que vous saviez ce qui s'était passé dans

11 les autobus après avoir quitté Potocari ? D'où vous provenait cette

12 information qui faisait en sorte que vous aviez peur et qui faisait en

13 sorte que vous vouliez aller voir les autorités des Nations-Unies ?

14 Pourquoi aviez-vous peur de monter à bord de ces autobus ?

15 Mme Omanovic (interprétation). - Je ne sais pas de quelle façon

16 ces rumeurs nous sont parvenues. Mais nous savons seulement que, pendant

17 toute cette période que nous avons passée à Srebrenica, on entendait des

18 histoires d'horreur. On entendait des histoires de génocide que les

19 soldats serbes faisaient sur les civils, et les actions qu'ils faisaient

20 contre les femmes, les hommes. On avait peur de chaque soldat serbe. On

21 voyait en eux comme des monstres qui étaient en mesure de faire tout ce

22 qui n'était pas humain. Donc, j'avais peur à cause de cela. J'avais peur

23 de tomber entre leurs mains. Puisque la mort n'est rien, mais si cette

24 mort est faite de la façon dont on a entendu parler, qu'ils violaient,

25 qu'ils découpaient des membres des gens, nos cheveux se dressaient sur

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1 notre tête. J’aurais même permis que cela m’arrive à moi, mais pas à mes

2 enfants !

3 C'est de ma faute si je les ai laissés à Srebrenica. Donc,

4 j'avais décidé que leur sort serait autre que le mien. Moi, je voulais

5 rester. Ils étaient tout petits, ils ne pouvaient pas quitter. Donc

6 c'était de ma faute et c'est pour cela que je voulais, que j'avais

7 terriblement peur de leur tomber entre les mains. C’est pour cela que j’ai

8 sauté, pour essayer de voir s'il était possible de demander de l'aide, de

9 dire ce qui se passait à quelqu'un puisqu'on entendait des histoires

10 d'horreur absolument effroyables. Je dis, quelqu'un me la dit, j'en ai

11 entendu parler mais ce sont des choses que l’on savait ; on parlait de

12 cela.

13 A Srebrenica, il faisait des centrales et, parfois, des barrages

14 sur la rivière, sur le fleuve et, quelquefois, on entendait des émissions,

15 même à la télévision. On voyait les émissions à la télévision, on les

16 entendait à la radio et ce n'étaient pas de belles choses que l'on

17 entendait.

18 Mme Wald (interprétation). - Mais vos peurs étaient causées par

19 ces histoires que vous avez entendues, qui auraient pu se passer dans

20 d'autres villages et dans d'autres maisons, mais vous n'avez pas eu de

21 renseignements plus précis pour ce qui a trait à ce qui s'est passé avec

22 les gens qui étaient dans l'autobus et qui avaient quitté Potocari ? Est-

23 ce que c'est exact ?

24 Mme Omanovic (interprétation). - Cela se passait là. Ils

25 séparaient les gens, les cris dans la nuit… Cela ne parvenait pas, je ne

Page 1133

1 sais comment dire… Tout ce qui se passait était là. On sentait que quelque

2 chose d'effroyable allait arriver. C'était la nuit, on est là, nous sommes

3 assis, tout d'un coup, on entend le cri d'un homme torturé. Vous ne pouvez

4 pas savoir à quel point c'est horrible, quand quelqu'un est ramené vers

5 vous.

6 Quand quelqu’un est ramené à vous, à côté de vous, vous ne

7 pouvez pas lui dire que quelque chose de bien va lui arriver, puisque vous

8 savez que l'homme qui était assis à côté de vous a disparu. Vous ne pouvez

9 pas vous attendre à rien de beau. C'est peut-être le produit de mon

10 imagination, je ne dis pas…, mais lorsque quelqu'un nous en parle, et

11 lorsqu'on sait que quelque chose d'horrible va nous arriver, on sait que

12 rien de bien ne nous arrivera.

13 Lorsqu'il a dit qu'il sauverait mes enfants, je savais très bien

14 que rien de bien ne pouvait m'arriver à Bratunac. Donc, cela veut dire que

15 j'étais déjà marquée. Je savais déjà qu'il allait me descendre de

16 l'autobus.

