Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Vendredi 24 mars 2000

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5 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

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8 L'audience, suspendue à 11 heures 18, est reprise à

9 11 heures 49.

10 (audience publique)

11 M. le Président. - Monsieur McCloskey, je crois que nous avons

12 des mesures de protection pour ce témoin ?

13 M. McCloskey (interprétation). – Oui, Monsieur le Président. Le

14 pseudonyme et on demande également une distorsion faciale puisque c'était

15 à la demande de sa famille et du témoin.

16 M. le Président. - La défense a-t-elle des objections ? Est-elle

17 d'accord ?

18 M. Visnjic (interprétation). - Nous n'avons pas d'objection,

19 Monsieur le Président.

20 M. le Président. - Donc d'accord, les mesures de protection sont

21 accordées.

22 Vous avez dit que c'est le pseudonyme…

23 M. Dubuisson. - Il s'agira du témoin D.

24 M. le Président. – Témoin D, vous m'entendez ?

25 Témoin D (interprétation). – Oui, je vous entends Monsieur le

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1 Président.

2 M. le Président. - Bonjour, Témoin D. Vous allez lire la

3 déclaration solennelle que M. l'huissier va vous tendre. S'il vous plaît ?

4 Témoin D (interprétation). – D'abord, j'aimerais saluer tous les

5 gens présents au Tribunal, et ensuite je vais lire la déclaration

6 solennelle. Je déclare solennellement que je vais dire la vérité, toute la

7 vérité et rien que la vérité. Et rien d'autre que la vérité et je le

8 répète.

9 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir, Témoin D. Monsieur

10 le Greffier va vous montrer une pièce de papier avec notre nom. Vous allez

11 nous dire si le nom inscrit est le vôtre ou non seulement.

12 Témoin D (interprétation). – Oui, c'est le mien.

13 M. le Président. - Merci beaucoup d'être venu ici. Vous pouvez-

14 vous sentir à l'aise et, maintenant, vous allez répondre aux questions.

15 Témoin D (interprétation). – C’est mon devoir.

16 M. le Président. - Nous enregistrons cela. Vous allez répondre

17 aux questions que le Procureur McCloskey va vous poser. Monsieur

18 McCloskey, vous avez la parole.

19 M. McCloskey (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,

20 Madame et Monsieur les Juges.

21 Témoin D, pourriez-vous nous dire d'abord quelle est votre date

22 de naissance et où êtes-vous né ? Je vais essayer de ne pas parler trop

23 rapidement.

24 Témoin D (interprétation). – Ma date de naissance est le

25 (expurgé). Je suis né à Srebrenica.

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1 M. McCloskey (interprétation). - Etes-vous Musulman de

2 confession ?

3 Témoin D (interprétation). – Oui.

4 M. McCloskey (interprétation). – Où avez-vous grandi ?

5 Témoin D (interprétation). – Dans les environs de Srebrenica et

6 dans la ville de Srebrenica même.

7 M. McCloskey (interprétation). – Quelle genre d'éducation avez-

8 vous obtenue ?

9 Témoin D (interprétation). – J'ai terminé en tant que technicien

10 mécanique et j'ai également d'autres qualifications professionnelles.

11 M. McCloskey (interprétation). - Avant le début de la guerre, où

12 habitiez-vous et avec qui habitiez-vous ?

13 Témoin D (interprétation). – Avant la guerre, j'habitais avec

14 mon épouse, mon enfant. J'habitais dans ma maison, dans un endroit qui est

15 en périphérie de Srebrenica.

16 M. McCloskey (interprétation). - Quel âge a votre enfant

17 maintenant ?

18 Témoin D (interprétation). – Dix ans.

19 M. McCloskey (interprétation). - Quelle était votre profession ?

20 Que faisiez-vous avant la guerre ?

21 Témoin D (interprétation). – (expurgé)

22 (expurgé).

23 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce qu’il y avait des

24 entreprises de mine de bauxite ailleurs, à part Srebrenica ou aux

25 alentours de Srebrenica ?

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1 Témoin D (interprétation). – Oui, il y avait une mine de

2 bauxite, c'est-à-dire que d'abord la mine de bauxite a été fondée dans la

3 municipalité de Vlasenica et, par la suite, en 1982, l'entreprise s'est

4 ouverte à Srebrenica.

5 M. McCloskey (interprétation). – Permettez-moi maintenant de

6 vous poser des questions au sujet des événements qui ont eu lieu le

7 11 juillet 1995. Pourriez-vous nous dire où vous vous trouviez à l'époque

8 et que faisiez-vous ?

9 Témoin D (interprétation). – Le 11 juillet 1995, je me trouvais

10 chez moi à la maison, puisqu'au début de la guerre j'avais été blessé.

11 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous et votre

12 famille aviez décidé de faire quelque chose cette journée-là ?

13 Témoin D (interprétation). – Ce jour-là, j'avais décidé de

14 partir à Potocari, car je croyais que je pouvais obtenir de la protection

15 à cet endroit-là, puisque j'étais un homme blessé.

16 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez emmené

17 votre famille avec vous ?

18 Témoin D (interprétation). – Oui, mon épouse et mon enfant, qui

19 était âgé de 5 ans à l'époque, sont venus avec moi.

20 M. McCloskey (interprétation). - Pourquoi aviez-vous senti le

21 besoin d'aller à Potocari ? Pourriez-vous nous parler ou nos décrire les

22 événements qui ont fait en sorte que vous avez voulu quitter et vous

23 diriger vers Potocari ?

24 Témoin D (interprétation). – J'ai ressenti le besoin parce que

25 la haine à Srebrenica devenait de plus en plus importante durant la guerre

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1 et, à cause de cette haine, il est évident que la peur régnait. Je voulais

2 que quelqu'un me protège puisque j'étais blessé et je croyais que le

3 Bataillon néerlandais pouvait me protéger.

4 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que l'armée des Serbes

5 de Bosnie était aux alentours, le 11 juillet ?

6 Témoin D (interprétation). – Oui, d'après ce que j'ai pu suivre,

7 l'armée de la VRS avançait, c'est-à-dire qu'elle avait déjà peut-être

8 pénétré à l'intérieur de la ville -je crois que oui- en provenance de la

9 zone de Srebrenica-Jadar.

10 M. McCloskey (interprétation). - Pourquoi aviez-vous voulu

11 quitter la ville ?

12 Témoin D (interprétation). – C'est très difficile de répondre à

13 cette question. Si j'étais resté à la maison, je serais tué, je serais

14 mort parce que tous les gens qui étaient restés sont morts.

15 M. McCloskey (interprétation). – Où êtes-vous allé lorsque vous

16 êtes arrivé à Potocari ?

17 Témoin D (interprétation). – Lorsque je suis arrivé à Potocari,

18 j'ai vu une masse de gens. Je n'ai pas eu d'abri qui pouvait être

19 convenable, je me suis retrouvé dans une usine, c'est-à-dire dans un hall

20 d'usine. C'était en réalité un immeuble des véhicules motorisés, je me

21 suis donc trouvé sur le béton d'un coin de cette usine.

22 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que c'était une

23 entreprise d'autobus ? Ou est-ce que c'était une base avec les autobus de

24 transport ?

25 Témoin D (interprétation). – Oui, ils travaillaient pour

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1 Srebrenica Express, c'est le nom de l'entreprise ; c'est-à-dire qu'ils

2 faisaient le maintien et les visites techniques des véhicules de

3 transport.

4 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous savez à quelle

5 heure vous êtes arrivé à Potocari et à quelle heure vous vous êtes dirigé

6 à l'intérieur de l'immeuble, de la gare des autobus ?

7 Témoin D (interprétation). – C'était un après-midi.

8 M. McCloskey (interprétation). - Qu'est-ce que vous avez fait

9 cet après-midi-là et ce soir-là, vous et votre famille ? Qu'avez-vous

10 fait ?

11 Témoin D (interprétation). – Dans l'après-midi, je suis resté à

12 l'intérieur de l'immeuble pendant que ma femme, plus tard dans la soirée,

13 est allée chercher de la nourriture pour l'enfant.

14 Il est aussi très important de mentionner que mon épouse est de

15 Potocari. Cela veut dire que ses parents avaient une maison tout près de

16 là.

17 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce qu’elle était en mesure

18 de s’approvisionner, de trouver des vivres, de cette maison ?

19 Témoin D (interprétation). – Oui, quand elle y est allée, elle a

20 parlé avec son père. Elle a pris certaines choses, et c'était la dernière

21 fois qu'elle a vu son père cette journée-là.

22 M. McCloskey (interprétation). - Qu'est-ce qui s'est passé dans

23 la gare routière, ce soir-là à Potocari ?

24 Témoin D (interprétation). – Il n'y a pas eu d'événement

25 spécial, à part le fait qu'on entendait des détonations de chars et d'obus

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1 qui, d'après moi, pilonnaient le centre ville et les environs.

2 M. McCloskey (interprétation). - Pourriez-vous décrire la

3 situation qui régnait à l'intérieur de la gare routière, comment se

4 sentaient les gens, quel était le sentiment général ?

5 Témoin D (interprétation). – C'était effroyable, il y avait

6 beaucoup trop de gens dans un espace restreint. Les gens étaient entassés,

7 les enfants pleuraient, ils sentaient bien sûr le besoin d'aller aux

8 toilettes, de se nourrir. Et les gens étaient couchés, ou les enfants

9 étaient couchés sur le béton, leurs mères se sont procuré du foin des prés

10 qui se trouvaient non loin de là, et elles avaient ramené ce foin pour que

11 les enfants ne soient pas couchés par terre sur le béton.

12 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez pu dormir

13 cette nuit-là ?

14 Témoin D (interprétation). – Cette nuit-là, je n'ai pas pu

15 dormir, malgré que j'ai essayé de m'endormir dans la position assise, mais

16 je n'ai pas pu m'endormir.

17 M. McCloskey (interprétation). - Et le matin ? Le lendemain

18 matin du 12 juillet, que s'est-il passé ?

19 Témoin D (interprétation). – Le lendemain, au levé du jour, les

20 scènes étaient les mêmes, à part le fait que les gens étaient paniqués. En

21 fait, un peu plus tard dans la matinée j'ai pu remarquer des soldats

22 serbes dans la pièce où nous étions.

23 M. McCloskey (interprétation). - Savez-vous ce qui a causé cette

24 panique ce matin-là ?

25 Témoin D (interprétation). – La présence même des soldats serbes

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1 et, maintenant, je dois mentionner que ces soldats serbes se comportaient

2 correctement. Je pourrais seulement donner des descriptions de ces soldats

3 serbes. Ils avaient une apparence différente, ils étaient habillés d'une

4 façon différente que l'armée qui était des environs de Srebrenica, c'est-

5 à-dire que leur uniforme était un peu plus de qualité, leur accent était

6 monténégrin. Ils parlaient le monténégrin.

7 M. McCloskey (interprétation). - Lorsque vous avez vu ces

8 soldats et lorsque vous les avez entendus, où étaient-ils situés

9 exactement ?

10 Témoin D (interprétation). – Vous parlez des soldats ?

11 M. McCloskey (interprétation). – Oui, je me réfère aux soldats.

12 Témoin D (interprétation). – Eh bien ils arrivaient par groupe

13 de deux ou trois et ils se déplaçaient normalement à travers la foule, en

14 demandant les pièces d'identité des hommes aux fins de vérifier de qui il

15 s'agissait. J'ai compris qu'ils avaient pour tâche de le faire et qu'il

16 devait s'agir d'un groupe spécial de soldats qui avaient pour mission de

17 vérifier qui se trouvait parmi la population civile.

18 M. McCloskey (interprétation). - Combien de ces soldats avez-

19 vous entendu s'entretenir entre eux ?

20 Témoin D (interprétation). – Eh bien, j'ai entendu parler deux

21 groupes : un groupe s'est entretenu avec moi directement, et un autre

22 s'entretenait avec quelqu'un d'autre à proximité immédiate.

23 M. McCloskey (interprétation). – Que vous ont-ils dit à vous

24 personnellement ?

25 Témoin D (interprétation). – Ils m'ont demandé ma carte

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1 d'identité, chose que je leur ai montrée, et ils m'ont demandé pourquoi

2 j'étais là. Alors, je leur ai expliqué que j'avais été blessé. On m'a

3 demandé quand j'avais été blessé et quand je leur ai dit la date exacte,

4 ils ont dit que c'était bon.

5 M. McCloskey (interprétation). - C'était quand

6 approximativement ? A quelle heure ?

7 Témoin D (interprétation). – Eh bien, je les avais remarqués

8 dans la matinée, et cela a dû avoir lieu vers midi.

9 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez essayé de

10 regarder ce qui se passait à l'extérieur de la gare routière ou bien est-

11 ce que, pour l'essentiel, vous étiez à l'intérieur ?

12 Témoin D (interprétation). – Etant donné que le portail avait

13 été enlevé, donc n’existait pas, et qu'il y avait cette large ouverture,

14 ce large vide vacant, en l'absence du portail, on pouvait voir beaucoup de

15 gens, effectivement.

16 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous jamais pu observer

17 que l'on emmenait des hommes musulmans de la gare routière ?

18 Témoin D (interprétation). – Ce jour-là, je n'ai pas remarqué

19 cela. Mais dans la salle destinée aux visites techniques des véhicules,

20 j'ai remarqué l'absence de Ibrahim Mustafic, avec l’absence de Hamed, dont

21 j'ai oublié le nom de famille, il était homme politique du parti SDA.

