Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 22 février 2001.)

2 (Jugement de la Chambre de première instance.)

3 (Audience publique.)

4 (L'audience est ouverte à 14 heures.)

5 Mme la Présidente (interprétation): Veuillez donner le numéro de

6 l'affaire.

7 Mlle Lauer: Affaire IT-96-23-T, IT-96-23/1-T, le Procureur contre

8 Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic.

9 Mme la Présidente (interprétation): Les accusés: Dragoljub Kunarac, êtes-

10 vous en mesure d'entendre les débats dans une langue que vous comprenez?

11 M. Kunarac (interprétation): Oui, Madame la Présidente.

12 Mme la Présidente (interprétation): Radomir Kovac?

13 M. Kovac (interprétation): Oui, Madame la Présidente.

14 Mme la Présidente (interprétation): Zoran Vukovic?

15 M. Vukovic (interprétation): Oui, Madame la Présidente.

16 Mme la Présidente (interprétation): Je vais demander aux parties de se

17 présenter. L'accusation?

18 M. Ryneveld (interprétation): Madame la Présidente, Messieurs les Juges,

19 je représente l'accusation avec Peggy Kuo, Mme Uertz-Retzlaff, Daryl

20 Mundis. Je m'appelle Dirk Ryneveld.

21 Mme la Présidente (interprétation): Pour Dragoljub Kunarac?

22 M. Prodanovic (interprétation): Je m'appelle Slavisa Prodanovic et je

23 représente M. Kunarac .

24 Mme la Présidente (interprétation): Pour Radomir Kovac?

25 M. Kolesar (interprétation): Bonjour, Madame la Présidente, Messieurs les

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1 Juges. Je m'appelle Momir Kolesar, je suis avocat à Zemun. Avec Vladimir

2 Rajic, je défends les intérêts de M. Kovac.

3 Mme la Présidente (interprétation): Merci. Et pour Zoran Vukovic?

4 M. Jovanovic (interprétation): Madame la Présidente, bonjour. Je m'appelle

5 Goran Jovanovic et, avec ma collègue, Me Lopicic, nous représentons les

6 intérêts de M. Vukovic.

7 Mme la Présidente (interprétation): Merci.

8 Aujourd'hui, la Chambre de première instance rend son jugement à

9 l'encontre des accusés.

10 Le texte intégral du jugement sera distribué aux parties après cette

11 audience. Je n'en lirai ici qu'un résumé ainsi que le dispositif du

12 Jugement.

13 Les trois accusés qui sont d'origine serbe ont été inculpés par le Bureau

14 du Procureur de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes

15 contre l'humanité et, nommément, de viol, torture, réduction en esclavage

16 et d'atteintes à la dignité des personnes.

17 Les accusés ont participé à une campagne menée par les Serbes dans

18 l'ensemble de la municipalité de Foca entre le début de 1992 et le milieu

19 de 1993. Cette campagne s'inscrivait dans le cadre d’un conflit armé qui

20 opposait les forces serbes aux forces musulmanes dans la région de Foca à

21 toutes les époques visées dans les Actes d'accusation.

22 L'un des objectifs de la campagne était de chasser les Musulmans de la

23 région de Foca. L'objectif a été atteint et même le nom de la ville a été

24 changé.

25 Rebaptisée Srbinje, Foca se trouve aujourd’hui sur le territoire de la

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1 Republika Srpska. Il n'y a pratiquement plus aucun Musulman qui vive

2 aujourd'hui à Srbinje.

3 L'une des cibles de cette campagne étaient les civils musulmans, outre les

4 forces armées musulmanes, c'étaient les civils musulmans et, en l'espèce,

5 plus particulièrement les femmes musulmanes.

6 La principale méthode utilisée a été l'expulsion par la terreur.

7 D’une manière générale, la terreur trouvait son expression dans la

8 destruction des symboles religieux musulmans. Ainsi, toutes les mosquées

9 de Foca ont été détruites à l'explosif et rasées.

10 Les civils musulmans, hommes comme femmes, ont fait l'objet de rafles dans

11 les villages aux alentours de Foca, et même jusque dans les municipalités

12 voisines de Kalinovik et Gacko. Les hommes ont été séparés des femmes et

13 des enfants.

