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1 [Le mercredi 26 avril 2000]
2 [Audience publique]
3 [Les accusés entrent dans la Cour]
4 [Le témoin entre dans la Cour]
5 --- L’audience débute à 9 h 30
6 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Madame la
7 Greffière.
8 LA GREFFIÈRE : Affaire IT-96-23-T, IT-96-23/1-T,
9 Le Procureur contre Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et
10 Zoran Vukovic.
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Bonjour,
12 Madame le Témoin. Vous êtes toujours sous serment et nous
13 allons poursuivre avec le contre-interrogatoire.
14 Veuillez poursuivre, Madame.
15 Me RYNEVELD (interprétation) : Juste avant que
16 mon éminente collègue continue le contre-interrogatoire, je
17 souhaite dire que vous trouverez devant vous une copie de
18 la lettre que nous avons envoyée à la Défense en disant que
19 si nous pouvons le faire, nous allons ajouter le Témoin 96
20 si nous avons le temps de le faire. Donc, nous souhaitions
21 simplement l’indiquer.
22 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Merci de
23 l’avoir fait. J’espère que ceci permettra à la Défense de
24 se préparer pour le Témoin 96 si jamais si nous avons le
25 temps de l’entendre cette semaine.
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1 Oui, Me Prodanovic.
2 Me PRODANOVIC (interprétation) : Madame la
3 Présidente, ça va maintenant, mais nous avons d’abord
4 entendu dans la traduction qu’il s’agissait de 87 et c’est
5 maintenant que je viens de recevoir la rectification
6 indiquant qu’il s’agissait de 96. Donc maintenant, j’ai
7 compris et ça va, mais tout à l’heure, nous avons entendu :
8 87.
9 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Juste avant
10 de commencer, les documents innocents comme ça, vous pouvez
11 les remettre également aux interprètes avant l’audience.
12 Comme ça, ça nous évitera d’avoir des problèmes
13 d’interprétation.
14 Me RYNEVELD (interprétation) : Merci, Madame la
15 Présidente. Nous allons tenir compte de cela.
16 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Poursuivez.
17 Me PILIPOVIC (interprétation) : Bonjour.
18 TÉMOIN : TÉMOIN 95
19 [SOUS LE MÊME SERMENT]
20 CONTRE-INTERROGÉE PAR
21 Me PILIPOVIC (interprétation) : [Suite]
22 Q. Bonjour, Madame le Témoin.
23 R. Bonjour.
24 Q. Au moment où vous avez donné votre
25 déclaration préalable aux enquêteurs de ce Tribunal, vous
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1 avez dit qu’une journaliste est venue vous rendre visite
2 pendant votre détention ?
3 R. Oui.
4 Q. Combien de fois ?
5 R. Deux fois.
6 Q. Est-ce que vous étiez présente au moment de
7 ses arrivées ?
8 R. Oui, une fois. La première fois, non, la
9 deuxième fois, oui.
10 Q. Et la première fois, vous n’y étiez pas ?
11 R. Non.
12 Q. Est-ce que vous étiez à Gorazde par hasard ?
13 R. Oui.
14 Q. Au moment où vous êtes rentrée de Gorazde,
15 est-ce que quelqu’un vous a dit que des journalistes
16 étaient venus ?
17 R. Oui.
18 Q. Qui vous l’a dit ?
19 R. Je ne m’en souviens pas qui l’a fait.
20 Q. Est-ce qu’on vous a dit ce dont on a parlé
21 avec les journalistes cette fois-ci ?
22 R. Oui. On m’a dit que des questions étaient
23 posées concernant la condition dans laquelle ces gens
24 vivaient, si des gens subissaient des mauvais traitements.
25 Il faut savoir que trois jeunes filles ont été amenées
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1 ailleurs ce jour-là et ne sont plus jamais revenues. Si
2 vous voulez, je peux dire leurs numéros : 75, 87 et – un
3 instant – DB.
4 Q. Donc, elles, ce jour-là, après la visite des
5 journalistes au moment où vous, vous êtes rentrée de
6 Gorazde, elles avaient été emmenées ?
7 R. Oui. Elles ne sont jamais revenues.
8 Q. Est-ce qu’on vous a dit qui les a emmenées ?
9 R. Je pense qu’on l’a dit mais je ne m’en
10 souviens pas.
11 Q. Est-ce que vous vous souvenez qui vous l’a
12 dit ?
13 R. Non, non plus.
14 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Je veux
15 juste corriger quelque chose. Madame, lorsque vous dites :
16 « Elles ne sont jamais revenues », vous voulez dire avant
17 votre départ de cet endroit, vous ne les avez plus revues
18 entre-temps ?
19 R. Je ne comprends pas votre question. Est-ce
20 que vous pourriez la répéter ?
21 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : L’avocat de
22 la Défense vous posait des questions concernant les jeunes
23 filles qu’on a fait sortir après le passage de la
24 journaliste au Partizan et ces jeunes filles ne sont jamais
25 rentrées. Lorsque vous dites : « Elles ne sont jamais
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1 rentrées », vous voulez dire pendant votre séjour là-bas ?
2 R. Oui.
3 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Veuillez
4 poursuivre.
5 Me PILIPOVIC (interprétation) : Merci.
6 Q. En 1993, vous étiez âgée de 28 ans, n’est-ce
7 pas ?
8 R. Un instant, s’il vous plaît. Oui, c’est
9 vrai.
10 Q. En 1993, vous étiez âgée de 28 ans ?
11 R. Oui, j’avais 28 ans à ce moment-là.
12 Q. En 1993, est-ce que vous avez vécu sur le
13 territoire de l’ex-Yougoslavie ?
14 R. En 1993 ? Non.
15 Q. Est-ce que vous vous souvenez qu’en octobre
16 1993, vous avez donné une déclaration, vous avez fait une
17 déclaration devant les caméras ?
18 R. En ce qui concerne ces déclarations, j’en ai
19 fait une à Pazar, mais en ce qui concerne le nombre de
20 déclarations et l’endroit où je les ai faites, je ne m’en
21 souviens pas. J’ai fait beaucoup de déclarations. Je ne
22 souhaite pas cacher la vérité.
23 Q. Est-ce que vous vous souvenez à qui vous avez
24 donné cette déclaration devant les caméras ?
25 R. Non, je ne m’en souviens pas. Encore
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1 aujourd’hui, ça ne m’intéresse pas.
2 Q. Est-ce que vous vous souvenez qu’en ce qui
3 concerne l’un quelconque de ces journalistes, les gens avec
4 qui vous avez parlés, que vous leur avez parlé d’une liste
5 de noms de Chetniks ?
6 R. Je suppose qu’oui. Je suppose que je l’ai
7 mentionné, mais je suppose qu’en ce moment, je ne me
8 souviens pas de ces noms.
9 Q. Je vais maintenant, avec l’autorisation des
10 juges, vous remettre la traduction de votre déclaration.
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Madame, s’il
12 vous plaît, veuillez décrire suffisamment le document pour
13 que tout le monde puisse suivre, pour que l’on sache quel
14 est le document dont on discute.
15 Me PILIPOVIC (interprétation) : Il s’agit du
16 document que nous avons reçu du Procureur qui a été versé
17 au dossier, qui a le numéro 815106, et le nom, l’endroit de
18 naissance et la date de naissance du témoin y figurent et
19 il s’agit de sa déclaration faite devant les caméras. Il
20 s’agit du document qui existe en anglais. Nous avons reçu
21 un exemplaire en anglais de la part de nos collègues de
22 l’Accusation hier et je pense que ceci a été communiqué au
23 Greffe et à la Chambre de première instance.
24 LA GREFFIÈRE : Ce document prendra la cote D42
25 des pièces de la Défense.
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1 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Vous pouvez
2 le montrer juste pour l’identification.
3 Me PILIPOVIC (interprétation) :
4 Q. Vous avez la déclaration sous les yeux ?
5 R. Oui.
6 Q. Veuillez examiner la page 3 de la
7 déclaration.
8 L’INTERPRÈTE : Les interprètes indiquent qu’ils
9 n’ont toujours pas le document.
10 Me PILIPOVIC (interprétation) :
11 Q. Excusez-moi. J’ai lu les données vous
12 concernant. Est-ce qu’il s’agit effectivement de votre nom
13 et de votre date de naissance ?
14 R. Oui. Il s’agit de mon nom. Oui.
15 Q. L’endroit de naissance ?
16 R. Oui.
17 Q. Et votre déclaration où il est indiqué que
18 vous acceptez de faire cette déclaration ?
19 R. Oui.
20 Q. Passez maintenant à la page 3 de cette
21 déclaration. La page 3 de la déclaration commence avec
22 votre nom. Vous dites que vous disposez de la liste ?
23 R. Oui.
24 Q. Est-ce que vous l’avez affirmé ? Est-ce que
25 vous l’avez déclaré ? Est-ce que vous aviez cette liste ?
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1 R. À ce moment-là, peut-être que j’avais
2 toujours cette liste ou bien peut-être que je m’en
3 souvenais. Maintenant, je ne m’en souviens pas, mais si
4 j’ai dit que j’avais cette liste, je suppose qu’ils avaient
5 annoncé leur arrivée et que dans ce cas-là, j’ai préparé
6 une liste, parce qu’au moment où on donne ce genre de
7 déclaration, nous les gens qui avons survécu tous ces
8 événements, nous ne pouvons pas nous rappeler de tous les
9 noms sur place. Mais moi, je voulais dire toute la vérité.
10 Je ne voulais pas que la vérité soit cachée. Donc, je
11 suppose qu’ils se sont annoncés et que j’ai préparé la
12 liste, mais moi, je maintiens tout ce que j’ai dit dans
13 cette déclaration.
14 Q. Dans cette déclaration et probablement sur la
15 base de la liste que vous avez rédigée, vous avez cité un
16 grand nombre de noms et de prénoms et vous avez dit que
17 vous connaissiez toutes ces personnes. À la page 1, à
18 cette première page, vous commencez par le nom de Pero
19 Elez, et les autres, j’en passe ?
20 R. Je n’ai pas dit que je les connaissais
21 auparavant mais j’ai dit qu’à ce moment-là, ils venaient.
22 Q. À quel moment ?
23 R. Au moment où nous, nous étions soit au lycée,
24 soit au Partizan, mais de toute façon, eux, ils venaient.
25 Q. Vous avez même dit ici, en ce qui concerne
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1 les personnes dont les noms figurent à la page 1, qui
2 faisait quoi et qui ressemblait à quoi. Ça c’est d’après
3 votre description à vous ?
4 R. Oui. En ce moment, moi, je ne peux pas lire,
5 mais si c’est écrit, c’est comme ça. Moi, je n’ai jamais
6 témoigné devant un Tribunal. Donc, je suis émue. Ce que
7 j’ai dit à l’époque, c’était vrai. En ce moment, si je lis
8 ces noms, ça me dit quelque chose, je m’en souviens, mais
9 même au bout de cinq minutes, si vous me demandez de
10 répéter tous ces noms, je ne pourrais pas. Je ne pourrais
11 pas répéter tous les noms.
12 Q. Passons à la page 4 de votre déclaration.
13 Vous mentionnez Zaga. Deuxième ligne : « L’homme… ».
14 R. Vous voulez que je lise ?
15 Q. Oui.
16 R. « L’homme décrit en tant que Zaga aussi était
17 une personnalité importante. On considère qu’il était le
18 leader du groupe pour le Monténégro. »
19 Q. Qui a donné la description de Kunarac ?
20 R. Moi, je suppose que c’est moi qui l’ai décrit
21 auparavant. Je ne sais pas si ceci a été introduit dans le
22 texte ou pas. Je ne m’en souviens pas, mais vraiment, je
23 ne sais même pas combien de déclarations j’ai données et je
24 ne peux pas vous proposer le chiffre exact.
25 Q. Au moment de cet entretien, que saviez-vous
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1 sur Zaga ?
2 R. Ce que je savais ? Eh bien, simplement, je
3 savais ce que j’ai dit, Madame.
4 Q. Vous avez dit qu’il était le leader du
5 groupe ?
6 R. Oui. Je suppose que mes souvenirs étaient
7 frais. J’ai dit ça un an après les faits. Donc, je
8 suppose que je me souvenais mieux.
9 Q. Est-ce que vous avez dit autre chose à part
10 cela ?
11 R. Je ne sais pas. Je ne m’en souviens pas.
12 Q. Et pourquoi à ce moment-là, au moment où vous
13 avez dit tout cela, pourquoi vous n’avez pas dit que
14 Kunarac vous a violée ?
15 R. Pourquoi je ne l’ai pas dit ? Eh bien, je
16 pense, en ce qui concerne toutes ces personnes que j’ai
17 mentionnées, moi, je disais la vérité, et maintenant, je ne
18 sais pas. Il faudrait lire ce document tout d’abord pour
19 que je puisse savoir exactement ce que j’ai déclaré. Mais
20 moi, je maintiens tout ce que j’ai déclaré.
21 Q. Mais c’est seulement dans cette partie de
22 votre déclaration que vous avez mentionné de manière
23 générale que Zaga était une personnalité importante ?
24 R. Je suppose que j’ai parlé brièvement avec ces
25 journalistes, parce qu’afin de dire tout ce qui s’est passé
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1 pendant ces 40 jours, surtout à ce moment-là quand mes
2 souvenirs étaient encore frais, j’aurais besoin d’au moins
3 10 jours pour tout raconter et encore, je n’aurais pas pu
4 tout raconter.
5 Q. Vous avez dit que vous avez donné beaucoup
6 d’interviews ?
7 R. Oui. Pourquoi pas ?
8 Q. Est-ce que dans ces interviews, vous avez
9 parlé de ces détails, puisque à ce moment-là, les souvenirs
10 étaient plus frais ?
11 R. Je ne me souviens pas avoir parlé de tous les
12 détails. À ce moment-là, on me posait des questions et je
13 répondais aux questions posées, aux questions précises,
14 mais je ne me souviens pas si j’entrais dans tous les
15 détails.
16 Q. Vous avez dit ici que Monsieur Kunarac vous a
17 amenée dans la maison de Osman Dzikic ?
18 R. Je ne sais pas à qui appartenait cette
19 maison.
20 Q. C’est vous qui l’avez dit : « dans cette rue-
21 là, près d’Aladza ».
22 R. C’était dans cette rue-là, mais je ne sais
23 pas comment cette rue s’appelle et je ne crois pas que j’ai
24 dit hier que cette rue s’appelait ainsi.
25 Q. Est-ce que vous savez si une telle rue existe
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1 à Foca ?
2 R. Je ne me souviens plus.
3 Q. À ce moment-là, lorsque vous étiez dans cette
4 maison près d’Aladza, vous nous avez dit hier que c’est là
5 que Kunarac vous a violée la première fois ?
6 R. La première fois et aussi la deuxième fois.
7 Q. Et cette première fois, vous avez dit que
8 deux autres personnes y étaient avec vous : 90 et 105 ?
9 R. Un instant. Oui, 90, oui, et 105.
10 Q. À ce moment-là, pendant que vous étiez dans
11 cette maison, est-ce que vous étiez violée uniquement par
12 Kunarac ?
13 R. Je ne m’en souviens pas.
14 Q. Ces deux autres personnes, est-ce qu’elles
15 vous ont raconté, est-ce qu’elles vous ont dit qui les a
16 violées, elles ?
17 R. Je ne me souviens pas de ça non plus.
18 Q. La deuxième fois lorsque vous y êtes allée,
19 c’était quand ?
20 R. Je ne me souviens pas de la date.
21 Q. Hier, vous avez dit que la première fois que
22 vous y êtes allée, vous avez vu Aladza ?
23 R. Oui, mais la deuxième fois, c’était au moment
24 où Aladza n’existait déjà plus.
25 Q. Mais c’était au bout de combien de temps
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1 après que vous avez entendu que Aladza était démolie ?
2 R. Je ne peux pas vous le dire très exactement.
3 Je ne me souviens pas de la date exacte, malheureusement.
4 Q. Vous êtes allée avec qui dans cette maison
5 cette fois-ci ?
6 R. Je ne m’en souviens pas.
7 Q. Et qui vous y a amenée ?
8 R. Je ne m’en souviens pas non plus.
9 Q. C’était Kunarac ou un autre soldat peut-
10 être ?
11 R. Je ne me souviens pas.
12 Q. Et cette deuxième fois, qui était avec vous ?
13 R. Je ne me souviens pas puisque hier, j’ai
14 dit : « tous, sauf 51. » Toutes ces personnes étaient
15 emmenées avec moi, sauf elle. Quant à la question de
16 savoir où, quand, à quel moment de la journée, je ne m’en
17 souviens plus, parce que moi, je ne veux pas penser à cela.
18 Me PILIPOVIC (interprétation) : Merci. Je n’ai
19 plus de questions à poser.
20 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Merci.
21 Me Kolesar, est-ce que vous avez des questions ?
22 Me KOLESAR (interprétation) : Non, Madame la
23 Présidente.
24 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Me
25 Jovanovic, vous avez des questions ?
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1 Me JOVANOVIC (interprétation) : Madame la
2 Présidente, oui. La Défense de Monsieur Vukovic a quelques
3 questions pour ce témoin. Merci.
4 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Les
5 interprètes n’ont pas bien entendu votre réponse.
6 Me JOVANOVIC (interprétation) : J’ai dit : Oui,
7 Madame la Présidente, la Défense a des questions pour ce
8 témoin.
9 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui.
10 Veuillez procéder au contre-interrogatoire.
11 Me JOVANOVIC (interprétation) : Merci, Madame la
12 Présidente.
13 CONTRE-INTERROGÉE PAR
14 Me JOVANOVIC (interprétation) :
15 Q. Bonjour.
16 R. Bonjour.
17 Q. Au début de notre conversation, je dois vous
18 demander une question. Vous avez une liste devant vous
19 avec les codes des noms ?
20 R. Oui.
21 Q. Est-ce que vous connaissez les personnes FWS-
22 50 et -51 ?
23 R. Quels numéros ?
24 Q. 50 et 51.
25 R. 50 et 51.
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1 Q. Vous les connaissez ?
2 R. Oui, je les connais. Toutes ces femmes, je
3 les connais parce que c’était des femmes qui…
4 Q. Je veux faire une demande. Moi, je vais vous
5 poser des questions et veuillez me répondre à mes questions
6 de manière la plus brève possible.
7 Me JOVANOVIC (interprétation) : Je demanderais
8 l’aide de l’Huissier. Un instant.
9 Madame la Présidente, avec votre permission, je
10 souhaite montrer au témoin le code et le nom d’un des
11 témoins protégés et demander au témoin de nous dire si elle
12 connaît cette personne.
13 R. Oui.
14 Q. Est-ce que par hasard, ces personnes
15 concernant lesquelles je vous ai posé des questions, est-ce
16 que vous avez des liens de parenté avec eux ?
17 R. Pas moi, mais mon mari, oui.
18 Q. Sur la base de votre réponse, je suppose que
19 vous avez épousé quelqu’un appartenant à cette famille ?
20 R. Oui, à cette famille.
21 Q. Donc, je suppose qu’eux aussi, ils sont vos
22 cousins et pas seulement des cousins de votre mari ?
23 R. Oui.
24 Q. Est-ce que vous avez des contacts avec les
25 membres de votre famille, avec vos cousins ? Là, je parle
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1 de ces personnes que je viens de mentionner.
2 R. Non. Pour des raisons différentes dans
3 lesquelles je ne souhaite pas entrer en ce moment, nous ne
4 sommes plus en contact avec eux, aucun d’eux.
5 Q. Merci. Je m’excuse.
6 Théoriquement parlant, si nous oublions la période
7 avant la guerre à Foca, vous avez pu voir Zoran Vukovic à
8 partir du moment où vous avez été emprisonnée et capturée,
9 jusqu’au moment de votre départ de Foca ?
10 R. Oui.
11 Q. Nous parlons de quelle période ?
12 R. J’ai oublié les dates.
13 Q. Le matin de l’attaque était…
14 R. Le 3 juillet, et ensuite, le 13 août. Donc,
15 il s’agit de 40 jours.
16 Q. Quarante jours. Très bien !
17 Pourquoi vous établissez un lien entre les
18 arrivées de Zoran Vukovic et le centre sportif de
19 Partizan ?
20 R. Je ne comprends pas la question. Est-ce que
21 vous pouvez la répéter ?
22 Q. Très bien ! S’il existe une possibilité
23 théorique selon laquelle vous pouviez voir Zoran Vukovic
24 pendant ces 40 jours, pourquoi lorsque vous parlez de
25 l’apparition de Zoran Vukovic dans votre vie, vous liez ça
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1 aux événements qui se sont produits dans le centre sportif
2 de Partizan ?
3 R. Eh bien, simplement parce que je suis sûre
4 que lui, il me faisait sortir. Quant à la question de
5 savoir où et quand…
6 Q. Merci. Nous en parlerons tout à l’heure.
7 Zoran Vukovic : Est-ce que vous êtes sûre que ce
8 n’était qu’au Partizan ?
9 R. Non, je ne suis pas sûre que c’était
10 seulement au Partizan. Peut-être c’était aussi dans le
11 lycée, mais je suis sûre qu’il me faisait sortir.
12 Q. Donc, en ce moment-là, nous parlons aussi du
13 lycée ?
14 R. Oui.
15 Q. Et d’un autre endroit aussi peut-être ?
16 R. Je ne vois pas ce que voulez dire en disant :
17 « un autre endroit », parce que moi, je n’étais qu’à…
18 Q. Je vais vous aider. J’ai entendu parler de
19 plusieurs endroits ici. Je vais vous les énumérer et si ça
20 vous rappelle quelque chose, dites-le-moi. Par exemple,
21 Mjesaja.
22 R. Non, pas à Mjesaja.
23 Q. Trosanj ?
24 R. Je n’étais pas à Trosanj quand…
25 Q. Buk Bijela ?
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1 R. Buk Bijela : Au moment de mon retour du
2 stade, à Buk Bijela, je ne me souviens pas, parce que…
3 Q. Très bien ! La maison à Aladza ?
4 R. Je ne m’en souviens pas du tout.
5 Q. La maison à Gornje Polje et Donje Polje ?
6 R. Je ne m’en souviens pas du tout parce que
7 beaucoup de temps s’est écoulé.
8 Q. Doucement. Vous vous souvenez ou vous ne
9 vous souvenez pas ?
10 R. Je ne m’en souviens pas.
11 Q. Si je vous comprends bien, vous vous souvenez
12 du lycée, du fait qu’il vous faisait sortir du lycée et du
13 centre sportif du Partizan ?
14 R. Encore une fois, je ne me souviens pas s’il
15 était à Buk Bijela le 12 août, si ceci s’est produit au
16 lycée ou bien au Partizan.
17 Q. Si je vous comprends bien, vous ne vous
18 souvenez pas où vous avez vu Zoran Vukovic ? Vous vous
19 souvenez simplement du fait que vous l’avez vu ?
20 R. Oui. J’en suis sûre et je suis sûre qu’il me
21 faisait sortir et qu’il m’a violée.
22 Q. Mais vous ne savez pas où ceci s’est
23 produit ?
24 R. Comment voulez-vous que je sache ? Je ne
25 savais pas quand il faisait jour, quand il faisait nuit,
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1 quand c’était le matin, le soir, rien.
2 Q. Vous avez dit hier que vous vous souvenez du
3 fait que Zoran Vukovic vous faisait sortir du centre
4 sportif de Partizan. Maintenant, vous dites qu’il vous
5 faisait sortir du lycée. Maintenant, vous dites que vous
6 ne vous souvenez pas de tout cela. Veuillez choisir votre
7 version.
8 R. Je vous dis : Il me faisait sortir mais je
9 ne me souviens pas d’où. Je dis la vérité. Je ne sais pas
10 si c’était le lycée. Je ne sais pas si c’était le
11 Partizan. Je ne sais pas si c’était à Buk Bijela. Ça, je
12 ne m’en souviens pas, mais je suis sûre à 100 per cent que
13 ça a été le cas.
14 Q. Vous dites toujours la vérité et vous vous
15 attendez à ce que cette vérité soit répétée par vous à
16 chaque fois que l’on vous pose des questions afin que le
17 monde puisse savoir : Est-ce que j’ai bien compris vos
18 propos ?
19 R. Oui. Pourquoi voulez-vous qu’on cache la
20 vérité ?
