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1 (Mardi 4 décembre 2001.)
2 (Audience d'appel sous la présidence de M. le Juge Jorda.)
3 (Audience publique.)
4 (L'audience est ouverte à 9 heures 34.)
5 M. le Président: Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.
6 Bonjour, je voudrais d'abord m'assurer que les interprètes sont tous à
7 leur poste.
8 Les interprètes: Bonjour, Monsieur le Président.
9 M. le Président: Tout le monde est bien en place et je demande sans plus
10 tarder à Mme la Greffière de bien vouloir identifier l'affaire inscrite à
11 notre rôle ce matin.
12 Mme Atanasio (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit de
13 l'affaire IT-96-23A et IT-96-23/1A, le Procureur contre Dragoljub Kunarac,
14 Radomir Kovac et Zoran Vukovic.
15 M. le Président: Voulez-vous ordonner l'entrée des accusés, s'il vous
16 plaît?
17 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)
18 Bien. Bonjour. Vous pouvez vous asseoir, s'il vous plaît.
19 Je voudrais que s'identifient à présent les conseils des parties en
20 présence. Nous allons commencer bien sûr par les conseils des appelants.
21 D'abord, pour M. Kunarac, qui veut s'identifier? Vous m'entendez? Oui?
22 M. Prodanovic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
23 les Juges. Je m'appelle Slavisa Prodanovic. A mes côtés, se trouve Dejan
24 Savatic. Nous défendons les intérêts de Dragoljub Kunarac. Je vous
25 remercie, Monsieur le Président.
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1 M. le Président: Oui. Ensuite, pour M. Kovac, peut-être?
2 M. Kolesar (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle
3 Momir Kolesar. Je suis avocat et je suis présent en audience avec Vladimir
4 Rajic. Nous représentons Radomir Kovac. Merci.
5 M. le Président: Merci. Et pour M. Vukovic?
6 M. Jovanovic (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle
7 Goran Jovanovic. Ma consœur, Jelena Lopicic, représente avec moi les
8 intérêts de Zoran Vukovic.
9 M. le Président: Bien. A présent, je me tourne vers le Bureau du
10 Procureur. Pouvez-vous vous identifier, s'il vous plaît?
11 M. Carmona (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle
12 Anthony Carmona. Je représente le Bureau du Procureur en compagnie de
13 Norul Rashid, Helen Brady, Suzan Lamb; notre substitut d'audience est M.
14 Wolfgang Sakulin.
15 M. le Président: Merci, Monsieur Carmona.
16 Très bien. Je crois qu'à présent, nous pouvons commencer. Je ferai d'abord
17 une brève introduction pour ouvrir la présente audience.
18 L'audience qui nous réunit aujourd'hui est une audience d'appel devant le
19 Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, composé de moi-même
20 qui préside, du Juge Shahabuddeen, du Juge Güney, du Juge Schomburg et du
21 Juge Meron.
22 Nous entendons aujourd'hui les arguments finaux, les conclusions finales.
23 Messieurs Kunarac, Kovac et Vukovic, les accusés, ont interjeté le présent
24 appel, le 6 mars 2001, d'un jugement de première instance rendu par la
25 Chambre de première instance II, composée des Juges Mumba, Hunt et Pocar.
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1 En guise d'introduction, je dirai très brièvement que les événements ont
2 eu lieu dans la région de Foca; cette région se trouve à l'heure actuelle
3 dans la Republika Srpska.
4 Je rappellerai certaines des conclusions de la Chambre de première
5 instance. Dans ce jugement, la Chambre de première instance a déclaré tous
6 les accusés coupables des crimes consacrés aux Articles 3 et 5 du Statut
7 du Tribunal, c'est-à-dire "violation des lois ou coutumes de guerre", et
8 "crime contre l'humanité". La Chambre de première instance a considéré
9 qu'il existait une campagne menée par les Serbes dans l'ensemble de la
10 municipalité de Foca, dont l'objet était de chasser les Musulmans de la
11 région. Une des cibles de cette campagne était les civils musulmans et
12 plus particulièrement les femmes musulmanes.
13 Bien entendu, je rappelle ce qu'a dit la Chambre.
14 Monsieur Kunarac a été condamné sur la base de onze chefs d'accusation;
15 entre autres, de viol, de torture et de réduction en esclavage. Il a été
16 condamné à une peine de 28 années d'emprisonnement. La Chambre de première
17 instance a conclu qu'il a commis personnellement ces crimes et organisé
18 les transferts des femmes dans des lieux où elles ont été violées.
19 Quant à M. Kovac, il a été condamné sur la base de quatre chefs
20 d'accusation: viol, réduction en esclavage, atteinte à la dignité des
21 personnes. Il a été condamné à une peine de 20 années d'emprisonnement.
22 Monsieur Vukovic a été condamné sur la base de quatre chefs d'accusation,
23 à savoir: torture et viol, et à une peine de 12 années d'emprisonnement.
24 Je tiens par ailleurs à préciser que nous avons rendu une ordonnance, en
25 date du 30 novembre dernier, par laquelle nous avons rejeté la requête aux
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1 fins de présentation d'un moyen de preuve supplémentaire de M. Vukovic.
2 Les appelants demandent à être acquittés -c'est leur demande finale- ou,
3 de façon subsidiaire, d'obtenir une modification de leurs peines.
4 Les appelants ont présenté plusieurs motifs d'appel, tant de droit que de
5 fait. La Chambre va les rappeler avant d'entendre les arguments oraux des
6 parties.
7 Le cadre de nos audiences se déroulera pendant 3 jours: aujourd'hui de 9
8 heures 30 à 16 heures, demain de 9 heures à 14 heures 15,
9 vraisemblablement 14 heures pour des raisons que j'expliquerai demain.
10 Jeudi, de 9 heures à 14 heures 15; 6 heures et 30 minutes seront
11 consacrées aux arguments des appelants.
12 Le Procureur disposera, quant à lui, de 4 heures pour exposer ses
13 arguments.
14 Chaque accusé disposera enfin de 15 minutes pour présenter sa réplique si
15 cela s'avérait nécessaire à leurs yeux.
16 En préparation de cette audience, deux conférences de mise en état ont été
17 tenues et le Juge Shahabuddeen, Juge de la mise en état dans cette
18 affaire, a rendu une ordonnance portant calendrier dont vous avez tous eu
19 notification, une ordonnance en date du 16 novembre 2001.
20 Par ailleurs, le Procureur et les appelants ont déposé à plusieurs
21 reprises des écritures relatives au motif d'appel. Je ne les rappellerai
22 pas, vous les connaissez.
23 Mes collègues et moi-même, au vu des débats qui ont précédé la présente
24 audience, avons classé les motifs des appelants suivant d'ailleurs vos
25 propres suggestions ou celles du Procureur. Nous avons identifié neuf
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1 questions principales et, en accord avec les parties, les avocats se sont
2 réparti le traitement de cette affaire, de ces thèmes d'appels, de ces
3 motifs d'appels dans la mesure où, effectivement pour éviter les
4 répétitions, certains motifs d'appels sont communs aux trois accusés et
5 certains motifs d'appels sont spécifiques à l'un ou l'autre d'entre eux.
6 Je rappellerai donc que: premier motif, premier thème d'appel, c'est le
7 contexte général de l'affaire. J'ai cru comprendre que ce serait Me
8 Prodanovic, avocat de M. Kunarac, qui le traiterait.
9 Ensuite, le deuxième, ce deuxième thème d'appel, deuxième motif: c'est
10 l'existence d'un conflit armé et le lien qui existerait ou n'existerait
11 pas entre le conflit et le comportement criminel. Ce serait, d'après mes
12 notes, Me Jovanovic, l'avocat de Vukovic.
13 Troisièmement, troisième motif: l'attaque généralisée et systématique
14 contre la population civile. Ce motif sera traité, je pense, par Me
15 Savatic, avocat de Kunarac.
16 Quatrième motif: le cumul des déclarations de culpabilité. Egalement, Me
17 Savatic.
18 Cinquième motif: les questions juridiques relatives à l'application du
19 Statut et du Règlement, Me Kolesar, avocat de M. Kovac.
20 Sixièmement: les questions de l'identification des accusés; motif traité,
21 plaidé par Me Jovanovic, avocat de M. Vukovic.
22 Septième motif: la question de l'évaluation des témoignages d'experts; Me
23 Jovanovic, avocat M. Vukovic.
24 Les moyens fondés sur la définition des infractions portant à la fois sur
25 des motifs communs ou individuels aux accusés: quatre des six avocats, je
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1 n'ai pas la précision.
2 Enfin, les questions relatives à la peine: les trois avocats pour Kovac,
3 Kunarac et Vukovic interviendront.
4 Je voudrais me tourner vers les parties: est-ce que Madame et Messieurs
5 les avocats des appelants et Mesdames et Messieurs les avocats du
6 Procureur, nous pouvons estimer que ce sont bien les points sur lesquels
7 vous allez plaider?
8 Oui? Pas d'observation particulière? Peut-être du côté du Procureur?
9 M. Carmona (interprétation): Oui, nous sommes dans une grande mesure
10 d'accord avec les sujets que vous avez évoqués s'agissant de ce qui
11 constituent les motifs d'appel.
12 M. le Président: Je vous remercie. J'avais effectivement noté que dans
13 l'ordonnance du 16 novembre 2001, Monsieur le Procureur, j'avais noté que
14 vous les aviez présentés de façon un peu différente mais j'ai l'impression
15 que tout se recoupe. Nous sommes d'accord.
16 Bien, si tout le monde est d'accord, je crois que nous pouvons commencer,
17 je pense, par Me Prodanovic qui va plaider sur le contexte général.
18 Maître, vous avez la parole.
19 (Présentation des arguments de la défense par Me Prodanovic.)
20 M. Prodanovic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président,
21 Messieurs les Juges.
22 Je commence ma présentation des arguments présentés par tous les avocats
23 de la défense dans leur mémoire d'appel, mais je souhaite vous informer du
24 fait que nous allons nous en tenir au programme qui a été prévu. Nous
25 n'allons pas dépasser le temps qui nous a été imparti. Au contraire, nous
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1 allons essayer d'en économiser du temps, tout en présentant de façon
2 claire des arguments convaincants.
3 Par conséquent, je vais commencer par la présentation des faits qui nous
4 semblent importants pour bien comprendre le contexte général de tout ce
5 qui s'est passé sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Ces questions et
6 ces points apparaissent dans tous les Actes d'accusation dressés par le
7 Bureau du Procureur mais je pense qu'en l'espèce, il est important de bien
8 cadrer ces faits. En effet, c'est là, la seule façon dont il est possible
9 de déterminer le rôle joué par les appelants dans le conflit qui a été
10 éclaté sur le territoire de la municipalité de Foca. Et j'insiste bien sur
11 cela: sur le territoire de municipalité de Foca.
12 En effet, à mes yeux, chaque affaire, chaque procès doit se voir dans le
13 contexte des conditions qui prévalaient sur le territoire concerné dans
14 l'ex-Yougoslavie et en fonction d'un environnement bien particulier.
15 Messieurs les Juges, vous avez eu l'occasion de vous familiariser avec les
16 événements qui ont abouti à la désintégration de l'ex-Yougoslavie. Nous
17 estimons que les causes de cette désintégration, leurs natures aussi ne
18 peuvent pas être établies devant ce Tribunal parce que je crois que ce
19 sont les historiens qui devront se charger de déterminer ces causes. Au
20 cours des événements qui ont précédé ce démantèlement de l'ex-Yougoslavie,
21 des modifications importantes sont intervenues dans l'ordre mondial. Un
22 des blocs d'un monde bipolaire a commencé à se désintégrer. De ce fait,
23 l'Union Soviétique, elle, s'est démantelée; des changements démocratiques
24 sont intervenus dans ce pays, ce qui a entraîné des modifications, des
25 transformations des frontières nationales et abouti à l'indépendance de
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1 certaines républiques.
2 Sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, s'est manifesté un souhait très
3 clair de sécession par rapport à la République fédérative socialiste de
4 Yougoslavie parmi les dirigeants de Slovénie et de Croatie. L'armée des
5 Etats conjoints de ces peuples qui vivaient sur le territoire de l'ex-
6 Yougoslavie…
7 (Les interprètes ont des problèmes techniques.)
8 M. le Président: Oui. Alors, qui a des problèmes techniques? Moi, je n'en
9 ai pas: j'entends bien l'interprète, mais je pense que certains collègues
10 ont des problèmes.
11 L'interprète: Un instant, Monsieur le Président, si vous nous le
12 permettez.
13 M. le Président: Vous pouvez vous interrompre un instant, Maître
14 Prodanovic.
15 (Problème technique.)
16 L'interprète: Nous pouvons essayer de poursuivre. Merci, Monsieur le
17 Président. Merci infiniment.
18 M. Prodanovic (interprétation): Il y a un retrait de la JNA de la Slovénie
19 et de la Croatie. Mais auparavant, la JNA était considérée comme étant
20 l'armée de l'agresseur, même si elle se composait des représentants de
21 toutes les nationalités qui avaient vécu en tant que groupes ethniques sur
22 le territoire de l'ex-Yougoslavie.
23 Ces groupes ethniques non seulement se trouvaient sur un pied d'égalité, à
24 l'époque, mais outre cela, ils disposaient des mêmes droits; droits que
25 l'on accorde aux groupes ethniques dans les pays les plus développés de ce
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1 monde. Ce sont des droits qu'elles avaient conquis au cours de la guerre
2 de libération de la Seconde Guerre mondiale contre l'Axe.
3 Mais en dépit de tout ça, même si la RSFY avait un système qui permettait
4 à chacun de participer au gouvernement, de disposer d'une pleine égalité,
5 même si la solidarité et l'unité -c'est comme ça qu'on l'appelait à
6 l'époque- étaient quelque chose qui était cultivé, la volonté de faire
7 sécession de la Yougoslavie n'a cessé de grandir et a été accélérée par
8 des modifications qui sont intervenues dans le système sociopolitique.
9 C'est-à-dire qu'un système monopartiste a été transféré en un système
10 pluripartiste, ce qui a conduit au développement de plusieurs partis
11 politiques. C'est ainsi qu'ont eu lieu les premières élections
12 pluripartites après la Seconde Guerre mondiale.
13 Au cours de ce processus, les partis avaient des programmes nationaux.
14 L'Union démocratique croate était le parti le plus important en Croatie.
15 Vous aviez le SDA, Parti d'Action démocratique, qui était le parti numéro
16 un en Bosnie-Herzégovine, et le SDS, numéro un comme parti en Bosnie-
17 Herzégovine.
18 Après l'échec des tentatives entreprises pour maintenir la Yougoslavie et
19 après la sécession de la Slovénie et de la Croatie, la JNA s'est retirée
20 dans cet Etat croupion de Yougoslavie, y compris sur le territoire de
21 Bosnie-Herzégovine. A l'époque, le SDA a été créé sous la houlette de
22 Alija Izetbegovic qui, au moment de l'ex-Yougoslavie, avait été condamné à
23 une peine de prison pour des activités anticonstitutionnelles qui se
24 basaient sur des activités intégristes.
25 Et des plaies, les vieilles plaies de la Seconde Guerre mondiale ont été
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1 rouvertes puisque, à l'époque, il y avait beaucoup de Musulmans qui
2 avaient soutenu les pouvoirs de l'Axe. Et vous aviez des Etats fantoches,
3 comme le soi-disant Etat indépendant de Croatie.
4 Malheureusement, des événements terribles, malheureux se sont produits de
5 part et d'autre. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Musulmans et
6 les Serbes ont souffert les uns des autres. Ceci s'est manifesté lors du
7 rassemblement de Foca, organisé par le SDA, le 25 août 1992.
8 Ceci apparaît clairement dans les pièces présentées par la défense. Sous
9 le prétexte de modifications démocratiques, Izetbegovic a commencé à
10 rassembler les intellectuels islamiques. Il y a eu une déclaration
11 islamique de la main de Alija Izetbegovic -c'est d'ailleurs là la raison
12 de sa condamnation- et ceci a constitué la base du programme politique du
13 SDA. Il s'ensuit -et je cite- "le mouvement islamique peut et devrait
14 s'emparer du pouvoir dès qu'il est suffisamment fort, moralement et
15 numériquement, pour établir un nouveau gouvernement islamique qui pourrait
16 renverser tout pouvoir qu'il ne l'est pas." (Fin de citation.)
17 Ce serait là l'objection du SDA, objectif manifeste qui devait aboutir à
18 la création d'un Etat islamique en Bosnie-Herzégovine. Le peuple serbe qui
19 était nombreux, très nombreux non seulement en Croatie et en Bosnie-
20 Herzégovine où ce peuple serbe vivait depuis des siècles, ce peuple serbe
21 a subi le plus grand nombre de victimes dans la lutte contre le nazisme au
22 cours de la Seconde Guerre mondiale.
23 Ce peuple serbe a senti que le démantèlement de la Yougoslavie allait
24 avoir pour conséquence de transformer ce peuple en minorité ethnique,
25 notamment en Bosnie-Herzégovine mais aussi en Croatie. C'est la raison
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1 pour laquelle tous les partis, qui avaient pour membres des Serbes,
2 avaient un objectif précaire qui était celui de préserver la Yougoslavie
3 telle qu'elle était. Cet objectif était partagé, en principe, aussi par le
4 SDA. Or, ce parti, par toutes ses entreprises n'avait qu'un but: celui de
5 créer une Bosnie-Herzégovine indépendante, se composant surtout de
6 Musulmans.
7 En parallèle de ces activités politiques qui revendiquaient l'idée d'une
8 Bosnie-Herzégovine indépendante, aussitôt avant le conflit qui allait
9 éclater, le SDA a commencé à armer ses partisans les plus fidèles. Nous
10 avons présenté des preuves à cet effet.
11 Au cours de l'année 1990, nous avions des unités paramilitaires musulmanes
12 pleinement équipées. Cette ligue patriotique telle qu'on l'a appelée, qui
13 était en fait une force armée du parti. Il y avait aussi les "Bérets
14 verts" qui étaient une force paramilitaire très bien organisée.
15 Les dirigeants du SDA étaient convaincus qu'ils allaient sortir vainqueurs
16 d'un conflit armé; par conséquent, ils ont pris des décisions politiques
17 dans lesquelles ne participait pas le peuple serbe. Ils ont fini par
18 déclarer l'indépendance à partir d'un référendum qui avait été mené, dans
19 lequel le peuple serbe ne s'est pas exprimé.
20 De ce fait, en vertu de la Constitution alors en vigueur, ils n'avaient
21 pas le droit de déclarer leur indépendance. La Constitution prévoyait
22 qu'une telle décision soit prise avec deux tiers des voix des électeurs de
23 la République et ceci n'était pas possible sans la participation des
24 Serbes de la République.
25 Comme les résultats l'ont montré, moins des deux tiers se sont exprimés
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1 des électeurs inscrits sur les listes se sont exprimés, se sont rendus aux
2 urnes pour ce référendum.
3 Les activités des unités paramilitaires, avant que ne soit annoncé le
4 résultat de ce référendum, et surtout après ces résultats une fois
5 annoncés, le fait que la Bosnie avait été rapidement reconnue par certains
6 pays, tout ceci a fait que les Serbes se sont sentis en danger.
7 Spontanément, ils ont commencé à s'organiser, indépendamment les uns des
8 autres. Cette organisation spontanée s'est faite au niveau de la
9 municipalité, surtout dans les municipalité où les Serbes avaient la
10 majorité ou encore là où ils représentaient un pourcentage important de la
11 population.
12 Il faut tenir compte de toute cette évolution et aussi de ce qui se
13 passait au niveau global, sans oublier que Foca était le centre d'activité
14 des Musulmans les plus extrémistes, était aussi un lieu central où tout
15 était fourni, les armes aux Musulmans. Ce qui veut dire que Foca était
16 censé devenir le centre musulman de l'Europe.
17 Après que les Musulmans se sont livrés à une célébration assez brutale de
18 l'indépendance, les arsenaux de la Défense territoriale ont été pris par
19 les Serbes et les premiers conflits ont éclaté à Foca le 8 avril 1992.
20 Mais les Serbes ne s'étaient pas préparés à la guerre, ils ne se sont
21 armés qu'une fois que les Musulmans ont commencé à utiliser leurs armes
22 ouvertement, armes qui avaient été accumulées et acquises au cours des
23 années précédentes.
24 Et c'est seulement après avoir pris les arsenaux, les entrepôts de la
25 Défense territoriale, qu'il y avait eu une séparation de la Défense
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1 territoriale entre partie serbe et partie musulmane, et parce que
2 justement la doctrine en vigueur ne s'appliquait plus, c'est seulement à
3 ce moment-là que les choses ont commencé.
4 De surcroît, les trois accusés n'ont pas participé au premier jour de
5 cette organisation spontanée. Ils ne sont intervenus que plus tard
6 lorsqu'il y a eu un combat pour le contrôle du territoire de Foca. Ceci a
7 été confirmé plus tard dans les Accords de Dayton.
8 Chacun des accusés a participé au conflit armé indépendamment, il n'y a
9 aucun point commun entre eux, je veux parler de contacts personnels, et
10 leur comportement ultérieur dans le temps et durant le conflit armé ne
11 peut pas être considéré comme une quelconque activité commune.
12 Rien dans leur action ne peut donc correspondre à la définition de
13 l'entreprise commune.
14 Les événements que nous venons de rappeler brièvement, de façon générale
15 et plus particulièrement sur le territoire de Foca, démontrent qu'il
16 n'existait aucun plan et qu'il n'existait pas non plus de planification
17 particulière d'une action destinée à détruire la population locale.
18 Et plus tard, d'ailleurs mes collègues en parleront dans quelques
19 instants, il n'y a pas eu d'attaque contre les civils sur le territoire de
20 Foca et encore moins une attaque systématique ou à grande échelle.
21 Je souligne une nouvelle fois que, durant le procès, l'existence du
22 conflit n'a pas été démontrée suffisamment et je souligne également que la
23 situation dans cette municipalité était différente totalement de celle qui
24 prévalait dans d'autres municipalités.
25 La Chambre de première instance a donc fait erreur lorsqu'elle a fait
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1 référence à une attaque contre la population civile dans la municipalité
2 de Foca et dans la municipalité de Gacko et Kalinovik par exemple.
3 Mon confrère, Me Jovanovic, va d'ailleurs parler plus en détail de tous
4 ces éléments. Je vous remercie.
5 M. le Président: Bien. Merci, Maître Prodanovic.
6 Maître Jovanovic, nous sommes bien d'accord, c'est vous qui allez traiter
7 du motif d'appel sur l'existence d'un conflit armé et le lien entre le
8 comportement criminel des accusés? C'est vous, vous avez la parole.
9 (Présentation des arguments de la défense, par Me Jovanovic.)
10 M. Jovanovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
11 Prenant la parole pour vous parler de Foca, j'aimerais appeler votre
12 attention quelques instants sur l'existence ou non d'un conflit à Foca,
13 donc sur l'existence d'un conflit armé éventuelle à Foca et sur les
14 conditions qui doivent être remplis pour ce que cet élément existe.