22 M. McCloskey (interprétation). - Et d'après vous, qu'est-il

23 arrivé à Ibrahim Mustafic ?

24 Témoin D (interprétation). – Il a probablement été emmené pour

25 un entretien informatif.

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1 M. McCloskey (interprétation). - Savez-vous ce qu'il est advenu

2 de lui ?

3 Témoin D (interprétation). – On sait, aujourd'hui, que Ibrahim

4 Mustafic est vivant. Il a été échangé à Pale. Il avait donc été emmené

5 vers Pale pour des entretiens, j'imagine.

6 M. McCloskey (interprétation). - Combien de temps avez-vous

7 passé à l'intérieur de la gare routière le 12 juillet ?

8 Témoin D (interprétation). – Vers la soirée, on avait entendu

9 des rumeurs émanant de femmes et d'hommes qui avaient voulu sortir en

10 cette date du 12, qu'il était procédé à une séparation des hommes et des

11 femmes. Cela m'a bien sûr fait peur et me suis efforcé de trouver un

12 endroit plus sûr aux fins de ne pas être remarqué.

13 M. McCloskey (interprétation). - Et où êtes-vous allé ?

14 Témoin D (interprétation). – J'avais pensé que les autobus qui

15 se trouvaient sur le plateau, face à l'immeuble où nous avions trouvé

16 abri, et je tiens à vous expliquer qu'il s'agissait d'autocars qui

17 appartenaient au parc automobile de Srebrenica Express mais qui étaient

18 avariés, donc c'est-à-dire qui n'étaient pas en état de fonctionner, qui

19 n'avaient pas ses vitres, et je me suis retrouvé dans l'un de ces autocars

20 à proximité immédiate de la route.

21 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez emmené les

22 membres de votre famille dans ce bus qui se trouvaient à proximité de la

23 route ?

24 Témoin D (interprétation). – Oui, ma femme et mon enfant se

25 trouvaient également dans cet autocar et nous avons, chemin faisant,

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1 retrouvé ma mère qui, elle aussi, voulait se joindre à nous.

2 M. McCloskey (interprétation). - Donc votre mère se trouvait

3 elle aussi à bord du bus ?

4 M. McCloskey (interprétation). - Elle s'est jointe à nous

5 lorsque, effectivement, nous avons trouvé abri dans cet autocar.

6 M. McCloskey (interprétation). - Et avez-vous passé la nuit du

7 12 juillet dans cet autocar avec votre famille ?

8 Témoin D (interprétation). – Oui. C'est là que j'ai passé la

9 nuit avec toute ma famille.

10 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous, à une quelconque

11 occasion, quitté l'autocar cette nuit-là ?

12 Témoin D (interprétation). – Non, cette nuit-là, je n'ai pas

13 quitté l'autocar, car on sentait et on entendait tout autour beaucoup de

14 cris, de hurlements ; les enfants pleuraient et criaient. C'était quelque

15 chose d'indescriptible. C'est quelque chose que je n'oublierai jamais.

16 M. McCloskey (interprétation). - Pourriez-vous toutefois essayer

17 de nous donner quelques détails supplémentaient, essayer de décrire ce que

18 vous avez pu entendre ou observer cette nuit-là ?

19 Témoin D (interprétation). – Je n'ai rien pu voir, en fait, car

20 j'étais assis dans cet autocar et, tout autour, et tout près d'ailleurs,

21 on entendait des cris, des hurlements dans le sens : "Lâche-moi, laisse-

22 moi cela, rend-moi ceci…" ; des pleurs de femme, des cris de femmes, des

23 appels à l'aide, etc. En moi, tout bouillait et tout contribuait à créer

24 d'ailleurs une atmosphère, une ambiance de panique.

25 M. McCloskey (interprétation). - Lorsque le jour s'est levé,

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1 qu'avez-vous fait ?

2 Témoin D (interprétation). – Quand il a enfin fait jour, j'ai

3 décidé de partir dans la direction qui avait été suivie par la majorité

4 des gens, c'est-à-dire sortir, essayer de sortir de cette zone, car

5 j'avais vu que c'était la seule solution envisageable.

6 M. McCloskey (interprétation). - Avant que vous ne descendiez de

7 l'autocar, est-ce que votre femme en est sortie ?

8 Témoin D (interprétation). – Oui, ma femme voulait trouver un

9 peu d'eau pour notre enfant et, comme je l’ai dit au début, comme elle

10 avait vécu à Potocari, elle connaissait fort bien chaque maison à

11 Potocari. Elle s'est rendue donc en face pour remplir une bouteille d'eau,

12 pour avoir un litre d’eau. A son retour, elle m'a dit qu'elle avait vu

13 beaucoup de sang au rez-de-chaussée de cette maison-là.

14 M. McCloskey (interprétation). - Qu'avez-vous alors décidé de

15 faire ?

16 Témoin D (interprétation). – Naturellement, j'avais été frappé

17 par la chose et j'ai demandé à ma femme de ne pas en parler à ma mère, car

18 cette dernière avait très peur de ce qu'il adviendrait de nous. Moi,

19 j’avais pris l'enfant dans mes bras et je me suis dirigé vers la sortie où

20 il y avait deux transporteurs de l'ONU.

21 M. McCloskey (interprétation). - Quelles étaient vos intentions

22 à ce moment-là ?

23 Témoin D (interprétation). – Et bien, j'ai voulu sortir de là.

24 Je n'en pouvais plus. Je m'étais dit que, si jamais on me dissociait de ma

25 famille, ce serait tant pis pour moi, mais si je réussissais à sortir, eh

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1 bien on serait tous sortis. Il n'y avait pas d'autre issue.

2 M. McCloskey (interprétation). - Qu'avez-vous donc fait ?

3 Témoin D (interprétation). – Alors, je me suis trouvé dans une

4 grande masse de gens, dans une foule qui se pressait, car tous voulaient

5 sortir. Quand je dis "gens", j'entends là notamment des femmes et des

6 enfants.

7 Il y avait encore quelques hommes dans cette grande masse, et

8 j’ai ainsi réussi, après un bon moment, au bout donc de plus d'une heure,

9 j'ai réussi à me frayer un passage jusqu'à ces transporteurs, jusqu'à la

10 sortie, tout en portant mon enfant. Mon épouse et ma mère se déplaçaient à

11 proximité de moi, mais elles sont restées un petit peu en arrière dans

12 cette grande foule.

13 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Pouvez-vous, s'il

14 vous plaît, poursuivre votre description de ce qui s'est passé ensuite ?

15 Témoin D (interprétation). - J'ai réussi à me frayer un chemin,

16 et lorsque je me suis approché des transporteurs, sur le côté gauche et

17 sur le côté droit de la route, il y avait devant les transporteurs des

18 soldats de l'ONU qui s'étaient pris par les bras et les mains, en deux

19 rangées, pour empêcher des passages incontrôlés. Le passage devait donc

20 s'effectuer en colonne de quelques personnes et non pas au moyen donc,

21 d'une façon désordonnée et en masse.

22 Et, à ce moment-là, j'ai remarqué que des soldats serbes qui se

23 trouvaient déjà à proximité des autocars, ces soldats s'étaient quelque

24 peu éloignés. Je crois que quelqu'un avait dû les appeler. Ils ont disparu

25 que pour un fort petit laps de temps, chose qui s'était avérée vraie par

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1 la suite.

2 M. McCloskey (interprétation). - Et lorsque ces soldats serbes

3 sont partis quelques instants, qu'avez-vous fait, vous et votre famille ?

4 Témoin D (interprétation). - Eh bien, je suis monté dans un

5 autocar, ma famille est également montée, c'est-à-dire ma femme et ma

6 mère, puisque je portais l'enfant. Et, dès que je suis entré par la porte

7 arrière, j'ai fait deux ou trois pas et je me suis assis à même le sol de

8 cet autocar. Derrière moi, ma femme et ma mère sont entrées et au moins

9 une dizaine de femmes avec leurs enfants. Ainsi, j'avais été complètement

10 dissimulé puisque j'étais assis par terre.

11 Par la suite, j'ai entendu des voix d'hommes de soldats serbes

12 qui demandaient à quelqu'un si des hommes étaient, si un homme était

13 rentré. Et, de toutes ces femmes, aucune d'entre elles n'a répondu quoi

14 que ce soit. Ils n'ont plus posé de question, d'ailleurs.

15 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous essayiez de

16 vous dissimuler du regard de ces soldats serbes ?

17 Témoin D (interprétation). - Oui, et c'est ce que j'ai

18 effectivement fait, puisque j'avais été complètement masqué par les corps

19 de toutes ces femmes et de tous ces enfants, parce que d'autres personnes

20 encore sont montées dans l'autocar, tant femmes qu'enfants.

21 M. McCloskey (interprétation). - Pourquoi ressentiez-vous le

22 besoin de vous cacher de ces soldats serbes ?

23 Témoin D (interprétation). - Cette nécessité a des raisons tout

24 à fait claires : puisqu'on séparait les hommes des femmes, j'avais redouté

25 que l'on ne me dissocie de ma famille.

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1 M. McCloskey (interprétation). - Aviez-vous peur que quelque

2 chose vous arrive après avoir été séparé de votre famille ?

3 Témoin D (interprétation). - Cela est clair. Etant donné cette

4 grande et forte haine dont j'ai parlé au début, j'étais conscient de la

5 montée de haine chez les Serbes et il pouvait découler toutes sortes de

6 choses de cette haine.

7 M. McCloskey (interprétation). - Bien. Vous êtes monté à bord de

8 l'autocar, d'autres personnes sont montées également. Quels sont les

9 événements suivants ?

10 Témoin D (interprétation). - Eh bien, l'autocar était déjà archi

11 plein, le chauffeur a essayé à plusieurs reprises de refermer les portes

12 et c'était difficile, il a enfin réussi à le faire, et l'autocar s'est

13 dirigé en direction de Bratunac.

14 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Pourriez-vous nous

15 décrire, s'il vous plaît, ce qui s'est passé lors de ce trajet, ce que

16 vous en savez, du moins ?

17 Témoin D (interprétation). - Oui. D'après ce que j'ai pu

18 entendre dans l'autocar, c'est-à-dire de la part des femmes qui se

19 trouvaient là et qui avaient commenté les endroits par où on passait

20 -"Nous sommes à Bratunac, nous sommes à tel endroit", et ainsi de suite-

21 et cela a duré jusqu'à l'arrivée même de l'autocar à destination.

22 M. McCloskey (interprétation). - Et d'après ce que vous

23 entendiez, est-ce que vous pouviez comprendre vers quelle destination se

24 dirigeait l'autocar, hormis Bratunac ?

25 Témoin D (interprétation). - Oui, l'autocar s'était dirigé vers

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1 Bratunac puis a continué vers Vlasenica, en passant par Glogovar, Kravica,

2 Konjevic Polje, Nova Kasaba, Milici, Vlasenica, Tiska, Luka, et c'est là

3 que tous les autocars s'étaient retrouvés, sur un grand plateau.

4 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez jamais

5 regardé à l'extérieur de l'autocar ? Est-ce que vous avez regardé ce qui

6 se passait à travers les vitres ?

7 Témoin D (interprétation). - Oui, cela s'est passé à Kravica,

8 lorsqu'on avait eu beaucoup de, on avait entendu beaucoup de cris et de

9 pleurs de la part des femmes et des enfants. Je n'ai plus pu résister et

10 ne pas regarder. Donc je me suis redressé de l'endroit où j'étais assis et

11 j'ai jeté un oeil à gauche et à droite au travers des vitres de cet

12 autocar, et j'ai vu des hommes, certains couchés dans un pré, ils ne

13 bougeaient plus, et d'autres qui étaient prisonniers, les bras levés

14 derrière la nuque.

15 M. McCloskey (interprétation). - Combien d'hommes avez-vous pu

16 observer dans cette position, avec les mains sur la nuque ?

17 Témoin D (interprétation). - Eh bien, je pense qu'il s'agissait

18 d'un groupe d'une cinquantaine, ou de cinquante et quelques personnes.

19 M. McCloskey (interprétation). - Pouvez-vous nous dire qui

20 étaient ces personnes : des Serbes, des Musulmans ?

21 Témoin D (interprétation). - Il s'agissait de Musulmans, cela,

22 j'en suis certain. Ces gens-là étaient en civil et ils avaient l'air

23 d'être terriblement effrayés.

24 M. McCloskey (interprétation). - Et pouviez-vous observer des

25 soldats à proximité de ces personnes ?

Page 1261

1 Témoin D (interprétation). - Oui, à proximité de ces gens-là il

2 y avait plusieurs soldats serbes.

3 M. McCloskey (interprétation). - Ces soldats serbes étaient-ils

4 armés ?

5 Témoin D (interprétation). - Les soldats serbes, oui, en effet,

6 ils étaient armés.

7 M. McCloskey (interprétation). - Par la suite, lors du trajet

8 qui vous emmenait à Luka, s'est-il passé quoi que ce soit dont vous vous

9 souveniez ?

10 Témoin D (interprétation). - Sur le trajet jusqu'à la localité

11 de Luka, l'autocar a été à plusieurs reprises arrêté. On voulait vérifier

12 s'il y avait des hommes à bord. Le chauffeur se comportait de façon fort

13 correcte et disait tout le temps qu'il ne transportait que des femmes et

14 des enfants. Et à une occasion, ils voulaient le vérifier, ils ont demandé

15 à ce qu'il ouvre la porte arrière et la porte avant, mais je n'ai pas été

16 remarqué.