21 Q. Mais moi, je suis d’accord avec vous.
22 R. Chaque camp qui commettait des crimes doit
23 être puni et la vérité doit être connue.
24 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Me
25 Jovanovic, veuillez attendre la fin de l’interprétation,
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1 s’il vous plaît.
2 Me JOVANOVIC (interprétation) : Oui, Madame la
3 Présidente. Merci. Je m’oublie parfois.
4 Q. Très bien ! Donc, il existe une seule
5 vérité ?
6 R. Oui.
7 Q. Là, vous êtes d’accord avec moi. Très bien !
8 Est-ce qu’à un moment, vous avez dit à qui que ce
9 soit que Zoran Vukovic vous faisait sortir et vous violait,
10 vous faisait sortir du lycée et vous violait ?
11 R. Je ne m’en souviens pas. En ce moment, je ne
12 m’en souviens pas.
13 Q. Excusez-moi, je n’ai pas bien entendu. Vous
14 ne vous souvenez pas si vous l’avez dit ou bien…
15 R. Je ne me souviens pas si je l’ai dit, mais je
16 suppose que dans cette déclaration donnée aux journalistes,
17 parfois, il y avait des déclarations un peu plus longues.
18 Q. Je vais rendre ma question plus claire :
19 Est-ce qu’à un quelconque moment, vous avez dit aux
20 enquêteurs de ce Tribunal que Zoran Vukovic vous a fait
21 sortir du lycée et vous a violée ?
22 R. Vous avez sous les yeux, tout comme moi, la
23 déclaration que j’ai fournie, toutes ces choses que j’ai
24 dites.
25 Q. Effectivement, vous avez dit énormément de
Page 2362
1 choses. C’est bien pour ça qu’on revient sur elles.
2 R. Eh bien, quant à savoir s’ils m’ont posé
3 cette question-là précisément, je ne sais plus.
4 Q. Vous pensez dès lors qu’il est possible que
5 vous ayez dit cela aux enquêteurs mais qu’il n’est pas
6 consigné ?
7 R. Non, ce n’est pas ça que je veux dire. Si
8 j’en ai parlé, je pense que je l’ai fait. Je ne pense pas
9 avoir cité de détails particuliers. J’ai donné la
10 description de façon générale.
11 Q. Mais vous voyez, je ne vous pose pas de
12 questions de nature générale, Madame, je vous pose des
13 questions très précises.
14 R. Effectivement, je crois que j’ai mentionné
15 son nom.
16 Q. Vous voyez, nous pourrions, bien sûr,
17 parcourir pas à pas votre déclaration, la déclaration que
18 vous avez fournie aux enquêteurs et puis celle que vous
19 avez donnée aux journalistes, mais tout ceci prendrait
20 beaucoup de temps. Mais je peux vous dire que dans aucune
21 de ces déclarations, vous n’avez fait état de son nom.
22 R. Monsieur, après que tant d’hommes soient
23 passés, il m’était impossible de me souvenir de chacun
24 d’entre eux.
25 Q. Je comprends bien, Madame. J’ai entendu la
Page 2363
1 version que vous avez donnée des faits. Mais la question
2 que je vous pose maintenant est celle-ci…
3 R. Eh bien, quelle est-elle cette question ?
4 Q. La question c’est celle-ci : L’acte
5 d’accusation retient des chefs d’accusation contre Zoran
6 Vukovic pour vous avoir fait sortir de l’école secondaire
7 et vous avoir violée. Au début du procès…
8 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Il n’y a pas
9 de chef d’accusation retenu à ce propos.
10 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Me
11 Jovanovic, j’espère que vous avez entendu ce qui s’est dit.
12 Mais vous avez l’acte d’accusation. Pourquoi ne pas citer
13 le chef d’accusation concerné ?
14 Me JOVANOVIC (interprétation) : Madame la
15 Présidente, je n’avais pas l’intention de parcourir chacun
16 des chefs de l’acte d’accusation. Je me contentais de dire
17 que dans le document reçu de l’Accusation au début du
18 procès, notamment sur une feuille, il y avait une carte des
19 événements qui avait été dressée et qui était établie au
20 regard des différents emplacements et qui énumérait,
21 s’agissant de ce témoin qui dépose aujourd’hui, citait
22 Vukovic. Il y avait un lien entre Monsieur Vukovic et
23 cette personne qui aurait été violée à l’établissement de
24 l’école secondaire et nous avons chacun reçu au début du
25 procès un exemplaire de cette liste. Nous avons le Témoin
Page 2364
1 FWS-95, Vukovic, Foca, école secondaire.
2 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Mais en tant
3 que juriste, vous savez quelle interprétation donner à ce
4 document. Et regardez ce témoin : ce n’est pas elle le
5 Procureur. Il faut que vous posiez des questions
6 factuelles. Il ne faut pas que vous soumettiez
7 l’interprétation juridique établie par le Procureur au
8 témoin. Ce n’est pas de cette façon-là qu’il faut
9 procéder.
10 Me JOVANOVIC (interprétation) : Madame la
11 Présidente et Messieurs les Juges, je suis désolé si je
12 n’ai pas bien formulé ma question. Je vais essayer de
13 l’améliorer.
14 Q. Est-ce que le témoin a dit aux enquêteurs que
15 Zoran Vukovic l’avait violée à l’école secondaire ?
16 R. Je ne sais pas. Je l’ai sans doute fait mais
17 je ne sais pas quand.
18 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Permettez-
19 moi de faire état d’un problème que je constate. Chaque
20 enquêteur, et comme c’est vrai de chaque journaliste, a son
21 propre objectif et lorsqu’un journaliste ou une journaliste
22 interroge une personne, il va poser des questions qui sont
23 de nature à donner les réponses qu’il recherche. Donc, si
24 vous avez des enquêteurs qui vont voir ce témoin, chacun
25 des enquêteurs a ses propres intentions et il ne va poser
Page 2365
1 des questions que sur ces sujets qui l’intéresse en
2 particulier.
3 Donc, c’est quelque chose de tout à fait différent
4 du prétoire puisque ici, nous avons devant nous un acte
5 d’accusation et nous voulons que le témoignage concerne les
6 chefs d’accusation qui y sont repris. Vous avez entendu
7 que j’ai souvent demandé aux témoins d’être prudents.
8 Donc, lorsque vous dites à un témoin : « Voilà ce
9 que tel journaliste ou tel enquêteur vous a dit »,
10 n’oubliez pas ce que je viens de dire parce que vous savez,
11 le témoin sait beaucoup de choses qui se sont passées
12 pendant une période de guerre. N’oubliez pas que chacun a
13 ses intentions, a son objectif et, en général, on pose des
14 questions dans le cadre d’une procédure préalable ou d’une
15 prise de déclaration préalable pour obtenir des réponses à
16 ces questions. Ne l’oubliez pas.
17 Me JOVANOVIC (interprétation) : Je vous remercie,
18 Madame la Présidente. Je vais me conformer à vos
19 instructions avec beaucoup de rigueur, mais en tant que
20 conseil de la Défense de Zoran Vukovic, je me dois de poser
21 ces questions au témoin puisque nulle part dans les
22 documents qui nous ont été communiqués il n’y a mention de
23 Zoran Vukovic, sans parler de l’école secondaire.
24 C’est la raison pour laquelle je demande au témoin
25 s’il n’y a pas eu méprise d’une façon ou d’une autre ou
Page 2366
1 malentendu. Si l’enquêteur n’a pas bien accompli sa tâche,
2 je me dois de poser ces questions. Je dois lui demander si
3 elle l’a dit, quand elle l’aurait dit, pour tirer ça au
4 clair puisqu’en tant que conseil de la Défense, je défends
5 un certain intérêt puisque, après tout, Zoran Vukovic a été
6 accusé de tout ceci.
7 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) :
8 Effectivement.
9 M. LE JUGE HUNT (interprétation) : N’avez-vous
10 pas reçu une réponse de sa part ? Elle dit : « Il se peut
11 que ce soit le cas », mais elle ne le sait pas. Vous
12 n’avez pas accepté cela, mais en répétant votre question ad
13 infinitum, ceci ne nous aide pas et je suis sûr que ceci
14 n’aide pas votre client et c’est là que réside notre
15 préoccupation.
16 Poursuivez. Vous avez dit ce que vous voulez
17 dire, à savoir que ce n’est mentionné nulle part dans ses
18 déclarations. Elle vous a dit qu’il se peut qu’elle l’ait
19 vu, mais elle ne se rappelait pas. Mais ne reposez pas
20 sans cesse la même question, je vous en conjure.
21 Me JOVANOVIC (interprétation) : Je ne vais pas
22 effectivement répéter ces questions. Permettez-moi de
23 consulter mes notes un instant.
24 Q. Madame, si nous supposons qu’il est possible
25 que vous ayez fourni une telle déclaration, vous en
Page 2367
1 souvenez-vous de cette déclaration ?
2 R. Non.
3 Q. Excusez-moi, je ne vous ai pas entendue.
4 R. Non, je ne m’en souviens pas.
5 Q. Merci. Madame, j’aimerais que nous parlions
6 du centre sportif de Partizan, mais tout d’abord,
7 j’aimerais vous demander si hier, ici dans le prétoire et
8 devant nous tous, vous avez dit pour la première fois que
9 Zoran Vukovic vous avait fait sortir de ce centre sportif
10 et vous avait violée ?
11 R. Je ne comprends pas votre question.
12 Q. Eh bien, je vous la répète. Est-ce que c’est
13 hier pour la première fois ici que vous avez déclaré que
14 Monsieur Zoran Vukovic vous avait fait sortir du centre
15 sportif de Partizan et vous avait violée ?
16 R. Je suis sûre que ce n’était pas la première
17 fois que je le faisais. Je suis sûre que j’avais mentionné
18 son nom auparavant.
19 Q. Pourriez-vous nous dire à quel moment vous
20 auriez précédemment cité son nom dans le cadre du centre
21 sportif ? À qui l’auriez-vous dit et quand ?
22 R. Je ne m’en souviens pas. Je ne sais pas qui,
23 ni où, ni quand, ni comment. Ça ne m’intéressait pas.
24 Tout ce qui m’intéressait, c’était le fait qu’il l’avait
25 fait mais pour moi, les dates ne comptent pas.
Page 2368
1 Q. Les dates ne m’intéressent pas non plus. Ce
2 qui m’intéresse, c’est la question que je viens de vous
3 poser. Zoran Vukovic, il n’est mentionné dans aucune
4 déclaration préalable dont nous disposons, ceci dans le
5 cadre des événements liés au centre sportif de Partizan.
6 C’est pour ça que je vous demandais si vous l’aviez dit
7 hier pour la première fois.
8 R. Non, ce n’était pas la première fois.
9 Q. Vous ne savez plus quand vous auriez cité
10 Zoran Vukovic avant la journée d’hier ?
11 R. Non.
12 Q. Je suppose, et vous l’avez confirmé à
13 l’instant, je suppose que vous vous souvenez des choses que
14 vous avez vécues. Je comprends, bien entendu, qu’il vous
15 est impossible de vous remémorer tous les détails, tout ce
16 qui s’est passé en l’espace de 40 jours puisque tout ceci,
17 c’était il y a huit ans, mais vous vous souvenez des
18 événements ?
19 R. Aucune d’entre nous qui a traversé tous ces
20 événements ne peut se souvenir de chacun des détails.
21 Q. Oui, mais vous avez un souvenir assez général
22 des événements, si pas des détails, puisque tout ceci,
23 c’était il y a près de huit ans, n’est-ce pas ? Vous ne
24 vous souvenez pas des détails ?
25 R. Non.
Page 2369
1 Q. Vous vous souvenez des événements ?
2 R. Pas à titre individuel.
3 Q. Je vous pose une question plus pointue. Pour
4 que je sois clair, toutes les questions que je pose portent
5 uniquement sur Zoran Vukovic.
6 R. Non, je ne me souviens pas.
7 Q. Je ne sais pas ce que vous avez oublié,
8 Madame.
9 R. Eh bien, je ne me souviens pas des détails
10 liés particulièrement à cet homme.
11 Q. Donc, vous ne vous souvenez pas des détails,
12 mais les événements ?
13 R. Non. Je ne me souviens pas des événements
14 non plus parce que je veux oublier le plus vite possible.
15 Q. Au moment de l’identification réalisée hier
16 ici, vous avez dit bien vous souvenir du visage – page 50,
17 lignes 1 à 12 du compte-rendu d’audience en direct – et
18 vous avez dit qu’il avait la même apparence, si ce n’est
19 que ses cheveux étaient un peu plus longs. Avant ou après
20 ?
21 R. Avant.
22 Q. J’en ai conclu que vous aviez un souvenir
23 précis de son visage.
24 R. Oui.
25 Q. Est-ce que vous connaissez le nom de cette
Page 2370
1 personne ?
2 R. Eh bien, oui. Nous parlons de Zoran Vukovic.
3 À l’époque, je ne connaissais pas son nom et puis quelqu’un
4 a dit que c’était son nom. Quant à savoir qui a dit que
5 c’était son nom, je ne me souviens plus.
6 Q. Vous souvenez-vous du moment où vous avez
7 établi un lien entre ce visage et ce nom ?
8 R. Ce visage, ce nom, j’ai établi un lien hier
9 entre eux hier et donc au moment aussi où j’ai vu des gens
10 qui l’avaient connu.
11 Q. Est-ce que je vous suis bien ? Hier, au
12 moment où vous êtes entrée dans le prétoire, vous avez
13 établi un lien, un rapprochement entre ce visage et ce nom
14 ?
15 R. Oui, parce que je ne me souviens plus des
16 noms. Je ne veux d’ailleurs plus me souvenir ni des noms,
17 ni des visages.
18 Q. Fort bien ! Hier dans votre déclaration,
19 vous avez dit, s’agissant des événements auxquels Zoran
20 Vukovic et vous-même avez participé… je vais essayer de
21 faire une synthèse, mais corrigez-moi si je me trompe.
22 Vous ne savez pas combien de fois ça s’est passé ?
23 R. C’est exact.
24 Q. Vous ne vous souvenez pas qui accompagnait
25 Zoran Vukovic ou s’il était seul ?
Page 2371
1 R. Non.
2 Q. Vous ne savez plus où il vous a emmenée ?
3 R. Non.
4 Q. Vous ne vous souvenez plus avec il vous a
5 emmenée ?
6 R. Non, ça non plus.
7 Q. Vous ne savez plus où il vous a emmenée ?
8 R. Non, je ne m’en souviens plus non plus.
9 Q. Alors, comment pouvez-vous avoir la certitude
10 que c’est exactement cet homme-là et que ça s’est passé
11 exactement au Partizan alors que vous n’avez plus aucun
12 autre souvenir, si ce n’est son visage et des cheveux un
13 peu plus courts ou plus longs ?
14 R. Je ne comprends pas la question. Pourriez-
15 vous la répéter ?
16 Q. Je vais le faire. Vous venez de confirmer ne
17 plus vous souvenir du visage, de ce genre de détails.
18 R. C’est exact.
19 Q. Alors, est-ce que je peux vous poser cette
20 question : Vous venez de confirmer que, s’agissant de
21 Zoran Vukovic, vous n’avez plus aucun souvenir du tout, si
22 ce n’est le nom de Zoran Vukovic, à savoir une personne qui
23 avait tel ou tel aspect et qui avait des cheveux plus longs
24 ou plus courts ? C’est tout, n’est-ce pas ?
25 R. C’est exact.
Page 2372
1 Q. Alors, voici ma question : Comment pouvez-
2 vous avoir la certitude que ce soit bien ce Zoran Vukovic
3 qui vous aurait fait sortir de Partizan, de l’école
4 secondaire ou d’un autre endroit si vous n’avez plus aucun
5 autre souvenir ?
6 R. Eh bien, je suis convaincue que c’est bien
7 son visage. Je n’ai pas besoin d’avoir son nom.
8 Q. Je ne nie pas que vous ayez pu le voir
9 quelque part, mais ma question n’était pas celle-là. Elle
10 était tout à fait différente et je vous demanderais d’y
11 répondre.
12 R. Comment puis-je en être sûre ? À cause de
13 son visage.
14 Q. Vous voyez, ceci nous met dans une situation
15 assez étrange. Supposons que vous voyez quelqu’un quelque
16 part et du fait que vous l’avez vu, vous en concluez, vous
17 en déduisez que telle ou telle chose s’est passée avec
18 cette personne ?
19 R. Non.
20 Q. Mais si, puisque vous ne vous souvenez plus
21 de rien si ce n’est du nom, Zoran Vukovic.
22 R. Je ne me souviens plus de son nom maintenant,
23 mais je me souviens bien, Monsieur, de son visage.
24 Q. Dites-moi, vous venez de dire que ça s’est
25 passé hier à votre entrée dans le prétoire. C’est à ce
Page 2373
1 moment-là que vous avez fait un rapprochement entre le nom
2 de Zoran Vukovic et son visage. Que s’est-il passé au
3 moment où vous êtes entrée dans ce prétoire ? Vous vous
4 êtes souvenue de quelque chose, c’est ça ?
5 R. Oui, oui. Je me suis souvenue parce j’étais
6 à ce point nerveuse, à ce point tendue que j’aurais pu
7 crier.
8 Q. Ce que je veux savoir, Madame, c’est ce qui
9 s’est passé hier. Quels étaient vos souvenirs exacts ?
10 R. Qu’est-ce que vous voulez dire ? Au moment
11 où j’ai vu son visage, je ne connaissais pas son nom, ni
12 son prénom, ni son nom de famille. Ce n’est pas d’ailleurs
13 ce qui m’intéresse aujourd’hui. Toutefois, lorsque j’ai vu
14 son visage, j’ai été prise d’une telle colère et d’une
15 telle nervosité.
16 Q. Donc, si je vous ai bien comprise, Madame, au
17 moment où vous êtes entrée dans le prétoire, vous l’avez
18 reconnu sans vous souvenir d’autres choses ?
19 R. C’est exact.
20 Q. Fort bien !
21 R. À cause de toutes les personnes qui sont
22 présentes ici ou qui étaient là plutôt, comment aurais-je
23 pu me souvenir de chacun de leurs noms ?
24 Q. Fort bien ! Vous avez dit à plusieurs
25 reprises que l’état de vos souvenirs, et c’est bien
Page 2374
1 naturel…
2 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Vous avez
3 posé une question, elle a répondu. Elle a vraiment insisté
4 là-dessus. Donc, comprenez bien que maintenant, c’est
5 terminé.
6 Me JOVANOVIC (interprétation) : Tout à fait,
7 Madame la Présidente. Je poursuis par d’autres questions.
8 Ma question suivante n’a rien à voir avec la précédente.
9 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Fort bien !
10 Me JOVANOVIC (interprétation) :
11 Q. Voici ma question. Je vais la reformuler.
12 Puisque vous avez si bien reconnu ce visage, vous
13 connaissiez ce visage si bien et vous aviez de bien
14 meilleurs souvenirs il y a huit ans, pourquoi n’avoir pas
15 parlé de ce visage à qui que ce soit, pourquoi ne pas avoir
16 décrit ce visage, ce que cet homme vous a fait, parlé de
17 votre expérience puisqu’il faut manifester la vérité ?
18 R. C’est exact. Ça aurait été plus facile. Il
19 m’aurait été facile de le décrire, mais comment le décrire
20 quand je ne savais pas quel était son nom ? Comment le
21 faire ? Qu’est-ce que je vais dire ? Je connais chacun de
22 leur visage, mais je ne connais pas leurs noms.
23 Poursuivez, poursuivez.
24 Q. Je vais le faire, Madame. Est-ce que nous
25 pouvons revenir à vos déclarations ? Nous pourrions les
Page 2375
1 relire. Toutefois, dans celles-ci, vous avez décrit
2 d’autres personnes aussi, des personnes dont vous ne
3 connaissiez pas le nom. Vous n’avez pas nécessairement
4 donné des noms. Vous n’avez pas dit : « Tel ou tel a fait
5 ceci ou cela », mais il y a un certain nombre que je ne
6 préciserai pas, un certain nombre de personnes à propos
7 desquelles vous avez dit : « Il a fait ceci ou cela », sans
8 pourtant donner leurs noms, alors qu’ici, il y a cet
9 individu qui vous a fait du tort, pas seulement à vous mais
10 à d’autres. Par conséquent…
11 R. Je ne sais pas combien il y en avait.
12 Q. Mais vous vous souvenez de lui ?
13 R. Je ne me souviens pas seulement de son visage
14 à lui mais de chacun des visages. Je me rappelle du visage
15 de chacun, mais je n’ai pas leurs noms, et d’ailleurs, ça
16 ne m’intéresse pas.
17 Q. À mon avis, c’est tout à fait normal. Si
18 quelqu’un agresse quelqu’un d’autre, il est normal que la
19 victime ne connaisse pas nécessairement le nom de son
20 agresseur. C’est ce que je trouve bizarre.
21 Passons à une autre série de questions. Avant de
22 commencer votre déposition ici à l’audience hier, est-ce
23 que vous vous êtes entretenue avec un des membres du Bureau
24 du Procureur avant cette déposition à l’audience, disons
25 dans les quatre ou cinq jours qui ont précédé ou dans la
Page 2376
1 semaine qui a précédé ?
2 R. Je ne vous comprends pas bien.
3 Q. Je précise ma pensée. Avant votre
4 comparution en tant que témoin ici, est-ce que vous avez
5 rencontré le Bureau du Procureur ?
6 R. Oui.
7 Q. Lors de cette réunion, est-ce qu’ils vous ont
8 dit ce qu’ils allaient vous poser comme questions, quelles
9 photographies ils allaient vous montrer, ce genre de choses
10 ?
11 R. Non, non. Ils ne m’ont pas dit exactement ce
12 qu’ils allaient me poser comme questions. Ils ont fait
13 référence aux documents dont vous avez parlé auparavant.
14 J’ai dit que je me souvenais de tout cela mais dans une
15 moindre mesure, ce qui est normal vu la période de temps
16 écoulée depuis les événements.
17 Q. Si je vous pose la question c’est que quelque
18 chose de bizarre s’est passé hier dans le prétoire.
19 Heureusement, tout est enregistré ici en ces lieux.
20 Lorsque l’Huissier s’est approché de vous pour vous donner
21 la première photographie – j’oublie la cote – avant même
22 qu’il ne soit arrivé à votre bureau, vous avez reconnu ce
23 qui se trouvait sur la photographie.
24 R. Oui, mais c’était une photographie assez
25 grande et je connais l’aspect de l’école secondaire et
Page 2377
1 l’aspect du bâtiment de Partizan. Vous savez, je les
2 connais assez bien pour ne jamais l’oublier. Alors, comme
3 il approchait, je l’ai vue. Ce n’est pas qu’il était
4 impossible de la voir. Il était tout à fait possible de
5 voir. Vous auriez pu même lire des mots ou des noms.
6 Q. Non, Madame, je n’aurais pas pu le faire,
7 mais enfin, passons.
8 Dans votre déclaration préalable qui a reçu la
9 cote 75, à la page 8 de celle-ci, au paragraphe 6, on parle
10 d’un journaliste, un autre journaliste, et puis vous parlez
11 des événements qui se sont produits au centre sportif, de
12 l’arrivée d’un ou d’une journaliste. Si je vous ai bien
13 comprise, ces journalistes sont venus à deux reprises,
14 n’est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. La première fois, vous n’étiez pas présente ?
17 R. Non.
18 Q. Vous étiez présente cependant la deuxième
19 fois ?
20 R. Oui. Ils m’ont parlé.
21 Q. Dans votre déclaration, vous dites que
22 c’était des hommes, ces journalistes ?
23 R. La première fois, il y a une femme qui est
24 venue et la deuxième fois, c’était deux hommes.
25 Q. Vous n’avez pas vu la journaliste ?
Page 2378
1 R. Non, je ne l’ai pas vue elle puisqu’elle est
2 venue la première fois.
3 Q. Alors, comment auriez-vous pu la reconnaître
4 hier dans la rue ? Hier, vous avez dit : « Si je la voyais
5 dans la rue, je la reconnaîtrais. »
6 R. Bien, vous voyez, elle est venue.
7 Q. Qui ?
8 R. La journaliste.
9 Q. Quand ?
10 R. Eh bien, devant le Partizan. Elle n’est pas
11 entrée dans le bâtiment. Moi, j’étais assise près de la
12 porte. Deux hommes me parlaient. Elle, non. Elle était
13 devant la porte. Disons que la distance qui nous séparait,
14 c’était celle qu’il y a entre vous et moi.