14 Les hommes ont souvent été détenus pendant de longues périodes à la prison

15 KP Dom de Foca, une détention sans aucun motif. Certains ont parfois été

16 victimes de sévices graves lors de leur arrestation ou même tués sur

17 place, souvent devant ou à portée de voix de leurs proches.

18 Les femmes et les enfants de la région de Foca étaient acheminés vers des

19 points de rassemblement, tel que Buk Bijela, une localité située au sud de

20 Foca. De là, ils étaient transférés par car au lycée de Foca, où ils

21 étaient enfermés. Certains ont été conduits plus tard dans d'autres lieux

22 de détention à Foca, au centre sportif Partizan, par exemple, qui se

23 trouvait tout à côté du poste de police, ou encore dans les logements

24 privés à Miljevina et Trnovace. Là, ils y retrouvaient d'autres femmes et

25 jeunes filles venues des deux autres municipalités.

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1 Dans les lieux que je viens de mentionner, la terreur prenait une tout

2 autre dimension, dimension très personnelle.

3 Le procès des accusés a parfois été qualifié ou baptisé "l'affaire du camp

4 des viols", car il offre l'exemple de viols systématiques de femmes d'une

5 autre ethnie comme "arme de guerre".

6 Cela pourrait prêter quelque peu à confusion de dire que l'on a eu recours

7 au viol systématique comme "arme de guerre" parce que cela pourrait

8 signifier qu'il existait une sorte de démarche concertée, ou que les

9 forces armées des Serbes de Bosnie avaient reçu l'ordre de violer les

10 femmes musulmanes dans le cadre de leurs activités de combat prises au

11 sens large. Or les preuves ne sont pas suffisantes pour que la Chambre de

12 première instance en arrive à une telle conclusion.

13 Mais, en revanche, il a été établi que des membres des forces armées

14 serbes de Bosnie avaient recours au viol comme instrument de terreur. Un

15 instrument dont ils pouvaient user en toute liberté contre quiconque et

16 quand bon leur semblait.

17 Il a été établi que les forces serbes ont eu toute latitude pour installer

18 et contrôler un centre de détention comme le centre sportif Partizan, à

19 quelques pas seulement du bâtiment de la police municipale à Foca, où ils

20 retenaient un grand nombre de femmes musulmanes. Et, régulièrement, on

21 venait chercher dans ce centre des femmes et des jeunes filles pour les

22 emmener en d'autres lieux où elles étaient violées.

23 Il a été établi que les autorités censées protéger les victimes, telle que

24 la police locale dont les Serbes avaient pris le contrôle, se montraient

25 indifférentes à leurs souffrances. Au contraire, elles ont pris part à la

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1 surveillance de ces femmes et se sont associées aux sévices qui leur

2 étaient infligés lorsque ces dernières sont venus leur demander de les

3 protéger contre leurs oppresseurs.

4 Ce qui a été établi également, c'est que les femmes et les jeunes filles

5 musulmanes, mères comme filles, ont été dépouillées des derniers vestiges

6 de leur dignité, que les femmes et les jeunes filles ont été traitées

7 comme des objets, comme des biens livrés à l'arbitraire des forces

8 d'occupation serbes, et plus particulièrement soumis au bon vouloir des

9 trois accusés.

10 L'ensemble de ces preuves démontre manifestement les répercussions que

11 peut avoir en temps de guerre une personnalité criminelle sur une

12 population civile sans défense:

13 -Les actes des trois accusés participaient d'une attaque systématique

14 contre la population civile musulmane. Certains de leurs actes, en temps

15 de paix, auraient pu sans doute être qualifiés de crime organisé.

16 Ils étaient au courant du conflit armé dans la région de Foca, puisqu'ils

17 y prenaient part en tant que soldats dans des unités différentes.

18 -Ils savaient que l'un des principaux objectifs de cette campagne, c'était

19 de chasser les Musulmans de la région.

20 -Ils savaient que l'un des moyens d’y parvenir, c'était de terroriser la

21 population civile musulmane pour qu'elle ne puisse jamais revenir dans la

22 région.