15 La question du conflit armé est liée à trois municipalités de la Bosnie-
16 Herzégovine. Il n'est pas contesté qu'un conflit armé ait existé sur le
17 territoire de la municipalité de Foca, ce conflit a d'ailleurs commencé
18 avant la période couverte par l'Acte d'accusation, car dans la période qui
19 va du mois d'avril 1992 au mois jusqu'au mois de février 1993 un conflit
20 armé s'est vissé dans la municipalité de Foca, conflit où les deux parties
21 belligérantes les plus importantes étaient les Serbes et les musulmans,
22 ceci n'est pas contesté.
23 Il n'est pas contesté non plus, par les accusés, que ce conflit armée
24 existait.
25 Il est très simple de déduire que ceci était le cas, la défense d'ailleurs
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1 n'a cessé d'en parler, et la Chambre de première instance a admis -après
2 présentation d'un grand nombre de preuves- que les accusés étaient membres
3 de l'armée serbe et qu'ils ont, en tant que tels, contribué activement à
4 la réalisation de leur devoir.
5 Donc pas de discussion, pas de contestation sur ce point.
6 Mais du point de vue de la défense, il y a un point qui n'a pas été réglé
7 comme il convenait au cours du procès en première instance et, pour
8 affirmer ceci, nous développons deux lignes d'idées. D'abord, un formel:
9 il est exact que les accusés sont jugés ensemble et que M. Kunarac, M.
10 Kovac et M. Vukovic ont donc été co-accusés dans l'affaire, la défense
11 ayant accepté un procès conjoint pour des raisons économiques et pour
12 toutes sortes d'autres raisons que chacun connaît bien ici.
13 Cependant, il y a deux Actes d'accusation distincts. Dans l'Acte
14 d'accusation émis contre M. Vukovic, on ne trouve pas un mot au sujet des
15 municipalités de Gacko et de Kalinovik et la défense véritablement n'a pas
16 vu pourquoi elle devrait confirmer ou affirmer quelque chose qui n'était
17 pas mentionné dans l'Acte d'accusation.
18 L'Acte d'accusation émis contre M. Kunarac et M. Kovac, dans les
19 allégations générales, mentionne à un certain endroit les municipalités de
20 Gacko et de Kalinovik.
21 Cependant, que s'est-il passé? Le premier témoin qui a été entendu et qui,
22 sur le plan géographique, ne relevait pas de la municipalité de Foca mais
23 de celle de Gacko -et je pense qu'il s'agissait d'un témoin protégé qui
24 avait pour pseudonyme FWS-186- et il est arrivé un moment après
25 l'interrogatoire principal, lorsque la défense de M. Kunarac a commencé le
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1 contre-interrogatoire. C'était d'ailleurs au début du contre-
2 interrogatoire. Un moment est arrivé où les Juges de la Chambre de
3 première instance et les conseils de la défense ont échangé des idées. Je
4 vous renvoie à la page 2986 du compte rendu d'audience où vous trouverez
5 ce passage. Donc, un Juge a fait un commentaire et, après cela, tous les
6 conseils de la défense sont arrivés à la conclusion que la question de
7 l'existence d'un conflit armé sur le territoire de la municipalité de
8 Gacko ne faisait plus partie de l'ordre du jour, si je puis m'exprimer
9 ainsi, que cette question avait déjà été réglée.
10 Donc, par la suite, toutes les questions que nous avons posées aux témoins
11 qui ne provenaient pas de la municipalité de Foca, je veux parler de trois
12 témoins, de trois victimes, toutes nos questions ont donc été concentrées
13 sur d'autres questions, la crédibilité du témoin ou d'autres éléments du
14 dossier. C'est la raison pour laquelle, la défense estime que la
15 confirmation de l'existence d'un conflit armé dans ces deux municipalités,
16 Gacko et Kalinovik, n'a pas été démontrée de façon suffisante.
17 Et puis, il y a eu une deuxième ligne d'idées dans les commentaires de la
18 défense, s'agissant de confirmer l'existence d'un conflit armé, à savoir
19 toutes les questions liées aux conditions nécessaires pour prouver
20 l'existence d'un conflit armé et le lien entre ce conflit armé et les
21 actes des accusés, c'est-à-dire une éventuelle participation des accusés à
22 ce conflit armé.
23 Pour vous aider à me suivre dans mon propos, j'aimerais vous citer une
24 phrase du jugement que l'on trouve au paragraphe 5.6. La phrase commence
25 par les mots suivants: "Les conditions pour que les actes en question
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1 soient en liaison étroite avec le conflit armé..."
2 M. le Président: Excusez-moi, pouvez-vous me donner les références dans le
3 Jugement du paragraphe? Je n'ai pas très bien compris: 5.6.
4 M. Jovanovic (interprétation): 5.68.
5 M. le Président: 568, dirions-nous.
6 M. Jovanovic (interprétation): 68.
7 M. le Président: D'accord, d'accord. Oui, d'accord. Mes collègues y sont,
8 là? Oui, d'accord.
9 M. Jovanovic (interprétation): Je cite cette phrase, car la défense
10 considère que cette phrase est d'une importance tout à fait cruciale et
11 estime que c'est là que l'on trouve le fondement des conclusions tirées
12 par la Chambre de première instance.
13 Je lis donc la traduction officielle qui nous a été proposée, c'est la
14 traduction que nous avons reçue en BCS. Cette phrase se lit comme suit.
15 M. le Président: J'ai en même temps une interprétation en anglais. C'est
16 très bon pour faire des progrès en anglais, c'est vrai pour moi, mais ce
17 n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux. Si l'on pouvait… Vous avez la
18 même chose, je crois? Si l'on pouvait arranger cela. Cela dit, j'entends
19 bien l'interprétation française.
20 Bien. Veuillez essayer de reprendre. Allez-y, reprenez. On va voir.
21 M. Jovanovic (interprétation): Les conditions pour que les actes commis
22 soit en liaison étroite avec le conflit armé sont remplis lorsque, comme
23 dans le cas présent, avant l'interruption des opérations armées sur un
24 territoire déterminé, des actes ont été commis pour aller dans le sens
25 d'un but particulier ou obtenir un avantage dans les combats.
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1 La définition adoptée par la Chambre de première instance faisait valoir
2 plusieurs conditions qui étaient nécessaires, qui devaient être remplies
3 simultanément. Et l'absence de l'une quelconque de ces conditions
4 mentionnées dans le paragraphe aurait indiqué que tous les éléments
5 n'étaient donc pas présents ensemble. Ce que nous disons donc, c'est que
6 la Chambre de première instance a estimé que les sévices sexuels imposés à
7 certaines femmes faisaient partie d'un plan, d'une campagne visant la
8 population non serbe de Foca, de Gacko et de Kalinovik dans une certaine
9 période, dans une période déterminée. Et donc la question du plan se pose.
10 Mais si ce plan n'existe pas, si cette idée, cette intention n'existe pas
11 et si l'intention n'existe pas en particulier d'agir selon les modalités
12 qui sont décrites dans l'Acte d'accusation, on constate l'absence de tous
13 ces éléments qui permettraient à la Chambre de première instance de
14 prononcer son jugement.
15 Pourquoi est-ce que je dis cela? Parce que depuis le début de cette
16 affaire -et ceci a d'ailleurs été remarqué au début des propos de la
17 défense aujourd'hui-, on trouve la supposition, l'hypothèse qu'il existait
18 une attaque systématique et généralisée contre la population de Foca.
19 Attaque qui impliquait toute une série d'actions destinées à expulser la
20 population concernée de ce territoire. Je parle donc de la population non
21 serbe.
22 Nous avons examiné toutes les conditions qui étaient requises et nous
23 avons constaté que les accusés n'étaient pas accusés d'avoir détruit des
24 bâtiments du culte -non, pas du tout- ou d'avoir placé certaines personnes
25 en détention.
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1 En fait, leurs actes sont concentrés sur les sévices sexuels. Et pour que
2 ces actes, pour que ce qui leur est reproché, puissent être liés au
3 conflit armé, il fallait qu'existe un plan. Nous constatons que, durant le
4 procès et avant le procès, l'accusation a étudié la situation de Foca très
5 consciencieusement; mais, durant le procès, l'accusation n'a pourtant
6 soumis aucun document qui pourrait démontrer, de façon tout à fait claire
7 et sans conteste, l'existence d'un tel plan. Et je suis certain qu'il faut
8 que nous soyons justes jusqu'au bout dans cette affaire.
9 Donc nous admettons bien qu'il existe parfois des plans qui ne sont pas
10 mis par écrit, il y a des plans qui sont déterminés oralement, tout ne
11 doit pas toujours être consigné par écrit. Mais si à un plan participent
12 un très grand nombre de personnes, si à un plan participe une armée,
13 puisque dans le cas qui nous intéresse ce sont des membres d'une armée
14 régulière qui ont commis les actes dont il a été question au cours du
15 procès, ceci ne fait pas de question. Pour cela, il faut qu'il y ait des
16 traces qui existent et nous n'avons pas entendu un seul témoin, ni un
17 témoin de l'accusation ni un quelconque autre témoin, nous n'avons entendu
18 personne dire qu'à un moment quelconque, il ou elle aurait entendu ou
19 aurait eu connaissance de l'existence d'un plan consistant à utiliser le
20 viol comme une arme. Rien n'existe à cet égard, tout simplement. Et si
21 nous examinons ce plan plus avant, nous nous rendons compte que ce plan
22 devient de plus en plus bizarre.
23 Pourquoi un tel plan? Cette question devrait aussi obtenir réponse et n'a
24 pas obtenu une réponse. Pourquoi un tel plan a-t-il été dirigé contre
25 aucun habitant de la municipalité de Gacko, contre 20 habitants de la
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1 municipalité de Foca à peu près et contre 3 habitants de la municipalité
2 de Kalinovik? Mon confrère parlera plus en détail de ce point, mais, moi,
3 je le mentionne seulement pour indiquer que si ce plan existait réellement
4 en tant que plan, il eût été possible qu'il ne concerne qu'un groupe aussi
5 restreint de personnes, en fait, de femmes, n'est-ce pas.
6 Alors, pourquoi est-ce que ce plan a visé uniquement les ressortissants
7 d'une localité, à savoir Micaja et Trocen? Nous entendons ces deux
8 dénominations mais tous les témoins nous ont dit que, sur le plan
9 géographique, il ne s'agissait que d'une seule et même localité. Alors
10 pourquoi est-ce que ce plan a été appliqué à ce moment-là, une fois pour
11 toutes, et plus jamais pendant toute la durée de cette guerre qui a duré
12 tout de même un certain temps en Bosnie-Herzégovine?
13 Tant que les questions que je viens de poser n'obtiendront pas réponse, je
14 crains fort que les conclusions tirées quant au lien existant entre les
15 accusés et les actes criminels qui sont retenus contre eux et le lien avec
16 le conflit armé n'existent pas. Il faut que nous obtenions réponse à
17 toutes ces questions pour pouvoir nous prononcer sur cet aspect
18 particulier des choses.
19 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'en ai terminé avec le propos
20 qui était le mien sur ce point particulier.
21 M. le Président: Merci, Maître Jovanovic.
22 Maître Savatic -j'ai compris que c'était Me Savatic- va plaider sur
23 l'attaque généralisée et systématique contre la population civile. C'est
24 bien cela?
25 (Présentation des arguments de la défense par Me Savatic.)
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1 M. Savatic: Bien entendu, Monsieur le Président. Je vous remercie. Je
2 ferai mon exposé en français; que les traducteurs s'y adaptent.
3 M. le Président: Je ne suis pas contre. Vous pouvez commencer.
4 M. Savatic: Merci.
5 Pour que votre Tribunal, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, soit
6 compétent pour statuer, pour juger des "crimes contre l'humanité" au sens
7 de l'Article 5 du Statut, il faut donc que l'on soit en présence d'un
8 conflit armé comme vient de l'exposer mon estimé confrère, et qu'il y ait,
9 sous certaines conditions développées par la jurisprudence de votre
10 Tribunal, une attaque contre les populations civiles. Ces éléments ont
11 également été rappelés par l'accusation sous l'Article 3 du Statut, mais
12 comme j'y reviendrai par la suite, la position de la défense est d'exclure
13 ces tendances à l'accusation cumulative. Nous sommes ici dans le cadre de
14 l'Article 5 du Statut de votre Tribunal.
15 Ces questions ont été abordées, je dirai même largement, dans les actes de
16 procédure pour avoir une vue horizontale de ce que nous sommes en train
17 d'évoquer.
18 Le jugement évoque la question de l'attaque contre les populations civiles
19 aux pages 133 à 144 quant au principe applicable; on fait une application
20 aux faits de litiges aux pages 200 à 207.
21 Les pages 22 à 43 de l'Acte d'appel, en ce qui concerne à tout le moins M.
22 Kunarac, sont consacrés par la défense à cette question. Le Procureur
23 l'évoque dans le mémoire aux pages 18 à 29 et enfin, dans la réplique de
24 la défense, aux pages 8 à 14.
25 Il s'agit ici, lors de cette audience et ces débats oraux, de souligner
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1 certains faits saillants qui, pour l'ensemble des conseils de la défense,
2 semblent devoir être particulièrement attirés à l'intention de votre
3 Tribunal.
4 Comme l'a évoqué Me Jovanovic, le seul élément sur lequel il y a accord
5 c'est qu'il y a un conflit armé sur le territoire de la municipalité de
6 Foca.
7 Il y a un désaccord absolu quant à l'existence d'une attaque et donc dans
8 le cadre d'un conflit, d'une attaque qui serait dirigée de manière
9 répandue et systématique contre les populations musulmanes en général; ce
10 qui n'est absolument pas prouvé dans le cadre de la présente instance. Et
11 il y a également un désaccord absolu sur le point de savoir qu'il y ait
12 éventuellement une telle attaque dirigée contre les populations civiles
13 sur le territoire de la municipalité de Foca.
14 Pour qu'il y ait attaque contre les populations civiles, il faut donc,
15 selon la jurisprudence même de votre Tribunal établie -me semble-t-il- de
16 manière solide dans l'affaire Tadic, plusieurs critères cumulatifs. Il
17 s'agit donc d'une définition extensive et la charge de la preuve de chacun
18 de ces éléments repose, bien entendu, sur l'accusation. Il faut donc qu'il
19 y ait une attaque contre les populations civiles, que l'attaque soit
20 répandue et systématique et que l'auteur, qui fait partie de l'attaque,
21 n'ignore pas le contexte dans lequel entérinant cette attaque, c'est-à-
22 dire le fait que l'attaque est dirigée contre les populations civiles.
23 Il nous paraît également important de souligner, dans le cadre de cette
24 affaire, sur base de jurisprudence de votre Tribunal, que la population
25 contre laquelle l'attaque est dirigée, doit être définie par la
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1 juridiction et que c'est sur cette base qu'on estime effectivement si
2 l'attaque est bien répandue et systématique. Cette énonciation figure
3 "expressis verbis" au paragraphe 430 du jugement, dont appel, donc la
4 juridiction qui statue doit définir la population concernée. Je parlais de
5 ces faits saillants qui nous semblent devoir être attirés à votre
6 attention.
7 Il a été établi, dans la présente affaire, au-delà du doute raisonnable,
8 qu'il y a un conflit armé entre les forces musulmanes et les forces serbes
9 sur le territoire de la municipalité de Foca. L'on constate que les deux
10 parties sont prêtes à l'affrontement, les combats sont difficiles et
11 acharnés et le caractère armé des opérations est manifeste et
12 prépondérant.
13 L'accusation a affirmé -et ces considérations figurent aux pages 16 à 31
14 du jugement, le jugement les relate- que la population musulmane de Foca
15 aurait fait l'objet avant le début de l'hostilité de mesures
16 discriminatoires, que la liberté de mouvement des Musulmans aurait été
17 limitée, et puis, sans qu'il soit clair à ce stade si les événements qui
18 suivent devaient coexister ou ont été postérieurs aux opérations
19 militaires concernées, que les maisons musulmanes auraient fait l'objet de
20 destructions, que la propriété aurait été pillée, que la population
21 musulmane aurait été regroupée dans différents immeubles publics de la
22 ville, que l'ensemble des édifices religieux, d'ailleurs les mosquées,
23 auraient été détruits. Tout ceci devant constituer les indices concordant
24 d'une attaque contre la population civile musulmane. Les considérations
25 sur ce prétendu plan ont été évoquées par Me Jovanovic.
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1 Ce qui m'apparaît particulièrement important, c'est qu'aucun de ces faits,
2 à les supposer établis, même à les supposer établis, est constitutif d'une
3 attaque systématique contre la population musulmane, mais reprochés aux
4 accusés.
5 Les faits reprochés aux accusés ne participent en aucun cas d'une attaque
6 contre les populations civiles au sens de l'Article 5 du Statut. Et cela
7 est logique! Les trois accusés sont des soldats ayant participé à des
8 opérations militaires.
9 La Chambre de première instance le constate d'ailleurs, à juste titre -il
10 s'agit du paragraphe 569- de la décision même dont appel, est une libre
11 traduction de ce passage.
12 Selon la Chambre de première instance: "les trois accusés -dans leur
13 capacité de soldats- ont pris une part active dans la réalisation des
14 tâches militaires en luttant pour une des deux parties au conflit armé et
15 savaient donc qu'un conflit militaire était en cours".
16 Voici donc, selon le jugement dont appel même, la position et la
17 motivation des accusés, elle est dans l'adversité militaire, elle exclut
18 toute notion d'attaque contre les populations civiles. Et dans leurs
19 tâches, les trois accusés participent aux opérations militaires et n'ont
20 ni la volonté ni la conscience de participer à une attaque contre les
21 populations civiles.
22 A notre sens, le mens rea, l'élément moral de l'infraction, à cet effet,
23 fait défaut.
24 Et en conclusion de l'examen qui précède, la condition donc de la
25 conscience et de la volonté personnelle, l'intention des accusés de
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1 participer à une attaque contre les populations civiles, requise par la
2 jurisprudence de votre Tribunal, fait défaut.
3 La défense s'est insurgée à plusieurs reprises au cours de la présente
4 procédure contre l'attitude de l'accusation qui consisterait à tirer des
5 conclusions générales au départ des faits particuliers et limités.
6 Voyons donc à quoi se réduit l'étendue et le caractère systématique de
7 l'attaque.
8 La population civile concernée a été définie par le jugement dont appel.
9 Il s'agit de la population civile de la municipalité de Foca. C'est là
10 qu'existe un conflit armé.
11 L'unique événement, soumis au débat devant la Chambre de première instance
12 et qui a été examiné, est l'attaque des forces serbes contre le village de
13 Mesaja, plus précisément une partie du village de Mesaja qui s'appelle
14 Trosajn.
15 La raison de l'attaque des forces serbes, la justification, était la
16 présence des forces armées musulmanes dans ce village. Il y a eu une
17 attaque militaire, il y a eu plusieurs victimes civiles au cours de cette
18 attaque. Selon l'expression bien consacrée, me semble-t-il, il s'agit d'un
19 dommage collatéral; il y a des civils qui s'y trouvent, il y a des
20 victimes civiles au cours de cette attaque militaire.
21 Et je souligne, le débat devant la Chambre de première instance porte
22 -quant aux actions militaires- sur l'attaque contre le village de Mesaja
23 et sa partie Trosajn.
24 Il est tout à fait symptomatique, nous semble-t-il, que l'ensemble des
25 victimes alléguées des viols pour le territoire concerné, à une exception
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1 -l'exception c'est le témoin FWS-183-, sont de Mesaja, et même de la
2 partie Trosajn.
3 Voici donc selon les éléments soumis au débat, voici ce qui a été examiné
4 pour soutenir qu'il y ait eu, sur le territoire de la municipalité de
5 Foca, une attaque répandue et systématique contre les populations civiles.
6 Et la position de la défense est donc qu'il n'y a pas eu d'attaque
7 répandue et systématique au regard de la population, même telle que
8 définie par la Chambre de première instance.
9 Il y a encore plus, je me réfère à cet effet au paragraphe 3.21 du mémoire
10 de l'accusation où l'accusation constate qu'il n'est pas clair si la
11 Chambre de première instance a établi le caractère répandu de l'attaque
12 mais que l'établissement du caractère systématique suffit au regard de
13 l'Article 5 puisque la revendication est cumulative et non pas cumulative.
14 Autrement dit, il faut que l'attaque -et l'accusation analyse les
15 paragraphes 570 et 578 du jugement dont appel-, il faudrait donc un
16 caractère répandu ou systématique.
17 Et donc à partir du moment où l'on établirait que l'attaque soit répandue
18 ou systématique, cela suffit pour asseoir votre compétence sur la base de
19 l'Article 5 du Tribunal.
20 L'accusation, elle-même, constate que la Chambre de première instance n'a
21 pas été claire sur ce point.
22 Pour ce qui est de la défense, il nous semble de bon sens, logique, si on
23 veut raisonnablement interpréter la jurisprudence dans l'affaire Tadic,
24 que l'attaque doit être répandue et systématique.
25 Sans pousser à la caricature, il est concevable d'attaquer à plusieurs
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1 reprises, de manière systématique un hameau, un village, une partie d'un
2 village. Cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait une attaque répandue
3 et que nous nous trouvons en présence d'un comportement que le Statut,
4 l'Article 5 du Statut a l'intention, a pour objectif de sanctionner.
5 En définitive, on en est réduit, quant à la constatation de l'attaque
6 étendue systématique, à faire de l'exégèse, me semble-t-il, et cela
7 prouve, à notre sens, insuffisance, le malaise qu'a eu la décision, dont
8 appel, quant à la constatation de ces conditions.
9 J'en arrive maintenant, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, à la
10 question suivante, selon l'exposé que vous nous avez rappelé…
11 M. le Président: Attendez. Avant la question suivante, Maître Savatic, je
12 voudrais…
13 Nous avons traité trois points. Je voudrais quand même demander à mes
14 collègues si sur les trois premiers points, avant que…
15 M. Savatic: Bien entendu, Monsieur.
16 M. le Président: … ce qui a été dit ne s'altère quelque peu, je voudrais
17 savoir si mes collègues ont des questions à poser à l'un des… Donc vous
18 pouvez vous rasseoir pour l'instant, Maître Savatic.
19 M. Savatic: Je vous remercie.
20 M. le Président: Je vais me retourner vers mes collègues. Si vous avez
21 des…
22 Bien, j'ai un de mes collègues qui posera des questions, mais un peu plus
23 tard.
24 Monsieur le Juge Meron, vous voulez poser des questions, peut-être, sur
25 l'une des trois premières interventions. Allez-y.
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1 M. Savatic: Nous prendrons, nous ferons une pause à 11 heures.
2 M. le Président: Monsieur le Juge, allez-y. Branchez votre micro.
3 M. Meron (interprétation): Je vous prie de m'excuser, je suis en train de
4 lutter contre la grippe.
5 Mais je voudrais en premier lieu remercier les conseils de la défense pour
6 leur intervention très intéressante et, après les avoir écoutés, je
7 voudrais leur demander la chose suivante.
8 Est-ce que vous maintenez la position qui figure, par exemple, dans le
9 mémoire de M. Kunarac au sujet du lien de causalité avec le conflit armé
10 qui est défini de la manière suivante: une des questions fondamentales,
11 c'est de savoir si les faits pertinents auraient pu être perpétrés même
12 s'il n'y avait pas eu les conditions réunies pour un conflit armé.