17 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous pu voir d'autres

18 hommes à bord de l'autocar dans lequel vous vous trouviez ?

19 Témoin D (interprétation). – Dans cet autocar, j'ai remarqué un

20 homme très vieux qui devait avoir dans les 70 ans.

21 M. McCloskey (interprétation). - Donc vous n'avez pu observer

22 qu'un seul autre homme ou bien y en avait-il d'autres ?

23 Témoin D (interprétation). – Un seul dans cet autocar, pas un

24 seul homme de plus.

25 M. McCloskey (interprétation). - Que s'est-il passé lorsque

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1 l'autocar s'est finalement arrêté à Luka ?

2 Témoin D (interprétation). – Lorsque cet autocar est arrivé à

3 destination, donc sur le plateau dont j'ai parlé, j'ai entendu dire le

4 chauffeur aux femmes et aux enfants qu'il fallait qu'ils sortent à cet

5 endroit-là et qu'ils poursuivent leur voyage à pied car, à proximité, il y

6 avait : "les vôtres et vous les rejoindrez vite".

7 M. McCloskey (interprétation). - Qu'avez-vous fait vous-même,

8 vous et votre famille ?

9 Témoin D (interprétation). – Eh bien, j'avais quitté l'autocar,

10 je portais l'enfant, ma femme avait un sac sur le dos, et elle soutenait

11 ma mère, car celle-ci était assez âgée et c'est moi qui portais notre

12 enfant de 5 ans.

13 En sortant de l'autocar, à quelques pas de là, j'ai remarqué

14 plusieurs soldats serbes. L'un de ces soldats serbes m'a pris par l'épaule

15 et a dit : "Donne cet enfant à ta femme, et toi tu dois venir avec nous".

16 J'ai dû le faire ! J'ai remis l'enfant à ma femme.

17 Et dans une tentative de me retourner une fois de plus, je

18 savais que c'était mon dernier regard vers l'enfant. En fait, je voulais

19 dire aussi quelque chose, je crois. Je crois que je voulais dire n'importe

20 quoi, mais je n'ai pas pu le faire.

21 A ce moment-là, le soldat serbe m'a bousculé avec son fusil et

22 il m'a dit : "Avance". Puis, il s'est adressé à un autre homme qui était

23 assis sur un petit monticule à côté de la route, qui était en pantalon de

24 camouflage et qui avait un pull-over sur son torse. Et il lui a dit :

25 "Major, c'est-à-dire commandant, qu'est-ce qu'on en fait de celui-là ?".

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1 Cet homme-là a montré de son bras une direction qui désignait les

2 arrières.

3 M. McCloskey (interprétation). - Que s'est-il passé ensuite ?

4 Témoin D (interprétation). – Je me suis dirigé, suivi du soldat

5 serbe qui était à quelques pas derrière moi, et il m'a dit à un moment :

6 "Mais j'ai l'impression que je te connais. As-tu travaillé dans les

7 (expurgé) ?". Alors je lui ai répondu qu'effectivement, oui. Et il m'a

8 demandé si je le connaissais. J'ai répondu que oui, peut-être de vue, mais

9 que je ne le connaissais pas effectivement. Alors, il m'a dit qu'il avait

10 travaillé comme géomètre et qu'il n'était pas possible que je ne me

11 souvenais pas de lui car, très souvent, d'après ce qu'il disait, il venait

12 dans notre société pour accomplir des tâches relatives à des mesures

13 topographiques pour le compte de la mine.

14 M. McCloskey (interprétation). - Et avez-vous effectivement

15 reconnu cet homme ?

16 Témoin D (interprétation). – Eh bien, il m'avait semblé

17 effectivement que je devais l'avoir vu, mais je ne le connaissais pas.

18 Et comme on avançait encore sur cette route, nous avons bifurqué

19 à gauche. J'ai remarqué un immeuble, c'était l’école de la localité de

20 Luka. Il m'amenait jusque devant cette école où j'ai tout de suite

21 remarqué et reconnu un jeune homme de Srebrenica qui avait les poignets

22 liés dans son dos, et ce jeune homme s'appelaient Abdul Kadir. Il était,

23 en fait, infirmier et il travaillait dans l'hôpital de guerre à

24 Srebrenica.

25 M. McCloskey (interprétation). - Pardon, nous allons revenir un

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1 petit peu en arrière, si vous me le permettez.

2 Vous vous entreteniez avec cette personne qui vous avait reconnu

3 et qui se disait géomètre. Je voulais vous demander si vous compreniez les

4 différents accents de la région ? Vous avez dit que vous reconnaissiez les

5 accents des gens de Potocari. Mais est-ce que vous reconnaissez les

6 accents de Bosnie occidentale ?

7 Témoin D (interprétation). – Oui, je distingue fort bien ces

8 dialectes. Et lui parlait comme nous autres, Bosniens, qui vivions dans la

9 région.

10 M. McCloskey (interprétation). - La direction qui a été désignée

11 par le commandant, est-ce que c'est la direction que vous avez ensuite

12 vous-même empruntée ? Est-ce que vous êtes allé vous-même vers l’école ?

13 Témoin D (interprétation). – Tout à fait, nous avons poursuivi

14 notre chemin dans la direction qui avait été indiquée par cet homme-là.

15 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez une idée

16 de l'heure à laquelle vous êtes arrivé à l'école ?

17 Témoin D (interprétation). – Je suppose qu'il devait être vers

18 10 heures, peut-être un peu plus.

19 M. McCloskey (interprétation). - Monsieur le Président,

20 j'aimerais maintenant soumettre au témoin un certain nombre de pièces à

21 conviction. Pourrions-nous commencer avec la pièce 10.1, s'il vous plaît ?

22 Il s'agit d'une vue d'ensemble. Je vais demander à ce que cette pièce soit

23 placée sur le rétroprojecteur.

24 (L'huissier s’exécute.)

25 Témoin D (interprétation). – Sur cette photo-ci, nous pouvons

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1 voir une école, c'est-à-dire l’école devant laquelle nous nous étions

2 retrouvés. Je puis vous montrer ici la route.

3 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Pourriez-vous nous

4 indiquer sur la route les éléments que vous reconnaissez et nous en dire

5 un petit peu plus sur ce que nous voyons à l'écran ?

6 Témoin D (interprétation). – Oui, nous nous déplacions par ici,

7 vers l’école, et c'est ici que nous sommes descendus de la route. Nous

8 nous sommes retrouvés dans cette partie-ci de l'autre côté donc de

9 l'école.

10 M. McCloskey (interprétation). - Parfait, merci. Je dois vous

11 interrompre un instant. Le témoin indique le bout de la route qui

12 n'apparaît plus sur la photographie et le témoin a remonté la partie de la

13 route qui se rapproche du bâtiment de l'école. Est-ce que vous pouvez nous

14 dire à peu près où vous avez d'abord été arrêté et séparé de votre

15 famille ?

16 Témoin D (interprétation). – Pour autant que je puisse le voir

17 ici, on entrevoit un bâtiment ici. C'est une maison et ce que l'on pouvait

18 remarquer sur ce plateau, en effet, c'est qu'il y avait une maisonnette

19 surplombant le plateau, qui avait donc une surface d'affectation

20 probablement particulière. Nous avons suivi cette route-ci et, comme je

21 viens de vous le montrer, nous avons bifurqué pour nous retrouver devant

22 l’école, à cet endroit-ci.

23 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Aux fins du compte

24 rendu, le témoin a indiqué le bout de la route qui n'apparaît plus sur la

25 photographie. Il décrit cet endroit comme l'endroit d’où il est parti.

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1 Ensuite, le témoin a remonté la route pour arriver sur le côté gauche de

2 la maison qui apparaît sur la photographie.

3 Est-ce que maintenant nous pouvons soumettre au témoin la pièce

4 à conviction 10/2, s'il vous plaît ?

5 Témoin D (interprétation). – Oui, ici aussi, nous pouvons voir

6 le bâtiment de l'école. Nous voyons ici la route qui se trouve derrière,

7 l’accès qui se trouve derrière l’école et dont il sera question plus tard,

8 dans une déclaration, lorsqu'un camion est parti chargé de personnes par

9 ici. Et voilà l'espace où nous nous étions retrouvés. Nous, nous étions de

10 l'autre côté, là-bas derrière.

11 M. McCloskey (interprétation). - Pardon de vous interrompre à

12 nouveau, Témoin D. Je dois indiquer pour le compte rendu que vous venez de

13 nous indiquer des traces de pneus qui apparaissent sur le côté gauche du

14 bâtiment de l'école. Et, ensuite, vous êtes arrivé devant le bâtiment,

15 devant l’école où se trouvent sur la photographie des véhicules blancs à

16 l'arrêt.

17 Témoin D (interprétation). – Peut-être ne nous sommes-nous pas

18 bien compris. J'ai dit que ce chemin ici sera mentionné ultérieurement.

19 Nous nous sommes retrouvés de l'autre côté, mais j'avais dit que nous

20 voyons ici un chemin dont il sera question plus tard. Mais nous, nous nous

21 étions retrouvés de l'autre côté de l'école.

22 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Pourriez-vous nous

23 indiquer où vous vous trouviez assis lorsque vous êtes d'abord arrivé à

24 l'école ? Veuillez nous indiquer cet endroit à l'aide du pointeur, s'il

25 vous plaît.

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1 Témoin D (interprétation). – On ne peut pas le voir d'ici. C'est

2 l'espace qui se trouve de l'autre côté de l'école. Il se peut que, sur une

3 autre photographie, nous puissions voir mieux l'emplacement. Nous voyons

4 ici un arbre que je serai en mesure de vous montrer plus clairement sur

5 une autre photographie.

6 M. McCloskey (interprétation). – Très bien. Pour le compte

7 rendu, le témoin indique la zone qui se trouve juste devant les

8 camionnettes blanches. Maintenant, nous pouvons en venir à la pièce

9 suivante, la pièce 10/3, s'il vous plaît.

10 Témoin D (interprétation). – Oui, c'est là que nous pouvons voir

11 la chose bien plus clairement. Ce dont je viens de vous parler apparaît

12 clairement. On voit cette partie-là de l'école. Un escalier, dont il sera

13 également question, et on voit l'arbre sous lequel nous nous étions assis.

14 Cet arbre-là, je ne le connais que trop bien. Nous voyons ici le petit

15 chemin où l'on descend de la route goudronnée. Ce n'est pas un accès pour

16 des camions, mais c'est un petit sentier pour piétons. Nous sommes passés

17 par ici et nous nous étions assis ici. Donc, l'autre homme, Kadir et moi-

18 même, nous étions assis, ici, l'un à côté de l'autre.

19 M. McCloskey (interprétation). - Très bien, aux fins du compte

20 rendu, la zone d'accès au bâtiment semble être une zone qui est située

21 près d'un buisson, sur le côté droit de la photographie. Très bien.

22 Témoin D (interprétation). – C'est ainsi.

23 M. McCloskey (interprétation). - Parfait. Pouvons-nous, s'il

24 vous plaît, passer à la pièce suivante ? Il s'agit de la pièce 10/4.

25 Témoin D (interprétation). – Sur cette photographie, nous voyons

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1 une salle de classe où nous avons été introduits par la suite ; chose que

2 je pourrai vous raconter par la suite. Les salles de classe étaient

3 identiques les unes aux autres, et il n'y avait pas cet inventaire dans la

4 salle de classe. C'est-à-dire que ces photos-là ont été prises

5 ultérieurement.

6 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. C'est tout ce dont

7 nous avons besoin pour le moment. Nous en avons fini de l'examen de ces

8 pièces.

9 Pourriez-vous, s'il vous plaît, expliquer aux Juges quel est

10 votre souvenir de ce qui s'est passé au cours de la journée, alors que

11 vous vous trouviez assis dans la zone que vous nous avez indiquée tout à

12 l'heure ?

13 Témoin D (interprétation). – …

14 M. McCloskey (interprétation). – Y a-t-il un petit problème

15 d'interprétation ? Je recommence. Témoin D, m'entendez vous ?

16 Témoin D (interprétation). – Ce n'est que maintenant que je vous

17 entends.

18 M. McCloskey (interprétation). – Très bien. Alors je vais

19 répéter ma question. Pourriez-vous, s’il vous plaît, expliquer aux Juges

20 ce que vous avez fait au cours de la journée, alors que vous vous trouviez

21 sur le côté de ce bâtiment ?

22 Témoin D (interprétation). – Dès mon arrivée, le soldat serbe

23 qui m'avait raccompagné, qui m'avait escorté, et d'autres soldats sont

24 venus. L'un d'entre eux m'avait lié les poignets avec des lacets de

25 chaussure ou de botte, et m’a donné l'ordre de m'asseoir à côté du jeune

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1 homme que j'ai mentionné tout à l'heure. Je me suis assis sur l'herbe,

2 face à l'immeuble.

3 J'ai pu voir que d'autres personnes encore ont été amenées. Au

4 fur et à mesure que le temps passait, le nombre des personnes augmentait.

5 Je tournais le dos à la route, mais j'ai pu entendre le bruit des moteurs

6 de camions et d'autocars allant et venant. Et j'ai passé la journée

7 entière assis sur l'herbe et les autres gens nouvellement arrivés venaient

8 s'asseoir à côté de nous. Certains d'entre eux avaient été attachés,

9 notamment les hommes jeunes, et les personnes plus âgées n'étaient pas

10 attachées, mais par la suite nous avons été tous été attachés au moyen

11 d'un fil de fer.