15 Q. Donc, vous vous souvenez de cela ? Vous vous
16 souvenez de cet événement et maintenant, vous venez de le
17 relater ?
18 R. Oui, je me souviens de son visage.
19 Q. Pourquoi n’avoir jamais donné une telle
20 description ?
21 R. Qu’entendez-vous par là ?
22 Q. Pourquoi n’avez-vous jamais dit ce que vous
23 venez de me dire à quelqu’un auparavant, que cette
24 journaliste était à l’extérieur ?
25 R. Est-ce que je vous ai déjà donné des détails
Page 2379
1 ? Non, parce que je parle de façon générale, en termes
2 généraux.
3 Q. D’accord. C’est moi qui vous pose les
4 questions aujourd’hui. Il faut tôt ou tard passer aux
5 détails.
6 R. D’accord.
7 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Eh bien,
8 elle ne devrait pas fournir des détails, ce témoin,
9 puisqu’on ne lui a pas posé des détails. Alors, ne dites
10 pas : comment se fait-il qu’elle ne nous ait jamais fourni
11 cette description.
12 Me JOVANOVIC (interprétation) : Madame la
13 Présidente, sauf le respect que je dois à la Chambre, et
14 n’y voyez pas une critique ou une impolitesse de ma part,
15 mais nous n’avons pas entendu ou nous n’avons pas
16 exactement su ce que disaient les journalistes.
17 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Faites-le,
18 mais sans répéter les questions, s’il vous plaît.
19 Me JOVANOVIC (interprétation) :
20 Q. Ainsi, à votre déposition hier à l’audience,
21 Madame, j’en suis arrivé à une conclusion. La voici : Sur
22 le seul fait de l’apparence, de l’aspect qu’a un individu,
23 vous semblez être en mesure de savoir ce qu’il est advenu à
24 cet individu dans des moments qui ont précédé. Il y a deux
25 exemples. Il y a l’exemple du Témoin 48 à ce propos. On
Page 2380
1 parle aussi des événements qui se sont produits en votre
2 présence mais qui se passaient dans une autre pièce. Vous
3 voyez ce que je veux dire ?
4 R. Oui.
5 Q. Donc ça, c’est un cas. Le deuxième événement
6 était associé au Témoin numéro 50, du moins le numéro qu’on
7 lui a attribué. Alors, je voudrais une explication de
8 votre part. Prenez, par exemple, le Témoin 50. Vous la
9 voyez alors qu’elle sort de la baraque, du casernement des
10 travailleurs à Buk Bijela ?
11 R. Oui, c’est exact.
12 Q. Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui lui est
13 arrivé ?
14 R. Je ne sais pas de façon concrète, précise, ce
15 qui lui est arrivé pour cette jeune fille qui est
16 maintenant une femme. Elle est sortie. Elle avait le
17 visage tout rouge. Elle était en pleurs. Je ne pensais
18 pas, il m’était impossible de savoir ce qu’ils lui avaient
19 fait, mais par la suite, j’ai appris ce qu’ils lui avaient
20 fait.
21 Q. À ce moment précis, vous ne saviez pas ce qui
22 lui était arrivé ?
23 R. Comment aurais-je pu avoir les détails
24 puisque je ne l’ai pas vue ?
25 Q. C’est bien ce que je vous demande, Madame,
Page 2381
1 puisque vous dites l’avoir vue et vous dites avoir su ce
2 qui s’était passé.
3 R. J’ai vu à quoi elle ressemblait à ce moment-
4 là. Je ne savais pas exactement que c’était ça qu’ils
5 allaient lui infliger, ce qu’ils lui ont fait, mais quand
6 c’est ce qu’ils m’ont fait quand Tuta m’a violée, à ce
7 moment-là, je savais ce qu’ils lui avaient fait à elle.
8 Q. Fort bien ! Vos connaissances des faits,
9 votre compréhension des événements s’est faite plus tard,
10 pas à ce moment-là précis ?
11 R. C’est exact.
12 Q. Fort bien ! Vous aviez des doutes à propos
13 des événements qu’a vécus le Témoin 50 et est-ce qu’il y a
14 eu confirmation de cela ?
15 R. Eh bien, vous savez, ce que cette jeune fille
16 a vécu, et bien, lorsque nous sommes sortis du Partizan,
17 elle n’était plus à Novi Pazar et je ne l’ai plus revue,
18 mais au téléphone, je n’avais pas envie de lui parler de
19 cela. Ça n’a aucun sens, surtout quand il s’agit d’une
20 femme.
21 Q. Je vous pose la question : Est-ce que
22 quelqu’un a pu confirmer vos craintes, elle ou une autre
23 personne ?
24 R. Je ne me souviens pas.
25 Q. Est-ce que vous savez ce qui lui est arrivé ?
Page 2382
1 R. Je présume qu’oui et je suis certaine à 99
2 pour cent de ce qui a pu lui arriver.
3 Q. Donc, est-ce que vous savez si la jeune
4 femme, le Témoin numéro 50, est-ce que vous savez si elle a
5 mentionné, si elle a parlé de ces événements à quelqu’un
6 d’autre ?
7 R. Non, je ne sais pas.
8 Q. Est-ce que vous êtes au courant si ce témoin
9 a donné des déclarations aux enquêteurs du Tribunal et si
10 elle est venue témoigner au Tribunal ?
11 R. Non, je ne sais pas. Je ne sais pas. Ça ne
12 m’intéresse pas, mais il serait dommage et il serait une
13 honte qu’une femme n’en parle pas.
14 Q. C’est exactement la raison pour laquelle je
15 vous le demande. Donc, si vous trouvez que c’est une honte
16 de cacher la vérité, si nous voulons tous savoir la vérité,
17 ce qui m’intéresse c’est de savoir pourquoi est-ce que vous
18 vous êtes tue pendant huit ans.
19 R. Je ne me suis pas tue. J’ai donné des
20 déclarations. J’ai donné des déclarations aux enquêteurs.
21 J’ai parlé aux journalistes et j’ai parlé à tout le monde
22 de cela. Je me suis même présentée à la télévision.
23 Q. Hier pour la première fois, vous avez parlé
24 des événements et c’est la raison pour laquelle je vous
25 pose cette question.
Page 2383
1 R. Non, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas la
2 première fois que j’en ai parlé.
3 Q. Je suis désolé de…
4 R. Un instant, s’il vous plaît. Est-ce que vous
5 parlez du Témoin 50 ? Est-ce que c’est d’elle que vous
6 parlez ? C’est d’elle que vous parlez ? C’était une jeune
7 fille. Vous comprenez ? Maintenant, c’est une femme et
8 elle a un enfant. C’est la raison.
9 Q. Bon, très bien ! Nous allons y revenir.
10 R. Écoutez, Monsieur, finalement, en fin de
11 compte, toutes ces femmes-là ne m’intéressent pas, mais ce
12 qui m’intéresse, c’est moi-même.
13 Q. Il faut connaître la vérité.
14 R. Oui.
15 Q. Fort bien ! Maintenant, tout à l’heure avant
16 la fin de l’interrogatoire, vous avez jeté un coup d’œil
17 sur la liste qui se trouve sous vos yeux et hormis la
18 personne qui est chiffrée sous le numéro 51, vous avez dit
19 que toutes les autres personnes présentes sur cette liste,
20 on les faisait sortir avec vous à d’autres périodes, à des
21 intervalles différents et qu’elles ont toutes été violées.
22 Est-ce que c’est vrai ?
23 R. Oui.
24 Q. Maintenant, je vous demande de m’expliquer
25 quelle est la différence entre les événements ou
Page 2384
1 l’événement qui a eu lieu à Buk Bijela, et je parle
2 exclusivement en ce moment de la personne, enfin, du Témoin
3 numéro 50, alors, pour ne pas qu’il y ait de confusion,
4 alors, Madame, expliquez-moi la différence. Donc, nous
5 parlons d’un événement qui a eu lieu à Buk Bijela. Vous
6 n’avez pas vu cet événement. Vous déduisez quelque chose à
7 partir de la façon dont la personne avait l’air, donc de
8 l’aspect de la personne. Vous déduisez, vous concluez
9 quelque chose et vous ne voulez pas en parler. Vous ne
10 faites que déduire à partir de l’apparence de cette
11 personne. Donc, vous ne voulez pas en parler pour protéger
12 cette personne.
13 Pouvez-vous dire que cette personne en question,
14 que ce soit une jeune fille, bon, puisque ça se passe dans
15 un intervalle de 40 jours, donc, elle a été violée à
16 plusieurs reprises ? Quelle est la différence ? Quelle
17 est la raison pour laquelle vous parlez d’une personne et
18 vous ne parlez pas de l’autre personne ou d’un événement et
19 non pas de l’autre événement ?
20 R. Je crois que je n’ai pas mentionné son nom
21 nulle part. J’ai simplement mentionné son numéro. Par
22 contre, à ce moment-là, je ne sais pas. Je l’ai fait peut-
23 être inconsciemment que… par la suite, elle a été violée
24 plus tard. Probablement que je l’ai fait inconsciemment.
25 Je trouve que c’est dommage pour les autres jeunes filles
Page 2385
1 qui ont subi le même sort.
2 Q. Si je vous comprends bien, tout à l’heure,
3 lorsque vous avez mentionné ces événements, ces faits, vous
4 en avez parlé inconsciemment ?
5 R. J’ai inconsciemment mentionné que le Témoin
6 numéro 50 avait été violée. Je l’ai peut-être mentionné
7 d’une façon inconsciente. Vous savez, c’est quand même une
8 cousine. C’est quand même un membre de la famille.
9 Q. Vous la protégez ?
10 R. Bien sûr que je la protège.
11 Q. Vous ne voulez pas que les auteurs de ces
12 actes soient accusés ?
13 R. Oui, tout à fait. Il s’agit d’une femme.
14 Elle a maintenant sa propre famille.
15 Q. Très bien, très bien, très bien ! Je ne veux
16 pas entrer dans le détail, mais expliquez-moi seulement une
17 autre chose. S’il n’y avait pas eu ce procès et si on ne
18 vous avait pas demandé de venir témoigner, vous n’auriez
19 jamais parlé à personne, à qui que ce soit ? Vous n’auriez
20 pas mentionné ce qui est arrivé au Témoin numéro 50 à Buk
21 Bijela et ce qui lui est arrivé plus tard à Partizan ou au
22 centre ?
23 R. Oui, j’en aurais parlé après son mariage,
24 mais pas avant son mariage.
25 Q. Ah bon ! Donc, il a fallu qu’on attende
Page 2386
1 qu’elle se marie pour que vous le mentionniez, que vous en
2 parliez ?
3 R. Oui.
4 Q. À quel moment s’est-elle mariée ?
5 R. Je ne sais pas, mais je sais qu’elle a un
6 enfant. Je ne sais pas quel âge il a exactement. Peut-
7 être qu’il a deux ans.
8 Q. Donc, l’enfant avait deux ans lorsqu’elle
9 s’est mariée ?
10 R. Oui.
11 Q. Pendant deux ans, vous n’en avez pas parlé à
12 personne ?
13 R. Qu’est-ce que vous voulez dire que je n’en ai
14 pas parlé à personne ? Depuis deux ans, oui, j’en ai
15 parlé. Oui, bien sûr.
16 Q. Bon, très bien !
17 Me JOVANOVIC (interprétation) : Madame la
18 Présidente, j’approche la fin de mon contre-interrogatoire.
19 Si vous me permettez, j’aimerais consulter mes collègues.
20 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui.
21 [Les conseils de la Défense discutent]
22 Me JOVANOVIC (interprétation) : J’aimerais
23 seulement essayer de repérer ce passage de la déclaration
24 du témoin.
25 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui, s’il
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1 vous plaît, prenez votre temps.
2 Me JOVANOVIC (interprétation) : Oui, oui, très
3 bien, j’ai trouvé le passage, mais j’aimerais poser la même
4 question : quelle est la raison pour laquelle elle a
5 mentionné dans sa déclaration que rien ou personne, ainsi
6 de suite, ainsi de suite. Alors, je ne vais pas rentrer
7 dans les détails de nouveau.
8 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Faites ce
9 que vous devez faire, Monsieur Jovanovic. Vous connaissez
10 l’affaire mieux que tout le monde.
11 Me JOVANOVIC (interprétation) :
12 Q. J’aimerais vous poser seulement une autre
13 question. Les autres personnes qui figurent sur cette
14 liste, les noms qui figurent sur la liste qui se trouve
15 devant vous, donc s’agissant de ces personnes, nous savons
16 très bien que le Témoin 51 est une personne un peu plus
17 « vieille », si vous voulez. Donc, de ces autres
18 personnes, êtes-vous en mesure de dire quelle était l’année
19 de naissance, par exemple, du Témoin numéro 50 ?
20 R. Je ne sais pas quel âge elle avait ou quand
21 est-ce qu’elle est née exactement, quelle année, mais je
22 crois qu’elle devait avoir 15 à 16 ans parce qu’elle allait
23 en première année de l’école secondaire.
24 Q. Qui ?
25 R. Le numéro 50.
Page 2388
1 Q. Mais est-ce que vous m’entendez ? Comprenez-
2 vous ce que je vous pose comme question ?
3 R. Mais quoi ? Vous me posez la question au
4 sujet du numéro 50 ou du numéro 51 ?
5 Q. Non, non, non, pas du tout. Je parle de tous
6 les autres témoins à part de ces deux numéros-là.
7 R. Mais je ne comprends pas. Vous voulez savoir
8 quel âge elles avaient environ, quel âge elles avaient ces
9 personnes-là environ ?
10 Q. Oui, bien sûr. Ma question…
11 R. Répétez, s’il vous plaît. Je n’entends pas.
12 Q. Ma question est la suivante : De toutes les
13 personnes énumérées sur cette liste, combien y avait-il de
14 personnes qui avaient l’âge qui se rapprochait de l’âge du
15 Témoin numéro 50 ?
16 R. 50 ? Je crois qu’il y avait deux personnes.
17 Q. Lesquelles ?
18 R. DB et le numéro 87.
19 Q. Est-ce qu’elles étaient mariées à l’époque ?
20 R. Non.
21 Q. Mais vous ne les avez pas protégées ?
22 R. Parce qu’elles ne sont pas des cousines de
23 mon mari.
24 Me JOVANOVIC (interprétation) : C’est tout,
25 merci.
Page 2389
1 Merci, Madame la Présidente.
2 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Est-ce que
3 le Bureau du Procureur aurait des questions ?
4 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Oui, Madame
5 la Présidente.
6 RÉINTERROGÉE PAR
7 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) :
8 Q. Madame le Témoin, hier et aujourd’hui, vous
9 avez parlé de vos deux déclarations que vous avez déposées
10 au Bureau du Procureur plus tôt et vous avez également
11 parlé avec les avocats de la Défense de l’entrevue que vous
12 avez donnée à Novi Pazar.
13 Lorsque vous êtes arrivée à La Haye et lorsque
14 vous avez discuté de la déposition avec le Bureau du
15 Procureur, est-ce qu’on vous a montré ces trois
16 déclarations ? Est-ce que vous les avez relues avant de
17 vous présenter ?
18 R. Vous parlez de ces déclarations ?
19 Q. Oui. Est-ce que vous avez lu tous ces
20 documents dont on vous a posé des questions ?
21 R. Non, pas du tout. Ces documents ne m’ont pas
22 été donnés et je ne les ai pas lus non plus.
23 Q. Hier lorsque vous avez parlé de votre
24 déclaration datant de 1996, vous avez mentionné que vous
25 avez parlé de tous ces viols en termes généraux avec les
Page 2390
1 enquêteurs et que vous ne vouliez pas préciser, vous ne
2 vouliez pas ou vous n’étiez pas concentrée sur les auteurs
3 de ces actes en particulier ?
4 R. Oui, c’est exact. Les deux enquêteurs et les
5 journalistes ne m’ont pas posé des questions, n’ont pas
6 voulu que je leur parle en détail puisque, je le répète de
7 nouveau, même si j’avais 10 jours à raconter toute mon
8 histoire, cela ne suffirait pas.
9 Q. Par contre, pourriez-vous s’il vous plaît
10 jeter un coup d’œil sur la déclaration que vous avez donnée
11 en 1996 ? Est-ce qu’elle est encore avec vous et pourriez-
12 vous s’il vous plaît jeter un coup d’œil et examiner la
13 page 7 au quatrième paragraphe dans la version B/C/S ? Il
14 s’agit du paragraphe 6 dans la version anglaise. À la
15 page 7, donc. On parle du sixième paragraphe. En fait,
16 dans votre version à vous, dans la version B/C/S, il s’agit
17 des paragraphes 3 et 4.
18 Au paragraphe 3, vous parlez de schéma de viol qui
19 a eu lieu au centre sportif Partizan, et au paragraphe 4 –
20 et dans la version anglaise, il s’agit du paragraphe 6 –
21 vous parlez de Dragan Kunarac, de Zaga qui prenait part à
22 tout cela et qui était venu. Il s’est présenté au
23 Partizan : Est-ce que c’est exact ?
24 R. Oui, c’est exact.
25 Q. À la page 8, donc la page suivante – en fait,
Page 2391
1 dans la version B/C/S, il s’agit du dernier paragraphe de
2 la page 7 et pour la version anglaise, c’est la page 8,
3 paragraphe 4 – vous avez décrit que vous avez été amenée
4 chez le tailleur à Aladza et que vous avez été violée dans
5 cette maison : Est-ce que c’est exact ?
6 R. Oui.
7 Q. Dans votre déclaration datant de 1998, c’est-
8 à-dire c’est l’autre… en fait, il s’agit également d’une
9 déclaration que vous avez donnée au Tribunal. Pourriez-
10 vous s’il vous plaît jeter un coup d’œil à la page 3 dans
11 votre langue à vous, et en anglais, il s’agit des
12 paragraphes 3 et 4.
13 Alors, dans ces paragraphes, est-ce que vous
14 mentionnez des viols qui ont eu lieu chez le tailleur plus
15 en détail ?
16 R. Oui, effectivement, puisque Kunarac avait
17 déjà été arrêté. Je ne sais pas de quelle façon et cela ne
18 m’intéresse pas. Mais on m’a simplement posé des questions
19 le concernant, lui. Par contre, je ne savais pas tous les
20 détails en ce moment puisque j’ai oublié pas mal de choses.
21 Q. Pourriez-vous maintenant regarder ou jeter un
22 coup d’œil sur le dernier document dont vous avez parlé
23 avec Me Pilipovic ? Il s’agit d’une transcription d’une
24 entrevue que vous avez donnée aux journalistes. Pourriez-
25 vous simplement jeter un coup d’œil sur le texte anglais et
Page 2392
1 le texte B/C/S, mais le texte anglais est peut-être plus
2 important ?
3 Voyez-vous apparaître votre signature quelque part
4 dans ce document ?
5 R. Un instant, s’il vous plaît.
6 Q. Il s’agit de la pièce à conviction de la
7 Défense 42. Est-ce que les journalistes vous ont montré ce
8 document et voyez-vous votre signature apparaître sur ce
9 document ?
10 R. Concernant la signature, je ne la vois pas,
11 quoique je suis un peu énervée en ce moment, mais je
12 maintiens tout ce que j’ai dit et tous les journalistes ont
13 toujours la tendance d’exagérer un peu. Donc, j’imagine
14 que c’est exagéré aussi un tout petit peu ici sur ce qui
15 apparaît sur ce document.
16 Q. Lorsque vous avez été interviewée par les
17 journalistes, vous ont-ils montré un texte à la fin ou est-
18 ce que vous avez pu voir peut-être des enregistrements
19 vidéos ou est-ce que finalement, vous ne… ou est-ce que les
20 journalistes auraient pu vous montrer des notes qu’ils ou
21 elles auraient faites ?
22 R. Je ne me souviens pas d’avoir revu les
23 déclarations par la suite puisque ça ne m’intéresse
24 vraiment pas. Je disais toujours la vérité et j’ai
25 toujours dit la vérité. Je ne sais pas s’ils ont ajouté
Page 2393
1 quelque chose. En fait, cela ne m’intéresse pas vraiment.
2 Q. Donc, vous ne sauriez pas quelles étaient les
3 notes que les journalistes auraient prises, et s’il y avait
4 quelque chose d’inexacte, vous ne pourriez pas le savoir
5 non plus ?
6 R. Oui.
7 Q. De nouveau, j’aimerais vous référer à la
8 première déclaration que vous avez donnée au Tribunal en
9 1996, lorsque vous décrivez les viols en termes plus
10 généraux. Avez-vous mentionné d’avoir été violée par
11 plusieurs soldats dont quelques-uns d’entre eux vous
12 étaient connus et d’autres non ?
13 R. S’agissant de cela, je ne les connaissais pas
14 avant la guerre, avant mon emprisonnement ou avant d’être
15 capturée, si vous voulez. Par contre, il y avait certaines
16 personnes qui étaient présentes dans notre groupe qui les
17 avaient reconnus et qui avaient mentionné certains noms,
18 mais je ne me souviens pas maintenant de ces noms qui
19 avaient été mentionnés à l’époque.
20 Q. Mais lorsque vous avez vu l’accusé Zoran
21 Vukovic dans ce prétoire, l’avez-vous reconnu comme étant
22 l’un des agresseurs qui vous a violée ?
23 R. Oui.
24 Q. Lorsque vous avez témoigné hier et plus
25 particulièrement après la question de Me Pilipovic qui
Page 2394
1 avait trait à ce premier viol dans l’école secondaire, vous
2 avez parlé de votre mâchoire et vous avez mentionné un son
3 cliquant de la mâchoire. Est-ce que vous pouvez nous dire
4 à quoi vous pensiez lorsque vous avez mentionné ce fait ?
5 R. Lorsque Tuta m’a giflée, cela m’a fait très
6 mal et depuis ce temps-là, je ressens de gros problèmes.
7 Q. Vous voulez dire que votre mâchoire produit
8 un son ou un bruit lorsque vous parlez ou quel est le
9 problème que vous avez ?
10 R. Oui. Oui, est ça me fait mal.
11 Q. Dans votre déposition hier, plus tôt dans
12 l’après-midi, j’ai remarqué que vous aviez une impression…
13 que je lisais sur votre visage de la douleur. Est-ce que
14 c’est bien cela que vous ressentiez et pourquoi ?
15 R. C’est très douloureux d’en parler.
16 Q. Donc, ce n’était pas physique, une douleur
17 physique que vous ressentiez à ce moment-là ?
18 R. Parlez-vous de ma mâchoire ou est-ce que vous
19 parlez du procès en général, de ma présence ici ?
20 Q. Non. Je voulais savoir si à ce moment-là,
21 vous souffriez d’une douleur physique quelconque ou est-ce
22 que c’était votre douleur psychologique qui donnait
23 l’impression de douleur qu’on pouvait lire sur votre
24 visage ?
25 R. L’un et l’autre.
Page 2395
1 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Je n’ai plus
2 d’autres questions, Madame la Présidente, Messieurs les
3 Juges.
4 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui. Merci.
5 Me PILIPOVIC (interprétation) : Je n’ai pas de
6 questions. J’aimerais simplement clarifier un point avec
7 mon éminente collègue. Mon éminente collègue parlait qu’il
8 s’agissait d’une conversation avec le journaliste mais dans
9 le document que nous, nous avons devant nous, il s’agit
10 d’une déclaration faite devant les caméras. Donc…
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Mais de quel
12 document parlez-vous ?
13 Me PILIPOVIC (interprétation) : Il s’agit de la
14 pièce à conviction de la Défense 42. Est-ce que vous êtes
15 d’accord avec moi qu’il s’agit de la déclaration faite
16 devant les caméras ?
17 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Madame la
18 Présidente, Messieurs les Juges, je ne crois pas qu’il
19 s’agit de cela. Il faudrait que je vérifie, mais d’après
20 ce que je sache, je crois qu’il s’agissait des notes qu’un
21 journaliste avait faites. Bien sûr, il y avait un
22 enregistrement vidéo qui avait été fait également, mais il
23 a pris des notes en même temps. Il ne s’agit pas d’une
24 transcription d’une entrevue, mais j’ai l’impression,
25 puisque c’est toujours écrit à la troisième personne, donc,
Page 2396
1 il s’agit de notes prises lors d’une entrevue et il y a,
2 bien sûr, eu un enregistrement vidéo également. C’est de
3 cela que je parle. Ce n’est pas donc une déclaration mot
4 pour mot du témoin.
