Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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4 Mardi 04 avril 2000

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6 L'audience est ouverte à 09 heures 50.

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8 (L'accusé est introduit dans le prétoire)

9 M. le Président. - Bonjour mesdames, messieurs. Bonjour à

10 l'accusation, bonjour à la défense. Bonjour général Krstic.

11 Je crois que les interprètes m'entendent ?

12 Interprètes. - Oui, monsieur le Président.

13 M. le Président. - Bonjour aussi à la cabine technique. Nous

14 allons donc reprendre aujourd'hui notre affaire Krstic. Nous sommes les

15 mêmes aujourd'hui, ceci pour le compte rendu. Nous allons continuer avec

16 le témoignage de Mme Malagic.

17 Bonjour, madame Malagic. Vous vous êtes bien reposée ?

18 Mme Malagic (interprétation). - Bonjour. Oui, je me suis bien

19 reposée, monsieur le Président.

20 M. le Président. - Vous allez continuer à répondre aux questions

21 de M. Cayley.

22 C'est à vous, monsieur Cayley, s'il vous plaît.

23 M. Cayley (interprétation). - Bonjour, monsieur le Président,

24 bonjour madame et messieurs les Juges. Je salue mes éminents collègues de

25 la défense.

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1 Bonjour, madame Malagic. Avant toute chose, je vous rappelle que

2 vous êtes toujours sous le serment que vous avez prononcé hier. La

3 deuxième chose que je souhaite vous dire afin de vous rafraîchir la

4 mémoire est qu'hier nous sommes arrivés à un certain point de votre

5 déposition ; je souhaite vous le rappeler. Vous vous en rappellerez peut-

6 être.

7 Vous étiez en train d'expliquer aux Juges le voyage que vous

8 avez entrepris entre Potocari et Kladanj. Vous avez dit être arrivée sur

9 un des points de la route entre Bratunac et Konjevic Polje. Et à ce

10 moment, vous avez aperçu des groupes d'hommes se déplaçant dans une

11 prairie à proximité de Santici.

12 Est-ce que vous pourriez, s'il vous plaît, poursuivre votre

13 récit des événements auxquels vous avez assisté à partir de ce moment-là ?

14 A partir du moment où vous êtes arrivée à Kladanj ?

15 Mme Malagic (interprétation). - Oui. Lorsque nous avons traversé

16 cet espace à côté du pré dont j'ai parlé, je savais qu'il s'agissait-là

17 d'hommes, des nôtres qui avaient été arrêtés par des soldats serbes.

18 L'autocar ne s’est plus arrêté. Nous avons poursuivi notre chemin vers

19 Nova Kasaba. Nous sommes passés par Milici, Vlacenica.

20 Une fois à Vlacenica, l'autobus s’est arrêté ; il y avait une

21 panne quelconque, d'après ce que le chauffeur nous a expliqué. Je crois

22 qu'il avait un pneu de crevé et ils ont changé de pneu.

23 L'un des soldats serbes qui se trouvait là-bas est monté dans le

24 bus, mais il ne nous a pas adressé la parole. Il avait apporté 3 pommes et

25 il les a données aux enfants qui étaient sur le siège avant. Il a quitté

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1 l'autobus. Le chauffeur est remonté dans le bus et nous avons continué

2 notre chemin.

3 Lorsque nous sommes arrivés, je crois que la localité s'appelait

4 Tica, je ne suis plus sûre de l'endroit exact. Les autocars se sont tous

5 arrêtés. Le chauffeur nous a dit que nous devions quitter les autocars et

6 continuer la route à pied. Nous sommes sortis là.

7 A côté des autobus il y avait des soldats serbes qui nous

8 attendaient là-bas. Etant donné qu'il n'y avait plus d'hommes dans

9 l'autocar où je me trouvais -il n'y avait que des femmes et des enfants

10 notamment- ils nous ont montré le chemin par où il fallait continuer la

11 route. On nous a indiqué que nous serions attendus par "les nôtres" -pour

12 reprendre leurs termes.

13 Nous avons donc poursuivi notre chemin. Et selon les récits

14 d'autres personnes, ce sont les hommes qui s'étaient trouvés dans les

15 autocars. Là où il y avait beaucoup de jeunes filles, il y a des gens qui

16 avaient été mis de côté par les soldats serbes. Moi, je ne l'ai pas vu.

17 Nous avons donc continué en colonne. Je ne sais pas combien de

18 kilomètres nous avons faits, mais nous sommes arrivés à une ligne de

19 démarcation. A la première localité, nous avons été accueillis par des

20 soldats de la Forpronu. Je crois qu'il s'agissait du Bataillon

21 pakistanais. Nous étions à peu près à l'entrée de Kladanj.

22 Nous avons été accueillis avec des sandwiches, des vivres, des

23 boissons chaudes. Il y avait quelques véhicules de la Croix Rouge pour les

24 gens qui étaient exténués ou trop âgés pour être transportés plus loin.

25 Une heure à peu près par la suite... enfin, après, je ne sais

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1 pas exactement puisque je n'avais pas de montre, d'autres autocars sont

2 arrivés qui nous ont transportés jusqu'à Dubrave.

3 C'est vers la tombée de la nuit qu'avec mon fils, Adnan Malagic,

4 et les autres voyageurs nous sommes arrivés à Dubrave.

5 C'est là que nous avons été accueillis par la soeur de mon mari

6 qui m'avait déjà vue à Zivinice, pour ce qui me concerne. Je n'ai pas

7 passé la nuit ailleurs. Ses parents m'ont transportée jusqu'à Zivinice.

8 C'est là que j'ai passé la nuit. Le lendemain, ils nous ont déclaré

9 présents aux autorités. Nous avons été installés dans une école et nous

10 avons attendu d'être hébergés dans des maisons construites par la

11 Forpronu.

12 C'est ainsi que s'est terminé notre malheureux périple, si je

13 puis m'exprimer ainsi. Les choses que j'ai prononcées à ce jour, je

14 voudrais achever mon récit par un fait qui est important pour ce Tribunal,

15 je pense.

16 Avec la chute de Srebrenica et la prise de Srebrenica par les

17 soldats serbes, la prise de cette zone protégée par les Nations Unies, on

18 a détruit de la façon la plus cruelle trois générations de personnes. Ce

19 fait-là peut être appuyé par un exemple récent qui provient de ma famille.

20 Mon beau-père, Omer Malagic, qui est né en 1926, avait 3 fils

21 dont mon mari, Salko Malagic né en 1948, et ses 2 frères ; à savoir Osman

22 Malagic né en 1953, Dzafer Malagic né en 1957, et les trois petits-

23 enfants, c'est-à-dire mes 2 fils, Elvir Malagic né en 1973 et Admir

24 Malagic né en 1979, et Samir Malagic né en 1975. C'est le fils du frère de

25 mon mari.

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1 De telles familles dans Srebrenica, dans la Bosnie orientale, il

2 y en a des centaines. Cela témoigne et illustre les dimensions du génocide

3 qui a été perpétré par les soldats serbes sous la direction des généraux

4 de l'époque, Rlatko Mladic, Stanislav Krstic et autres dont je ne me

5 souviens plus des noms.

6 Je vous remercie de votre attention et de m'avoir fourni

7 l'opportunité de parler de tout ceci devant ce Tribunal.

8 M. Cayley (interprétation). - Madame, je ne veux pas

9 m'appesantir plus que nécessaire sur les tragédies que vous avez vécues.

10 Mais il y a un certain nombre de pièces que je voudrais vous montrer. Ce

11 seront les dernières pièces de ce type parce que je souhaiterais que vous

12 nous confirmiez certaines des choses qui apparaissent sur ces pièces.

13 Je voudrais que l'on vous montre la pièce 80 de l'accusation,

14 s'il vous plaît.Et si M. l'huissier pouvait passer à la page de cette

15 liste où il apparaît qu'il y a des passages qui sont surlignés en jaune,

16 il y a notamment un nom qui est surligné.

17 Madame Malagic, j'en reviens à ce que vous avez dit au tout

18 début de votre déposition, lorsque vous avez déclaré que, la dernière fois

19 que vous avez vu votre fils Elvir, c'est quand vous l'avez aperçu sur un

20 camion des Nations Unies entre Srebrenica et Potocari. Je vous demande de

21 jeter un coup d'œil sur la liste que vous avez sous les yeux et je vous

22 demanderai d'identifier ou de lire le nom qui apparaît surligné en jaune

23 sur cette liste.

24 Mme Malagic (interprétation). - Vous parlez du nom de mon fils

25 qui figure sur cette liste, Elvir Malagic ?

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1 M. Cayley (interprétation) - Oui, s'il vous plaît. Pouvez-vous

2 confirmer ce nom ?

3 Mme Malagic (interprétation). - Je ne vous comprends pas très

4 bien.

5 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que le nom de votre fils

6 apparaît sur cette liste qui vient de vous être remise ?

7 Mme Malagic (interprétation). - Oui, je vois. Malagic Elvir,

8 1960. Mais là il s'agit d'une erreur, mon fils est né en 1973. C'est mon

9 fils, je l’ai vu dans ce camion, il a élevé le bras pour me saluer.

10 Quant aux autres membres de notre famille qui se trouvaient dans

11 cette base de la Forpronu après la chute de Srebrenica, on m'avait

12 confirmé qu'il avait été avec eux, justement, tout le temps, et que les

13 soldats de la Forpronu -pour autant que j'ai pu l'apprendre-, avaient

14 établi cette liste. Cette liste avait fait son apparition à Tuzla, je l'ai

15 vue, cette liste.

16 Une fois que nous sommes rendus dans une base de la Fropronu,

17 nous avons été accueillis par un soldat, je ne connais pas du tout son

18 grade, et il m'avait dit qu'il n'y avait pas son supérieur présent sur

19 place, et il s'était étonné de voir cette liste circuler en public. Il

20 voulait savoir qui avait fait parvenir cette liste.

21 M. Cayley (interprétation) - Pourrait-on maintenant montrer au

22 témoin la pièce de l'accusation 81, s'il vous plaît ?

23 Madame Malagic, vous avez précédemment dit dans votre déposition

24 que votre mari Salko et votre fils Admir s'étaient rendus dans la forêt

25 avec les autres hommes lors de la chute de Srebrenica. Quel âge avait

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1 Admir à ce moment-là ?

2 Mme Malagic (interprétation). - Il avait 15 ans et 5 mois.

3 M. Cayley (interprétation) - Monsieur l'huissier, pourriez-vous

4 s'il vous plaît placer cette photographie sur le rétroprojecteur ?

5 Madame, pourriez-vous très rapidement nous dire qui est l'homme

6 qui apparaît sur cette photographie ?

7 Mme Malagic (interprétation). - Oui, c'est mon mari, Salko

8 Malagic.

9 M. Cayley (interprétation) - Madame, merci infiniment de votre

10 patience. Je vais maintenant céder la parole à l'avocat de la défense qui

11 a sans doute un certain nombre de questions à vous poser. Les Juges en

12 auront peut-être également à vous poser. Merci, monsieur le Président.

13 M. le Président. - Merci, monsieur Cayley.

14 Madame Malagic, maintenant vous allez répondre aux questions

15 que, je vois, Me Petrusic va vous poser. C'est l'avocat de la défense du

16 général Kristic. Il va aussi bien vous traiter, comme je l'ai dit par

17 rapport à M. Cayley.

18 Maître Petrusic, vous avez la parole.

19 M. Petrusic (interprétation). - Bonjour, monsieur le Président,

20 madame et monsieur le Juge. Bonjour, messieurs les collègues de

21 l'accusation. Bonjour, madame Malagic.

22 Mme Malagic (interprétation). - Bonjour.

23 M. Petrusic (interprétation). - Je me propose de poser une seule

24 question et cela s'enchaîne sur la fin de l'interrogatoire de M. Cayley.

25 Est-ce que c'est votre conclusion à vous que de dire que tout est la faute

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1 du général Mladic et du général Krstic ?

2 Mme Malagic (interprétation). - Mon opinion personnelle, c'est

3 que ces soldats qui ont commis le génocide, qui en quelques journées

4 seulement ont tué, fusillé, et je ne sais de quelle façon encore détruit

5 des dizaines de milliers de gens, avaient agi probablement sur ordre de

6 leurs généraux. Un homme seul ne pouvait pas le faire. Mais je crois

7 qu'ils ont pu donner des ordres en ce sens.

8 M. Petrusic (interprétation). - Je n'ai plus de questions,

9 monsieur le Président.

10 M. le Président. - Monsieur Cayley, des questions

11 supplémentaires ? Non.

12 Monsieur le Juge Fuad Riad ?

13 M. Riad (interprétation). - Merci, monsieur le Président.

14 Bonjour, madame Malagic. Nous sommes bien conscients des

15 tragédies que vous avez traversées, madame, et nous vous faisons part de

16 toute notre sympathie. Nous admirons votre courage. Je voudrais simplement

17 essayer d'y voir un peu plus clair, et je voudrais vous poser deux ou

18 trois questions d'ordre général puis quelques questions un peu plus

19 détaillées.

20 Vous nous avez expliqué que plusieurs générations ont été

21 exterminées. Vous avez expliqué que votre beau-père, qui devait être un

22 homme âgé, avait été abattu. Vous avez parlé de votre mari et de vos

23 beaux-frères, Salko et Osman ; vous avez parlé de vos fils, Elvir et

24 Admir, mais vous n'avez pas parlé d'Adnan, qui avait 11 ans.

25 Est-ce que Admir et Elvir prenaient part aux brigades qui

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1 étaient impliquées dans les combats ? Est-ce que ces jeunes gens avaient

2 des activités militaires de quelque nature que ce soit ? Ou bien ont-ils

3 été emmenés parce qu'ils symbolisaient la nouvelle génération, la jeunesse

4 de la population musulmane ?

5 Mme Malagic (interprétation). - Mes enfants -et il y a eu des

6 milliers de cas analogues à Srebrenica-, en 1972, au mois d'avril, déjà,

7 Admir Malagic était en sixième année de primaire. Il avait 12 ans. Par

8 conséquent, avec la chute de Srebrenica, il avait 15 ans. De ce fait,

9 selon toutes les normes et toutes les règles en vigueur, il ne pouvait pas

10 être un soldat.

11 Et l'autre fils et le cadet que j'ai cités n'étaient pas

12 soldats. Etant donné que, en 1993, en début de l'année 1993, lorsque la

13 Forpronu avait accédé à la zone de sécurité de Srebrenica, une fois qu'on

14 avait déclaré cette zone comme étant une zone de sécurité, il a été

15 procédé à une démilitarisation. Même ceux qui avaient été soldats et qui

16 disposaient de certaines armes avaient dû remettre ces armes aux soldats

17 de la Forpronu.

18 Ce qui fait que tous ces jeunes gens n'avaient pas d'armes, ils

19 avaient les mains nues, peu de vêtements, pas de chaussures, pratiquement.

20 A mon sentiment, ils n'étaient plus soldats, ils n'avaient plus de quoi se

21 défendre. Ils avaient cru qu'ils seraient protégés, qu'ils seraient

22 sauvegardés par la Forpronu et qu'ils seraient transportés en sécurité

23 vers une destination quelconque, aux fins de se voir garantir ne serait-ce

24 qu'une vie sûre.

25 Pour ce qui est d'Adnan Malagic, mon fils cadet, je ne l'ai pas

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1 mentionné pour une raison, et je vous remercie d'avoir parlé de lui. Les

2 traumatismes qu'il a vécus font sentir leurs séquelles encore de nos

3 jours.

4 M. Riad (interprétation). - Bien sûr. Mais êtes-vous absolument

5 convaincue que toutes ces personnes, tous vos proches ont disparu ? Ou

6 bien simplement, jusqu'à présent, vous n'avez pas eu de leurs nouvelles et

7 que vous êtes toujours à leur recherche ?

8 Mme Malagic (interprétation). - En notre qualité de mère,

9 d'épouse, de sœur, nous cherchons encore nos disparus et nous espérons

10 encore. Mais quelque part, en notre fort intérieur, après tant d'années,

11 nous avons une forte appréhension, à savoir celle que nos êtres chers ne

12 sont plus parmi les vivants.

13 M. Riad (interprétation). - Vous avez expliqué que, lorsque vous

14 avez vu les soldats serbes emmener des hommes dans ces salles où avaient

15 lieu les interrogatoires, vous avez dit qu'ils ne revenaient jamais. Est-

16 ce que ce sont vos propres conclusions que vous avez tirées de ce que vous

17 avez observé, ou bien y a-t-il des éléments de preuve catégoriques qui

18 permettent de dire que ces hommes ne sont jamais revenus ?

19 Mme Malagic (interprétation). - Je ne suis pas entrée dans de

20 telles maisons. Il y a des femmes qui étaient avec moi sur place, dont les

21 enfants étaient en question, qui avaient été donc emmenées, et qui ne

22 pouvaient, qui ne voulaient pas, compte tenu de la douleur qu'elles

23 ressentaient laisser tomber. Elles se sont rendues pour visiter des

24 maisons, elles ont vu des personnes égorgées, des têtes coupées. Elles ont

25 vu beaucoup de sang dans ces maisons.

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1 Et, par exemple, derrière cette maison, derrière l'usine de

2 zinc, elles ont vu dans la localité appelée Budak beaucoup de gens. Un

3 voisin, mon premier voisin qui m'avait interrogée sur le sort des miens

4 avait vu un soldat serbe emmener deux personnes vers Budak.

5 Pendant qu'il leur avait dit de l'attendre, il est arrivé

6 d'autres soldats serbes. Il connaissait un de ces soldats. Et on lui avait

7 demandé ce qu'il attendait, il avait dit qu'il attendait le soldat serbe

8 qui lui avait dit d'attendre. L'autre lui avait montré de la main les

9 autres soldats alignés le long de la maison, et il lui a dit : "Mais ce

10 sont des égorgeurs, ils attendent pour vous égorger, fuis vers les autobus

11 et les camions !".

12 Il y avait là un soldat serbe que je n'avais pas vu et que je ne

13 connaissais pas, qui l'avait fait monter dans un camion et qui l'a sauvé,

14 en fin de compte, parce que cet homme vit encore à Tuzla.

15 Il y a beaucoup d'histoires de ce type. Je ne sais pas si ces

16 personnes-là vont se présenter devant ce Tribunal pour raconter les

17 détails qu'ils ont vus personnellement. Je ne suis pas entrée dans ces

18 maisons et je ne puis affirmer avoir vu cela, mais je crois bien que les

19 pires des choses se sont passées là-bas.

20 M. Riad (interprétation). - Et tout ceci a été perpétré contre

21 toutes les générations d'hommes qui se trouvaient sur place, c'est bien la

22 conclusion à laquelle vous êtes arrivée ?

23 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

24 M. Riad (interprétation). - Et qu'en était-ils des femmes ?

25 Mme Malagic (interprétation). - Selon des renseignements

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1 officieux, je n'en suis pas du tout sûre, on dit qu'il y avait quelque

2 1000 femmes de Potocari qui ne sont pas arrivées à destination, la plupart

3 étant des jeunes femmes et 650 d'âges inférieurs à 12 ans qui avaient été

4 avec leurs parents à Potocari. C'est un chiffre officieux.

5 Il y a des femmes qui ont vu des enfants égorgés, qui se

6 trouvaient sur un site qui se trouvait dans les champs de maïs, derrière

7 cette usine. Le jeudi matin, il y avait des bandes qui entouraient cette

8 parcelle et des soldats qui interdisaient tout accès. Je ne l'ai pas vu.

9 Mais ce sont des chiffres qui découlent des récits des femmes à qui on a

10 enlevé leurs enfants, qui ont véritablement vécu des crises de nerfs

11 puisqu'on avait égorgé leurs enfants devant elles.

12 M. Riad (interprétation). - Ma dernière question, Madame, est la

13 suivante. Vous avez parlé de ces autobus. Vous avez dit quelque chose

14 d'intéressant, vous avez dit avoir vu plusieurs autobus dont le siège

15 social se trouvait en Serbie. Donc, ces bus, d'après vous, provenaient de

16 Serbie et non pas de Bosnie ?

17 Mme Malagic (interprétation). - Oui, en effet. Leurs sièges,

18 avant la guerre, se trouvaient aussi en Serbie : "Strela" à Valjevo,

19 "3 Juli" à Cabac, "Raketa" à Titovo Uzice, "Lasta" à Belgrade, et bien

20 d'autres encore qui avaient entretenu des lignes régulières de transport,

21 qui arrivaient à Srebrenica. "Raketa" de Titovo Uzice reliait Srebrenica

22 avec Titovo Uzice - Belgrade...

23 M. Riad (interprétation). - Pardon de vous interrompre, madame.

24 Je vous demande si ces autobus sont venus sur place tout spécialement, ou

25 bien est-ce qu'avant la guerre ils étaient déjà utilisés dans le cadre

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1 d'un service routier ? Avez-vous appris d'une quelconque façon qu'ils

2 étaient venus de Serbie précisément pour transporter soit les régufiés

3 soit les condamnés ? Comprenez-vous ma question, madame ? Est-ce que ces

4 autobus n'étaient pas dans la région auparavant ?

5 Mme Malagic (interprétation). - Oui. Ces autobus sont arrivés,

6 je le sais spécialement pour nous, pour nous transporter. Il y avait une

7 très grande colonne d'autobus. Et le fait est exact, à mon avis, que cela

8 est vrai puisque, quand nous étions à Srebrenica, aucun autobus, voire

9 aucun véhicule excepté les véhicules appartenant à la Forpronu ne se

10 déplaçait à Srebrenica. Il n'y avait pas de transport. Rien ne

11 fonctionnait. Il n'y avait rien. C'était une vie que le monde civilisé ne

12 saurait connaître.

13 Nous n'avons pas vu ces autobus jusqu'à la chute de Srebrenica

14 pendant trois ans. Une fois la chute effectuée, ces autobus sont venus

15 pour nous transporter vers Kladanj.

16 M. Riad (interprétation). - Madame Malagic, merci infiniment. Et

17 pardon d'avoir eu à vous poser des questions qui remuent des souvenirs

18 pénibles pour vous. Vous êtes une femme d'un très grand courage. Merci.

19 Mme Malagic (interprétation). - Je tiens à vous remercier

20 également, et toutes les personnes qui nous ont fourni l'opportunité de

21 venir ici, et au moins de nous soulager l'âme pour raconter aux gens ce

22 qui s'est passé, pour leur approcher plus ou moins les événements qui ont

23 frappé la population de Srebrenica.

24 Nous souhaitons que ce qui s'est passé à Srebrenica n'arrive

25 plus à personne et que nos générations ne connaissent plus jamais un tel

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1 sort. Je vous remercie une fois de plus.

2 M. le Président. - Merci beaucoup, Monsieur le Juge Riad.

3 Madame Malagic, je crois que Mme le Juge Wald a aussi des

4 questions pour vous.

5 Mme Wald (interprétation). - Madame Malagic, j'aurais une seule

6 question à vous poser. Le fils que vous avez aperçu à bord du camion de la

7 Forpronu qui se rendait de Srebrenica à Potocari, ce fils, vous ne l'avez

8 plus revu lorsque vous êtes arrivée à Potocari. Avez-vous tout de même

9 essayé de mener une enquête ? Je suis bien persuadée que vous avez essayé

10 de le trouver par vos propres moyens. N'avez-vous pas réussi à retrouver

11 sa trace ?

12 Mme Malagic (interprétation). - Bien sûr, je l'ai cherché à

13 Potocari ! Il a été difficile de le faire dans cette grande masse de gens.

14 Je me suis renseignée auprès des gens que je connaissais.

15 Au niveau de cette barricade, nous n'avions plus accès à la base

16 de la Forpronu. Ce sont les soldats de la Forpronu qui nous

17 l'interdisaient.

18 Une fois arrivée à Potocari, je ne l'ai plus revu. Ceux qui s'y

19 trouvaient ne pouvaient plus ressortir. Nous n'avons pas eu accès là-bas

20 jusqu'au moment où on nous a fait monter à bord des autobus.