12 M. McCloskey (interprétation). – Permettez-moi de vous demander

13 si vos mains étaient attachées devant vous ou dans votre dos ?

14 Témoin D (interprétation). – Les mains étaient liées dans le

15 dos.

16 M. McCloskey (interprétation). - Et qu'en était-il de la

17 personne que vous avez identifiée comme étant Abdul, excusez-moi je n'ai

18 pas retenu la fin de son prénom ?

19 Témoin D (interprétation). – Abdul Kadir.

20 M. McCloskey (interprétation). - Très bien, je vous remercie.

21 Est-ce que ses mains à lui étaient également liées ?

22 Témoin D (interprétation). – Oui, ses mains étaient également

23 liées dans le dos, tout comme cela était le cas pour moi.

24 M. McCloskey (interprétation). - A la fin de la journée, combien

25 de personnes avaient été amenées au groupe ?

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1 Témoin D (interprétation). – Nous étions au total 22.

2 M. McCloskey (interprétation). - Quelle était la moyenne d'âge,

3 approximativement ?

4 Témoin D (interprétation). – Il y avait des gens assez jeunes,

5 de moins de 20 ans peut-être, mais il y en avait d'autres qui avaient plus

6 de 60 ans.

7 M. McCloskey (interprétation). - D'après vous, quelle était la

8 personne la plus jeune au sein de votre groupe ?

9 Témoin D (interprétation). – Je crois qu'Abdul Kadir devait être

10 le plus jeune. Quant a ce qui le concerne, je crois qu'il devait avoir

11 entre 19 et 20 ans.

12 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Pourriez-vous nous

13 expliquer ce que vous avez pu observer, outre ces hommes qui arrivaient de

14 différents endroits, qu'avez-vous pu observer depuis le poste où vous vous

15 trouviez, depuis l'endroit où vous vous trouviez ce jour-là ?

16 Témoin D (interprétation). – Pendant que j'étais assis, j'ai eu

17 largement le temps de voir des soldats serbes aller et venir, et ils

18 devaient probablement effectuer des tâches qui leur étaient confiées.

19 Certains menaçaient, d'autres se comportaient de façon normale.

20 J'ai remarqué un soldat qui ne faisait que répondre au

21 téléphone, téléphone militaire, qui avait été installé sur l'escalier que

22 nous avons vu tout à l'heure sur la photographie. Et le branchement a été

23 fait.

24 M. McCloskey (interprétation). – Qu’est-ce qui vous a fait

25 penser qu'il s'agissait d'un téléphone militaire ?

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1 Témoin D (interprétation). – Il s'agissait d'un téléphone

2 militaire par induction. J'ai fait mon service militaire dans la JNA, dans

3 l'armée yougoslave, et je connaissais fort bien ce type de téléphone.

4 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez pu

5 percevoir les conversations, les échanges que les soldats serbes pouvaient

6 faire au téléphone ?

7 Témoin D (interprétation). – Oui, je n'ai pu entendre que les

8 mots d'un soldat qui portait le prénom de Zelko. C'est un soldat pour

9 lequel je puis dire qu'il se comportait de façon correcte et ce qu'il

10 disait c'était : "Oui, oui, j'ai compris, je transmettrai, bien, bien".

11 C'est ainsi qu'il répondait aux coups de fil reçus.

12 M. McCloskey (interprétation). - Très bien. Avez-vous reconnu

13 l'un quelconque des soldats serbes qui se trouvaient à cet endroit ?

14 Témoin D (interprétation). – Oui. D'abord, j'ai reconnu un homme

15 qui avait dit lui-même s'appeler Stanimir, et il avait dit dans un

16 entretien avec le jeune homme, Abdel Kadir… C’est-à-dire qu’il s’était en

17 fait approché de nous deux et il s'était entretenu davantage avec Abdel

18 Kadir, et il lui avait dit : "Sais-tu que ton père et moi-même sommes amis

19 de famille ?" Le jeune homme lui a répondu qu'il se souvenait un petit peu

20 de lui. Alors, le soldat lui a dit qu'il s'appelait Stanimir, qu'il vivait

21 à Vlasenica et qu'il y avait un logement. Et, dans la journée, j'ai

22 remarqué qu'il était venu avec une voiture Lada de couleur rouge.

23 Et ensuite, pour ce qui est des autres soldats serbes, j'ai

24 reconnu Savo Ristanovic, un soldat qui avait des cheveux plutôt blonds,

25 qui s'était approché de deux prisonniers, c'est-à-dire des personnes qui

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1 avaient été amenées en autocar, ils s'étaient approchés d'eux. Lorsque ces

2 deux personnes l'avaient reconnu, elles lui avaient dit : "Mais que

3 deviens-tu, voisin, que deviens-tu ?".

4 Lui, il avait reconnu de façon énergique et colérique : "De

5 quoi : comment je vais et comment ça va ? D'abord, il faudra me dire qui a

6 mis le feu à la maison de mon grand-père".

7 Les deux personnes en question s'appelaient Fuad et Alija, je

8 les connaissais d’auparavant. Quand ces deux-là avaient répondu qu'ils ne

9 savaient pas qui avait mis le feu à la maison de son grand-père, il leur a

10 rétorqué qu'il s'avérerait qu'ils le savent fort bien.

11 Et d'autres soldats ont menacé, mais ne nous ont pas battus,

12 jusqu'au moment où on nous a fait entrer dans l’école. Il y avait pas mal

13 de menaces différentes proférées, beaucoup d'injures.

14 M. McCloskey (interprétation). - Vous êtes sûr que c'est Savo

15 Ristanovic que vous avez vu, ou bien est-ce qu’il y a peut-être une erreur

16 qui vient d'être commise ?

17 Témoin D (interprétation). – Eh bien, j'ai fort bien connu Savo

18 Ristanovic. Son nom de famille est bien Ristanovic. Toutefois, quand je me

19 suis retrouvé en territoire libre et lorsque je me suis entretenu avec mes

20 amis, leurs femmes notamment, qui sont passés par là, ont aussi reconnu

21 Savo Ristanovic. Moi, je ne me souvenais pas du prénom, mais ces femmes

22 m'ont confirmé qu'il s'agissait bien de Savo Ristanovic. L'un d'entre eux

23 m'avait également interrogé pour ce qui était de la maison de son grand-

24 père et d'autres problèmes survenus.

25 M. McCloskey (interprétation). – Existait-il un Momcilo

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1 Ristanovic ?

2 Témoin D (interprétation). – Momcilo Ristanovic était un parent

3 ou un cousin quelconque. Ils se ressemblaient d'ailleurs beaucoup. Et

4 lorsque je me suis entretenu avec mes amis, j'avais effectivement pensé

5 d'abord qu'il s’agissait de Momcilo Ristanovic, mais on m'a repris et on

6 m'a dit qu'il s'agissait de Savo Ristanovic. Comme ils étaient parents

7 proches, ils se ressemblaient de façon très nette.

8 M. McCloskey (interprétation). – Revenons-en à Stanimir. Est-ce

9 que Stanimir vous a adressé la parole à un moment donné ?

10 M. le Président. - Excusez-moi, Monsieur McCloskey, je crois que

11 j'ai entendu les interprètes, soit les Français, soit les Anglais parler

12 de Ristanovic. Je vois dans le transcript, Ristanic, je ne sais pas s'il y

13 a une différence ou non ? Est-ce que vous pouvez voir quel est vraiment le

14 nom ?

15 L’interprète. – Monsieur le Président, le nom de famille

16 prononcé par le témoin est Ristanovic.

17 M. le Président. – Le nom prononcé par le témoin est donc bien

18 Ristanovic me dit l'interprète, mais je vois sur le transcript Ristanic.

19 Est-ce que vous pouvez faire la correction, Monsieur McCloskey et demander

20 au témoin pour dépasser cette petite question ? D'accord ? Merci.

21 M. McCloskey (interprétation). - Certainement, Monsieur le

22 Président. La personne que vous avez identifiée comme étant Stanimir vous

23 a-t-elle dit quoi que ce soit ou vous a-t-elle parlé d'une personne en

24 particulier ?

25 Témoin D (interprétation). – Oui, pendant que M. Stanimir,

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1 c'est-à-dire ce soldat serbe, s'était entretenu avec Abdul Kadir, et que

2 moi, j'étais assis juste à côté de Abdel Kadir, il s'était retourné à un

3 moment donné vers moi et il m'a demandé : "Où as-tu travaillé, toi ?", et

4 je lui ai répondu que j'avais travaillé aux (expurgé) à Srebrenica.

5 Alors, il m'a dit : "Mais tu devrais connaître (expurgé)", qui avait

6 également travaillé dans cette (expurgé). Je lui ai répondu

7 qu'effectivement, je connaissais la personne en question.

8 M. McCloskey (interprétation). – Et est-ce que vous connaissiez

9 effectivement cette personne ?

10 Témoin D (interprétation). – Oui. Une petite explication, si

11 vous me le permettez. Vous parlez de Stanimir ou vous parlez de (expurgé)

12 (expurgé) ?

13 M. McCloskey (interprétation). – Excellente question, je parle

14 de (expurgé).

15 Témoin D (interprétation). – Je connaissais fort bien (expurgé)

16 (expurgé). C'était un collègue de travail. Et j'accomplissais les mêmes

17 tâches que celles qui étaient confiées à (expurgé). Nous étions très bons

18 collègues et très bons amis, je dirais, et nous avons longtemps travaillé

19 ensemble.

20 M. le Président. – Monsieur McCloskey, excusez-moi d'interrompre

21 encore une autre fois. Je vois disparaître le transcript et même la

22 question que j'ai posée. J'ai distingué Ristanovic et Ristanic. Je ne vois

23 pas sur le transcript. Je crois qu'il s'agit de deux noms différents.

24 L'interprète français m'a confirmé que le témoin disait Ristanovic. Ma

25 question, sur le transcript, ne fait pas la distinction des noms mêmes. Ma

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1 question a été présentée : Ristanic ou Ristanic… C'est la même chose !

2 Donc je voudrais savoir, excusez-moi d'insister, quel est vraiment le nom

3 de la personne en cause. C’est Ristanic ou Ristanovic ? Excusez-moi.

4 M. McCloskey (interprétation). - Pardon, Monsieur le Président.

5 Je pensais que les interprètes vous avaient un peu éclairci la question.

6 Je n'avais pas compris que vous vouliez que, moi, je repose la question au

7 témoin. Maintenant, je vous ai compris, je vous prie de m'excuser.

8 M. le Président. – Oui, les interprètes m’ont éclairci mais

9 l'éclaircissement n'a pas passé sur le transcript. C'est la question.

10 Merci.

11 De toute façon, je crois que pour que les choses soient claires,

12 vous pouvez demander au témoin s'il s’agit d'une personne avec le nom ou

13 le surnom Ristanovic ou Ristanic. Je crois que ce sont des choses

14 différentes. Pour moi, il me semble différent. Merci beaucoup. Excusez-moi

15 d'insister.

16 M. McCloskey (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

17 Témoin D, pourriez-vous s'il vous plaît nous aider à bien

18 comprendre ce dont nous parlons ici ? Quel est le nom de la personne que

19 vous avez reconnue ?

20 Témoin D (interprétation). – Oui, il convient notamment d'être

21 fort précis. Il ne s'agit pas du nom de famille Ristanic, mais bien de

22 Ristanovic.

23 M. McCloskey (interprétation). - Il faudrait maintenant que cela

24 apparaisse sur le compte rendu. Je crois que c'est le cas.

25 Très bien, Témoin D, revenons-en à l'entretien que vous avez eu

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1 avec Stanimir. Vous nous avez déclaré qu'il avait parlé d'une personne

2 nommé (expurgé). Et en fait, vous aviez vous-même connu (expurgé)

3 (expurgé), n'est-ce pas exact ?

4 Témoin D (interprétation). – Lorsqu'il avait mentionné (expurgé)

5 (expurgé), je lui ai demandé s'il pouvait être possible de voir (expurgé)

6 (expurgé) ou comment pourrais-je le voir ? Alors il a ri un petit peu. Et

7 il a répondu que (expurgé) était sur le terrain avec ses soldats. "Mais tu

8 le verras dans la soirée". Et, il nous a raconté quelles étaient les tâches

9 de (expurgé).

10 Il nous a dit que (expurgé) était commandant de la section

11 d'intervention spéciale, qu'il se trouvait à Kravica sur le terrain et

12 qu'il avait là-bas une mission à accomplir. Et on m'a dit que je le verrai

13 une fois que cette mission serait accomplie et qu'il se rendrait là où

14 nous étions dans la soirée.

15 Il a beaucoup loué (expurgé). Il avait dit que (expurgé) était un homme

16 extrêmement bon, qu'il avait beaucoup de mérite dans l'armée de la

17 Republika Srpska et qu'il avait eu l'insigne honneur de planter le drapeau

18 serbe à l'occasion de l'entrée des soldats serbes à Srebrenica. Il a été,

19 de façon évidente, enthousiasmé par (expurgé).

20 Il avait dit également que (expurgé) avait beaucoup de

21 succès dans la réalisation des actions de diversion et de sabotage pour ce

22 qui est, par exemple, du tunnel de Srebrenica. Il y avait accédé alors. Il

23 avait dit, il avait posé la question de savoir ce qui s'était passé

24 lorsque les gars de (expurgé) avaient accédé à ce tunnel.