13 Et donc, ma question est la suivante: est-ce que vous maintenez cette
14 position au sujet de la causalité, au sujet du lien de causalité, vu ce
15 que vous nous avez dit dans le cadre de vos interventions orales?
16 J'aurais donc peut-être une question éventuelle à vous poser, une question
17 supplémentaire suite à vos réponses.
18 M. Prodanovic (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, nous maintenons ce
19 que nous avons dit dans notre mémoire.
20 M. Meron (interprétation): Monsieur le Président, je vais me permettre de
21 poser une question, pour rebondir suite à cette réponse.
22 Imaginons que nous soyons dans un Etat de conflit armé. Vous avez un
23 certain nombre de soldats qui entrent dans une école, dans un pays qui
24 n'est pas le leur, et qui tirent sur des enfants. Comparons cela à la
25 situation suivante: vous avez des soldats qui, en temps de paix, sont en
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1 permission; ils ne sont pas à la caserne, donc ces soldats sont un petit
2 peu en vadrouille. Ils entrent dans une école et ils tirent sur des
3 enfants dans cette école.
4 Est-ce que ceci ne montre pas que le même type d'acte, le même type de
5 comportement, s'il est perpétré en temps de paix, peut être considéré
6 comme un crime de droit commun qui relève du droit commun du pays en
7 question, et que si ce même acte est perpétré pendant la guerre il s'agit
8 d'un guère crime de guerre? Et si vous estimez que cela est exact, est-ce
9 que je pourrais avoir vos observations, parce que cela permettrait aux
10 Juges de bien saisir toute la portée des questions que nous avons à
11 traiter?
12 M. Prodanovic (interprétation): Le problème, quand on parle d'un conflit
13 armé, c'est que nous, nous n'avons pas établi l'existence d'un conflit
14 armé et l'application de l'Article 5, elle dépend de l'existence d'un
15 conflit armé.
16 Nous ne contestons pas ce que vous nous dites, Monsieur le Juge. Les deux
17 actes que vous avez décrits, ce sont des crimes; qu'ils aient été commis
18 en temps de paix ou en temps de guerre. Nous avons d'un côté un crime de
19 droit commun, et de l'autre côté un crime de guerre.
20 Mais pour bien saisir l'interprétation adéquate de l'Article 5, il faut
21 savoir qu'on ne peut pas parler d'un crime de guerre s'il n'y a pas de
22 conflit armé. Parce que pour dire la vérité, dans notre législation, les
23 crimes commis en temps de paix sont sanctionnés moins sévèrement que ceux
24 qui sont commis en temps de guerre; ça, c'est la différence.
25 M. Meron (interprétation): Monsieur le conseil de la défense, est-ce que
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1 vous pourriez nous donner votre position en ce qui concerne donc le lien
2 en causalité entre ceci, mais pour ce qui est de l'Article 3, "Lois et
3 coutumes de la guerre"?
4 M. Prodanovic (interprétation): Eh bien, c'est justement la question qui
5 va être abordée par mon confrère en ce qui concerne les Articles 3 et 5.
6 Dans nos écritures, nous avons développé nos arguments à ce sujet, mais la
7 réponse vous sera fournie par mes confrères dans le cadre de leurs
8 interventions.
9 M. Meron (interprétation): Merci beaucoup de votre réponse.
10 M. le Président: Monsieur le Juge Shahabuddeen?
11 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Prodanovic, premièrement, en ce
12 qui concerne les faits, pour l'instant, on semble nous dire la chose
13 suivante: oui, il y a effectivement eu conflit armé à Foca, mais pas à
14 Gacko et pas à Kalinovik.
15 J'ai sous les yeux le jugement rendu par la Chambre de première instance
16 et je me rapporte au paragraphe 22. Peut-être serait-il utile que vous
17 consultiez vous-même ce paragraphe 22?
18 Au milieu de ce paragraphe, vous constaterez que l'on fait référence au
19 fait que, oui, effectivement, il y avait un conflit armé à Foca. Ensuite,
20 on nous dit la chose suivante, à peu près au milieu du paragraphe -je
21 cite-: "Entre la fin du mois de juin et le début du mois de juillet 1992,
22 Gacko et les villages environnants ont été attaqués exactement de la même
23 façon. Dans certains cas, il n'y a pas eu de combat du tout, comme par
24 exemple au village de Trnovace et à Trbusce, au sud de Foca, à la fin de
25 juin 1992, à Kalinovik au début août 1992, etc." (Fin de citation.)
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1 Donc ce que fait le jugement de la Chambre de première instance me semble
2 être la chose suivante: ils nous ont dit: "Oui, il y a eu conflit armé à
3 Foca et il y a eu également conflit armé à Gacko". Mais on nous dit dans
4 le jugement qu'il n'y avait pas de combat à Kalinovik.
5 Est-ce que vous contestez ces conclusions sur les faits?
6 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Juge, cela c'est quelque chose
7 que nous n'avons pas établi: nous n'avons pas établi si, oui ou non; il y
8 a eu des combats à Gacko ou à Kalinovik. C'est justement sur ce point que
9 repose notre objection. Nous avons voulu poser des questions pour explorer
10 la chose, mais on nous a empêchés de le faire parce qu'on nous a dit que
11 nos questions n'avaient aucune pertinence.
12 Donc pour que les choses soient tout à fait limpides, s'il y a eu viol,
13 s'il y a eu un crime de viol, nous, nous souhaitons prouver qu'il
14 s'agissait d'un crime de droit commun et d'un crime qui n'entrait pas dans
15 le cadre du conflit armé, qu'il ne s'agissait donc pas d'un crime de
16 guerre.
17 Voici ce que nous essayons de prouver.
18 M. Shahabuddeen (interprétation): Puisque vous êtes debout, je vais vous
19 poser une question supplémentaire. Mais c'est surtout aussi pour profiter
20 de l'esprit de coopération dont vous faites preuve envers la Chambre
21 d'appel.
22 Je souhaiterais donc vous poser la question suivante: comment réagissez-
23 vous à l'affirmation selon laquelle un lien de causalité avec le conflit
24 armé doit être prouvé, doit être établi pour un crime relevant de
25 l'Article 3, mais que cela ne doit pas être établi…
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1 Il me semble que vous ayez un problème technique?
2 M. Prodanovic (interprétation): Je vous prie de m'excuser, mais il y avait
3 un bruit intempestif dans mes écouteurs. Pourriez-vous répéter votre
4 question, s'il vous plaît?
5 M. Shahabuddeen (interprétation): Comment réagiriez-vous à l'affirmation
6 selon laquelle il faut établir un lien de causalité avec le conflit armé
7 pour ce qui est d'une infraction relevant de l'Article 3, mais pas pour ce
8 qui est d'une infraction relevant de l'Article 5? Et que, dans ce cas-là,
9 en ce qui concerne les crimes relevant de l'Article 5, tout ce qu'il
10 convient d'établir, c'est qu'il y a eu conflit armé au sens de la
11 compétence?
12 M. Prodanovic (interprétation): C'est une question qui se rapproche de
13 celle qui m'a déjà été posée.
14 Nous contestons, quant à nous, le fait que l'on puisse considérer que
15 l'accusé puisse être tenu responsable du même acte au titre de deux
16 articles. Mes confrères vont vous expliquer que nous estimons, quant à
17 nous, que les deux articles ne peuvent pas ensemble s'appliquer à une
18 seule et même action. Parce que cela veut dire qu'une personne ou un
19 accusé est reconnu coupable à deux reprises, au titre de l'Article 3 et au
20 titre de l'Article 5. Mes confrères vont intervenir à ce sujet plus avant.
21 M. Shahabuddeen (interprétation): Dernière question. Il me semble, voyez-
22 vous, que les Juges de première instance, dans leur jugement, ont adopté
23 le raisonnement suivant. Ils nous disent: "Oui, il y avait conflit armé en
24 Bosnie-Herzégovine"; donc il n'est pas justifié de se demander s'il y
25 avait un conflit armé à Foca, à Gacko ou à Kalinovik, que cela n'est pas
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1 pertinent.
2 Que répondez-vous à cela?
3 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Juge, avant l'ouverture du
4 procès, nous avons eu de longues négociations avec nos éminents collègues
5 du Bureau du Procureur. Nous avons dû établir une liste des faits sur
6 lesquels nous étions d'accord, des faits admis. C'était l'objet des
7 discussions que nous avons eues.
8 A ce moment-là, l'accusé Kunarac ne se voyait reprocher que des faits
9 commis sur le territoire de Foca. Ultérieurement, l'Acte d'accusation a
10 été modifié et on a ajouté d'autres chefs d'accusation à son encontre pour
11 d'autres faits. Ensuite, on a vu arriver les accusés Vukovic et Kovac. A
12 ce moment-là, il n'était plus question de conflit armé; il n'était pas
13 nécessaire d'établir l'existence d'un conflit armé sur le territoire de la
14 municipalité de Foca.
15 Peut-être d'ailleurs, aurions-nous dû discuter pour savoir si,
16 effectivement, il y avait eu un conflit armé en Bosnie-Herzégovine. Parce
17 que, très franchement, j'habite là-bas, mais je ne peux pas vous dire moi-
18 même si la totalité du territoire de Bosnie-Herzégovine était touché par
19 le conflit armé.
20 M. Shahabuddeen (interprétation): Une dernière question, si vous me le
21 permettez.
22 Je vous demanderai de bien réfléchir au crime contre l'humanité au titre
23 de l'Article 5.
24 C'est peut-être Me Jovanovic qui souhaitera répondre à ma question. Donc,
25 si vous me le permettez, Maître Prodanovic, je vais me tourner pour cette
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1 question vers Me Jovanovic.
2 Imaginons qu'il soit possible d'établir la chose suivante: qu'il y ait
3 donc eu une attaque contre une population civile. Si j'ai bien compris,
4 vous vous posez la question de savoir s'il faut donner la preuve d'une
5 attaque généralisée et systématique. Imaginons que vous ayez raison,
6 imaginons que tout ceci soit établi. Imaginons donc cela et qu'il y ait eu
7 une attaque à l'encontre de la population civile, une attaque à la fois
8 généralisée et systématique. Et partant du principe également que l'on n'a
9 pas pu prouver qu'il y avait un plan, alors dans ces conditions, est-ce
10 que vous diriez qu'il y a eu crime contre l'humanité ou pas?
11 Parce que nous avons tous les éléments constitutifs nécessaires qui sont
12 prouvés, à l'exception de quelque chose dont vous nous dites qu'il faut
13 que ce soit prouvé, qu'il faut que ce soit un élément, à savoir un plan,
14 un plan établi, plan prouvé. Dans ces conditions, dans les conditions que
15 je viens d'élaborer, est-ce que vous nous diriez que l'on a déterminé
16 qu'il y a eu crime contre l'humanité?
17 M. Jovanovic (interprétation): Monsieur le Juge, moi je vais vous dire ce
18 que je pense personnellement au sujet de ce qui s'est passé. Les motifs et
19 les raisonnements que je vous ai présentés ne sont pas mes opinions sur ce
20 qui s'est passé et sur la question de savoir s'il y a eu crime contre
21 l'humanité ou non.
22 Mes arguments avaient trait au point de vue qui est présenté dans le
23 jugement, avaient trait aux conclusions auxquelles on est arrivé dans le
24 jugement. Et au Tribunal, tous ces éléments doivent être prouvés pour que
25 l'on puisse parler de "crime contre l'humanité". Mon opinion personnelle
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1 peut fort bien différer de celle qui est exprimée dans le jugement mais
2 moi, en tant qu'avocat, je suis là pour présenter les arguments de la
3 défense qui vont dans un sens différent de ce qui figure dans le jugement,
4 et c'est dans cet esprit que j'ai présenté mon argumentation.
5 Quand je parlais de plan, je faisais référence à ce qui figurait dans le
6 jugement, aux motivations qui figurent dans le jugement et où on nous dit
7 que tous ces événements doivent être prouvés. Moi, je me suis contenté de
8 dire qu'il n'y avait pas de preuve en ce qui concernait l'existence de
9 l'un de ces éléments.
10 M. Shahabuddeen (interprétation): Oui, je comprends parfaitement la
11 position qui est la vôtre en tant que conseil de la défense mais je
12 souhaiterais vous demander également d'essayer de comprendre la position
13 d'un Juge. Vous faites une argumentation sur la base d'une théorie et donc
14 moi, ce que j'essaie de voir, c'est jusqu'où, à quel point cette théorie
15 peut tenir, en vous posant une question pour voir jusqu'où on peut
16 continuer dans cette logique, dans la logique que vous nous avez présentée
17 dans votre argumentation.
18 M. le Président: Maître Prodanovic, faites un point factuel pour
19 m'éclairer, s'il vous plaît. Il semble que vous habitez dans cette région.
20 Ces municipalités sont très éloignées les unes des autres?
21 M. Prodanovic (interprétation): Non, Monsieur le Président, ce sont des
22 municipalités qui se touchent, qui ont des frontières communes.
23 M. le Président: La notion de municipalité est une notion purement
24 administrative qu'on appellerait une "commune" en quelque sorte?
25 M. Prodanovic (interprétation): Oui, oui. Une municipalité recouvre un
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1 territoire d'une certaine superficie et vous avez la ville qui représente
2 le centre de la municipalité. Et puis, il y a des villages qui sont
3 compris également sur ce territoire.
4 M. le Président: Ces deux villages de Gacko et Kalinovik font partie de la
5 municipalité de Foca ou sont deux municipalités distinctes?
6 M. Prodanovic (interprétation): Non, Monsieur le Président, il s'agit de
7 municipalités indépendantes.
8 Pour que vous compreniez mieux, disons qu'avant la guerre la Bosnie-
9 Herzégovine comptait 108 municipalités. En tout: 108. Et Foca, Gacko et
10 Kalinovik faisaient partie de ces municipalités. Il s'agit de trois
11 municipalités différentes.
12 M. le Président: Et qui se touchent les unes aux autres? Elles sont très
13 proches?
14 M. Prodanovic (interprétation): Oui, oui.
15 M. le Président: Diriez-vous donc que la notion de "conflit armé", vous
16 l'appliquez différemment selon qu'il s'agit de conflit armé pour toute la
17 Bosnie ou pour une municipalité, ou pour une partie d'une mucipalité, ou
18 même pour une partie d'un village? Vous scindez la notion? Vous estimez
19 qu'il faut exiger dans votre défense que la notion de conflit armé soit
20 très précisément à l'endroit exact où les crimes auraient été commis, est-
21 ce que c'est cela votre position?
22 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Président, mon interprétation
23 de l'Article 5 c'est qu'il faut qu'il y ait un conflit armé à l'endroit où
24 le crime a été commis. Dans mon interprétation, pour que le crime de viol
25 soit considéré comme un crime de guerre, il faut qu'il y ait conflit armé
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1 et attaque systématique et généralisée. Si ces éléments ne sont pas là, à
2 ce moment-là nous parlons d'un crime de droit commun pour ce viol. Moi,
3 c'est la façon dont j'interprète l'Article 5 du Statut.
4 M. le Président: Monsieur le Juge Güney.
5 M. Güney: J'ai une question à Me Jovanovic.
6 Dans le cadre de l'existence d'un conflit armé et le lien entre le conflit
7 et le comportement criminel, que vous avez bien voulu traiter, un plan
8 préétabli est-il un élément sine qua non de l'existence d'un comportement
9 criminel? Je voudrais avoir votre opinion là-dessus.
10 M. Jovanovic (interprétation): Monsieur le Juge, personnellement je pense
11 qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu un plan préétabli qui ait été
12 défini dans tous ces détails pour savoir ce qu'il faut faire, qui
13 exactement va réaliser quelle partie du plan, etc.
14 En fait, les choses peuvent se dérouler de façon plus désordonnée,
15 beaucoup plus chaotique, de façon très variée, mais le simple fait que
16 quelque chose se produise ne signifie pas, à lui seul, pour dire qu'il y a
17 eu un plan. Or, ici nous parlons d'un plan. Plan qui avait pour objectif
18 de mettre en œuvre un certain nombre d'actes pour expulser la population
19 non serbe d'un territoire donné.
20 Moi, je pense qu'il n'y avait pas de plan qui prévoyait le comportement et
21 les activités de chacun, ou du moins cela n'est pas nécessairement à
22 établir, mais il faut au moins qu'il y ait un plan général qui définisse,
23 au moins en général, les fonctions de chacun: qui doit faire quoi et faire
24 rapport à qui. Il faut au moins qu'il y ait des éléments d'un plan, même
25 si ce n'est qu'une ébauche de plan, pour qu'il y ait un plan.
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1 Je le répète, le simple fait que quelque chose se produit ne signifie pas
2 en soi qu'effectivement les choses se sont produites parce qu'il y avait
3 plan.
4 M. le Président: Bien. Merci, Maître Jovanovic.
5 Oui, Maître Kolesar, vous vouliez intervenir? Vous me rappelez votre nom?
6 M. Kolesar (interprétation): Oui, je m'appelle Momir Kolesar.
7 Si vous le permettez, je souhaiterais intervenir pour apporter un
8 éclairage au sujet de ce dont nous parlons.
9 Dans le cadre de notre travail avec le Bureau du Procureur, avant
10 l'ouverture du procès, dans le cadre de la mise en état, nous nous sommes
11 mis d'accord sur les faits établis et non contestés, à savoir qu'il y
12 avait conflit armé entre le groupe ethnique des Serbes et le groupe
13 ethnique des Musulmans -tout cela en tant que groupes- sur le territoire
14 de Foca.
15 Au cours du procès, la Chambre de première instance n'a pas eu l'intention
16 d'établir cela et cela n'a pas fait l'objet de débats ou de discussions
17 supplémentaires. Ça, c'est une chose.
18 Et deuxième chose, c'est que le conflit armé sur le territoire de Foca
19 entre les deux groupes ethniques, c'est une chose, mais c'est différent du
20 fait de prouver qu'il y a eu relation de cause à effet entre cela et les
21 actes des accusés tels qu'ils nous sont présentés par l'accusation.
22 Je ne sais pas si mon intervention vous a été utile?
23 M. le Président: Oui, tout à fait, Maître Kolesar. Merci beaucoup.
24 Il est 11 heures, nous allons faire une pause. Nous reprendrons nos
25 travaux à 11 heures 30.
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1 L'audience est suspendue.
2 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 26.)
3 M. le Président: L'audience est reprise. Veuillez vous asseoir.
4 Faites entrer les accusés, s'il vous plaît.
5 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)
6 Merci. Nous reprenons pour une heure. Pardon, il nous manque un accusé.
7 (Le dernier accusé est introduit dans le prétoire.)
8 Bien. Asseyez-vous.
9 (L'accusé s'assoit.)
10 Nous allons reprendre pour une heure environ.
11 Je donne la parole maintenant à l'intervenant, Me Savatic, à nouveau.
12 M. Savatic: Merci, Monsieur le Président.
13 J'en arrive à la question des accusations cumulatives, tant à ce qu'on
14 appelle en anglais "les accusations cumulatives 'inter articles'"; ou ce
15 qui pourrait être en français qualifié de "cumul vertical", c'est-à-dire
16 une accusation et condamnation pour le même crime sur base des deux
17 dispositions de Statut, en l'occurrence l'Article 3 et l'Article 5 du
18 Statut, et aussi la question du "cumul horizontal" -ou en anglais "inter-
19 article"-, l'accusation et condamnation pour deux crimes distincts sur
20 base de même comportement en application de l'Article 5 et/ou de l'Article
21 3 du Statut.
22 Ces questions à haute contenance juridique ont été examinées dans les
23 actes de procédure. Il est question des pages 195 à 199 du jugement dont
24 appel, dans l'Acte d'appel aux pages 98 à 101. L'accusation les traite aux
25 pages 139 à 149 du mémoire de l'accusation, et la défense y revient dans
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1 la réplique aux paragraphes 6.54 et 6.55. Je vise ici notamment la
2 réplique concernant les accusés Kunarac et Kovac.
3 Sur le plan des principes, il y a eu jurisprudence de votre Tribunal dans
4 l'affaire Delalic ou Celebici. Je vise le jugement de la Chambre d'appel
5 du 20 février 2001, et notamment les paragraphes 412 et 413 dudit jugement
6 dont je dispose, en langue anglaise, il me semble utile d'en citer le
7 passage le plus relevant.
8 Sur la question donc des accusations cumulatives, la Chambre a décidé que
9 "multiple criminal convictions"…
10 M. Savatic (interprétation): …que des condamnations multiples prononcées
11 en vertu de dispositions différentes du Statut mais basées sur le même
12 comportement sont autorisées uniquement si chaque disposition statutaire
13 concernée contient un élément matériel distinct qui n'est pas contenu dans
14 l'autre disposition.
15 M. Savatic: On vise en effet le test qui doit être conduit par la Chambre
16 sur l'existence des conditions matérielles ou non.
17 M. Savatic (interprétation): Ceci devrait se faire en vertu du principe
18 selon lequel la condamnation prononcée en vertu de cette disposition doit
19 être maintenue.
20 M. Savatic: Que le cas Furundzija ait de l'importance dans la présente
21 espèce dans la mesure où il établit que tout acte de viol est
22 nécessairement une atteinte à la dignité de la victime, la défense estime
23 que, dans cette mesure, il est établi. La jurisprudence de votre Tribunal
24 a admis un concours idéal d'infraction, a admis le principe d'absorption
25 de la peine plus faible par la peine plus forte ou le principe "lex
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1 consumens derogat legi consultem".
2 Le "cumul vertical", en premier lieu, c'est-à-dire l'application cumulée
3 en l'occurrence de l'Article 5 et de l'Article 3, dans la motivation qui
4 précède la conclusion sur la question du cumul dans l'affaire Delalic, a
5 été examiné par le Tribunal la question du concours d'infraction dans un
6 système juridique différent. Il a notamment été question de la situation
7 en Allemagne, en Zambie et aux Etats-Unis. Je vise ici la motivation qui
8 précède la "ratio decidendi" sur ce point dans l'affaire Delalic.
9 Le principe selon lequel une disposition spéciale l'emporte sur une
10 disposition générale, c'est-à-dire la "lex specialis derogat lex generali"
11 semble avoir échappé à ce raisonnement.
12 Et la position de la défense est que l'application de ce principe sur la
13 question du cumul n'a pas été, à notre connaissance, jusqu'à présent
14 examinée dans la jurisprudence du Tribunal.
15 Pourtant, un des principes de base de tout droit pénal et qui n'est pas de
16 stricte interprétation… pardon, et que le droit pénal est de stricte
17 interprétation, bien entendu, dans le sens où il n'y a pas de peine à
18 défaut de sanction définie par la loi "nullum crimen sine lege" et que
19 l'interprétation extensive des termes d'une qualification pénale est à
20 proscrire.
21 L'application logique de ce principe en document de base d'une institution
22 judiciaire, tel le Statut de votre Tribunal, devrait être qu'au sein du
23 même Statut, une disposition spécifique doit être préférée à la
24 disposition à portée générale voire exemplative; et, en l'occurrence, le
25 Statut contient une disposition visant spécifiquement les faits reprochés
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1 aux accusés.
2 Il s'agit de l'Article 5 sous l'intitulé "crime contre l'humanité", selon
3 lequel le Tribunal international est habilité à juger les personnes
4 présumées responsables des crimes suivants lorsqu'ils ont été commis au
5 cours d'un conflit armé de caractère international ou interne et dirigé
6 contre une population civile quelle qu'elle soit. Donc les crimes suivants
7 figurent sous C) la réduction en esclavage, figurent sous F) la torture et
8 figurent sous G) le viol.