21 Mme Wald (interprétation). - Vous pensez donc que votre fils de

22 15 ans a été placé à bord de ce bus avec les autres hommes, et que tout

23 cela s'est passé à Potocari, n'est-ce pas ?

24 Mme Malagic (interprétation). - Probablement. C'est probablement

25 ce qui s'est passé, d'après les récits des autres personnes qui étaient

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1 présentes, qui ont été séparées et emmenées de Potocari par des autobus

2 spéciaux.

3 Mme Wald (interprétation). - Madame Malagic, merci encore d'être

4 venue devant ce Tribunal.

5 M. le Président. - Madame Malagic, je n'ai pas de question à

6 vous poser. Mes collègues, le Procureur et la défense vous ont posé toutes

7 les questions.

8 Est-ce que vous avez quelque chose à déclarer que vous n'avez

9 pas eu l'opportunité de dire en réponse à ces questions ? Vous pouvez le

10 faire maintenant, madame Malagic.

11 Mme Malagic (interprétation). - Je tiens seulement à vous

12 remercier une fois de plus, tous, et vous dire qu'hier après-midi, lorsque

13 je suis sortie d'ici, je me suis promenée dans cette ville. Je tenais à

14 vous le dire. Je n'ai pas eu l'opportunité d'en voir beaucoup.

15 Mais ce qui m'a impressionné c'est un monument que nous avons

16 visité. Je ne sais pas si je vais bien m'exprimer. C'est un monument des

17 femmes qui attendent des marins qui ne sont jamais revenus. Cela m'a

18 touchée. Je tiens à acheter une reproduction de ce monument pour

19 l'emporter en Bosnie.

20 Il se peut que ce soit une bonne comparaison entre nous, mères

21 de Srebrenica, qui attendons depuis autant d'années nos êtres chers. Je

22 crois que seules les voies sont différentes. Nous nous tournons vers ces

23 forêts désertes dont ne sont jamais revenus nos enfants. Nous n'avons

24 jamais pu apprendre s'ils sont morts ou vivants. Nous n'avons pas su où se

25 trouvent leurs os. Et je crois que bien d'autres personnes ont fini ainsi,

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1 puisque avec chaque jour qui passe il y a de moins en moins d'espoir pour

2 nous.

3 Je vous remercie.

4 M. le Président. - Nous partageons vos souffrances, madame, et

5 celles de toutes les autres personnes. J'espère que dans votre malheureux

6 périple, comme vous avez dit, au moins vous avez la sensibilité d'avoir la

7 poésie pour dépasser toutes ces souffrances. Mais la réalité est souvent

8 plus dure que la poésie.

9 Vraiment, ces événements, en premier lieu et indépendamment de

10 qui sont les responsables, font la honte de l'humanité.

11 Nous espérons donc que vous pourrez retrouver l'espoir, et

12 surtout que vous puissiez rester avec cette sensibilité que vous avez

13 montrée ici.

14 Nous vous remercions beaucoup d'être venue, et nous vous

15 souhaitons un bon retour dans votre pays.

16 M. Dubuisson. - Avant que nous libérions le témoin, il y a deux

17 pièces à conviction dont j'aimerais connaître le sort.

18 M. le Président. - Oui.

19 Madame Malagic, vous allez rester encore un petit temps.

20 Monsieur Cayley ?

21 M. Cayley (interprétation). - Oui, merci, monsieur le Président.

22 Pour ce qui est de la pièce de l'accusation 80, nous en

23 demanderons le versement au dossier par le biais d'un autre témoin.

24 En revanche, je demande le versement au dossier de la

25 photographie qui constitue la pièce de l'accusation 81.

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1 M. le Président. - Maître Petrusic, avez-vous des objections ?

2 M. Petrusic (interprétation). - Non, monsieur le Président.

3 M. le Président. - Donc la pièce à conviction 81 est versée au

4 dossier. Et nous attendons encore le destin de la pièce à conviction 80.

5 C'est cela, monsieur Cayley ? D'accord, la pièce est versée.

6 Maintenant, madame Malagic, nous vous remercions encore une

7 fois. Merci beaucoup.

8 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)

9 M. le Président. - Monsieur Cayley veut prendre la parole ?

10 M. Cayley (interprétation). - Effectivement, Monsieur le

11 Président.

12 Nous souhaitons appeler à la barre un autre témoin, le

13 commandant Franken qui était le commandement en second du Bataillon

14 néerlandais, mais il faut que l'interprète néerlandais entre dans la salle

15 d'audience. Il va aider le témoin à comprendre ce qui se passe. Il

16 interprétera ses propos. Je ne sais pas si vous voulez faire une pause de

17 5 minutes. Ou bien l'interprète peut simplement rentrer dans la salle

18 d'audience parce qu'il est dans les locaux.

19 M. le Président. - Y a-t-il des mesures de protection

20 demandées ? Non. C'est donc une session publique.

21 Je profiterai de la suggestion de M. Cayley pour savoir la

22 question que nous avions encore à traiter : la décision sur les contacts

23 de témoins. On pourrait faire une pause maintenant et préparer les choses.

24 Je ne sais pas si c'est à vous ou à Me Harmon de nous dire quel

25 est l'état de la situation par rapport à cette décision.

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1 Comme je vous l'ai dit, je ne peux pas être ici demain. On

2 pourrait donc rendre la décision aujourd'hui avec la Chambre complète.

3 C'est un peu l'idée.

4 Je crois que M. Harmon veut prendre la parole. On va discuter de

5 cela. Et après on fait la pause. S'il vous plaît, Maître Harmon ?

6 M. Harmon (interprétation). - Effectivement, monsieur le

7 Président, je serais heureux d'informer les Juges de la position qu'a

8 adoptée l'accusation face à la demande de la défense.

9 Les conseils de la défense et moi-même avons eu la possibilité

10 de nous entretenir et d'évoquer la proposition qui nous a été faite par la

11 Chambre.

12 Nous en sommes arrivés à la conclusion suivante. L'accusation et

13 la défense sont d'accord pour dire qu'il ne faut pas qu'il y ait de

14 contact avec le témoin après que celui-ci a prêté serment, après

15 l'interrogatoire principal, si vous voulez.

16 Nous sommes d'accord, la défense et nous-mêmes, pour dire que de

17 la même façon il ne faut pas que l'accusation ait des contacts avec les

18 témoins de la défense. Parfois, la défense peut avoir certains contacts

19 avec les témoins de l'accusation, mais ce sont des contacts extrêmement

20 limités, mais il faut que cela s'applique également dans l'autre sens,

21 entre l'accusation et les témoins de la défense. C'est la conclusion

22 conjointe à laquelle nous sommes arrivés avec les conseils de la défense

23 de M. Krstic.

24 M. le Président. - Monsieur Visjnic ?

25 M. Visnjic (interprétation). - Monsieur le Président, je ne puis

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1 que confirmer les dires de M. Harmon. Je voudrais seulement encore

2 souligner une chose, à savoir que nous avons entendu hier les raisons

3 avancées par l'accusation par rapport à la proposition que vous avez

4 formulée. Je tiens seulement peut-être à souligner les raisons qui animent

5 la défense

6

7 Je pense que la proposition de la Chambre est la meilleure des

8 solutions. Si nous y étions au premier jour du procès, je pense que cette

9 proposition serait la plus appropriée; en effet. Mais pour les raisons que

10 j'ai mentionnées hier de façon discrète et qui ont trait à un certain

11 nombre de témoins qui ont déjà défilé ici, je crois que M. le Procureur et

12 que la défense ont trouvé une solution qui, en ce moment-ci, satisfait aux

13 intérêts des deux parties en présence et qui est en effet acceptable pour

14 les deux parties.

15 Je dis donc que, en principe, je considère que votre proposition

16 est la meilleure des propositions possibles du point de vue du respect des

17 principes, mais je crois que la solution actuelle concilie les intérêts

18 des deux parties en présence.

19 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir, Maître Visjnic.

20 Nous allons donc prendre en considération vos avis et nous

21 allons prendre une décision. Peut-être nous allons trouver ce matin un bon

22 moment, peut-être il ne faut pas faire attendre le témoin. On va commencer

23 après la pause avec les témoignages. On va trouver un instant opportun

24 pour répondre à la question. Je crois donc que c'est opportun aussi de

25 faire la pause, on va donc faire une pause de vingt minutes.

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1 Monsieur Dubuisson, quand la Chambre revient, vous pouvez avoir

2 déjà le témoin dans la salle avec les choses préparées. OK ?

3 M. Dubuisson. - Très bien, monsieur le Président.

4 M. le Président. - Vingt minutes.

5 (L’audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 11 heures.)

6 (Le témoin Robert Franken est introduit dans le prétoire.)

7 M. le Président. - Nous allons donc reprendre notre audience.

8 Vous m'entendez, monsieur ?

9 M. Franken (interprétation). - Oui.

10 M. le Président. - Vous allez lire la déclaration solennelle que

11 M. l'huissier va vous tendre, s'il vous plaît.

12 M. Franken (interprétation). - Je déclare solennellement que je

13 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

14 M. le Président. - Pour l'histoire, je rappelle à l'interprète

15 que l'on considère aussi une continuation de votre travail, donc vous êtes

16 aussi sous serment. Vous pouvez vous asseoir. Merci d'être venu. Vous

17 allez répondre pour l'instant aux questions que M. Cayley va vous poser.

18 Merci beaucoup d'être venu. Monsieur Cayley, c'est à vous, merci.

19 M. Cayley (interprétation) - Merci, monsieur le Président.

20 Commandant Franken, nous parlons la même langue. A l'intérieur

21 de ce prétoire il y a des interprètes, les interprètes interpréteront donc

22 nos propos, et je vais aller lentement pour permettre une bonne

23 traduction. Si vous pouviez faire une pause avant de répondre, cela vous

24 permettra également de réfléchir, et de permettre aux interprètes de bien

25 interpréter.

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1 Votre nom est Robert Alexander Franken. Est-ce exact ?

2 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

3 M. Cayley (interprétation) - Vous êtes d'origine néerlandaise ?

4 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

5 M. Cayley (interprétation) - Vous êtes né le 24 août 1950 ?

6 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

7 M. Cayley (interprétation) - Et vous êtes commandant au sein de

8 l'armée néerlandaise ?

9 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

10 M. Cayley (interprétation) - Je crois que vous étiez officier

11 d'infanterie de spécialisation et de carrière au sein de l'armée

12 néerlandaise ?

13 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

14 M. Cayley (interprétation) - Ai-je raison de dire que vous vous

15 êtes joint à l'armée royale néerlandaise en 1970 ?

16 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

17 M. Cayley (interprétation) - Vous avez tenu plusieurs postes au

18 cours des trente années. Vous étiez commandant de l'infanterie mécanisée,

19 officier de l'armée de brigade, chef au sein de formation au sein d'une

20 unité de formation, officier de logistique au niveau du bataillon, au

21 niveau de la brigade. Est-ce que vous avez tenu tous ces postes ?

22 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

23 M. Cayley (interprétation) - Je crois que vous avez également

24 été formé en tant qu'officier d'air, c'est ce que nous voyons sur votre

25 uniforme. Est-ce exact ?

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1 M. Franken (interprétation). - Oui c'est exact.

2 M. Cayley (interprétation) - Au niveau de ce Tribunal, les

3 questions qui nous préoccupent, vous étiez donc deuxième au commandement à

4 l'intérieur de la 1ère Brigade d'infanterie néerlandaise à Srebrenica ?

5 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

6 M. Cayley (interprétation) - Vous étiez en poste depuis

7 janvier 1995 jusqu'à juillet 1995 à Srebrenica ?

8 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact, Srebrenica, en

9 fait à Potocari.

10 M. Cayley (interprétation) - Pourriez-vous expliquer aux Juges

11 la mission du Bataillon néerlandais à Srebrenica ou à l'intérieur de

12 l'enclave ? Quelle était votre mission ?

13 M. Franken (interprétation). - Notre mission était de, par notre

14 présence, essayer de démilitariser la région de l'enclave et de soutenir

15 les organismes humanitaires dans leurs tâches humanitaires, et les autres

16 organisations, les autres ONG.

17 M. Cayley (interprétation) - Vous étiez donc commandant du

18 bataillon. Pourriez-vous expliquer au Tribunal quelles étaient vos

19 responsabilités en tant que second au commandement ?

20 M. Franken (interprétation). - En fait, j'avais sous ma

21 responsabilité toutes les affaires internes du bataillon et une grande

22 partie des opérations, à part mes tâches en tant qu'officier, j'avais

23 également une fonction double. J'étais le S4 et le DCO du bataillon.

24 Très souvent, le bataillon établit des directives par lesquelles

25 le personnel fonctionne. C'est ce que je fais, j'ai établi ces directives.

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1 M. Cayley (interprétation) - Vous avez utilisé quelques

2 accronymes, le S4 : qu'est-ce que cela veut dire ? Pourriez-vous nous

3 expliquer ?

4 M. Franken (interprétation). - C'est un officier responsable

5 pour toute la logistique, c'est-à-dire la nourriture, les munitions, les

6 soins médicaux, etc.

7 M. Cayley (interprétation) - Lorsque vous avez parlé du DCO,

8 cela veut dire Deputy commanding officer, c'est-à-dire second en

9 commandement ?

10 M. Franken (interprétation). - Je suis désolé, je parle en

11 abréviation, c'est une déformation professionnelle.

12 M. Cayley (interprétation). - Qui était l'officier commandant du

13 Bataillon néerlandais ?

14 M. Franken (interprétation). - C'était M. Karremans.

15 M. Cayley (interprétation). - En tant que second commandement,

16 où étiez-vous basé pour la plupart du temps ?

17 M. Franken (interprétation). - Dans les quartiers-généraux de

18 Potocari.

19 M. Cayley (interprétation). - Quand vous dites "dans les

20 quartiers-généraux", étiez-vous présent dans la salle des opérations ?

21 M. Franken (interprétation). - Je n'étais pas toujours présent

22 dans la salle d'opérations, mais la salle d'opérations se rapportait

23 directement à moi. Lorsqu'il y avait des événements, je me rendais dans la

24 salle d'opérations. C'est à ce moment-là que je m'y rendais.

25 M. Cayley (interprétation). - Maintenant, cette salle

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1 d'opérations était le centre nerveux -si je comprends bien- du bataillon.

2 Est-ce exact ?

3 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

4 M. Cayley (interprétation). - Il y avait des rapports qui

5 entraient dans cette salle d'opérations. C'est là que les soldats

6 néerlandais, à l'intérieur de l'enclave, se rapportaient.

7 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

8 M. Cayley (interprétation). - Les rapports écrits, les avez-vous

9 lus, pour la plupart de ces rapports ? Ou avez-vous lu ces rapports ?

10 M. Franken (interprétation). - Non, les officiers se donnaient

11 les rapports les plus essentiels. Je lisais ces informations. C'était la

12 responsabilité des membres de la salle de me donner les moments les plus

13 importants.

14 M. Cayley (interprétation). - Pour clarifier, pour le compte

15 rendu, vous avez mentionné... je vais paraphraser ce que vous avez dit.

16 Vous avez dit que le second commandement établit la mission. En tant que

17 second commandement, vous vous assuriez que les règles soient suivies.

18 Est-ce exact ?

19 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

20 M. Cayley (interprétation). - Et vous étiez le plus haut gradé,

21 ou l'officier le plus haut gradé ?

22 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

23 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous travailliez avec

24 le colonel Karremans pendant son absence ?

25 M. Franken (interprétation). - Oui, cela faisait partie de mes

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1 tâches.

2 M. Cayley (interprétation). - Vous avez dit que la mission à

3 Srebrenica a été de démilitariser l'enclave. Pourriez-vous expliquer aux

4 Juges de cette Chambre si, d'après vous, cette enclave a jamais été

5 effectivement démilitarisée par le Bataillon néerlandais ?

6 M. Franken (interprétation). - Non, effectivement ce n'est pas

7 quelque chose que nous avons réussi à faire. Il y avait un point de

8 rassemblement des armes, là où nous avons pu rassembler un certain nombre

9 d'armes de taille très réduite, d'armes légères. Il y avait encore

10 beaucoup d'armes dans l'enclave.

11 En fait, de même que les bataillons qui nous avaient précédés

12 sur place, nous avons essayé de démilitariser l'enclave, mais nous étions

13 confrontés à toutes sortes de problèmes parmi lesquels nous n'avions pas

14 le droit de pénétrer dans des domiciles privés.

15 Lorsque nous voyions quelqu'un avec une arme, nous essayions de

16 le suivre et de l'attrapper, mais à partir du moment où il pénétrait dans

17 une maison nous devions nous arrêter ; nous devions appeler la police

18 locale pour voir si effectivement l'arme se trouvait toujours dans cette

19 maison. Nous avons essayé de faire cela un certain nombre de fois, mais le

20 résultat a toujours été le même : la police civile arrivait et disait

21 qu'il n'y avait pas d'armes.

22 A trois ou quatre reprises, nous avons réussi à prendre

23 quelqu'un sur le terrain, à l'extérieur, et là nous avons pu nous emparer

24 de l'arme. La procédure était ensuite la suivante : nous donnions un reçu

25 à cette personne et l'arme était apportée à ce point de rassemblement des

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1 armes dont j'ai parlé à l'instant.

2 M. Cayley (interprétation). - A part ces armes légères, quelles

3 autres armes se trouvaient à ce point de rassemblement ?

4 M. Franken (interprétation). - Il y avait un T55, c'est un tank

5 si vous voulez. Pour autant que je sache, il n'y avait pas de munitions

6 pour ce tank sur place.

7 Il y avait certaines pièces d'artillerie, et des pièces

8 d'artillerie faites à la main. Il y avait ces pièces qui appartiennent

9 normalement à un hélicoptère ou à un avion. Cette espèce de roquette était

10 montée sur 2 roues et utilisée comme telle, comme pièce d'artilleire. Mais

11 c'était quelque chose qui avait été fabriqué de toutes pièces.

12 M. Cayley (interprétation). - Pour que tout soit vraiment clair,

13 vous étiez chargé de désarmer les Musulmans qui se trouvaient à

14 l'intérieur de l'enclave, n'est-ce pas ?

15 M. Franken (interprétation). - C'est parfaitement exact.

16 M. Cayley (interprétation). - Commandant Franken, si vous aviez

17 été un Musulman vivant au sein de l'enclave de Srebrenica, est-ce que vous

18 auriez rendu votre arme ?

19 M. Franken (interprétation). - Au vu du fait que l'enclave...

20 Excusez-moi, je me tourne vers l'interprète. Etant donné que l'enlave

21 était dans un certain état, si vous voulez, nous étions entourés par des

22 Serbes très lourdement armés. Il y avait une petite unité des Nations

23 Unies qui se trouvait là, mais c'était une toute petite unité. Dans un

24 terrain aussi grand, il était difficile d'agir de façon très efficace. Et

25 puis, nous n'avions pas ordre de défendre l'enclave ; nous avions

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1 simplement ordre d'empêcher toute attaque.

2 Musulman dans une telle situation, non, je n'aurais pas remis

3 mon arme.

4 M. Cayley (interprétation). - Donc vous auriez gardé votre arme

5 si vous aviez été un Musulman résidant dans l'enclave de Srebrenica.

6 M. Franken (interprétation). - En effet.

7 M. Cayley (interprétation). - Les soldats, ou les personnes

8 musulmanes de Bosnie qui possédaient des armes et qui se trouvaient à

9 l'intérieur de l'enclave, de quelle structure militaire dépendaient-

10 elles ? Est-ce que vous le savez ?

11 M. Franken (interprétation). - Oui. Eh bien, au départ, cela

12 s'appelait le 8ème Groupe opérationnel. Ensuite, il a été appelé la

13 28e Division. Effectivement, c'était une division avec des brigades et des

14 rangs subordonnés. En-dessous de la brigade, il y avait une compagnie, je

15 crois, qui était sous les ordres de commandants non formés, si vous

16 voulez.

17 Mais ça, c'est l'organisation telle qu'elle existait sur le

18 papier. Sur le terrain, il n'y avait aucune structure réelle et aucune

19 discipline. Nous nous en sommes aperçus à plusieurs reprises. Il y avait

20 un certain nombre de dispositions prises avec les responsables de

21 divisions. Mais ces dispositions n'étaient pas respectées par les

22 commandants locaux.

23 A un certain nombre de reprises, nous avons dû demander au chef

24 de l'état-major de la division de se rendre sur une position musulmane

25 pour faire en sorte que ces positions nous permettent, à nous, de nous

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1 déplacer avec nos véhicules blindés, sinon ils ne nous laissaient pas nous

2 déplacer. Alors que la division avait bien précisé que nous devions avoir

3 liberté de mouvement, nous-mêmes et nos troupes, et que nous devions

4 pouvoir nous déplacer comme bon nous semblait.

5 M. Cayley (interprétation). - Vous avez précisé qu'il y avait

6 effectivement un quartier général de division. Ne vous y êtes-vous jamais

7 rendu ?

8 M. Franken (interprétation). - Je me suis rendu au portail de ce

9 quartier général de division.

10 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous décrire ce quartier-

11 général de division aux Juges de cette Chambre ?

12 M. Franken (interprétation). - Oui. Il s'agissait d'une salle de

13 réunion sans aucune carte à l'intérieur, sans équipement de communication,

14 de transmission. C'était simplement une salle contenant quelques tables.

15 Dans cette salle, il n'y avait qu'à peu près 10 personnes qui

16 constituaient l'équipe de la division.

17 M. Cayley (interprétation). - Vous êtes un officier de carrière.

18 Vous êtes dans l'armée depuis trente ans. Est-ce que cela ressemblait à un

19 quartier général de division ?

20 M. Franken (interprétation). - Absolument pas. Normalement, un

21 quartier général de division rassemble environ 100 officiers de liaison,

22 100 officier qui ont différentes spécialisations, et qui disposent de

23 cartes, qui disposent d'équipement.

24 Là, il n'y avait absolument pas d'équipement de transmission ni

25 de communication. Donc vraiment ! Cela ne ressemblait pas du tout à un

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1 quartier général de division. C'est ce que j'ai pu observer en tout cas.

2 M. Cayley (interprétation). - Vous avez déclaré précédemment

3 qu'il vous a fallu, une fois, faire appel aux responsables de l'état-major

4 de la 28e Division parce que vous vouliez qu'il oblige les brigades

5 constituant cette division à respecter les ordres émanant du quartier

6 général de division.

7 Je voudrais vous référer à un autre entretien que vous avez eu

8 avec le chef de l'état-major de la 28e Division. Dans le cadre de cette

9 discussion, vous avez abordé la question de la possibilité d'une attaque

10 de l'enclave. Est-ce que vous pourriez nous rapporter un petit peu plus de

11 détails sur cette conversation ?

12 M. Franken (interprétation). - Oui. C'était une conversation de

13 pure spéculation, si vous voulez, parce que le chef de l'état-major de la

14 28e Division a demandé ce que le Bataillon néerlandais ferait si l'enclave

15 était attaquée. Moi, j'ai répondu que nous défendrions nos positions parce

16 que nous ne pouvions que pratiquer l'autodéfense, et par nos positions

17 j'entends nos postes d'observation, notamment.

18 Au cours de cette conversation, nous avons évoqué l'idée que si

19 l'enclave était attaquée il serait possible que les forces musulmanes

20 couvrent la zone se trouvant entre le point d'observation, et là j'ai

21 dit..., sans doute, j'ai compris ce que vous voulez dire, mais il faudra

22 que les forces musulmanes ne soient pas visibles depuis les postes

23 d'observation, il faudrait qu'il y ait cette espèce de cercle autour de

24 l'enclave. Voilà en gros de quoi nous avons parlé.

25 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que cette organisation de

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1 défense s'est jamais matérialisée dans les faits ?

2 M. Franken (interprétation). - Localement, oui, si vous voulez,

3 mais de façon générale non, cela ne s'est jamais matérialisé.