25 Alors, je ne voulais pas, moi, lui gâcher son humeur et son

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1 enthousiasme. Je lui avais dit que l'action avait été couronnée de succès,

2 mais la vérité c'est que, à l'occasion de l'accès par ce tunnel, il y

3 avait plusieurs femmes et enfants de tués, qu'il y a eu plusieurs maisons

4 incendiées et qu'il y a eu beaucoup de tirs et que ces soldats avaient

5 fini par se retirer.

6 M. McCloskey (interprétation). - Quel est ce tunnel auquel il a

7 été fait référence par Stanimir ?

8 Témoin D (interprétation). - Stanimir a mentionné un tunnel

9 appartenant à la mine de plomb et de zinc qui donne issue sur Srebrenica.

10 Les gens de Srebrenica le savent fort bien. Ils savent que cette mine

11 faisait de l'exploitation de minerai par l'exploitation de galeries. L'une

12 de ces galeries aboutissait à l'une des banlieues de Srebrenica, et cette

13 galerie avait été utilisée pour la réalisation d'une action.

14 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous avez vu

15 d'autres véhicules arriver à côté de ce stationnement dont vous avez parlé

16 plus tôt ce matin ?

17 Témoin D (interprétation). - Je n'ai pas remarqué d'autres

18 véhicules, à part le fait que Stanimir est arrivé avec une voiture. Je ne

19 sais pas si c'était la sienne ou celle qui appartenait à l'armée, mais

20 c'était une Lada rouge. Je n'ai rien vu d'autre, donc aucun autre

21 véhicule.

22 M. McCloskey (interprétation). - Et dans la soirée ?

23 M. le Président. - Peut-on faire une pause maintenant pour

24 vous ?

25 M. McCloskey (interprétation). - Le moment est opportun, merci.

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1 M. le Président. - On va donc faire une pause de vingt minutes.

2

3 L’audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 13 heures 30.

4

5 M. le Président. - Monsieur McCloskey, je crois que tout le

6 monde attend que l’audience s'arrête à 2 heures 30. J'ai vu sur l'Internet

7 du Tribunal qu'il est 3 heures. Comme vous le savez, la Chambre a une

8 comparution initiale à 3 heures 30, on a donc quand même le droit à avoir

9 une pause pour déjeuner. Nous allons donc jusqu'à 2 heures 30. On

10 reprendra.

11 C'est une chose que je dois voir avec le Procureur quel est le

12 calendrier pour la semaine prochaine et où nous en sommes.

13 Peut-être à la fin donc, si vous pouvez vous arrêter plus ou

14 moins à 2 heures 25, cela va bien pour nous.

15 Vous pouvez maintenant continuer maintenant l'interrogatoire du

16 témoin, Monsieur McCloskey.

17 M. McCloskey (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

18 Témoin D, avez-vous vu des véhicules inhabituels qui se sont présentés le

19 soir près de cette zone où il y avait cette école ?

20 Témoin D (interprétation). - Comme j'ai répondu, j'ai vu au

21 cours de la journée seulement cette Lada mais, en fin de soirée, un

22 véhicule blanc est apparu, du genre jeep, et c'était un homme qui, la

23 personne qui s'est présentée cette journée-là comme étant Stanimir a

24 emmené cette jeep.

25 M. McCloskey (interprétation). - Pourriez-vous dire à qui

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1 appartenait cette jeep blanche ?

2 Témoin D (interprétation). - Je crois que c'est, qu'il y avait

3 un grand nombre de véhicules pris du Bataillon néerlandais à Srebrenica,

4 et je suis convaincu personnellement que ce véhicule avait été pris du

5 Bataillon néerlandais. Par la suite, les soldats serbes s'en sont servis.

6 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous vu des femmes ou des

7 enfants, des filles musulmanes ayant été séparées ce soir-là, pendant la

8 journée ou pendant la soirée ?

9 Témoin D (interprétation). - Ce soir-là, j'ai remarqué seulement

10 une jeune femme qui était séparée. Elle paraissait assez jolie, elle était

11 jeune, d'après moi, elle aurait pu être âgée de 17 ans. Elle était

12 particulièrement jolie ou belle.

13 Les soldats serbes l'ont emmenée et lui ont ordonné de

14 reconnaître l'un de nous. C'est-à-dire, ils lui ont demandé ou ordonné

15 d'essayer de reconnaître l'un de nous. Puisque c'était en fin de soirée,

16 ils se servaient d'un réflecteur, ils nous illuminaient le visage

17 individuellement pour que cette jeune femme puisse nous reconnaître.

18 Mais elle n'a pas pu nous reconnaître, à part un homme plus âgé

19 pour lequel elle disait qu'il pouvait vivre tout près de son village. Il

20 s'agissait des villages d'Okoljac et Urisic, donc ces deux villages-là.

21 M. McCloskey (interprétation). - Qu'est-ce qui s'est passé après

22 cela ?

23 Témoin D (interprétation). - Par la suite, un soldat serbe lui a

24 dit : "Que tu es belle, fille turque. On a besoin de toi pour nous faire

25 du café." Il a fait un geste de la main vers son visage comme pour la

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1 caresser, elle s'est retirée, un peu, s'est écartée. Par la suite, il l'a

2 prise sous le bras et l'a emmenée vers l'école.

3 M. McCloskey (interprétation). - C'était environ quelle heure ?

4 Témoin D (interprétation). - C'était un peu vers la tombée du

5 soir : si l'on sait qu'en été la nuit tombe vers 9 heures du soir, je

6 pourrais dire qu'il était soit 9 heures ou peu de temps après 9 heures.

7 M. McCloskey (interprétation). - Donc, les 22 hommes étaient

8 assemblés ensemble, avec vous, quand elle a été emmenée à l'école ?

9 Témoin D (interprétation). - Oui, les 22 hommes se trouvaient

10 devant l'école. Cela veut dire avec moi, ce groupe de 22 personnes était

11 avec moi. A ce moment-là, un soldat serbe s'est avancé vers nous pour nous

12 dire que nous allions être fouillés. Il nous a dit : "Vous, Balijas, vous

13 êtes des hommes mal commodes. Peut-être que quelqu'un d'entre vous aurait

14 une bombe, un couteau, un revolver ou quelque chose de semblable. Nous ne

15 voulons pas prendre de risques, nous voulons simplement vous fouiller".

16 Par la suite, il s'est avéré qu'il était de leur intention de

17 faire la fouille pour essayer de soutirer de l'argent et des effets, des

18 bijoux, des objets de valeur comme quelques bagues, bijoux, etc. C'est ce

19 qui m'est arrivé à moi et j'imagine que c'est ce qui est arrivé aux autres

20 également.

21 M. McCloskey (interprétation). - Pourriez-vous dire à la Cour,

22 au Tribunal, ce que le terme "Balija" veut dire ?

23 Témoin D (interprétation). – Ce terme m'était inconnu. Je sais

24 seulement que certains soldats serbes se servaient de ce terme. Je ne sais

25 pas du tout ce que cela voulait dire. J'ai entendu pour la première fois

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1 ce terme-là pendant la guerre.

2 M. McCloskey (interprétation). - A quel moment est-ce que le

3 groupe a été emmené à l'intérieur de l'école ?

4 Témoin D (interprétation). – Le groupe a été emmené à

5 l'intérieur de l'école le soir, il faisait déjà noir à l'extérieur. Ils

6 nous ont dit : "Vous allez avoir froid à l'extérieur. Vous devez pénétrer

7 à l'intérieur de l'école. On vous placera dans une classe". C'était bien

8 sûr dit avec beaucoup de cynisme, d'une façon très cynique.

9 Nous sommes donc entrés dans une classe, la première, tout de

10 suite après l'entrée. Par la suite, ils ont changé d'idée et nous ont

11 emmenés vers l'autre classe qui se trouvait juste à côté de la première.

12 Ce que j'ai pu remarquer, c'est que l'intérieur de la classe était

13 complètement vide.

14 Je voudrais d'abord dire que lorsque nous avons pénétré dans

15 l'école, il y avait un soldat serbe et il tenait des morceaux de fils

16 téléphoniques coupés. Il tenait des morceaux de fils et il s'est servi de

17 ces fils-là pour nous lier les mains. Nous étions liés. Par la suite, ils

18 ont coupé ces liens avec un couteau. Par la suite, ils nous ont lié les

19 mains avec un fil téléphonique qui était très mince, et donc ce fil

20 pouvait être roulé plusieurs fois autour des poignets.

21 M. McCloskey (interprétation). – Qu’est-ce qui s'est passé par

22 la suite, lorsqu'on vous a emmenés vers la deuxième classe ?

23 Témoin D (interprétation). – Par la suite, nous avons pénétré

24 dans la deuxième classe. Nous avions donc les mains liées dans le dos. Ils

25 nous ont ordonné de nous asseoir dans un coin de cette classe, c'était le

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1 coin gauche lorsqu'on entre dans la classe. Si nous voulons parler du côté

2 de la classe, c'était du côté gauche, au fond de la classe. Nous nous

3 sommes assis par terre. Dans la classe, il y avait un plancher de bois. Et

4 ma place, au sein de ce groupe était un peu devant ce groupe. Nous étions

5 donc tous assis sur le sol, sur le plancher de cette classe.

6 Les soldats serbes à un moment donné sont partis, pour laisser

7 derrière un soldat serbe à l'entrée de la classe. Il était assis sur une

8 chaise et il tenait un fusil automatique.

9 M. McCloskey (interprétation). - Par la suite, que s'est-il

10 passé ?

11 Témoin D (interprétation). – J'ai donc entendu le son d'un

12 véhicule motorisé, je crois que c'était un camion, c'était un son un peu

13 plus fort.

14 Et tout de suite après, un homme s'est présenté à la porte,

15 c'était un soldat serbe. Cet homme marchait d'une façon très lourde, il a

16 demandé : "Qui vient du (expurgé), qui vient de la mine de (expurgé)". J’ai

17 reconnu immédiatement le son de sa voix. J'ai donc conclu que c'était un

18 de mes collègues. Il était donc venu de l'endroit de Kravica, il voulait

19 voir qui de ses collègues étaient emmenés à cette école.

20 Quand il a posé cette question : "Qui parmi vous est de la (expurgé)

21 (expurgé) ?", je me suis levé de l'endroit où j'étais assis et j'ai dit :

22 "C’est moi, c’est moi, (expurgé)", et il m’a reconnu également. Il m'a dit:

23 "Mon Dieu, que fais-tu ici ?". Je lui ai dit que j'avais été blessé à

24 Srebrenica et que j'avais demandé de l'aide, ou que j’avais essayé de

25 m'abriter dans la zone de Potocari et que c’était pour cela que je me

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1 trouvais ici dans l'école.

2 Il m'a dit : "Eh bien, très bien, cette guerre n'est pas bonne,

3 ni pour vous ni pour nous, mais c'est la guerre, que peut-on faire ? Eh

4 bien, je vais te voir demain.". Il m'a donné une tape amicale sur le dos

5 et il m’a quitté. Donc, il m'a gentiment touché l'épaule et il est parti.

6 Je pourrais vous donner simplement une courte description de quoi

7 avait l'air (expurgé). Il avait l'air un peu plus soigné. Il semblait un

8 peu plus corpulent. Il avait un foulard attaché derrière le dos, il était

9 en uniforme de camouflage, le pantalon et la blouse faisaient un tout. Il

10 avait également un fusil automatique.

11 (expurgé) a quitté la salle de classe immédiatement après...

12 M. McCloskey (interprétation). - Je m'excuse, si vous pouviez me

13 permettre de vous interrompre. Excusez-moi, j'aimerais simplement vous

14 poser une question, si je puis ?

15 Témoin D (interprétation). – Oui, bien sûr.

16 M. McCloskey (interprétation). - Avez-vous été en mesure de

17 remarquer des insignes ou des rangs qui auraient pu vous permettre de dire

18 de quelle unité provenait la personne que vous avez identifiée comme étant

19 M. (expurgé), ou quel uniforme il portait, quel grade il avait ?

20 Témoin D (interprétation). – Concernant (expurgé), je n'ai

21 pas remarqué quel était son grade, je n'ai pas remarqué d'insigne, mais

22 j'ai peut-être omis de dire que, dans la salle de classe, il n'y avait pas

23 d'électricité. Dans cette salle de classe, il n'y avait qu'un réflecteur

24 militaire dirigé vers le plafond. C'est le gardien qui illuminait le

25 plafond, le réflecteur était tourné vers le plafond, je n'ai donc pas

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1 remarqué d'insigne sur l'uniforme de l'homme en question.

2 M. McCloskey (interprétation). – Vous étiez en train de nous

3 dire : que s'est-il passé quand il a quitté ?

4 Témoin D (interprétation). - Oui, donc, il a quitté

5 immédiatement après son départ. Peut-être une minute plus tard, les

6 soldats serbes entrent dans la classe, immédiatement après qu'ils aient

7 franchi la porte, le soldat serbe qui se trouvait à la porte a arrêté l'un

8 de ces soldats-là et il voulait savoir comment cela s'est déroulé à

9 Kravica, il lui a posé la question, j'ai pu l'entendre. Il a dit :

10 "Comment cela s'est passé à Kravica" ? Il a dit : "Très bien. On a dissipé

11 les balije. Cela a très bien été, on n'a pas eu de perte. C'est ce qui est

12 important."