5 M. LE JUGE HUNT (interprétation) : Cela pourrait
6 être également des notes de quelqu’un qui aurait pu voir la
7 vidéo, mais il est vrai que ces notes sont à la troisième
8 personne et les mots ne sont pas les mêmes qui sont
9 utilisés.
10 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Oui, c’est
11 exactement ce que j’en ai déduit.
12 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Merci
13 beaucoup, Madame le Témoin, d’être venue et vous êtes
14 maintenant libre…
15 LA GREFFIÈRE : [Hors microphone] …savoir le sort
16 réservé effectivement à cette pièce D42. Elle n’a été pour
17 l’instant marquée que pour identification. Je voudrais
18 savoir si elle est admise. Et d’autre part, le document
19 qu’a montré Me Jovanovic au témoin, je voudrais savoir si
20 Me Jovanovic souhaite que ce document soit soumis au titre
21 des pièces à conviction.
22 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui. Alors,
23 qu’est-ce qu’on fait avec le document D42 ? Voulez-vous
24 verser ce document au dossier ? Ce que vous devez
25 comprendre c’est que si pour l’instant, le document est
Page 2397
1 montré au témoin, le document doit être coté seulement pour
2 des fins d’identification. Maintenant, si vous voulez
3 qu’il fasse partie du dossier, vous devez demander le
4 versement de ce document au dossier. Donc, il y a deux
5 étapes à ce document.
6 Me PILIPOVIC (interprétation) : Oui, Madame la
7 Présidente. Merci. Vous nous l’avez déjà mentionné une
8 fois. La Défense suggère que cette entrevue, qu’on appelle
9 ainsi, ou cette transcription de la conversation soit
10 versée au dossier comme pièce à conviction de la Défense.
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Est-ce que
12 vous avez des objections ?
13 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Non, Madame
14 la Présidente.
15 LA GREFFIÈRE : [Hors microphone] …sera coté D42
16 des pièces de la Défense et sera enregistré de façon
17 confidentielle.
18 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Monsieur
19 Jovanovic.
20 Me JOVANOVIC (interprétation) : Madame la
21 Présidente, je ne désire pas et je crois qu’il n’est pas
22 nécessaire de verser au dossier le morceau de papier sur
23 lequel il apparaissait un chiffre, un nom. Ce n’était que
24 pour des fins d’identification. Merci.
25 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui. Très
Page 2398
1 bien ! Nous avons encore cinq minutes.
2 Oui, Madame Uertz-Retzlaff.
3 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Notre
4 prochain témoin sera un témoin protégé et je suggère donc
5 de prendre une pause maintenant, et de plus, puisque nous
6 n’aurons pas à faire face à ces problèmes de distorsion de
7 voix et de traits du visage. Alors, le témoin a demandé de
8 témoigner à l’égard de l’accusé, donc d’être protégé des
9 accusés, mais par contre, ce témoin maintenant, après avoir
10 discuté avec nous, a demandé à ce que l’on applique
11 seulement la déformation des traits du visage et de la
12 voix.
13 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : J’espère que
14 la Défense comprend que les mesures de protection ont été
15 changées donc et on lui permettra donc de voir les accusés.
16 Me PRODANOVIC (interprétation) : Il n’y a pas
17 d’objection.
18 Me KOLESAR (interprétation) : Nous n’avons pas
19 d’objection.
20 Me JOVANOVIC (interprétation) : Pas d’objection.
21 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : La requête
22 est accordée et les mesures de protection ont été
23 modifiées.
24 Nous allons prendre notre pause maintenant et nous
25 allons reprendre à 11 h 30. Nous allons vous donner
Page 2399
1 quelques minutes supplémentaires pour appliquer les mesures
2 de protection.
3 --- Suspension de l’audience à 10 h 55
4 --- Reprise de l’audience à 11 h 30
5 [Le témoin entre dans la Cour]
6 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Bonjour,
7 Madame le Témoin. Veuillez lire la déclaration solennelle.
8 LE TÉMOIN (interprétation) : Je déclare
9 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et
10 rien que la vérité.
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui.
12 TÉMOIN : TÉMOIN 132
13 [ASSERMENTÉE]
14 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Le
15 Procureur.
16 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Avant de
17 commencer, veuillez remettre cela au témoin, s’il vous
18 plaît, et je demanderais que ceci soit marqué comme la
19 pièce à conviction de l’Accusation 201. Ça devrait se
20 trouver devant tout le monde. Il s’agit d’une liste
21 contenant des noms.
22 LA GREFFIÈRE : Il s’agit donc de la pièce du
23 Procureur 201. Elle est enregistrée de façon
24 confidentielle.
25 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Merci.
Page 2400
1 INTERROGÉE PAR
2 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) :
3 Q. Bonjour, Madame le Témoin.
4 R. Bonjour.
5 Q. Nous devons éviter de prononcer des noms.
6 Donc, vous avez la liste devant vous. Le nom qui figure à
7 côté du numéro 132, est-ce qu’il s’agit de votre nom ?
8 R. Oui.
9 Q. La date à côté de ce numéro, est-ce qu’il
10 s’agit de votre date de naissance ?
11 R. Oui.
12 Q. Où êtes-vous née ?
13 R. Je suis née à Foca.
14 Q. Dans un certain quartier de Foca ?
15 R. Non. Dans l’hôpital de Foca.
16 Q. Quelle est votre appartenance ethnique ?
17 R. Musulmane.
18 Q. Où avez-vous vécu à Foca avant la guerre ?
19 R. J’ai vécu à Rataja. Il s’agit d’un village
20 près de Foca.
21 Q. Quel est le quartier ou le hameau le plus
22 proche de Rataja ?
23 R. Miljevina. Il s’agit d’une communauté locale
24 qui appartenait à la municipalité de Foca.
25 Q. Avant la guerre, Miljevina, était-ce un
Page 2401
1 endroit à population mixte où les Serbes et les Musulmans
2 vivaient ensemble ?
3 R. Oui.
4 Q. Est-ce que vous pouvez nous indiquer quel
5 était le pourcentage des Serbes et quel était le
6 pourcentage des Musulmans ? Est-ce que l’un quelconque de
7 ces groupes était majoritaire ?
8 R. D’après mon estimation approximative, je
9 dirais qu’il s’agissait d’un rapport 50-50 pour cent.
10 Q. Votre village Rataja, est-ce que là aussi, il
11 s’agissait d’un village à population mixte ou bien est-ce
12 qu’un groupe ethnique était majoritaire ?
13 R. Il s’agissait d’un village mixte, mais je
14 crois que les Serbes représentaient la majorité de la
15 population.
16 Q. Qu’avez-vous fait avant la guerre ?
17 R. J’ai été à l’école. J’étais en première
18 classe du lycée.
19 Q. Quel était votre âge lorsque la guerre s’est
20 déclenchée ?
21 R. Quinze ans.
22 Q. Quand est-ce que la guerre s’est déclenchée ?
23 R. Je pense que la guerre dans toute la
24 municipalité de Foca a commencé au début du mois d’avril.
25 Je crois que c’était peut-être le 8 avril.
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1 Q. Est-ce que vous avez entendu quelque chose :
2 par exemple, des tirs, le son du pilonnage ? Est-ce que la
3 guerre a commencé dans la région dans laquelle vous avez
4 vécu ?
5 R. Je pense que durant cette période, en ce qui
6 concerne Rataja et Miljevina, il n’y a pas eu tellement de
7 combats, tellement de conflits armés, mais nous pouvions
8 entendre des tirs de canons provenant des monts
9 avoisinants. Dans un village avoisinant – c’est ce que
10 j’ai pu comprendre par la suite – il y avait certainement
11 des canons qui y étaient placés et qui tiraient des obus
12 depuis cet endroit et la cible était Foca.
13 Q. Est-ce que les Musulmans de votre village, de
14 Miljevina et Rataja, étaient armés à l’époque et est-ce
15 qu’ils avaient leurs unités ?
16 R. Non. Dans ce village, c’est surtout des
17 hommes âgés, des hommes et des femmes âgés qui y vivaient
18 et puis quelques enfants aussi et ils ne portaient pas
19 d’armes.
20 Q. Les voisins serbes, est-ce qu’ils étaient
21 armés ? Est-ce qu’ils portaient des uniformes ?
22 R. Oui. Dès ce premier jour, lorsque… je ne
23 sais pas très exactement comment définir le terme.
24 Apparemment, aujourd’hui, on dit que c’était le jour où la
25 guerre a éclaté, mais à ce moment-là, la plupart d’eux
Page 2403
1 étaient armés.
2 Q. Vous avez mentionné une route bloquée. Où
3 est-ce que ceci s’est produit et qui l’a organisé ?
4 R. La population serbe de Miljevina. Moi, je
5 n’ai pas vu ça, mais on me l’a dit. Les Musulmans ne
6 savaient pas ce qui se passait lorsque ça a commencé et
7 beaucoup d’eux sont allés, par exemple, acheter du pain.
8 Il y en a beaucoup qui vendaient du lait et des produits
9 laitiers et ils voulaient acheminer leurs produits. Et ils
10 ont vu, à ce moment-là, ils ont vu des chevaux de frise sur
11 la route. Par exemple, mon frère les a vus sur le chemin
12 de l’école.
13 Q. Est-ce que vous savez où cette route était
14 bloquée ?
15 R. Je ne m’en souviens pas. Je crois que
16 c’était à côté de la station à essence à Miljevina.
17 Q. Vous, est-ce que vous avez continué à aller à
18 l’école à Foca ?
19 R. Non.
20 Q. Pourquoi pas ?
21 R. Parce que même avant ça, on utilisait les
22 transports en commun pour aller à Foca et à ce moment-là,
23 je crois que les transports en commun ne fonctionnaient
24 plus pour aller à Foca.
25 Q. En avril et dans les mois qui ont suivi, vous
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1 et les membres de votre famille, est-ce que vous avez eu
2 des problèmes avec des soldats ?
3 R. Oui. Je ne sais pas si ceci s’est produit
4 dès le début du mois d’avril, mais après, dans les mois qui
5 ont suivi au cours de l’année 1992, les soldats serbes nous
6 ont contactés, ils ont voulu vérifier si nous étions armés.
7 Q. Les soldats, est-ce qu’ils sont venus dans
8 votre maison ?
9 R. Oui.
10 Q. À quoi ressemblaient ces soldats ? Quels
11 étaient leurs uniformes ?
12 R. Je pense qu’un petit nombre d’eux portaient
13 des uniformes de l’ancienne armée populaire yougoslave puis
14 il y avait des soldats en uniformes de camouflage.
15 Q. Est-ce que vous avez vu des insignes
16 particulières ?
17 R. Oui. Je pense que la plupart de ces
18 personnes qui venaient, je ne sais pas si c’était sur leur
19 épaule gauche ou droite, mais elles avaient un drapeau
20 tricolore et puis je pense qu’il s’agissait d’une sorte
21 d’insigne nationale serbe et puis je crois qu’il était
22 écrit sur l’insigne « la Garde Gingilo ».
23 Q. Est-ce que ça voulait dire quelque chose pour
24 vous ou est-ce que par la suite, vous avez appris ce que
25 c’était « la Garde Gingilo » ?
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1 R. Oui. Les gens qui venaient à l’époque, eh
2 bien, après tout ce que j’ai vu par la suite, j’ai pu
3 comprendre qu’il y avait ce groupe qui était subordonné à
4 Pero Elez et Pero Elez portait le surnom de Gingilo. Je
5 crois qu’on l’appelait le Duc Gingilo.
6 Q. Est-ce que vous connaissiez Pero avant la
7 guerre ?
8 R. Non.
9 Q. Comment avez-vous appris quel était son nom
10 et quand est-ce que vous l’avez rencontré pour la première
11 fois ?
12 R. J’ai appris son nom au mois d’août, lorsqu’il
13 est venu ou plutôt lorsqu’ils ont capturé mon père et mon
14 voisin. Ce jour-là, ils m’ont emprisonnée, ils m’ont
15 arrêtée, moi aussi, et je crois que c’est ce jour-là que je
16 l’ai vu et qu’il s’est même présenté lui-même en disant son
17 nom.
18 Q. Quelle était la taille de ce groupe de
19 soldats qui dépendaient de ce Pero Elez ?
20 R. Encore une fois, je peux vous dire
21 approximativement seulement. Je crois qu’il s’agissait de
22 20 à 30 personnes.
23 Q. Étaient-ils armés ?
24 R. Oui.
25 Q. Vous avez déjà mentionné le mois d’août, mais
Page 2406
1 entre avril et août, est-ce que vous avez quitté votre
2 maison ou Miljevina ou Rataja ?
3 R. Oui. J’ai deux frères cadets et nous, tous
4 les trois avec certains cousins proches, nous sommes sortis
5 pour aller dans un village qui se trouve entre Sarajevo et
6 Miljevina. Nous y sommes restés trois ou quatre jours,
7 mais puisque les parents étaient restés dans la maison,
8 nous sommes rentrés, nous aussi, parce que nous ne voulions
9 pas partir sans eux.
10 Q. Lorsque vous êtes rentrée dans la maison de
11 vos parents, est-ce que vous êtes restée dans la maison ?
12 R. Oui.
13 Q. Votre père, est-ce qu’il se déplaçait à
14 travers le village ?
15 R. Non.
16 Q. Pourquoi pas ?
17 R. Parce que certains Serbes, certains voisins
18 serbes l’ont recommandé. Ils ont dit que c’était mieux
19 comme ça et ils ont dit que souvent, des gens de
20 l’extérieur, du Monténégro, de Serbie, venaient dans le
21 village et ils voulaient éviter les incidents. Ils
22 considéraient qu’il était plus en sécurité s’il restait à
23 la maison.
24 Q. Et vous-même ?
25 R. La même chose était valable pour moi.
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1 Q. Pourquoi est-ce qu’il était dangereux pour
2 vous de sortir ou bien votre mère, par exemple, est-ce
3 qu’elle pouvait sortir, elle ?
4 R. Oui. Puisque nous avions du bétail, ils
5 n’ont pas interdit à ma mère de sortir et de s’occuper de
6 toutes les affaires concernant le bétail et moi, je ne
7 pouvais pas le faire. Cela ne m’a pas été permis.
8 Pourquoi ? Je ne le comprendrai jamais.
9 Q. Cette première fois lorsque vous croyez que
10 vous avez rencontré Pero Elez, est-ce que vous vous
11 souvenez exactement de la date ?
12 R. La date précise, c’est difficile, mais
13 c’était soit le 18, soit le 19 août 1992. Ça, c’est
14 certain.
15 Q. Comment se fait-il que vous vous souvenez si
16 bien de ces dates ?
17 R. Parce que je crois que c’était la première
18 des dates horribles dans ma vie.
19 Q. Qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ?
20 R. Ce jour-là, ils sont venus, ces soldats que
21 j’ai déjà mentionnés. Ils ont effectué la perquisition de
22 notre maison. Ils ont arrêté, amené mon père et moi-même.
23 Q. Est-ce que vous vous souvenez combien de
24 soldats sont venus dans votre maison ? Est-ce que vous
25 avez reconnu l’un quelconque d’eux ?
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1 R. Ces moments étaient vraiment extrêmement
2 durs. La peur était grande. Donc, il est très difficile,
3 impossible de reconnaître qui que ce soit. Je crois que
4 cinq à six soldats sont entrés dans la maison. En ce qui
5 concerne ce village, je pense qu’ils étaient au nombre
6 d’une trentaine.
7 Q. Est-ce que quelque chose s’est passé dans la
8 maison ce jour-là ?
9 R. Rien dans la maison, sauf qu’ils ont amené
10 mon père et moi-même.
11 Q. Est-ce qu’ils ont frappé votre père ?
12 R. Oui.
13 Q. Quand est-ce que ceci s’est produit et est-ce
14 que vous étiez présente ?
15 R. Ils sont venus à ce moment-là. Ils ont
16 laissé ma mère, moi et mes deux frères au rez-de-chaussée
17 de la maison. Ils ont emmené mon père à l’étage et nous
18 pouvions entendre ses cris fortement, et par la suite,
19 lorsque nous avons pu reparler avec le père, il nous a dit
20 qu’il était tabassé et qu’ils utilisaient le câble
21 électrique, ce qu’on appelle le câble de prolongement.
22 Q. Pourquoi ces soldats sont-ils venus dans
23 votre maison et pourquoi est-ce qu’ils maltraitaient votre
24 père ainsi ? Est-ce qu’ils ont dit quelque chose ?
25 R. Encore une fois, il m’est difficile de m’en
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1 souvenir parce que ceci s’est passé il y a longtemps. Je
2 ne me souviens pas de tous les détails, mais je crois
3 qu’ils ont dit qu’un certain camion devait apporter du foin
4 pour les Serbes. Apparemment, il y a eu des soldats ou
5 bien des civils à l’intérieur et le camion a eu un accident
6 et ils ont dit que la raison de cet accident était le fait
7 que le camion était tombé sur un engin explosif et ils ont
8 rendu responsables mon père et les autres voisins musulmans
9 de cela.
10 Q. Vous avez dit qu’ils ont emmené votre père.
11 Est-ce que vous savez où ils l’ont emmené ?
12 R. Par la suite, j’ai pu apprendre qu’il a été
13 emmené à Miljevina, au poste de police là-bas.
14 Q. Est-ce qu’il est resté là-bas pendant un
15 certain temps ?
16 R. Oui, pendant 15 jours.
17 Q. Qu’est-ce qu’il lui est arrivé par la suite ?
18 Où est-ce qu’ils l’ont emmené ?
19 R. Ensuite, ils l’ont emmené à la prison de
20 Foca, au KP Dom Foca.
21 Q. Il y est resté pendant combien de temps ?
22 R. Nous parlons maintenant donc du mois d’août
23 lorsqu’il a été arrêté et là-bas, il est resté entre le
24 début du mois de septembre et le 19 ou bien plutôt
25 certainement le début du mois de janvier 1993.
Page 2410
1 Q. Quand est-ce que vous l’avez revu de nouveau
2 ?
3 R. Je l’ai revu en avril, attendez, 1995. Oui,
4 1995.
5 Q. Qu’est-ce qui vous est arrivé à vous ce jour-
6 là du mois d’août ?
7 R. Ce jour-là, ils m’ont emmenée dans une maison
8 et c’est là que j’ai passé un certain temps.
9 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Je
10 demanderais à l’Huissier de montrer au témoin deux photos.
11 La première est la pièce à conviction 11, la photographie
12 numéro 7355.
13 Q. Veuillez examiner cette photo et nous dire ce
14 que vous voyez.
15 R. Je vois une maison particulière, une maison
16 que je connais très, très bien. La photo a été prise
17 depuis la route. On voit l’entrée de la maison, la porte
18 d’entrée. La maison appartenait à Nusret Karaman et je
19 pense qu’elle est connue aujourd’hui comme la maison de
20 Karaman.
21 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Je
22 demanderais maintenant à l’Huissier de montrer au témoin la
23 pièce à conviction 11, la photo numéro 7358.
24 Q. Qu’est-ce que vous voyez sur cette photo ?
25 R. Je vois la même maison. Seulement, cette
Page 2411
1 fois-ci, la photo a été prise d’un autre angle, depuis une
2 autre position.
3 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Merci. Vous
4 pouvez enlever la photo.
5 Q. Est-ce que vous connaissiez cette maison
6 avant la guerre ?
7 R. Oui.
8 Q. Est-ce que vous connaissiez la famille
9 Karaman ?
10 R. Les membres aînés de la famille, non, mais je
11 connaissais leurs deux filles cadettes.
12 Q. Qui vous a emmenée dans cette maison et
13 pourquoi ?
14 R. Bien sûr, je ne pouvais pas demander une
15 explication, je ne l’ai pas fait, donc je ne le sais pas et
16 ceux qui m’y ont emmenée, c’était Pero Elez… attendez.
17 Predrag Trifkovic, Pedo, Zoran Samardzic et Nedzo
18 Samardzic. C’est cela.
19 Q. Est-ce que vous connaissiez ces personnes
20 avant la guerre ?
21 R. Non.
22 Q. Comment avez-vous appris leurs noms alors ?
23 R. Tout simplement, ils ne disaient pas leurs
24 noms, ni leurs surnoms lorsqu’ils se parlaient entre eux,
25 mais par la suite, j’ai eu l’occasion de les connaître
Page 2412
1 mieux et je crois qu’ils se sont même présentés.
2 Q. Vous avez donc été emmenée dans cette maison.
3 Vous y êtes restée pendant combien de temps ?
4 R. Plusieurs heures.
5 Q. Est-ce que vous avez été soumise aux mauvais
6 traitements pendant ces quelques heures ?
7 R. Non.
8 Q. Où est-ce qu’on vous a emmenée ensuite ?
9 R. Ensuite, ils m’ont emmenée au poste de police
10 de Miljevina.
11 Q. Lorsque vous dites : « Eux, ils m’ont
12 emmenée », est-ce que vous parlez de nouveau de ces trois
13 soldats que vous venez de mentionner ?
14 R. Non. Je pense que c’était Pero Elez
15 certainement cette fois-ci, mais cette fois-ci, je ne sais
16 pas exactement qui y était avec lui, mais je souhaite vous
17 dire que huit ans se sont écoulés et il s’agit d’une
18 période très longue pour que je puisse me rappeler de tous
19 les détails et surtout en ce qui concerne mon cas, je peux
20 dire qu’un grand nombre de personnes vont être mentionnées.
21 Donc, je ne peux pas dire ceux dont je ne suis pas sûre.
22 Je suis sûre pour Pero Elez, mais pour les autres, je ne
23 suis pas sûre qui c’était.
24 Q. Lorsque vous êtes arrivée au poste de police,
25 qu’est-ce qui s’est produit là-bas ?
Page 2413
1 R. Au poste de police, mon enseignant, Risto
2 Trifkovic y travaillait. C’est lui qui m’a interrogée. Il
3 m’a demandé des questions concernant une certaine boîte
4 noire alors que moi, je n’ai jamais entendu parler de cette
5 boîte noire auparavant et même jusqu’à ce jour, je n’ai
6 jamais compris de quoi il parlait.
7 Q. Est-ce que vous saviez quoi que ce soit sur
8 cette boîte noire ?
9 R. Non.
10 Q. Combien de temps l’interrogatoire a-t-il duré
11 ?
12 R. Pas très longtemps. Peut-être une heure.
13 Q. Est-ce que vous avez subi un mauvais
14 traitement pendant cet interrogatoire d’une quelconque
15 manière ?
16 R. Non.
17 Q. Où est-ce que vous avez été emmenée par la
18 suite ?
19 R. Non, pas au début. Ils m’ont ramenée dans la
20 maison de Karaman.
21 Q. Pourquoi est-ce qu’ils vous ont ramenée dans
22 la maison de Karaman et pourquoi est-ce qu’ils ne vous ont
23 pas ramenée chez vous ?
24 R. Parce qu’ils m’ont dit que je savais ce
25 qu’était cette boîte noire et que je ne voulais pas
Page 2414
1 admettre.
2 Q. Donc, si on vous a ramenée dans la maison de
3 Karaman, est-ce qu’il s’agissait là d’une sorte de
4 punition, d’une sorte de menace ?
5 R. Moi, je l’ai pris comme une menace.
6 Q. Pourquoi ? Est-ce que vous saviez quoi que
7 ce soit concernant cette maison à l’époque déjà ?
8 R. Non, mais simplement, ils voulaient me
9 séparer de ma famille et pour moi, c’était déjà une
10 punition.
11 Q. Combien de temps êtes-vous restée dans la
12 maison de Karaman après votre retour là-bas ?
13 R. J’y ai passé la journée du lendemain jusqu’à
14 l’après-midi.
15 Q. Qui était dans la maison à ce moment-là ?
16 R. Il y avait sept jeunes filles dans la maison.
17 Faut-il que je dise leurs noms ?
18 Q. Non, pas les noms, mais s’il vous plaît,
19 veuillez consulter la liste et nous dire soit leurs
20 initiales ou les numéros.