4 Dans une telle situation, il faut supposer qu'en l'occurrence

5 les forces musulmanes vous informent du fait qu'elles se retirent. Mais,

6 dans les faits, elles ne nous ont jamais dit qu'elles se retiraient, et

7 c'est ainsi que notre poste d'observation s'est retrouvé en plein milieu

8 des forces serbes.

9 M. Cayley (interprétation). - Vous venez de parler des forces

10 serbes, et justement je voudrais maintenant que vous vous reportiez à vos

11 souvenirs portant sur l'armée serbe.

12 Avant la chute de l'enclave, est-ce que vous vous souvenez des

13 officiers qui se trouvaient au sein de la VRS et avec lesquels vous aviez

14 des contacts ?

15 M. Franken (interprétation). - Oui, je m'en souviens. Il y avait

16 le colonel Vukovic qui était l'officier de liaison officiel, si vous

17 voulez, il venait de la Brigade Skelani. Il y avait aussi le commandant

18 Nikolic qui appartenait à la Brigade Bratunac.

19 Le poste du commandant Nikolic, c'était quelque chose d'assez

20 particulier parce que, lorsqu'on lui demandait des précisions, il citait

21 toujours un poste différent. Une fois il a dit "officier de liaison de la

22 Brigade Bratunac" ; une autre fois il a dit "commandant adjoint de la

23 Brigade Bratunac" ; une autre fois il a dit "commandant" tout court "de la

24 Brigade Bratunac" , et puis une autre fois il a dit qu'il était

25 "l'officier chargé des opérations de la Brigade Bratunac". Donc nous ne

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1 savons pas exactement quel était son poste, mais en tout cas il

2 appartenait à la Brigade Bratunac.

3 Quant au colonel Vukovic, il n'a jamais précisé quelles étaient

4 exactement ses fonctions. Il a toujours dit qu'il était "l'officier de

5 liaison officiels des forces serbes", et que c'était lui l'interface, si

6 vous voulez, entre ces forces et le Bataillon néerlandais.

7 M. Cayley (interprétation). - Au début de votre déposition, vous

8 avez précisé que la mission des Nations Unies au sein de l'enclave

9 consistait à empêcher une attaque de l'enclave et que le but était

10 également de démilitariser les forces musulmanes de Bosnie qui se

11 trouvaient à l'intérieur de l'enclave. Et vous avez également ajouté que

12 vous n'avez jamais réussi à démilitariser l'enclave.

13 Est-ce que les Serbes de Bosnie vous ont jamais parlé de cet

14 échec, qui était le vôtre, quant à cette mission de démilitarisation de

15 l'enclave ?

16 M. Franken (interprétation). - Souvent, oui, ils en ont parlé.

17 Je me rappelle notamment de deux événements au cours desquels ils se sont

18 plaints du fait que des forces musulmanes avaient tué des soldats serbes.

19 Cela s'est passé à quelques kilomètres entre Zepce et

20 Srebrenica. Des soldats sont tombés dans une embûche dont il a été dit

21 qu'elle avait été organisée par des soldats musulmans de Bosnie.

22 Et puis le second incident s'était produit dans le courant de la

23 nuit et au début de la matinée. On a vu des maisons brûler dans ce qui

24 était à l'époque le territoire serbe.

25 M. Cayley (interprétation). - Revenons à cet événement, le

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1 premier incident qui s'est passé au mois de mai 1995. Regardez la carte

2 derrière vous, prenez le pointeur et indiquez aux Juges quelle est la zone

3 au sein de laquelle cet incident s'est produit.

4 M. Franken (interprétation). - Cette zone n'apparaît pas sur la

5 carte.

6 M. Cayley (interprétation). - Je comprends, mais pourriez-vous

7 indiquer les directions générales sur la carte ?

8 M. Franken (interprétation). - Très bien.

9 Eh bien, par ici.

10 (Le témoin indique une zone en bas, à droite.)

11 M. Cayley (interprétation). - Le témoin indique le sud de

12 Zeleni Jadar sur la pièce de l'accusation 1 E.

13 Qui s'est plaint de cette embûche ?

14 M. Franken (interprétation). - C'est le commandant Nikolic.

15 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que qui que ce soit au sein

16 du Bataillon néerlandais a vu des éléments de preuve corroborant

17 l'incident ?

18 M. Franken (interprétation). - Non. Pensez que le terrain est

19 montagneux. Si du point de vue horizontal la zone se trouve à un kilomètre

20 de distance, quand il y a une montagne au travers, on ne peut pas savoir

21 exactement ce qui se passe de l'autre côté de la montagne, même si ce

22 n'est qu'à un kilomètre.

23 M. Cayley (interprétation). - Vous parlez de la plainte qui a

24 été formulée, mais qui l'a expressément formulée ?

25 M. Franken (interprétation). - Le commandant Nikolic.

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1 M. Cayley (interprétation). - Vous avez précisé que des membres

2 du Bataillon néerlandais avaient de fait été témoins de cet incident. Est-

3 ce que c'est exact ?

4 M. Franken (interprétation). - Eh bien, ils ont été témoins des

5 conséquences de cet incident puisqu'ils ont vu les maisons brûler..

6 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous avez le souvenir

7 d'autres plaintes qui auraient été formulées par les Serbes de Bosnie

8 pendant la période que vous avez passée sur place ?

9 M. Franken (interprétation). - Non, ils se sont plaints souvent

10 du fait que nous n'avions pas désarmé les soldats musulmans de Bosnie,

11 mais ils n'ont pas fait d'autres plaintes portant sur d'autres incidents.

12 M. Cayley (interprétation). - Bien. Procédons en sens inverse.

13 Est-ce que vous avez le souvenir de plaintes formulées par des Musulmans

14 de Bosnie relatives à des comportements des forces serbes au sein de

15 l'enclave ?

16 M. Franken (interprétation). - Ils ne se sont pas plaints

17 d'attaques serbes, si vous voulez, mais ils se sont plaints du fait que

18 les Serbes avançaient progressivement dans la zone de l'enclave de

19 Srebrenica.

20 Il y avait les trois frontières de l'enclave, c'est le problème,

21 si vous voulez : la frontière des Nations Unies, la frontière serbe qui

22 était à 2 kilomètres à l'intérieur de la zone où était la frontière des

23 Nations Unies, et puis il y avait les Musulmans de Bosnie qui avaient

24 également leur frontière si vous voulez, qui était à 2 ou 3 kilomètres de

25 la zone tenue par les Nations Unies ; donc c'était difficile de formuler

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1 une plainte précise.

2 Les différentes délimitations n'étaient pas reconnues par les

3 différentes parties en présence. Il y a eu une occasion au cours de

4 laquelle les Serbes ont traversé la zone contrôlée par les Nations Unies.

5 Nous leur avons demandé... Nous les avons repoussés au-delà de cette

6 frontière.

7 M. Cayley (interprétation). - Derrière vous, il y a la carte et

8 puis il y a le point indiqué OP Roméo. Cela indique la zone dont vous

9 venez de parler, je crois ?

10 M. Franken (interprétation). - Oui, effectivement. C'est à

11 droite de la zone qui marque la frontière de l'enclave.

12 Pour ce qui est des Serbes, leur zone allait vers le sud

13 directement. Cela suivait la route en direction de Srebrenica. Ils ont

14 pris des positions là, ils ont déclaré que c'était leur enclave. Moi, j'ai

15 dit que c'était l'enclave des Nations Unies.

16 M. Cayley (interprétation). - Vous rappelez-vous où s'est

17 produit cet incident ?

18 M. Franken (interprétation). - Cela a dû se passer dans le

19 courant du mois d'avril.

20 M. Cayley (interprétation). - Avril 1995 ?

21 M. Franken (interprétation). - Effectivement.

22 M. Cayley (interprétation) - Nous allons un petit peu avancer

23 dans le temps et nous allons en venir au 11 juillet 1995. Je crois qu'à ce

24 moment-là vous vous trouvez dans la salle d'opération du bataillon à

25 Potocari.

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1 Avez-vous le souvenir des rapports que vous avez commencé à

2 recevoir à partir de cette date-là ?

3 M. Franken (interprétation). - Oui. En fait, les confrontations

4 avec les Serbes avaient commencé la veille. Nous avons reçu des rapports

5 qui faisaient état d'un pilonnage assez intensif de la ville. La

6 Compagnie B nous a envoyé des rapports également, nous disant que la

7 Division 28, la 28e Division, avait totalement disparu.

8 Le problème est que, dans la matinée, les civils musulmans ont

9 débordé, si vous voulez, ont pris d'assaut, un peu, le siège de la

10 Compagnie B, le quartier général. Le commandant de la Compagnie B a essayé

11 d'envoyer les gens en direction de Potocari. C'était la deuxième fois

12 qu'il y avait un mouvement civil en direction de Potocari.

13 A ce moment-là, nous avons établi un contact avec les forces

14 serbes. L'infanterie était présente et un certain nombre de tanks. C'était

15 à peu près la situation qui régnait au matin du 11.

16 De notre côté, nous pensions que nous allions recevoir un

17 soutien aérien, ce qui nous permettrait de faire face aux besoins, si vous

18 voulez. Telle était la situation qui régnait le 11.

19 M. Cayley (interprétation) - Quand vous dites qu'il vous fallait

20 un peu vous renforcer, qu'entendez-vous par là ?

21 M. Franken (interprétation). - Eh bien, je veux dire qu'il nous

22 fallait des renforts pour que nous soyons à forces égales avec les Serbes.

23 M. Cayley (interprétation) - Vous dites que vous receviez des

24 rapports qui faisaient état du fait que la ville était assez massivement

25 pilonnée, et vous dites qu'apparemment la 28e Division avait disparu.

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1 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est ce que j'ai dit.

2 M. Cayley (interprétation) - Pourquoi y avait-il pilonnage de la

3 ville à ce moment-là ?

4 M. Franken (interprétation). - C’est drôle que vous me posiez la

5 question, à moi ! Mais vous savez, il n'y avait pas de cible militaire

6 dans la zone, à part le bâtiment des postes et des télégraphes où se

7 trouvait le quartier général de la 28e Division. Mais ce n'était pas

8 vraiment dans la ville, c'était plus au nord.

9 Pour ce qui est de la ville en elle-même, elle ne contenait

10 aucune cible militaire à cette époque, en dehors peut-être des forces des

11 Nations Unies.

12 Mais je le répète, ce pilonnage était fait tout à fait au

13 hasard, si vous voulez. Il y avait un pilonnage sauvage qui était mené à

14 bien.

15 M. Cayley (interprétation) - Pour autant que vous le sachiez,

16 quel était le calibre des mortiers qui étaient tirés ? Je vous demanderai

17 de bien vouloir ménager des pauses entre mes questions et vos réponses. Je

18 vais moi-même essayer de ralentir un peu pour les interprètes.

19 M. Franken (interprétation). - Eh bien, c'étaient des

20 projectiles d’environ 100 millimètres, je me fonde sur les explosions que

21 j'ai pu observer. C'étaient donc des tirs d'artillerie lourde.

22 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que, commandant Franken,

23 vous avez le souvenir d'autres armes qui auraient été utilisées ?

24 M. Franken (interprétation). - Oui, des tanks ont été utilisés,

25 non seulement du côté de l'endroit où nous nous trouvions, mais également

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1 utilisés d'où partaient les projectiles qui tombaient sur la ville.

2 M. Cayley (interprétation) - Essayez de vous rappeler des

3 événements qui se sont déroulés au cours du mois de juillet 1995. Avez-

4 vous un souvenir du nombre d'obus qui sont tombés sur la ville à cette

5 époque-là ?

6 M. Franken (interprétation). - Oui, j'ai donné l'ordre à la

7 Compagnie B de ne pas nous parler de chaque explosion, mais tout de même,

8 au bout du compte, nous avons dû atteindre le chiffre de 200.

9 M. Cayley (interprétation) - Lors d'une réponse précédente, vous

10 avez dit qu'il n'y avait pas de cible militaire dans la ville, à l'époque,

11 pas de cible qui justifiait ce type de pilonnage. Je vous repose alors la

12 question : à votre avis, pourquoi la ville a-t-elle été si lourdement

13 pilonnée ?

14 M. Franken (interprétation). - Il y a peut-être deux raisons,

15 mais l'effet est le même. On a essayé de tuer des gens, de provoquer la

16 panique en abattant des gens -et quand je parle des gens, je parle de

17 civils, de femmes et d'enfants.

18 M. Cayley (interprétation) - Dans le cadre de votre déposition,

19 vous avez déclaré que les civils avaient pris possession, d'une certaine

20 façon, du quartier général de la Compagnie B qui se trouvait à Srebrenica.

21 Est-ce que vous vous souvenez des ordres que vous avez délivrés à

22 l'intention de la Compagnie B après avoir reçu les informations portant

23 sur le lourd pilonnage de la ville ?

24 M. Franken (interprétation). - Le commandant de la Compagnie B a

25 lui-même déclaré qu'il n'arrivait pas à assurer le contrôle de son

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1 quartier général. Ce qui est bien facile à imaginer parce qu'il y avait

2 pilonnage partout, et donc pilonnage également de son quartier général.

3 J'ai donc été d'accord avec lui pour dire qu'il fallait qu'il

4 monte à bord de ces véhicules blindés, qu'il emmène les réfugiés en

5 direction de Potocari avec sa compagnie.

6 Nous avions préparé l'arrivée des réfugiés auparavant, parce

7 qu'il y avait déjà eu des déplacements de réfugiés dans cette direction.

8 Le commandant Otter a reçu ordre de moi de préparer les choses et de

9 convoyer les réfugiés par un trajet plus sûr. Je dis "plus sûr" parce que,

10 pour ce qui est d'une partie de notre quartier général, il était en plein

11 dans la zone serbe et en plein dans les tirs d'artillerie.

12 M. Cayley (interprétation) - Je reviens sur votre dernière

13 phrase : "Je parle d'un chemin plus sûr parce qu'en fait nous étions juste

14 à côté de l'artillerie et des tanks serbes". Pourriez-vous exactement nous

15 dire ce que vous entendez par là ?

16 M. Franken (interprétation). - J'étais convaincu que, dès que

17 les Serbes allaient apercevoir cette vague de réfugiés s'approcher, ils

18 allaient ouvrir le feu parce qu'ils l'avaient déjà fait dans la ville. A

19 une occasion, on nous a prévenus qu'ils ne permettraient pas qu'il y ait

20 des réfugiés sur notre base.

21 M. Cayley (interprétation) - Après avoir donné ces ordres au

22 commandant Otter, vous souvenez-vous de ce qui s'est passé ?

23 M. Franken (interprétation). - La Compagnie B m'a encore envoyé

24 un rapport qui disait qu'il y avait de l'infanterie serbe à la fois à

25 l'est et à l'ouest de la ville, c'est-à-dire qu'ils nous avaient débordés,

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1 si vous voulez, c'est le terme qu'on utilise.

2 Nous n'avions plus de 28e Division, donc nous n'avions plus de

3 forces sur notre flanc droit. A partir de ce moment-là, il ne servait donc

4 à rien d'essayer de continuer d'assurer la défense de la ville de

5 Srebrenica qui, de toute façon, était abandonnée par les réfugiés. Cela a

6 un peu changé la nature de notre mission : nous ne devions plus défendre

7 Srebrenica, nous devions essayer de protéger les réfugiés en nous retirant

8 et en fermant, si vous voulez, la colonne de réfugiés, et en partant en

9 direction de Potocari.

10 Le capitaine Groen, qui était le responsable de la compagnie, a

11 reçu de moi des ordres lui demandant de s'installer au sud de Potocari

12 pour faire face à l'avancée serbe sur Srebrenica.

13 M. Cayley (interprétation) - Peut-on dire, monsieur, que la

14 Compagnie B s'est retirée à la suite de la colonne des réfugiés, alors que

15 celle-ci avançait vers Potocari ?

16 M. Franken (interprétation). - Oui, nous voulions absolument que

17 l'infanterie serbe ait accès libre à cette vague énorme de réfugiés.

18 M. Cayley (interprétation) - A l'époque, que pensiez-vous, que

19 se passerait-il si l'infanterie serbe entrait parmi les réfugiés ?

20 M. Franken (interprétation). - D'après l'expérience que nous

21 avons eue avec le pilonnage de Srebrenica, et d'après l'histoire des

22 Serbes maintenant directement dans la région de Srebrenica, j'étais

23 persuadé qu'ils commenceraient à tuer ou faire des actions semblables.

24 M. Cayley (interprétation) - Vous avez également déclaré, plus

25 tôt dans votre déposition, que la Compagnie B allait se retirer et devait

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1 prendre de nouvelles positions au sud de Potocari. Est-ce que c'est

2 exact ?

3 M. Franken (interprétation). - Oui c'est exact.

4 M. Cayley (interprétation) - En le faisant, que pensiez-vous,

5 quel était votre but ?

6 M. Franken (interprétation). - C'est de gagner du temps,

7 premièrement. Et deuxièmement de ramener ces gens-là ensemble sur une zone

8 un peu plus restreinte pour essayer au moins de contrôler la zone. Parce

9 que, si vous êtes sur une zone comme Srebrenica, ou dans la ville de

10 Srebrenica et à Potocari, vous avez besoin de grand nombre de troupes pour

11 pouvoir contrôler le tout. Donc avec le nombre de troupes que l'on avait,

12 il était absolument impossible de le faire. Donc la seule chose que je

13 pouvais faire était de concentrer cette masse de gens sur un territoire

14 plus restreint.

15 M. Cayley (interprétation). - Vous avez déclaré plus tôt, dans

16 votre témoignage, que l'une des missions du Bataillon était d'essayer

17 d'éviter l'attaque serbe sur l'enclave. Est-ce que vous avez pu, avec

18 l'officier, avec le commandant, est-ce que vous avez essayé d'assurer une

19 position à Potocari ?

20 M. Franken (interprétation). - Oui, brièvement. Mais si vous ne

21 considérez pas le fait que j'avais environ 150 soldats formés en tant que

22 combattants, et si vous considérez le fait que je n'avais que 16 % des

23 munitions que je devais avoir, et même pour les munitions antichars et

24 mortiers, on n'en avait pas assez.

25 Je me trouvais en plein milieu de 30 000 civils. La position de

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1 laquelle on devait les défendre se trouvait de 30 à 50 mètres. Donc

2 c'était très difficile de défendre ces femmes et ces enfants de la

3 position où on était. Et donc commencer de nous défendre n'était pas une

4 option.

5 M. Cayley (interprétation). - Très brièvement, d'après vous,

6 commandant Franken, qu'est-ce qui se serait passé si l'armée néerlandaise

7 avait organisé une défense à Potocari ?

8 M. Franken (interprétation). - On aurait eu un massacre. Je veux

9 dire un massacre de femmes et d'enfants qui faisaient la majorité des

10 réfugiés. Les Serbes avaient déjà prouvé qu'ils n'avaient pas respecté le

11 droit des civils et des non-combattants. Ils ont tiré sur eux, sur

12 Potocari, et par la suite, plus tard... l'un de nos membres de poste

13 d'observation a utilisé la radio.

14 Et le message nous est parvenu de la part des Serbes que si nous

15 n'arrêtions pas de les opposer, ou si nous n'arrêtions pas avec le soutien

16 aérien, qu'ils allaient tirer sur notre base et sur les réfugiés à

17 Potocari. Ils ont dit qu'ils allaient tuer également nos postes

18 d'observation, qu'ils allaient tuer également nos prisonniers de guerre.

19 J'étais persuadé qu'ils le feraient exactement.

20 M. Cayley (interprétation). - J'ai deux questions pour clarifier

21 les choses. Lorsque les Serbes on fait cette menace, étaient-ils en

22 position de le faire ?

23 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact. Nous avons

24 compté, il y avait environ 35 morceaux d'artillerie avec des calibres très

25 lourds qui nous confrontaient quelques systèmes mutiples de roquettes. Ils

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1 avaient des chars, ils auraient pu nous anéantir complètement et on

2 n'aurait rien pu faire.

3 Je n'avais pas d'équipement lourd, je n'avais pas d'artillerie,

4 je n'avais aucun moyen de m'opposer à leur artillerie puisque je n'avais

5 pas reçu de soutien aérien.

6 M. Cayley (interprétation). - Vous avez parlé brièvement des

7 prisonniers de guerre qui ont été pris de votre poste d'observation. De

8 qui parlez-vous quand vous les mentionnez ?

9 M. Franken (interprétation). - Nous avions quelques postes

10 d'observation. Tous les postes d'observation qui se trouvaient au sud

11 étaient déjà pris par les Serbes, à l'exception du poste d'observation

12 Delta. Les autres postes d'observation étaient soit tous capturés par les

13 Serbes, ou avaient reçu l'ordre de ma part de rester en position avant

14 d'être contactés par les Serbes.

15 La raison pour ceci était bien sûr l'expérience que nous avions

16 eue ; nous avons eu un soldat mort dans le poste d'observation de Fox

17 Trot, et nous avons également eu une barricade routière.

18 M. Cayley (interprétation). - Donc quand les Serbes ont menacé

19 de tuer ces gens, avez-vous pris cette menace sérieusement ?

20 M. Franken (interprétation). - Je ne croyais pas qu'ils les

21 mettraient tous contre les murs et les tueraient. Mais j'étais persuadé

22 qu'ils pourraient s'en servir comme bouclier humain, soit contre un

23 soutien aérien ou quelque chose de ce genre-là. Ils avaient déjà fait ceci

24 auparavant.

25 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que ces prisonniers de

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1 guerre étaient des soldats néerlandais ?

2 M. Franken (interprétation). - Oui.

3 M. Cayley (interprétation). - Maintenant, si nous parlons du

4 12 juillet, quel est le premier événement important dont vous vous

5 souvenez de cette journée-là ?

6 M. Franken (interprétation). - L'officier en commande, le

7 lieutenant-commandant a reçu un ordre de Mladic vers 10 heures. Il a été

8 convoqué à une réunion à Bratunac par Mladic.

9 Au même moment, une attaque de l'infanterie de char a été faite

10 près du poste d'observation "Papa", au nord de notre quartier général.

11 M. Cayley (interprétation). - Je suis désolé de vous

12 interrompre. Pourriez-vous nous indiquer, s'il vous plaît, où vous vous

13 trouviez ?

14 M. Franken (interprétation). - Nous étions là, nos quartiers-

15 généraux étaient là, indiqués en tant que base des Nations Unies.

16 L'attaque est venue de la zone que nous appelons le "pont jaune". C'était

17 aux alentours du poste d'observation "Papa".

18 M. Cayley (interprétation). - Je crois que le témoin a expliqué

19 à l'aide du pointeur ce qu'il a montré, pour le compte rendu.

20 Vous avez pu observer une attaque d'infanterie soutenue par les

21 armes provenant du poste d'observation "Papa". Pourriez-vous décrire au

22 Tribunal, d'après vous, en tant que militaire de proffession, à quel point

23 cette attaque était organisée ?

24 M. Franken (interprétation). - C'était très bien organisé. Cela

25 ressemblait à une manifestation, une démonstration de force. Je ne ferais

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1 jamais ce genre d'attaque de cette façon-là, mais cela ressemblait à une

2 attaque très disciplinée ; les intervalles entre les attaques étaient

3 vraiment très bien faits. Il était clair qu'il y avait une coordination

4 entre les chars et l'infanterie. Cela ressemblait à une attaque tout à

5 fait normale, régulière, faite par des troupes normales, régulières et

6 bien formées.

7 M. Cayley (interprétation). - A la réponse d'une de mes

8 questions précédentes, vous avez indiqué que le colonel Karremans avait

9 été convoqué à une réunion. Est-ce qu'il était présent lorsque cette

10 attaque a eu lieu ? Ou était-il absent de la base des Nations Unies à

11 Potocari ?

12 M. Franken (interprétation). - Il était absent. Il se trouvait à

13 Bratunac avec le général Mladic, d'après ce que je sais.

14 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous avez vu une

15 importance dans cette absence ?