13 Et, pendant ce temps là, ce groupe de soldats dans lequel

14 j'imagine qu'il y avait plus de 10 personnes s'est avancé vers nous. Ils

15 ont commencé à nous poser des questions, après chaque question on nous a

16 donné un coup.

17 Ils ont commencé à ma gauche, puis comme j'étais assis, ils ont

18 commencé à gauche, ils ont commencé à donner des coups, et à chaque

19 question, après avoir posé chaque question, les questions étaient par

20 exemple : "Combien de Serbes as-tu tués ? Où est Naser ? Pourquoi ne vous

21 aide-t-il pas maintenant ? Savez-vous qui nous sommes ? Savez-vous que

22 vous allez payer pour tout cela ?" Toutes sortes de questions de ce genre.

23 Et après chaque question, un coup s'ensuivait.

24 La plupart du temps, ils tenaient le fusil vers le milieu. Ils

25 nous donnaient un coup de fusil à la tête avec le poignet. La plupart du

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1 temps, c'était avec un coup de pied. Les gens qui étaient assis recevaient

2 des coups de pied au thorax. Ces gens recevaient des coups de ce genre-là.

3 Il y avait un vieillard qui tenait comme une espèce de canne en

4 métal, cet homme a essayé de se pencher pour prendre la canne de métal, il

5 a reçu des coups avec cette canne de métal.

6 J'ai remarqué que l'un d'eux avait un drapeau, le drapeau venait

7 de la mosquée. Donc, c'était un petit drapeau, qui avait un croissant. Ils

8 ont demandé : "Qu'est-ce que c'est que ce drapeau ?". Les gens

9 répondaient : "C'est un petit drapeau". Les gens répondaient : "Je ne sais

10 pas, cela ne m'intéresse pas". Mais après chaque question, un coup

11 suivait.

12 Ils m'ont demandé : "C'est quoi ce drapeau ?". J'ai répondu que

13 c'était un drapeau de mosquée. Là, j'ai reçu un très grand coup au-dessus

14 de la tempe droite et j'ai encore une cicatrice assez visible au-dessus de

15 l'œil droit. Le sang a commencé à couler le long de mon visage. Par la

16 suite, j'ai reçu un autre coup de pied, à ma droite. Je suis tombé à

17 gauche, le sang a changé de direction. Et, tout mon visage était

18 ensanglanté.

19 J'étais couché, j'avais perdu connaissance partiellement, je

20 suis quand même arrivé à comprendre et à sentir ce qui se passait. Je

21 n'avais pas complètement perdu conscience. J'ai senti que je n'avais plus

22 tout à fait la conscience.

23 Donc, ces coups ont duré peut-être pendant une demi-heure. Les

24 gens étaient ensanglantés. Je pourrais vous décrire un homme qui était

25 assis à côté de moi. Il a reçu un coup de couteau. J'ai d'abord cru que

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1 c'était un coup de couteau au cou. Mais, par la suite, j'ai remarqué

2 lorsqu'il tombait, que c'était au visage qu'il avait été frappé de ce

3 couteau. Il y avait une grande quantité de sang qui coulait le long de son

4 visage. Les soldats serbes...

5 M. McCloskey (interprétation). - Excusez-moi, Témoin D. Je

6 comprends que c'était un moment difficile pour vous et pour les autres

7 hommes qui étaient avec vous. Mais est-il exact de dire que c'est une

8 scène effroyable lorsque votre groupe a été battu par ces soldats ?

9 Témoin D (interprétation). - Oui.

10 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que vous aviez vu ce

11 groupe de 10 soldats auparavant durant la journée, ou était-ce la première

12 fois que vous les aviez vus, cette journée-là dans l'immeuble ?

13 Témoin D (interprétation). - Non, comme je l'ai déjà mentionné,

14 ils n'étaient pas venus auparavant, ils ressemblaient, ils portaient le

15 même uniforme que M. (expurgé), tandis que les soldats serbes que j'avais

16 aperçus au cours de la journée ne portaient pas ces bandeaux ou ces

17 foulards sur la tête. Ils avaient des foulards de différentes couleurs, le

18 foulard était attaché en arrière à la tête avec des noeuds. C'était donc

19 l'unité de diversion, c'était l'image qu'ils projetaient.

20 M. McCloskey (interprétation). - Pouviez-vous dire d'où ils

21 provenaient par l'accent que vous entendiez, ce groupe de soldats qui vous

22 battaient ?

23 Témoin D (interprétation). - Ils parlaient normalement, leur

24 accent était l'accent des gens qui vivaient à Srebrenica et aux alentours

25 de Srebrenica. C'était donc un accent tout à fait normal, et je ne peux

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1 pas vous dire s'il provenait d'ailleurs.

2 M. McCloskey (interprétation). - Que s'est-il passé après qu'ils

3 aient fini de vous battre ?

4 Témoin D (interprétation). - Je voulais d'abord vous dire qu'un

5 soldat serbe, c'est-à-dire un de leurs compagnons, est entré et il a dit :

6 "Il est temps". Alors, quelqu'un lui a demandé : "Quelle heure est-il ?"

7 Il a dit : "Il est 24 heures, il est minuit." Il a dit : "Il est

8 24 heures, donc le 13."

9 Peu de temps après, deux trois minutes après cet événement, ils

10 sont sortis, ils ont quitté la classe et j'ai conclu qu'ils devaient

11 quitter pour aller quelque part.

12 M. McCloskey (interprétation). - A ce moment-là, aviez-vous

13 entendu parler de ce qui s'était passé, de ce qui était arrivé avec les

14 femmes qui étaient séparées, ou les femmes qu'on avait emmenées dans

15 l'école ?

16 Témoin D (interprétation). - Avant que ce groupe ne pénètre,

17 j'ai entendu des cris de cette jeune femme. Il m'a semblé qu'elle criait,

18 elle disait : "Lâche-moi ! Ne me touche pas !" Elle criait. On n'entendait

19 plus du tout ses cris et, par la suite, nous n'avons plus entendu crier.

20 Je n'ai plus entendu de cris provenant de cette jeune femme.

21 M. McCloskey (interprétation). - Que s'est-il passé par la

22 suite. Après les soldats qui vous ont battu, ont quitté ?

23 Témoin D (interprétation). - Après que les soldats qui nous ont

24 battus ont quitté la classe, 5 à 6 soldats serbes ont pénétré par la suite

25 dans la salle de classe, donc les soldats que j'avais vus au cours de la

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1 journée tout près de l'école. L'un d'eux s'est adressé à nous et nous a

2 dit : "Mais ils vous ont battus ?" C'était dit avec un ton très cynique,

3 même s'il a vu que les gens étaient ensanglantés. Il a dit : "Très bien,

4 maintenant vous allez vous lever et vous tenir contre le mur."

5 Mais comme on ne pouvait pas se lever, d'abord son ton était

6 normal, mais par la suite il a crié, il a dit ces mêmes mots mais d'un ton

7 plus élevé. Et quand j'ai remarqué que quelques hommes ont pu se lever et

8 se mettre contre le mur, j'ai cru que moi aussi je devais peut-être me

9 lever et me mettre contre le mur. Mais j'avais peur d'être battu ou passé

10 de nouveau à tabac. J'ai donc exécuté l'ordre, je me suis tenu contre le

11 mur. Les autres n'ont pas pu se tenir contre le mur trop longtemps, ils

12 sont peut-être restés deux ou trois minutes. Ils se sont simplement

13 écrasés contre le mur, probablement à cause des coups, parce qu'ils ne

14 pouvaient plus supporter de se tenir debout contre le mur. J'ai fait de

15 même, et nous sommes tous tombés de nouveau au sol.

16 Ayant donc vu la gravité de la situation et sachant que les gens

17 avaient déjà été bien battus, il a dit : "Très bien. Alors maintenant,

18 vous allez aller réparer nos tranchées". J'ai cru qu'il fallait aller

19 creuser les tranchées. Il a dit : "Maintenant, vous devez sortir de la

20 classe un par un. Un camion va vous attendre à la sortie et c'est là que

21 vous allez embarquer dans le camion, et tout ira bien."

22 Devant nous, un homme est sorti, ensuite c'était moi. Par la

23 suite, après avoir quitté l'école, j'ai remarqué ce camion qui était

24 stationné. Il était stationné en arrière, le long des escaliers que j'ai

25 mentionnés. Il a reculé le long de l'escalier, l'arrière du camion était

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1 donc appuyé sur les escaliers. Et l'un des soldats serbes qui se

2 trouvaient derrière le camion parlait, en fait il disait le contraire du

3 soldat qui nous parlait auparavant, qui nous avait dit qu'il fallait qu'on

4 aille creuser les tranchées.

5 Il nous a dit qu'il fallait nous rendre dans une prison

6 militaire et que ce serait très bien là-bas. Il nous a dit : "N'ayez pas

7 peur. Tout ira bien." Il a dit : "Asseyez-vous sur le banc droit et

8 laissez le banc gauche libre." De sorte que l'homme qui se trouvait devant

9 moi s'est assis sur le banc à droite, juste à côté de la cabine du camion,

10 donc sur la carrosserie du camion ; par la suite, c'était mon tour, et

11 ainsi de suite. Je ne sais pas combien il y avait d'hommes assis sur ce

12 banc.

13 Pour le reste, les gens qui n'ont pas pu se diriger vers le

14 camion tout seuls, les soldats serbes les ont escortés en les prenant par

15 les bras. Deux soldats serbes escortaient ces gens-là. Par la suite, ils

16 les ont jetés sur le camion. Ils étaient jetés les uns par-dessus les

17 autres d'une façon désordonnée, sur le dos, sur le côté, donc la façon

18 dont ils étaient tombés. C'est ainsi qu'ils se sont retrouvés.

19 Et puis ils ont compté le nombre de gens, après avoir mis tout

20 le monde dans le camion, après avoir découvert que sur le camion il y

21 avait 22 personnes. Le banc gauche était encore vide. Je me demandais

22 pourquoi le côté gauche, ou le banc gauche, était vide. Par la suite, j'ai

23 vu que sur le banc gauche, il y avait quatre soldats serbes.

24 Par la suite, j'ai vu trois soldats serbes entrer dans la

25 cabine. L’un c’était le chauffeur et les deux autres qui l’accompagnaient.

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1 A ce moment-là, le camion a démarré.

2 Sur la première carte que nous avons vue auparavant, j'ai dit

3 que j'allais mentionner le trajet. Donc derrière l'école, derrière le

4 chemin, à côté de l’école, le camion est sorti sur la route et il s'est

5 dirigé en direction de Vlasenica. Le camion roulait assez rapidement,

6 l'air était très frais, me rafraîchissait, donc je me sentais un peu

7 mieux.

8 Je voulais simplement vous donner la description du camion à ce

9 moment-ci. Le camion était un camion militaire tout à fait classique, avec

10 des bancs militaires. J'ai fait mon service militaire au sein du de la

11 JNA, l'armée nationale yougoslave, et donc je connaissais ce type de

12 camion.

13 Il y avait donc une toile par-dessus. Il y avait des crochets

14 pour la toile, mais il n'y avait pas de…

15 Donc les soldats serbes qui se trouvaient dans le camion ont

16 dit : "N'essayez pas de vous sauver, vous pouvez de cette façon-là périr.

17 Puisque si vous essayez de vous sauver, nous serons obligés de tirer vers

18 vous".

19 M. McCloskey (interprétation). - Témoin, je suis désolé, je suis

20 obligé de vous interrompre, mais pouvez-vous nous dire : les soldats qui

21 ont embarqué derrière, dans le camion, étaient des gens que vous aviez vus

22 auparavant ?

23 Témoin D (interprétation). – Les gens, dans le camion, non. Un

24 soldat serbe qui est entré dans la cabine, au cours de la journée, s'était

25 présenté comme étant le commandant de ces gens autour de l'école, et que –

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1 supposément- il avait également subi des souffrances en tant que

2 prisonnier de l’armée de la Bosnie-Herzégovine. Alors il a dit : "C’est le

3 sort qui vous attend également". C'est pour cela que je me souviens de cet

4 homme, de ce soldat serbe qui est entré dans la cabine.

5 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que le camion s'est

6 dirigé en direction de Vlasenica et est-ce que par la suite il a pris le

7 virage à gauche avant de se diriger vers la ville de Vlasenica ?

8 Témoin D (interprétation). – Oui. Ils nous ont ordonnés de

9 regarder par terre, qu’on n'avait pas le droit de regarder autour de nous.

10 Donc ce que j’ai pu remarquer : j'ai remarqué les lumières de la

11 ville, j'ai remarqué que tout d’un coup il y avait une rue illuminée,

12 éclairée, et donc cela voulait dire qu’on était déjà entré dans Vlasenica.

13 Le camion, à ce moment-là, a tourné à gauche et il a pris un

14 chemin de dalles. Pendant tout ce temps-là, mes pensées étaient dirigées

15 vers : comment m'enfuir, comment sauter du camion, comment me sauver ?

16 Même si ces pensées étaient dirigées dans ce sens-là, je pensais que le

17 saut serait certainement un saut dangereux et qui entraînerait

18 certainement la mort. De toute façon, puisque mes mains étaient liées dans

19 le dos, je me suis dit que c'était impossible.