17 Mme Wald (interprétation). - Merci, madame Omanovic.

18 Mme Omanovic (interprétation). - Merci.

19 M. le Président. - Madame Omanovic, j'ai au moins quatre petites

20 questions pour vous.

21 La première : quand vous étiez en réunion avec le général

22 Mladic, il vous a dit que vous pouviez choisir entre rester ou

23 disparaître. Et vous avez dit aussi que disparaître signifiait la

24 possibilité de survivre. Je voudrais vous demander si la possibilité de

25 survivre, c'est une conclusion à vous, ou si le général Mladic a dit

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1 cela ?

2 Mme Omanovic (interprétation). - Il a seulement dit : "Vous

3 pouvez rester ou disparaître". J'en ai conclu, si je m'en vais, je serai

4 sauvée et, si je reste, c'est la mort qui m'attend.

5 M. le Président. - Votre perception, c'était qu'il n'y a pas

6 vraiment, il n'y avait pas vraiment un choix parce que si vous choisissiez

7 de rester, cela signifiait ne pas survivre. Donc, c'est cela ?

8 Mme Omanovic (interprétation). - Exactement.

9 M. le Président. - Ma deuxième question : quelqu'un qui a été

10 avec vous dans la réunion, qui vous avait trouvée dans le camp, vous a dit

11 que votre destinée était scellée. Qu'est-ce que vous avez compris avec ce

12 message ?

13 Mme Omanovic (interprétation). - Je pensais que je disparaîtrai

14 tout simplement, que rien ne pourrait me sauver, que personne ne pourrait

15 m'aider et que j'étais appelée tout simplement à disparaître.

16 M. le Président. – Donc vous avez compris qu'il y avait quelque

17 chose de préparé, de déjà prévu. C'est cela ?

18 Mme Omanovic (interprétation). – C’est précisément ainsi, car

19 quand il a dit que la destinée de certains était scellée et, quand nous

20 sommes arrivés à l'autocar, et quand on ne nous a pas laissé monter et

21 quand nous sommes arrivés aux camions et que l’on m'a donné ce médaillon,

22 je savais que quelque chose de très mauvais se préparait. Mes instincts

23 maternels ont fonctionné. Je n'avais aucune crainte pour moi, j'avais peur

24 pour mes enfants.

25 J'ai sauté. Ils étaient accrochés à mes épaules. On dit que

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1 j'étais courageuse, non, je n'étais pas courageuse. Ce qui s'est passé en

2 moi, c'était l'instinct maternel, c'était la nécessité absolue de sauver

3 ses enfants. J'ai sauté du camion et je me suis dirigée vers le soldat qui

4 dirigeait, qui pointait son fusil vers moi. Je lui ai dit : "Tire sur moi,

5 mais laisse mes enfants ! Laisse-les, ils sont mineurs, ils n'ont rien

6 fait !. Et mon fils a vu cela et il a vu qu'en moi, ce sont les instincts

7 maternels qui l'ont emporté. J'avais suffisamment de force pour courir

8 jusqu'à la base.

9 Les enfants sont partis vers l'incertitude. Je ne savais pas ce

10 qui allait se passer avec eux mais comme une bête sauvage, c'est

11 l'instinct maternel qui m'a rendu si forte. Et j'ai essayé, j'ai voulu

12 tout faire pour essayer de les aider et ils étaient trois à être partis,

13 pas un de ces enfants n'avait 18 ans encore. C'est pour cela que j'ai

14 sauté. Ce n'était pas du courage, c'étaient les derniers résidus de ma

15 force que j'ai essayé de sortir de moi-même pour sauver mes enfants.

16 Excusez-moi d'être tombée en larmes.

17 M. le Président. – Sentez-vous à l'aise. Nous respectons votre

18 souffrance. Et quand même vous avez beaucoup de force, oui c'est vrai

19 parce qu'il est nécessaire d'avoir du courage pour pratiquer ces

20 exactions, mais aussi pour les supporter et vous avez eu encore la force

21 de venir ici. Donc nous vous prêtons hommage, Madame Omanovic.