23 -Ils connaissaient également dans leurs grandes lignes les crimes commis,

24 en particulier ceux qui consistaient à enfermer des femmes et des jeunes

25 filles dans des lieux différents où elles étaient violées. Les actes

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1 commis par les trois accusés, tels qu’ils vont être décrits, indiquent

2 sans l'ombre d’un doute qu'ils connaissaient l'existence des centres de

3 détention, ainsi que la pratique qui consistait à transférer

4 systématiquement des femmes et des jeunes filles dans des lieux où des

5 Serbes leur feraient subir des sévices sexuels.

6 -Les trois accusés ne se contentaient pas d'exécuter l’ordre de violer les

7 femmes musulmanes, si tant est qu'un tel ordre ait été donné. Il a été

8 établi qu'ils agissaient sciemment.

9 Parmi les femmes et les jeunes filles ainsi détenues, il y avait une

10 enfant qui n’avait que douze ans à l’époque. Nul ne sait ce qu’elle est

11 devenue après avoir été vendue par l’un des accusés. Les femmes et les

12 jeunes filles étaient prêtées ou "louées" à d’autres soldats dans le seul

13 but de les avilir ou de leur faire subir des violences. Certaines d’entre

14 elles étaient réduites en esclavage pendant des mois d’affilée.

15 Les trois accusés ne sont pas de simples soldats dont les mœurs se

16 seraient relâchées du fait des rigueurs de la guerre. Ces hommes avaient

17 un casier judiciaire vierge en ce qui concerne la Chambre de première

18 instance. Cependant, ils se sont complus dans l’atmosphère sordide de la

19 déshumanisation de leurs soi-disant ennemis, là où nul ne songerait à

20 demander, pour reprendre les paroles d’Eleanor Roosevelt: «Où les droits

21 universels de l’homme commencent-ils, en fin de compte? En tous lieux,

22 près de chez soi […]».

23 Il est évident que les trois accusés n’appartiennent pas à la catégorie

24 des dirigeants politiques ou militaires qui se trouvaient derrière les

25 conflits et les atrocités. Mais la Chambre de première instance affirme

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1 clairement que, si, de manière générale, dans les affaires dont ce

2 Tribunal est saisi, il serait souhaitable d'engager des poursuites contre

3 les plus hauts responsables et de les juger, la Chambre affirme donc que

4 nul ne pourra invoquer un grade ou des fonctions subalternes pour échapper

5 aux poursuites.

6 Les dirigeants politiques et les généraux sont impuissants si leurs

7 subalternes refusent d’exécuter des ordres criminels pendant une guerre.

8 Les opportunistes sans foi ni loi ne devraient attendre aucune pitié, même

9 s’ils sont au plus bas de la chaîne du commandement.

10 Il est utile de rappeler ici qu’en temps de paix comme en temps de guerre,

11 aucun homme digne de ce nom ne saurait abuser d’une femme.

12 La Chambre de première instance va maintenant prononcer son jugement pour

13 chacun des accusés.

14 Accusé Dragoljub Kunarac, veuillez vous lever:

15 Dragoljub Kunarac, sous les chefs 1 à 4, vous êtes accusé de viol et de

16 torture, en tant qu’ils constituent à la fois une violation des lois ou

17 coutumes de la guerre et un crime contre l’humanité.

18 La Chambre de première instance n’accepte votre défense d’alibi pour

19 aucune de ces charges. Cela vaut également pour tous les autres chefs qui

20 ont été retenus contre vous dans l’Acte d’accusation.

21 Vous êtes accusé d’avoir, à deux reprises au moins entre le 13 juillet et

22 le 1er août 1992, conduit le témoin 87 dans la maison sise au n°16, rue

23 Osmana Ðikica, où elle aurait été violée par d’autres soldats. La Chambre

24 de première instance conclut que ces allégations n’ont pas été établies

25 au-delà de tout doute raisonnable.

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1 Vous êtes accusé d’avoir, le 16 juillet 1992 ou vers cette date, conduit