20 M. McCloskey (interprétation). - Je suis désolé, j'aimerais vous

21 interrompre de nouveau. Avez-vous entendu les soldats, sur le camion,

22 parler de quoi que ce soit, à quel moment que ce soit, sur le trajet, sur

23 la route ?

24 Témoin D (interprétation). – A un moment donné, lorsque le

25 camion a tourné à gauche, il s'est arrêté près d'un petit ruisselet, il y

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1 avait beaucoup d'herbe autour. A ce moment-là, le camion s'est arrêté.

2 Pendant ce temps-là, un soldat serbe qui se trouvait sur le

3 camion a cogné sur la tôle de la cabine derrière le conducteur et il a

4 dit : "Non pas là, mais emmène-les là où on avait déjà emmené d'autres

5 personnes auparavant".

6 Je l'ai très bien compris. Le conducteur a compris. Le camion a

7 continué son chemin.

8 Par contre, je voulais vous expliquer, ici, encore une fois, que

9 j'ai essayé de briser les liens que j'avais sur mes mains. Il y avait donc

10 une partie en métal. J'imagine que cette partie de métal était un crochet,

11 donc l'endroit où je me suis appuyé, ce crochet ressortait comme cela,

12 j'ai donc essayé de couper les lieux de cette façon-là avec le crochet. Je

13 n'ai pas réussi, par contre. Mais j'ai réussi à rendre ces liens un peu

14 plus lâches.

15 Donc c'était un fil téléphonique quand même, vous savez peut-

16 être que le fil téléphonique peut même être brisé, même si c'est un simple

17 lien. Mais mes mains étaient liées plusieurs fois. C'est pourquoi c'était

18 un peu plus difficile de briser ces liens.

19 M. McCloskey (interprétation). - Est-ce que peu de temps après

20 le camion a atteint sa destination et s’est arrêté ?

21 Témoin D (interprétation). – Oui. J'ai essayé…

22 M. McCloskey (interprétation). - Pardon, pouvez-vous nous

23 décrire brièvement le lieu ou le camion s’est arrêté ?

24 Témoin D (interprétation). – Eh bien, j’ai appris pas mal de

25 choses par la suite, au retour. Lorsque nous traversions un chemin, j'ai

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1 appris par un homme de notre groupe, lorsque je lui avais dit que quand

2 j'avais réussi à fuir de cette exécution, il m'a décrit par où on avait

3 été emmené, etc. La personne qui m'a expliqué la chose venait de la

4 région. Il vient de la région de Crcka et il connaît fort bien les

5 environs. Il m'a expliqué avec précision que cela ne pouvait être que cet

6 endroit, qui s'appelle Rasica Gaj. C'est non loin de Vlasenica, du côté

7 gauche de Vlasenica.

8 M. McCloskey (interprétation). - Nous n'avons pas besoin de

9 savoir exactement où ce lieu se trouvait. Mais pouvez-vous nous expliquer

10 s’il faisait encore clair, s'il faisait nuit et quel était le type

11 d'endroit où le camion s’est arrêté ?

12 Témoin D (interprétation). – Oui, en effet, le camion s’est

13 arrêté sur une espèce de monticule et puis a tourné vers une espèce de pré

14 ou de pâturage, où cela ressemblait à une près abandonné, un terrain

15 vague. J'ai remarqué une maison détruite où on avait fait que le premier

16 étage et la dalle de ce premier étage avaient été brisés.

17 C'est à côté de cela que le camion s'est arrêté. Le moteur avait

18 été éteint, mais les phares du camion sont restés allumés. Les soldats qui

19 se trouvaient sur le camion sont descendus du camion. Ils étaient quatre.

20 Ils se sont placés à l'angle gauche, dans l'arrière du camion, ils ont

21 rabattu le côté de la benne. Et les trois soldats qui se trouvaient dans

22 la cabine sont sortis également. Ils se trouvaient devant le camion, donc

23 à l'opposé de l'endroit où j'étais assis. J'avais le visage tourné vers

24 ces soldats-là.

25 L'un de ce groupe de quatre soldats s'est rapproché des gens qui

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1 se trouvaient auparavant dans la cabine pour les entretenir de quelque

2 chose, j'imagine, alors que les trois autres commencent tout de suite à

3 abattre les gens.

4 Les tueries ont commencé en faisant d'abord tomber les gens

5 derrière le camion. Comme je vous l'ai déjà dit, les gens qui avaient été

6 passés à tabac avaient été amoncelés sur le plancher du camion, l'un était

7 presque mort de coups. C'était donc des corps plutôt immobiles, que l'on

8 avait fait chuter derrière le camion, et on a tiré de courtes rafales vers

9 ces corps-là. Cela arrive avec un homme, puis un deuxième, puis un

10 troisième.

11 Deux hommes qui étaient sur le même banc que moi ont tenté de

12 s'enfuir, ont sauté du camion, et ont commencé à fuir vers l'arrière-plan,

13 pendant 20 mètres, j'ai eu la nette possibilité de le voir, je pouvais

14 observer tout cela, toute la scène. Les soldats serbes qui étaient restés

15 à l'angle du camion ont ouvert des rafales de coups de feu. Ces deux

16 hommes sont tombés, l'un sur la poitrine, l'autre sur le côté. Celui qui

17 est tombé sur le côté, avait une jambe qui avait tremblé de la façon

18 caractéristique d’un être qui est en train de mourir.

19 J'ai réussi à ce moment-là à extirper une main des liens qui me

20 retenaient, et dès que j'ai réussi à séparer mes poignets, j'ai pris appui

21 sur le côté du camion qui se trouvait derrière moi et je me suis jeté de

22 ce côté-là. Ils ont remarqué la chose tout de suite. Quelqu'un du groupe

23 qui se trouvait du côté avant du camion a crié aux autres : "Un Balija qui

24 est en train de fuir". Tout le monde a ouvert le feu. J'ai entendu ces

25 coups de feu répétés et j'ai senti que des rafales touchaient les

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1 buissons, atteignaient les buissons qui se trouvaient un peu au-dessus de

2 l'endroit où je me trouvais. Cela a fait un bruit sifflant. Et j'ai senti

3 instinctivement qu'il fallait me rapprocher le plus possible de la terre,

4 du sol. Les deux groupes, selon moi, devaient tirer par-dessus le camion.

5 C'est une chance, cela a été une chance pour moi. Le camion m'a protégé en

6 quelque sorte. Les deux groupes ont dû tirer par-dessus le camion. Comme

7 il faisait nuit, comme je vous ai dit qu'à l'école, il était 24 heures,

8 nous étions dans une heure avancée de la nuit, la proximité de la forêt

9 m'a sauvé la vie.

10 J'ai réussi à courir jusqu'à la forêt, j'ai touché de mon visage

11 les premières branches de cette forêt. Là-bas, on ne voyait rien du tout.

12 Je suis tombé par terre, j'ai roulé ; de l'autre côté, il y avait une

13 espèce de pente abrupte. J'ai fait un roulé-boulé vers le bas, j'ai

14 continué à entendre des rafales. Certains tirs étant plus rapprochés et

15 d'autres étant plus éloignés. J'ai compris par la chose qu'on m'avait

16 suivi et que l'on tirait après moi. Les autres tirs venaient là-bas du

17 camion. Je suis arrivé à un ruisseau. Je me suis arrêté là-bas. Je ne

18 pouvais plus avancer, je n'y voyais rien du tout. L'obscurité était

19 totale. Je suis resté abrité derrière un rocher.

20 M. McCloskey (interprétation). - Que ressentiez-vous à ce

21 moment-là ?

22 Témoin D (interprétation). – Ce que je ressentais était quelque

23 chose de très pénible. C'est la chose la plus pénible que j'ai connue de

24 ma vie, dans tout ce que je viens de vous raconter, le moment le plus

25 difficile a été lorsque j'ai été privé de mon enfant. Je n'ai rien pu dire

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1 à mon enfant. Je regrettais le fait de ne pas avoir adressé ne serait-ce

2 qu'une parole à mon enfant.

3 Mais, cette fois-ci, j'ai senti que j'étais libre, j'ai senti

4 également, j'avais l'appréhension d'être retrouvé : les menaces qui

5 avaient été proférées pouvaient fort bien être réalisées, exécutées. Je me

6 suis dit que je serais torturé, capturé à nouveau, et torturé. Ces images

7 ont été si fortes que la peur m'avait brisé au maximum. Tout mon corps

8 tremblait comme si vous vous trouviez confronté à un froid immense. Cela a

9 duré fort longtemps, pendant deux heures, jusqu'à l'aube même.

10 M. McCloskey (interprétation). - Pouvez-vous confirmer que

11 pendant les sept jours qui ont suivi, vous vous êtes déplacé dans le

12 secteur en tâchant de trouver par vos propres moyens un territoire libre,

13 en vous repérant à différents points du paysage ?

14 Témoin D (interprétation). – Oui, j'ai passé sept jours à errer,

15 tout seul. Je n'avais rien à manger, tout ce que j'avais c'était peut-être

16 des fruits qui n'avaient pas encore mûri, des pommes qui n'étaient pas

17 mûres du tout. J'étais épuisé. Et la blessure que j'avais à la jambe,

18 s'était infectée. Cela me causait beaucoup de problèmes.

19 M. McCloskey (interprétation). - Pouvez-vous également confirmer

20 que, pendant sept autres jours, vous avez erré, et vous avez enfin

21 rencontré un certain nombre d'hommes musulmans qui se trouvaient dans la

22 même situation que vous ?

23 Pouvez-vous confirmer enfin que vers la fin de ces quatorze

24 jours, vous avez pu vous échapper en compagnie d'autres hommes, en

25 empruntant la route qui se rend vers Kladanj ?

Page 1301

1 Témoin D (interprétation). – Oui, un peu plus de sept jours, à

2 savoir le 27 juillet, j'arrive en territoire libre. J'ai rencontré un

3 groupe avec lequel nous avons descendu une petite rivière. Cette rivière

4 se trouvait entre les deux lignes, il nous fallait bien passer par là. Le

5 terrain était miné. Nous avons vu beaucoup de cadavres. Quand je dis

6 beaucoup, pas moins d'une dizaine qui étaient dans cette petite rivière.

7 Et cette rivière formait des cascades, et cela s'appelait Jezernica. Le

8 terrain était peu accessible et intensément miné.

9 Nous avons traversé des champs de mines. L'une des personnes

10 avait marché sur une mine qui a blessé quatre personnes. Je n'ai entendu

11 que des gémissements. J’ai regardais de côté et j'ai vu deux corps

12 ensanglantés. Je n'en ai pas vu d'autres.

13 Et, peu après, nous avons entendu des coups de feu. C'était des

14 soldats serbes qui tenaient une embuscade non loin de là, c'était

15 terrible. Les coups de feu de fusils-mitrailleurs, de fusils et autres se

16 confondaient. Les rochers, assez grands, qui se trouvaient là, nous

17 permettaient de bondir d'un rocher à l'autre, et de nous dissimuler. Mais

18 nous avons tous été blessés dans ces déplacements.

19 J'ai également été blessé pour ma part, mais peut-être plus

20 légèrement que d'autres personnes de ce même groupe. Nous, quatre, qui

21 n'étions pas blessés par l'explosion de la mine, nous avons tout de même

22 été blessés. L'un des quatre avait été grièvement blessé. Et nous avons

23 été trois à réussir à nous retrouver près d'une route goudronnée. Mais

24 nous n'arrivions pas à nous orienter, c’est-à-dire savoir dans quelle

25 direction nous diriger.

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1 Comme j'étais le moins blessé, j'ai décidé de me diriger dans

2 une direction, mais 500 mètres après à peine, nous avons rencontré deux

3 véhicules de couleur blanche, le premier véhicule s'est arrêté en arrivant

4 à nous, et le chauffeur qui s'adressait à nous parlait une langue

5 étrangère. Je crois qu'il s'agissait d'anglais, qu’il parlait anglais,

6 mais nous ne l'avons pas compris. A la deuxième voiture, le deuxième

7 véhicule qui suivait de peu le premier véhicule, le chauffeur parlait la

8 langue bosnienne. Il nous a dit : " Je vois que vous êtes blessé, avez-

9 vous besoin d'aide ? ".

10 Excusez-moi… Un homme de notre groupe avait témoigné de la

11 méfiance, en disant qu'il ne pouvait pas les croire. Une personne a montré

12 une carte d'identité, et nous avons compris qu'il en était ainsi, que

13 c'étaient des étrangers, et très rapidement nous nous étions trouvés sur

14 un territoire qui s'est avéré être un territoire libre.

15 M. McCloskey (interprétation). - Pourriez-vous donner les noms

16 de personnes dont vous savez qu’elles sont mortes cette nuit-là et qui se

17 trouvaient à l'intérieur du camion ?

18 Témoin D (interprétation). – Les gens que j'avais connus.

19 C'étaient d'abord Rizo, un homme qui était mon voisin, qui travaillait

20 pour le compte du Bataillon néerlandais. Il était tourneur ajusteur ou

21 électricien. Puis ensuite, je ne me souviens plus de son nom. Puis, il y

22 avait Fuad, et son frère, du village de Bajramovici. Puis, un homme qui

23 portait une béquille de Jagonja, il s'appelait Zaim Hasic. Il y avait un

24 infirmier, un technicien en médecine. Un autre qui s'appelait aussi Hasan

25 qui avait travaillé à l'hôpital de Srebrenica en temps de paix.

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1 M. McCloskey (interprétation). – Et nombre d’autres hommes dont

2 vous ne pouvez pas nous donner les noms, n’est-ce pas ?