16 M. Franken (interprétation). - Non, je crois qu'ils ont

17 probablement essayé d'intimider le bataillon à nouveau. Il n'y a aucune

18 logique derrière l'attaque, d'après ce que je sais.

19 M. Cayley (interprétation). - A quelle heure le lieutenant

20 Karremans est-il revenu de la réunion de Bratunac ?

21 M. Franken (interprétation). - Environ vers 11 heures et demie,

22 midi.

23 M. Cayley (interprétation). - Lorsqu'il est revenu, lui avez-

24 vous parlé ?

25 M. Franken (interprétation). - Oui, bien sûr. Il m'a donné un

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1 briefing et m'a raconté ce qui s'est passé. Il m'a relaté quelles étaient

2 les demandes ou les exigences que Mladic avait faites concernant

3 l'évacuation de la population. Bien sûr, il n'avait même pas terminé le

4 debriefing lorsque les premiers autous et les premiers camions sont

5 apparus.

6 M. Cayley (interprétation). - Lorsque vous dites "les premiers

7 camions et les premiers autobus" sont apparus, pourriez-vous nous

8 expliquer ce que vous voulez dire par là ?

9 M. Franken (interprétation). - Le colonel m'a dit que les

10 Nations Unies étaient d'accord avec l'évacuation des forces serbes, et que

11 l'armée de la VRS ferait cette évacuation. Il a mentionné que cela

12 commencerait à se passer à partie de 16 heures -si je me rappelle bien.

13 Mais au même moment, lorsqu'il me l'a dit, nous avons reçu des rapports

14 sur le fait qu'il y avait un grand nombre d'autobus et de camions qui

15 apparaissaient de la direction de Bratunac et qui se dirigeaient vers la

16 région de Potocari.

17 M. Cayley (interprétation). - En réponse à ma question

18 précédente, vous avez mentionné que l'évacuation devait avoir lieu par les

19 forces serbes. Qui -parmi les forces serbes- devait s'occuper de

20 l'évacuation ?

21 M. Franken (interprétation). - A l'époque, je ne connaissais

22 aucun nom, mais par la suite j'ai compris que nous avons reçu un ordre des

23 Nations Unies de soutenir et en fait d'aider l'évacuation.

24 Et j'ai reçu l'ordre du colonel Karremans d'aller voir Acamovic.

25 Je l'ai rencontré à la porte principale et il m'a dit qu'il a fallu qu'on

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1 s'occupe de tout cela. Par la suite, il a dit que c'était un commandant,

2 un officier de la logistique, et qu'il venait de Pale.

3 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous vous rappelez de

4 la conversation avec le colonel Acamovic ?

5 M. Franken (interprétation). - Il a demandé des véhicules, il a

6 demandé à ce qu'on lui offre du carburant. Nous n'avions, par contre, pas

7 de carburant. Je ne lui ai pas non plus fourni de véhicules, parce que je

8 croyais que c'était une très mauvaise idée d'avoir des véhicules des

9 Nations Unies avec des chauffeurs serbes qui conduisaient ces véhicules

10 des Nations Unies.

11 M. Cayley (interprétation). - Maintenant, vous êtes officier

12 avec beaucoup d'expérience. A l'époque, à quel niveau opérationnel croyez-

13 vous que Acamovic travaillait lorsque vous lui parliez ?

14 M. Franken (interprétation). - Si vous voyez les problèmes

15 auxquels les forces serbes étaient confrontés, c'était une opération de

16 balayage ou de nettoyage à l'intérieur de l'enclave. Il a fallu compter

17 sur environ 10 000 hommes qui venaient du nord, et 50 % de ces hommes

18 étaient probablement armés.

19 L'évacuation de ceci... il fallait transporter, il fallait

20 sécuriser les routes, il y avait des arrangements qu'il fallait faire. A

21 Kladanj, il y avait environ 6 brigades qui étaient impliquées. Donc, nous

22 parlons au niveau du corps de l'armée.

23 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Commandant, vous nous

24 avez dit dans votre témoignage, tout à l'heure, que vous pensiez que

25 c'était une fort mauvaise idée que de confier la conduite de véhicules de

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1 l'ONU à des chauffeurs serbes qui se déplaceraient au sein de l'enclave,

2 dans ces véhicules.

3 Quelle a été votre décision concernant les transports organisés

4 par l'ONU et concernant les réfugiés ?

5 M. Franken (interprétation). - Nous avions à faire face au fait

6 que l'évacuation avait commencé sans aucune coordination avec nous. J'ai

7 d'abord ordonné au commandant Boering, officier de liaison, et au

8 capitaine Voerman, l'officier chargé des personnels, de prendre une Jeep

9 et de rester à côté du convoi quoi qu'il advienne.

10 Nous avons organisé une escorte, nous avons prélevé tous les

11 petits véhicules -je pense là aux Jeeps-, et nous y avons embarqué des

12 sous-officiers, ou alors un officier et un soldat. Nous avons essayé de

13 suivre certains des autocars qui étaient restés en envisageant de les

14 faire escorter tout simplement.

15 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous expliquer aux Juges

16 ce qui s'est passé suite à l'ordre que vous avez donné ?

17 M. Franken (interprétation). - Au début, il semblait que nous

18 avions réussi à réaliser cette escorte, mais il s'est avéré aussitôt après

19 que le contraire était vrai. Ces véhicules d'escorte avaient été plus ou

20 moins stoppés par des forces régulières, ou moins régulière, sous prétexte

21 qu'ils avaient été chargés de la sécurité. Il est arrivé aussi que ces

22 véhicules soient pillés ou volés par des soldats de troupes non

23 régulières.

24 Ce qui fait que le nombre de ces petits véhicules à notre

25 disposition s'est vite réduit.

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1 M. Cayley (interprétation). - Quand vous avez parlé de "troupes

2 plus ou moins régulières", à quoi pensiez-vous ?

3 M. Franken (interprétation). - Je parle de types du style Rambo

4 qui étaient vêtus avec des uniformes ou qui portaient une partie

5 d'uniforme, mais qui ressemblaient plutôt plus à des bandits.

6 M. Cayley (interprétation). - De quel côté se trouvaient plutôt

7 ces gens-là ?

8 M. Franken (interprétation). - Il apparaissait avec évidence

9 qu'ils faisaient partie du côté serbe.

10 M. Cayley (interprétation). - Combien de véhicules avez-vous

11 perdu en raison de telles activités, pour ce qui est de votre possibilité

12 de vous en rappeler ?

13 M. Franken (interprétation). - Nous avons perdu au total

14 33 véhicules. Pour ce qui est du convoi, je crois qu'il y avait 15 ou

15 16 Jeeps. Les chiffres sont grands dans les documents, mais ce sont ceux

16 dont j'arrive à me rappeler pour le moment.

17 M. Cayley (interprétation). - Pourquoi pensez-vous qu'ils vous

18 prenaient vos Jeeps ? Pourquoi pensez-vous qu'ils arrêtaient l'escorte

19 hollandaise ?

20 M. Franken (interprétation). - Parce qu'ils ne voulaient avoir

21 personne à côté. Cela me semble évident. Je ne puis envisager aucune autre

22 raison pour ce qui était de nous arrêter. Nous ne représentions aucun

23 potentiel militaire ; une Jeep ou deux véhicules d'escorte, cela ne

24 voulait rien dire. Nous ne devions pas être témoins de ce qui arrivait.

25 M. Cayley (interprétation). - Quand vous avez perdu 16 Jeeps,

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1 avez-vous pensé que cela était considérable, que cela était planifié, que

2 quelqu'un avait prévu de faire ainsi ?

3 M. Franken (interprétation). - Certes ! On disait que l'escorte

4 du convoi devait être empêchée pour faire en sorte qu'ils apparaissent

5 comme responsables de la sécurité de notre personnel, et d'autres n'ont

6 présenté aucune excuse. Ils ont tout simplement confisqué les armes et les

7 véhicules.

8 M. Cayley (interprétation). - Vous êtes-vous plaint de la

9 chose ?

10 M. Franken (interprétation). - Oui, bien entendu. J'ai porté

11 plainte auprès du colonel Jankovic qui a fait figure de la personnalité

12 centrale du côté serbe. Il a dit qu'il allait voir ce qu'il pouvait faire.

13 Il a dit également qu'il n'avait pas le contrôle sur toutes les troupes

14 non régulières.

15 En tout état de cause, je lui ai donné les chiffres, le nombre

16 des véhicules volés. Il a dit qu'il allait en prendre soin mais il n'a

17 rien fait.

18 M. Cayley (interprétation). - Quand il vous a répondu cela,

19 qu'avez-vous pensé ?

20 M. Franken (interprétation). - Eh bien, j'ai pensé que c'était

21 une réponse, mais qu'il n'en adviendrait rien. Et je m'excuse, mais il

22 n'en ait rien advenu, en effet.

23 M. Cayley (interprétation). - Vous avez donc parlé du nombre

24 total de véhicules que vous avez perdu. En bref, pouvez-vous vous souvenir

25 de quoi que ce soit d'autre qui puisse être recensé comme perte de votre

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1 Bataillon, confisqué par les forces serbes de Bosnie ?

2 M. Franken (interprétation). - Oui, nous avons perdu

3 3 transporteurs blindés de troupes.

4 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous vous souvenez

5 d'autres pertes de matériels ?

6 M. Franken (interprétation). - Oui, bien entendu. Nous avons

7 perdu beaucoup d'armements d'infanterie. Bien entendu, tous les

8 prisonniers de guerre se sont vus leurs armements confisqués.

9 Il y avait des points autour de Potocari qui ont été pillés par

10 des unités non régulières où on a confisqué les gilets pare-balles, et

11 j'ai fini par envoyer les gens de l'escorte sans arme. Je crois qu'il y a

12 environ 150 pièces d’armes légères qui ont été confisquées de la sorte.

13 M. Cayley (interprétation). – Revenons maintenant, si vous le

14 voulez bien, à Potocari, au thème de Potocari. Est-ce que vous vous

15 souvenez de l'état où se trouvaient les réfugiés à l'époque ?

16 M. Franken (interprétation). - Oui. Une partie avait

17 terriblement peur, une grande partie était résignée et ne réagissait à

18 rien. Ils se trouvaient là tout simplement.

19 M. Cayley (interprétation). - A l'époque, vous vous trouviez au

20 centre opérationnel du bataillon. Je crois que vous faisiez le tour des

21 régions à l'extérieur, autour de la base ?

22 M. Franken (interprétation). – Oui, je le faisais au moins

23 deux fois par jour pour maintenir le contact avec la réalité.

24 M. Cayley (interprétation). - Vous avez mentionné tout à l'heure

25 une attaque réalisée par les forces des Serbes de Bosnie sur la base

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1 militaire. Est-ce que vous vous souvenez du moment exact lorsque les

2 forces serbes sont arrivées devant la base de l'ONU à Potocari ?

3 M. Franken (interprétation). – Eh bien, le personnel des forces

4 attaquantes est arrivé vers 11 heures ; ils se sont arrêtés vers la bande

5 bleue-blanc-rouge que nous avions posée autour des usines où se trouvaient

6 concentrés les réfugiés. Très vite après, il est arrivé un deuxième et un

7 troisième échelon de types qui ressemblait à une sorte de milice, comme je

8 vous l’ai décrite tout à l'heure.

9 M. Cayley (interprétation). – Que faisaient ces membres du

10 deuxième et troisième échelon quand ils sont arrivés ? Qu'ont-ils fait ?

11 M. Franken (interprétation). - Au début, ils étaient bien

12 contrôlés par les troupes régulières. Ils faisaient partie de ces forces

13 qui avaient réalisé l'attaque. Puis, il y a eu un groupe de quelques 15 à

14 20 soldats portant des uniformes différents. Ils voulaient accéder à la

15 base même. Ils ont commencé à ouvrir, découper la clôture qui entourait la

16 base. Je les ai arrêtés. Ils avaient dit qu'ils voulaient accéder. Il

17 s'agissait de Serbes, d'un groupe de Serbes en uniforme avec des chiens.

18 M. Cayley (interprétation). – Monsieur Franken, je vais vous

19 prier de ralentir un peu. Je sais que vous avez l'habitude de donner des

20 ordres, mais je vous prie de ralentir votre cadence pour laisser

21 l'opportunité aux interprètes de traduire la totalité de ce que vous nous

22 dites.

23 Vous avez donc dit qu'un groupe de 15 à 20 soldat était arrivé.

24 Vous les avez arrêtés. Ils vous ont dit qu'ils voulaient accéder à la

25 base. Vous avez décrit cette unité. Pouvez-vous reprendre votre

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1 description et nous expliquer ce qui s'est passé par la suite tout en

2 ménageant des petites pauses ?

3 M. Franken (interprétation). – Certainement, je le ferai. Ils

4 ont dit à mes hommes qui se trouvaient là-bas, fort clairement, qu'ils

5 voulaient accéder à la base. J'en ai eu vent, j'ai quitté le centre

6 opérationnel, je me suis rendu sur le site de l’événement. Cela se

7 trouvait du côté occidental par rapport à notre base. Ils ont dit qu'ils

8 voulaient accéder. J'ai dit qu’il n’en était pas question. Je leur ai

9 demandé si quelqu'un parlait anglais.

10 Un soldat parlait plus ou moins l’anglais et je lui ai demandé

11 ce qu’ils voulaient. Ils semblaient vouloir contrôler la base pour voir

12 s'il y avait des soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine ou des unités

13 militaires à l'intérieur de la base même.

14 Compte tenu du fait que je ne pouvais pas entamer un combat pour

15 les raisons énoncées tout à l'heure, je leur ai dit qu’ils pouvaient venir

16 mais en ma présence et ce, deux ou trois personnes seulement. Je lui ai

17 dit : "Dites-moi qui est votre chef et il viendra avec moi". Après cet

18 entretien, un petit conciliabule entre eux, ils sont tombés d'accord. Je

19 les ai emmenés faire un bref tour de la base. Ils sont revenus par le même

20 trou qu'ils avaient aménagé pour y accéder.

21 M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous décrire les uniformes

22 portés par ces gens-là -si vous vous en souvenez ?

23 M. Franken (interprétation). - Il s'agissait d’uniformes de

24 camouflage standards. Certains ressemblaient plutôt à des types habillés

25 dans le style Rambo. Ils avaient des uniformes bleus, bleu foncé, et

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1 certains avaient des chiens.

2 M. Cayley (interprétation). - Vous souvenez-vous de quelle sorte

3 de chiens il s'agissait ?

4 M. Franken (interprétation). - En général, des bergers

5 allemands.

6 M. Cayley (interprétation). - Comment ces Musulmans bosniens,

7 qui se trouvaient au sein de la base, avaient-ils réagi lorsque ces gens-

8 là ont eu accès à l'intérieur de la base ?

9 M. Franken (interprétation). - Il y avait des Musulmans dans une

10 grande salle. Je les ai conduits jusqu'à un angle, mais je ne les ai pas

11 laissé entrer en leur disant que je ne voulais pas de panique. Les gens

12 qui les ont vus avaient certainement très peur. Ils ont probablement vu

13 10 à 12 soldats de l'ONU autour d’eux. Ils sont partis aussitôt que

14 possible, ils sont passés peut-être 30 à 40 secondes sur place.

15 M. Cayley (interprétation). – Commandant Franken, les réfugiés

16 se trouvaient au sein de la base et à l'extérieur de celle-ci. S'agissait-

17 il essentiellement de femmes et d'enfants ou d’hommes, de femmes et

18 d'enfants. Pouvez-vous nous dire à peu près les proportions de cette

19 population de réfugiés ?

20 M. Franken (interprétation). - En général, il s'agissait de

21 femmes et d'enfants. Nous avons dit qu'il y avait environ 300 ou

22 350 hommes dans la base, et nous avions estimé que 500 à 600 hommes se

23 trouvaient à l'extérieur de la base, le reste était des femmes et des

24 enfants.

25 M. Cayley (interprétation). – Cinq cents à 600 hommes qui se

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1 trouvaient à l'extérieur de la base, avez-vous dit. Est-ce que, à ce

2 moment-là, au niveau du centre opérationnel, vous avez pu savoir compte

3 tenu des tournées que vous effectuiez, ce qui se passait avec ces hommes ?

4 M. Franken (interprétation). - Oui, l'une des exigences ou une

5 des règles qui avait été fixée par Mladic -ou lune de ses intentions à

6 lui- avait été de séparer les hommes âgés de 16 à 60 ans, aux fins de

7 vérifier s'il s'agissait de soldats ou de criminels de guerre, s'il

8 apparaissait avec évidence que les hommes allaient être séparés des femmes

9 et des enfants.

10 Pour ce qui est de la procédure, il n'y avait rien de mal. Il

11 s'agit d'une procédure normale lorsque vous avez un grand nombre de

12 prisonniers que de procéder à des séparations. J'avais ma propre réflexion

13 et mes propres appréhensions concernant le sort de ces hommes par la

14 suite.

15 M. Cayley (interprétation). - Je voudrais demander à l'huissier

16 de préparer la pièce à conviction 5.17.

17 Commandant, pouvez-vous dire aux Juges ce qu’il est advenu aux

18 hommes ?

19 M. Franken (interprétation). - Ils ont été séparés et interrogés

20 dans une maison qui se trouvait à 300 ou 400 mètres de notre portail

21 d'entrée principale d'accès. On nous reportait de plus en plus que ces

22 interrogatoires étaient accompagnés de violences physiques. J'ai envoyé

23 des observateurs militaires de l'ONU -nous en avions quelques-uns dans

24 l'enclave- afin qu'ils puissent vérifier si le nombre des hommes qui se

25 trouvaient à l'intérieur de la maison correspondait à celui qui en

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1 sortait.

2 Lorsqu'ils sortaient, ils étaient emmenés vers un autobus bleu

3 qui était parmi ces autobus de l'enclave. Nous avons essayé de le suivre,

4 mais nous n'avons pas réussi parce que les forces serbes nous ont empêché

5 de le faire.

6 Il s'agissait d'une colonne de 20 autobus qui se dirigeait vers

7 Bratunac. Quand vous aviez à côté une ou deux Jeep, vous ne pouviez pas

8 contrôler. Vous voyiez que les autobus avaient vite fait de s'éloigner.

9 Pendant que nous roulions encore autour de cet autobus bleu, à côté du

10 point d’observation P, à l’entrée de Bratunac, nous avons été arrêtés par

11 des forces serbes et l'autobus a disparu.

12 M. Cayley (interprétation). - Je voudrais que vous montriez au

13 témoin la pièce à conviction 5.17, et que celle-ci soit placée sur le

14 rétroprojecteur.

15 Vous souvenez-vous de cet immeuble, C?

16 M. Franken (interprétation). - C'est la maison blanche dont j'ai

17 parlé. C'est celle-ci, ici.

18 M. Cayley (interprétation). - Le témoin vient de montrer la

19 pièce à conviction 5.17. Il s'agit de la photographie qu'il nous montre,

20 la maison blanche. Que s'est-il passé avec cette maison blanche, afin que

21 les choses soient bien claires dans le compte rendu d'audience ?

22 M. Franken (interprétation). - Je n'ai pas compris votre

23 question.

24 M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous expliquer aux Juges ce

25 que vous avez pu voir se dérouler dans cette maison blanche sur place ?

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1 M. Franken (interprétation). - On emmenait des hommes là, sur

2 place. Ils devaient laisser leurs effets personnels devant l'immeuble et

3 puis, ils ont été soumis à des interrogatoires. Plusieurs de mes officiers

4 sont allés là-bas ; des observateurs militaires sont allés là-bas

5 également. Et ils m'ont rapporté qu'il ne se passait pas grand-chose de

6 sérieux.

7 Mais au douzième interrogatoire, les choses se passaient avec

8 plus de violence. Nous ne pouvions pas envoyer de patrouille, parce que,

9 chaque fois que j'envoyais une patrouille vers la maison, il apparaissait

10 évident que nous ne pouvions pas contrôler la situation, puisque ces

11 patrouilles étaient arrêtées par des Serbes armés. Ils étaient plus

12 nombreux que nous-mêmes et nous ne pouvions pas nous approcher de cette

13 maison.

14 M. Cayley (interprétation). - Et d'après vous, pourquoi

15 souhaitaient-ils empêcher les déplacements des membres du Bataillon

16 néerlandais autour de cette maison ?

17 M. Franken (interprétation). - Eh bien, pour les mêmes raisons

18 qui avaient motivé leurs gestes qui visaient à interrompre notre escorte.

19 Ils ne voulaient pas de témoins.

20 M. Cayley (interprétation). - Vous avez dit qu'il est parfois

21 normal de séparer certains individus d'un groupe plus important. Est-ce

22 que, d'après vous, au titre du droit international, c'est une procédure

23 coutumière d'avoir recours à la violence lorsque l'on interroge des gens ?

24 M. Franken (interprétation). - En aucun cas, c'est absolument

25 interdit. D'ailleurs, il y a une disposition du droit international qui

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1 dit que les prisonniers de guerre, ou les personnes assimilées comme

2 prisonniers de guerre, n'ont à donner que leur nom, leur numéro de

3 matricule et autres informations personnelles. Mais personne ne peut

4 forcer de tels individus à donner plus d'informations que cela.

5 M. Cayley (interprétation). - Pourquoi en êtes-vous arrivé à la

6 conclusion que des actes violents étaient perpétrés dans cette maison

7 blanche ?

8 M. Franken (interprétation). - Eh bien, on m'a dit avoir vu que

9 des hommes se faisaient battre à l'extérieur de la maison. On entendait

10 des cris, des bruits.

11 M. Cayley (interprétation). – Quel type de bruits ?

12 M. Franken (interprétation). - Des cris, des hurlements.

13 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, excusez-

14 moi. Est-ce que vous souhaitez que nous fassions une pause ?

15 M. le Président. - Oui, monsieur Cayley. Je crois que c'est le

16 bon moment de faire une pause pour reposer le témoin.

17 Nous faisons une pause de 20 minutes.

18 (L’audience, suspendue à 12 heures 02, est reprise à

19 12 heures 26).

20 M. le Président. - Monsieur Cayley, vous pouvez continuer. Nous

21 avons encore deux heures de travail. Nous allons donc diviser le temps en

22 deux parties, plus au moins, avec un quart d'heure. Donc vous saurez quand

23 on doit faire l'autre pause. Merci beaucoup. Vous pouvez continuer.

24 M. Cayley (interprétation). - Merci monsieur le Président.

25 Commandant Franken, je vais à nouveau vous demander de bien vouloir

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1 ménager une pause entre mes questions et vos réponses. Je vous demande de

2 faire un effort et d'essayer de parler plus lentement.

3 Ce que vous dites en anglais est parfaitement clair, simplement

4 votre débit est un petit peu rapide. Il ne permet pas toujours aux

5 interprètes de donner l'intégralité de vos réponses.

6 Un peu plus tôt, dans le cadre de votre déposition, vous avez

7 déclaré que le colonel Karremans s'était rendu à Bratunac. Je crois que

8 cela s'est passé au matin du 12 juillet. Il y a rencontré le général

9 Mladic. Vous vous rappelez nous avoir dit cela ?

10 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

11 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous vous souvenez qui

12 était la personne qui accompagnait le colonel Karremans à cette réunion ?

13 M. Franken (interprétation). - Oui. Il y avait avec lui deux de

14 nos officiers de liaison ; le commandant Boering et l'officier Kravek.

15 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que quelqu'un d'autre

16 accompagnait le colonel Karremans lors de ses déplacements ? Vous vous en

17 souvenez ?

18 M. Franken (interprétation). - Non.

19 M. Cayley (interprétation). - Y avait-il des représentants des

20 réfugiés musulmans ?

21 M. Franken (interprétation). - Ah, oui, effectivement, il y

22 avait des représentants de la communauté musulmane. Ils étaient trois. Ils

23 assistaient à la réunion.