9 A supposer donc, à notre sens, que ces faits soient établis, l'application
10 de cette disposition devrait prévaloir sur toutes autres.
11 L'application vantée par l'accusation du test dégagé par la jurisprudence
12 Delalic nous paraît -je dirai à titre principal- inutile en l'espèce, il
13 eût suffi d'appliquer la disposition spéciale. A titre subsidiaire, elle
14 nous paraît de toute manière inexacte, l'application de ce test, telle que
15 faite par la Chambre d'appel puisque, tant le lien rapproché avec le
16 conflit armé et les actes de l'accusé requis par l'Article 3, que le
17 caractère systématique et répandu de l'attaque contre la population
18 civile, requis par l'Article 5 et qui ont été analysés par la décision,
19 dont appel, comme éléments matériels distincts impliquent nécessairement
20 l'existence d'un conflit armé. Et les termes "le conflit armé" figurent
21 même "expressis verbis" dans l'Article 5.
22 J'en reviens peut-être sur ce point à la question qui a été posée tout à
23 l'heure par son excellence le Juge Meron. La position de la défense dans
24 cette affaire est qu'il n'existe pas, en l'occurrence pour les faits
25 reprochés aux accusés, d'éléments matériels distincts quant à l'analyse
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1 des deux dispositions et que c'est la disposition spéciale, c'est-à-dire
2 l'Article 5, qui définit de manière expresse les infractions visées qui
3 doivent prévaloir.
4 La position de la défense quant à l'application de ces principes au cas
5 d'espèce est donc que si l'accusation peut procéder à des accusations par
6 le "cumul vertical", c'est-à-dire accuser pour le même crime sur base de
7 deux dispositions, la condamnation sur cette base n'est pas possible.
8 La plupart des accusations, je me réfère ici au jugement, les n°4 à 11 du
9 jugement, qui les énumère, la plupart des accusations contre les trois
10 accusés reposent donc sur ce cumul vertical et ont été faites à la fois
11 sur la base de l'Article 3 et de l'Article 5.
12 Nous estimons donc à titre principal que la décision, dont appel, doit
13 être annulée pour erreur d'application de droit. La défense estime qu'il
14 n'est pas possible d'établir à l'analyse de la décision, dont appel, dans
15 la motivation de cette décision; sur quelle base la Chambre de première
16 instance a tranché, a-t-elle appliqué l'Article 3 ou l'Article 5.
17 Et, à titre subsidiaire, si votre Chambre devait estimer que le
18 raisonnement, que la motivation de la première décision peut être suivie,
19 nous demandons donc l'annulation de tous les chefs d'accusation où la
20 culpabilité a été retenue sur base d'une disposition autre que l'Article
21 5, dispositions spéciales en l'occurrence.
22 Pour ce qui est de la question du "cumul horizontal", la situation où
23 l'accusation et condamnation pour deux crimes distincts sont demandées sur
24 base d'un même comportement criminel, en application de l'Article 3 et
25 voire ou de l'Article 5.
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1 La position de la défense est que ni inculpation ni condamnation ne sont
2 possibles de cette manière car il serait choquant qu'un même comportement
3 puisse aboutir à plus d'une condamnation. Nous sommes donc dans
4 l'hypothèse d'une situation où un même comportement constitue plusieurs
5 infractions.
6 Dans certaines législations, cette situation est visée de manière expresse
7 dans la législation pénale, ainsi qu'en droit belge on parlera du
8 "concours idéal d'infraction". Je cite l'Article 65 à titre d'exemple du
9 code pénal belge: "Lorsqu'un même fait constitue plusieurs infractions, la
10 peine la plus forte sera seule prononcée." (Fin de citation.)
11 Selon la jurisprudence Delalic, une situation analogue existe en droit
12 allemand, également aux Etats-Unis. L'infraction plus grave absorbe donc
13 l'infraction moins grave. Il s'agit d'autant d'exemples d'une politique
14 criminelle qui vise à écarter tout risque de double condamnation pour le
15 même fait. Et, bien entendu, ce souci participe également de la
16 jurisprudence du Tribunal; il a été affirmé par la Chambre d'appel dans le
17 cas Delalic -je cite-:
18 M. Savatic (interprétation): "Le fait que le comportement d'un accusé peut
19 légitimement être qualifié, sur le plan du droit, comme constituant
20 plusieurs infractions, ne surmonte pas ou ne démet pas le principe
21 fondamental selon lequel il ne peut pas être puni plus d'une fois pour un
22 même comportement".
23 M. Savatic: Et dans l'affaire Delalic, le conseil de la défense s'est
24 retrouvé à face à un dilemme: il a exposé à l'audience que le même
25 comportement en l'occurrence constituait de voir plusieurs infractions,
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1 mais face à un statut qui ne définit pas le catalogue des peines selon les
2 infractions distinctes, il n'a pas été dans la mesure d'avancer la méthode
3 de fonctionnement de ce principe d'absorption; il ne pouvait pas définir
4 la sanction plus forte qui devait donc absorber la sanction la plus
5 faible. D'où la nécessité, selon la jurisprudence Delalic, d'un test
6 consistant à déterminer, pour autoriser ou non l'accusation cumulative, si
7 les infractions reprochées à l'accusé sur base d'un même comportement ont
8 un élément matériel distinct ou non.
9 En l'espèce, la Chambre de première instance a, selon la défense, appliqué
10 erronément le test de la jurisprudence Delalic. Les accusés Kunarac et
11 Vukovic ont été condamnés du chef de la torture et du viol, en raison d'un
12 même comportement. Il s'agit des Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 11 et 12
13 pour l'accusé Kunarac, les Chefs d'accusation 33, 34, 35 et 36 pour
14 l'accusé Vukovic.
15 La défense a pu pourtant, nous semble-t-il, exposer clairement que "la
16 torture requiert l'intention de l'agent de causer une souffrance physique
17 ou mentale et que la preuve de cet élément matériel, distinct de la
18 torture par rapport à l'infraction de viol, n'a pas été apportée par
19 l'accusation. Le viol en l'occurrence absorbe le crime de la torture.
20 L'accusé Kovac a été condamné du Chef de la "réduction en esclavage, de
21 l'atteinte à la dignité personnelle et du viol", du chef d'un même
22 comportement à l'égard des mêmes personnes. Il s'agit des Chefs
23 d'accusation 22, 23, 24 et 25.
24 La défense de l'accusé Kovac a pu exposer pourtant que, selon la
25 jurisprudence dans le cas Furundzija, le viol constitue nécessairement une
Page 79
1 atteinte à la dignité personnelle et absorbe donc une accusation distincte
2 du chef de ces dernières, de l'atteinte à la dignité personnelle. Que la
3 réduction en esclavage étant, par hypothèse, motivée par la volonté
4 d'obtenir le contrôle sur la sexualité d'une personne, la réduction en
5 esclavage absorbe à son tour celle de viol.
6 Ce principe est également consacré par certaines législations
7 particulières. Je reviens à nouveau, à titre d'exemple, à l'article 65 du
8 Code pénal belge, selon lequel: "lorsque différentes infractions soumises
9 simultanément au même juge constituent la manifestation successive et
10 continue de la même intention délictueuse, la peine la plus forte sera
11 seule prononcée". (Fin de citation.)
12 Nous estimons donc que, dans la mesure où le test Delalic a été erronément
13 appliqué par la Chambre d'appel, que les éléments matériels distincts
14 d'une infraction par rapport à l'autre ou aux autres n'ont pas été
15 démontrés, que c'est cette décision qui erre en droit et qu'elle doit être
16 annulée pour erreur de droit.
17 A titre de conclusion générale sur la question du cumul, la défense
18 s'interroge également sur l'utilité d'un test susceptible de confirmer les
19 accusations distinctes, susceptible de confirmer les accusations
20 distinctes pour le même fait, sachant déjà que le Tribunal veille à ce
21 qu'il n'y ait pas double condamnation pour le même fait.
22 Et il nous semble que le juge, dans le cadre des présentes procédures,
23 disposant déjà d'un pouvoir considérable de modaliser la sanction en vertu
24 d'un Statut qui ne fixe pas le catalogue des peines, pourrait également
25 faire une oeuvre indéniablement utile et créatrice à cet égard et d'en
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1 fixer avec précision les bases, en optant pour une qualification pénale de
2 nature à absorber les autres, sinon pas par le principe de la peine la
3 plus forte, à tout le moins par la caractéristique d'un comportement
4 criminel qui absorbe les autres. Autrement dit, la défense est persuadée
5 que la pratique du Tribunal doit aboutir en définitive à l'application du
6 principe "lex consumens derogat legi consultem". J'ai dit et je vous
7 remercie.
8 M. le Président: Merci. Y a-t-il des questions particulières à poser?
9 Oui, Monsieur Schomburg.
10 M. Schomburg (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
11 J'ai une question à poser. En principe, bien sûr, on peut se rallier à
12 votre démarche; toutefois, je voudrais vous poser une question.
13 Pensez-vous vraiment que, par exemple, en ce qui concerne le rapport entre
14 le viol et la torture, on peut trouver une réponse générale? Ou est-ce que
15 ceci ne dépend pas plutôt des faits qui sont établis dans une espèce
16 précise? Est-ce que, de toute façon, le test à appliquer ne serait pas de
17 trouver s'il y a d'autres infractions supplémentaires pour ce qui est des
18 droits protégés supplémentaires de la victime présumée?
19 M. Savatic: Je crois, pour ma part, que l'application de test ainsi
20 proposée impliquerait nécessairement qu'on s'interroge sur la subjectivité
21 de la motivation de l'agent, qu'on essaie de déterminer vraiment sur le
22 plan psychologique quelle est la motivation prépondérante de l'agent qui
23 procède, qui commet les faits de viol. L'agent a-t-il, dans ces
24 situations-là, également l'intention de causer la souffrance physique et
25 morale qui est constitutive de la torture?
Page 81
1 Pour ma part, ce texte ne me paraît pas applicable puisqu'on n'arrive pas,
2 sauf par hypothèse, à sonder l'intention subjective de l'agent. Je crois
3 que l'analyse pourrait être faite sur le plan de la matérialité des faits:
4 si nous sommes en présence d'un fait où il n'y a pas d'élément de torture
5 distinct, de torture par hypothèse distinct autre que les éléments qui
6 s'attachent à l'acte sexuel. Je crois qu'indéniablement, le viol consume
7 la torture si, hormis l'acte sexuel, il y a d'autres éléments matériels,
8 purement "factographiques", constitutifs de torture. Là, je crois que nous
9 pouvons parler d'infraction distincte. Mais en l'occurrence, la défense
10 parle bien d'un comportement strictement identique qui constitue à la fois
11 deux infractions distinctes, viol et torture, et auquel ne s'attachent pas
12 -hormis l'acte sexuel- d'autres faits matériels.
13 Je vous remercie.
14 M. le Président: J'ai une question à vous poser, avant que vous ne vous
15 rasseyiez. D'abord, d'ordre théorique: est-ce que, dans votre défense,
16 vous remettez en question le principe du test posé par la Chambre d'appel
17 de ce Tribunal dans l'affaire Celebici? Ou est-ce que vous voulez le
18 compléter, est-ce que vous voulez apporter quelque chose sur le plan
19 théorique?
20 M. Savatic: C'est cette intention, deuxième intention, Monsieur le
21 Président. Nous estimons que, dans l'état actuel des textes de base, dans
22 l'état actuel du Statut, ce test nous paraît bien indispensable. Nous
23 estimons que ce que nous faisons dans cette affaire-ci et l'analyse de
24 l'application de ce test, telle qu'elle a été faite au fait de l'espèce
25 par la juridiction de première instance, notre intention est de compléter
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1 ce test. Nous ne le remettons pas entièrement en question puisque, en
2 l'absence d'un catalogue des peines qui permettrait d'aboutir à une
3 absorption par la peine la plus forte de la peine la plus faible, ce test
4 nous paraît s'imposer.
5 M. le Président: Merci.
6 Deuxièmement question: sur le plan purement factuel. A ce moment-là, si
7 l'on vous suit dans votre raisonnement, vous êtes à mon avis conduit à
8 prouver devant la Chambre que le comportement de celui ou de ceux que vous
9 défendez a eu pour unique but la satisfaction sexuelle. Je suppose que
10 c'est ça que vous voulez démontrer: qu'il n'y a pas eu d'intention de
11 torture ou d'acte autre que le but poursuivi consistant à obtenir une
12 satisfaction d'ordre uniquement sexuel?
13 M. Savatic: Tout à fait. C'est notre position, Monsieur le Président.
14 M. le Président: Et c'est ce que vous pensez démontrer ou vous estimez
15 l'avoir démontré?
16 M. Savatic: Nous estimons que, dans les cas cités, je fais évocation de ce
17 qui est largement développé par écrit dans les actes de procédure. Nous
18 estimons l'avoir démontré.
19 M. le Président: Merci. C'est très clair.
20 S'il n'y a pas d'autre question, je pense qu'à ce moment-là…
21 Oui, Monsieur le Juge Shahabuddeen? Excusez-moi.
22 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Savatic, votre réponse à la
23 question posée par le Juge Schomburg m'a beaucoup intéressé. Dans le cadre
24 de cette réponse, je pense que vous avez dit ceci: vous avez dit que le
25 viol absorbe, si vous voulez, la torture. C'est ce que j'ai écrit. Mais
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1 est-ce que c'est nécessairement le cas?
2 Le Juge Schomburg vous a soumis une hypothèse en vertu de laquelle il
3 faudrait voir si les faits ont été prouvés. Je pense que la torture -ceci
4 est reconnu et admis-, la torture prévoit notamment qu'on obtient des
5 aveux.
6 Est-ce qu'il est possible d'obtenir des aveux d'autres façons que par la
7 pénétration sexuelle?
8 Par ailleurs, pour qu'il y ait viol, il faut à un certain degré avoir
9 pénétration. Cette pénétration ne doit pas nécessairement se faire pour
10 obtenir des aveux. Alors, à partir de cette hypothèse, comment peut-on
11 dire que le viol absorbe la torture?
12 La torture peut impliquer qu'on obtient des aveux, ce qui n'est pas
13 nécessairement l'objectif poursuivi dans l'acte de viol; alors que le viol
14 en soi implique pénétration, ce qui n'est pas nécessairement impliqué dans
15 la torture et ne mène pas à l'obtention d'aveu.
16 Je pense que des faits propres,… Si des faits propres à ce modèle,
17 pertinents pour ce modèle étaient établis, que diriez-vous?
18 M. Savatic: Votre Excellence, votre question renvoie, me semble-t-il,
19 nécessairement à la définition même du "crime de torture". L'hypothèse, je
20 dis bien l'hypothèse, qui conduit les considérations de la défense,
21 appliquée au cas de figure que vous nous soumettez, envisage également la
22 torture, non pas uniquement comme un comportement qui devrait aboutir à
23 obtenir des informations en butte à un résultat, à une confession. Il est,
24 nous semble-t-il. Il s'agit peut-être de deux approches différentes sur le
25 plan de la définition mais, étant tous situés sur le plan de droit
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1 criminel international, différentes approches nous paraissent possibles.
2 Nous travaillons donc dans l'hypothèse d'une torture qui -je dis bien par
3 hypothèse- pourrait être également totalement gratuite et à ne pas viser à
4 aboutir à quoi que ce soit d'utile, de concret comme une reconnaissance,
5 comme une confession.
6 On pourrait imaginer, nous semble-t-il, le cas de l'agent qui procéderait
7 à la torture, y compris par l'acte sexuel, non pas d'obtenir un résultat
8 par ces tortures mais simplement de causer de la souffrance gratuite.
9 Ceci n'étant pas le cas en l'espèce, la position de la défense et ce que
10 nous croyons démontrer, je le répète, c'est que l'unique motivation de
11 l'agent a été l'acte sexuel et qu'il n'est même pas, partant de ce fait,
12 permis d'en déduire l'existence d'une infraction distincte qui serait la
13 torture, les faits devant nécessairement se réduire à l'acte de viol.
14 M. le Président: Bien. Merci.
15 Monsieur le Juge Meron?
16 M. Meron (interprétation): Merci de cette discussion très intéressante sur
17 le cumul des condamnations et des poursuites, notamment dans le contexte
18 du viol et de la torture.
19 Nous allons peut-être entendre l'accusation sur ce point mais vous, ainsi
20 que vos confrères, à plusieurs reprises, vous avez parlé du crime qui est
21 à la base ici, à savoir celui de viol que vous avez qualifié de "crime de
22 droit commun".
23 J'avais déjà posé une question portant sur le lien de causalité avec le
24 conflit armé et j'ai montré qu'en fait c'est le contexte, ce sont les
25 conditions qui quelquefois permettent de qualifier un crime. Par exemple,
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1 le fait de tirer sur des enfants dans des contextes différents.
2 Supposons pour un instant…, parce qu'en réponse à ces questions, vous avez
3 dit ne pas accepter le fait qu'il y avait un conflit armé, mais supposons
4 pour un instant -d'ailleurs la Chambre se penchera sur cette hypothèse en
5 temps utile- mais supposons pour instant qu'il y avait un conflit armé.
6 Voici la question que j'aimerais vous poser: dans le cadre précis de Foca
7 et des conditions qui y régnaient à l'époque, dans le contexte du viol,
8 est-ce que vous voulez vraiment faire valoir que dans la ville de Foca,
9 dans des circonstances ordinaires, antérieures à la guerre, trois hommes
10 auraient pu rassembler un nombre considérable de femmes musulmanes,
11 auraient pu les détenir dans des lieux connus, se livrer à des sévices
12 sexuels, à des viols sur elles, sans que personne dans la communauté,
13 personne parmi les autorités, personne parmi les familles ne soit
14 intervenu? Voilà la question que je voudrais vous poser.
15 M. Savatic: Je saisis votre question, votre Excellence. Nous croyons avoir
16 répondu ou avoir à tout le moins donné les éléments de réponse tant dans
17 les actes écrits qu'à l'audience.
18 Nous évoquons à un moment donné le fait que l'accusation n'a absolument
19 pas prouvé le parallélisme, la co-existence éventuelle des faits que vous
20 évoquez par hypothèse avec la poursuite des opérations militaires.
21 Autrement dit, il est affirmé que ces faits existent, qu'ils se sont
22 produits, mais il n'est pas, à notre sens, démontré par l'accusation que
23 ces faits coïncident ou correspondent aux opérations militaires.
24 M. Meron (interprétation): J'aurais souhaité avoir votre commentaire suite
25 à ma question. Les faits, tels qu'ils sont présumés, auraient-ils pu se
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1 produire en temps de paix dans la municipalité de Foca alors qu'étaient
2 concernés un nombre important de personnes, un nombre important d'agents,
3 de victimes, compte tenu surtout que ces faits ont été exécutés de façon
4 assez publique?
5 M. Savatic: Nous avons eu l'occasion, dans les actes de procédure, de
6 revenir même à la qualification et à la matérialité factuelle de ces
7 situations et la position de la défense est, qu'en ce qui concerne même le
8 regroupement que vous visez, il y a un fait qu'il y a, à un moment donné,
9 dans les immeubles publics de la ville de Foca un regroupement des
10 populations musulmanes, mais que l'intention criminelle même de ce
11 regroupement n'est pas démontrée. Il a été, me semble-t-il, par contre
12 largement démontré que ces populations ont été souvent regroupées de cette
13 manière-là pour être conduites vers les territoires libérés. Il ne
14 faudrait pas y voir, à notre sens, autre chose dans ces démarches.
15 M. Meron (interprétation): Je vous remercie.
16 M. le Président: Merci.
17 S'il n'y a pas d'autre question, je me tourne vers Maître Kolesar sur les
18 questions juridiques relatives à l'application du Statut et du Règlement.
19 (Présentation des arguments de la défense par Me Kolesar.)
20 M. Kolesar (interprétation): Oui, Monsieur le Président, je vous remercie.
21 J'interviens au nom de tous les conseils de la défense pour vous faire
22 part de l'avis que nous avons arrêté s'agissant des points de droit quant
23 à l'application des dispositions du Statut. Je vais évoquer également
24 quelques dispositions du Règlement de procédure et de preuve.
25 Je reviendrai sur les charges retenues en vertu de l'Article 3 et de
Page 87
1 l'Article 5 mais je ne vais pas reprendre les éléments déjà abordés par
2 mon éminent confrère Me Savatic. Je parlerai des conditions dans
3 lesquelles sont prononcés des jugements dans ce Tribunal et des carences
4 que nous percevons à cet égard.
5 La défense pense que l'Article 3 du Statut ne peut pas être interprété de
6 la façon dont il l'a été ici jusqu'à présent, et de la façon dont ces
7 dispositions ont été mises en œuvre dans l'Arrêt Tadic. Cet Article est
8 prescrit, certaines dispositions, mais ne se limite pas aux violations des
9 lois ou coutumes de la guerre.
10 Nous pensons que le sens de cet Article doit être interprété de façon à
11 assurer la protection des biens et à veiller à ce que soient bien
12 utilisées des armes autorisées.
13 L'Article 3 du Statut ne protège pas les droits individuels de personnes
14 physiques mais plutôt les droits des parties belligérantes avec un groupe
15 qui est l'élément protégé.
16 Par conséquent, s'agissant de toutes les personnes individuelles
17 physiques, on ne peut pas appliquer, quelles que soient les circonstances,
18 l'Article 3, quelles que soient les conditions ou que les conditions
19 requises existent ou pas. Ceci s'appliquerait que l'on considère l'Article
20 3 comme des dispositions précises, spécifiques ou générales.
21 La défense pense que, pour que tous les éléments d'une disposition
22 existent, ceci vaut également pour l'Article 5 du Statut mais pas
23 seulement l'Article 3.
24 La Chambre de première instance, en l'espèce aux paragraphes 406 et 407 du
25 jugement, a estimé qu'il suffisait d'accepter l'Article 3 commun des
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1 conventions de Genève en tant que partie du droit international coutumier
2 et qu'il suffirait d'appliquer l'Article 3 du Statut, et que les crimes
3 attribués aux accusés remplissaient les conditions permettant de décider
4 de la responsabilité en vertu de l'Article 3. Et au paragraphe 407, sont
5 énumérées ces conditions que je ne veux pas répéter ici.
6 La défense estime avoir prouvé que pour pouvoir appliquer ce critère, ce
7 test, afin de déterminer sur un acte commis par l'accusé, peut être
8 considéré comme relevant d'articles du Statut, qu'en fait ce test n'a pas
9 été appliqué avec succès.
10 Par conséquent, les dispositions du Statut ne peuvent pas s'appliquer du
11 tout. Oui, nous parlons ici des dispositions de l'Article 3 du Statut, ce
12 qui veut dire qu'il ne peut y avoir cumul de déclarations de culpabilité
13 en l'espèce.
14 Dans son jugement, la Chambre de première instance a fait allusion à la
15 décision rendue en appel dans l'affaire Aleksovski. Il s'agit de l'affaire
16 IT-95-14/1-PT. Ici, nous parlons de plusieurs articles. La décision date
17 du 14 mars pour l'affaire Aleksovski et puis il y a aussi l'affaire contre
18 Tadic, en date du 2 octobre 1995, ainsi que l'affaire du Procureur contre
19 Delalic, IT-96-21-A, arrêt prononcé le 21 février 2001, dont il est fait
20 état au paragraphe 420.