21 R. Oui. C’est ce à quoi je pensais justement.
22 Il y avait DB, FWS-87, 75, AS, AB, JB, AT et JB. Pardon,
23 j’ai fait une erreur. AT n’était pas dans la maison. Je
24 vais répéter. Il y avait DB, FWS-87, 75, AS, AB, JB et JG.
25 Q. Très bien ! Merci. Est-ce que ces jeunes
Page 2415
1 filles ont parlé avec vous ?
2 R. Juste quelques mots. Elles m’ont dit leurs
3 noms, sans plus à ce moment-là, tout au début.
4 Q. Est-ce qu’elles vous ont dit d’où elles
5 venaient et comment elles sont venues dans la maison ?
6 R. Pour la plupart, oui.
7 Q. D’où venaient-elles ? Est-ce que vous vous
8 en souvenez ?
9 R. En ce moment, probablement je ne me
10 souviendrai pas de tout, mais par exemple, je sais que JG
11 avait été née à Gacko, elle vivait à Gacko. Elle a été
12 capturée quelque part à Kalinovik. DB, 87 et 75, je sais
13 qu’elles ont été nées… en fait, je ne sais pas où elles ont
14 été nées, mais elles vivaient dans le village de Mjesaja.
15 Elles aussi, elles ont été capturées dans les bois et je
16 pense qu’elles avaient été détenues dans le centre sportif
17 du Partizan et que c’est depuis cet endroit qu’elles ont
18 été emmenées dans cette maison.
19 Q. Est-ce que vous connaissiez ces jeunes filles
20 auparavant ?
21 R. J’en connaissais quelques-unes, AS et AB,
22 puisqu’elles aussi, elles habitaient à Miljevina.
23 Q. Ce jour-là ou cette nuit-là, est-ce qu’il y a
24 eu des soldats dans la maison ?
25 R. Oui.
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1 Q. Y avait-il un soldat ou plusieurs ? Combien
2 y en avait-il ?
3 R. Il y en avait plusieurs soldats. Ils
4 venaient, ils repartaient. C’était assez fréquent ces
5 déplacements, mais je ne sais pas exactement combien il y
6 en avait parce que les groupes changeaient, se relevaient.
7 Un groupe venait, l’autre repartait. Je ne pourrais pas
8 vous donner d’estimation.
9 Q. Est-ce que vous connaissiez l’un quelconque
10 de ces soldats ou est-ce que par la suite, vous avez appris
11 leurs noms ? Je parle uniquement des soldats qui se
12 trouvaient ce jour-là du mois d’août à cet endroit.
13 R. Oui. Personnellement, je connaissais un des
14 soldats. Lui aussi habitait Miljevina. Il s’appelle
15 Radovan Stankovic. Toujours ce jour-là, je crois que j’ai
16 appris plusieurs noms. Il y avait Nedzo Samardzic, Zoran
17 Samardzic.
18 Q. Ce jour-là, qu’ont-ils fait ces soldats ?
19 R. Ils étaient revenus d’une opération
20 victorieuse qui leur avait permis de capturer des personnes
21 âgées, des enfants. Je parle ici une fois de plus de
22 Rataja.
23 Q. Les soldats, est-ce qu’ils en ont parlé eux-
24 mêmes ?
25 R. Non.
Page 2417
1 Q. Comment se fait-il que vous soyez au courant
2 de cela ?
3 R. Parce qu’on pouvait lire la satisfaction sur
4 leur visage. Ils étaient manifestement contents. Ils
5 célébraient cette victoire. Ils revenaient de ce village.
6 Q. Ces jeunes filles qui étaient avec vous et
7 vous-même, qu’avez-vous fait ce jour-là ?
8 R. Eh bien, elles faisaient un travail de ménage
9 dans la maison, elles répondaient aux besoins des soldats.
10 Si les soldats voulaient boire, elles leur apportaient des
11 boissons. S’ils voulaient du café, elles préparaient du
12 café et elles le servaient aux soldats.
13 Q. Est-ce que vous avez subi des sévices sexuels
14 cette nuit-là ?
15 R. Non.
16 Q. À cette occasion, est-ce que les autres
17 jeunes filles ont dit qu’elles avaient subi, elles aussi ou
18 elles, des sévices ou est-ce qu’il y a quelque chose qui
19 s’est passé cette nuit-là que vous auriez vu ?
20 R. Je ne l’ai pas vu, mais les jeunes filles
21 m’ont parlé de cela et elles m’ont dit qu’au moment où moi,
22 j’étais arrivée, déjà avant cela, elles avaient vécu
23 beaucoup d’horreurs, de mauvais traitements, beaucoup
24 d’humiliations.
25 Q. Vous souvenez-vous de la jeune fille qui vous
Page 2418
1 a dit cela ?
2 R. Non, mais je crois qu’elles étaient toutes du
3 même avis. Toutes l’ont dit. Bien sûr, chacune n’aura pas
4 ou tout le monde n’aura pas la même histoire, mais toutes
5 ces histoires ont quand même quelque chose en commun.
6 Q. Quelle est l’impression que vous ont faite
7 ces jeunes filles ce jour-là ? En quel était étaient-
8 elles ? Comment étaient-elles ?
9 R. Je pense que toutes, tout comme moi, étaient
10 terrifiées. Je crois que le pire c’était qu’on les avait
11 toutes séparées de leur famille. La plupart d’entre elles
12 ne savaient même pas où se trouvaient leurs parents ou
13 leurs proches.
14 Q. Vous dites n’avoir passé qu’une nuit à cet
15 endroit. Où vous a-t-on emmenée le lendemain ?
16 R. Le lendemain, Nedzo Samardzic m’a ramenée
17 chez moi, chez ma mère.
18 Q. Lorsque vous êtes arrivée chez vous, est-ce
19 que vous avez vu que quelque chose s’était passé pour ce
20 qui est de votre famille ou de la maison familiale ?
21 R. Pas pour ce qui est de la famille, mais de
22 toute façon, mes parents n’avaient pas passé la nuit à la
23 maison. Ils avaient trop peur. Mais il y avait un vol
24 dans la maison et certains appareils ménagers ou d’autres
25 appareils avaient été volés.
Page 2419
1 Q. Combien de temps avez-vous passé dans votre
2 maison ?
3 R. C’était soit le 19 ou le 20 août que j’ai été
4 ramenée et je suis restée jusqu’au début du mois de
5 septembre, mais je ne me souviens plus de la date exacte.
6 Q. Pourquoi avez-vous quitté cette maison ?
7 R. Bien, je ne l’ai pas vraiment quittée, on
8 m’en a fait sortir.
9 Q. Et qui vous en a fait sortir ?
10 R. Predrag Trifkovic, dit Pedo, et Zoran
11 Samardzic. Et il faut que j’ajoute ceci : Je ne sais pas
12 si les deux frères Samardzic ou seulement un d’entre eux
13 étaient présents, mais je suis sûre que Pedo Trifkovic
14 était un de ces hommes.
15 Q. Vous souvenez-vous de la date à laquelle ceci
16 s’est produit ?
17 R. Non.
18 Q. Vous souvenez-vous du mois ? Est-ce que
19 c’était au début ou à la fin de ce mois-là ?
20 R. C’était au début du mois de septembre.
21 Q. 1992 ?
22 R. Oui, bien sûr.
23 Q. Avant qu’on vous emmène, est-ce qu’il s’est
24 passé quelque chose qui vous a perturbé ou qui a provoqué
25 des remous ?
Page 2420
1 R. Oui. Depuis ce village ou plutôt de Rataja,
2 13 jeunes hommes serbes avaient été tués qui étaient de ce
3 village. Je pense qu’on pourrait les qualifier de soldats
4 serbes.
5 Q. Comment le savez-vous ?
6 R. J’ai vu le chagrin tout autour de moi.
7 C’était des voisins qui étaient tout près de nous. Nous
8 avons entendu les cris. Nous avons vu aussi les
9 funérailles, les obsèques de ces soldats.
10 Q. Lorsque ces soldats qui vous ont emmenée sont
11 arrivés chez vous à votre maison, qu’ont-ils dit ?
12 R. Ils nous ont dit que ces voisins serbes
13 avaient, bien sûr, été blessés au plus profond de leur âme,
14 qu’ils étaient pleins d’indignation, et ils craignaient
15 qu’ils ne puissent provoquer des incidents et qu’il serait
16 plus sage que je suive ces soldats pour qu’ils m’hébergent
17 quelque part : où, je ne sais pas.
18 Q. Alors, pourquoi ces soldats n’ont-ils pas
19 emmener la totalité de votre famille ? Est-ce qu’ils vous
20 ont expliqué pourquoi ils ne vous ont emmenée que vous ?
21 R. Non.
22 Q. Madame, où vous a-t-on emmenée ?
23 R. Ils m’ont amenée à la maison de Karaman.
24 Q. Et cette fois-là, combien de temps êtes-vous
25 restée à cette maison ?
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1 R. Depuis le début du mois de septembre jusqu’au
2 21 mars 1993.
3 Q. Qu’est-il advenu de votre famille au moment
4 où on vous a emmenée ? Quel fut le sort réservé à votre
5 mère et à votre famille et à votre père ?
6 R. Bien sûr, ces informations, je ne les ai
7 apprises que bien plus tard lorsque j’étais en liberté
8 quand finalement j’ai pu retrouver ma mère. Ils sont
9 restés un certain temps dans la maison, jusqu’au mois
10 d’octobre. En fait, au moment où moi, j’ai été emmenée, je
11 ne me trouvais pas vraiment dans ma maison. Nous étions
12 dans la maison d’un parent. C’est là qu’on nous avait
13 installés afin que soit installée une famille serbe dans
14 notre maison à nous et c’est depuis cette maison qui
15 appartenait à des parents que ma mère, mes deux frères et
16 ma grand-mère maternelle ont été emmenés pour être internés
17 au centre sportif des Partizan.
18 Q. Lorsque vous êtes revenue dans cette maison
19 de Karaman, qui se trouvait là ? Pourriez-vous donner le
20 nom des soldats d’abord ?
21 R. Vous voulez d’abord le nom des soldats. Je
22 vous dis qu’il y avait des soldats de passage ou des
23 membres de la Garde. Il y avait des soldats qui restaient,
24 qui passaient la nuit. Il y avait Nikola Brcic et Radovan
25 Stankovic.
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1 Q. Vous parlez de la Garde. Est-ce que c’était
2 de nouveau cette Garde, ce groupe sous les ordres de Pero
3 Elez que vous avez déjà mentionné auparavant ?
4 R. Oui, oui.
5 Q. Et cette fois-là, combien de jeunes filles y
6 avait-il dans la maison ? Je vais vous demander d’examiner
7 la liste pour nous donner peut-être une indication à ce
8 propos.
9 R. Oui. Ces mêmes filles, ces mêmes jeunes
10 filles s’y trouvaient que j’avais vues la première fois :
11 DB, le Témoin 87, le Témoin 75, AS, AB, JG et JB.
12 Q. Et qui était la plus jeune d’entre elles ?
13 Quel âge avait-elle ?
14 R. Eh bien, la cadette c’était AB. Elle a dit
15 qu’elle avait 12 ans. Elle avait l’âge de 12 ans à
16 l’époque.
17 Q. Est-ce que par hasard, vous connaissez l’âge
18 des autres jeunes filles ?
19 R. Je ne sais plus, mais je sais que toutes
20 étaient très jeunes et que toutes n’étaient pas mariées.
21 Je crois que la plus âgée, elle avait 25 ou 26 ans, mais
22 c’était toutes des jeunes filles qui n’étaient pas mariées.
23 Q. Et étaient-elles toutes Musulmanes ?
24 R. Il se peut que JB soit d’un mariage mixte.
25 Je pense que sa mère était soit Serbe ou Croate, je ne suis
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1 pas sûre, mais en tout cas, son père était Musulman.
2 Q. Que vous est-il arrivée pendant que vous vous
3 trouviez à la maison de Karaman ?
4 R. Viols, humiliation, sévices.
5 Q. Quand vous dites : « viols », est-ce que vous
6 pourriez être plus précise ?
7 R. Vous savez, à l’époque, en yougoslave, dans
8 cette langue qui est devenue bosniaque, il y a un terme :
9 « silo » qui veut dire force, puissance. Pour moi, le
10 terme de « silovanje » – n’oubliez pas que j’étais une
11 gamine, un enfant, un enfant de 15 ans – ils ont donc
12 utilisé la force, le pouvoir, la puissance pour m’amener
13 là. Tout ce que j’ai vécu moi, mais les autres jeunes
14 filles aussi, ne s’est pas fait de ma propre volonté ou
15 avec mon acquiescement. C’est uniquement par le recours à
16 la force, au pouvoir, à la puissance qu’ils y sont
17 parvenus.
18 Q. Mais pourquoi ont-ils utilisé ce pouvoir,
19 cette force, cette puissance ? À quelle fin ?
20 R. Pour nous amener à cet endroit et pour faire
21 tout ce qu’ils y ont fait.
22 Q. Par exemple, pour pénétrer, pour faire
23 pénétrer leur pénis dans votre bouche, votre vagin et votre
24 anus ?
25 R. Oui.
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1 Q. Et combien de fois est-ce que ceci s’est
2 passé ? Est-ce que ça se passait tous les jours ?
3 R. Pas pour moi. Bien sûr, de toutes qui nous
4 trouvions là, nous n’avons pas reçu le même traitement.
5 L’intensité de leur comportement agressif variait.
6 Q. Combien de fois avez-vous été violée, vous
7 personnellement ?
8 R. J’ai toujours voulu oublier, réprimer ces
9 choses-là. Ce ne fut pas si fréquent mais je ne peux pas
10 vous dire exactement.
11 Q. Est-ce que vous vous souvenez d’un homme en
12 particulier qui vous a violée ?
13 R. Oui. Le premier à me violer fut Pero Elez et
14 puis, il y a eu Nedzo Samardzic. Puis, il y avait aussi un
15 homme qui quand il est venu a dit que c’était le Capitaine
16 Dragan, qu’il était Monténégrin. Il y a eu aussi Zoran
17 Samardzic. Je ne pourrais pas vous donner d’autres noms.
18 Q. Pendant que vous vous trouviez dans cette
19 maison de Karaman, comment est-ce que tout ceci… qu’est-ce
20 que ça eut comme effet sur vous ? Vous vous sentiez
21 comment ?
22 R. Abominable, impuissante, terrible, mais je me
23 sentais aussi pleine de dignité et de fierté en même temps.
24 Q. Mais fierté pourquoi ? Dignité pourquoi ?
25 R. Je n’ai pas bien compris votre question.
Page 2425
1 Q. Vous avez dit qu’en même temps, vous vous
2 sentiez pleine de fierté et de dignité. Pourquoi avez-vous
3 eu ce sentiment ? Qu’est-ce qui l’a occasionné ?
4 R. Eh bien, nous étions des enfants, des jeunes
5 filles sans aucune force, sans aucun pouvoir. C’était des
6 hommes armés qui ont eu recours à la force, qui ont employé
7 cette force. Mais je ne voulais pas me soumettre. Ils
8 nous décrivaient souvent comme leurs esclaves mais je
9 n’acceptais pas une telle idée. Vraiment, en mon fort
10 intérieur, je refusais d’admettre cela, même si en fait
11 c’était la vérité.
12 Q. Vous avez dit qu’il y a eu des jeunes filles
13 qui ont subi plus de viols que d’autres. Quelle est la
14 jeune fille qui a souffert du plus grand nombre de viols ?
15 R. Je ne sais pas.
16 Q. Est-ce que toutes, vous avez été violées ?
17 Est-ce que toutes les autres jeunes filles ont vécu la même
18 expérience que vous ?
19 R. Oui.
20 Q. Est-ce que vous avez été violée à d’autres
21 occasions, parce que vous vous trouviez toujours dans la
22 même maison ?
23 R. Oui.
24 Q. Pourriez-vous nous décrire : Est-ce qu’il y
25 a eu par exemple un viol collectif ou…
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1 R. Oui, il y a… c’était la nuit. J’ai déjà
2 parlé de Radovan Stankovic et de Nikola Brcic qui se
3 trouvaient dans la maison. Ces deux hommes avaient le
4 droit d’ouvrir la porte et de laisser entrer tous ceux qui
5 voulaient s’amuser avec les jeunes filles bosniaques. Et
6 puis, il y avait quelqu’un que je ne connaissais pas et ils
7 ont dit, puisque souvent, nous dormions dans la même pièce,
8 et dans cette pièce, ils ont amené trois ou quatre hommes
9 et nous avons été soumises à ce viol collectif.
10 Q. Est-ce que vous avez été battue à la maison,
11 dans cette maison ?
12 R. Il n’y a pas eu de sévices physiques majeurs,
13 à l’exception de gifles, mais plus, non.
14 Q. Est-ce que vous avez été l’objet de menaces ?
15 R. Oui.
16 Q. Quelles étaient les menaces proférées contre
17 vous ?
18 R. Il y avait un grand couteau, le kama (ph.),
19 comme ils l’appelaient, et il y avait aussi des armes,
20 pistolets ou revolvers, des fusils.
21 Q. Est-ce que les autres jeunes filles, il leur
22 arrivait aussi à elles d’être giflées et de faire l’objet
23 de menaces ?
24 R. Oui.
25 Q. Lorsque c’était le cas, est-ce qu’il y avait
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1 une raison quelconque ? Est-ce que vous avez provoqué un
2 tel comportement ? Pourquoi les soldats ont-ils fait ce
3 qu’ils ont fait ?
4 R. Non. Je crois qu’en général, ça se
5 produisait, je ne dirais pas que ces hommes étaient des
6 alcooliques nécessairement, mais c’était des hommes qui
7 allaient boire et sous l’effet de l’alcool, c’était surtout
8 en fait sous l’effet de l’alcool qu’ils nous violaient et
9 qu’ils nous battaient.
10 Q. Ces soldats qui sont venus dans la maison,
11 est-ce qu’ils appartenaient tous au groupe de soldats sous
12 les ordres de Pero Elez ou est-ce qu’il y avait aussi
13 d’autres soldats ?
14 R. Non, ils ne faisaient pas tous partie de son
15 groupe. Il y en avait d’autres aussi.
16 Q. Les autres, d’où venaient-ils ?
17 R. Je viens de vous le dire. Il y a une
18 personne qui s’est présentée comme étant le Capitaine
19 Dragan. Il a dit être du Monténégro. Il y avait aussi des
20 gens originaires de Foca qui venaient dans cette maison.
21 Q. Est-ce que vous avez par hasard appris le
22 nom, voire le surnom de soldats qui venaient de Foca ?
23 R. Je le répète : Je ne connaissais pas le nom
24 de ceux qui venaient de Foca, mais les jeunes filles qui
25 étaient déjà dans la maison avant moi, elles, elles avaient
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1 déjà subi des mauvais traitements assez infâmes au centre
2 sportif de Partizan et c’est par ce qu’elles ont raconté
3 que j’ai appris que quand elles étaient parties, il y avait
4 un homme qui s’appelle Zelenovic, surnommé Zelja, et que
5 cet homme, Dragan Zelenovic, venait et il y avait aussi
6 Gojko Jankovic et je sais qu’il arrivait à Dragoljub
7 Kunarac, surnommé Zaga, de venir. Je ne sais pas si je
8 pourrais me souvenir de son nom. Je pense qu’il s’appelait
9 Gagovic ou Gaga. C’était tous des hommes qui avaient sans
10 doute la même attitude, le même comportement à l’égard des
11 jeunes filles et des enfants de Bosnie d’origine musulmane.
12 Q. Vous avez parlé d’un certain Zaga. Pourriez-
13 vous le décrire ?
14 R. Il y a quelque chose que je dois continuer de
15 répéter : d’abord, que tout ceci s’est passé il y a très
16 longtemps de cela. Huit ans se sont écoulés depuis. À
17 l’époque, je n’étais qu’une enfant. Maintenant, je suis
18 une femme. Ces hommes étaient d’un âge moyen et vous savez
19 qu’en l’espace de huit ans, les gens changent. Mais en
20 plus, il y avait beaucoup de peur à ce moment-là.
21 L’homme que j’ai vu à l’époque et dont je pense
22 qu’il s’agit de Zaga, c’était un homme assez grand, de
23 bonne corpulence, de bonne constitution, avec des pommettes
24 saillantes, un visage assez osseux. Je ne me souviens pas
25 de la couleur de ses yeux, ni de la couleur de ses cheveux.
Page 2429
1 Q. Comment avez-vous appris son nom de famille
2 ou son surnom ? Est-ce qu’il s’est présenté lui-même ou
3 est-ce que c’est par d’autres que vous l’avez appris ?
4 R. Il ne s’est pas présenté. Je crois l’avoir
5 déjà dit. Ce sont les jeunes filles qui avaient déjà
6 traversé cet horrible épisode du centre de sportif de
7 Partizan qui me l’ont dit.
8 Q. À quelle fréquence l’avez-vous vu dans la
9 maison de Karaman ?
10 R. Eh bien, pendant que moi, je m’y trouvais,
11 une fois ou deux.
12 Q. Qu’a-t-il fait à l’intérieur de la maison ?
13 R. Dans une maison, pendant longtemps, il y
14 avait une famille musulmane, Alija Hrbinic, et puis il y
15 avait un endroit où ils gardaient le bétail, où ils
16 amenaient le bétail. Et je pense qu’en général, ils
17 partaient de la maison de Karaman à cet endroit, à cette
18 espèce d’étable, et puis là, ils prenaient le bétail dont
19 ils avaient besoin. Et puis, je pense que la dernière fois
20 où j’ai vu cet homme en particulier, c’est au moment où un
21 groupe de jeunes filles a été emmené de la maison.
22 Q. Est-ce que vous avez vu Zaga discuter avec
23 Pero Elez et est-ce que vous avez vu ensemble ces deux
24 hommes ?
25 R. Oui. Ce jour-là en particulier, il y avait
Page 2430
1 beaucoup d’hommes que nous connaissions et d’autres que
2 nous ne connaissions pas qui ont parlé à Pero Elez et je
3 suppose – c’est une supposition de ma part – c’est là que
4 j’ai vu cet homme Zaga.
5 Q. Est-ce que Pero Elez a jamais mentionné le
6 nom de Zaga ? Est-ce qu’il a jamais dit quel genre de
7 soldat c’était ?
8 R. Non, pas jusqu’au moment de ce jour-là, au
9 moment où ils ont emmené ce groupe de jeunes filles. Je ne
10 sais pas où ils les ont emmenées.
11 Q. Que vous a dit Pero Elez à propos de Zaga ?
12 R. J’étais assise sur la terrasse. Il n’y avait
13 pas que la peur qui m’assaillait. J’étais vraiment à bout
14 de nerf et il m’a dit que je devrais lui manifester de la
15 reconnaissance puisqu’il n’avait pas permis que je parte
16 avec Zaga et il m’a dit que je ne savais pas ce qu’était la
17 douleur, la souffrance tant que je n’aurais pas vécu ce
18 qu’ont vécu ces filles avec les hommes de Foca. Je crois
19 qu’il voulait dire quelque part qu’il m’avait protégée.
20 Q. Avez-vous vu à quelque moment que ce soit une
21 femme soldat dans la maison ?
22 R. Je ne sais pas si cette femme était un
23 soldat. Je ne sais pas si c’est elle ou les gens qui
24 étaient venus avec elle et je ne sais pas si… ils l’avaient
25 présentée comme étant une journaliste. Son nom était
Page 2431
1 Gordana Draskovic.
2 Q. À quel moment s’est-elle présentée dans la
3 maison et qu’a-t-elle fait ?
4 R. Je ne sais pas quand elle est venue. Je ne
5 sais pas ce qu’elle était venue chercher non plus.
6 Q. Est-ce qu’elle était présente pendant que
7 vous et les autres filles étiez abusées ?
8 R. Non.
9 Q. Avez-vous vu Zaga abuser de filles dans la
10 maison ?
11 R. Non.
12 Q. Pourriez-vous, s’il vous plaît, jeter un coup
13 d’œil dans ce prétoire et nous dire si cette personne dont
14 vous parlez se trouve bien présente dans ce prétoire ?
15 R. Je crois que la première personne…
16 Q. Donc, lorsque vous comptez à partir de la
17 gauche, de la porte de gauche, il est assis à quel endroit
18 ?
19 R. Donc, premier siège.
20 Q. Donc, la première personne ne portant pas
21 d’uniforme, vous voulez dire ?