24 M. Cayley (interprétation). - Vous rappelez-vous du nom de ces

25 personnes ?

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1 M. Franken (interprétation). - Il y avait M. Mandzic, je crois ;

2 le père de l'un des interprètes -je ne me souviens pas de son nom-, et

3 puis une dame dont le nom m'échappe. Mais j'ai encore une photo où elle

4 apparaît à mes côtés.

5 M. Cayley (interprétation). - C'est de la deuxième personne que

6 vous avez citée dont je souhaite que nous reparlions commandant. Je crois

7 que vous venez de dire que cette personne était le père de l'un des

8 interprètes des personnels des Nations Unies.

9 Après le retour du colonel Karremans, est-ce que vous avez eu

10 d'autres contacts avec cet homme ?

11 M. Franken (interprétation). - Oui, effectivement. Je me suis

12 entretenu avec lui au soir du 12. Il a demandé à s'entretenir avec moi.

13 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous expliquer aux Juges

14 de cette Chambre de quoi vous avez parlé avec cet homme ?

15 M. Franken (interprétation). - Il m'a demandé de mettre un terme

16 à l'évacuation parce qu'il avait peur que tout le monde ne soit abattu par

17 les Serbes. J'ai répondu à cela que, moi aussi, j'avais très peur de ce

18 qu'il allait advenir des hommes mais il a m'a demandé de faire un choix

19 entre des milliers de femmes et d'enfants et des hommes. Et il a ajouté

20 qu'il comprenait fort bien ce que je voulais dire, qu'il était d'accord,

21 et puis il est parti.

22 M. Cayley (interprétation). - Je voudrais encore vous demander

23 quelques précisions sur ce point. Vous avez dit que vous aviez peur de ce

24 qui pouvait advenir des hommes, mais qu'il vous fallait faire un choix ?

25 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

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1 M. Cayley (interprétation). - Et je crois que je ne vous trahis

2 pas en disant que vous avez eu à choisir entre des milliers de femmes et

3 d'enfants et les hommes qui se trouvaient dans la maison blanche ?

4 M. Franken (interprétation). - Tout à fait.

5 M. Cayley (interprétation). - Si vous aviez mis un terme à

6 l'évacuation des femmes et des enfants, d'après vous, à ce moment-là, que

7 se serait-il passé ?

8 M. Franken (interprétation). - Eh bien, il y aurait eu deux

9 possibilités, si l’on est réaliste. L'un correspond au scénario du pire, à

10 savoir que Mladic aurait commencé à ouvrir le feu sur eux ou aurait essayé

11 de réduire notre influence à zéro afin que nous ne puissions absolument

12 pas intervenir. Deuxième possibilité, il pouvait paralyser notre situation

13 en matière de communication. Notre situation en matière de logistique

14 était très limitée et nous ne pouvions pas nous déplacer. Nous n’avions

15 pas suffisamment d'aliments, suffisamment d'eau pour 30 000 personnes.

16 Et puis, il y avait la question des médicaments. Nous n’avions

17 pas d'installation sanitaire, donc nous n'aurions pas pu résister en

18 l'absence de communication ouverte plus de deux ou trois jours, je pense.

19 M. Cayley (interprétation). - Vous avez déclaré, dans votre

20 déposition, que vous aviez peur que Mladic n'ouvre le feu sur ces

21 personnes. Qui entendez-vous exactement par "ces personnes" ?

22 M. Franken (interprétation). – Eh bien, les réfugiés qui se

23 trouvaient à l'extérieur de notre base.

24 M. Cayley (interprétation). - Vous avez dit qu'après avoir eu

25 cet entretien avec ce monsieur, le père de l'un des interprètes, qu'il

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1 semblait avoir compris ce que vous vouliez dire ; c'est cela ?

2 M. Franken (interprétation). – Oui, manifestement, il comprenait

3 bien le problème auquel nous étions confrontés, la décision que j’avais à

4 faire. Il s’est rangé à notre décision. Enfin, c'est là l'impression que

5 j'ai eue en entendant sa réponse.

6 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous vous souvenez du

7 nom de cet homme maintenant ?

8 M. Franken (interprétation). – Oui, Ibrahim… Non, je ne me

9 souviens que du prénom. C’était l'un des trois représentants de la

10 population civile lors de la réunion.

11 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que son nom de famille

12 était Nuhanovic ?

13 M. Franken (interprétation). – C’est parfaitement exact.

14 M. Cayley (interprétation). – Donc Ibrahim Nuhanovic, c'est bien

15 cela ?

16 M. Franken (interprétation). - C'est bien cela.

17 M. Cayley (interprétation). - Dans le cadre de votre déposition,

18 vous avez dit vous être entretenu avec lui des problèmes qui se posaient,

19 notamment vis-à-vis des hommes qui se trouvaient dans la maison blanche.

20 Avez-vous pris une décision, à ce moment précis, vis-à-vis de ces hommes

21 qui se trouvaient dans la base ?

22 M. Franken (interprétation). – Oui, effectivement, j'ai essayé

23 de leur assurer une certaine protection, au sens où l’entend Amnesty

24 International. Les victimes anonymes ne peuvent être protégées. Il est

25 impossible de leur assurer une protection quelconque. J’ai donc demandé au

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1 comité de prendre le nom de tous les hommes qui avaient entre 16 et

2 60 ans, parce que c'est ce groupe d'âge dont Mladic avait parlé, et j'ai

3 demandé à ce que les noms soient rendus publics. C'est bien ce que nous

4 avons essayé de faire.

5 M. Cayley (interprétation). - Pourrait-on faire passer au

6 témoin, s’il vous plaît, la pièce de l'accusation 80 ?

7 (L'huissier s'exécute.)

8 Commandant Franken, je vous demanderai de bien vouloir parcourir

9 ce document, je vous l’ai déjà montré. Pourriez-vous dire aux Juges de

10 cette Chambre de quoi il s’agit ?

11 M. Franken (interprétation). - Oui, il s'agit de la liste

12 comportant la majeure partie des noms des hommes. Il s'agit des hommes,

13 des réfugiés ou des hommes qui se trouvaient sur notre base : leur nom de

14 famille apparaît, leur date de naissance et leur lieu de naissance

15 apparaissent. Nous voulions que chaque homme soit identifié. J'ai compté

16 ces noms et signé cette liste. J’ai vu par la suite qu’il y a peut-être eu

17 des erreurs en matière de décompte des noms. En gros, c’est bien de cela

18 dont il s’agit.

19 En fait, je crois qu’il est indiqué qu’il y a 230 noms cités. En

20 fait, je les ai comptés et je crois qu'il y en a 251 en vérité.

21 M. Cayley (interprétation). - Quel que soit le nombre de noms

22 rassemblés, vous avez déclaré précédemment que vous aviez pris cette

23 disposition afin de pouvoir assurer une certaine protection à ces hommes.

24 A l'époque, pourquoi pensiez-vous que ces hommes avaient besoin d'une

25 protection ? De quoi souhaitiez-vous les protéger ?

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1 M. Franken (interprétation). – Il était évident que les hommes

2 n'arrivaient pas dans la région de Kladanj au soir du 12. Nous nous en

3 sommes assurés en contactant certains quartiers généraux qui se trouvaient

4 sur les lieux. Nous avons demandé s’il y avait des hommes parmi les vagues

5 de réfugiés qui arrivaient à Kladanj et qui traversaient un certain point

6 de contrôle. Donc ce qu'on peut dire, c'est qu'ils étaient au moins

7 retenus dans un camp de concentration ; au pire ces hommes ont été tués.

8 En établissant cette liste, j'essayais de faire comprendre au

9 monde ce qui était en train de ce passer. J’essayais de leur assurer une

10 certaine protection au vu du fait que d'autres personnes peut-être

11 souhaiteraient savoir qui étaient ces hommes, ce qui leur était arrivé.

12 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que vous avez parlé à qui

13 que ce soit de cette liste, hormis les Musulmans avec lesquels vous étiez

14 en contact à l’intérieur de la base ?

15 M. Franken (interprétation). - J'ai dit aux Serbes que j'avais

16 établi une liste, que j’avais pris le nom des hommes. J’ai dit que je

17 l’avais envoyée par fax au quartier général du secteur nord-est qui était

18 l'échelon supérieur au nôtre. Et je l'ai également faxée à la cellule de

19 crise, comme nous l’appelons, qui est ici, à La Haye. C’est un quartier

20 général néerlandais et nous avons demandé à ce que cette liste soit rendue

21 publique.

22 M. Cayley (interprétation). - Pour autant que vous le sachiez,

23 est-ce que cette liste a, effectivement, été rendue publique ?

24 M. Franken (interprétation). - Non absolument pas, elle est

25 restée dans un tiroir, allez savoir, perdue dans les méandres de la

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1 bureaucratie.

2 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que tous les hommes qui se

3 trouvaient à l'intérieur de la base ont leur nom sur cette liste ou est-ce

4 que tous les noms figurent ?

5 M. Franken (interprétation). – Non. Le comité m'a dit que

6 70 hommes n’ont pas souhaité donner leur nom.

7 M. Cayley (interprétation). - Vous avez déclaré un peu plus tôt

8 ce matin qu'il y avait entre 600 et 900 hommes à l'extérieur de votre

9 base. Est-ce que vous avez pensé à eux quand vous établissiez cette

10 liste ?

11 M. Franken (interprétation). – Oui, j'aurais bien voulu prendre

12 leur nom à tous, mais lorsque les membres du comité et nos interprètes

13 sont sortis de la base, les Serbes sont intervenus, les ont intimidés.

14 L'une des femmes, qui était parmi le comité, a été tellement impressionnée

15 par ce que par ce qu’un Serbe lui a dit, qu'elle a eu une dépression

16 nerveuse qu'elle a dû être emmenée à l'hôpital et qu'elle a dû y rester en

17 tant que patiente pendant un certain temps.

18 Donc par la suite, les autres membres du comité n'ont pas eu

19 assez de courage pour sortir une nouvelle fois de la base, ce qui nous a

20 empêchés de prendre le nom des hommes qui se trouvaient à l'extérieur de

21 notre base.

22 M. Cayley (interprétation) - Pourrions-nous passer au témoin les

23 pièces de l'accusation 28/13, 28.13/1 ? Peut-on également préparer, s'il

24 vous plaît, la pièce de l'accusation 62 et 5/3 ?

25 (Le greffier et l'huissier s'exécutent.)

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1 Commandant Franken, reconnaissez-vous cet homme ?

2 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est l'homme qui m'a été

3 présenté comme étant le commandant Jankovic.

4 M. Cayley (interprétation) - Aux fins du compte rendu, il s'agit

5 pièce de l'accusation 28.13/1 et le témoin a identifié la personne qui

6 apparaît sur cette photographie comme étant le colonel Jankovic.

7 Avez-vous eu l'occasion de vous entretenir avec le colonel

8 Jankovic ?

9 M. Franken (interprétation). - A plusieurs reprises.

10 M. Cayley (interprétation) - Oui, mais à cette date, aux

11 alentours du 13 juillet ?

12 M. Franken (interprétation). - Oui, je suis entretenu avec lui,

13 oui, effectivement ce jour-là.

14 M. Cayley (interprétation) - Est-ce que vous vous souvenez du

15 sujet de cet entretien ?

16 M. Franken (interprétation). - Je pensais que c'était le moment

17 de l'informer de l'existence de cette liste. Je lui ai indiqué que nous

18 avions rassemblé le nom de tous les hommes qui avaient été embarqués dans

19 les convois.

20 M. Cayley (interprétation) - Vous avez dit précédemment que vous

21 pensiez que la procédure qui consistait à séparer les hommes du reste du

22 groupe était normale. Je pense qu'en fait vous aviez à l'esprit la

23 procédure relative aux prisonniers de guerre. Est-ce que M. Jankovic vous

24 a dit quoi que ce soit à propos de prisonniers de guerre à ce moment-là ?

25 M. Franken (interprétation). - Eh bien, à plusieurs reprises je

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1 lui ai demandé où ces hommes étaient emmenés. Au départ, il a dit qu'il

2 n'y avait aucun problème, qu'ils étaient envoyés dans un camp pour

3 prisonniers de guerre et qu'ils seraient traités de façon tout à fait

4 correcte. Il m'a dit que le Comité de la Croix Rouge était en train de

5 superviser les opérations. Et puis, nous avons eu des informations des

6 Nations Unies également.

7 Mais par la suite, lorsque je lui ai reposé la question de ce

8 qu'il advenait de ces hommes et lorsqu'à deux reprises je me suis plaint

9 auprès de lui du traitement qui était réservé à la maison blanche, il a

10 dit qu'il allait s'en occuper et qu'il allait arranger les choses. Mais

11 rien ne s'est produit.

12 M. Cayley (interprétation) - Vous a-t-il jamais précisé le

13 nombre des prisonniers de guerre qui étaient sous la protection de la

14 VRS ?

15 M. Franken (interprétation). - Oui. Comment est-ce arrivé

16 exactement, je n'en sais rien, mais nous en somme venus à parler de ce qui

17 s'était passé avec la 28e Division et la disparition de cette division. Il

18 a dit qu'ils avaient déjà 6000 prisonniers de guerre.

19 M. Cayley (interprétation) - A quelle date cet entretien a-t-il

20 eu lieu ?

21 M. Franken (interprétation). - Cela devait être le 14, je ne

22 suis pas absolument catégorique parce que j'avais à l'époque beaucoup

23 d'entretiens avec le colonel Jankovic.

24 M. Cayley (interprétation) - Le 14, vous voulez dire le

25 14 juillet ?

Page 2050

1 M. Franken (interprétation). - Oui.

2 M. Cayley (interprétation) - Le 14 juillet 1995, très bien.

3 Peut-on faire passer au témoin la pièce de l'accusation 62, s'il

4 vous plaît ? Il s'agit d'une pièce qui vous a déjà été soumise,

5 Commandant. Reconnaissez-vous ce qui apparaît sur cette image ?

6 M. Franken (interprétation). - Oui, on voit la maison blanche.

7 La route qui passe devant est la route qui va de notre portail

8 principal... Pardon, je me reprends. La route sur la droite va du point

9 Papa à Bratunac, et puis il y a la route qui va de Potocari vers

10 Srebrenica ; et puis il y avait la maison blanche ; ici, vous voyez la

11 fumée qui s'échappe d'un amas d'effets personnels qui avaient été séparés

12 du reste du groupe et qui avaient été emmenés vers la maison blanche et on

13 m'a dit qu'effectivement on mettait le feu aux effets personnels de ces

14 hommes. C'est ce que j'ai vu.

15 M. Cayley (interprétation) - Pour le compte rendu, le témoin

16 indique le bâtiment dont on aperçoit les contours au centre de la

17 photographie, et il indique qu'il s'agit effectivement de la maison

18 blanche. Il indique que la fumée que l'on voit à gauche de la photographie

19 est la fumée qui s'échappe des effets personnels des hommes qui ont été

20 séparés du reste du groupe et qui ont été emmenés dans la maison blanche.

21 M. Cayley (interprétation) - Vous avez observé cela et on vous a

22 également fait état de cette mise à feu des effets personnels dans le

23 centre des opérations, n'est-ce pas ?

24 M. Franken (interprétation). - Oui.

25 M. Cayley (interprétation) - Aux alentours de cette même date,

Page 2051

1 Commandant Franken, avez-vous le souvenir d'avoir reçu des rapports qui

2 émanaient de soldats faisant partie du bataillon, rapports relatifs à des

3 événements qui s'étaient produits à l'extérieur de votre base, notamment

4 au cours des 12 et 13 juillet ?

5 M. Franken (interprétation). - Oui. En une occasion, on m'a dit

6 que 9 cadavres avaient été trouvés, 9 cadavres d'hommes trouvés dans une

7 zone tout à fait au sud de la maison blanche, près d'un petit ruisseau.

8 Visiblement, ces hommes avaient été exécutés parce que la position des

9 cadavres au sol était telle que rien ne laissait penser qu'il y avait eu

10 là des combats.

11 Le deuxième rapport qui m'a été fait m'a été fait par le colonel

12 Karremans qui a dit qu'un soldat de la Compagnie C qui était basée dans

13 zone de l'entreprise de zinc -c'était un bâtiment, une ancienne usine de

14 zinc, c'était un bâtiment qui était parfois utilisé par nous pour y placer

15 des réfugiés-, et donc il a dit qu'il avait assisté à l'exécution d'un

16 homme musulman abattu par 2 soldats serbes.

17 M. Cayley (interprétation) - Commandant Franken, si nous pouvons

18 très rapidement en revenir à ce premier incident. Je souhaiterais que la

19 pièce soit retirée du rétroprojecteur et je voudrais qu'en revanche la

20 pièce 5/3 de l'accusation y soit placée.

21 Commandant Franken, qui vous a parlé de ces 9 cadavres trouvés

22 près d'un ruisseau ?

23 M. Franken (interprétation). - C'est le lieutenant, aujourd'hui

24 capitaine Kroeteve.

25 M. Cayley (interprétation) - En vous appuyant sur vos souvenirs

Page 2052

1 et en regardant la pièce de l'accusation 5/3, pouvez-vous nous dire où il

2 vous a été dit que ces cadavres avaient été trouvés ?

3 M. Franken (interprétation). - Oui, je peux vous l'indiquer.

4 C'était dans cette zone que j'indique maintenant.

5 M. Cayley (interprétation) - Que le compte rendu fasse état du

6 fait que le témoin... Excusez-moi, pouvez-vous à nouveau placer le

7 rétroprojecteur ? Merci. Le témoin indique un ensemble d'arbres qui se

8 trouvent au milieu et à droite de la photographie. Ce groupe d'arbres se

9 trouve à 7 ou 8 centimètres de 2 maisons qui apparaissent très clairement

10 au centre de la photographie, juste à côté de la route qui traverse

11 Potocari. Merci beaucoup, Commandant Franken.

12 Le deuxième rapport qui vous a été fait et qui portait -voyons

13 ce que vous avez dit exactement, excusez-moi, je me réfère au compte

14 rendu-, oui, il semble qu'un soldat a vu un Musulman se faire abattre près

15 de l'usine de zinc. Ce rapport, est-ce que vous l'avez cru lorsqu'il vous

16 a été fait ?

17 M. Franken (interprétation). - Oui.

18 M. Cayley (interprétation) - Pourquoi l'avez-vous cru ?

19 M. Franken (interprétation). - Eh bien, parce que je ne vois pas

20 pourquoi on parlerait de quelque chose d'aussi grave simplement pour le

21 plaisir, ou pour essayer de prouver qu'on a beaucoup d'imagination.

22 Et puis, d'autre part, la situation était tellement grave qu'il

23 était parfaitement envisageable qu'un tel incident se produise. Il n'y

24 avait aucune raison que je remette en question les mots de ce soldat.

25 M. Cayley (interprétation) - Vous connaissiez ce soldat ?

Page 2053

1 M. Franken (interprétation). - Je ne le connais pas vraiment, je

2 ne connais pas son nom, il ne m'a pas fait rapport à moi directement. Moi,

3 j'ai eu vent de cet incident dans le cadre d'un rapport qui m'a été fait

4 par le colonel Karremans.

5 M. Cayley (interprétation). – Eh bien maintenant, nous allons

6 avancer un petit peu dans le temps. Nous en venons au 17 juillet 1995.

7 Je vous demande de vous rappeler le jour où une délégation est

8 arrivée à la base. Je voudrais que vous expliquiez aux Juges qui est

9 arrivé à la base ce jour-là, et ce qu'ont fait ces personnes au sein de la

10 base ?

11 M. Franken (interprétation). - La réunion devait porter sur le

12 transfert de 59 patients, 50 personnes blessées, par Médecins sans

13 frontières. Ces personnes se trouvaient toujours à l'intérieur de la base

14 et un certain nombre de blessés se trouvaient à l’hôpital serbe de

15 Bratunac. Il avait été précisé que le Comité de la Croix-Rouge devait en

16 prendre charge et les emmener dans une zone plus sûre. Je ne veux pas dire

17 l’enclave protégée de Srebrenica, je veux dire un territoire réellement

18 sûr.

19 Une délégation serbe est arrivée ce jour-là. Le commandant était

20 le colonel Jankovic. Il y avait un civil qui était présent, il y avait le

21 maire, le nouveau maire de Srebrenica. Il y avait le commandant Nikolic

22 qui était présent. Il avait un garde du corps. Il y avait un colonel des

23 forces serbes, je ne me souviens pas de son nom et un lieutenant-colonel

24 qui était juriste par ailleurs. C'est lui-même qui l’a précisé.

25 De mon côté, il y avait M. Mandzic, l'un des membres du comité

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1 civil. Il y avait l'officier Graves, et puis un peu plus tard, il y a eu

2 la délégation du Comité international de la Croix-Rouge. Pour autant que

3 je me souvienne, vous avez là toutes les personnes qui étaient présentes à

4 ce moment-là, présentes dans la salle.

5 M. Cayley (interprétation). - Qui étaient ces personnes blessées

6 dont vous venez de nous parler ?

7 M. Franken (interprétation). – Eh bien ces personnes blessées

8 avaient été évacuées de l'hôpital civil qui se trouvait à Srebrenica.

9 Précédemment, nous avions essayé de faire sortir tous les blessés lors de

10 l'évacuation mais nous n’avons pas réussi à le faire. Nous avions été

11 bloqués au point de passage à Kladanj. Lorsqu’elles… Excusez-moi, je me

12 trompe. Les Serbes ne nous ont pas autorisé à les ramener à la base, et en

13 ont emmené un certain nombre à l’hôpital de Bratunac. Nous avons laissé

14 sur place un médecin néerlandais qui devait surveiller ce qui se passait

15 mais il y avait encore 59 patients et 59 blessés à l'intérieur de la

16 base ; ces 59 blessés et malades de Médecins sans frontières qui…

17 M. Cayley (interprétation). - Ces personnes étaient des

18 Musulmans de Bosnie de Srebrenica, c’est bien cela ?

19 M. Franken (interprétation). – Oui.

20 M. Cayley (interprétation). - Cette réunion avait pour but de

21 faciliter l’évacuation de ces personnes. Pouvez-vous expliquer exactement

22 ce que vous deviez faire pour rendre cette évacuation plus aisée ?

23 M. Franken (interprétation). - Il est apparu très clairement que

24 les Serbes souhaitaient qu’une déclaration soit faite, par laquelle les

25 représentants du comité civil déclaraient que tout se passait conformément

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1 aux règles, que l’évacuation avait été faite dans les règles.

2 Quand elle m'a été soumise, la déclaration était rédigée en

3 serbo-croate –je crois que c’est ainsi que l’on dit- et ils m'ont demandé

4 de la signer en tant que témoin. J'ai dit que je voulais qu'elle soit

5 traduite, que je n'allais certainement pas signer quelque déclaration que

6 ce soit, si elle n'était rédigée qu’en serbo-croate, parce que je ne

7 comprends pas la langue. Je ne la parle pas non plus. J'avais à mes côtés

8 mes interprètes qui l'ont traduite vers l'anglais.

9 Entre-temps, il est apparu que le transport des blessés qui se

10 trouvaient dans notre base et que le transport des blessés qui se

11 trouvaient dans l’hôpital de Bratunac seraient grandement facilités par

12 cette déclaration, que cette déclaration permettrait d'accélérer beaucoup

13 les choses.

14 M. Cayley (interprétation). - Pardon de vous interrompre,

15 commandant Franken. Excusez-moi, je vais vous soumettre la pièce de

16 l'accusation 86. Commandant, reconnaissez-vous ce document ?

17 M. Franken (interprétation). - C'est une liste de noms et les

18 années de naissance, etc., faite par Médecins sans frontières. Cela fait

19 partie d'une procédure habituelle pour obtenir l’évacuation des gens du

20 territoire de la VRS.

21 M. Cayley (interprétation). – Et les 59 personnes qui

22 apparaissent sur cette liste ?