2 les témoins 75 et D.B. au n°16, rue Osmana Ðikica. Là, elles ont été

3 violées par plusieurs soldats. Là encore, vous avez personnellement violé

4 D.B. et aidé et encouragé le viol collectif du témoin 75 par plusieurs

5 soldats. La Chambre de première instance estime que ces accusations ont

6 été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

7 Vous êtes accusé d’avoir, le 2 août 1992, conduit les témoins 87, 75, 50

8 et D.B. au n°16, rue Osmana Ðikica, d’avoir personnellement violé le

9 témoin 87, et d’avoir aidé et encouragé le viol des témoins 87, 75 et 50

10 par les autres soldats présents. La Chambre de première instance statue

11 que ces accusations ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

12 Vous êtes accusé d’avoir, à deux reprises au moins, entre le 13 juillet et

13 le 2 août 1992, conduit le témoin 95 du centre sportif Partizan au n°16,

14 rue Osmana Ðikica où elle aurait été violée par vous et par trois autres

15 soldats la première fois et, la deuxième fois, par trois soldats, mais non

16 par vous. La Chambre de première instance estime qu’il a été prouvé au-

17 delà de tout doute raisonnable que vous avez personnellement violé le

18 témoin 95 en une occasion, mais qu’il n’a pas été établi qu’elle a été

19 violée par d’autres soldats dans ces deux circonstances que je viens

20 d'évoquer.

21 Si l’on s’en tient au critère dégagé par la Chambre de première instance

22 dans son jugement en ce qui concerne le cumul des déclarations de

23 culpabilité à raison d’un même comportement -à savoir que cela n’est

24 envisageable que lorsque chaque infraction relatée contient au moins un

25 élément distinct qui n’est pas contenu dans les autres-, votre

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1 comportement peut être à la fois puni en tant que viol et que torture,

2 comme violation des lois ou coutumes de la guerre, en application de

3 l’Article 3 du Statut et, d'autre part, comme crime contre l’humanité, en

4 application de l’Article 5 du Statut. Ce principe de droit s’applique

5 pareillement aux accusations portées contre les trois accusés.

6 En conséquence, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

7 -du chef 1 (torture, crime contre l’humanité),

8 -du chef 2 (viol, crime contre l’humanité),

9 -du chef 3 (torture, violation des lois ou coutumes de la guerre),

10 -et du chef 4 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre).

11 Sous les chefs 5 à 8, vous êtes accusé de torture et de viol, en tant

12 qu’ils constituent à la fois une violation des lois ou coutumes de la

13 guerre et un crime contre l’humanité.

14 Au vu des éléments de preuve à sa disposition, la Chambre de première

15 instance conclut que les accusations n’ont pas été prouvées au-delà de

16 tout doute raisonnable.

17 En conséquence, la Chambre de première instance vous déclare NON COUPABLE

18 des chefs 5, 6, 7 et 8.

19 Sous les chefs 9 et 10, vous êtes accusé de viol, en tant qu’il constitue

20 une violation des lois ou coutumes de la guerre et un crime contre

21 l’humanité.

22 Il vous est reproché de vous être rendu, en septembre ou octobre 1992,

23 dans un lieu appelé "maison de Karaman" à Miljevina, d’avoir conduit le

24 témoin 87 à l’étage supérieur et de l’avoir violée. La Chambre de première

25 instance estime que ces allégations ont été prouvées au-delà de tout doute

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1 raisonnable.

2 En conséquence, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

3 -du chef 9 (viol, crime contre l’humanité) et

4 -du chef 10 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre).

5 Sous les chefs 11 et 12, vous êtes accusé de torture et de viol en tant

6 qu’ils constituent une violation des lois ou coutumes de la guerre.

7 La Chambre de première instance conclut que ces accusations ont été

8 pleinement prouvées. Un soir, à la mi-juillet 1992, avec d'autres soldats,

9 vous avez emmené le témoin 183 de chez elle jusqu’aux rives de la

10 Cehotina, la rivière de Foca, où vous l’avez violée tous les trois. Vous

11 avez personnellement violé 183 et vous vous êtes rendu complice de son

12 viol par les deux autres soldats du fait que vous les avez encouragés

13 pendant qu'ils la violaient. Vous avez en outre raillé la victime en

14 disant aux autres soldats d’attendre leur tour pendant que vous la

15 violiez, en vous moquant d’elle pendant que les autres soldats la

16 violaient et, enfin, en lui disant qu’elle aurait des bébés serbes dont

17 elle ne connaîtrait pas le père.

18 En conséquence, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

19 -du chef 11 (torture, violation des lois ou coutumes de la guerre)

20 -et du chef 12 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre).

21 Sous les chefs d'accusation 18 à 21, vous êtes accusé de réduction en

22 esclavage et d’atteintes à la dignité des personnes en tant qu’elles

23 constituent un crime contre l’humanité ainsi que de viol, en tant qu’il

24 constitue à la fois une violation des lois ou coutumes de la guerre et un

25 crime contre l’humanité.