22 R. Oui, oui, bien sûr.
23 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Pour le
24 compte-rendu d’audience, le témoin vient d’identifier
25 l’Accusé Dragoljub Kunarac.
Page 2432
1 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui.
2 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) :
3 Q. Maintenant, revenons à la maison de Karaman.
4 Étiez-vous enfermée à clé dans cette maison ?
5 R. Oui. Nous étions enfermées à clé, quoiqu’il
6 est important de dire que nous détenions la clé et que nous
7 fermions la porte à clé par l’intérieur.
8 Q. Êtes-vous donc restée dans cette maison de
9 façon volontaire ?
10 R. Je crois que cela suffisait de dire… de ce
11 que je comprends, ce que j’entends par le mot « viol ».
12 Donc, cela voudrait dire que nous étions là contre notre
13 gré.
14 Q. Vous nous avez dit que vous aviez une clé.
15 Pourquoi ne vous êtes-vous pas enfuie de cette maison ?
16 Aviez-vous le choix ?
17 R. Je crois que nous n’avions pas de choix.
18 C’était absolument absurde de se diriger dans quelque
19 direction que ce soit. Il faut mentionner que nous étions
20 très jeunes et partout où nous allions, nous nous rendions
21 en véhicule. On se servait soit de véhicules privés ou
22 d’autobus et donc, c’était absolument absurde d’aller
23 quelque part puisque les distances étaient grandes et il
24 faut dire que je crois que nous n’avions pas le choix.
25 Nous ne pouvions pas partir et nous ne pouvions pas arriver
Page 2433
1 nulle part car la population civile serbe était tout autour
2 et il y avait également des soldats serbes partout.
3 Q. Vous dites qu’on vous a fait sortir le 21
4 mars. Et les autres filles, est-ce qu’elles sont restées
5 aussi longtemps que vous ?
6 R. Non, c’est-à-dire que j’ai mentionné qu’il y
7 avait un groupe de filles qui avaient déjà été emmenées
8 dans une direction inconnue, et dans cette maison-là, après
9 donc qu’on ait emmené ces filles, on est resté JG, 132, et
10 pendant un certain temps après qu’on ait emmené ces autres
11 personnes, on nous a emmené la personne AT et la personne
12 DB a été emmenée par Radovan Stankovic sans nous expliquer
13 quoi que ce soit. Donc, on l’a emmenée dans une direction
14 inconnue.
15 Q. Et DB, à quel moment a-t-elle été emmenée ?
16 En même temps que les autres filles ?
17 R. Non. Elle a été emmenée par la suite, après
18 les autres filles.
19 Q. Savez-vous quand est-ce que ça s’est passé, à
20 quel moment, quelle saison était-ce, quel temps de l’année
21 ?
22 R. Oui, je sais. C’était l’automne.
23 Q. Est-ce qu’elle a quitté de façon volontaire
24 avec Stankovic ?
25 R. Je crois que non, de la même façon que… je
Page 2434
1 crois que non.
2 Q. J’aimerais me référer à une déclaration que
3 vous avez donnée auparavant.
4 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : J’aimerais
5 que l’on verse un autre document au dossier. Il ne fait
6 pas partie des pièces à conviction. Il n’est pas dans le
7 classeur des pièces à conviction. Alors, il s’agirait donc
8 de la pièce à conviction de l’Accusation 202. Il s’agit
9 d’une déclaration donnée par le témoin à la police de
10 Bosnie.
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Datée de
12 quelle date ?
13 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Le document
14 date du 27 mars 1993, quoique dans la traduction, il y a
15 une erreur et la date du 7 mars 1993 apparaît sur ce
16 document. Alors, il s’agit d’une erreur puisque sur le
17 document original en B/C/S, la date qui apparaît est bien
18 le 27 mars.
19 Est-ce que nous pourrions demander à l’Huissier de
20 donner ce document au témoin et également de distribuer ce
21 document ? Je crois qu’il a déjà été distribué au Greffe
22 et j’aimerais que l’on verse ce document au dossier.
23 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Est-ce qu’il
24 y a des objections concernant cette requête du Bureau du
25 Procureur de verser ce document au dossier ?
Page 2435
1 Me PRODANOVIC (interprétation) : Non, Madame la
2 Présidente. Nous avons déjà pris connaissance de cette
3 déclaration.
4 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Monsieur
5 Kolesar.
6 Me KOLESAR (interprétation) : Non, Madame la
7 Présidente.
8 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Monsieur
9 Jovanovic.
10 Me JOVANOVIC (interprétation) : Non, Madame la
11 Présidente, aucune objection.
12 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Très bien !
13 Est-ce qu’on pourrait avoir la cote ?
14 LA GREFFIÈRE : Il s’agit du document 202 des
15 pièces du Procureur et il est enregistré de façon
16 confidentielle.
17 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) :
18 Q. Madame le Témoin, pourriez-vous, s’il vous
19 plaît, jeter un coup d’œil sur la version de ce document
20 qui se trouve devant vous et qui est dans votre langue ?
21 Est-ce que votre signature apparaît sur ce document ?
22 R. Oui.
23 Q. Vous rappelez-vous avoir donné cette
24 déclaration après avoir été libérée aux autorités de Bosnie
25 ?
Page 2436
1 R. Oui.
2 Q. Je vais maintenant vous lire un passage de ce
3 document. Dans la version anglaise de ce document – il n’y
4 a pas de numéro encore, je suis désolée – à la page 7 de la
5 version anglaise, on dit : « Je sais aussi que DB est
6 tombée amoureuse de Radovan Stankovic et il l’a transférée
7 au Monténégro. »
8 On mentionne le mot « amour » dans cette
9 déclaration préalable. Est-ce que vous avez bien donné
10 cette déclaration et que vouliez-vous dire par cela ?
11 R. Je crois que pendant que j’ai donné cette
12 déclaration ou la personne qui a pris cette déclaration par
13 écrit, je crois qu’il y a eu un très grand malentendu parce
14 que j’ai toujours cru et je maintiens d’ailleurs ce que je
15 dis : Aucune de nous n’a même pas pu songer à quelque
16 chose de semblable. Je crois que DB, d’abord et avant
17 tout, a été terriblement traumatisée, c’est-à-dire qu’elle
18 a eu beaucoup de pertes dans sa famille. Elle a été témoin
19 oculaire de toutes ces pertes et donc, je crois que c’est
20 complètement absurde de dire quelque chose de semblable.
21 Je ne sais pas si je l’ai dit. Si je l’ai dit, ça serait
22 une très grande erreur, mais je crois que je n’ai même pas
23 songé à quelque chose de semblable à quelque moment que ce
24 soit.
25 Q. Quelle était l’attitude de Dragan Stankovic
Page 2437
1 envers DB ? Est-ce que ce serait possible qu’il aurait pu
2 tomber amoureux de cette fille, qu’il aurait ressenti
3 quelque chose pour elle ?
4 R. Permettez-moi de vous corriger. Il ne
5 s’agissait pas de Dragan Stankovic mais de Radovan
6 Stankovic.
7 Q. Je suis vraiment désolée.
8 R. Je ne sais vraiment pas, mais il ne
9 permettait pas aux autres soldats d’avoir des relations
10 sexuelles avec DB. Alors, je ne pourrais pas essayer de
11 comprendre ce que c’était, mais c’était peut-être un signe
12 qui voulait dire qu’elle était d’une certaine façon
13 protégée. Est-ce qu’on pourrait appeler cela de l’amour ?
14 Je ne sais pas.
15 Q. Vous avez mentionné que les autres filles ont
16 été emmenées avant DB. De qui s’agit-il ? Quelles étaient
17 ces filles qui avaient été emmenées et dans quelles
18 circonstances ?
19 R. Bien, elles ne pouvaient rien changer à ce
20 destin. Elles suivaient des ordres. Je crois que Pero
21 Elez était responsable de cette maison. Tout se déroulait
22 sous ses ordres à lui et, en fait, il était peut-être de
23 concert avec les autres personnes qui étaient arrivées,
24 mais je crois qu’à ce moment-là, on parlait du fait que
25 lorsque ces filles seraient emmenées, ils allaient emmener
Page 2438
1 d’autres filles de Foca. Alors, ça serait comme une espèce
2 d’échange. FWS-87, c’est-à-dire le Témoin 87, le Témoin
3 75, le Témoin AS et le Témoin AB ont été emmenées.
4 Q. Savez-vous quel est le sort qui leur a été
5 réservé à ces autres filles ?
6 R. Qu’est-ce que vous voulez dire ? Si à
7 l’époque, je savais ce qui leur est arrivé ou maintenant ?
8 Q. Pendant que vous étiez dans la maison de
9 Karaman, est-ce que vous aviez entendu parler, est-ce que
10 vous saviez ce qui leur était arrivé ?
11 R. Non.
12 Q. Par la suite, est-ce que vous savez quel
13 était le destin ou le sort réservé à ces filles ?
14 R. Oui.
15 Q. Qu’avez-vous appris et de quelle façon ?
16 R. Puisque nous venons toutes de cette même
17 région, c’est-à-dire de cette même municipalité, presque
18 chacune de nous a quelqu’un, un membre de la famille à
19 Sarajevo et je crois que nous avons vécu des moments très
20 difficiles et nous avons été ensemble pendant cette
21 période-là.
22 J’ai voulu savoir et je voulais savoir et j’ai
23 donc posé des questions à gauche et à droite et j’ai
24 entendu parler donc lorsque ce processus judiciaire a été
25 entamé, parce que, vous voyez, je vois certains noms ici
Page 2439
1 apparaissant sur cette liste.
2 Q. Oui, très bien, mais savez-vous ce qui est
3 arrivé à ces filles que vous venez de mentionner ?
4 R. Je ne sais pas.
5 Q. Qui les a emmenées et à quel moment ?
6 R. Je ne sais pas la date exacte. Donc, on a
7 emmené des gens de cette maison que j’ai dit ne pas
8 connaître. C’était donc Pero Elez. Il y avait également
9 un homme qui avait un grade de l’armée yougoslave et il
10 s’adressait à cet homme en l’appelant « Kovac ». Donc,
11 j’ai déjà mentionné que Zaga était présent. Il y avait
12 également Jankovic. Oui, il y avait Janko Jankovic, Tuta.
13 Je ne me rappelle pas du nom. C’est un peu mélangé dans ma
14 tête. Gojko. Je ne me souviens pas vraiment.
15 Q. Quoique les filles ont été emmenées et vous
16 l’avez vu ?
17 R. Oui, oui.
18 Q. Après qu’on ait emmené DB, qui était resté
19 dans la maison de Karaman à part de vous-même ?
20 R. C’était JB.
21 Q. Vous avez également mentionné qu’une
22 troisième fille est arrivée par la suite. Vous avez dit
23 que AT a été emmenée vers la maison ou à la maison par la
24 suite ?
25 R. Oui.
Page 2440
1 Q. Donc en fait, il y avait trois filles. Que
2 vous est-il arrivé à vous ?
3 R. Donc, puisque ces quatre filles ont été
4 emmenées ainsi que DB, il ne restait que deux filles. Par
5 la suite, une troisième fille est arrivée. C’était la
6 fille AT. Pendant cette période-là, une période un peu
7 plus calme s’est installée. Des soldats, il n’y avait que
8 Nikola Brcic et nous vivions une certaine vie en attendant.
9 On vivait d’une certaine façon, je ne sais comment, en
10 attendant que notre destin se présente.
11 Q. Est-ce que votre famille a su à un moment
12 donné où vous étiez ?
13 R. Mon père ne l’a peut-être pas su
14 immédiatement, mais ils l’ont su, c’est-à-dire peut-être en
15 décembre, janvier, décembre 1992 et janvier 1993. C’est à
16 ce moment-là qu’ils ont appris où je me trouvais.
17 Q. Vous avez également mentionné que votre père
18 a été libéré en janvier 1993. Est-ce qu’il a essayé de
19 vous libérer au même moment ?
20 R. Oui. Ces soldats qui venaient dans cette
21 maison me l’ont dit ainsi que Nikola Brcic et il m’a
22 également dit – il a essayé de m’aider – il a dit : « Ton
23 père est parti. Ne sois pas inquiète. Tu aurais dû partir
24 toi aussi », et il a mentionné de nouveau un certain Kovac.
25 Je ne sais vraiment pas de qui il s’agit, mais je sais
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1 qu’il a mentionné souvent que Kovac était de très grande
2 influence et que c’était lui qui ne permettait pas mon
3 départ. Donc, il n’a pas permis que je sois échangée avec
4 mon père.
5 Q. J’aimerais maintenant vous référer à cette
6 déclaration que vous avez donnée aux autorités de Bosnie le
7 27 mars 1993.
8 À la page 7 de la version anglaise, je vais vous
9 lire donc une phrase : « Quelqu’un dénommé Mirko Kovac,
10 AK, également connu sous le nom de Klanfa, ne l’a pas
11 permis, mais il a demandé à ce que je sois emmenée pour un
12 échange à Sarajevo. »
13 Vous avez donc mentionné le nom de Mirko Kovac.
14 S’agit-il de la personne avec cette grande influence dont
15 vous parliez ?
16 R. Je ne sais pas s’il s’agit de cette personne-
17 là puisque je ne la connaissais pas cette personne.
18 Q. Dans la phrase que je viens de vous lire, on
19 mentionne également le surnom de « Klanfa ». Connaissez-
20 vous quelqu’un dénommé « Klanfa » ? Est-ce qu’il s’agit de
21 ce soldat haut gradé qui avait quelque chose à voir avec
22 cet échange ?
23 R. Je ne l’ai pas vu personnellement. Je sais
24 qu’on a mentionné son nom et je sais ce qui est gravé très
25 profondément dans ma mémoire et dans mon souvenir : c’est
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1 ce nom de famille « Kovac » et ce surnom « Klanfa ».
2 Maintenant, s’agissait-il de cet homme influent ? Je ne
3 pourrais pas vraiment vous le dire et je ne le sais pas.
4 Q. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous décrire
5 votre libération qui a eu lieu le 21 mars 1993 ?
6 R. J’ai finalement été libérée le 24 mars 1993,
7 et le 21 mars, nous avons quitté cette maison de Miljevina.
8 Une automobile de marque Golf civile est venue nous
9 chercher. Il y avait également un véhicule de police qui
10 nous accompagnait. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un
11 véhicule de police de Miljevina, de la municipalité de
12 Miljevina, mais je sais que deux autres hommes ont été
13 échangés avec nous qu’on avait fait sortir du KP Dom Foca.
14 C’était encore une fois le surnom « Celik » puisque, encore
15 une fois, c’est très difficile pour moi de mentionner les
16 noms. Les noms se ressemblent des fois, mais je sais que
17 le surnom était Celik et mon voisin, Sukrija Softic.
18 Nous avons été échangées : JG, AT et moi-même.
19 Nous avons pris le chemin, et ça, je le sais avec
20 certitude. C’est que Predrag Trifkovic, Zoran Samardzic et
21 Tomo Ostojic étaient là, étaient présents. Je ne sais pas
22 pour quelle raison nous n’avons pas pris le chemin qui mène
23 par Miljevina, Dobro Polje et Trnovo pour nous rendre à
24 Sarajevo, mais nous avons pris le chemin qui passait par le
25 Monténégro, Celebici, Vajta, et par la suite, nous avons
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1 passé par le Monténégro et nous avons pris le chemin du
2 retour, si vous voulez. Nous sommes revenus sur nos pas
3 vers la ville de Rogatica et par la suite, nous nous sommes
4 arrêtés à Pale. À partir de Pale, nous avons pris Lukavica
5 et Vojkovici, et par la suite, nous sommes arrivés à la
6 prison de Kula où nous avons séjourné pendant quelques
7 jours, donc jusqu’à l’échange, donc jusqu’au 24.
8 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : J’aimerais
9 demander à Monsieur l’Huissier de montrer un document au
10 témoin. Il s’agit encore une fois d’une pièce à conviction
11 de l’Accusation qui n’est pas dans le classeur et je crois
12 que nous avons déjà donné ce document à la Défense. Il
13 s’agit de la pièce à conviction 203. C’est donc en anglais
14 et en B/C/S.
15 Q. Madame le Témoin, pourriez-vous, s’il vous
16 plaît, jeter un coup d’œil sur la version en B/C/S de ce
17 document et nous dire : Est-ce qu’il s’agit bien du
18 rapport d’échange ?
19 R. Est-ce que vous parlez de mon approbation ?
20 Q. Non. Je vous demande simplement de jeter un
21 coup d’œil et de nous dire s’il s’agit bel et bien de ce
22 document parce qu’il s’agit donc d’un rapport d’échange et
23 nous voyons des dates et des noms. Est-ce qu’il s’agit
24 bien d’un rapport qui mentionne votre échange et l’échange
25 de deux autres filles avec les autres personnes que vous
Page 2444
1 venez de mentionner ?
2 R. Oui. C’est un rapport effectivement. Voilà
3 ! Nous voyons le nom des Musulmans qui ont été échangés
4 avec moi lors de cet échange.
5 Q. Vous avez été échangée contre qui ? Qui
6 était échangé contre vous, si vous voulez ?
7 R. C’était des personnes que nous ne
8 connaissions pas et après notre libération, j’ai appris que
9 l’une de ces personnes se trouvait à être le frère de Tomo
10 Ostojic, mais maintenant, je vois que le nom de Nikola
11 apparaît ici. Je ne le savais pas à l’époque. Je ne
12 savais pas qui il était, de qui il s’agissait, quoique à un
13 moment donné, il nous a remerciées car en fait, nous nous
14 devons nos vies les uns aux autres puisque nous avons été
15 échangés les uns contre les autres.
16 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : J’aimerais
17 que l’on verse ce document au dossier.
18 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : J’aimerais
19 savoir si la Défense a quelque objection que ce soit.
20 Me PRODANOVIC (interprétation) : Aucune
21 objection.
22 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Me Kolesar.
23 Me KOLESAR (interprétation) : Aucune objection.
24 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Me
25 Jovanovic.
Page 2445
1 Me JOVANOVIC (interprétation) : Aucune objection.
2 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Très bien !
3 Est-ce que nous pourrions avoir la cote, s’il vous plaît ?
4 LA GREFFIÈRE : Il s’agit du document 203 du
5 Procureur et il est enregistré de façon confidentielle.
6 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Merci.
7 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) :
8 Q. Pendant votre séjour à la maison de Karaman,
9 quel effet est-ce que cet événement a eu sur votre vie
10 physique et votre état psychologique ou votre santé mentale
11 et physique ?
12 R. Je répète de nouveau : Nous étions très
13 jeunes. Nous étions peut-être inconscientes de certaines
14 choses. J’aimerais remercier Allah. J’aimerais remercier
15 le bon Dieu de nous avoir épargnées. Maintenant, les
16 séquelles physiques, je crois que nous n’en avons pas eu,
17 mais en tant que membre d’une vieille famille bosnienne, je
18 ne voulais pas, et je le crois personnellement, que
19 concernant des séquelles mentales, de santé mentale, je
20 n’en ai pas. Par contre, les cicatrices restent et c’est
21 contre elles que j’essaie de lutter. Je crois que je vais
22 réussir et je crois que je suis demeurée fière, d’abord
23 fière de mon nom, de mon appartenance, de ma nationalité.
24 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : C’était ma
25 dernière question.
Page 2446
1 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Puisqu’il ne
2 nous reste que trois minutes avant la pause du déjeuner, je
3 suggère de prendre une pause maintenant. Nous allons
4 poursuivre le contre-interrogatoire à 14 h 30 et nous
5 allons faire une pause jusqu’à 14 h 30.
6 --- Suspension de l’audience à 12 h 57
7 --- Reprise de l’audience à 14 h 31
8 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Bonjour,
9 Madame le Témoin. Nous allons commencer le contre-
10 interrogatoire cet après-midi.
11 Oui, Me Prodanovic.
12 Me PRODANOVIC (interprétation) : Merci, Madame la
13 Présidente.
14 CONTRE-INTERROGÉE PAR
15 Me PRODANOVIC (interprétation) :
16 Q. Avant de poser les questions, je souhaite
17 simplement vous dire bonjour. Est-ce que vous vous
18 souvenez du nombre de déclarations que vous avez données
19 aux représentants de ce Tribunal ?
20 R. Une.
21 Q. Est-ce que vous vous souvenez quand vous avez
22 donné cette déclaration ?
23 R. Je crois que c’était en été 1995.
24 Q. C’était en 1995 ou en 1996 peut-être ?
25 Veuillez consulter la déclaration qui se trouve devant
Page 2447
1 vous, s’il vous plaît.
2 R. Je pense…
3 Me PRODANOVIC (interprétation) : Je demanderais à
4 l’Huissier de remettre au témoin la déclaration qu’elle a
5 donnée aux représentants de ce Tribunal.
6 Q. Il s’agit de la déclaration que vous avez
7 donnée au Centre de Sécurité de Sarajevo, n’est-ce pas ?
8 R. Oui.
9 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Quelle est
10 la date de cette déclaration ?
11 Me PRODANOVIC (interprétation) : Il s’agit du 14
12 juin 1996.
13 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Apparemment,
14 nous ne l’avons pas. Oui. Peut-être le Procureur peut
15 nous aider.
16 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Nous avons
17 parlé avec le témoin pendant l’interrogatoire principal de
18 sa déclaration donnée aux autorités bosniaques. Nous
19 n’avons pas encore mentionné la déclaration donnée aux
20 enquêteurs de ce Tribunal. Donc, c’est à vous d’annoncer,
21 de présenter cette déclaration. Ça fait partie du classeur
22 et il s’agit de la pièce à conviction 86.
23 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Donc, nous
24 n’avons pas encore parlé de la pièce à conviction numéro
25 86. C’est vous qui êtes le premier à en parler.
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1 Me PRODANOVIC (interprétation) : Oui. Je sais
2 que cette déclaration n’a pas été versée au dossier. Moi,
3 je souhaitais justement que l’on remette la déclaration au
4 témoin pour que la Défense puisse s’en servir et la verser
5 au dossier.
6 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui, allez-
7 y.
8 Me PRODANOVIC (interprétation) : Merci.
9 Q. Mise à part cette déclaration, est-ce que
10 vous avez donné d’autres déclarations ?
11 R. Aux enquêteurs du Tribunal, vous voulez dire
12 ?
13 Q. Je n’ai pas pensé à eux seulement.
14 R. Je pense que non. Vous parlez des médias, de
15 ce genre de choses ?
16 Q. Oui.
17 R. Non, je n’en ai pas donné.
18 Q. Est-ce que vous avez donné une déclaration au
19 Centre de Sécurité de Sarajevo quelques jours après cette
20 première déclaration préalable ?
21 R. Vous parlez du Tribunal ?
22 Q. Non, pas du Tribunal, mais du Centre de
23 Sécurité de Sarajevo. Vous avez donné la première
24 déclaration le 22 mars et ensuite, le 1er avril. C’est
25 cela ?
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1 R. Je ne me souviens pas maintenant. Vous me
2 demandez si j’ai donné les deux déclarations à Sarajevo.
3 C’est ça ?
4 Q. Oui.
5 R. Je ne me souviens pas vraiment.
6 Me PRODANOVIC (interprétation) : Je demanderais
7 encore une fois à l’Huissier de bien vouloir la remettre à
8 la Chambre, à la Greffière d’audience et au témoin.
9 Veuillez donc remettre cette déclaration.
10 LA GREFFIÈRE : Aux fins d’éviter toute confusion
11 dans la numérotation des documents, la déclaration du
12 témoin datée du 14 juin 1996 et qui était numérotée par le
13 Procureur sous le numéro 86 est maintenant marquée pour
14 identification comme pièce D43 de la Défense.
15 En ce qui concerne la déclaration du témoin datée
16 du 1er avril 1993, elle reçoit le numéro D44 des pièces de
17 la Défense pour identification. Ces deux documents sont
18 enregistrés de façon confidentielle.
19 Me PRODANOVIC (interprétation) : Nous demandons
20 que la déclaration qui a été donnée le 27 mars 1993 au
21 Centre de Sécurité de Sarajevo soit versée au dossier en
22 tant que pièce à conviction de la Défense. Vous avez reçu
23 cette déclaration tout à l’heure lorsque le Procureur
24 posait des questions.
25 LA GREFFIÈRE : La déclaration datée du 27 mars
Page 2450
1 1993 a reçu le numéro 202 des pièces du Procureur.