23 M. Franken (interprétation). – Il s’agit des 59 patients évacués

24 par Médecins sans frontières sur la base, ou à qui Médecins sans

25 frontières ont donné assistance sur la base.

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1 M. Cayley (interprétation). – Est-ce que toutes ces personnes

2 ont été évacuées de la base des Nations Unies ?

3 M. Franken (interprétation). - A la fin, oui. En fait, le

4 problème était qu'il n’y avait pas assez de véhicules pour transporter

5 tous ces gens sur les lieux. Ils m'ont donc demandé de leur offrir le

6 transport pour sept personnes, sept hommes et j'ai permis ce transport.

7 J'ai envoyé un camion avec ces sept hommes à Bratunac. Ils étaient

8 escortés par un observateur militaire, le commandant Dean. A Bratunac, il

9 a été transféré à la Croix-Rouge.

10 M. Cayley (interprétation). – Avez-vous entendu des rapports en

11 ce qui a trait au sort réservé à ces sept hommes ?

12 M. Franken (interprétation). – Oui, en fait pour des raisons qui

13 me sont inconnues, ils sont restés à Bratunac. Ils n'ont pas été emmenés

14 par la Croix-Rouge. La Croix-Rouge allait s’occuper d’eux et surveiller.

15 Je vous ai déjà mentionné auparavant qu'il y avait des médecins qui se

16 trouvaient encore à l'hôpital de Bratunac. Les médecins ont été appelés.

17 Ils devaient aller faire quelque chose et quand ils sont revenus, les

18 hommes n'étaient plus là. En fait, le médecin était le colonel Schouten.

19 C'était un chirurgien de l'armée néerlandaise. C’est à lui que l’on a dit

20 de ne pas poser de questions à ce qui a trait au sort des ces sept hommes.

21 M. Cayley (interprétation). – C’était donc un chirurgien de

22 l'armée néerlandaise ?

23 M. Franken (interprétation). – Oui.

24 M. Cayley (interprétation). – Connaissez-vous le sort réservé à

25 ces sept hommes ?

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1 M. Franken (interprétation). - Ils ont disparu. Je ne sais pas

2 s’il sont encore dans un camp, ils sont probablement morts.

3 M. Cayley (interprétation). – Ces personnes étaient-elles

4 blessées ?

5 M. Franken (interprétation). - Oui.

6 M. Cayley (interprétation). - Si vous regardez la liste qui se

7 trouve devant vous, et nous l'avons révisée ensemble, nous pouvons voir

8 qu'il y a une combinaison d’hommes, de femmes, indiquée avec la lettre M

9 et F. Il y a également des personnes âgées sur cette liste, n'est-ce pas ?

10 M. Franken (interprétation). – Oui, c’est exact. Il y a même une

11 personne née en 1910, une autre personne en 1914, etc.

12 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais que l’on montre

13 maintenant la pièce de l'accusation 47 A et 47 B.

14 Commandant, vous avez parlé de la déclaration dont vous avez été

15 témoin. Est-ce que l’on pourrait voir le document que vous avez signé ?

16 Peut-on placer le document sur le rétroprojecteur ? C’est bien le document

17 que vous avez signé, je crois, car vous avez également la traduction

18 anglaise qui se trouve devant vous. Le document 47 A est donc la

19 traduction anglaise officielle et le document 47 B la traduction dont vous

20 parlez. C’est la traduction qui a eu lieu sur-le-champ, que vous avez

21 demandée parce que vous ne compreniez pas la langue serbo-croate.

22 Commandant, simplement pour confirmer, pour le compte rendu,

23 est-ce bien le document que vous avez signé ?

24 M. Franken (interprétation). – Oui, c’est exact, c’est bien le

25 document.

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1 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais maintenant me référer à

2 ce que j'appelle "les paragraphes opérationnels" de cette déclaration qui

3 stipule que l'accord suivant… Il a été convenu d'après l'accord suivant et

4 j'aimerais vous poser des questions sur ces accords. L'accord stipule que

5 la population civile peut rester dans l'enclave ou être évacuée

6 indépendamment du désir de chaque personne. Commandant, est-ce que c'est

7 ce qui est effectivement arrivé ?

8 M. Franken (interprétation). - Je comprends que le général

9 Mladic en a parlé, mais ce n'était pas un reflet réaliste de ce qui est

10 arrivé puisque le sort de ceux qui voulaient rester, même s’ils avaient pu

11 rester, aurait très incertain. A la fin, il n'y avait plus de choix.

12 Mladic a ordonné à la population de se rendre à Kladanj. Point final !

13 M. Cayley (interprétation). – J’aimerais que l’on se dirige à la

14 phrase suivante : "Si nous voulons évacuer, il est possible pour nous de

15 choisir la direction du mouvement et de décider que toute la population

16 serait évacuée sur le territoire du comté de Kladanj". Est-ce exact, est-

17 ce que cela reflète la vérité ?

18 M. Franken (interprétation). – On ne peut pas dire que le comité

19 ou M. Mandzic ait décidé quoi que ce soit. Cela a été dicté par Mladic que

20 l'évacuation aurait lieu et qu'elle serait faite à Kladanj, ce n'était pas

21 un choix, c'était simplement dicté.

22 M. Cayley (interprétation). - Et on lit : "Il a été convenu que

23 l'évacuation sera faite par l'armée et la police de la Republika Srpska,

24 supervisée et escortée par la Forpronu" ?

25 M. Franken (interprétation). - C'est encore une fois la même

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1 chose. D'après ce que je sais, Mladic a demandé ou a exigé que ce soit

2 fait de cette façon-ci, et il n'y a pas eu de contacts entre les niveaux

3 des Nations Unies. Quels niveaux ? Je ne sais pas, mais ils nous ont

4 ordonné d'aider à cette évacuation. Ce n'était pas un choix du tout, cela

5 a été fait par l'armée, par la police de la Republika Srpska. C'était une

6 exigence de Mladic et les Nations Unies n'étaient pas du tout en mesure de

7 faire quoi que ce soit.

8 M. Cayley (interprétation). - Nous lisons par la suite : "Après

9 que cet accord soit convenu, je certifie que l'évacuation sera exécutée du

10 côté serbe correctement et que les clauses de cet accord seront

11 respectées". Que répondez-vous à cela ?

12 M. Franken (interprétation). - Ce n'est pas exact du tout. Si

13 vous prenez surtout la dernière phrase, j'ai ajouté : "Cela aurait été de

14 cette façon-là si les convois escortés par les forces des Nations Unies

15 auraient été, si on leur aurait permis de le faire". Cela n'a pas été

16 possible, donc c'est pour cela que cette déclaration, pour moi, ne vaut

17 rien.

18 Pour clarifier ce que je voulais dire, c'est qu'avec une escorte

19 si vous avez 10 autobus qui traversent un chemin ou une route, il faut

20 presque s'assurer qu'il y a un véhicule des Nations Unies entre chaque

21 autobus pour vraiment faire une escorte convenable, pour pouvoir savoir ce

22 qui passe avec le convoi, pour avoir un convoi convenable mais, comme vous

23 le savez, nous n'avons pas été en mesure de le faire. Notre escorte, quand

24 il était possible d'escorter des autobus, était simplement des escortes

25 qui étaient seules, non accompagnées.

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1 M. Cayley (interprétation). - Vous avez répondu à ma question

2 que vous aviez ajouté une phrase, et je crois que vous parlez de la phrase

3 manuscrite au dernier paragraphe où il est écrit : "Si l'on parle des

4 convois escortés par les forces des Nations Unies". De quelle façon les

5 Serbes de Bosnie ont-ils réagi quand vous avez ajouté cette phrase ?

6 M. Franken (interprétation). - Il y a eu deux réactions. Le

7 lieutenant-colonel, celui qui disait qu'il était avocat, s'est fâché. Il a

8 eu une discussion très animée avec ses collègues. Le colonel Jankovic a

9 dit de laisser faire. Donc c'étaient les deux réactions que j'ai obtenues.

10 M. Cayley (interprétation). - Vous nous avez déclaré que cette

11 déclaration ne vaut rien, d'après vous ?

12 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

13 M. Cayley (interprétation). - Pourquoi l'avez-vous signée

14 alors ?

15 M. Franken (interprétation). - Comme je vous ai répondu, le

16 message m'est parvenu en effet que pour assurer que ces 59 blessés et

17 patients, ces 59 civils, c'est-à-dire les civils et les patients blessés à

18 Bratunac, pour qu'ils puissent partir avec la Croix-Rouge. Enfin signer

19 cette déclaration pourrait favoriser la procédure et pourrait accélérer

20 cette procédure de sauvetage de ces gens.

21 Donc, d'après moi, cette déclaration ne valait rien mais je l'ai

22 signée pour au moins faciliter le sort réservé aux blessés. C'était la

23 raison pour laquelle j'ai signé.

24 M. Cayley (interprétation). - Très bien. J'ai simplement deux

25 autres questions pour vous. J'aimerais que vous pensiez aux 12 et

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1 13 juillet.

2 L'opération militaire que vous avez vue et observée, et vous

3 avez parlé du général Mladic il y a quelques instants, est-ce que vous

4 étiez au courant qu'il se trouvait à la base de Potocari le 12 ou le

5 13 juillet ?

6 M. Franken (interprétation). - Il ne se trouvait pas à la base

7 elle-même, mais il était à l'extérieur dans le périmètre de Potocari où il

8 y avait des réfugiés. Oui, j'ai eu des renseignements à cet effet.

9 M. Cayley (interprétation). - D'après vous, quelle est la raison

10 pour laquelle il se trouvait à l'extérieur de la base ?

11 M. Franken (interprétation). - Parce qu'il y avait une présence

12 de caméras serbes. C'était une opération médiatique simplement. C'était un

13 truc, un subterfuge.

14 M. Cayley (interprétation). - Vous avez mentionné plus tôt que,

15 d'après vous, c'était une opération de corps d'armée. Lorsque vous

16 regardez en arrière, quelle est la raison pour laquelle vous évaluez la

17 présence de Mladic puisqu'il était le commandant en chef de l'armée ?

18 Quelle est la raison de sa présence ?

19 M. Franken (interprétation). - Propagande ou relations

20 publiques…, simplement des questions de ce genre. Etant le grand héros des

21 forces serbes, se montrer sur place parce qu’à chaque fois qu'il

22 apparaissait, il y avait des caméras d'après ce que l'on savait. Mais il

23 était vraiment un dirigeant à l'époque.

24 M. Cayley (interprétation). - Quand vous dites qu'il était

25 dirigeant, que voulez-vous dire ?

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1 M. Franken (interprétation). - En fait, c'est lui qui commandait

2 les troupes sur le champ. C'était très inhabituel du point de vue

3 militaire qu'un commandant aussi haut gradé se préoccupe des détails. En

4 fait, c'est très inhabituel.

5 M. Cayley (interprétation). - Qui, d'après vous, contrôlait les

6 opérations auxquelles vous vous référez ?

7 M. Franken (interprétation). - Je ne connais pas le nom de la

8 personne, mais cela aurait dû être le commandant au niveau du corps de

9 l'armée qui était impliqué dans l'opération, le commandant du corps de

10 l'armée. Ce serait normal, ce serait habituel dans une armée habituelle,

11 normale car c'est la norme.

12 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais maintenant que l'on

13 montre au témoin la pièce à conviction cotée 45.

14 (L'huissier s'exécute).

15 Commandant, je vous ai déjà montré cette photo auparavant.

16 Reconnaissez-vous cet homme ?

17 M. Franken (interprétation). - Oui, je reconnais cet homme, je

18 reconnais son visage.

19 M. Cayley (interprétation). - Savez-vous où vous l'avez vu

20 auparavant ?

21 M. Franken (interprétation). - Oui, je pourrais dire que je l'ai

22 vu aux alentours du 12 ou 13 juillet, très probablement. Lorsque je l'ai

23 rencontré pour la première fois, c'était avec le colonel Akamovic, à

24 l'extérieur de la base puisqu'il y avait un cercle d'officiers discutant

25 de quelque chose. Je suis certain de l'avoir vu à ce moment-là.

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1 M. Cayley (interprétation). - Commandant Franken, pourriez-vous

2 vous lever et regarder dans le prétoire pour voir si vous reconnaissez

3 quelqu'un ?

4 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est l'homme en question.

5 M. Cayley (interprétation). - Pourriez-vous décrire ce que cet

6 homme porte ?

7 M. Franken (interprétation). - A l'époque, il portait un

8 uniforme de camouflage.

9 M. Cayley (interprétation). - Oui, à l'époque mais maintenant

10 que porte-t-il ?

11 M. Franken (interprétation). - Il porte un costume foncé, une

12 cravate à poids.

13 M. Cayley (interprétation) - J'aimerais que le compte rendu

14 indique que le témoin a identifié l'accusé.

15 Monsieur le Président, je n'ai pas d'autres questions pour le

16 témoin. Je suis sûr que mes collègues de la défense auront des questions

17 pour lui.

18 M. le Président. - Du point de vue de la gestion du temps, je

19 crois qu'il est tout à fait convenable de faire maintenant une pause avant

20 de commencer le contre-interrogatoire. Donc on va avoir une pause de

21 15 minutes maintenant.

22 (L'audience, suspendue à 13 heures 10 est reprise à

23 13 heures 29.).

24 M. le Président. - Maintenant, monsieur Franken, vous allez

25 répondre aux questions... Pardon, je vois que M. Cayley veut pas

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1 intervenir.

2 M. Cayley (interprétation) - Pardon, monsieur le Président, de

3 m'interrompre. Mais on m'a fait remarquer dans le courant de la pause,

4 malheureusement cela n'apparaît plus au compte rendu, mais qu'une des

5 pages, la ligne 1 de la page 85 du compte rendu indique une personne dont

6 le nom est Erdemovic. Mais en fait, ce que le témoin a dit, c'est que

7 cette personne s'appelait Ademovic. Cela n'apparaît plus sur le compte

8 rendu, mais il me semble important de vous le faire remarque parce que je

9 crois que l'on peut, par ailleurs, introduire des corrections lorsque les

10 sténotypistes écoutent ce qui a été enregistré pendant l'audience.

11 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Cayley. On doit donc

12 faire la correction du transcript.

13 Comme je disais, Major, vous allez maintenant répondre aux

14 questions que -je vois que c'est Me Visjnic- va vous poser, c'est l'avocat

15 de la défense du général Krstic. Vous allez donc répondre maintenant.

16 Merci beaucoup.

17 Maître Visjnic, vous avez la parole.

18 M. Visnjic (interprétation). - Merci, monsieur le Président.

19 Commandant Franken, j'aimerais revenir au début de votre séjour

20 dans la zone protégée de Srebrenica. Donc j'aimerais que l'on parle des

21 premiers mois de votre séjour en ces lieux. D'après l'information que nous

22 avons reçue, vous avez eu plusieurs possibilités de normaliser les

23 relations entre les deux parties et l'une des choses que vous avez

24 essayées, c'est d'essayer de rétablir...

25 M. Franken (interprétation). - Oui, effectivement, j'ai essayé

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1 de rétablir les liens commerciaux entre les parties, mais je n'ai pas

2 personnellement pris part à cette opération. Les Serbes ont fait savoir

3 qu'il y avait une proposition d'établir des liens commerciaux ouverts avec

4 l'enclave sur la condition qu'elle serait établie sur la base de ce qui

5 était fait dans la zone de Gorazde. Je sais qu'il y a eu un certain nombre

6 de rencontres relatives à cette proposition qui, effectivement, visait à

7 établir les détails de ces relations commerciales, en effet.

8 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que cela a pu être

9 réalisé ? Est-ce qu'il y a eu réalisation effective de ce qui avait été

10 convenu ?

11 M. Franken (interprétation). - Non, finalement aucun lien

12 commercial officiel n'a été établi entre les Serbes et les Musulmans dans

13 notre enclave, du moins pendant la période de temps où nous nous y

14 trouvions.

15 M. Visnjic (interprétation). - Sauriez-vous nous dire pour

16 quelle raison cette proposition avait été rejetée ?

17 M. Franken (interprétation). - La seule chose que je puisse

18 invoquer pour le rejet de cette proposition par les dirigeants de la

19 28e Division, que l'on appelait encore le 8 OG à l'époque, la seule raison

20 donc est qu'ils ne souhaitaient pas rentrer en rapport commercial avec les

21 Serbes. C'est la seule chose qui me vienne à l'esprit.

22 M. Visnjic (interprétation). - Commandant Franken, est-ce qu'à

23 votre avis ces relations commerciales auraient pu faciliter la position de

24 la population civile du point de vue de l'approvisionnement en vivres et

25 autres besoins de première nécessité ?

Page 2067

1 M. Franken (interprétation). - S'il s'était agi

2 d'approvisionnement en nourriture ou en médicaments, sans doute cela

3 aurait-il soulagé le sort de la population civile.

4 M. Visnjic (interprétation). - Et dans le cadre de la

5 proposition avancée, il devait justement s'agir de commerces de vivres, de

6 médicaments et autres besoins, enfin, de produits de première nécessité,

7 et non pas un commerce d'armes ?

8 M. Franken (interprétation). - Oui. Mais le même objectif aurait

9 pu être atteint par l'autorisation donnée à des convois humanitaires des

10 Nations Unies transportant toute sorte de produits de première nécessité.

11 Or, cette autorisation n'a jamais été donnée par les Serbes.

12 M. Visnjic (interprétation). - Commandant Franken, dans le cadre

13 de cette enclave de Srebrenica, y avait-il ce que l'on pourrait désigner

14 par un marché noir de vivres et autres produits de première nécessité pour

15 la population ?

16 M. Franken (interprétation). - Il y avait un marché où les gens

17 échangeaient des objets tels que les cigarettes, d'autres choses encore,

18 effectivement.

19 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que, dans le cadre de ce

20 marché, en sus des cigarettes, on pouvait se procurer des vivres et autres

21 produits de première nécessité ?

22 M. Franken (interprétation). - Oui, en petites quantités,

23 c'était possible.

24 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que, partant de vos

25 informations, enfin, des informations que vous avez pu recueillir, vous

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1 pourriez peut-être nous dire qui contrôlait ce marché noir ?

2 M. Franken (interprétation). - Eh bien, d'après ce que nous

3 avons découvert, il apparaît que les dirigeants de l'enclave participaient

4 à la gestion du marché noir. Et puis il y avait ce que nous avons appelé

5 le "Pony Express" qui avait été mis en place, un service de communication

6 rapide entre l'enclave de Zepce et Srebrenica.

7 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que nous pouvons conclure

8 alors que ces gens-là ne verraient pas d'un bon oeil l'établissement d'un

9 commerce normal entre la partie serbe et la partie musulmane ?

10 M. Franken (interprétation). - Oui, eh bien sans doute, mais ne

11 me posez pas cette question, posez-leur la question !

12 M. Visnjic (interprétation). - Ma question suivante porte sur la

13 situation relative à ce poste d'observation appelait Echo. Pouvez-vous

14 dire aux Juges de la Chambre quand cela est survenu et expliquer la

15 situation, notamment la situation qui avait précédé la prise de ce point

16 d'observation ?

17 M. Franken (interprétation). - Pour autant que je me souvienne,

18 l'attaque menée sur le point d'observation Echo a eu lieu le 6 ou le

19 8 juin. Je dis bien juin. J'ai eu des rapports indiquant que, tôt dans la

20 matinée, il y a eu des mouvements observés aux alentours du point

21 d'observation Echo et de l'usine qui se trouve à proximité. On a reconnu

22 des troupes serbes de l'infanterie.

23 Et puis, il y a eu diffusion par haut-parleur d'informations

24 nous disant que nous devions quitter le point d'observation Echo, et un

25 délai a été fixé. Si je me rappelle bien, nous disposions d'une heure pour

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1 vider les lieux.

2 M. Visnjic (interprétation). - A proximité de ce point

3 d'observation il se trouvait une usine, une usine de meubles. Est-ce qu'il

4 y avait des problèmes pour ce qui est de l'utilisation des installations

5 de cette usine entre la partie serbe et la partie musulmane ?

6 M. Franken (interprétation). - Effectivement. Très fréquemment,

7 les Musulmans essayaient de rentrer dans les lieux pour trouver du bois ou

8 des meubles susceptibles d'être brûlés. Cette usine était auparavant une

9 usine musulmane. Les Serbes se plaignaient toujours du fait que les

10 Musulmans entraient dans l'usine. Nous avons essayé d'éviter ce genre

11 d'incident, nous avons essayé d'éviter que des gens entrent de façon

12 illégale dans les locaux de l'usine. Nous avions des patrouilles dans les

13 environs.

14 Ensuite, nous avons demandé aux forces serbes de nous donner des

15 matériaux nécessaires à la fermeture de l'usine ; c'est-à-dire que nous

16 avions demandé des fils de fer barbelé, etc. Comme vous le savez sans

17 doute, les Serbes contrôlaient tout ce qui avait trait aux convois qui

18 entraient dans l'enclave, que ce soit la quantité de ces convois ou le

19 contenu de ces convois.

20 Moi, ce que j'ai dit personnellement au colonel Vukovic, c'est

21 que s'il voulait tarir cette source potentielle de conflits, eh bien il

22 fallait nous permettre d'amener sur place des équipements nous permettant

23 de fermer l'accès de cette entreprise à la fois aux Serbes et aux

24 Musulmans. Mais jamais on ne nous a permis de faire entrer un tel convoi.

25 M. Visnjic (interprétation). - A qui appartenait cette usine à

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1 l'époque ? Est-ce que vous pourriez le préciser ? Préciser, par exemple,

2 sur le territoire de quelle partie se trouvait cette usine ?

3 M. Franken (interprétation). - Eh bien, une petite partie de

4 l'usine se trouvait sur le côté musulman de l'enclave des Nations Unies,

5 et la majeure partie de l'entreprise se trouvait sur le côté serbe. Et en

6 fait, la ligne de délimitation des Nations Unies traversait le lieu où se

7 trouvait cette usine.

8 En fait, ce que nous avons proposé aux Serbes, c'est de déplacer

9 le poste d'observation Echo plus vers le sud, à la limite extrême de la

10 délimitation des Nations Unies ; mais ils ne nous ont pas donné non plus

11 l'autorisation de faire cela.

12 M. Visnjic (interprétation). - Et l'issue de cette attaque sur

13 le poste d'observation Echo a, en fait, été une sorte de déplacement de ce

14 poste d'observation Echo, n'est-ce pas, c'est-à-dire vers les profondeurs

15 de la région en allant vers Srebrenica.

16 M. Franken (interprétation). - Il n'y a pas eu déplacement de la

17 ligne, si vous voulez. On nous a simplement forcés à quitter la zone où se

18 trouvait la ligne des Nations Unies. On ne nous a plus permis de

19 superviser ce qui se passait aux alentours de cette ligne suite à

20 l'attaque qui a été lancée.

21 M. Visnjic (interprétation). - A votre avis, quelle avait été la

22 raison de la prise de ce poste d'observation ?

23 M. Franken (interprétation). - Eh bien, d'après ce que nous

24 avons compris, les Serbes voulaient avoir la liberté d'utilisation de la

25 route qui s'en allait en direction de Zeneli Jadar et qui passe à

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1 proximité des zones où se trouvaient les mines qui se trouvaient au sud de

2 l'enclave...

3 Pardon. Je vois que dans le compte rendu ce que j'ai dit

4 n'apparaît pas clairement. J'ai dit "utilisation libre de la route" qui se

5 dirige vers Zeneli Jadar. Je parle de cette route-ci.

6 Près de l'entreprise, il y avait effectivement des segments de

7 cette route. Et les Serbes voulaient s'assurer le contrôle de cette route,

8 et c'est la raison que nous avons pu trouver à l'attaque menée sur le

9 poste d'observation Echo.

10 M. Visnjic (interprétation). - Pour le compte rendu d'audience,

11 je voudrais que l'on précise que le témoin a montré la portion de route

12 menant de Zeleni Jadar vers l'ouest, jusqu'au village de Milici. Et cette

13 attaque lancée contre l'enclave a eu lieu à peu près un mois plus tard ?