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1 La Chambre de première instance estime, au vu des éléments de preuve à sa

2 disposition, que les faits à l’origine des ces accusations ont pour une

3 part été établis au-delà de tout doute raisonnable.

4 La Chambre de première instance conclut que vous, Dragoljub Kunarac, avez

5 personnellement violé le témoin 191 dans la maison à Trnovace le 2 août

6 1992, et qu’en emmenant les jeunes filles dans cette maison, vous avez

7 aidé et encouragé le viol du témoin 186 par le soldat portant le

8 pseudonyme DP6.

9 Cependant, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que J.G.,

10 que vous aviez également amenée dans cette maison, a été violée cette

11 nuit-là par le soldat surnommé «Gaga».

12 En outre, la Chambre de première instance conclut qu’à partir du 2 août

13 1992, vous, Dragoljub Kunarac, avez violé le témoin 191 chaque fois que

14 vous vous êtes rendu à la maison de Trnovace, tandis que, durant cette

15 période, DP6 violait le témoin 186. Toutefois, il n’a pas été établi que

16 vous avez aidé et encouragé DP6 à violer le témoin 186 pendant cette même

17 période, puisqu’il n’a pas été démontré, que, réserve faite des moments où

18 vous avez conduit les femmes dans cette maison, vous étiez présent lorsque

19 DP6 violait le témoin 186, ni que vous l’ayez autrement aidé. Il n’a pas

20 été prouvé que votre présence ou vos actes ont aidé ou encouragé DP6 à

21 violer le témoin 186. Le lien, très lâche, entre, d’une part, les

22 événements qui se sont déroulés dans la maison et, d’autre part, votre

23 présence intermittente sur les lieux aboutirait à élargir exagérément le

24 concept d’aide et d’encouragement en matière de viol, alors qu’il est

25 suffisamment étroit pour justifier l’accusation de réduction en esclavage.

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1 La Chambre de première instance conclut également que les témoins 186 et

2 191 ont été retenues pendant plusieurs mois dans la maison de Trnovace, où

3 vous les avez traitées comme des biens personnels vous-même et DP6.

4 La Chambre de première instance considère que, s’agissant du crime de

5 réduction en esclavage, les éléments suivants sont particulièrement

6 pertinents :

7 i) le fait que les jeunes filles étaient détenues,

8 ii) le fait qu’elles devaient faire tout ce qu’on leur ordonnait, y

9 compris la cuisine et les tâches ménagères,

10 iii) le fait que vous vous êtes arrogé des droits exclusifs sur le témoin

11 191 en vous la réservant,

12 iv) que les jeunes filles étaient constamment à votre disposition et à

13 celle de DP6,

14 v) d’autres traitements dégradants, comme le fait de donner à un soldat la

15 permission de violer le témoin 186 contre 100 DM en présence du témoin 191

16 et

17 vi) le fait que ces jeunes filles étaient effectivement privées de tout

18 contrôle sur leur propre vie.

19 La Chambre de première instance estime que DP6 et vous avez agi de concert

20 et que vous vous êtes mutuellement aidés et encouragés à réduire ces

21 femmes en esclavage.

22 La Chambre de première instance estime toutefois que les éléments de

23 preuve concernant les témoins 186 et 191, ne justifient pas l’accusation

24 d’atteintes à la dignité des personnes.

25 Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare COUPABLE

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1 -du chef 18 (réduction en esclavage, un crime contre l’humanité),

2 -du chef 19 (viol, un crime contre l’humanité),

3 -du chef 20 (viol, une violation des lois ou coutumes de la guerre),

4 -mais NON COUPABLE du chef 21 (atteintes à la dignité des personnes, en

5 tant que violation des lois ou coutumes de la guerre).

6 Par l’ensemble de ces actes, vous avez manifesté le mépris le plus criant

7 pour la dignité des femmes et leur droit humain fondamental à

8 l’autodétermination en matière sexuelle, et ce à un degré qui dépasse, de

9 très loin, ce qu’en l’absence d’une meilleure formule, on pourrait

10 qualifier de «degré habituel de gravité des viols en temps de guerre».