22 Vous êtes préparée pour une autre question, Madame Omanovic ?

23 Oui, je peux continuer maintenant ?

24 Mme Omanovic (interprétation). – Oui, Monsieur le Président.

25 M. le Président. - Madame Omanovic, vous nous avez parlé d'une

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1 image très négative des soldats serbes. Comment était cette image avant la

2 guerre ? Avant la guerre, cette image était-elle la même ou cette image

3 négative était seulement arrivée après la guerre ?

4 Mme Omanovic (interprétation). – Excusez-moi, je vais prendre

5 juste une gorgée d'eau et puis je répondrai.

6 M. le Président. – Sentez-vous à l'aise, Madame.

7 Mme Omanovic (interprétation). – Les soldats serbes n'étaient

8 pas ainsi avant la guerre, ou du moins peut-être faisaient-ils semblant.

9 Nous vivions tous ensemble. Nous travaillions ensemble, nous

10 fêtions nos fêtes ensemble, nous allions à des célébrations ou à des

11 soirées de danse ensemble. Chacun avait ses coutumes que les autres

12 respectaient. Je ne sais d’où est venu ce mal, d’où est venue toute cette

13 haine parmi les gens qui étaient avec nous, qui plaisantaient avec nous.

14 J'étais chef de la comptabilité, j'avais dans mes Serbes quatre

15 femmes serbes et une Musulmane et un Musulman.

16 Et nous vivions très bien, nous avions de très bon rapports.

17 Nous allions rendre visite les uns aux autres. Lorsque c'était la slava

18 d'une collègue, je lui faisais de la Baklava pour emporter chez elle. Et

19 personne ne gênait personne.

20 Et en très peu de temps, les gens ont changé d'un bloc. Je ne

21 sais pas comment il se fait que les gens soient devenus si sanguinaires,

22 si méchants. Je ne puis comprendre encore que les gens aient été capables

23 de faire autant de mal. Ils savaient par exemple qu'il n'y avait pas, à

24 Srebrenica, de sel, d'iode, et nous n'avons jamais reçu un gramme de sel

25 pour éviter les maladies liées au manque de sel.

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1 Et tout ce que l'histoire de l'humanité a connu comme souffrance

2 humaine, eh bien cela a été appliqué sur nous.

3 M. le Président. - Ma quatrième question, Madame Omanovic. Vous

4 avez décrit, et nous avons vu des vidéos qui ont manifesté toute une série

5 de confusions, et vous avez vécu tout cela.

6 Est-ce que dans l'ensemble de cette confusion, vous qui êtes une

7 personne lettrée, vous avez vu quelque signe d'organisation, quelque signe

8 de quelque chose qui avait été préparé avant ou non ?

9 Mme Omanovic (interprétation). – Par tous les actes, par tous

10 les événements, j'avais l'impression que nous étions tous placés sur une

11 scène où tout avait été préparé, et où une équipe de gens bien préparés

12 avait tout mis en place, où est venu le metteur en scène principal. Tout

13 avait été mis en scène et tout avait été planifié jusqu'au moindre détail.

14 C'est du moins l'impression que j'en ai ressentie.

15 M. le Président. - Qui était ce metteur en scène principal dont

16 vous avez parlé ?

17 Mme Omanovic (interprétation). – Le grand metteur en scène était

18 le général Mladic. Il se comportait en acteur, d'ailleurs.

19 M. le Président. - Une autre question à laquelle je pense

20 maintenant, c'est ma cinquième question, vous connaissez ou vous savez qui

21 est le général Krstic ?

22 Mme Omanovic (interprétation). – J’ai beaucoup entendu parler du

23 général Krstic. Pour la première fois, je l'ai rencontré à Bratunac lors

24 des négociations qui s'y sont tenues. Et par la suite, je ne l'ai plus

25 jamais revu jusqu'à ce jour, c'est-à-dire le jour de mon arrivée ici.

Page 1138

1 M. le Président. - Vous avez dit que pour la première fois vous

2 avez trouvé le général Krstic dans la réunion à Bratunac. Comment savez-

3 vous que cette personne était le général Krstic ?

4 Mme Omanovic (interprétation). – Je crois que des présentations

5 ont été faites.

6 M. le Président. - Donc quelqu'un vous a présenté une personne

7 comme étant le général Krstic ?