14 M. Franken (interprétation). - Non. L'enclave a été attaquée au

15 moment-même où les forces serbes ont lancé l'attaque sur le point

16 d'observation Echo.

17 M. Visnjic (interprétation). - Mais cette attaque-ci est-elle en

18 corrélation directe avec les événements qui se sont déroulés un mois

19 auparavant ?

20 M. Franken (interprétation). - Oui. Nous, nous avons pensé qu'il

21 s'agissait-là d'un essai, si vous voulez. Et c'est dans la mesure où les

22 Serbes voulaient savoir si les Nations Unies allaient réagir et apporter

23 des soutiens aériens, parce que pour avoir soutien aérien il faut qu'il y

24 ait attaque directe sur une base des Nations Unies ou un point tenu par

25 les Nations Unies.

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1 Ce n'est pas ce qui s'est produit. Il n'y a pas eu de contre-

2 attaque par les forces musulmanes. Il n'y a pas eu de réelle contre-

3 attaque non plus par les forces des Nations Unies. Donc nous avons analysé

4 cela comme quelque chose qui était mené à titre d'essai pour savoir ce qui

5 pouvait se passer dans le cadre de l'attaque à venir sur l'enclave au mois

6 de juillet.

7 M. Visnjic (interprétation). - Dans votre déclaration, vous avez

8 dit qu'il y avait 3 frontières, 3 lignes de conflit. Pouvons-nous en

9 déduire, pouvons-nous dire que les conflits qui se sont déroulés avant

10 juillet se déroulaient généralement au niveau des limites de l'enclave, et

11 signifiaient en quelque sorte une espèce de non-reconnaissance des

12 frontières établies entre les parties en présence ? Et donc les frontières

13 avaient été contestées par les trois parties en présence ?

14 M. Franken (interprétation). - On peut dire tout ce que l'on

15 veut, mais ça ne peut pas être retenu, parce que après l'attaque de

16 Srebrenica par les forces serbes il n'y avait aucune autre option

17 possible. Il fallait que la frontière des Nations Unies se trouve dans la

18 ville de Srebrenica.

19 Pardon... Il faut que je corrige ce que je viens de dire. Les

20 conflits avant le mois de juillet, vous avez dit ! Pardon, je reprends.

21 Je suppose que ce que vous dites est exact.

22 M. Visnjic (interprétation). - Commandant, est-ce que vous

23 disposez d'informations aux termes desquelles les forces musulmanes

24 auraient fait des percées à l'extérieur de l'enclave vers les territoires

25 tenus par les Serbes ?

Page 2073

1 M. Franken (interprétation). - Oui. Comme je l'ai déjà déclaré,

2 j'ai reçu rapport de deux incidents. L'incident qui a eu lieu au sud de

3 Zeneni Jadar, l'embûche au cours de laquelle deux soldats ont été tués ;

4 et puis l'incident qui s'est produit au nord de notre point d'observation

5 Mike, action menée par des soldats musulmans.

6 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que dans le cadre de

7 l'accord de démilitarisation, il avait été prévu que vos forces puissent

8 sortir des limites de l'enclave et empêcher les forces musulmanes de

9 contrôler ou de superviser les événements à l'extérieur de cette enclave ?

10 M. Franken (interprétation). – Non, on n'a pas mis l'accent sur

11 le fait que nous devions sortir de l'enclave.

12 M. Visnjic (interprétation). - Dans vos dires précédents, vous

13 avez cité quelques difficultés éprouvées par le Bataillon néerlandais lors

14 des tentatives de démilitarisation de l'enclave. A votre avis, quelles

15 avaient été les forces nécessaires pour démilitariser effectivement avec

16 succès cette enclave ? Est-ce que vous ressentiez, notamment une pénurie

17 de personnel et d'équipement, pour ce qui était de procéder à une

18 démilitarisation complète de l'enclave ?

19 M. Franken (interprétation). - J'ai déjà déclaré que l'une des

20 raisons pour lesquelles nous n’avons pas pu mener à bien la

21 démilitarisation de la zone est qu'un certain nombre de problèmes

22 juridiques se posaient, nous n'avions notamment pas le droit de pénétrer

23 dans les maisons. C'était un premier problème.

24 Deuxième problème, si nous voulions agir efficacement et

25 démilitariser rapidement -ce qui supposait d’ailleurs consentement pour

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1 rentrer dans les maisons- il nous aurait fallu deux ou trois bataillons.

2 Par "bataillon", j'entends bataillon de la taille de celui auquel

3 j'appartenais.

4 M. Visnjic (interprétation). - Merci. Dans ce que vous avez

5 déclaré précédemment, vous avez décrit les armes des forces musulmanes qui

6 avaient été placées sous le contrôle de votre bataillon. Pouvez-vous nous

7 dire de quoi disposaient les forces de la 28e Division, des forces

8 musulmanes, pour ce qui est des armements qui n'avaient pas été placés

9 sous votre contrôle ?

10 M. Franken (interprétation). – Eh bien armes légères, c'est-à-

11 dire des fusils d'assaut du type kalachnikov et, sans doute, également, un

12 certain nombre de mitraillettes et de tirs mortiers légers, certainement.

13 M. Visnjic (interprétation). – Et de quelle façon s’armaient ces

14 forces musulmanes ?

15 M. Franken (interprétation). – Nous ne savons pas. On peut

16 imaginer beaucoup de choses. Peut-être que ces armes arrivaient via le

17 "Pony Express" de Zepce. Nous avons eu des rapports indiquant que des

18 hélicoptères se posaient dans la région. Et je devrais ajouter qu'il a été

19 dit qu'il y avait eu des atterrissages d'hélicoptères.

20 M. Visnjic (interprétation). – Et pouvez-vous nous dire de

21 combien d'hommes disposaient, selon votre estimation, cette 28e Division

22 des forces armées musulmanes ?

23 M. Franken (interprétation). – Voyons… forces de combat, ce

24 n’est pas seulement des armes dont il s'agit ici. A priori, ils devaient

25 avoir entre 4000 et 5000 hommes armés, que ce soit de kalachnikov ou

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1 d’armes de taille équivalente. Non, pardon, ce qui apparaît sur le compte

2 rendu est inexact, pas 4000 ou 5000 mais 4500.

3 M. Visnjic (interprétation). – A côté de ces points

4 d'observation, des soldats musulmans avaient creusé des tranchées pour y

5 prendre position. Est-ce que cela était conforme à la tactique conjointe

6 de défense dont vous avez parlé lors de votre interrogatoire principal ?

7 M. Franken (interprétation). - Je n'ai pas parlé de forces de

8 défense coordonnées. J’ai parlé d'entretiens hypothétiques portant sur ce

9 qui passait si, si et si… En revanche, ce qui est exact, c’est qu’ils ont

10 creusé des tranchées mais ils l'ont fait à côté du poste d'observation,

11 poste d'observation qui ne faisait pas partie intégrante de ces tranchées.

12 M. Visnjic (interprétation). - Lors de l'interrogatoire

13 principal, vous aviez parlé d'un incident à l'occasion duquel un soldat

14 néerlandais avait été victime. Est-ce que vous pouvez nous dire plus de

15 détails sur l'incident et sur la façon dont a été victime le soldat

16 néerlandais ?

17 M. Franken (interprétation). – Eh bien l'équipe se trouvait sur

18 le point d'observation Fox trot, au sud-est de l'enclave. Pendant quelques

19 jours auparavant, il y avait eu des pilonnages et, ensuite, il y a eu

20 retrait local des forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Suite à ce

21 retrait, le poste d'observation Fox trot s'est trouvé ainsi isolé parmi

22 les forces d'infanterie serbes. Ils ont été autorisés à se retirer en

23 direction de Srebrenica et, alors qu'ils étaient en chemin vers

24 Srebrenica, les membres de cette équipe sont tombés sur une barricade

25 tenue par les Musulmans.

Page 2076

1 Le commandant, à bord du véhicule transporteur de troupes, était

2 un petit peu inquiet de la situation parce que les hommes qui se

3 trouvaient autour de la barricade étaient très excités et ils portaient

4 tous des armes. Il leur a donc demandé de partir et il a demandé à ces

5 hommes de fermer toutes les petites tourelles qui se trouvent sur les

6 véhicules transporteurs de troupe mais, apparemment, l’homme qui était à

7 l'intérieur du véhicule n'a pas pu fermer sa petite tourelle assez vite et

8 il a été atteint par une balle tirée par l’un des hommes qui se trouvaient

9 sur la barricade. Il est arrivé à la base encore en vie mais il est mort

10 peu de temps après.

11 M. Visnjic (interprétation). - Et cette barricade avait été mise

12 en place par des soldats musulmans, n'est-ce pas ?

13 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

14 M. Visnjic (interprétation). - Dans ce que vous avez déclaré

15 précédemment, vous avez dit que vos hommes, à certains points

16 d'observation, sont restés là-bas jusqu'à l'arrivée des forces des Serbes

17 de Bosnie. Pouvez-vous nous donner davantage de détails concernant les

18 instructions, les ordres qui avaient été donnés à ces soldats, à vos

19 troupes ?

20 M. Franken (interprétation). - Je n'ai pas reçu d'ordres, j'ai

21 donné des ordres. Le fait que nous avions des problèmes avec les

22 commandants locaux de l’armée de Bosnie-Herzégovine qui menaient leur

23 propre guerre, sans suivre les directives de leurs divisions, j'ai demandé

24 à ce qu’ils ne soient autorisés à se retirer que s'il y avait autorisation

25 du commandant local de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Et j'ai demandé cela

Page 2077

1 parce que, précisément, le soldat Van Renssen avait été abattu, comme nous

2 l'avons dit précédemment.

3 S’ils n'arrivaient pas à coordonner leur retrait de leur poste

4 d'observation, cela voulait dire qu'il valait mieux qu'ils restent à leur

5 place, qu’ils attendent. En fait, ce qu'il fallait attendre, c'est que les

6 forces serbes rentrent en contact avec eux.

7 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que cela signifie qu’il y

8 avait une appréhension certaine au terme de laquelle les forces musulmanes

9 adopteraient une attitude vis-à-vis du Bataillon néerlandais comme vis-à-

10 vis d'une force ennemie ?

11 M. Franken (interprétation). – Pas de façon générale, non, mais

12 nous ne savions pas où ils pourraient intervenir ou ne pas intervenir. Ce

13 qui apparaît sur le compte rendu n'est pas exact. C’est : ou, et non pas

14 s’ils interviendraient ou pas, c’est ou ils allaient intervenir ou ne pas

15 intervenir. Donc au niveau local, il y avait des commandants de la Bosnie-

16 Herzégovine qui nous permettaient de nous déplacer avec nos véhicules

17 transporteurs de troupes mais il y avait d'autres commandants locaux qui

18 voulaient que nous restions sur place et que nous ne nous déplacions pas.

19 Là où il n'y avait pas consentement, nos troupes avaient pour ordre de

20 rester en place.

21 M. Visnjic (interprétation). - Bien. Et sauriez-vous nous dire

22 pour quelle raison, à un moment donné, les soldats de la 28e Division se

23 sont retirés et ont quitté les lignes de la défense ; donc, en d'autres

24 termes, abandonné la défense de Srebrenica ?

25 M. Franken (interprétation). - Non, je ne peux émettre que des

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1 suppositions.

2 M. Visnjic (interprétation). - Et quelle est votre opinion ?

3 M. Franken (interprétation). - Eh bien, un peu plus tard, nous

4 avons entendu dire que la 28e Division avait essayé de s'échapper en

5 direction de Tuzla. Donc cela est une des raisons possibles. Et peut-être

6 que leur supérieur hiérarchique leur avait donné l'ordre de maintenir

7 l'essentiel de la 28e Division sur place, et de ne pas sacrifier les

8 membres de sa division dans le cadre de la défense de l'enclave. Mais je

9 le répète : il s'agit-là de pures spéculations. Je ne sais absolument pas

10 quelles ont été les raisons.

11 M. Visnjic (interprétation). - Je me propose maintenant de

12 revenir au 11 juillet, c'est-à-dire à la période entre le 8 et le

13 11 juillet, date à laquelle l'enclave avait été attaquée depuis le côté

14 sud.

15 Est-ce que vous pouvez montrer à la Chambre sur la carte qui est

16 derrière vous, en indiquant les principales lignes d'attaque des forces

17 armées serbes ?

18 M. Franken (interprétation). - Très bien, mais je dois également

19 faire part de ce qui m'a été rapporté parce que, nous, nous ne pouvions

20 pas superviser toute l'enclave. Nous avions simplement la possibilité de

21 superviser ce qui se passait dans une partie de l'enclave, c'est-à-dire

22 celle de Srebrenica.

23 Interprète. - Le témoin est très difficilement audible.

24 M. Franken (interprétation). - Donc la principale ligne d'accès

25 pour l'attaque était la route de Zeleni Jadar en direction du nord. Donc

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1 la route qui va de Zeleni Jadar et de Srebrenica, qui va du sud vers le

2 nord. Un peu plus tard, il y a eu une attaque provenant du nord mais à ce

3 moment-là, Srebrenica était déjà tombée.

4 Nous savions également qu'il y avait une autre ligne d'attaque

5 qui partait de Zeleni Jadar et qui partait vers l'ouest -dans cette zone

6 que j'indique maintenant-, qui suit la vallée de la rivière Jadar. Mais

7 nous n'avons pu suivre cela que jusqu'à ce que nos postes d'observation

8 soient saisis, soient pris.

9 M. Visnjic (interprétation). - Et vous nous avez déclaré

10 auparavant que, lors du retrait de vos forces de Srebrenica, la

11 Compagnie B avait suivi les réfugiés en les protégeant contre tout contact

12 éventuel avec l'armée serbe. Conformément à ce que vous venez de dire tout

13 à l'heure, la Compagnie B s'était trouvée entre les réfugiés qui se

14 retiraient vers Potocari et les forces serbes qui arrivaient du sud et qui

15 remontaient vers le nord.

16 Pouvez-vous nous dire s'il y avait eu un contact quelconque

17 entre la Compagnie B et les forces serbes ? Et nous dire, d'autre part, où

18 ces forces serbes se sont-elles arrêtées ?

19 M. Franken (interprétation). - Il y a eu effectivement des

20 contacts entre la Compagnie B et les troupes serbes. La position à l'ouest

21 de Srebrenica était sous le feu des tanks serbes. Et au soir du 10, il y a

22 eu une attaque d'infanterie lancée sur la ville. Nous avons répondu en

23 ouvrant le feu et ils se sont retirés. Et puis il y a eu également

24 d'autres contacts dans la mesure où il y a eu échanges de coups de tirs

25 d'artillerie et de tirs de blindés.

Page 2080

1 M. Visnjic (interprétation). - Mais où ces forces serbes se

2 sont-elles arrêtées lorsqu'elles venaient du sud et remontaient vers le

3 nord ?

4 M. Franken (interprétation). - Elles ont essayé de descendre sur

5 ce versant, vers la ville mais, lorsque nous avons ouvert le feu, elles se

6 sont retirées. Et puis, il y avait des combats dans la zone du poste

7 d'observation "Hôtel", qui était un poste d'observation qui était très

8 exactement à l'est de la ville. Il y a eu des combats à 600, 700 mètres de

9 ce poste d'observation, des combats entre les forces de l'armée de Bosnie-

10 Herzégovine et les forces serbes.

11 M. Visnjic (interprétation). - Le 11 juillet, vos effectifs se

12 sont retirés vers la base de Potocari. Est-ce exact ?

13 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact.

14 M. Visnjic (interprétation). - Est-ce que les forces serbes qui

15 procédaient à l'attaque contre la ville se sont dirigées vers Potocari ?

16 M. Franken (interprétation). - Pas directement devant nous, mais

17 sur nos côtés, si vous voulez. C'est la raison pour laquelle, comme je

18 l'ai dit précédemment, j'ai donné l'ordre à la compagnie de se retirer.

19 M. Visnjic (interprétation). - Pouvez-vous nous dire où ces

20 forces serbes se sont-elles arrêtées en date du 11 ?

21 M. Franken (interprétation). - Je ne sais pas exactement où

22 elles ont été vues pour la dernière fois. Je ne peux pas vous donner les

23 coordonnées de ce point de façon très précise, mais c'était dans cette

24 zone -je montre une zone un peu surélevée- qui était parallèle à la partie

25 nord de la ville. Le dernier rapport faisant état de la présence des

Page 2081

1 troupes serbes indiquait qu'elles se trouvaient là. Je parle des forces

2 d'infanterie. Et puis, nous avons perdu le contact avec les forces serbes

3 à mi-chemin entre Srebrenica et Potocari.

4 M. Visnjic (interprétation). - Si je vous ai bien compris, les

5 forces serbes se sont attardées à Srebrenica ou, éventuellement, à mi-

6 chemin en allant vers Potocari, puisque cela a été votre dernier contact

7 avec ces forces-là. J'entends là les forces serbes qui progressaient en

8 allant du sud vers le nord.

9 M. Franken (interprétation). - Je ne peux pas affirmer qu'elles

10 se sont arrêtées. La seule chose que je peux dire, c'est que nous avons

11 perdu le contact avec eux à ce moment-là. Et je vous ai dit où nous les

12 avons vues pour la dernière fois.

13 Et pour ce qui est de savoir si elles sont rentrées ou pas dans

14 Srebrenica, je ne sais pas. Nous ne pouvions pas le voir parce que, après

15 nous être retirés et avoir fermé la colonne de réfugiés, nous n'avions

16 devant nous que 100 ou 150 mètres par rapport à la ligne de feux.

17 Donc, est-ce qu'à ce moment-là les soldats serbes étaient dans

18 le cœur même de la ville de Srebrenica et dans la zone à l'ouest et à

19 l'est de la ville, hors de notre vue ? Cela, je ne le sais pas et je ne

20 peux pas le dire.

21 M. Visnjic (interprétation). - Lors de votre interrogatoire

22 principal, vous avez à plusieurs reprises mentionné des contacts avec le

23 quartier général des Nations Unies. Je suppose que ces contacts avaient

24 été entretenus notamment par le colonel Karremans, et concernant notamment

25 leurs instructions relatives à l'évacuation.

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1 Est-ce que vous pouvez nous dire quelque chose de plus là-

2 dessus ?

3 M. Franken (interprétation). - Il est exact que c'est le colonel

4 Karremans qui établissait ces contacts. Toutes les informations que j'ai

5 sont des informations que j'ai eues par ouï-dire, par des rapports que lui

6 m'a faits.

7 Je sais que dans la soirée du 11 ou dans le courant de la

8 matinée du 12, nous avons reçu l'ordre de défendre nos positions à

9 Potocari. Le colonel Karremans a dit aux Nations Unies qu'il était tout à

10 fait impossible de faire cela, parce que nous avions tout près de nous des

11 rassemblements de réfugiés, des rassemblements de civils seulement à

12 quelques dizaines de mètres de nous, donc nous ne pouvions pas nous

13 engager dans des actions militaires. J'ai fait parvenir au colonel

14 Karreman... Pardon, par le colonel Karremans, j'ai reçu le message selon

15 lequel les Nations Unies nous demandaient de faciliter l'évacuation, comme

16 elle a été appelée à l'époque. C'est tout ce que je peux vous dire.

17 M. Visnjic (interprétation). - Dans l'interrogatoire principal,

18 vous avez fait une évaluation du nombre des hommes qui se trouvaient au

19 sein de votre base à Potocari et du nombre d'hommes qui se trouvaient à

20 l'extérieur de la base. Pour ce qui est de la première donnée, je

21 comprends fort bien comment vous avez abouti à cette liste.

22 Mais pouvez-vous nous dire de quelle façon vous avez procédé à

23 l'évacuation du nombre des hommes se trouvant à l'extérieur de la base ?

24 M. Franken (interprétation). - Oui, ce nombre a été évalué par

25 le commandant local des gardes, c'étaient des officiers du Bataillon

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1 néerlandais qui étaient aux postes de responsabilité, à l'extérieur de la

2 base, et c'est lui qui m'a donné cette estimation.

3 Et puis moi-même je me suis rendu sur place. Il était

4 extraordinairement difficile de faire une estimation du nombre d'hommes

5 qui se trouvaient sur place. C'était une foule énorme, c'est toujours

6 difficile de savoir exactement combien de personnes se trouvent

7 rassemblées dans de telles circonstances.

8 Mais nous avons pensé que ce chiffre avancé était tout à fait

9 fiable.

10 M. Visnjic (interprétation). - Pourriez-vous nous dire, selon

11 vous, combien de réfugiés se trouvaient au sein de la base et autour de la

12 base ?

13 M. Franken (interprétation). - Eh bien, il y avait environ

14 5 000 réfugiés à l'intérieur de la base, et environ 25 000 ou même

15 30 000 réfugiés à l'extérieur de la base.

16 M. Visnjic (interprétation). - Vers la fin de votre déclaration,

17 vous nous avez décrit qu'aux alentours de la base vous aviez vu le général

18 Krstic avec plusieurs autres officiers serbes. Est-ce que vous pouvez vous

19 souvenir de la période de la journée où cela pourrait se situer ?

20 M. Franken (interprétation). - J'ai dit que la première réunion

21 que j'ai eue avec le colonel Acamovic avait dû se tenir dans le courant de

22 l'après-midi du 12, alors peut-être était-il 14 heures, 15 heures ? Je ne

23 sais pas, vous savez, tout cela s'est passé il y a quatre ans et demi.

24 C'était dans le courant de cet après-midi-là.

25 M. Visnjic (interprétation). - Ma question sera peut-être tout

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1 aussi difficile pour vous. Pouvez-vous nous donner un ordre d'idée

2 concernant la longueur du séjour du général Krstic sur cet emplacement ?

3 M. Franken (interprétation). - Je ne le peux pas. Je sais que je

4 me suis trouvé moi-même dans ces lieux pendant environ dix minutes. Je ne

5 savais pas qu'il s'agissait d'un général, je ne savais pas qu'il

6 s'agissait du général Krstic. Moi, j'ai reconnu un visage, personne ne me

7 l'a présenté. Donc je ne peux pas vous dire si, lorsque je suis parti,

8 cette personne est restée ou si elle est partie également. Je ne sais pas.

9 M. le Président. - Monsieur Visjnic, excusez-moi de vous

10 interrompre, mais je vois au compte rendu, je crois que c'est la page 103

11 à la 20e ligne, je crois que la réponse du témoin à propos du nombre de

12 réfugiés, j'ai entendu la version française, je crois 25 000, 30 000. Je

13 vois 2 500 et 3 000.

14 Est-ce que le témoin peut préciser combien de réfugiés, dans

15 votre estimation, étaient en dehors de la base ?

16 M. Franken (interprétation). - Oui, monsieur le Président :

17 2 500 ce n'est pas exact, c'est 25 000 à 30 000 qui est le chiffre exact.

18 M. le Président. - D'accord, de cette façon on corrige. Merci

19 beaucoup, excusez-moi de vous interrompre, mais j'ai dû faire cette

20 intervention pendant que je voyais les chiffres. Merci beaucoup.

21 M. Visnjic (interprétation). - Je voudrais revenir au moment où

22 vous aviez aperçu le général Krstic avec un groupe d'autres officiers.

23 Avez-vous pu remarquer qu'il distribuait des ordres ou des instructions

24 quelconques aux gens qui l'entouraient ?

25 M. Franken (interprétation). - Il y avait une discussion qui

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1 était en cours, je ne sais pas très bien de quoi il s'agissait parce que

2 je n'ai aucune idée de ce que peut vouloir dire une phrase en serbo-

3 croate, mais il y avait effectivement cette discussion. Est-ce qu'il

4 parlait de ce sujet ou d'un autre, je n'en sais rien. Je ne pense pas

5 qu'il s'agissait d'une situation où des ordres formels étaient donnés de

6 façon officielle.