2 Me PRODANOVIC (interprétation) : Puis-je
3 poursuivre, Madame la Présidente ?
4 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui, s’il
5 vous plaît. À chaque fois que vous voudrez poser des
6 questions concernant certaines déclarations, veuillez
7 d’abord annoncer la cote.
8 Me PRODANOVIC (interprétation) : Très bien,
9 Madame la Présidente.
10 Q. Est-ce que vous vous souvenez du moment
11 lorsque vous avez donné cette déclaration au Centre de
12 Sécurité ?
13 R. La première, oui. La deuxième, je ne m’en
14 souviens pas.
15 Q. Vous avez donné ces déclarations en peu de
16 temps. Pourquoi ?
17 R. C’est parce que c’est ce que les autorités de
18 Bosnie-Herzégovine demandaient. Je suppose que c’était
19 afin de compléter les statistiques concernant les
20 déplacements de la population.
21 Q. Donc, c’était sur leur initiative ?
22 R. Bien sûr. Tout ce qui se passait était de
23 cette nature. Ce qui m’est arrivé, je ne l’ai pas
24 planifié, je ne l’ai pas voulu. La même chose s’applique à
25 cette prise de déclaration et même la déclaration que j’ai
Page 2451
1 fournie à ce Tribunal, ce n’est pas moi qui l’ai demandée.
2 On m’a contactée pour que je les donne.
3 Q. Comment est-ce que vous les avez données ces
4 deux premières déclarations ? Est-ce que c’est vous qui
5 dictiez ? Est-ce que vous avez écrit la déclaration vous-
6 même ou bien est-ce qu’il y a eu une sorte de discussion ?
7 R. Il y avait une sorte de discussion,
8 d’entretien. Il y avait des questions qui m’étaient
9 posées. Moi, je répondais et mes réponses étaient
10 consignées au compte-rendu.
11 Q. Est-ce que vous avez entendu lorsque
12 quelqu’un dictait le texte de la déclaration ?
13 R. Ça, je ne m’en souviens pas en ce moment. Je
14 ne sais pas.
15 Q. Sous vos déclarations, on voit votre
16 signature, n’est-ce pas ?
17 R. Oui.
18 Q. Est-ce qu’on vous a demandé, au moment où
19 vous avez fait cette déclaration, s’il fallait qu’ils vous
20 lisent le texte de votre déclaration ?
21 R. Excusez-moi, je n’ai pas compris votre
22 question.
23 Q. Au moment où vous avez fait ces déclarations,
24 est-ce que les enquêteurs vous ont demandé si vous aviez
25 envie que les déclarations vous soient lues ou bien est-ce
Page 2452
1 que vous avez entendu lorsque quelqu’un dictait le texte
2 pour le compte-rendu ?
3 R. Ils m’ont demandé d’entendre la lecture de la
4 déclaration pour que je confirme si je maintenais tout ce
5 qui était écrit dans la déclaration.
6 Q. Donc, est-ce qu’ils ont effectivement lu la
7 déclaration ?
8 R. Tout simplement, je ne m’en souviens pas,
9 mais je pense, de toute façon, que moi, je l’ai lue avant
10 de signer, en fait.
11 Q. Votre signature représente votre confirmation
12 avec les propos figurant dans la déclaration ?
13 R. Oui.
14 Q. Pourquoi à ce moment-là vous n’avez pas fait
15 objection à la partie concernant Stankovic et à l’entretien
16 avec DB ou plutôt à la personnalité de DB ? Là, je parle
17 de ces parties concernant lesquelles le Procureur vous a
18 posé des questions aujourd’hui.
19 R. Je ne sais pas très exactement. Il
20 s’agissait d’une période courte. Je crois que j’avais
21 envie de partir, de fuir tout cela plutôt que de retourner
22 dans ce cauchemar.
23 Q. Je vous comprends, mais seulement au bout de
24 quelques jours, vous êtes venue à avoir un autre entretien.
25 Pourquoi à ce moment-là vous n’avez pas fait objection par
Page 2453
1 rapport à votre déclaration préalable ?
2 R. Parce que je crois que cette deuxième fois,
3 je n’ai pas eu l’occasion de relire la première
4 déclaration.
5 Q. D’accord. Nous allons passer à autre chose.
6 Est-ce que vous pouvez nous dire comment le conflit a
7 éclaté à Miljevina ?
8 R. Comment le conflit a éclaté ? Tout d’abord,
9 je ne peux pas dire qu’un conflit a éclaté. C’est mon
10 opinion. Moi, je pense que le peuple serbe a tout
11 simplement imposé son pouvoir et ses lois dans cette région
12 parce que, pour autant que je sache, il n’y a pas eu de
13 combats, il n’y a pas eu de tirs, il n’y a pas eu de
14 résistance de la population musulmane face à ce pouvoir et
15 face à ces lois.
16 Q. S’il vous plaît, avant le conflit, quels
17 étaient les rapports entre vous et vos voisins ?
18 R. Les rapports étaient très bons et très
19 amicaux.
20 Q. Est-ce que vous pouvez me dire à quel moment
21 ces rapports se sont refroidis ? Est-ce qu’il y a eu
22 certains événements qui ont précédé à cela, qui ont
23 contribué à ce refroidissement des rapports ?
24 R. Dans le village dans lequel je vivais, je
25 pense que non, jusqu’au moment même où ces gens, ces hommes
Page 2454
1 inconnus entraient dans nos maisons afin de les fouiller et
2 de les perquisitionner. Je pense que c’est seulement à ce
3 moment-là que les Bosniens sont devenus conscients de ce
4 qui se passait.
5 Q. Est-ce que vous savez, sur le territoire de
6 Foca, s’il y a eu des situations qui auraient contribué au
7 refroidissement de ces rapports ? Est-ce qu’il y a eu
8 quelques rassemblements ?
9 R. Oui, bien sûr, des deux côtés. Tout le monde
10 sait que les deux parties ont organisé des rassemblements,
11 à la fois le SDS et le SDA, mais il faut savoir que moi,
12 j’étais une enfant, j’avais 15 ans.
13 Q. Oui, je comprends ça. Est-ce qu’à Miljevina,
14 il existait une alliance de jeunesse musulmane qui
15 regroupait justement la jeunesse ?
16 R. Je ne sais pas parce que moi, je n’allais pas
17 dans ce genre de centres. Ceci ne m’intéressait pas du
18 tout. Je n’avais pas besoin de cela.
19 Q. Au moment où le conflit a éclaté, est-ce que
20 vous pouvez nous dire s’il y a eu des Serbes qui aidaient
21 vous et votre famille après le début du conflit ?
22 R. Il n’y a pas eu particulièrement de l’aide,
23 mais il y a eu des gens qui condamnaient ce qui se passait
24 et nous avons considéré qu’il s’agissait d’une forme d’aide
25 et, de ce point de vue-là, je peux dire qu’effectivement,
Page 2455
1 oui, il y a eu une sorte d’aide.
2 Q. Est-ce que cette aide s’est manifestée à
3 plusieurs reprises ?
4 R. Certainement, oui.
5 Q. Aujourd’hui, vous avez décrit les situations
6 lorsque vos maisons ont été perquisitionnées.
7 R. Oui.
8 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire est-ce qu’un
9 certain incident ou des incidents ont précédé à ce
10 « perquisitionnement » des maisons ?
11 R. J’ai déjà dit qu’il y a eu un accident de
12 camion et en ce qui concerne le début, je pense qu’il
13 s’agissait des événements qui n’étaient pas provoqué par
14 quoi que ce soit. Tout simplement, ils le faisaient parce
15 que nous appartenions à un autre groupe ethnique.
16 Q. En ce qui concerne cet incident que vous avez
17 mentionné, est-ce que vous pouvez nous dire plus de détails
18 à ce sujet ?
19 R. Concernant cet accident de camion ?
20 Q. Oui, parce que moi, j’avais cru comprendre
21 qu’ils ont perquisitionné la maison après cela.
22 R. Une fois, c’est comme ça que ça s’est passé.
23 C’est après cela qu’ils ont perquisitionné la maison.
24 D’après ce que mes voisins m’ont dit, le camion rentrait en
25 prenant une route et tout simplement, il est sorti de la
Page 2456
1 route. Les Serbes disaient que le camion était tombé sur
2 une mine, sur un engin explosif, mais nous n’avons vu rien
3 de tel.
4 Q. Est-ce que vous êtes au courant de l’incident
5 au cours duquel 42 Serbes ont été tués dans un véhicule ?
6 R. Oui, et j’en ai parlé tout à l’heure. Nous
7 avons regretté cela profondément lorsque nous avons vu la
8 peine et la douleur de nos voisins.
9 Q. Est-ce que vous savez ce qui a provoqué ces
10 pertes ?
11 R. Non, je ne sais pas. Quelque chose a
12 explosé. Il y a eu une explosion, mais encore une fois, je
13 n’ai pas vu tout cela. Je vous dis ce que mes voisins
14 m’ont raconté.
15 Q. Aujourd’hui, vous avez dit que les Musulmans
16 n’étaient pas armés alors que les Serbes mouraient, étaient
17 tués quand même. Comment est-ce que vous expliquez cela ?
18 R. Je ne parlais pas des Musulmans de toute la
19 région. Je parlais des Musulmans qui habitaient dans mon
20 village.
21 Q. En ce qui concerne ces incidents-là ou plutôt
22 la majorité de ces incidents, ils ont eu lieu à proximité
23 de Miljevina ?
24 R. Oui.
25 Q. C’est pour cela que je vous ai posé la
Page 2457
1 question de savoir quel est votre commentaire sur le fait
2 que vous avez dit que les Musulmans n’étaient pas armés
3 alors que les Serbes étaient tués dans cette région autour
4 de Miljevina.
5 R. Simplement, je ne peux pas vous répondre à
6 cette question. Encore une fois, je vous dis que je pense
7 que ceci s’est passé et là, je ne parle pas du début des
8 événements, mais quand les gens ont vu ce qui se passait,
9 je pense qu’ils ont pris conscience. La guerre a commencé
10 au printemps et les événements dont vous parlez se sont
11 produits en été. Donc, je suppose qu’à un moment, ils se
12 sont dit : « Je ne vais pas rester là tranquillement en me
13 disant : vas-y, tue-moi. » Alors, ils se sont organisés
14 pour se défendre.
15 Q. Je comprends ça, mais je ne comprends pas
16 d’où provenaient les armes.
17 R. Mais ça, je ne peux certainement pas le
18 savoir.
19 Q. Est-ce que vous savez si l’armée de Bosnie-
20 Herzégovine se trouvait autour de Miljevina ?
21 R. Non.
22 Q. Est-ce que vous vous souvenez du moment où
23 les premiers réfugiés serbes sont venus à Miljevina ?
24 R. Les réfugiés serbes à Miljevina ? Je pense
25 que…
Page 2458
1 Q. Je vais vous rafraîchir la mémoire. Dans
2 votre déclaration, celle que vous avez donnée au Centre de
3 Sécurité de Sarajevo, la première déclaration, vous avez
4 dit que les Musulmans étaient chassés de leurs maisons et
5 que les réfugiés serbes sont venus dans ces maisons.
6 R. Oui. Je vais vous poser une question. Est-
7 ce qu’on peut dire, si quelqu’un vivait à environ 15
8 minutes de Miljevina et tout simplement s’est retiré à
9 l’intérieur du pays à cause de ses propres peurs, est-ce
10 qu’on peut dire que cette personne est un réfugié ?
11 Q. Dans votre première déclaration…
12 R. Oui, je vois.
13 Q. Vous avez dit à la page 3, je crois, que :
14 « Les premiers réfugiés sont venus de Trnovo et Jabuka. »
15 R. De Trnovo, je pense… je ne savais pas, mais
16 je pense qu’effectivement il y a eu des combats et je pense
17 que ça aussi, ça s’est produit peut-être vers la fin avril,
18 début mai. C’est à ce moment-là que ces réfugiés sont
19 venus parce qu’il y a eu des combats là-bas entre Foca et
20 Sarajevo et Trnovo se trouve sur cette route, n’est-ce pas
21 ?
22 Q. Oui. Donc, ça veut dire que les Serbes
23 devaient fuir leurs maisons, n’est-ce pas ?
24 R. Bien sûr.
25 Q. Quand est-ce que vous avez entendu parler de
Page 2459
1 Zaga pour la première fois ?
2 R. De Zaga ? Quand je suis venue dans la maison
3 de Karaman, au bout de quelques jours.
4 Q. Aujourd’hui, vous avez dit que vous êtes
5 venue dans cette maison deux fois ?
6 R. Oui.
7 Q. La dernière fois, c’était le 18 ou le 19
8 septembre si je me souviens bien ?
9 R. C’était la première fois et la deuxième fois,
10 c’était au début du mois de septembre.
11 Q. Est-ce que ça veut dire que vous avez entendu
12 parler de cela entre ces deux dates ?
13 R. Non. Je pense qu’en ce qui concerne tout ce
14 récit concernant Zaga, je pense que je l’ai déjà dit, il y
15 a eu ces jeunes filles qui étaient venues parfois de
16 Kalinovik, parfois du centre sportif de Partizan et c’est
17 elles qui parlaient de cela.
18 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire
19 approximativement la date lorsque vous avez entendu parler
20 de cela pour la première fois ?
21 R. Je pense que c’était cette première fois, le
22 18 ou le 19 août.
23 Q. Vous avez dit que c’est les jeunes filles qui
24 se trouvaient dans la maison qui vous parlaient de cela ?
25 R. Oui.
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1 Q. Est-ce qu’il y a eu concrètement une jeune
2 fille qui vous a dit cela ? S’il vous plaît, ne citez pas
3 son nom, mais si oui, dans ce cas-là, dites-nous quelles
4 sont ses initiales.
5 R. Vraiment, je ne me souviens pas, mais je
6 pense qu’elles étaient plusieurs à parler de Zaga et que
7 plusieurs jeunes filles l’ont mentionné.
8 Q. Qu’est-ce qu’elles vous ont dit concernant
9 cette personne à ce moment-là ?
10 R. Beaucoup de choses horribles. Encore
11 aujourd’hui, je les trouve horribles, qu’il faisait sortir
12 les filles, qu’il les séparait des autres, qu’il faisait
13 venir… je ne sais pas si je peux dire ses soldats, mais ses
14 hommes qui se défoulaient sur les femmes et les jeunes
15 filles bosniennes.
16 Q. Est-ce que vous connaissiez Zaga avant la
17 guerre ?
18 R. Non.
19 Q. Est-ce qu’elles vous ont décrit Zaga à ce
20 moment-là ?
21 R. Non.
22 Q. Lorsque vous avez vu Zaga pour la première
23 fois, est-ce que vous l’avez reconnu ?
24 R. De quoi vous parlez ?
25 Q. De la première fois que vous l’avez vu.
Page 2461
1 R. Là-bas, pendant mon séjour ?
2 Q. Oui. Puisqu’on vous a dit qu’il y avait un
3 certain Zaga et lorsque vous l’avez vu pour la première
4 fois, est-ce que vous l’avez reconnu ?
5 R. Non. Moi, je n’avais pas de description
6 physique. J’ai entendu parler de ses actions.
7 Q. Lorsque vous l’avez vu pour la première fois,
8 est-ce que quelqu’un vous a dit : « Ça, c’est Zaga » ?
9 R. Non, puisque eux, ils venaient en groupe et
10 je pense qu’à ce moment-là, tout le monde craignait pour sa
11 propre vie et ne souhaitait pas donner des explications à
12 qui que ce soit concernant l’identité des gens.
13 Q. Est-ce que vous avez jamais parlé avec lui ?
14 R. Non.
15 Q. Lorsque vous l’avez vu pour la première fois,
16 comment était-il vêtu ?
17 R. Si je m’en souviens bien, il ne portait pas
18 d’uniforme. Je crois qu’il était en vêtements civils, mais
19 encore une fois, je dis que je ne me souviens pas. J’avais
20 très peur et ceci a influencé mes souvenirs.
21 Q. Je suis absolument d’accord avec vous.
22 Lorsqu’il est venu la première fois, il était accompagné de
23 qui ?
24 R. Je pense qu’il était même seul la première
25 fois qu’il est venu.
Page 2462
1 Q. Est-ce que vous vous souvenez peut-être
2 maintenant quelle était cette première fois puisque
3 maintenant, vous vous souvenez qu’il portait des vêtements
4 civils ?
5 R. Je ne peux pas m’en souvenir.
6 Q. Comment est-il venu : à pied ou en voiture ?
7 R. À cause de notre propre sécurité, nous ne
8 sortions pas de la maison et les pièces dans lesquelles
9 nous étions situées donnaient sur les champs et non pas sur
10 la porte d’entrée. Donc, la voiture ne pouvait pas
11 s’approcher de cette partie de la maison. Donc, il est
12 arrivé jusqu’à la porte même à pied, mais avant cela, je ne
13 crois pas qu’il soit venu à pied.
14 Q. Je suis absolument d’accord avec vous pour
15 dire qu’il est difficile de retenir ce genre de détails,
16 mais dites-nous, est-ce que vous permettez la possibilité
17 que vous l’avez vu pour la première fois au moment où il
18 est venu assister à l’enterrement de ces gens qui ont été
19 tués ?
20 R. Non, parce que je n’ai pas vu personnellement
21 l’enterrement, ni les gens qui y assistaient. Encore une
22 fois, c’était pour des raisons de sécurité. Il fallait se
23 retirer au maximum, le plus loin de la fenêtre et de la
24 rue.
25 Q. Vous ne m’avez pas compris. Je comprends que
Page 2463
1 vous ne pouviez pas le voir directement, mais après
2 l’enterrement, est-ce qu’il passait par la maison ?
3 R. La mienne ou Karaman ?
4 Q. Karaman.
5 R. Après ces événements-là, après que ces 48
6 personnes ont été tuées, moi, j’étais toujours chez moi
7 dans ma maison à ce moment-là.
8 Q. Je vois. Plusieurs incidents se sont
9 produits. Donc parfois, il est difficile de les situer
10 dans le temps. Est-ce que vous pourriez me dire, nous
11 n’allons pas énumérer ces personnes, vous avez énuméré
12 quatre personnes aujourd’hui à qui on a dit qu’elles
13 pouvaient partir de la maison de Karaman ?
14 R. Bien sûr, j’ai dit que nous toutes qui
15 étions… Pero Elez était responsable et je répète qu’il y
16 avait un groupe de gens, mais je suppose que c’est Pero
17 Elez qui a donné l’autorisation à cette personne de faire
18 sortir les filles de cet endroit.
19 Q. Moi, j’ai compris que vous étiez présente,
20 vous aussi.
21 R. Oui.
22 Q. Est-ce que quelqu’un a dit où ils allaient
23 emmener les jeunes filles ?
24 R. Non.
25 Q. Ont-ils donné une raison au fait d’emmener
Page 2464
1 ces jeunes filles ?
2 R. Ils ne nous ont rien dit.
3 Q. Quand est-ce que ceci s’est produit ?
4 Pourriez-vous nous le dire ?
5 R. Là non plus, je ne peux pas vous donner de
6 date exacte, mais je sais que c’était soit à la fin du mois
7 de septembre ou début octobre.
8 Q. Vous maintenez toujours qu’outre les
9 personnes que vous avez énumérées aujourd’hui, Dragan
10 Kunarac était présent aussi au moment où ces quatre
11 personnes ont été emmenées ?
12 R. Oui.
13 Q. Si je vous soumets cette hypothèse, à savoir
14 qu’il y a des déclarations au dossier qui fournissent, en
15 fait, une version contraire à la vôtre s’agissant de la
16 présence de Zaga au moment où ces jeunes filles ont été
17 emmenées ?
18 R. Pourriez-vous répéter votre question ?
19 Q. Quelle serait votre réponse face à
20 l’hypothèse suivante que je vous soumets, à savoir qu’il y
21 a des allégations formulées par d’autres témoins, lesquels
22 affirment que Kunarac n’était pas présent au moment où ces
23 jeunes filles ont été emmenées ?
24 R. Tout ce que je peux dire c’est que je ne le
25 connaissais pas, mais si je reconnais son visage
Page 2465
1 aujourd’hui, si je l’ai vu ici, il incombe à quelqu’un de
2 juger si j’avais tort ou raison. On se souvient mieux de
3 certains détails que d’autres, par exemple d’un visage.
4 Q. D’accord avec vous. On ne peut pas se
5 souvenir de tous les détails, mais pensez-vous qu’il soit
6 possible que votre hypothèse ou votre souvenir ne soit pas
7 le souvenir correct ?
8 R. Peut-être.
9 Q. Pourquoi ne pas avoir fourni ce détail dans
10 votre déclaration faite au Centre de Sécurité de Sarajevo
11 en 1993 ?
12 R. De quel détail parlez-vous, de ce détail qui
13 exclurait cette possibilité ?
14 Q. Aujourd’hui, vous avez déclaré dans votre
15 déposition avoir vu Zaga quelques fois en passant. Je me
16 souviens que vous avez dit « en passant ».
17 R. Oui.
18 Q. Pourriez-vous expliquer exactement ce que
19 cela signifie ?
20 R. Je pensais l’avoir expliqué au Procureur.
21 Devant la maison, il y avait une maison musulmane où vivait
22 Alija Hrbinic, et dans cette zone, il y avait un grand pré.
23 Il y avait du bétail dans ce pré et ils sont sans doute
24 venus, je ne sais pas si c’était pour eux-mêmes ou pour
25 leurs formations, leurs unités, mais en tout cas, ils
Page 2466
1 venaient pour chercher du bétail en guise de nourriture et
2 comme la route passait par là…
3 Q. Je comprends ce que vous nous dites. Vous
4 voulez dire qu’il passait par là, il venait alors qu’il
5 passait par là ?
6 R. Oui.
7 Q. Je ne sais pas si ceci a fait l’objet d’une
8 traduction exacte. En tout cas, ça revient à dire qu’il ne
9 venait pas intentionnellement, qu’il se contentait de
10 passer par là quand il était dans le coin ? C’est comme ça
11 que j’ai compris vos paroles.
12 R. Oui.
13 Q. Alors que vous vous trouviez dans la maison
14 de Karaman, est-ce que vous receviez des repas
15 régulièrement, est-ce que vous pouviez avoir un certain
16 degré d’hygiène ?
17 R. Oui.
18 Q. Parlons de l’incident où vous avez parlé avec
19 des membres de votre famille au téléphone au motel et vous
20 n’avez pas vu d’équipement ou de matériel militaire devant
21 l’hôtel. C’est ce que vous avez dit à la page 11 de votre
22 déclaration. Vous avez dit n’avoir vu que quelques
23 matériels de transmission ?
24 R. Oui, parce que les personnes qui m’avaient
25 emmenée à cet endroit craignaient qu’il m’arrive quelque
Page 2467
1 chose. C’était un peu comme dans un film. Un homme
2 courait, montait les escaliers en courant et puis moi, je
3 passais directement. Donc, je n’ai pas eu le temps de
4 vraiment percevoir ce qui se passait.
5 Q. Est-ce que vous aviez un téléphone à la
6 maison de Karaman ?
7 R. Oui.
8 Q. Qui pouviez-vous appeler par ce téléphone ?
9 R. On n’a même jamais essayé, à part, bien sûr,
10 les personnes qui étaient de la maison mais qui se
11 trouvaient au motel, parce que c’était l’ordre qu’on nous
12 avait donné. On nous avait dit s’il y avait quelqu’un qui
13 venait nous déranger, eh bien, nous pouvions les appeler à
14 ce numéro-là.
15 Q. Vous avez dit que pendant que vous vous
16 trouviez à la maison de Karaman venait un Monténégrin
17 répondant au nom de Dragan. Pourriez-vous le décrire à
18 notre intention ?
19 R. Il venait le soir. Il devait faire 45 ou 50
20 ans. Il était très grand, très lourd. Je ne me souviens
21 plus exactement. Je ne me souviens plus de quelle couleur
22 étaient ses yeux ou ses cheveux. Ça, je n’ai pas remarqué.
23 Q. Est-ce que ça veut dire que cet homme n’a
24 aucun point commun avec Zaga ?
25 R. Vous voulez dire que ça aurait été lui ?
Page 2468
1 Non, non, ce n’était pas lui.
2 Q. Vous avez dit dans votre déclaration qu’il y
3 avait d’autres Monténégrins qui venaient à la maison.