21 La défense voudrait soumettre à votre attention la décision prise dans
22 l'affaire Delalic, paragraphes 421 à 427.
23 En l'espèce, la Chambre d'appel a estimé que, pour faire preuve d'équité
24 envers les accusés et en estimant que seuls des actes individuels peuvent
25 justifier du cumul, la Chambre a estimé qu'un tel cumul était autorisé
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1 uniquement si toutes les dispositions statutaires évoquées dans l'Acte
2 d'accusation contenaient des éléments distincts, éléments qui n'étaient
3 pas contenus dans d'autres dispositions.
4 La Chambre d'appel a conclu qu'il fallait, pour ce faire, tenir compte de
5 tous les éléments constitutifs d'une infraction pénale.
6 Et si ce test n'est pas ou si les conditions de ce test ne sont pas
7 réunies, la Chambre de première instance doit déterminer sur quelles bases
8 elle va baser sa condamnation, sachant qu'il faudra s'en tenir à
9 l'infraction la plus précise.
10 Le Statut du Tribunal pénal international, qui poursuit des personnes
11 présumées responsables d'infractions graves ou de violations graves du
12 droit international humanitaire, ce Statut a été adopté le 23 mai 1993,
13 mais il n'a pas arrêté une grille de peines à appliquer. C'est une carence
14 qui nous place dans une situation où le Tribunal dispose de pouvoirs
15 discrétionnaires très vastes puisque les sentences, les peines n'ont pas
16 été définies dans le Statut. De ce fait, nous nous trouvons dans une
17 situation où nous ne savons pas quels sont les crimes qui sont considérés
18 comme plus graves que d'autres. De ce fait également, il peut arriver que
19 le crime de viol englobe ou emporte une peine plus grave que, par exemple,
20 le fait de s'être livré à de multiples reprises à des tortures dans un
21 camp de concentration. Nous pensons que ceci est en contravention d'un des
22 principes fondamentaux du droit pénal: "nullum crimen sine lege" ou "nulla
23 poena sine lege".
24 Nous pensons que, pour qu'il y ait procès équitable, il faut traiter tous
25 les accusés de la même manière. Il faut que nous sachions quels sont les
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1 actes qui sont considérés comme étant des infractions graves du droit
2 international humanitaire, mais il est aussi important de savoir quelles
3 sont les peines qui découleront de ces crimes. C'est seulement dans ce
4 cas-là que l'accusé sera placé sur un pied d'égalité et bénéficiera d'un
5 traitement équitable devant ce Tribunal; c'est seulement de cette façon
6 que la jurisprudence du Tribunal sera vraiment respectée et admise.
7 Nous pensons que c'est important non seulement ici pour ces accusés mais,
8 de façon plus générale, à l'avenir. Le travail que fait ce Tribunal, sa
9 jurisprudence, ses précédents seront étudiés à l'avenir. Nous sommes tous
10 des juristes ici et, si nous voulions être vraiment des légalistes, nous
11 pourrions mettre le doigt sur des carences, sur des failles, qu'il
12 s'agisse du Statut ou du Règlement de procédure et de preuve.
13 Ce Règlement a été adopté au mois de mars 1994. Ce Règlement a déjà été
14 modifié au moins une vingtaine de fois. L'Article 6 de ce Règlement
15 stipule de quelle façon le Règlement peut être modifié. Ce Règlement a été
16 modifié trois fois au début de l'année 2001, ce qui a créé une incertitude
17 juridique, tant pour les accusés que pour toutes les parties au procès.
18 Cela crée aussi une situation où il y a eu finalement des infractions
19 graves faites à la procédure en tant que telle. "Un amendement, une
20 modification entre en vigueur sept jours après sa publication sous forme
21 de document officiel du Tribunal, sans préjudice des droits de l'accusé,
22 d'une personne déclarée coupable ou d'une personne acquittée dans les
23 affaires en instance." Je viens de vous donner lecture du paragraphe D) de
24 cet Article 6 du Règlement de procédure et de preuve.
25 Ce procès s'est terminé le 22 novembre 2000. A l'époque, la mouture en
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1 vigueur était celle qui portait la date du 26 juin 2000, ce qui veut dire
2 que le Règlement applicable à l'époque et qui, selon la défense, devait
3 être appliqué au moment des délibérations préalables au prononcé du
4 jugement et de la peine, ceci en vertu de l'Article 101C) et du 6D).
5 Il fallait donc que la Chambre de première instance dise s'il y aurait en
6 fait des peines qui seraient purgées simultanément ou de façon
7 consécutive; la Chambre de première instance a le pouvoir discrétionnaire
8 de déterminer si les peines sont purgées de façon consécutive ou
9 simultanée.
10 Mais, à l'époque, la Chambre de première instance avait pour obligation de
11 déterminer une peine individuelle pour chacune des infractions dont les
12 accusés étaient jugés coupables. Mais la Chambre n'a pas appliqué cet
13 Article; elle a appliqué le Règlement tel qu'il est entré en vigueur le 19
14 janvier 2001. Elle l'a fait en appliquant l'Article 87C). Les Juges de
15 première instance ont également accepté certaines conclusions tirées par
16 le Tribunal du Rwanda. Ceci compromet les droits de l'accusé à notre avis,
17 le lèse par rapport à d'autres accusés dont les peines ont été prononcées
18 conformément au Règlement qui s'appliquait, qui était en vigueur le 26
19 juin 2000.
20 La Chambre de première instance, de l'avis de la défense, a fait une
21 erreur. Elle aurait dû effectivement appliquer le Règlement qui était en
22 vigueur au moment où se déroulait le procès.
23 Il n'est pas acceptable de voir cet état de fait parce que les peines
24 prononcées par la Chambre de première instance n'auraient pas été
25 prononcées de la sorte si le Règlement antérieur avait été en vigueur.
Page 92
1 Nous pensons qu'il y a une autre erreur.
2 Lorsqu'on a fait le décompte de la période de détention préventive,
3 conformément au 101C), la Chambre de première instance a conclu que les
4 peines couraient à dater du jour où le jugement était prononcé, le 19
5 février 2001 ou le 22 février 2001.
6 La Chambre de première instance, qu'elle applique le 101C) ou le 102, ce
7 qui à notre avis n'était pas correct, donc qu'elle applique le 101D) et le
8 101-ii) de la version antérieure, de toute façon, la Chambre devait tenir
9 compte du temps déjà passé en détention préventive, le temps passé en
10 prison avant le début du procès et pendant le procès.
11 La Chambre aurait dû aussi tenir compte du moment de l'arrestation. Ce que
12 la Chambre a fait, mais elle aurait dû tenir compte de tout ceci pour
13 diminuer la peine d'autant, du temps passé déjà en préventive.
14 Il existe une autre disposition dans le Règlement qui a eu une incidence
15 directe sur la procédure et qui n'a pas permis à la Chambre d'établir la
16 situation factuelle, et n'a pas permis à cette Chambre de déterminer s'il
17 y avait eu preuve au-delà de tout doute raisonnable ou pas.
18 Tout ceci a abouti à une situation où nous ne pouvons pas affirmer que les
19 accusés ont bénéficié de leur droit à jouir d'un procès équitable.
20 Ici, nous parlons de l'Article 96 qui parle de "l'administration des
21 preuves en matière de violence sexuelle".
22 Nous souhaitons indiquer qu'à notre avis, pour respecter l'identité des
23 victimes qui ont subi d'atroces souffrances, ceci vaut aussi pour les
24 victimes de violences sexuelles, il faut assurer la protection de ces
25 témoins de façon spéciale.
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1 Cependant, nous estimons que pour faire preuve d'équité, et la justice
2 c'est quelque chose qui est prépondérant, qui l'emporte sur toute autre
3 considération, la manifestation de la vérité l'emporte également sur tout,
4 il est inhumain de soumettre des victimes à ces mêmes souffrances, ici,
5 devant le Tribunal, mais il est tout aussi injuste de ne pas établir la
6 vérité, de condamner quelqu'un si toute la lumière n'a pas été faite, s'il
7 n'y a pas eu preuve au-delà de tout doute raisonnable, que c'est
8 effectivement cette personne qui avait commis les crimes qui lui sont
9 reprochés.
10 Le procès de Kunarac, Kovac et Vukovic a été le premier procès de cette
11 nature dans l'histoire contemporaine. Il est incontestable que les
12 historiens du droit et d'autres experts se pencheront sur ce procès. La
13 défense doit donc mettre en lumière toutes ces carences.
14 Pour ces mêmes raisons, au cours de l'interrogatoire des victimes
15 présumées de violences sexuelles, beaucoup d'erreurs ont été commises.
16 La défense n'a pas été autorisée à contester, à sonder beaucoup de
17 questions factuelles. Lorsque des avocats de la défense ont posé des
18 questions, beaucoup de témoins, de victimes ont répondu en disant: "Je ne
19 sais pas", comme si elles essayaient de contourner telle ou telle
20 question, d'éviter de donner des réponses spécifiques, donc leur
21 témoignage n'a pas été précis. Il était quelque fois contradictoire sur
22 des points importants.
23 La défense n'a pas pu faire se manifester la vérité parce qu'effectivement
24 l'Article 96 a été appliqué.
25 A titre illustratif, je dirais que l'avocat de M. Kovac, le 22 novembre
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1 2000, dans ses plaidoiries a fait le récit détaillé de la déposition d'une
2 victime qui a déposé contre M. Kovac. Cet avocat a indiqué plusieurs
3 affirmations contradictoires de cette victime, de ce témoin.
4 Or, les Juges de première instance ont accordé beaucoup de poids à ces
5 déclarations et ont même fondé leur jugement sur ces propos.
6 Le comportement des témoins en l'espèce, de l'avis de la défense, implique
7 que ceux qui ont pris les décisions, ont dû se demander comment bien
8 appliquer l'Article 96 afin d'assurer la protection adéquate des témoins,
9 tout en permettant que le procès se déroule de façon juste et équitable à
10 la satisfaction de toutes les parties.
11 Messieurs les Juges, j'en ai ainsi terminé de ma présentation.
12 M. le Président: Merci, Maître Kolesar.
13 Je me tourne vers mes collègues pour savoir s'il y a des questions à
14 poser. Monsieur le Juge Shahabuddeen?
15 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Kolesar, ce que vous avez dit sur
16 le sujet de la compétence de la Chambre de première instance à prononcer
17 une sentence globale m'a beaucoup intéressé.
18 Je pense, après avoir lu la réponse écrite du Procureur, que l'avis de ce
19 dernier consiste à penser que le nouveau Règlement, les nouveaux articles
20 du Règlement dont vous avez parlé, ne fait que codifier la possibilité
21 déjà existante de prononcer de telles sentences, de sorte que la mise en
22 oeuvre de ces modifications du Règlement ne peut en aucun cas nuire à
23 l'une quelconque des parties.
24 Vous constaterez, par exemple, s'agissant de l'Article 87C), et vous en
25 avez parlé, si je ne m'abuse, l'Article 87C) stipule, dans sa dernière
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1 phrase: "A moins qu'elle ne décide d'exercer son pouvoir de prononcer une
2 peine unique sanctionnant l'ensemble du comportement criminel de
3 l'accusé". (Fin de citation.)
4 Donc il n'est pas permis de penser, ne serait-ce qu'un instant, à
5 l'existence d'un préjudice quelconque si l'on tient compte de ce pouvoir
6 dont il est question dans cette dernière phrase.
7 L'Article 15 octroie un pouvoir un peu différent qui ne peut s'exercer que
8 dans le cadre des dispositions du Statut.
9 Alors, pensez-vous qu'il serait acceptable de penser que le Statut
10 pourrait ne pas se prononcer de façon très définie quant au pouvoir
11 éventuel de prononcer une peine unique ou des peines multiples?
12 Si le Statut confère aux Juges le pouvoir de prononcer les deux types de
13 sentence, je vous demande ce que vous diriez d'articles du Règlement émis
14 dans le cadre de l'exercice par les responsables du pouvoir qu'ils ont de
15 renoncer, de supprimer cette capacité statutaire de prononcer une peine
16 globale?
17 Que diriez-vous au sujet de la validité d'une telle modification du
18 Règlement, par exemple?
19 Par ailleurs, que diriez-vous du fait qu'une modification du Règlement
20 pourrait être apportée qui limite la possibilité du Statut de conférer ce
21 pouvoir de prononcer les peines multiples aux Juges?
22 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, je suis tout à fait
23 d'accord avec vous pour dire que l'Article 15 prévoit des modifications du
24 Règlement, comme le fait d'ailleurs l'Article 6. Mais ce que la défense
25 souhaite dire, c'est qu'elle estime qu'il n'est pas opportun qu'un
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1 organisme chargé de juger en appliquant le Règlement soit également chargé
2 de compléter ou de modifier ce Règlement. Il serait préférable que ce soit
3 un organe tiers, peut-être celui qui a adopté le Statut, ou un quelconque
4 autre organe qui soit chargé de la modification du Règlement. C'est ceci
5 que je souhaitais faire savoir aux Juges de cette Chambre.
6 Par ailleurs, la défense déclare également que le Règlement qui était
7 valable en l'an 2000 permettait à la Chambre de première instance de
8 décider si les peines seraient purgées les unes après les autres, ou
9 simultanément. Autrement dit, la Chambre à l'époque était tenue de
10 prononcer des peines individuelles correspondant chacune à chacun des
11 actes commis par les accusés. Ceci est une garantie de sécurité car
12 l'accusé jugé aujourd'hui, l'accusé qui pourra être jugé demain saurait
13 dans ces conditions exactement quelle est la durée prévisible de la peine
14 correspondant aux actes criminels commis. Mais ensuite, il y a eu
15 modification du Règlement et les accusés ne savent pas ce qu'impliquent
16 les modifications du Règlement.
17 Je dis ceci parce que c'est important pour les accusés, mais c'est
18 également important et significatif pour la pratique judiciaire.
19 Un certain nombre de procès sont en cours dans ce Tribunal. Il importe
20 donc qu'une certaine pratique soit mise en place pour juger des actes
21 similaires, bien sûr dans le cadre de l'existence de peines individuelles.
22 J'ai donné l'exemple montrant que pour un viol la peine était plus
23 importante que par exemple pour un meurtre triple dans un camp, ce qui
24 semble tout de même un peu absurde. Et ma position, ainsi que celles de
25 mes confrères, consiste à penser qu'en raison du fait que le Règlement a
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1 été modifié en cours d'instance, a placé les accusés dans une situation
2 défavorable.
3 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci beaucoup, Maître Kolesar.
4 M. le Président: Merci beaucoup, Maître Kolesar.
5 S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons ajourner nos travaux
6 jusqu'à 13 heures 30. Nous reprendrons donc dans une heure. L'audience est
7 suspendue.
8 (L'audience, suspendue à 12 heures 30, est reprise à 13 heures 35.)
9 M. le Président: L'audience est reprise. Veuillez-vous asseoir.
10 Faites entrer les accusés, s'il vous plaît.
11 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)
12 Asseyez-vous.
13 (Les accusés s'assoient.)
14 Nous reprenons. J'espère que tout le monde a pu prendre un petit peu de
15 repos et, dans ces conditions, si les interprètes sont à leur poste, ce
16 dont je ne doute pas…
17 Les interprètes: Oui, Monsieur le Président.
18 M. le Président: Nous avons encore quatre points à examiner et notamment
19 le suivant: les questions de l'identification des accusés. Ce serait
20 Maître Jovanovic. C'est bien cela?
21 M. Jovanovic (interprétation): Oui.
22 M. le Président: Peut-être une question préalable. Je suppose que chacun
23 des accusés est derrière son défenseur: M. Kunarac, ensuite M. Kovac et M.
24 Vukovic. C'est bien cela? Merci.
25 (Seconde présentation des arguments de la défense relatifs à
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1 "l'identification des accusés", par Me Jovanovic.)
2 M. Jovanovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
3 Comme vous venez de l'indiquer, j'ai l'intention de faire connaître les
4 points de vue de la défense, nos réflexions et nos conclusions, eu égard à
5 l'identification qui est un problème depuis le début de ce procès.
6 S'agissant de l'identification au cours du procès en première instance, ce
7 problème a été longuement débattu et, selon l'usage, la défense et
8 l'accusation ont eu des points de vue opposés sur ce sujet.
9 La défense affirme depuis le début que l'identification, qui a été faite
10 devant la Chambre, n'a pas été faite d'une façon qui aurait pu permettre à
11 la défense d'être convaincue que cette identification ne laisse aucun
12 doute quant à l'identité des accusés.
13 Le problème de base que pose l'identification dans cette affaire est assez
14 important. Nous n'avons eu aucune preuve matérielle capable d'établir un
15 lien entre l'un quelconque des accusés et les actes qui lui sont
16 reprochés. Par conséquent, il ne restait que la possibilité de demander
17 aux victimes présumées d'effectuer cette identification pour déterminer
18 l'existence de ces actes criminels.
19 Ce qui fait problème, c'est qu'il n'existe aucun autre élément capable de
20 démontrer la chose. Donc la défense estime que, dans une affaire de ce
21 genre, il convient de faire preuve de la plus grande précaution, et comme
22 je l'ai dit, la défense a depuis le début émis une objection quant à
23 l'identification qui a été effectuée dans le prétoire, car dans le cadre
24 de cette identification, toutes les victimes qui sont venues ici et qui
25 ont reconnu les accusés constituaient une première.
Page 99
1 Il n'existe qu'un exemple avant le début du procès d'une identification
2 réalisée sur base de séries de photographies; toutes les autres
3 identifications se sont faites dans le prétoire.
4 La défense estime avoir convaincu par ses arguments la Chambre de première
5 instance quant au fait que l'identification réalisée dans le prétoire n'a
6 pas un poids suffisant. Et la défense trouve une confirmation de ses dires
7 dans le paragraphe 562 du jugement dont je vais citer la dernière phrase.
8 Je cite: "Aucune valeur probante n'a été accordée par la Chambre de
9 première instance à ces identifications en prétoire." (Fin de citation.)
10 Et la même position est illustrée par la Chambre de première instance dans
11 le même paragraphe du jugement s'agissant de la pertinence de la
12 description de l'homme qui prétendument aurait violé les victimes et les
13 témoins.
14 Cependant, la défense estime que la procédure d'identification a été
15 erronée et je vais maintenant expliquer pourquoi. Si nous regardons les
16 descriptions faites, donc ce qu'ont dit les victimes, nous pouvons les
17 décrire comme suit: le témoin FWS-65, par exemple, décrit l'un des accusés
18 comme un homme de petite taille aux cheveux blonds, alors que le témoin
19 FWS-186 décrit l'un des accusés comme de grande taille et très mince. Ces
20 descriptions peuvent donc être utilisées pour peut-être réduire le groupe
21 parmi lequel on va rechercher l'auteur des actes en question, mais ces
22 descriptions ne peuvent pas servir à caractériser fondamentalement telle
23 ou telle personne, et donc ne peuvent pas servir à l'identifier. C'est
24 pour cette raison que le test a été créé, un test qui permet
25 éventuellement d'identifier l'accusé dans le prétoire.
Page 100
1 Au vu de tous ces éléments, la Chambre de première instance n'a accordé
2 aucune valeur positive à ces identifications dans le prétoire.
3 Je ne conteste pas qu'une identification peut se faire sur simple base de
4 descriptions faites par une personne mais il est tout à fait évident que
5 cette description doit invoquer des éléments très précis, qui peuvent nous
6 servir, s'agissant d'une personne que nous n'avons encore jamais vue
7 avant, qui peuvent nous servir donc à reconnaître cette personne parmi une
8 foule. C'est la raison pour laquelle la défense maintient sa position.
9 Monsieur le Président, j'ai l'impression qu'il y a un problème technique.
10 M. le Président: Non, moi je vous entends en tout cas.
11 M. Jovanovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, j'avais
12 l'impression que le Juge n'entendait pas.
13 M. le Président: Le Juge Shahabuddeen travaille tout simplement, Maître.
14 Ce n'est pas parce que l'on ne vous regarde pas que l'on ne travaille pas,
15 Maître. Vous pouvez continuer, nous sommes très attentifs à vos propos.
16 M. Jovanovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, mais j'avais
17 l'impression que le Juge assis à votre gauche n'entendait pas et j'ai cru
18 comprendre qu'il y avait un problème technique car il mettait la main sur
19 ses écouteurs.
20 M. le Président: Bien. Voyez la fragilité des témoignages. Bien,
21 poursuivez.
22 M. Jovanovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
23 S'agissant de la capacité de souvenir et de reproduction, s'agissant plus
24 précisément de l'identification, l'accusation et la défense ont adopté des
25 points de vue opposés.
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1 L'accusation a affirmé qu'un climat traumatisant peut déboucher sur une
2 amélioration du souvenir et la réapparition de détails qui, par la suite,
3 peuvent contribuer de façon positive à l'identification.
4 La défense, pour sa part, a défendu le point de vue selon lequel
5 l'existence d'un événement traumatisant, de courtes ou de longue durée,
6 notamment dans des conditions où les victimes présumées ont vécu des
7 tortures terribles, aussi bien physiques que mentales, débouche
8 logiquement sur le fait qu'il est impossible de reproduire de façon fidèle
9 ce que ces témoins ont vu ou retenu, s'agissant des personnes qui ont
10 commis un certain nombre d'actes criminels à leur encontre.
11 Et nous trouvons une affirmation de ce que je viens de dire dans la
12 position exprimée par la défense, ainsi que dans le paragraphe 561 du
13 jugement, donc dans la position des Juges. Dans ce paragraphe, la Chambre
14 de première instance constate que: "Compte tenu des circonstances
15 turbulentes et souvent traumatisantes dans lesquelles les témoins se sont
16 trouvés, un risque d'erreur existait dans l'identification ultérieure
17 d'une personne connue précédemment par le témoin." (Fin de citation.)
18 Sur la base de ce que je viens de lire et de la position que je viens
19 d'exprimer, la défense exprime que la Chambre de première instance a
20 défendu le point de vue selon lequel le type de traumatisme vécu par les
21 victimes dont nous parlons discrédite en grande partie ces victimes
22 d'effectuer une identification ultérieure. Et je dois souligner plus
23 spécialement le fait qu'au moment où un certain nombre d'actes criminels
24 présumés jugés par ce Tribunal ont été commis et le moment de
25 l'identification, huit années se sont écoulées, ce qui vraiment est une
Page 102
1 période très longue, y compris dans la vie quotidienne de chacun. Une
2 période pendant laquelle la mémoire peut subir un certain nombre de
3 failles, car huit ans, c'est vraiment très long.
4 Mais ce qui préoccupe tout spécialement la défense, c'est que lorsqu'il
5 est question du problème de l'identification dans le jugement, il y a y
6 compris incohérence dans ce jugement et nous en trouvons confirmation au
7 paragraphe 789 du jugement, et pour que ma pensée soit tout à fait claire,
8 je vous demande un instant de patience car je vais citer une phrase de ce
9 paragraphe.