7 M. Visnjic (interprétation). - Merci, Commandant Franken.

8 Monsieur le Président, je n'aurai plus de questions à l'intention du

9 témoin.

10 M. le Président. - Merci beaucoup, Maître Visjnic.

11 Monsieur Cayley, avez-vous des questions supplémentaires ?

12 M. Cayley (interprétation) - Non merci, monsieur le Président,

13 je n'ai pas de question supplémentaire à poser au témoin.

14 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Cayley.

15 Monsieur le Juge Fuad Riad.

16 M. Riad (interprétation). - Oui, merci beaucoup, monsieur le

17 Président. Bonjour, Commandant Franken.

18 M. Franken (interprétation). - Bonjour, merci.

19 M. Riad (interprétation). - Vous êtes un officier gradé, vous

20 avez notamment occupé le poste de commandant adjoint d'un bataillon

21 dépendant des Nations Unies et, à ce titre, peut-être pouvez-vous nous

22 donner une estimation générale des événements qui se sont produits dans la

23 zone qui nous occupe aujourd'hui. Je ne vous poserai que trois ou quatre

24 questions.

25 La première, et je pose ces questions dans un ordre qui n'est

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1 pas du tout chronologique, mais la première question porte sur

2 l'évacuation. Vous avez entendu le colonel Karremans dire -je ne sais pas

3 ce qu'il a dit exactement-, mais il disait que les Nations Unies avaient

4 accepté que cette évacuation soit faite en coordination avec les forces

5 serbes. C'est bien cela ?

6 M. Franken (interprétation). - Mais oui, c'est correct,

7 monsieur. C'est exactement ce que m'a dit le colonel Karremans à moi

8 aussi.

9 M. Riad (interprétation). - Bon. J'établis un lien entre ceci et

10 d'autre chose dont vous nous avez parlé. Vous avez déclaré que, au vu des

11 antécédents serbes dans la région, non pas directement à Srebrenica mais

12 dans la région en général, "je m'attendais -je vous cite- à ce que les

13 Serbes commencent à tirer au hasard sur les civils". En d'autres termes,

14 cela aurait voulu dire que les gens de Srebrenica auraient été livrés à

15 leurs bouchers, si vous voulez, si j'établis un lien entre ce que je viens

16 de vous dire et le fait que les Serbes devaient veiller à l'évacuation des

17 civils.

18 M. Franken (interprétation). - Mais oui, monsieur, c'est exact,

19 et j'avais moi-même ces craintes.

20 M. Riad (interprétation). - Mais qu'entendez-vous par

21 "évacuation" ? Est-ce que cela veut dire que toutes les personnes de

22 Srebrenica devaient quitter la ville, devaient être emmenées ?

23 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est parfaitement exact,

24 monsieur.

25 M. Riad (interprétation). - Donc, il y a un autre mot qu'on peut

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1 utiliser : la déportation.

2 M. Franken (interprétation). - Oui, c'est exact, monsieur. Mais

3 à l'époque le mot utilisé était toujours "évacuation", c'était le mot

4 officiel qui était utilisé, c'est donc le mot que j'ai utilisé.

5 M. Riad (interprétation). - C'était donc une évaluation

6 planifiée ?

7 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

8 M. Riad (interprétation). - Donc autorisée par les Nations

9 Unies ?

10 M. Franken (interprétation). - C'est effectivement exact,

11 monsieur.

12 M. Riad (interprétation). - Et il fallait que cette évacuation

13 soit menée à bien par les Serbes ?

14 M. Franken (interprétation). - C'est ce qui m'a été dit par le

15 colonel Karremans. C'est exact, monsieur.

16 M. Riad (interprétation). - Vous avez également parlé de

17 démilitarisation. Vous avez dit que démilitariser, cela voulait dire en

18 fait enlever aux civils de Srebrenica les armes qu'ils pouvaient posséder.

19 Mais cela ne voulait pas dire enlever leurs armes aux Serbes qui étaient

20 autour de l'enclave ?

21 M. Franken (interprétation). - C'est exact.

22 M. Riad (interprétation). - Les Serbes qui entouraient l'enclave

23 étaient lourdement armés ?

24 M. Franken (interprétation). - Oui, monsieur.

25 M. Riad (interprétation). - Et vous deviez essayer d'agir en

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1 tant que force de dissuasion, vous deviez essayer d'éviter tout conflit

2 entre les deux parties en présence ?

3 M. Franken (interprétation). - Oui, notre mission au départ

4 était d'empêcher toute opération offensive sur l'enclave.

5 M. Riad (interprétation). - Donc en démilitarisant tout à fait

6 une des parties en présence d'une part, et d'autre part en laissant

7 l'autre partie en présence s'armer de plus en plus, c'est un acte de

8 dissuasion ?

9 M. Franken (interprétation). - Nous avions des problèmes en

10 matière de réalisation de notre mission, monsieur.

11 M. Riad (interprétation). - Parlons de votre mission. Votre

12 mission était aussi de les protéger ?

13 M. Franken (interprétation). - Oui.

14 M. Riad (interprétation). - Ce sont donc des personnes

15 totalement désarmées ; du fait de votre mission, elles ne peuvent pas se

16 protéger ; et puis, troisième élément, les Serbes, eux, sont lourdement

17 armés, et d'après ce que vous avez dit les Serbes étaient susceptibles de

18 tuer des civils.

19 M. Franken (interprétation). - C'est exact, monsieur.

20 M. Riad (interprétation). - La liste des hommes âgés entre 16 et

21 60 ans, vous nous en avez parlé. Vous avez parlé de votre objectif de la

22 rendre publique ?

23 M. Franken (interprétation). – C’est exact.

24 M. Riad (interprétation). – Mais cette liste a disparu ?

25 M. Franken (interprétation). – Dans le secteur du nord-est, le

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1 quartier général a commencé par dire qu’il n’avait pas reçu la liste mais,

2 par la suite, ils ont découvert qu'effectivement ils l’avait reçue.

3 Simplement, ils n’avaient rien fait de cette liste. Et le quartier général

4 néerlandais a fait état du fait qu'un officier de l’état-major l’avait

5 reçue mais qu’il n’en avait pas compris la signification. Il a appelé le

6 Bataillon qui se trouvait dans la zone de Potocari. Un des officiers de

7 l'état-major de ce Bataillon lui a dit que, lui non plus, il ne savait pas

8 de quoi il s’agissait. Ils l’ont mise dans un tiroir.

9 M. Riad (interprétation). - Mais est-ce que cela est tombé entre

10 les mains des Serbes ?

11 M. Franken (interprétation). – Non, la liste n’est pas tombée,

12 n'a pas été donnée aux Serbes. J’ai dit aux Serbes que j’avais simplement

13 pris le nom de tous les hommes qui se trouvaient dans la base.

14 M. Riad (interprétation). - Vous êtes sûr qu’elle n’a pas été

15 remise aux Serbes ?

16 M. Franken (interprétation). - J'en suis absolument sûr,

17 d'autant plus que j'ai emmené la liste avec moi. Lorsque je suis sorti de

18 l’enclave, je l'ai glissée dans mes sous-vêtements pour être bien certain

19 qu’elle ne tombe pas entre les mains des Serbes.

20 M. Riad (interprétation). - Je vous remercie beaucoup, monsieur.

21 Merci d'être venu.

22 M. Franken (interprétation). – Merci.

23 M. le Président. – Madame le Juge Wald ?

24 Mme Wald (interprétation). - Commandant Franken, vous avez

25 précédemment déclaré que lorsqu’il est devenu manifeste que les Nations

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1 Unies n'avaient ni la possibilité ni, peut-être, la volonté de défendre

2 Srebrenica, vous avez donné un ordre visant à ce que les réfugiés soient

3 orientés, soient emmenés vers Potocari.

4 Est-ce qu'à ce moment-là vous-même ou l’un de vos supérieurs

5 aviez un plan quelconque quant à ce qui fallait faire de ces 20 000,

6 30 000, 35 000 personnes lorsqu’elles arriveraient à Potocari, en cette

7 journée très chaude ?

8 Comprenez-moi : supposons que les Serbes ne s'étaient jamais

9 rendus à une réunion avec le général Mladic, que serait-il advenu ou

10 qu'était-il prévu de faire avec ces réfugiés une fois qu'ils arrivaient à

11 Potocari ?

12 M. Franken (interprétation). – Eh bien, par une telle

13 température, il faut s'assurer d'abord de la quantité de nourriture et

14 d’eau et notamment lorsque l’on a affaire à tant d’enfants. Mais sans

15 doute, y aurait-il eu une catastrophe humanitaire parce que les

16 fournitures, l'eau, la nourriture n'étaient pas en quantité suffisante.

17 C’est une des raisons que j'ai données à M. Ibrahim, le père de

18 l'un des interprètes, j’ai encore oublié son nom de famille.

19 Mais, si les Serbes n'avaient rien fait, s'ils nous avaient

20 juste laissé là avec 30 000 personnes, où des enfants naissaient, où des

21 personnes mouraient, alors que nous n'avions pas de ressources

22 logistiques, ni de médicaments ni de nourriture ni d’eau, oui,

23 certainement, le problème aurait trouvé sa propre solution. C’est atroce à

24 dire et c’est cynique mais le problème aurait trouvé sa propre solution.

25 Mme Wald (interprétation). – Donc les Nations Unies n'avaient

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1 pas de projet visant à mobiliser des organisations humanitaires qui

2 auraient pu intervenir à Potocari ?

3 M. Franken (interprétation). – Non, nous, nous devions défendre

4 Potocari apparemment, même si cela supposait que nous faisions intervenir

5 des soutiens aériens mais, deux heures plus tard, nous avons reçu l’ordre

6 de mener à bien cette déportation. C’est bien évident qu’il n’y avait pas

7 de plan du côté des Nations Unies.

8 Mme Wald (interprétation). – Très bien.

9 Plus tard, vous avez parlé de cet entretien que vous avez eu

10 avec le père d'un interprète des Nations Unies et, tous les deux, vous

11 semblez reconnaître qu’il y a peut-être là un échange assez tragique qui

12 est en train d'avoir lieu. Il y a d'un côté les hommes qui se trouvent à

13 Potocari et, d’un autre côté, le fait qu'il faut absolument évacuer les

14 femmes et les enfants à bord d’autobus.

15 Pourquoi étiez-vous convaincu qu'il n'arriverait rien aux femmes

16 et aux enfants qui se trouvaient à bord des autobus ?

17 Mme Wald (interprétation). – Parce que du côté de Kladanj, j’ai

18 reçu des rapports de la part des Nations Unies qui indiquaient que, de

19 façon massive, des femmes et des enfants traversaient la frontière et

20 arrivaient. J’ai tout de suite pensé qu’effectivement ils étaient

21 relativement en sécurité.

22 Mme Wald (interprétation). - Je comprends.

23 Ma dernière question est la suivante : concernant cette liste de

24 119 ou de 151 hommes, les hommes qui se trouvaient à l'intérieur de la

25 base, est-ce que vous-même ou qui que ce soit d'autre avez été à même de

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1 savoir si l'un quelconque de ces hommes est arrivé de l'autre côté, a

2 survécu ?

3 M. Franken (interprétation). – Eh bien, je n'ai pas été à même

4 de m'en assurer parce que je suis retourné aux Pays-Bas, et tout s’est

5 arrêté là, mais j'espérais que le comité international de la Croix-Rouge

6 ou les Nations Unies prendraient la chose entre leurs mains et qu’elles

7 tâcheraient de voir si ces hommes étaient encore en vie.

8 Mme Wald (interprétation). – Mais vous ne savez pas ?

9 M. Franken (interprétation). – Non.

10 M. Riad (interprétation). – Vous dites que personne n’a survécu

11 ou vous dites que vous ne savez pas ?

12 M. Franken (interprétation). - Je dis que personne n'a pris

13 cette liste pour vérifier si ces hommes avaient survécu. C’est cela que je

14 voulais dire, monsieur.

15 M. Riad (interprétation). – Merci.

16 M. le Président. - Commandant Franken, j'ai quelques questions.

17 A un moment donné, vous avez dit, à propos d'une question du

18 Procureur, que quelqu'un avait prévenu qu'il ne permettrait pas de

19 réfugiés à la base des Nations Unies. Vous vous rappelez de cette phrase ?

20 M. Franken (interprétation). - Le général Mladic a exigé

21 qu'aucun réfugié ne soit autorisé à entrer dans notre base. Il a dit que

22 si cela arrivait nous nous serions sous la menace de tirs d'artillerie.

23 M. le Président. – A quelle date a-t-il dit cela, plus ou

24 moins ?

25 M. Franken (interprétation). – Cela s’est passé dans le courant

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1 de l’après-midi du 11, lorsque les déplacements de réfugiés avaient déjà

2 commencé. C'était, en fait, la même réponse que celle donnée en réaction à

3 la possibilité d'un soutien aérien pour la ville de Srebrenica, lorsqu’il

4 avait utilisé l'un de nos véhicules transporteurs de troupe et de nos

5 communications qu'il avait fait parvenir ce même message.

6 M. le Président. - Autre question, c'est la suivante. A un

7 moment donné, vous avez dit que le commandant Karremans vous a informé de

8 ce qui avait été discuté dans la réunion à Bratunac. Vous avez mentionné

9 qu'il n'avait pas encore fini de dire les choses, et déjà les camions et

10 les autobus et les chars arrivaient à la base.

11 Est-ce que, si je mets à côté de ces faits, les termes qui

12 apparaissent dans le document que vous avez signé, la déclaration vous

13 rappelez-vous, le 17 juillet, "négocié et attaqué", comment vous voyez

14 cela ? A la fin, la réunion, c'était pour négocier. Karremans n’avait pas

15 encore donné de réponse, les autobus étaient déjà là, comment vous voyez

16 cela ?

17 M. Franken (interprétation). – Eh bien la réunion n'était pas

18 vraiment un réunion de négociation. Mladic a dicté ses exigences. J’ai

19 appris cela par la suite. Et il y avait déjà des plans et des délais pour

20 l'évacuation. Ce qu'ils nous ont dit, ce sont apparemment des éléments qui

21 n'avaient aucune pertinence dans la situation qu’ils présentaient.

22 M. le Président. - Est-ce que tout ce que vous venez de dire a

23 une relation avec les incidents du poste d’observation Echo ou non ?

24 M. Franken (interprétation). – Pardon… Voyons si je vous

25 comprends bien, Monsieur le Juge.

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1 Vous dites qu'en fait, il y avait un plan beaucoup plus général.

2 Echo, c'était quelque chose qui avait valeur d’essai ? Si c’est le sens de

3 votre question, je réponds oui. J'en suis certain. Enfin, j'en suis

4 convaincu personnellement.

5 M. le Président. - Vous avez dit à propos de l'incident du poste

6 d'observation Echo que ces incidents, à votre avis, étaient un essai de

7 préparation pour l'attaque de l'enclave. Est-ce que l'on peut ajouter

8 cela ?

9 M. Franken (interprétation). - Non, monsieur. Je ne pouvais pas

10 prévoir que dans quatre semaines il y aurait une attaque sur l'enclave.

11 Moi, j'ai simplement pensé que c'était quelque chose qui avait une valeur

12 d'essai. La raison pour laquelle j'ai pensé cela, c'est que généralement

13 lorsque vous lancez des attaques sur des cibles-clés -c'était bien le cas

14 d'Echo-, vous maintenez une certaine dynamique dès lors que vous ne vous

15 heurtez pas à des opposants.

16 Après l'attaque sur Echo, il est certain que la route qui menait

17 à Srebrenica était grande ouverte. Moi, j'ai ordonné à ce que la

18 Compagnie B se rende sur place aussi vite que possible avec un certain

19 nombre de véhicules pour bloquer l'avancée des forces serbes. Mais comme

20 vous voyez sur la carte, nous pouvions aller vers le sud jusqu'à environ

21 l'usine, avant de tomber sur les forces serbes. C'est donc une des raisons

22 pour lesquelles j'ai dit que c'était quelque chose qui avait une valeur

23 d'essai, mais je n'avais pas prévu l'attaque sur l'enclave.

24 M. le Président. - Ma dernière question, commandant Franken :

25 vous avez élaboré la liste des hommes qui étaient à l'intérieur de la

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1 base. Je voudrais savoir si vous avez élaboré cette liste après ou avant

2 avoir vu brûler les affaires personnelles des hommes qui étaient entrés

3 dans la maison blanche ? Est-ce que vous avez compris ma question ?

4 M. Franken (interprétation). - C'était avant. Ce qui a déclenché

5 cette action de ma part, c'est... Pardon, monsieur le Juge.

6 Donc ce qui a déclenché cela de ma part, c'est la violence

7 accrue des interrogatoires auxquels étaient soumis les hommes. J'ai déjà

8 dit que, dans la fin de l'après-midi du 12, j'avais le sentiment que nous

9 ne contrôlions plus du tout la situation. Et c'est cela qui a déclenché le

10 fait que j'ai établi cette liste.

11 M. le Président. - D'accord. Merci bien, commandant Franken.

12 Nous vous remercions beaucoup d'être venu ici. Nous comprenons et nous

13 partageons vos sentiments d'impuissance.

14 Je crois quand même que votre sensibilité humaine, et peut-être

15 même votre fierté professionnelle, ont été beaucoup offensées, mais nous

16 admirons quand même votre courage d'être venu ici, et de rappeler des

17 incidents très douloureux. Nous souhaitons que vous puissiez garder une

18 certaine paix dans votre pays, ici.

19 Avant de vous lever, je crois, monsieur Cayley, qu'il y a des

20 pièces à conviction dont il faut prévoir le destin. Peut-être que

21 M. Dubuisson peut nous dire quelles sont les pièces.

22 M. Dubuisson. - En fait, il faut prendre une décision sur

23 l'admission des pièces 80 et 86.

24 M. le Président. - Monsieur Cayley, la pièce à conviction 80

25 avait déjà été utilisée. Vous avez dit que vous attendiez un autre témoin.

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1 Je ne sais pas si le moment est arrivé ou si vous voulez attendre un peu

2 plus.

3 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, vous avez

4 tout à fait raison. La pièce 80 de l'accusation est la liste qui a été

5 soumise aux témoins précédents, et dont le témoin qui est ici maintenant a

6 beaucoup parlé. Donc je demande maintenant effectivement que cette pièce

7 soit versée au dossier.

8 Pour ce qui est de la pièce 86, il s'agit de la liste des

9 blessés qui se trouvaient dans la base. Ce témoin a authentifié ce

10 document, donc je demande à ce qu'il soit versé au dossier.

11 M. le Président. - Maître Visnjic, avez-vous des objections ?

12 M. Visnjic (interprétation). - Non, pas d'objection, Monsieur le

13 Président.

14 M. le Président. - Merci beaucoup. Donc les pièces 80 et 86 sont

15 versées au dossier.

16 Est-ce que je peux abuser de la patience des interprètes trois

17 minutes seulement ?

18 Interprète. - Certainement, Monsieur le Président.

19 M. le Président. - Merci beaucoup. Je crois que le moment est

20 venu de rendre la décision dont nous avions parlé, donc je vais le faire

21 maintenant.

22 J'en profite pour dire que, vendredi prochain, nous allons

23 siéger à 10 heures. La Chambre a d'autres affaires et nous ne pouvons donc

24 seulement siéger à 10 heures pour que vous puissiez organiser votre vie,

25 notamment dormir un peu plus.

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1 Il y a une autre chose : c'est que demain j'avais annoncé qu'il

2 y avait une journée où je ne pourrais pas siéger. Donc demain je ne suis

3 pas là mais M. le Juge Fuad Riad, qui est le plus ancien,

4

5 va présider. Donc avant de décider, j'aimerais libérer le

6 commandant Franken et le remercier encore une autre fois. Merci beaucoup.

7 Monsieur l'huissier, vous pouvez le raccompagner, s'il vous

8 plaît.

9 (Le témoin est reconduit hors du prétoire).

10 (Décision de la Chambre sur les contacts entre les témoins et

11 les parties - Audience publique)

12 Donc la décision de la Chambre à propos des contacts des témoins

13 avec les parties est la suivante :

14 "Il y a quelques jours la défense a posé la question de la

15 communication entre les parties et les témoins. Selon elle, les parties ne

16 devaient plus avoir de contact avec les témoins une fois que ceux-ci

17 avaient prêté serment. Elle n'avait pas une raison concrète, mais il

18 s'agissait seulement de rendre claires les relations des parties avec les

19 témoins.

20 La Chambre a été informée par les parties qu'elles s'étaient

21 rapprochées et qu'elles avaient convenu que les contacts ne seraient

22 prohibés entre un témoin et la partie qui le présente qu'après la fin de

23 l'interrogatoire principal de ce témoin.

24 Les parties ont confirmé cet accord à l'audience, mais après une

25 proposition de la Chambre, elles ont légèrement changé ses positions.

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1 La Chambre croit utile de préciser certains points. Elle observe

2 tout d'abord qu'aucune disposition du Statut et du Règlement ne règle

3 cette discussion. Il est cependant acquis que la procédure suivie devant

4 ce Tribunal n'appartient à aucun système juridique déterminé, selon

5 l'article 99a du Règlement et que sa mise en oeuvre a pour but de

6 permettre la meilleure présentation par les parties de leurs éléments de

7 preuve en vue de faire parvenir à la Chambre la vérité du procès qui lui

8 est soumis, conformément à la déclaration solennelle prévue à

9 l'article 90b du Règlement.

10 D'ailleurs, le Règlement dans l'article 98 prévoit que la

11 Chambre peut d'office citer des témoins, ce qui met en évidence l'objectif

12 de chercher la vérité du procès.

13 Les témoins qui comparaissent devant la Chambre, quoique

14 présentés par les parties -soit l'accusation, soit la défense- ne sont

15 plus les témoins d'une partie, mais les témoins de la justice.

16 La partie qui présente un témoin a eu tout loisir de se

17 rapprocher de lui avant qu'il prête serment et de lui expliquer la

18 procédure, notamment ce qui touche à cette décision. Mais à partir du

19 moment où le témoin a prêté serment, il importe que son témoignage soit

20 dégagé de tout lien particulier avec l'une ou l'autre des parties qui

21 pouvait, même involontairement ou inconsciemment, perturber la spontanéité

22 et la vérité du témoignage exigé par l'esprit du Statut et du Règlement du

23 Tribunal.

24 La Chambre sait par ailleurs avec quel soin, quelle vigilance et

25 quelle neutralité la Section de protection des victimes et des témoins

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1 veille à la santé, à la sécurité et au bien être des témoins.

2 Il n'est donc pas besoin pour les parties de, même pour des

3 raisons logistique, garder un contact avec un témoin entre le début et la

4 fin de son témoignage.

5 Pour les raisons exposées, la Chambre décide aux termes des

6 articles 54, 99 G et 90 G du Règlement que tout contact entre un témoin et

7 les parties est prohibé du moment où ce témoin prête serment

8 jusqu'au moment où sa déposition devant la Chambre est achevée.

9 Si à titre exceptionnel, une partie estime nécessaire de

10 contacter un témoin, il lui appartiendrait d'en aviser préalablement la

11 Chambre, en précisant clairement les motifs et les buts de sa demande.

12 Dans l'hypothèse où la Chambre ferait droit à une telle requête,

13 elle précisera les conditions de ce contact."

14 Donc voilà la décision de la Chambre.

15 Nous avons beaucoup discuté et nous avons trouvé cette décision

16 qui, à notre avis, fait un peu l'équilibre de plusieurs intérêts, et donc

17 voilà c'est la décision de la Chambre.

18 Je dois maintenant remercier les interprètes et tout le

19 personnel qui ont bien voulu rester un peu plus pour que l’on puisse

20 rendre cette décision.

21 Donc demain à 9 heures 30, la Chambre sera ici avec le Juge Fuad

22 Riad et le Juge Wald pour continuer l'affaire Krstic.

23 Merci beaucoup, bonne soirée à vous et bon après-midi.

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25 L'audience est levée à 14 heures 50.