8 Mme Omanovic (interprétation). – Oui.

9 M. le Président. – Rappelez-vous, Madame, les termes qui ont été

10 utilisés pour le présenter ?

11 Mme Omanovic (interprétation). – ?Voici le général Krstic?, m’a-

12 t-on dit.

13 M. le Président. – Seulement comme cela, ou ils ont ajouté ses

14 fonctions ?

15 Mme Omanovic (interprétation). – Croyez-moi bien, je ne m'en

16 souviens plus du tout.

17 M. le Président. - Vous souvenez-vous où était placé le général

18 Krstic dans la salle de réunion ou dans la réunion, où était placé le

19 général Krstic ?

20 Mme Omanovic (interprétation). – Je crois qu'il était assis du

21 côté gauche du général Mladic.

22 M. le Président. - Très bien. Donc, merci beaucoup de vos

23 réponses à mes questions et aux questions de mes collègues aussi. Je

24 remercie aussi les questions de mes collègues.

25 Madame, vous avez terminé votre témoignage ici au Tribunal pénal

Page 1139

1 international. Nous vous remercions beaucoup d'être venue ici parce que

2 cela signifie aussi que vous êtes quand même courageuse, même si vous niez

3 cet aspect, cette qualité de votre personnalité. Je crois que j'ai senti

4 que vous êtes une personne tolérante, désireuse de la paix, et donc que

5 vous pouvez être un agent de créer une autre ambiance dans votre pays qui

6 est un pays très beau.

7 Donc, je vous souhaite, nous vous souhaitons un bon retour dans

8 votre pays et merci beaucoup d'être venue ici, Madame Omanovic.

9 Mme Omanovic (interprétation). – Je vous remercie également

10 Monsieur le Président, Madame et Monsieur les Juges.

11 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)

12 M. le Président. - Monsieur Harmon, peut-être on va vraiment

13 commencer un autre témoignage, s'il vous plaît.

14 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je voudrais

15 demander que soient versées au dossier des pièces à conviction qui ont été

16 présentées par le biais de ce témoin, en particulier les pièces à

17 conviction 49. Il s'agit du film de la réunion qui a eu lieu le

18 12 juillet ; ensuite la pièce à conviction de l'accusation 49a , 49b

19 et 40c. Il s’agit des transcriptions, des propos prononcés lors de cette

20 réunion.

21 Pièce à conviction de l'accusation 50, il s'agit d'une vidéo, de

22 la première vidéo que je vous ai montrée et qui nous présente des images

23 des réfugiés.

24 Pièce à conviction de l'accusation 51, il s'agit de la vidéo de

25 48 secondes qui nous montrent donc les réfugiés.

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1 Pièce à conviction 52 et pièce à conviction 53, qui sont des

2 photographies extraites de la vidéo cotée 49.

3 M. le Président. - Maître Petrusic, avez-vous quelque

4 objection ?

5 M. Petrusic (interprétation). – Non, Monsieur le Président.

6 M. le Président. – Donc les pièces sont versées au dossier.

7 Maintenant, Monsieur Harmon, pouvons-nous commencer un autre témoin ?

8 M. Harmon (interprétation). - Monsieur Cayley me fait savoir que

9 pour ce témoin nous demanderons une séance à huis clos, et nous sommes

10 prêts à passer à la déposition du témoin suivant dès que nous serons à

11 huis clos.

12 M. le Président. - Donc à l'intention du public avec lequel nous

13 avons toujours des préoccupations, nous allons passer à huis clos pour ce

14 témoin. Mais avant de le faire, je dois demander à Me Petrusic si vous

15 avez quelques objections aux mesures de protection ?

16 M. Petrusic (interprétation). – Nous nous sommes déjà mis

17 d'accord, Monsieur le Président. Nous n'avons aucune objection.

18 M. le Président. - Très bien merci, Maître Petrusic. Nous allons

19 préparer la salle pour le huis clos, pour entendre le témoin suivant.

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21 (L'audience se poursuit à huis clos, le témoin est introduit

22 dans le prétoire.)

23 (expurgée)

24 (expurgée)

25 (expurgée)

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24 L'audience est levée à 14 heures 40.

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