11 Vous avez violenté et outragé des femmes musulmanes en raison de leur

12 origine ethnique et vous choisissiez celles d’entre elles qui, sur le

13 moment, vous plaisaient.

14 En campagne, vous étiez un soldat courageux et l’on a affirmé sans

15 contredit que vos hommes vous tenaient en haute estime. Cette autorité

16 naturelle aurait aisément pu vous permettre de mettre un terme aux

17 souffrances de ces femmes. Votre participation active à ce système

18 cauchemardesque d’exploitation sexuelle n’en est donc que plus odieuse.

19 Non seulement vous avez vous-même maltraité des femmes et des jeunes

20 filles, mais vous avez organisé leur transfert dans d’autres lieux, où,

21 comme vous le saviez parfaitement, elles seraient violées et maltraitées

22 par d’autres soldats.

23 Ce comportement appelle une peine sévère, proportionnée à la gravité de

24 vos crimes.

25 Par conséquent, la Chambre de première instance vous condamne, Dragoljub

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1 Kunarac, à une peine unique de 28 années d’emprisonnement.

2 La peine court à compter d’aujourd’hui. Le temps que vous avez passé en

3 détention préventive sera déduit de la peine.

4 Vous pouvez vous rasseoir.

5 (L’accusé Dragoljub Kunarac s’assoit.)

6 Accusé Radomir Kovac, veuillez vous lever.

7 (L’accusé Radomir Kovac se lève.)

8 Radomir Kovac, vous êtes accusé sous les chefs 22 à 25 de réduction en

9 esclavage et de viol, en tant qu’ils constituent des crimes contre

10 l’humanité, et de viol et d’atteintes à la dignité de la personne, en tant

11 qu’ils constituent des violations des lois ou coutumes de la guerre.

12 Sur la base des éléments de preuve à sa disposition, la Chambre de

13 première instance juge que les accusations portées contre vous ont été

14 prouvées au-delà de tout doute raisonnable comme suit :

15 Le 31 octobre 1992 ou vers cette date, quatre jeunes filles, les témoins

16 87, 75, A.B. et A.S., ont été conduites dans votre appartement de

17 l’immeuble Lepa Brena, à Foca. Les témoins 75 et A.B. y ont été retenues

18 environ une semaine, durant laquelle vous les avez traitées comme votre

19 propriété personnelle et leur avez fréquemment fait subir des sévices

20 sexuels.

21 Elles devaient effectuer des tâches ménagères. Les conditions d’hygiène

22 dans lesquelles vivaient toutes ces jeunes filles étaient désastreuses, et

23 elles étaient souvent affamées parce que vous ne leur donniez pas

24 suffisamment de nourriture.

25 En une occasion, vous avez violé à la fois les témoins 75 et 87, tout en

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1 écoutant de la musique sur votre stéréo.

2 Pendant qu’elles se trouvaient dans votre appartement, les témoins 75 et

3 A.B. ont été violées par vous et par d’autres soldats. En une occasion, le

4 témoin 75 a refusé d’aller avec un soldat nommé Slavo Ivanovic, que vous

5 aviez fait venir dans votre appartement. Vous l’avez alors giflée et avez

6 envoyé A.B., âgée de 12 ans, à sa place. Au bout d’une semaine environ,

7 vous avez remis les deux jeunes filles à d’autres soldats serbes qui ont

8 continué à les violer. Vous vous êtes ensuite rendu dans la maison où

9 elles sont restées deux semaines environ et là, vous avez prétendu être

10 désolé pour elles.

11 Elles ont ensuite été remises encore à un autre groupe de soldats, soldats

12 qui ont continué à les violer et vous les ont finalement ramenées. Le

13 lendemain, vous avez vendu A.B. et remis le témoin 75 au soldat portant le

14 pseudonyme DP1.

15 Vous avez donc personnellement violé les témoins 75 et A.B. et aidé et

16 encouragé d’autres soldats à le faire en leur permettant de se rendre à

17 votre appartement et d’y violer ces jeunes filles, ou en les incitant à le

18 faire, et en remettant les jeunes filles à d’autres hommes, sachant qu’ils

19 les violeraient.

20 Pendant qu’elles étaient détenues dans votre appartement, les témoins 87

21 et A.S. ont sans cesse été violées par vous et par Jagos Kostic. Vous avez

22 violé personnellement le témoin 87, tandis que Jagos Kostic violait A.S.