10 Je répète qu'il s'agit du paragraphe 789 du jugement dans lequel la
11 Chambre de première instance déclare ce qui suit -je cite-: "La Chambre de
12 première instance accorde un poids important à l'identification de Vukovic
13 par le le témoin FWS-75 en raison du contexte traumatique au cours duquel
14 le témoin a été confronté avec Vukovic à Buk Bijela, ainsi et que dans
15 l'appartement de Radomir Kovac. La Chambre de première instance est par
16 conséquent convaincue que l'identification de Vukovic par FWS-75 a été
17 fiable." (Fin de citation.)
18 La défense pose donc la question qui suit: comment serait-il possible que
19 ce mécanisme, ce mécanisme présumé d'amélioration de la mémoire, ne
20 concerne dans des circonstances traumatisantes qu'un seul témoin, le
21 témoin FWS-57, alors que dans un autre paragraphe du jugement, celui dont
22 j'ai parlé tout à l'heure, la Chambre de première instance admet que
23 compte tenu des conditions traumatisantes, l'identification peut être
24 moins bonne de la part des témoins, sinon impossible?
25 Il s'agissait à l'instant du paragraphe 561, du jugement.
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1 J'aimerais vous donner un exemple pour illustrer ce que je viens de dire,
2 à savoir que la description d'une personne ne peut à être le seul critère
3 utiliser pour déterminer si une identification a été bien ou mal faite.
4 S'agissant du témoin 95, nous savons que cet homme a décrit M. Kunarac
5 d'une façon qui ne correspond pas du tout à l'aspect physique de M.
6 Kunarac. Il a dit que c'était un homme qui avait les cheveux très très
7 noirs, qui avait des cheveux longs et donc cette description ne correspond
8 en aucun cas à la réalité de l'aspect physique de M. Kunarac.
9 Voilà les raisons pour lesquelles la défense estime et maintient sa
10 position qui consiste à dire que les identifications réalisées au cours du
11 procès en première instance ne l'ont pas été de façon valables et que nous
12 ne pouvons pas accorder foi à la déposition des témoins sur ce point
13 particulier.
14 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ces questions sont les
15 questions fondamentales que voulait aborder la défense dans son propos
16 aujourd'hui en rapport avec l'identification durant le procès en première
17 instance.
18 M. le Président: Merci. Maître Jovanovic.
19 Excusez-moi, je me tourne vers mes collègues. Je crois que le Juge
20 Shahabuddeen voudrait vous poser des questions.
21 M. Shahabuddeen (interprétation): A la lecture de la page 201 du jugement
22 à laquelle vous nous avez, je crois, renvoyée, je vois que la Chambre de
23 première instance a lancé des avertissements à son propre encontre au
24 sujet d'un certain nombre de questions. Au paragraphe 561, elle déclare
25 que la question ne consiste pas à se demander si le témoignage a été
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1 honnête mais plutôt s'il est fiable. Et dans le même paragraphe, nous
2 lisons que la Chambre de première instance est consciente, de la façon la
3 plus aiguë qui soit, de la possibilité d'une erreur au cours de
4 l'identification. Puis elle ajoute qu'elle admet également la possibilité
5 qu'un homme autre que l'accusé se soit servi de façon délictueuse du nom
6 de l'accusé. Donc la Chambre de première instance était consciente d'un
7 certain nombre de dangers.
8 Après quoi, elle déclare qu'elle n'accorde aucune valeur probante positive
9 à une identification dans le prétoire. Ca, c'est au paragraphe 562. Et au
10 paragraphe 563 la Chambre déclare s'être appuyée sur d'autres
11 considérations. Donc la Chambre de première instance n'a pas accordé toute
12 son attention à l'identification en prétoire. Elle s'est référée également
13 aux questions que je viens d'évoquer. Alors quelle est votre proposition?
14 Je crois comprendre que vous nous dites qu'en tant que Chambre d'appel, la
15 question qui se pose à nous ne consiste pas à nous demander si, siégeant
16 en qualité de Chambre de première instance, nous serions arrivés à une
17 autre conclusion, car ceci n'est pas, je pense, la tâche d'une Chambre
18 d'appel. Notre tâche est de nature différente. Elle consiste à vérifier
19 si, compte tenu des éléments de preuve soumis en première instance, aucun
20 autre Tribunal agissant de façon raisonnable n'aurait pu parvenir à la
21 conclusion à laquelle est parvenue la Chambre de première instance. Donc,
22 c'est à vous qu'il appartient de nous convaincre que vos arguments se
23 situent bien au niveau de cette norme. Et pensez-vous que vos arguments se
24 sont situés à l'instant au niveau suffisant pour satisfaire à la norme
25 consistant à prouver à la Chambre d'appel qu'aucun Tribunal agissant de
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1 façon raisonnable et examinant les éléments de preuve soumis à la Chambre
2 de première instance, s'agissant de l'identification de ces hommes,
3 n'aurait abouti à la conclusion à laquelle a abouti la Chambre de première
4 instance?
5 M. Jovanovic (interprétation): Absolument, Monsieur le Président. C'est en
6 tout cas l'intention de la défense.
7 La défense affirme que les éléments de preuve soumis à la Chambre de
8 première instance, la nature de ces éléments et leur nombre, ne suffisent
9 pas pour qu'en s'appuyant sur ces éléments de preuve on puisse aboutir à
10 une conclusion positive s'agissant de l'identification de l'un quelconque
11 des accusés.
12 Nous avons un certain nombre d'éléments mais ils ne sont pas suffisant en
13 nombre pour atteindre cette conclusion. Comme je l'ai dit, la simple
14 description qui consiste à dire si quelqu'un est grand, petit, s'il est
15 blond ou s'il a les cheveux noirs peut peut-être limiter à un groupe à la
16 moitié de ses membres, mais cette moitié ne suffit pas pour déterminer que
17 tel et tel individu est bien l'individu concerné. Donc, il faut qu'il y
18 ait d'autres éléments, d'autres preuves et ces preuves manquent, d'où
19 l'identification dans le prétoire.
20 Donc, nous avons au départ une description et après cela, une
21 identification réalisée dans le prétoire. C'est la raison pour laquelle
22 d'ailleurs la Chambre de première instance n'a accordé aucune valeur
23 probante à cette identification dans le prétoire.
24 Monsieur le juge, dans son mémoire écrit, la défense mentionne un autre
25 motif dont elle estime qu'il suffit à remettre en cause la valeur de la
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1 vérification sur ce point, à savoir de l'identification.
2 La défense a pris conscience de ce problème alors que le procès était déjà
3 assez avancé, à savoir lorsqu'elle a entendu le témoin répondant au
4 pseudonyme FWS-95.
5 Malheureusement, nous pensons qu'il y a eu une erreur technique à ce
6 niveau, c'est ainsi que nous considérons la chose. Et cette erreur
7 technique s'est produite au moment où cette femme témoin était dans le
8 prétoire et qu'avant le début de l'audience, la Chambre de première
9 instance, dans les meilleures intentions certainement, a demandé à chacun
10 des accusés s'il pouvait entendre les débats. Donc, agissant de la sorte,
11 la Chambre a réalisé l'identification et après cela, il était tout à fait
12 inutile de demander à la femme témoin si elle reconnaissait tel ou tel des
13 accusés puisqu'ils avaient déjà été identifiés.
14 Donc, nous n'avons pas d'éléments matériels qui nous permettent de tirer
15 la conclusion en question. Voilà quelle est la position de la défense.
16 M. Shahabuddeen (interprétation): Je vais me permettre de vous poser
17 encore une question si vous voulez bien. J'ai bien raison, n'est-ce pas,
18 d'interpréter vos propos comme consistant à dire que vous n'affirmez pas
19 que la Chambre de première instance n'a pas été convaincue de
20 l'identification, compte tenu par exemple du paragraphe 792 du jugement où
21 je lis, je cite: "La Chambre de première instance conclut qu'il reste un
22 doute raisonnable eu égard à l'identification de Zoran Vukovic." (Fin de
23 citation.)
24 Cet élément est-il, à votre avis l'un des éléments qui aurait pu être pris
25 en compte.
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1 Vous semblez avoir quelques problèmes, Maître?
2 Paragraphe 792 du jugement, je fais référence à une phrase de ce
3 paragraphe pour montrer qu'une fois au moins, il est possible que cela ait
4 été fait à plusieurs reprises dans le jugement mais en tout qu'à une fois
5 au moins la Chambre de première instance s'est dite non convaincue des
6 éléments de preuve à l'appui de l'identification.
7 Est-ce là l'un des éléments qui, à votre avis, aurait pu ou pourrait être
8 pris en compte par la Chambre d'appel lorsqu'elle appréciera vos arguments
9 visant à déclarer que la Chambre de première instance n'a pas respecté les
10 principes qu'il convenait de respecter lors de l'appréciation des éléments
11 de preuve relatifs à l'identification?
12 M. Jovanovic (interprétation): Monsieur le Juge, je crois pouvoir dire que
13 vous venez de dire exactement ce qui est là. La défense maintient son
14 point de vue selon lequel les éléments qui ont été utilisés et la norme
15 requise sont à l'opposé l'un de l'autre. Il est impossible dans un procès
16 d'appliquer des principes différents sur une seule et unique question.
17 Je ne dis pas qu'à l'instant où l'identification de Zoran Vukovic a été
18 faite, la Chambre de première instance a eu le sentiment que cette
19 identification levait le moindre doute, mais ce que je disais que cette
20 identification-là met en doute toutes les autres identifications, car il
21 est impossible d'appliquer deux principes de normes différentes. Une norme
22 exclut toutes les autres.
23 M. Shahabuddeen (interprétation): Je vous ai compris. Merci.
24 M. le Président: Pas d'autres questions. Merci, Maître Jovanovic.
25 Je ne sais pas si c'est vous qui intervenez encore, peut-être. Non, alors
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1 nous avons maintenant toujours Me Jovanovic, la question de l'évaluation
2 des témoignages d'experts. Poursuivez.
3 M. Jovanovic (interprétation): Au cours du procès en première instance, un
4 certain nombre de témoignages experts ont été entendus. Et nous avons donc
5 entendu des experts spécialistes de diverses disciplines. Je rappellerai à
6 la Chambre d'appel que nous avons entendu des experts spécialisés en
7 question militaire, des experts spécialistes en question juridique qui ont
8 expliqué le code pénal de l'ex-Yougoslavie, la pratique des tribunaux; et
9 puis nous avons également entendu des experts en médecine, notamment en
10 psychologie, en psychiatrie et en médecine légale.
11 Je vais commencer par dire pour quelle raison la défense a présenté un
12 certain nombre de requêtes, requêtes d'ailleurs satisfaites en partie et
13 consistant à demander l'audition de témoins experts en psychiatrie et en
14 médecine légale.
15 En effet, s'agissant de M. Kunarac et de M. Kovac nous avons estimé
16 l'audition de tels experts indispensables. Si nous lisons…, je n'entends
17 plus rien.
18 M. le Président: Vous m'entendez là, Maître Jovanovic?
19 M. Jovanovic (interprétation): Oui, oui, maintenant oui.
20 M. le Président: Bien merci.
21 M. Jovanovic (interprétation): Au point 1.8 de l'Acte d'accusation, le
22 Procureur exprime la position suivante: "Un grand nombre de victimes de
23 sévices sexuels ont subi des traumatismes durables, l'une de ces femmes au
24 moins ne peut plus avoir d'enfant, et toutes ont vécu des traumatismes
25 affectifs importants dont certains sont encore existants." (Fin de
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1 citation.)
2 C'est en raison de ces circonstances et de l'Article 96 du Règlement que
3 nous avons demandé l'audition d'un certain nombre d'experts pour vérifier
4 si les dires du Procureur étaient exacts ou pas. Est-ce que nous avions à
5 l'esprit lorsque nous avons demandé l'audition de ces experts, c'était
6 l'absence complète de toutes documentations médicales susceptibles
7 d'apporter des éléments d'information sur ce point particulier.
8 En présence d'un nombre de femmes relativement important qui déclarent que
9 dans une période d'assez longue durée, comme le stipule l'Acte
10 d'accusation, elles ont subi des sévices physiques et mentaux absolument
11 terribles. Il est certain que de tels traumatismes doivent laisser des
12 séquelles et que ces séquelles doivent être visibles et apparentes, y
13 compris huit ans après. Peut-être pas chez toutes mais chez certaines
14 d'entre elles certainement.
15 Nous avons entendu le Dr Dunjic, c'est un spécialiste en médecine légale,
16 nous avons entendu le Pr Aleksander Jovanovic un psychiatre ainsi que le
17 Pr Draskovic un psychologue. Ces experts ont fait ceci, la Chambre a
18 autorisé la défense à présenter les experts en médecine, tout du moins à
19 montrer à ces médecins cinq déclarations préalables de témoin; et c'est
20 là-dessus qu'ils ont dû passer leur avis.
21 Nous estimons que la démarche n'était pas la bonne parce que, pour qu'un
22 médecin puisse fournir une opinion fondée, il lui faut voir le patient,
23 être en contact avec ce patient. Mais nous étions tenus par la décision de
24 la Chambre: nous avons fait ce qui était en notre pouvoir à l'époque. Les
25 experts ont rédigé leur rapport, ont déposé devant la Chambre de première
Page 110
1 instance.
2 Mais la défense s'étonne de constater que dans le jugement, à l'exception
3 de la dernière partie où l'on trouve un survol chronologique, on ne fait
4 aucunement mention de ce qu'ont fait les professeurs Jovanovic et
5 Draskovic. Nous comprenons certes que la Chambre dispose de certains
6 droits discrétionnaires qui lui permettent d'accepter ou de rejeter une
7 déposition. Cependant, si cette audition a eu lieu devant la Chambre, nous
8 estimons que la Chambre devrait expliquer pourquoi elle a accepté ou
9 rejeté le témoignage dudit témoin. Nous n'avons rien trouvé de la sorte,
10 où que soit, dans le jugement.
11 Comme ce sont des interrogatoires partiels qui ont pu être menés,
12 s'agissant de ces experts, qu'est-ce que nous avons constaté?
13 Je pense qu'il est préférable de voir le compte rendu d'audience relatif
14 au contre-interrogatoire des docteurs Jovanovic et Draskovic. En théorie
15 médicale et conformément à toutes les règles de l'art médical, il n'est
16 pas possible qu'une seule des victimes n'ait pas subi des conséquences
17 énumérées ici. Cependant, il n'y a pas de preuve qui nous aurait été
18 apportée.
19 Nous n'avons pas l'intention d'embarrasser les victimes ou de minimiser
20 leurs souffrances; en effet, elles ont vraiment vécu l'enfer. Mais il est
21 à peine concevable qu'un nombre si important de femmes soient exposées à
22 autant de sévices sexuels, sur une période aussi prolongée, sans qu'aucune
23 d'entre elles ne tombe enceinte. C'est quelque chose qui, statistiquement,
24 est vraiment négligeable comme possibilité. Pas une seule de ces femmes
25 n'a dit que, du fait de ce qu'elle avait subi -aucune preuve n'a été
Page 111
1 apportée à cet effet-, aucune d'entre elles n'a dit qu'elle ait subi de
2 problème permanent ou qu'elle était dans l'impossibilité d'avoir des
3 enfants.
4 Nous ne savons pas, nous ne pouvons pas voir ce qui s'est passé au moment
5 des faits puisque huit années se sont écoulées depuis, mais nous pouvons
6 voir ce que sont les conséquences, nous pouvons voir s'il y a vraiment des
7 choses qui se sont passées. Or, la science médicale nous dit que cela ne
8 s'est pas passé.
9 Malheureusement, dix années de guerre sur le territoire de l'ex-
10 Yougoslavie ont eu pour effet que certaines professions ont compris de
11 nouvelles choses. Pour le moment, les meilleurs experts -pour ce qui est
12 du syndrome post-traumatique ou d'autres syndromes traumatiques de
13 guerre-, on les trouve en ex-Yougoslavie du fait du grand nombre de
14 personnes qui ont subi de tels traumatismes. La recherche effectuée en
15 Croatie, en Bosnie… Et je pense ici à un ouvrage publié en l'an 2000. Je
16 suis désolé qu'on ait appris si tard l'existence de ce livre, mais d'après
17 cet ouvrage, au moins un tiers sinon deux tiers de victimes de sévices
18 sexuels, de violences sexuelles subissent des séquelles permanentes,
19 physiques. Or, ici, nous n'avons pas vu qu'il y ait eu une seule
20 conséquence physique à la suite de ces sévices sexuels.
21 Nous avons entendu parler de conséquences psychologiques de la part de
22 deux victimes qui nous ont dit en souffrir, sans pour autant fournir de
23 documents valables pour étayer cette affirmation, pour la corroborer.
24 La défense demeure d'avis que ceci ne relève pas de l'Article 96 du
25 Règlement. Il nous faut savoir s'il y a des conséquences ou pas. C'est
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1 seulement alors que nous pourrons dire avec un certain degré de certitude
2 si ces événements se sont effectivement produits ou pas.
3 Je voudrais aussi ajouter, s'agissant des avis d'expert, qu'un examen
4 médical a été fait de M. Zoran Vukovic. Vous avez tous les documents y
5 afférant dans le dossier de l'audience.
6 Il est aisé de voir que c'est là le seul examen d'expert qui ait été
7 effectué, conformément aux règles prescrites par la profession de médecin.
8 Et finalement, nous avons eu deux avis: celui du Dr de Grave, ainsi que
9 celui de notre expert.
10 La Chambre a conclu que les conclusions tirées par le Pr. de Grave étaient
11 valables à ce stade. Mais; sauf le respect que je dois à la Chambre, la
12 défense n'est pas de cet avis.
13 Je ne vais pas donner le détail des examens effectués ni des résultats
14 auxquels le médecin est parvenu, je demanderai à la Chambre d'en prendre
15 connaissance.
16 Le Dr de Grave a fondé ses conclusions pour l'essentiel -il l'a d'ailleurs
17 dit lui-même- sur ce qu'il avait appris par Internet à propos de l'espèce
18 et sur ses conclusions personnelles, sur la possibilité que les événements
19 se soient produits ou pas.
20 Il est allé jusqu'à dire que M. Zoran Vukovic aurait vu ceci. Et comme il
21 avait vu ce qui avait été fait à quelqu'un d'autre, il a dit que ceci lui
22 était arrivé à lui. C'est une façon de parvenir à des conclusions qui sont
23 contraires non seulement aux préceptes de la médecine, mais aussi à ceux
24 de la logique. On ne peut pas dire que ceci ne s'est pas passé.
25 Le Pr Dunjic -c'était l'expert de la défense- s'est fondé sur une
Page 113
1 expérience assez phénoménale et aussi sur le fait qu'il est reconnu comme
2 une sommité dans le monde entier dans ce domaine de la médecine. Il
3 affirme que ceci est bien arrivé à M. Vukovic. "Moi, je ne sais pas si
4 ceci est arrivé" a-t-il dit, "mais d'après tout ce qui a été fait, la
5 probabilité est énorme que ceci se soit effectivement passé."
6 Bien sûr, il incombera à la Chambre d'accepter de retenir cet avis
7 d'expert ou de le rejeter.
8 Cependant, si elle le rejette, la Chambre doit motiver sa décision. Il ne
9 suffit pas de dire qu'il l'a fait ou qu'il ne l'a pas fait; il faut que
10 tout soit recadré et replacé dans son contexte dans une espèce telle que
11 la nôtre.
12 En conclusion, je voudrais ainsi terminer les questions relatives aux avis
13 d'experts qui ont déposé pendant le procès.
14 M. le Président: Est-ce qu'il y a des questions?
15 Monsieur le Juge Shahabuddeen?
16 M. Shahabuddeen (interprétation): Un tout petit point, Maître Jovanovic.
17 Est-ce que vous invitez les Juges de la Chambre d'appel à estimer que ces
18 femmes, en fait, n'ont pas donné naissance, n'ont pas eu d'enfant? Ou est-
19 ce que vous dites à la Chambre d'appel que cette question n'avait pas été
20 vraiment étudiée, ni dans un sens ni dans un autre?
21 M. Jovanovic (interprétation): Monsieur le Juge, je ne dis pas ici
22 qu'elles n'ont pas eu d'enfant. Certaines de ces femmes nous ont dit
23 qu'elles sont mariées aujourd'hui, qu'elles ont effectivement des enfants.
24 La défense dit ceci: il est impossible d'imaginer une situation, ou plutôt
25 aucune preuve n'a été apportée que ceci s'est bien passé. Il n'a pas été
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1 prouvé qu'une femme soit tombée enceinte et ait eu un enfant pendant cette
2 période. Les témoins qui étaient des victimes se sont vu poser cette
3 question et, parlant d'elles-mêmes et parlant d'autres femmes qu'elles
4 connaissaient, elles ont toujours dit qu'il n'y a pas eu un seul cas où
5 une femme serait tombée enceinte.
6 M. Shahabuddeen (interprétation): Et vous dites qu'il y a des preuves,
7 dans le dossier de l'audience en première instance, où les témoins
8 auraient dit à la Chambre de première instance qu'elles n'étaient pas au
9 courant qu'il y aurait une victime qui aurait connu une grossesse suite à
10 ces allégations?
11 Très bien. Je vous remercie.
12 M. le Président: Monsieur Schomburg?
13 M. Schomburg (interprétation): Merci.
14 J'ai une question effectivement parce que je n'ai pas bien saisi votre
15 intention, Maître.
16 Vous avez dit que vous considérez que c'est là une mission dans le
17 jugement: le fait qu'on ne fasse aucunement mention des dires des experts
18 Jovanovic et Braskovic. Et puis, vous parlez de la question qu'ils ont
19 abordée, à savoir les conséquences physiques des actes présumés.
20 Permettez-moi de porter votre attention sur le paragraphe 852 du jugement.
21 Là, vous avez un élément qui dit -je cite-: "La considération des
22 conséquences d'un crime où la victime a été lésée de façon directe est
23 cependant toujours importante pour déterminer la peine à impliquer à
24 l'auteur, mais ces conséquences font partie intégrante de la définition de
25 l'infraction. Mais il faut éviter de les voir séparément lorsqu'on
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1 détermine la peine." (Fin de citation.)
2 Si je vous ai bien compris, vous dites qu'il y a eu des témoignages
3 d'expert sur ces conséquences, mais n'est-il pas exact de dire que ces
4 conséquences ne peuvent être considérées que comme des circonstances
5 aggravantes? Est-ce que vous pourriez dire aux Juges de la présente
6 Chambre où dans le jugement vous trouverez énoncée la moindre de ces
7 conséquences considérées comme étant des facteurs aggravants, s'agissant
8 des accusés? Parce qu'à mon avis, ceci serait la seule forme de violation
9 des droits des accusés.
10 M. Jovanovic (interprétation): Monsieur le Juge, je n'ai sans doute pas
11 été suffisamment clair. Je vais essayer de préciser mon propos.
12 Des conséquences possibles qui pourraient découler auraient sans doute une
13 incidence sur la gravité de la peine imposée lorsqu'il s'agit de
14 déterminer la peine adéquate. L'intention de la défense n'était pas
15 d'établir un lien entre ces conséquences et la peine, ou des circonstances
16 aggravantes, nous essayons de dire ceci: nous disons que l'absence de
17 conséquences jette un doute sur la totalité de l'affirmation selon
18 laquelle il y aurait eu viol d'autant de femmes sur une période aussi
19 longue par autant d'hommes.