3 Témoin D (interprétation). – Oui, les autres personnes je ne les

4 connaissais pas.

5 M. McCloskey (interprétation). – Monsieur le Président, je n'ai

6 plus de questions à poser au témoin.

7 M. le. Président. - Merci beaucoup, Monsieur McCloskey.

8 Maître Petrusic ou Maître Visnjic, de combien de temps, plus ou

9 moins avez-vous besoin pour le contre-interrogatoire, si vous êtes en

10 condition de le dire ?

11 M. Visnjic (interprétation). – Monsieur le Président, je suppose

12 que le contre-interrogatoire va durer bien plus longtemps que le temps que

13 nous avons à notre disposition.

14 Mais je tiens à profiter de l'opportunité pour poser une

15 question de principe, concernant la procédure et cela a trait à la

16 situation actuelle.

17 En effet, en notre qualité de conseil de la défense, nous avions

18 voulu proposer que la Chambre prenne une décision concernant les règles de

19 communication entre les parties en présence et les témoins. Il s'agit

20 notamment d'une question de principe liée à la procédure.

21 C'est-à-dire que lorsque le témoin commence à déposer sous

22 serment, aucune des parties en présence ne saurait s'approcher de lui,

23 l'approcher, sauf sur autorisation de la Chambre.

24 Je crois que la décision avait été prise dans le cas Kupreskic,

25 au paragraphe 18, et dans quelques autres affaires traitées par ce

Page 1304

1 Tribunal.

2 Et de par la communication que nous avons eue jusqu'à présent,

3 avec le Bureau du Procureur, je ne pense pas qu'il puisse eux aussi avoir

4 d'objection à formuler à ce sujet. Mais je les laisserai se prononcer sur

5 la question.

6 M. le. Président. – Maître Harmon, quelle est votre position à

7 propos de cette requête de la défense ?

8 M. Harmon (interprétation). – Bonjour Monsieur le Président,

9 bonjour Madame et Monsieur les Juges. Je salue mon collègue de la défense.

10 Monsieur Visnjic et moi-même, nous nous sommes entretenus de ce

11 problème précédemment. Nous n'avons pas d’objection a priori, dès lors

12 qu’il s’agit de discussions ayant directement trait à la déposition du

13 témoin. Mais, tout de même, il nous faut nous assurer de temps en temps de

14 l'état du témoin, lui faire part des dispositions que nous prenons pour

15 ses déplacements.

16 Il faut que, sur une base quotidienne, nous ayons des contacts

17 minimum avec le témoin, mais, bien sûr, nous n’abordons pas les questions

18 qui font l’objet de sa déposition.

19 Donc, en principe, pas d’objection quant à une absence de

20 communication avec le témoin, si cette communication a trait à la

21 déposition de ce dernier.

22 M. le. Président. - Maître Harmon, d’accord, donc ces contacts

23 que vous avez mentionnés comme nécessaires après avoir prêté serment, est-

24 ce que ces contacts ne peuvent pas être faits par le biais de l'unité des

25 victimes et des témoins, ou bien n’est-ce pas la tâche de l’unité des

Page 1305

1 victimes et des témoins de soigner les témoins ? C'est seulement un

2 éclaircissement.

3 M. Harmon (interprétation). – Tout à fait, Monsieur le

4 Président.

5 Nous travaillons en étroite coordination avec l’unité de

6 protection des victimes et des témoins, et des membres de mon équipe sont

7 en présence des témoins. Moi, je ne participe pas à tous ces entretiens.

8 Mais j'ai un assistant qui travaille en étroite coordination avec l’unité

9 des victimes et des témoins, et qui travaillent très étroitement avec les

10 victimes et les témoins qui viennent déposer. Mais il n'aborde jamais de

11 questions juridiques, jamais de questions de fond.

12 (Les Juges se consultent sur le siège.)

13 M. le Président. - Je crois que Mme le Juge Wald a des questions

14 qu'elle va vous poser.

15 Madame le Juge Wald, vous avez la parole.

16 Mme Wald (interprétation). - Monsieur Visjnic, vous avez entendu

17 les arguments que Me Harmon avançait en réponse à votre requête.

18 Effectivement, il doit y avoir accord sur le fait qu'il n'y a pas à avoir

19 des contacts avec le témoin dès lors que ces entretiens portent sur la

20 teneur même de la déposition.

21 Mais avez-vous une objection à élever quant au fait qu'il peut

22 être parfois nécessaire de s'entretenir avec le témoin pour des questions

23 logistiques ? Est-ce que vous seriez satisfait si l'accusation, dans de

24 tels cas, vous en informait, vous disait qu'il était nécessaire pour elle

25 d'avoir des entretiens avec le témoin sur des points de logistique, sur

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1 des points de transport, par exemple ? Ou bien souhaiteriez-vous être

2 présent lors de ces entretiens ? Qu'en pensez-vous ?

3 M. Visnjic (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,

4 dans le cas où ces questions ne sauraient être résolues d'une autre façon,

5 nous sommes certes d'accord pour que de tels contacts se fassent de la

6 façon que vous venez d'indiquer précisément, tout à l'heure.

7 Mme Wald (interprétation). - Merci.

8 Maître Harmon, est-ce que ceci vous satisfait ? Si jamais les

9 circonstances font que vous devez avoir un entretien avec le témoin pour

10 lui faire part de certaines données logistiques, et si vous devez

11 travailler en coordination avec le témoin et l'unité de protection des

12 victimes et des témoins, est-ce que vous acceptez la possibilité d'en

13 informer la défense ? Est-ce que cela vous pose un problème ?

14 M. Harmon (interprétation). - Absolument pas. Cela nous convient

15 tout à fait.

16 M. le Président. - Monsieur Harmon, vous pouvez vous asseoir,

17 merci beaucoup.

18 Maître Visnjic, j'aimerais bien quand même, avant de prendre une

19 décision, que la Chambre prenne une décision, savoir : est-ce que vous

20 demandez cela parce qu'une autre Chambre a décidé la même chose, ou vous

21 avez des raisons concrètes pour le faire ?

22 M. Visnjic (interprétation). - Nous n'avons pas de raisons

23 concrètes de le faire, Monsieur le Président. Nous avions souhaité que la

24 chose soit réglée d'une manière conforme au principe aux fins qu'il n'y

25 ait pas par la suite de malentendus ou de zones non dissipés où le flou

Page 1307

1 persisterait.

2 M. le Président. - Monsieur Harmon, une fois que vous avez dit

3 que vous avez parlé de cela, est-ce que c'est une façon préventive pour

4 que les choses n'arrivent pas, ou y a-t-il eu des problèmes ?

5 M. Harmon (interprétation). - Je n'ai pas connaissance de

6 quelque problème que ce soit.

7 Maître Visnjic est venu me voir ce matin. Il nous a dit qu'il

8 allait soulever cette question de principe devant la Chambre de première

9 instance. Nous lui avons manifesté que nous comprenions parfaitement ce

10 qu'il voulait faire. Il nous a fait part de tous les problèmes qu'il vient

11 de vous soumettre.

12 La seule chose que je me demanderais pour le moment, c’est si la

13 Chambre de première instance prend une décision dans le sens qu'elle a

14 évoqué, c'est que l'on nous permette d'expliquer tout ce qui se passe au

15 témoin, qui se trouve pour l'instant dans une situation où il y a peut-

16 être eu certains contacts entre nous et lui-même, et qu'il s'attend peut-

17 être à ce qu'il y ait d'autres contacts avant la fin de l'audience.

18 M. le Président. - Excusez-moi, mais je crois que je n'ai pas

19 compris ce que vous avez dit, Monsieur Harmon. C'est ma faute, sûrement.

20 (Les Juges se consultent sur le siège.)

21 Voulez-vous répéter, s’il vous plaît ? Excusez-moi,

22 Monsieur Harmon, s'il vous plaît ?

23 M. Harmon (interprétation). – Ce que je viens de dire à la

24 Chambre de première instance revient à ceci : si la Chambre de première

25 instance décide de trancher en faveur de M. Visnjic, il faut informer le

Page 1308

1 témoin qui est présent ici des raisons pour lesquelles désormais nous

2 n'aurons plus de contact avec lui, nous n'aurons plus de contact après

3 l'audience de ce matin. Il faut que tout cela soit clair pour lui, parce

4 qu’il se trouve en plein milieu de ce débat, il ne le suit pas forcément

5 très précisément.

6 L'autre point que je voudrais souligner est le suivant :

7 M. Visnjic dit dans sa requête que le Bureau du Procureur, à la fin de la

8 déposition, peut avoir un contact avec son témoin, c’est ce que nous

9 faisons d’habitude : " Merci d'être venu, bon retour en Bosnie ".

10 Nous aimerions pouvoir maintenir ce type de contact après la

11 déposition du témoin. Merci beaucoup.

12 M. le Président. - Avez-vous encore quelque chose à dire, Maître

13 Visnjic ?

14 M. Visnjic (interprétation). – Monsieur le Président, Madame et

15 Monsieur le Juge, ce que je voudrais seulement annoncer, c'est que je

16 soulèverai deux brèves questions lundi, chose que je n'ai pas le temps de

17 faire maintenant, compte tenu de l'heure qu'il est. Je le ferai au début

18 de notre prochaine session. Cela ne me prendra pas plus d'une demi-heure,

19 je crois.

20 M. le Président. - Une autre question, Monsieur Harmon, était de

21 savoir où nous en sommes par rapport aux prochaines semaines.

22 M. Harmon (interprétation). – Pour l'instant, Monsieur le

23 Président, nous sommes presque à jour avec le calendrier que nous nous

24 étions fixés.

25 La semaine prochaine, nous attendons la déposition de

Page 1309

1 14 témoins. A priori, c'est ce qui est prévu.

2 Nous n'avions pas pensé qu'aujourd'hui ce témoin ne pourrait pas

3 terminer sa déposition. Ce qui fait que nous devons tenir compte de cela

4 et que cela entraînera un certain retard dans notre calendrier.

5 Les personnes qui sont chargées de la gestion des contacts avec

6 les témoins, nous disent que nous devrions avoir une semaine complète de

7 séances la semaine prochaine, ce qui nous devrait nous permettre de faire

8 un travail assez intéressant.

9 M. le Président. - Pour les semaines suivantes, Monsieur

10 Harmon ? Jusqu'à la semaine du 2 mai, jusqu'à fin avril ? Vous avez déjà

11 des indications ?

12 M. Harmon (interprétation). – J’ai un certain nombre

13 d'informations. Nous avons un squelette de calendrier, si vous voulez.

14 A priori, nous avons des dépositions qui nous amènent jusqu'au

15 14 avril. A vrai dire, j'ai calculé le nombre total de témoins qui

16 viendront déposer. Donnez-moi un instant, je pourrais essayer de vous

17 présenter un chiffre à peu près exact. Je pourrais vous dire combien de

18 témoins nous pourrons entendre d’ici le 14 avril.

19 M. le Président. – Le problème de la Chambre, c'est de savoir…

20 Comme vous le savez, il y avait cette question de remplir des semaines qui

21 auparavant étaient assignées à une autre affaire.

22 Donc, ce que je voulais conclure, c’est que nous allons avoir

23 des témoins pour cette semaine ? C'est cela simplement, Monsieur Harmon ?

24 M. Harmon (interprétation). – Effectivement, Monsieur le

25 Président.

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1 Et nous aurons des dépositions jusqu'au 14 avril, comme indiqué

2 dans le calendrier fourni initialement. A priori, ensuite il y a une

3 pause. Nous n'avons pas prévu les deux semaines d'audience qui sont

4 prévues par la suite, si je ne m'abuse. Nous n'avons pas encore prévu les

5 dépositions des témoins qui devraient venir après cette interruption que

6 nous devrions avoir.

7 M. le Président. – Donc, même si vous n'avez pas encore prévu de

8 témoins pour ces semaines, nous avons des témoins jusqu'au 14, vous pouvez

9 encore considérer les autres semaines, si je peux comprendre ?

10 M. Harmon (interprétation). – C'est parfaitement exact.

11 M. le. Président. – Vous pouvez vous asseoir, Monsieur Harmon,

12 merci beaucoup.

13 Par rapport à la requête de la défense et avec l'opinion du

14 Procureur, la Chambre rendra une décision orale lundi prochain.

15 Je vous rappelle donc que nous allons revenir ici lundi prochain

16 à 9 heures 30.

17 Et là, nous aurons encore l'opportunité de voir les points que

18 la défense veut soulever.

19 Je voudrais, pour l'instant, seulement m'adresser au témoin pour

20 lui dire que nous avons tout fait pour le libérer aujourd'hui. De toute

21 façon, malheureusement, nous n'avons pas réussi. Donc vous allez passer le

22 week-end ici, et vous allez continuer votre témoignage lundi prochain.

23 Il n'y a pas d'autres questions.

24 Il faut seulement dire que la semaine prochaine le Juge Wald ne

25 sera pas avec nous pendant trois jours. La Chambre va siéger à deux Juges,

Page 1311

1 le Juge Fuad Riad et moi-même, dans les termes que vous avons déjà faits,

2 dans les termes de l'article 15 bis du Règlement.

3 Je vois qu'il n'y a pas d'autres questions, je lève la séance en

4 m'excusant un peu pour le retard aujourd'hui.

5 Bon week-end pour vous.

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7 L’audience est levée à 14 heures 38.

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