4 Dites-nous : Est-ce que c’était des Monténégrins du groupe
5 de Pero Elez ?
6 R. Cet homme s’est présenté, nom et prénom, et
7 il a dit : « Je m’appelle Misko Savic. Je suis fils de
8 Cedo et de Dusanka, ma mère. Je viens du village de Sule,
9 quelque part au Monténégro. » C’était donc un membre de la
10 garde de Pero Elez.
11 Q. Savez-vous dans quelles circonstances DB est
12 partie, qu’elle est venue à partir ?
13 R. Pour autant que je puisse en juger, elle est
14 partie de la maison avec Radovan Stankovic. Je ne sais pas
15 ce qui s’est passé par la suite.
16 Q. Aujourd’hui, vous n’avez pas exclu la
17 possibilité que Kunarac n’ait pas été présent au moment où
18 ces quatre jeunes filles ont été emmenées. Permettez-moi
19 de vous rappeler qu’à la page 10 de votre déclaration
20 préalable, vous avez dit ceci (je cite) : « J’avais le
21 sentiment que Jankovic, Kunarac et Janjic occupaient le
22 même poste que Elez. »
23 R. Eh bien, c’est ce que je pense encore
24 aujourd’hui parce qu’au fond, c’était un petit endroit que
25 celui-là. Pero Elez, d’après certaines rumeurs, était un
Page 2469
1 dirigeant serbe local de la région de Miljevina et je
2 persiste à croire aujourd’hui qu’il y avait des vieux
3 quartiers à Foca et chacun de ces quartiers ou mahalas
4 avait à sa tête son petit groupe. Par exemple, si vous
5 prenez un village comme Mjesaja, je ne sais pas où il se
6 trouve mais enfin, j’ai entendu parler de ce village dans
7 ces récits, eh bien, vous avez un homme comme Jankovic à la
8 tête de ce groupe. À propos de Tuta, on racontait qu’il
9 avait des activités criminelles. Donc, je pense qu’ils
10 avaient des fonctions similaires, mais chacun pour une
11 partie précise ou un quartier précis de Foca.
12 Q. Je vous comprends. Au moment de décrire
13 ceci, vous avez dit et je vous cite : « J’avais
14 l’impression, étant donné la façon dont ces hommes
15 communiquaient entre eux, dont ils se parlaient entre eux,
16 qu’ils étaient sur un même pied d’égalité. » Fin de
17 citation.
18 Aujourd’hui, vous avez manifesté quelques doutes.
19 Vous vous êtes demandée s’ils étaient tous ensemble au même
20 moment, d’où ma question. La conclusion que vous avez
21 tirée, est-ce qu’elle provient de la conclusion que vous
22 venez de fournir ou bien plutôt de ce que je viens de lire
23 ?
24 R. Je crois que je ne vous ai pas vraiment bien
25 compris.
Page 2470
1 Q. Si je vous ai bien comprise, vous avez dit
2 que, comment dire, c’était des dirigeants. Vous savez,
3 tout le monde se connaît à Foca. Tout le monde savait qui
4 était Pero avant la guerre, tout le monde connaissait Tuta
5 avant la guerre aussi et vous en avez conclu, étant donné
6 leurs antécédents ou leurs biographies avant la guerre,
7 certaines choses. C’est du moins comme ça que je vous ai
8 comprise.
9 Dans le cadre de la déclaration que vous avez
10 fournie, vous donnez un détail, détail à propos duquel vous
11 n’êtes plus si sûre, à savoir que Jankovic, Zaga et Pero,
12 Tuta et Zelja étaient tous présents en même temps et que
13 c’est ça qui vous avait amenée à conclure qu’ils étaient
14 pratiquement de grade ou de rang égal à en juger par la
15 façon dont ils communiquaient entre eux ?
16 R. Oui, oui. C’est à ce moment-là que j’ai tiré
17 cette conclusion et pas du tout à partir de rumeurs.
18 Q. Pourtant, aujourd’hui, vous nous avez dit
19 aussi que vous n’aviez vu Zaga qu’en passant ?
20 R. Oui, mais j’ai dit en passant avant cet
21 incident, mais ce jour-là, il est venu spécialement en même
22 temps que ce groupe. Je vous ai dit que je l’avais vu
23 quelques fois en passant, mais qu’un jour, il s’était
24 trouvé là à dessein, délibérément en compagnie des autres
25 membres du groupe qui a emmené ces jeunes filles.
Page 2471
1 Q. Je crois que toute la clarté n’est pas faite
2 sur ce point. Il y a quelques instants, n’avez-vous pas
3 dit que vous permettiez cette possibilité selon laquelle
4 Zaga n’était pas avec eux au moment où ces quatre jeunes
5 filles ont été emmenées parce que je vous ai dit que dans
6 le dossier de ce procès, il y a des preuves fournies par
7 d’autres témoins qui nient que Zaga ait été présent à ce
8 moment-là et étant donné que pas mal de temps s’est écoulé,
9 vous n’avez pas exclu la possibilité que ça ait été le cas
10 ? Maintenant, quelque part, vous vous contredisez. Vous
11 revenez sur ces propos, sur ces dires.
12 R. Je ne sais pas quoi dire.
13 Q. Est-ce que des représentants du Tribunal vous
14 ont rendu visite après que Zaga s’est livré au Tribunal ?
15 R. Non.
16 Q. Je vais peut-être vous rafraîchir la mémoire.
17 J’ai un document que j’ai reçu de l’Accusation, lequel dit
18 que le 13 mars 1998, Madame Manke et un Monsieur Thapa sont
19 venus vous voir, donc après que Kunarac s’est livré. Vous
20 vous en souvenez ?
21 R. Non.
22 Q. Est-ce qu’on vous a montré des photographies
23 ?
24 R. Non.
25 Me PRODANOVIC (interprétation) : Madame la
Page 2472
1 Présidente, Messieurs les Juges, nous avons reçu ces
2 documents.
3 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Quels
4 documents ?
5 Me PRODANOVIC (interprétation) : Il s’agit ici
6 d’un mémoire à usage interne que je n’ai pas amené parce
7 que je me disais que le témoin allait se souvenir de ces
8 détails. Je pense que l’Accusation dispose de ce document.
9 Je pourrais vous en donner la teneur et s’il y a objection…
10 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Vous pouvez
11 simplement soumettre la question au témoin à propos de ce
12 que vous avez retiré comme informations de ce document, ce
13 à quoi le témoin pourra répondre.
14 [La Chambre discute]
15 Me PRODANOVIC (interprétation) :
16 Q. Je vais vous lire la teneur de ce document.
17 Vous vous en souviendrez peut-être.
18 « Le 13 mars 1998, Madame Manke et Madame Thapa du
19 Bureau du Procureur ont rendu visite au Témoin 102 et les
20 enquêteurs dans leur rapport ont précisé les choses
21 suivantes :
22 « Le témoin a déclaré qu’elle avait entendu parler
23 de l’arrestation de Kunarac à la télévision mais qu’elle ne
24 l’avait pas reconnu. Elle a dit que le visage de l’homme
25 qui avait été arrêté ne lui paraissait pas familier. Elle
Page 2473
1 a ajouté qu’elle ne le connaissait pas avant la guerre et
2 qu’elle avait appris le nom exact de cet homme par
3 l’intermédiaire des autres femmes qui avaient été détenues
4 avec elle. Le témoin n’a pas été en mesure de fournir une
5 description de Kunarac. Elle a dit qu’elle ne pensait pas
6 que le Capitaine Dragan mentionné soit en fait Dragan
7 Kunarac. » Fin de citation.
8 Vous vous souvenez de cela ?
9 R. Non.
10 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Vous
11 comprenez que ce sont là des notes prises par des
12 enquêteurs du Tribunal ? Vous en êtes conscient ?
13 Me PRODANOVIC (interprétation) : Oui, Madame la
14 Présidente, mais j’essaie de rafraîchir les souvenirs du
15 témoin.
16 M. LE JUGE HUNT (interprétation) : Il est
17 impossible de rafraîchir la mémoire du témoin à partir d’un
18 document qui n’est pas le sien. Je vous suggère de lui
19 demander ceci : « N’avez-vous pas dit à un représentant du
20 Procureur que vous ne reconnaissiez pas Monsieur Kunarac au
21 moment de son arrestation, au moment où vous l’avez vu à la
22 télévision ? »
23 Je pense que c’est comme ça qu’il faut faire le
24 contre-interrogatoire. Puisque ce n’est pas un document
25 qui lui appartient, vous ne pouvez pas lui demander si le
Page 2474
1 document est exact ou pas, mais vous pouvez utiliser ce
2 document pour lui poser cette question. Si elle répond par
3 la négative, à ce moment-là, vous pourrez prévoir de
4 discuter avec l’Accusation pour voir si c’est bien ce
5 qu’elle a dit, mais vous ne pouvez pas obtenir ces
6 informations de la part du témoin directement.
7 Me PRODANOVIC (interprétation) : Dont acte,
8 Monsieur le Juge.
9 Q. Témoin, vous avez parlé de cet échange
10 aujourd’hui. À un moment donné, vous avez mentionné
11 Ostojic et ce qu’il aurait dit lorsqu’il a été échangé lui
12 aussi.
13 R. Oui.
14 Q. Avez-vous pu en conclure qu’il n’avait pas
15 subi à Sarajevo le type de tortures que vous, vous aviez
16 subies à Miljevina ?
17 R. Non, parce que le moment ne se prêtait pas
18 particulièrement à une telle conversation. Il se peut que
19 l’homme ait été par trop conscient de ce qui nous est
20 arrivé à nous puisqu’il avait vu des jeunes filles devant
21 lui âgées de 14 et 15 ans et puis il s’est vu, lui.
22 Automatiquement, ça voulait dire que nous n’étions pas sur
23 un pied d’égalité. Je crois que cet homme a voulu nous
24 manifester sa gratitude.
25 Q. Est-ce que je peux en conclure qu’il était
Page 2475
1 impatient de quitter Sarajevo ?
2 R. Sans doute. Tout le monde aime la liberté et
3 les siens.
4 Q. J’aimerais vous remémorer les événements qui
5 ont entouré le moment où ces quatre jeunes filles ont été
6 emmenées. Est-ce qu’une personne portant le nom de famille
7 de Cicmil est arrivée ou est venue à cette occasion ?
8 R. Je ne l’ai pas vraiment observé et ça ne me
9 rappelle rien.
10 Q. Est-ce que vous vous souvenez si quelqu’un
11 vous a forcée à faire le signe de la croix ?
12 R. Non, non.
13 Q. Dans la déclaration que vous avez fournie au
14 Centre de Service de Sécurité de Sarajevo, la description
15 que vous avez fournie de Zaga était tout à fait différente.
16 Page 3 de votre déclaration. Est-ce que vous l’avez trouvé
17 ce passage ? Il est très peu lisible. J’ai une copie qui
18 est un peu meilleure. Permettez-moi de vous donner lecture
19 du passage.
20 « Vers la fin du mois de septembre, deux Samardzic
21 sont venus me chercher. Ce sont des frères. Ils
22 s’appellent Nedzo et Zoran Samardzic et ils sont
23 originaires de Bileca, ainsi que Pedo. Ils ont dit qu’ils
24 me préparaient en vue d’un échange. Ils voulaient me
25 protéger de Zaga. Zaga était supposément Dragan Kunarac
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1 qui apparemment était d’origine monténégrine. Il doit
2 faire un mètre 80, un mètre 90, a des mains très longues.
3 Il a les cheveux longs, les cheveux bruns et raides. » Fin
4 de citation.
5 Vous avez fait cette déclaration après l’échange
6 en 1993. Alors, votre mémoire était-elle plus fraîche en
7 1993 ou en 1996, moment auquel vous avez fait cette
8 déclaration aux enquêteurs ?
9 R. Bien sûr que mes souvenirs étaient meilleurs
10 en 1993.
11 Me PRODANOVIC (interprétation) : Nous en avons
12 pratiquement terminé, Madame et Messieurs les Juges.
13 Q. Aujourd’hui, vous avez mentionné un certain
14 Gagovic, du surnom de Gaga.
15 R. Oui.
16 Q. Que savez-vous de lui ? Quand avez-vous
17 entendu parler de lui pour la première fois ?
18 R. Eh bien, au cours de cette même période, 18
19 ou 19 août, lorsque je me suis trouvée dans la maison pour
20 la première fois, alors que les jeunes filles parlaient
21 d’où elles avaient été capturées, d’où elles venaient, moi,
22 je savais qui m’avait emmenée à cette maison et elles
23 aussi, elles savaient qui les avait emmenées, qui les avait
24 séparées de leur père, de leur mère, de leurs frères et
25 sœurs, et c’est à ce moment-là qu’à travers leurs
Page 2477
1 histoires, leurs récits, j’ai appris ce nom pour la
2 première fois.
3 Q. Est-ce que vous avez eu l’occasion de voir ce
4 Gagovic ou Gaga ?
5 R. Non. Je ne le connaissais pas, non. Je ne
6 sais pas. Je ne sais pas si je l’ai vu ou pas.
7 Q. Vous dites avoir passé un certain temps avec
8 ces autres jeunes filles dans la maison. Est-ce que vous
9 étiez plus proche de l’une en particulier, est-ce que vous
10 lui auriez fait des confidences ?
11 R. Non. Personne ne faisait confiance à
12 personne. En tout cas, moi, j’ai pensé qu’il était
13 préférable de ne pas trop en parler parce qu’effectivement,
14 on pouvait vite abuser de votre confiance. Donc, moi, j’ai
15 gardé tout ceci en mon fort intérieur.
16 Me PRODANOVIC (interprétation) : C’était la
17 dernière question que je voulais poser.
18 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Me Kolesar.
19 Me PRODANOVIC (interprétation) : Excusez-moi,
20 Madame la Présidente. Pourrais-je consulter ma consœur ou
21 mon client ?
22 [Les conseils de la Défense discutent]
23 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Si vous
24 voulez discuter rapidement avec votre client, libre à vous
25 de le faire avant de poursuivre si vous l’estimez
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1 nécessaire.
2 Me PRODANOVIC (interprétation) : Non, ce n’est
3 pas nécessaire. Je vous remercie, Madame la Présidente.
4 Q. Avez-vous dit aujourd’hui que Gaga était venu
5 à plusieurs reprises ?
6 R. Je pense qu’il a été mentionné. Je pense
7 qu’il faisait partie de ce groupe aussi. Je ne me souviens
8 plus de tous ces noms, mais je pense que tous ceux que j’ai
9 mentionnés venaient souvent ensemble. Étant donné que je
10 ne connaissais pas cet homme, je ne peux pas vous jurer que
11 c’était lui ou pas.
12 Me PRODANOVIC (interprétation) : Plus de
13 questions. Je vous remercie, Madame la Présidente.
14 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Vous avez
15 des questions à poser, Me Kolesar ?
16 Me KOLESAR (interprétation) : Oui, Madame la
17 Présidente, j’aurais quelques questions à poser à ce
18 témoin.
19 CONTRE-INTERROGÉE PAR
20 Me KOLESAR (interprétation) :
21 Q. Bonjour, Témoin.
22 R. Bonjour.
23 Me KOLESAR (interprétation) : Madame et Messieurs
24 les Juges, je vais fonder mon contre-interrogatoire
25 uniquement sur la déposition d’aujourd’hui à l’audience en
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1 rapport, bien sûr, avec la déclaration faite le 27 mars
2 1993 à Sarajevo. Cette déclaration préalable a reçu la
3 cote P202 si je ne m’abuse.
4 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Poursuivez.
5 Me KOLESAR (interprétation) :
6 Q. Au début de votre déclaration, j’ai lu que
7 vous aviez fourni cette déclaration en présence de votre
8 garde. Son nom ne m’intéresse pas. Je veux simplement
9 savoir si cette personne était un parent proche ou éloigné.
10 R. Oui. C’est le fils de mon oncle.
11 Q. Merci. Revenons rapidement à ceci. Lorsque
12 mon confrère ou plutôt ma collègue de l’Accusation vous a
13 posé des questions, vous avez dit que lorsque ces trois ou
14 quatre jeunes filles ont été emmenées, plusieurs individus
15 étaient présents – je ne vais pas les énumérer – et que
16 parmi eux se trouvait cependant un homme qui occupait un
17 grade élevé dans l’armée yougoslave et qui répondait au nom
18 de Kovac.
19 R. Oui.
20 Q. Est-ce que vous sauriez quel grade lui
21 attribuaient ces autres personnes du groupe ?
22 R. Non. Vous savez, moi, je ne connais pas bien
23 les grades et les galons. Je sais que c’était quelqu’un de
24 gradé dans l’armée populaire yougoslave, mais je ne sais
25 pas s’il était lieutenant-colonel ou colonel. Je ne sais
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1 pas.
2 Q. Ce qui m’intéresse, c’est aussi l’aspect
3 qu’avait cet homme. Est-ce qu’il était jeune ou plutôt âgé
4 ?
5 R. Au moment où je l’ai vu, je pense qu’il
6 portait un béret noir. Il était en uniforme de camouflage.
7 Il était assez petit, plutôt mince.
8 Q. Quel âge lui donneriez-vous ? De quelle
9 couleur étaient ses cheveux ?
10 R. Il portait un béret noir, mais vous savez, en
11 général, je ne remarque pas ce type de détails et surtout
12 pas dans ces circonstances-là, mais il pourrait avoir de 45
13 à 50 ans. C’est du moins l’impression que j’en ai eu.
14 Q. Donc, un homme d’âge moyen ?
15 R. Je ne sais pas s’il est d’âge moyen ou pas.
16 Q. Vers la fin de votre déclaration préalable,
17 vous dites ceci. Je sais que la photocopie est très
18 mauvaise, mais corrigez-moi, Témoin, si je lis mal ce
19 texte.
20 Il s’agit de l’avant-dernière ligne de votre
21 déclaration, dernière page : « Nous avons poursuivi notre
22 chemin vers Foca et nous nous sommes arrêtés à un village
23 où il y avait une maison de correction pour femmes à une
24 époque. »
25 Avez-vous trouvé ce passage ?
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1 R. Oui.
2 Q. J’aimerais vous demander pourquoi vous vous
3 trouviez là. Je vois que des papiers sont échangés. Est-
4 ce que c’est peut-être à cet endroit que vous avez vu ce
5 Kovac ?
6 R. Je ne regardais pas à ce moment-là et je ne
7 l’ai pas vu.
8 Q. Merci. J’aurais un autre document à vous
9 soumettre. La copie est très mauvaise. À la dernière page
10 de cette copie de ce document, vous avez énoncé que :
11 « Pour ma famille, je ne connaissais rien. Je ne savais
12 pas ce qui leur était arrivé, sauf pour mon père qui était
13 au KP Dom, et lorsque mon père a été transféré à Belgrade,
14 Trifkovic, Predrag me l’a dit ainsi que le fait qu’on me
15 cherchait mais qu’un certain Mirko Kovac appelé Klanfa ne
16 le permettait pas. Il voulait, par contre, que je sois
17 emmenée pour un échange à Sarajevo. »
18 Est-ce que c’est bien inscrit ? Est-ce que c’est
19 bien cela que vous avez donné comme déclaration ?
20 R. Oui.
21 Q. Je vous pose maintenant la question : Est-ce
22 qu’il se pourrait que vous vous soyez trompée concernant le
23 nom ? Est-ce qu’il se peut que ce ne soit pas Mirko Kovac
24 mais Marko Kovac ?
25 R. Oui, c’est exact. En fait, je sais que le
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1 nom de famille était Kovac. Je sais qu’il avait aussi un
2 grade. Il se peut que j’aie fait un lapsus ou une erreur.
3 Je suis certaine de son nom de famille et de son grade,
4 mais il est très probable et en fait fort possible que
5 j’aie fait une erreur concernant le nom, le prénom, c’est-
6 à-dire…
7 Me KOLESAR (interprétation) : Merci, Madame le
8 Témoin.
9 Merci, Messieurs les Juges, Madame la Présidente.
10 Je n’ai plus d’autres questions.
11 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Monsieur
12 Jovanovic.
13 Me JOVANOVIC (interprétation) : Non. La Défense
14 de Monsieur Vukovic n’a pas de questions. Merci.
15 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) :
16 Réinterrogatoire ?
17 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Oui, Madame
18 la Présidente. J’ai quelques questions.
19 RÉINTERROGÉE PAR
20 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) :
21 Q. Vous rappelez-vous lorsque Dragoljub Kunarac
22 a été arrêté ? Vous rappelez-vous de ce moment ?
23 R. Non.
24 Q. Vous souvenez-vous l’avoir aperçu dans les
25 journaux ou à la télévision ?
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1 R. Oui, puisque les médias de Bosnie-Herzégovine
2 suivaient le tout et, en fait, oui. Tous ces procès sont
3 suivis de très près et donc, on voit toujours à la
4 télévision, on sait ce qui se passe.
5 Q. Est-ce que vous avez vu une photographie de
6 lui soit à la télé ou dans un journal ? Est-ce que vous
7 vous rappelez ?
8 R. De nouveau, ce sont des choses que j’ai voulu
9 oublier très vite. Donc, je ne me suis pas vraiment
10 concentrée là-dessus et il arrive souvent que j’oublie les
11 noms, je peux faire un lapsus et donc je ne sais pas
12 toujours si j’ai vu la personne ou si j’ai reconnu la
13 personne, si je sais de qui il s’agit, si je me rappelle du
14 nom.
15 Q. Lorsque vous avez regardé dans le prétoire
16 plus tôt, vous avez pointé Dragoljub Kunarac et vous l’avez
17 identifié comme étant Zaga, donc, l’homme que vous avez vu
18 chez Karaman. Est-ce que vous êtes certaine de cela et
19 qu’est-ce qui fait en sorte que vous puissiez le
20 reconnaître aujourd’hui ?
21 R. Je crois qu’il a des pommettes très
22 saillantes et ces gens étaient tous différents de lui. Il
23 était très, très grand et il avait des pommettes très
24 saillantes et voici ce qui est resté gravé dans ma mémoire.
25 C’est ce qui est resté dans mon souvenir.
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1 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Je n’ai plus
2 d’autres questions, Madame la Présidente.
3 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Merci bien,
4 Madame le Témoin, d’être venue au Tribunal. Vous pouvez
5 disposer.
6 [Le témoin se retire]
7 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Est-ce que
8 nous avons un autre témoin ?
9 Me UERTZ-RETZLAFF (interprétation) : Je n’avais
10 pas prévu que le témoignage serait si court. Donc, le
11 témoin est à La Haye mais non pas dans le Tribunal et nous
12 avons donné, en fait, l’information aux avocats de la
13 Défense que nous aurons le témoin sous le numéro 96.
14 Alors, je crois qu’ils ne sont peut-être pas
15 préparés de l’entendre aujourd’hui. Donc, je suggère de ne
16 pas l’emmener tout de suite, puisque ça prendrait un
17 certain temps, mais peut-être de l’entendre demain. Il se
18 peut que nous soulevions une requête pour les mesures de
19 protection. C’est une requête que nous avons reçue
20 aujourd’hui de la part de la Défense et nous aimerions
21 avoir quelques clarifications sur ce point.
22 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Oui. Nous
23 avons entendu ce que l’Accusation a dit concernant notre
24 prochain témoin. Nous allons probablement donc commencer
25 avec ce nouveau témoin à 9 h 30 demain matin.
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1 Vous pouvez donc poursuivre avec ces requêtes
2 concernant les mesures de protection. Vous vouliez
3 apporter quelques précisions là-dessus ?
4 [La Chambre discute]
5 Mme LA PRÉSIDENTE (interprétation) : Nous
6 aimerions savoir si nous devons tenir une séance publique
7 pour ceci puisque j’ai vu que la requête est
8 confidentielle. Donc, c’est entre les parties et la
9 Chambre.
10 Me RYNEVELD (interprétation) : Je crois que cela
11 serait peut-être plus sécuritaire ou ce serait une
12 meilleure idée de faire une séance à huis clos partiel pour
13 cet entretien.
14 [Huis clos partiel]
15 (expurgée)
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25 (expurgée)
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13 pages 2486-2492 expurgées – audience à huis clos partiel
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21 --- L’audience est levée à 15 h 47
22 pour reprendre le jeudi
23 27 avril 2000 à 9 h 30
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