20 En vertu de l'Article 96, il n'est pas nécessaire de corroborer la
21 déposition de victimes de viol, mais l'absence de conséquences indique
22 qu'en toute probabilité, ces viols n'ont jamais eu lieu. Et c'est ce que
23 nous essayons d'affirmer.
24 M. le Président: Je comprends bien, Maître Jovanovic, que le fait qu'à vos
25 yeux l'accusation n'aurait pas réussi, à vos yeux, à démontrer ce qui est
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1 dit au point 1.8 de l'Acte d'accusation jetterait un doute raisonnable sur
2 la culpabilité, pas forcément sur la peine mais sur la culpabilité du ou
3 des accusés. C'est ça que vous dites.
4 Merci de cette précision. S'il n'y a pas d'autre question, nous avons
5 encore quelques minutes.
6 Vous vouliez ajouter quelque chose?
7 M. Jovanovic (interprétation): Non, Monsieur le Président. Merci.
8 M. le Président: Merci. Nous avons maintenant à aborder les moyens fondés
9 sur la définition des infractions portant à la fois sur les motifs communs
10 aux quatre accusés et sur des motifs individuels.
11 Normalement, dans notre plan d'audience, nous avons pensé interrompre vers
12 14 heures 45. Donc nous pouvons prendre ce point.
13 Je n'ai pas de précision quant à l'identité. Je crois que plusieurs
14 d'entre vous veulent intervenir. Pouvez-vous vous avancer, vous lever et
15 vous annoncer? Est-ce que vous avez un plan, est-ce qu'il y a un plan de
16 répartition entre vous?
17 Je vois que Me Kolesar va se lever? Pouvez-vous nous annoncer simplement,
18 pour éclairer le débat, qui va intervenir et sur quels points, chacun
19 d'entre vous, vous allez intervenir?
20 M. Kolesar (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
21 Les conseils sont convenus que j'interviendrais pour parler de la
22 réduction en esclavage et des atteintes à la dignité de la personne, en ce
23 qui concerne tous les accusés. Nous interviendrons donc sur ce point.
24 Mon confrère, Me Prodanovic, quant à lui va parler du crime de viol et du
25 crime de torture. Et ceci mettrait un terme à notre présentation en ce qui
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1 concerne les points communs aux trois accusés; ce serait les motifs
2 communs.
3 Après cela, chaque conseil de la défense prendra la parole pour chacun des
4 accusés. Je pense que nous en avons informé la Chambre déjà.
5 M. le Président: Très bien, merci. Nous vous écoutons sur l'infraction
6 d'esclavage, Maître Kolesar.
7 Nous ferons une pause vers moins le quart. Allez-y.
8 (Présentation des arguments de la défense relatifs à l'infraction
9 "d'esclavage", par Me Kolesar.)
10 M. Kolesar (interprétation): L'Article 5C) dit que "le Tribunal est
11 compétent pour juger quelqu'un accusé du crime de réduction en esclavage".
12 Il prévoit aussi que "la réduction en esclavage doit concerner la
13 population civile dans un conflit armé, qu'il soit de caractère
14 international ou interne". Les éléments constitutifs de cette infraction
15 ne sont, bien sûr, pas détaillés dans le Statut. On peut soulever des
16 questions d'ordre pratique et théorique quant à la possibilité d'appliquer
17 cette disposition du Statut aux circonstances de l'espèce.
18 La défense estime qu'il faut faire une distinction très claire entre les
19 notions de réduction en esclavage, comme le droit international l'a
20 examiné jusqu'à présent, à commencer par la Déclaration de Vienne de 1815
21 jusqu'à nos jours, et la détention ou la captivité telle qu'on la retrouve
22 citée dans l'Acte d'accusation.
23 La défense estime que la réduction en esclavage doit s'interpréter en
24 vertu du terme "esclavage" et non pas "captivité" ou "privation de liberté
25 ou de liberté de mouvement".
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1 Un spécialiste du droit, juriste éminent, estime qu'on peut avoir diverses
2 formes de réduction en esclavage. Cette réduction vise quelqu'un qui
3 estime avoir un droit de propriété sur la personne réduite en esclavage
4 pour la forcer à travailler ou pour la soumettre à un esclavage sexuel.
5 L'esclavage sexuel implique aussi la détention d'une personne donnée afin
6 que ladite personne exerce certaines activités sexuelles, avec ou sans
7 rémunération.
8 En tout état de cause, s'agissant des accusés qui sont devant vous, on
9 peut uniquement les accuser d'avoir commis ce crime de réduction
10 d'esclavage sexuel. Mais pour considérer ce dernier comme crime de guerre,
11 en vertu des dispositions de l'Article 5C) du Statut, il faut réunir
12 certaines conditions.
13 Tout d'abord, nous estimons qu'il faut d'abord avoir une intention,
14 l'intention de détenir une personne donnée pour utiliser telle personne à
15 des fins sexuelles, mais de telle sorte que cette personne soit transférée
16 ou détenue dans un lieu donné pour une période prolongée.
17 La défense des accusés estime qu'un des premiers éléments constitutifs de
18 cette infraction doit être l'intention au moment de transférer quelqu'un à
19 un endroit donné à des fins sexuelles précises. Il faut que cette personne
20 soit maintenue en détention en état de propriété de la personne qui va
21 s'adonner à ces actes sexuels dans un lieu donné, ou il faut que cette
22 personne soit dans ces conditions pendant un certain temps.
23 Ce type d'intention n'a pas été prouvé, contre aucun des accusés.
24 Le deuxième élément dont il faut apporter la preuve pour établir la
25 réalité de ce crime, du moins aux yeux de la défense, c'est que le
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1 transfert ou la détention soit effectué aux fins de se livrer à des actes
2 sexuels sans le consentement de la personne ainsi placée en détention.
3 En l'espèce, il n'a pas été prouvé que la détention de certains de ces
4 témoins se soit faite sans consentement ou contre la volonté de ces
5 témoins. Pour en faire la preuve, l'accusation aurait dû prouver qu'il y
6 avait absence, défaut de consentement, lequel aurait dû être formulé de
7 façon claire. Il aurait dû être constant, ce qui pourrait évacuer tout
8 doute quant au manque de volonté des victimes de rester à cet endroit.
9 Il faut également prouver que cette absence de consentement était réelle
10 et devait être continue pendant toute la durée de la détention.
11 Aucun des témoins qui ont déposé ici n'a dit n'avoir pas voulu rester dans
12 cette maison où elles ont été gardées un certain temps. Aucun de ces
13 témoins n'a confirmé qu'elles n'auraient pas eu la liberté de mouvement
14 nécessaire. Au contraire, toutes ont dit qu'elles avaient une certaine
15 liberté de mouvement et ceci a été étayé d'ailleurs par des éléments
16 présentés par la défense. Il a été montré que les victimes ou les témoins
17 auraient pu faire de la résistance, auraient pu s'échapper, auraient pu
18 chercher l'aide des témoins pour qu'elles soient libérées de ce type de
19 captivité.
20 Troisième élément qui doit être prouvé pour constituer la responsabilité
21 pénale en l'espèce, c'est la période qui ne peut pas être brève. Il faut
22 prouver qu'une personne qui en réduit une autre en esclavage le fait sans
23 limite dans le temps. En effet, si le temps est limité, on peut se
24 demander s'il est possible de dire qu'il y a crime de réduction en
25 esclavage.
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1 La défense estime que pour établir l'infraction de réduction en esclavage,
2 il faut que la victime soit réduite en esclavage pendant une certaine
3 période. Période qui doit être telle que l'intention de garder la victime
4 dans cette situation doit apparaître manifestement et que la volonté de la
5 garder pour une période indéfinie doit être tout aussi manifeste. Si ce
6 n'est pas le cas, il n'est pas possible de dire qu'il y a crime de
7 réduction en esclavage.
8 Quatrième élément constitutif: c'est que la personne qui est coupable de
9 réduction en esclavage traite la personne réduite ainsi en esclavage comme
10 étant sa propriété.
11 Nous estimons que la défense n'a pas apporté la preuve qu'aucun des
12 accusés à qui ces crimes sont reprochés se soit comporté de cette façon à
13 l'égard d'une quelconque des victimes.
14 Or, effectivement, il faut en apporter la preuve à partir de critères
15 objectifs et non pas d'impressions subjectives données par les victimes.
16 La défense affirme que l'accusation n'a pas apporté la preuve de ces
17 éléments constitutifs de la réduction en esclavage en vertu de l'Article
18 5(c) du Statut pour aucun des accusés.
19 La défense de tous les accusés estime que l'accusation n'a pas prouvé, au-
20 delà de tout doute raisonnable, qu'il y a eu esclavage sexuel. A cet
21 égard, permettez-nous de renvoyer à l'affaire Martiol et Makassol, une
22 affaire "Takeuchi Hirioe", personne qui a été condamnée à cinq ans
23 d'emprisonnement pour avoir violé une femme qui était restée avec lui de
24 novembre 1943 à octobre 1944, donc pour onze mois. Cette personne n'a pas
25 été jugée coupable d'esclavage sexuel. En l'occurrence, l'accusation a
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1 demandé une peine de dix ans.
2 Ce sera tout pour ce qui est de la question de réduction en esclavage.
3 Je ne sais pas si vous avez des questions. Il sera peut-être utile de les
4 avoir maintenant; de cette façon, nous pourrons passer à l'autre
5 infraction? Ou préférez-vous que je continue, Monsieur le Président, en ce
6 qui concerne la deuxième infraction?
7 M. le Président: Autant l'aborder. Je vois que le Juge Güney veut poser
8 une question.
9 M. Güney: Maître Kolesar, l'élément constitutif de la réduction en
10 esclavage, vous avez dit: "Si la période est limitée, il n'y a pas
11 réduction en esclavage."
12 M. le Président: Monsieur le Juge Güney, les interprètes me demandent si
13 vous pouvez orienter votre micro. Voilà, c'est pour les interprètes. Ce
14 n'est pas pour moi qui vous entendais très bien dans ma langue maternelle.
15 Merci.
16 M. Güney: Merci, Monsieur le Président. Je vais répéter.
17 Maître Kolesar, quand vous avez énuméré les éléments constitutifs de la
18 réduction en esclavage, vous avez cité la période limitée de l'esclavage
19 et vous avez conclu en disant que, si la période est limitée, il n'y a pas
20 la réduction en esclavage. Auriez-vous la bonté de développer un peu plus
21 là-dessus?
22 Qu'est-ce que vous entendez par période limitée? Est-ce que vous pouvez
23 illustrer avec des exemples concrets? Merci.
24 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, on m'a posé une question
25 analogue après la fin de ma plaidoirie. Madame la Juge Mumba m'a demandé
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1 quelle période de temps était nécessaire pour remplir les critères de
2 réduction en esclavage et, lorsque cette question m'a été posée, j'ai
3 répondu qu'il était très difficile de définir une limite de temps, une
4 période de temps parce que ce n'est pas le temps lui-même qui compte pour
5 établir un des éléments de ce crime. Il faut observer tout cela dans le
6 contexte des autres éléments que j'ai également évoqués. Et puis la durée,
7 c'est quelque chose de relatif.
8 J'ai évoqué une affaire qui a été jugée au Japon et l'accusé a été reconnu
9 coupable de viol en dépit du fait qu'il a détenu la victime pendant une
10 période de onze mois. Si nous devons donc accepter cette position, on voit
11 que, dans le cas d'espèce, onze mois n'a pas été une période suffisante
12 pour établir la réduction en esclavage; de ce fait, la période de temps ne
13 constitue que l'un des éléments.
14 De surcroît, il faut prendre en compte l'intention de la personne qui
15 détient quelqu'un en captivité. Il faut prouver que cette personne avait
16 l'intention de détenir la victime pour une période de temps indéfini. De
17 ce fait, il m'est difficile de définir pour vous une période de temps,
18 mais il faut que cette période -disons- soit assez longue, pas moins d'un
19 an, si l'on s'en tient à la décision japonaise et si l'on veut aller dans
20 cette logique. Et bien entendu, il faut prendre en compte les autres
21 éléments pour voir si le crime de réduction en esclavage a été
22 effectivement établi.
23 J'espère que ma réponse a été satisfaisante.
24 M. le Président: Juge Shahabuddeen?
25 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Kolesar, je me demandais si vous
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1 pourriez nous redonner les références exactes des deux affaires sur
2 lesquelles vous vous fondez: l'affaire qui date de 1943, 1944 et l'affaire
3 qui vient du Japon?
4 Peut-être la meilleure solution serait-elle de communiquer une feuille de
5 papier avec les éléments indiqués, aussi bien à la Chambre qu'à
6 l'accusation? De ce fait, nous bénéficierions tous des références exactes.
7 Mais je souhaite également vous poser la question suivante: est-ce que,
8 dans la première affaire que vous avez évoquée -il y a eu l'affaire de
9 1943, 1944-, est-ce qu'il y a eu chef d'accusation de "réduction en
10 esclavage"?
11 Et la question se pose également pour l'affaire japonaise.
12 Et je voudrais également savoir si les dispositions juridiques aux termes
13 desquelles l'acte d'accusation a été établi au Japon ont été telles que le
14 chef d'accusation établi au Japon, l'acte d'accusation établi au Japon
15 contenait un chef d'accusation de réduction en esclavage?
16 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, j'ai commis une erreur et
17 je vous prie de m'excuser. Nous ne parlons pas ici de deux affaires, nous
18 parlons d'une seule affaire: je n'ai évoqué qu'une affaire, une affaire
19 japonaise. Donc une seule affaire pas deux.
20 Et deuxième chose, c'est que, pour être très franc, je n'ai pas
21 d'information supplémentaire à vous communiquer s'agissant de l'acte
22 d'accusation et pour savoir s'il comprenait le chef de réduction en
23 esclavage. Je sais en tout cas que l'accusé en question a été condamné à
24 cinq ans d'emprisonnement pour crime de viol et je sais que le Procureur
25 avait demandé une peine de dix ans. Voici tous les faits dont je dispose
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1 au sujet de cette affaire.
2 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci, Maître Kolesar.
3 M. le Président: Monsieur le Juge Schomburg?
4 M. Schomburg (interprétation): Merci.
5 Je souhaiterais revenir à la question du consentement. Il est indéniable
6 que la charge de la preuve repose sur l'accusation, mais je voudrais
7 savoir si vous reconnaissez ou si vous accepteriez le fait que, dans
8 toutes les affaires de réduction en esclavage, de privation de liberté, il
9 faut dans une certaine mesure partir du principe d'un non-consentement de
10 la personne ainsi privée de liberté?
11 Deuxième élément de ma question. En ce qui concerne l'erreur de fait que
12 vous évoquez, je voudrais vous demander la chose suivante: est-ce que vous
13 souhaitez dire qu'il y a eu une erreur sur les faits en nous disant que
14 toutes les personnes, dont on dit qu'elles avaient été réduites en
15 esclavage, étaient en fait là de leur propre chef et consentaient à leur
16 présence sur place?
17 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, affirmer une telle chose
18 relèverait de l'illusion. Il s'agit des éléments qui déterminent
19 l'existence d'un crime. Mais pour déterminer qu'il y a un crime, il faut
20 que tous les éléments soient présents ensemble. Ce n'est que si ceci est
21 établi que l'on peut dire qu'effectivement, il y a eu crime de réduction
22 en esclavage. Voici l'opinion de la défense.
23 En ce qui concerne le premier point, il y a un facteur objectif et
24 subjectif de la part de quelqu'un qui détient une autre personne en état
25 de captivité. Cette personne peut subjectivement avoir une impression,
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1 donc une impression subjective au sujet de la personne qui est détenue en
2 captivité; celui qui détient l'autre peut avoir l'impression que la
3 personne détenue en fait a donné son consentement.
4 Pourquoi? Eh bien, parce que, par exemple, la personne détenue ne fait pas
5 montre ouvertement de son manque de consentement. Mais c'est là une
6 question d'ordre théorique extrêmement sérieuse, extrêmement pointue qui,
7 en fait, relève plus de la science médicale.
8 M. le Président: Juge Meron?
9 M. Meron (interprétation): Je voudrais revenir à un élément que vous avez
10 évoqué précédemment au sujet de la période indéfinie.
11 Vous nous dites que les détentions… Nous savons tous que, pendant la
12 Deuxième Guerre mondiale, il y a eu des jeunes qui venaient, par exemple,
13 de France ou d'autres pays, qui ont été contraints d'aller en Allemagne
14 pour travailler, et ceci, de manière forcée. On les a forcés à aller en
15 Allemagne pour une période de mettons un ou deux ans. Or, les Allemands,
16 les autorités nazies n'avaient nullement l'intention de garder chez eux
17 ces jeunes gens pendant une période indéfinie.
18 Est-ce que vous considéreriez ce cas comme une réduction en esclavage ou
19 non?
20 M. Kolesar (interprétation): Je vais être tout à fait franc avec vous,
21 Monsieur le Juge. J'ai du mal à faire le lien entre ces deux affaires, à
22 faire un parallèle entre l'événement qui nous intéresse, nous en propre,
23 et les événements qui ont eu lieu au cours de la Deuxième Guerre mondiale,
24 les actions des nazis allemands. Je peux simplement partir de l'hypothèse
25 que les autorités nazies ont rassemblé tous ces jeunes gens non seulement
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1 de France, mais d'autres pays pour les garder indéfiniment. Mais moi, je
2 n'étais pas là, je n'étais pas sur place à ce moment-là et je n'ai pas de
3 connaissance particulière à ce sujet. Donc, j'aurais du mal à faire une
4 comparaison entre ces deux affaires.
5 M. Meron (interprétation): Oui, mais moi, la raison pour laquelle
6 j'évoquais la chose de cette manière, c'était parce que vous avez parlé de
7 périodes indéfinies.
8 Il y a eu des cas de réduction en esclavage qu'on a considérés comme une
9 réduction en esclavage, mais dont l'objectif n'était pas d'être indéfini.
10 Mais je comprends très bien que ces deux cas d'espèce sont en effet très
11 différents.
12 Merci beaucoup.
13 M. le Président: Un point de précision.
14 Vous avez parlé, dans le premier élément, de l'intention de détenir à des
15 fins sexuelles; vous y incluez donc la connotation sexuelle. Est-ce que
16 cela vous paraît faire partie de façon générale de la réduction en
17 esclavage, telle qu'elle est interprétée par la Convention de Vienne, ou
18 même, dans notre cas précis, par rapport au Statut qui prévoit à la fois
19 la réduction en esclavage et le viol?
20 Or, vous avez dit: "Le premier élément, c'est l'intention de détenir à des
21 fins sexuelles." Ou alors j'ai mal entendu?
22 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Président, j'ai dit que, vu la
23 position de l'accusation, la défense a interprété le mot de "réduction en
24 esclavage", en l'espèce, comme une réduction en esclavage sexuel,
25 réduction en esclavage de nature sexuelle.
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1 M. le Président: Bien. Je vous remercie, Maître Kolesar.
2 S'il n'y a plus de question, nous allons procéder à notre pause. Nous
3 allons ajourner pendant vingt minutes. Nous reprendrons vers 15 heures 05.
4 L'audience est suspendue.
5 (L'audience, suspendue à 14 heures 46, est reprise à 15 heures 11.)
6 M. le Président: L'audience est reprise. Faites entrer les accusés.
7 Veuillez vous asseoir.
8 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)
9 Asseyez-vous.
10 (Les accusés s'assoient.)
11 Tout le monde est en place?
12 Maître Prodanovic, sur la définition des infractions, plus spécialement
13 viols et tortures. C'est cela?
14 (Présentation des arguments de la défense relatifs à l'infraction "crime
15 et atteinte à la dignité humaine", par Me Kolesar.)
16 M. Kolesar (interprétation): Messieurs le Président, Messieurs les Juges,
17 je dois encore vous dire quelques phrases au sujet du crime d'atteinte à
18 la dignité humaine.
19 M. le Président: Excusez-moi, je n'avais pas pris note, mais allez-y.
20 M. Kolesar (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
21 L'Acte d'accusation modifié contre Kunarac et Kovac, aux paragraphes 20.1
22 pour Kunarac et 20.5 pour Kovac, leur reproche des atteintes…
23 M. le Président: Problème de traduction sur le canal 4.
24 (Intervention de l'huissier.)
25 D'accord. Maître Kolesar, vous pouvez reprendre.
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1 M. Kolesar (interprétation): Pour l'accusation, les atteintes à la dignité
2 des personnes constituent une violation des lois ou coutumes de la guerre.
3 Ce qui peut recouvrir beaucoup de choses: tout ce qui n'a pas été
4 expressément défini comme un crime dans le statut du Tribunal.
5 La défense, à l'époque et aujourd'hui, se prononce en faux contre cette
6 position et nous allons, une fois de plus, profiter de l'occasion qui nous
7 est donnée pour dire que, lorsqu'on parle des violations des lois ou
8 coutumes de la guerre au sens de l'Article 3.1, on ne parle pas des
9 atteintes aux droits des personnes physiques.
10 Les dispositions de cet Article ne protègent pas les droits des individus
11 parce que ceci, ce sont l'Article 2, l'Article 4 et l'Article 5 du Statut
12 qui le font. Et puisque l'individu, la personne humaine n'est pas protégée
13 par ces dispositions, cela signifie que ce crime, qui ne peut être commis
14 qu'à l'encontre d'une personne physique, ne peut pas relever de l'Article
15 3 du Statut du Tribunal.
16 La défense n'arrive pas à comprendre les efforts de l'accusation et de la
17 Chambre de première instance pour à tout prix qualifier ce crime comme une
18 violation des lois ou coutumes de la guerre, alors que l'Article 5E) donne
19 une définition plus générale d'autres actes inhumains. Nous estimons que
20 l'Article 5 est beaucoup plus approprié pour rendre compte des éléments
21 recouverts par les atteintes à la dignité des personnes, parce qu'il
22 s'agit indéniablement d'actes inhumains.
23 Et vu ce que je viens de vous dire, la défense estime que le Tribunal ne
24 doit pas considérer qu'il s'agit là d'un acte sanctionné par l'Article 3
25 du Statut du Tribunal. La défense estime que les atteintes à la dignité
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1 des personnes ne constituent pas un crime spécifique dans le droit
2 international pénal. Cela ne figure d'ailleurs pas dans les systèmes
3 nationaux; on ne trouve pas ça par exemple dans le droit coutumier.
4 La défense estime que la dignité des personnes est garantie par les
5 accords internationaux sur les droits de l'homme, mais les modes de
6 violation des personnes, ces différentes violations ne sont pas des crimes
7 individuels puisque la dignité des personnes peut se voir violée par le
8 biais d'autres crimes, d'autres crimes qui entraînent l'atteinte à la
9 dignité des personnes. Comme, par exemple, le crime de viol qui constitue
10 une atteinte à la dignité des personnes, car cet acte comprend un acte qui
11 a pour objectif de briser la résistance des victimes et de les contraindre
12 à un rapport sexuel.
13 Une femme qui est victime de ce genre d'acte, qui est contrainte à se
14 soumettre à un acte auquel elle ne consent pas, voit sa dignité
15 personnelle atteinte.
16 Cependant, nous demandons si, en commettant un tel crime, l'auteur en fait
17 ne commet pas deux crimes, à savoir le crime de viol et le crime
18 d'atteinte à la dignité personnelle?