23 et, à votre insu, quelquefois également le témoin 87, que vous vous étiez

24 «réservée».

25 La Chambre de première instance estime dès lors qu’il n’a pas été établi

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1 au-delà de tout doute raisonnable que vous ayez aidé et encouragé Jagos

2 Kostic à violer le témoin 87, les éléments de preuve indiquant que ce fait

3 vous a été caché.

4 À une date inconnue se situant entre le 31 octobre 1992 environ et le

5 début du mois de novembre 1992 environ, vous avez contraint les témoins

6 87, A.S. et A.B. à danser nues sur une table pendant que vous les

7 regardiez. Il n’a toutefois pas été établi au-delà de tout doute

8 raisonnable que le témoin 75 était également présente en cette occasion.

9 Enfin, le 25 février 1993 ou vers cette date, vous avez vendu les témoins

10 87 et A.S., chacune pour 500 DM, à des soldats monténégrins.

11 Pour ce qui est de la réduction en esclavage des témoins 87, 75, A.S. et

12 A.B., la Chambre de première instance a notamment retenu les éléments

13 suivants :

14 i) le fait que ces jeunes filles étaient tant physiquement que

15 psychologiquement prisonnières, car même si elles avaient réussi à

16 s’enfuir de l’appartement elles n’auraient pas su où aller;

17 ii) le fait que vous ayez vendu les témoins 87, A.S. et A.B.;

18 iii) le fait que vous ayez remis les témoins 75 et A.B. à d’autres

19 soldats;

20 iv) les mauvais traitements, tels que les coups et les gifles;

21 v) le fait que vous vous soyez arrogé des droits exclusifs sur le témoin

22 87;

23 vi) les conditions de vie déplorables et le manque de nourriture;

24 vii) le fait que ces jeunes filles devaient obéir à tous les ordres et

25 faire tout ce qu’on leur ordonnait de faire, y compris la cuisine et les

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1 tâches ménagères.

2 S’agissant des atteintes à la dignité des témoins 87, 75, A.S. et A.B., la

3 Chambre de première instance a notamment estimé les éléments suivants

4 comme étant particulièrement pertinents:

5 i) le fait que vous ayez contraint les jeunes filles à danser nues sur une

6 table;

7 ii) le fait qu’elles ont été frappées et giflées;

8 iii) le fait que les jeunes filles aient été «prêtées» et vendues à

9 d’autres hommes;

10 iv) le fait qu’en une occasion vous ayez violé en même temps les témoins

11 75 et 87, tout en écoutant de la musique sur votre installation stéréo;

12 Vous avez toujours su que les jeunes filles étaient musulmanes, et c’est

13 l’une des principales raisons pour lesquelles vous les avez maltraitées et

14 vous avez abusé d’elles.

15 En conséquence, la Chambre de première instance vous déclare, Radomir

16 Kovac, COUPABLE

17 -du chef 22 (réduction en esclavage, en tant que crime contre l’humanité),

18 -du chef 23 (viol, en tant que crime contre l’humanité),

19 -du chef 24 (viol, une violation des lois ou coutumes de la guerre),

20 -du chef 25 (atteintes à la dignité des personnes, violation des lois ou

21 coutumes de la guerre).

22 Bien que n’ayez pas été déclaré coupable d’un nombre aussi grand de chefs

23 que l’accusé Dragoljub Kunarac, la Chambre de première instance vous tient

24 pour presque aussi coupable que lui.

25 Ce qui est particulièrement odieux et déplorable, c’est le traitement que

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1 vous avez réservé à A.B., âgée de 12 ans. Il s’agissait d’une enfant sans

2 défense pour qui vous n’avez pas eu la moindre compassion. Vous en avez

3 abusé comme vous avez abusé des autres filles. Vous l’avez finalement

4 vendue comme un objet, sachant que cela la condamnait quasi certainement à

5 de nouveaux sévices sexuels de la part d’autres hommes.

6 Vous saviez que ses chances de retrouver sa mère, dont la Chambre a pu

7 voir l’immense chagrin à l’audience, devenaient de la sorte encore plus

8 improbables qu’elles ne l’étaient déjà. Lors du procès, quelque huit ans

9 plus tard, personne n’avait plus jamais revu cette enfant ou entendu

10 parler d’elle. Le traitement infligé à A.B. est l’exemple le plus frappant

11 de votre caractère dépravé et corrompu.

12 Mais ce que vous avez fait aux autres filles n’est pas moins grave. Vous

13 en avez fait vos esclaves et celles de Jagos Kostic, tout juste bonnes à

14 être utilisées quand le désir vous en prenait, à être données à tous ceux

15 à qui vous vouliez faire une faveur. Vous jouissiez du pouvoir absolu que

16 vous exerciez sur leurs vies, ce que vous avez clairement prouvé en les

17 faisant danser nues sur une table pendant que vous les regardiez. Après

18 les avoir utilisées, vous les avez vendues également.

19 Votre conduite mérite une sanction sévère.

20 Par conséquent, la Chambre de première instance vous condamne, Radomir

21 Kovac, à une peine unique de vingt ans d’emprisonnement.

22 La peine court à compter d’aujourd’hui.

23 La période passée en détention sera déduite de la peine.

24 Vous pouvez vous rasseoir.

25 Accusé Zoran Vukovic, veuillez vous lever.

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1 Zoran Vukovic, vous êtes accusé sous les chefs 21 à 24 de torture et de

2 viol, en tant qu’ils constituent à la fois un crime contre l’humanité et

3 une violation des lois ou coutumes de la guerre.

4 Sur la base des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Chambre

5 de première instance juge qu’aucune des allégations qui sous-tendent ces

6 chefs d’accusation n’ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable.

7 Par conséquent, la Chambre de première instance vous déclare NON COUPABLE

8 des chefs 21, 22, 23 et 24.

9 Vous êtes accusé sous les chefs 33 à 36 de torture et de viol, en tant

10 qu’ils constituent à la fois un crime contre l’humanité et une violation

11 des lois ou coutumes de la guerre.

12 Sur la base des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Chambre

13 de première instance juge qu’un seul des incidents sous-tendant ces

14 accusations a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable, à savoir le

15 fait que, le 14 juillet 1992 ou vers cette date, vous avez personnellement

16 violé le témoin 50. Un autre soldat et vous l’avez fait sortir de

17 Partizan. Auparavant, vous aviez menacé sa mère de la tuer si elle ne vous

18 disait pas où se cachait sa fille, et elle est alors allée la chercher.

19 Vous avez emmenée la jeune fille dans une autre maison, où vous l’avez

20 violée.

21 Elle était âgée de 15 ans à l’époque, ce que vous saviez, car vous lui

22 avez dit que, si elle n’avait pas eu le même âge que votre fille –qui

23 avait alors environ 15 ans– vous lui auriez fait des choses bien pires.

24 La Chambre de première instance n’admet pas le fait que vous étiez

25 incapable d’avoir des rapports sexuels en raison d’une prétendue lésion au

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1 scrotum.

2 En conséquence, la Chambre de première instance vous déclare, Zoran

3 Vukovic, COUPABLE

4 -du chef 33 (torture, crime contre l’humanité),

5 -du chef 34 (viol, crime contre l’humanité),

6 -du chef 35 (torture, violation des lois ou coutumes de la guerre),

7 -et du chef 36 (viol, violation des lois ou coutumes de la guerre).

8 Les éléments de preuve de l’Accusation contre vous n’ont pas suffi à

9 établir la majorité des chefs d’accusation retenus contre vous, et votre

10 peine doit par conséquent être plus légère que celle des deux autres

11 accusés.

12 Toutefois, la Chambre de première instance juge grave le fait que vous

13 n’ayez manifesté aucun remords, aucun sens moral en parlant de votre

14 propre fille après avoir violé le témoin 50, qui, de plus, n’avait que 15

15 ans à l’époque, et que vous l’ayez raillée dans sa douleur en affirmant

16 que vous auriez pu lui réserver un traitement encore bien pire.

17 Par conséquent, la Chambre de première instance vous condamne, Zoran

18 Vukovic, à une peine unique de douze ans d’emprisonnement.

19 La peine court à compter d’aujourd’hui.

20 Le temps passé en détention préventive sera déduit de la peine.

21 Vous pouvez vous rasseoir.

22 Cela conclut le Jugement de la Chambre de première instance.

23 L’audience est levée.

24 La Cour va se retirer.

25 (L'audience est levée à 15 heures 33.)