19 La défense estime que ces actes ne peuvent pas constituer deux crimes. Et
20 nous estimons que la Chambre de première instance, dans Furundzija, est
21 partie du même point de vue: affaire IT-95-17-1 où Furundzija a été
22 reconnu coupable d'atteinte à la dignité des personnes, y compris d'actes
23 de viol.
24 Contrairement à ce qu'a estimé la Chambre de première instance, en
25 l'espèce, la défense estime que si le viol est prouvé, à ce moment-là, il
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1 n'y a pas de crime d'atteinte à la dignité des personnes, car cette
2 deuxième infraction, ce deuxième crime est contenu dans le crime de viol.
3 Le viol en fait est un acte qui constitue à violer, à atteindre la dignité
4 personnelle de la personne violée. Le viol est perçu par la victime comme
5 une insulte, comme une humiliation, mais, en plus de cette humiliation, la
6 victime subit un traumatisme grave, un traumatisme émotionnel et mental
7 grave. Mais cela constitue les conséquences de l'infraction et pas
8 l'infraction elle-même.
9 Donc, vu ce que je viens de dire, nous estimons que l'humiliation peut
10 avoir lieu si par exemple la personne a été contrainte à effectuer un acte
11 sexuel. Mais il peut également y avoir des traumatismes physiques qui sont
12 pris en compte uniquement pour savoir quel est le degré de gravité du
13 crime et de l'infraction. Cela, on l'examine au moment de la détermination
14 de la peine, mais pas au moment où il s'agit de déterminer si l'accusé est
15 coupable ou non.
16 La défense estime que les atteintes à la dignité des personnes, ce sont
17 des infractions qui doivent être comprises dans une autre infraction, que
18 ce soit torture, viol ou autres. Parce que ce genre d'infractions comprend
19 les atteintes, inclut les atteintes à la dignité des personnes telles
20 qu'elles sont perçues par les victimes. Si ce n'était pas le cas, si l'on
21 devait partir du principe que l'atteinte à la dignité des personnes doit
22 être considérée comme un crime à part entière, un crime individuel, à ce
23 moment-là, on se trouverait dans une situation totalement inacceptable où
24 les éléments de ce crime précis seraient pris en compte, qui sont les
25 mêmes que les crimes que les éléments des crimes de viol, torture, etc.,
Page 131
1 qui constituent des atteintes à la personne et à son bien-être.
2 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'en ai terminé de mon exposé
3 au sujet de cette infraction particulière et aussi des crimes qui
4 s'appliquent à tous les accusés.
5 M. le Président: Merci, Maître Kolesar. Pas de question particulière?
6 Bien.
7 Maître Prodanovic?
8 (Présentation des arguments de la défense relatifs à l'infraction
9 "torture", par Me Prodanovic.)
10 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les
11 Juges, j'avais prévu de parler du viol en tant que crime, mais comme je
12 suis également le conseil de M. Kunarac, je devrai peut-être parler des
13 éléments individuels de l'infraction de torture qui s'applique à mon
14 client.
15 De cette façon, je pourrais couvrir tous les thèmes que je souhaiterais
16 aborder. Ainsi, je contribuerai aussi bien à la discussion générale, mais
17 je traiterai spécifiquement les points qui concernent plus spécifiquement
18 M. Kunarac.
19 M. le Président: Je suppose que c'est en accord avec vos confrères, vos
20 consœurs que vous avez décidé de parler de cette façon-là, dans cet ordre-
21 là? Nous vous écoutons.
22 M. Prodanovic (interprétation): Oui. Dans notre requête, nous avions
23 informé la Chambre de la façon dont nous nous étions réparti le travail.
24 En ce qui concerne l'accusé Kunarac, c'est la déclaration de culpabilité
25 pour viol aux termes de l'Article 5 du Statut. Du fait que ces charges
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1 sont décrites dans un des paragraphes de l'Acte d'accusation -paragraphe
2 10.2-, nous nions le fait que ces allégations aient été produites au-delà
3 de tout doute raisonnable.
4 Les témoins FWS-186 et 191 auraient soi-disant été détenus dans une maison
5 abandonnée pendant six mois, à Trnovaca, à partir du 2 août 1992. On a
6 également allégué qu'au cours de leur détention, au cours de la détention
7 de ces témoins, l'accusé Kunarac avait sans relâche violé le témoin FWS-
8 91, alors que DP6 a violé à de très nombreuses reprises le témoin FWS-186.
9 Kunarac s'était réservé FWS-91.
10 Au paragraphe 3, on peut lire que "les jeunes filles étaient traitées
11 comme des biens personnels par Dragoljub Kunarac et qu'elles étaient
12 contraintes d'effectuer des tâches ménagères et d'obéir à toutes leurs
13 exigences".
14 La défense estime que Kunarac ne peut pas être tenu pour responsable de
15 cet acte, aux termes de l'Article 5(c) du Statut, parce que ces actes ne
16 constituent pas les éléments de ce crime.
17 Pour ce qui est des éléments généraux du crime de réduction en esclavage,
18 je ne vais pas répéter ce qu'a dit mon éminent confrère, Me Kolesar. Je
19 suis tout à fait d'accord avec lui. Je vais me concentrer sur les éléments
20 et les actes individuels de l'accusé Kunarac qui n'ont pas été évalués
21 comme il l'aurait fallu par la Chambre de première instance, sinon on
22 n'aurait pas considéré que ces actes relevaient des articles concernés.
23 La défense estime que la Chambre de première instance aurait dû prendre en
24 compte la totalité du contexte, ainsi que le lien entre l'accusé Kunarac
25 et les événements qui figurent à l'Acte d'accusation.
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1 Je vais maintenant parler des faits incontestés qui ont été établis
2 pendant le procès et qui vont montrer que les actes de Kunarac ne peuvent
3 pas être considérés comme des actes qui constituent une réduction en
4 esclavage. Et ceci va vous prouver que la Chambre de première instance
5 s'est trompée lorsqu'elle l'a déclaré coupable de ce crime.
6 Les témoins FWS-191 et 186 ont dit que Kunarac et DP6 les avaient amenées
7 à la maison, le 2 août 1992. Dans sa déposition, Kunarac a déclaré qu'il
8 était allé pour la première fois à la maison de Trnovace le 9 août 1992.
9 Et lorsqu'elles sont arrivées à la maison, elles ont vu sur la porte de
10 cette maison le nom de DP6, DP6 qui résidait dans cette maison lorsqu'il
11 n'était pas sur la ligne de front. On peut s'en convaincre en se reportant
12 à la page 3180 du compte rendu d'audience.
13 DP6 a protégé les témoins FWS-191 et FWS-186 et il est même arrivé
14 qu'elles lui demandent de pouvoir rester dans la maison. Et lui, leur a
15 dit qu'il valait mieux qu'elles restent dans la maison parce que, si elles
16 s'en allaient, elles risquaient d'être violées par d'autres hommes. Ceci
17 figure à la page 3181 du compte rendu d'audience.
18 Le témoin 191, dans sa déposition, a dit que "Zaga" Kunarac ne les avait
19 jamais frappées, ne les avait jamais giflées, ne les avait jamais
20 invectivées.
21 Elles n'ont pas quitté Trnovace alors qu'elles avaient une clef et,
22 souvent, elles restaient pendant des journées entières toutes seules parce
23 qu'elles n'avaient nulle part où aller. Ceci, on pourra le constater à la
24 page 3184 du compte rendu d'audience.
25 Kunarac et DP6, à deux reprises, ont emmené une lettre de 186 et de 191 à
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1 Kalinovik, pour les mères des témoins, et leur ont apporté les réponses de
2 leurs mères, ainsi que des vêtements. Et ceci figure à la page 3189 du
3 compte rendu d'audience
4 A la fin septembre 1992, Kunarac a obtenu des laissez-passer qui ont été
5 délivrés au nom des jeunes filles qui leur ont permis de quitter Trnovace
6 et de se rendre au Monténégro.
7 Le témoin 191, eh bien, il lui a proposé d'aller dans sa famille à Tivac,
8 là où habitait la famille de Kunarac, mais le témoin 191 a décliné cette
9 offre parce que le témoin 186 n'était pas d'accord. Ceci on peut le
10 constater aux pages 3219 et 3218 du compte rendu d'audience.
11 L'accusé Kunarac a donné à la mère de 191 son numéro de téléphone et celui
12 de sa maison à Tivac où résidaient sa femme et ses enfants, de façon que
13 cette mère puisse vérifier l'endroit où se trouvait sa fille. Ceci a été
14 confirmé par la mère du témoin 191, le témoin 192 donc.
15 M. le Président: Je voudrais bien comprendre l'exercice auquel vous nous
16 invitez. J'ai cru personnellement -mais peut-être me suis-je trompé- que,
17 par rapport à la définition du crime de viol que vous pouviez reprocher
18 avoir était celle de la Chambre, vous alliez essayer de montrer peut-être
19 que la Chambre avait erré en droit et erré en fait.
20 J'ai un peu l'impression que là, vous re-plaidez des éléments de fait.
21 Je voudrais au moins comprendre votre méthode, si vous pouvez nous
22 l'expliquer. Vous voyez ma question?
23 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Président, mon confrère, Me
24 Kolesar, a parlé de la réduction en esclavage sur le plan du droit et,
25 puisque mon client, M. Kunarac, a été jugé coupable de cet acte en
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1 particulier…
2 M. le Président: D'accord, poursuivez. Ensuite, le Juge Meron. Ensuite…
3 Il n'y a plus d'interprétation? Plus d'interprétation.
4 L'interprète française: Vous m'entendez, Monsieur le Président?
5 M. le Président: Oui.
6 Juge Meron, vous entendez? Vous n'entendez rien?
7 M. Meron (interprétation): Peut-être que le conseil de la défense pourrait
8 recommencer son exposé et je verrai si j'ai perdu quelque chose.
9 M. le Président: Peut-être pourriez-vous reprendre la réponse que vous me
10 faisiez à l'intention d'un de nos collègues qui ne semble pas avoir
11 d'interprétation.
12 Vous avez compris ma question?
13 M. Prodanovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
14 Mon confrère, Me Kolesar, a parlé de façon générale de l'acte de
15 "réduction en esclavage". Je n'ai donc pas nécessité de reprendre ce qu'il
16 a déjà dit à ce sujet. Mais mon client a été déclaré coupable de
17 "réduction en esclavage", donc j'aimerais, sur le plan des faits, essayer
18 de voir si les actes commis par lui peuvent être englobés par cette
19 qualification particulière. Ensuite, je parlerai du viol et de la torture,
20 et ce, afin de ne pas revenir sur l'aspect des faits liés à la réduction
21 en esclavage.
22 M. le Président: Essayez toujours de rester relié à ce qu'a dit votre
23 confrère. Merci.
24 M. Prodanovic (interprétation): Donc la mère du témoin 191 a confirmé ce
25 que je viens de dire -il s'agit du témoin 182-, sur présentation de la
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1 pièce à conviction de la défense D56, au cours du contre-interrogatoire.
2 Mais au cours de l'interrogatoire principal, le représentant du Bureau du
3 Procureur demande au témoin 76 "pourquoi DP6 a voulu les garder chez lui,
4 à la maison". Et le témoin répond: "parce qu'il avait peur pour son avenir
5 et pour sa vie."
6 On lui demande: "pendant que vous étiez dans cette maison, aviez-vous peur
7 du témoin?", et la réponse est "oui."
8 A la question suivante "de quoi aviez-vous peur?", le témoin répond: "Si
9 DP6 et Kunarac étaient absents, des soldats venaient très souvent sous la
10 fenêtre." Page 2151 du compte rendu d'audience.
11 Dans les questions suivantes consistant à demander au témoin si elles
12 avaient jamais pensé à une évasion, à une sortie de cette maison, le
13 témoin répond: "Nous y avons réfléchi effectivement, mais nous n'avions
14 nulle part où aller."
15 A la question du Procureur demandant au témoin "comment Dragoljub Kunarac
16 et DP6 se comportaient avec elles, s'ils étaient amicaux à leur égard,
17 s'ils étaient agréables?", le témoin répond: "Je ne sais pas que vous
18 répondre à cette question. Mais ils ne nous ont pas violentées en termes
19 de violence physique ou psychique." Page 2953 du compte rendu d'audience.
20 Ce même témoin affirme également que Kunarac et DP6 étaient souvent
21 absents, quelquefois plusieurs jours d'affilée, et qu'elles restaient,
22 dans ces cas, seules à la maison, en possession de la clef de cette
23 maison.
24 A la question du Procureur qui demandait au témoin "vous souvenez-vous du
25 moment où un soldat ivre a commencé à tirer sur la maison?", le témoin
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1 répond "qu'elle se souvient que Dragoljub Kunarac était dans la maison. Le
2 témoin 191 était également présente. DP6 n'était pas là.".
3 Elle pense que "ce soldat a donné de l'argent à Dragoljub Kunarac parce
4 qu'il voulait être avec elle". Elle pense que "Zaga l'a défendue. A ce
5 moment-là, il a commencé à tirer un peu partout autour de la maison et a
6 jeté des grenades". Page du compte rendu d'audience 2272.
7 Il est étonnant de voir qu'un tel acte de la part de Kunarac est considéré
8 par la Chambre de première instance comme une action délibérée de remise
9 en cause des droits du témoin 171, alors que le témoin 176 affirme que
10 "Kunarac l'a défendue contre un autre soldat qui avait l'intention de la
11 violer".
12 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, au paragraphe 542 du jugement,
13 nous avons une dernière phrase dans laquelle nous voyons que la Chambre de
14 première instance conclut la chose qui suit: "Le simple fait de maintenir
15 en détention ou en captivité une personne, sans rien de plus, ne constitue
16 généralement pas une qualification de réduction en esclavage selon les
17 circonstances particulières de l'affaire." (Fin de citation.)
18 J'ai décrit les faits qui ont été établis par la Chambre de première
19 instance, mais aucun ne correspond aux conclusions prononcées par la
20 Chambre.
21 Dans quelle mesure les conclusions de la Chambre de première instance sont
22 contradictoires, ce n'est pas tout à fait clair, mais peut être néanmoins
23 illustré par l'exemple suivant. Au paragraphe 741 du jugement, troisième
24 phrase, nous lisons -je cite-: "La Chambre de première instance s'est
25 convaincue que Kunarac était conscient du fait que DP6 a continuellement
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1 et constamment violé FWS-186 durant cette période, comme il l'a fait lui-
2 même à l'égard de FWS-191." (Fin de citation.)
3 Il n'a cependant pas été établi que Kunarac avait fourni à DP6 une
4 quelconque forme d'aide d'encouragement ou de soutien moral substantiel,
5 s'agissant de ces viols continus et constants.
6 Kunarac a continué à venir dans cette maison pendant deux mois à peu près,
7 mais il n'a pas été établi, à part sur le fond, ce que mentionne le
8 paragraphe 10.1 de l'Acte d'accusation qu'il était présent alors que DP6
9 violait FWS-186. Il n'a pas été démontré non plus que la présence ou les
10 actes de Kunarac auraient pu aider DP6 dans les viols qu'il a imposés à
11 FWS-186.
12 Donc le lien entre les événements dans la maison et sa présence sporadique
13 à cet endroit est assez flou; il est tellement flou qu'on sort du champ de
14 la définition de cette qualification. C'est ce qu'on peut lire au
15 paragraphe 741 du jugement.
16 Au paragraphe 744 qui se trouve à la page suivante, on a un résumé des
17 conclusions de la Chambre de première instance et on lit ce qui suit -je
18 cite-: "Les allégations formulées au paragraphe 10.1 de l'Acte
19 d'accusation IT-96-23 ont été prouvées partiellement au-delà de tout doute
20 raisonnable. Le 2 août, Dragoljub Kunarac a violé personnellement FWS-191,
21 ainsi qu'aidé et encouragé le viol de FWS-186 par DP-6." (Fin de
22 citation.)
23 A la page précédente, la Chambre de première instance déclare que ceci
24 n'est pas prouvé. Et, à la page suivante, la Chambre conclut néanmoins
25 qu'il a aidé et encouragé DP-6 dans le viol de FWS-186.
Page 139
1 A partir de tout ce que je viens de dire, la défense estime que l'accusé
2 Kunarac ne peut pas être considéré comme coupable de "réduction en
3 esclavage" et que, s'agissant de ce chef d'accusation particulier, il doit
4 être acquitté.
5 J'en ai terminé par ces mots du thème de la "réduction en esclavage", en
6 tant que fait, bien sûr.
7 M. le Président: Oui, poursuivez alors.
8 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les
9 Juges, je vais maintenant dire quelques mots généraux au sujet de l'acte
10 criminel de viol. Après quoi, je parlerai des faits sur la base desquels
11 la Chambre de première instance a conclu que les actions d'action de mon
12 client constituent un acte criminel. Donc je parlerai à ce moment-là des
13 raisons pour lesquelles la Chambre l'a déclaré coupable.
14 La Chambre de première instance a considéré Dragoljub Kunarac coupable de
15 l'acte de viol en application des articles 2, 4, 9, 10, 12, 19 et 20 de
16 l'Acte d'accusation. Constatant qu'il était prouvé au-delà de tout doute
17 raisonnable que ces chefs d'accusation étaient vérifiés, ainsi qu'aux
18 paragraphes 5, 8, 9 et 10 de l'Acte d'accusation.
19 La Chambre de première instance a déclaré coupable Kunarac en application
20 de l'Article 5(g) du Statut, aux points 4, 10, 12 et 20 de l'Acte
21 d'accusation.
22 Avant que la défense ne fasse savoir son point de vue sur des éléments de
23 cet acte criminel, je souhaite souligner le fait devant cette Chambre
24 qu'il n'est pas possible qu'un seul acte criminel soit puni deux fois. En
25 effet, Kunarac, l'accusé, est condamné deux fois pour des actes qui sont
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1 décrits comme étant le même acte.
2 Il n'est pas question du fait qu'un acte unique soit englobé par plusieurs
3 actions constituant le même type d'activités, mais nous avons ici
4 plusieurs actes différents qui sont considérés comme le même acte
5 criminel, ce qui va à l'encontre du droit et à l'encontre de la pratique
6 judiciaire selon laquelle personne ne peut être condamné deux fois pour le
7 même crime.
8 Je n'irai pas plus loin dans cet ordre d'idée. Je ne parlerai pas
9 davantage de l'application de l'Article 5 et de l'Article 3 du Statut, car
10 beaucoup a déjà été dit à ce sujet aujourd'hui.
11 L'acte criminel de viol, considéré comme crime de guerre, ne peut pas être
12 séparé complètement du poids qui est accordé à cet acte criminel dans la
13 plupart des codes pénaux du monde. Il faut donc partir des éléments
14 fondamentaux de cet acte criminel, à savoir:
15 a) la pénétration sexuelle, indépendamment du fait qu'elle n'est que
16 commencée ou qu'elle est complète, qu'elle est vaginale ou effectuée par
17 le pénis ou par un autre moyen utilisés par l'auteur du crime; et,
18 b) l'emploi de la force et de la violence, ou de la menace de la force et
19 de la violence contre la victime. La science juridique semble aller dans
20 le sens d'englober dans le viol tous les sévices sexuels infligés à une
21 victime. Donc la défense est prête à accepter cette tendance, même si,
22 dans l'ex-Yougoslavie, le terme "viol" ne définissait que la pénétration
23 vaginale. Les autres aspects des sévices sexuels étaient qualifiés comme
24 des violences contre nature.
25 La question se pose de savoir quelle opposition la victime a fait à l'acte
Page 141
1 de l'auteur du crime. La défense estime que l'opposition ne doit pas
2 s'exprimer uniquement verbalement. L'opposition doit très être réelle et
3 constante, et doit s'adresser à la personne qui a l'intention de commettre
4 un acte déterminé. Par conséquent, cette opposition doit être communiquée
5 clairement à l'auteur du crime pendant toute la durée des sévices sexuels.
6 De l'avis de la défense, la force et la menace doivent également être
7 constamment adressées à la victime et doivent être réelles et effectives,
8 menaçant ou soumettant la victime de façon telle que la victime n'a aucun
9 moyen d'échapper à cette force et à cette menace, sauf celui d'accepter le
10 rapport sexuel. Bien entendu, nous pouvons parler également du
11 comportement de la victime dans des conditions où la victime vient d'une
12 entité qui, de façon générale, est considérée comme hostile à l'égard de
13 l'entité à laquelle appartient l'auteur.
14 Le fait de savoir si, en l'absence d'un conflit armé et en l'absence de
15 menace d'emploi de la force ou d'emploi de la force, la victime peut être
16 effrayée et avoir peur de perdre la vie si elle n'accepte pas le rapport
17 sexuel, et qu'en raison de cette peur, elle accepte donc l'acte sexuel
18 -qu'elle aurait, dans d'autres conditions, refusé-, cela ne suffit pas
19 pour qu'il soit possible de considérer qu'il y a viol.
20 La défense estime qu'il convient d'aborder cette question sous des angles
21 beaucoup plus variés que ne l'a fait la Chambre de première instance. En
22 effet, la défense a le sentiment que la Chambre de première instance a
23 estimé que la mission de l'acte était suffisante dans des conditions
24 postérieures à un conflit armé pour démontrer que la victime ne pouvait
25 pas s'opposer à ce rapport sexuel, dont il sera davantage question quand
Page 142
1 je parlerai des faits liés à cet événement particulier.
2 La défense souhaite souligner que la Chambre de première instance n'a pas
3 prouvé, n'a pas démontré au-delà de tout doute raisonnable que, sur le
4 territoire de la municipalité de Foca, il y avait viol systématique et
5 généralisé des Musulmanes dans le cadre du nettoyage ethnique donc, en
6 tant qu'acte permettant le nettoyage ethnique.
7 La défense va présenter des indices à l'appui de ce qu'elle vient de dire,
8 tout en étant consciente du fait que le nombre des femmes violées constaté
9 sur le territoire de la municipalité de Foca ne peut pas correspondre à la
10 définition de viol généralisé et global.
11 La Chambre de première instance n'a pas non plus confirmé, au-delà de tout
12 doute raisonnable dans la présente affaire, qu'il existait un quelconque
13 plan d'utilisation du viol en tant que moyen de faire passer la politique
14 du nettoyage ethnique.
15 Sur 42 hameaux, y compris la ville de Foca et d'autres localités assez
16 importantes comme Miljevina, Oscenica et d'autres, que l'accusation a cité
17 en exemple au cours du procès pour démontrer le nettoyage ethnique d'une
18 partie de la population de la municipalité de Foca, il ressort que seuls
19 les hameaux ayant une population supérieure à 200 habitants ont été
20 frappés ou touchés.
21 Les viols n'ont été faits que sur des femmes du village de Miljevina qui,
22 selon les éléments de preuve du Procureur, étaient composées de 50% de
23 Musulmans et d'une proportion égale de Serbes et qui, selon les chiffres
24 de la défense, étaient peuplées par 161 Musulmans et 166 Serbes à l'époque
25 des faits.
Page 143
1 Ce chiffre absolu de 161 Musulmans, si on le compare au plus de 20.000
2 Musulmans qui habitent sur le territoire de la municipalité de Foca et
3 notamment si on le compare au nombre total des Musulmans de 20828, en
4 tenant compte du fait que dans ce nombre il y avait pour partie des hommes
5 qui avaient déjà abandonné leur village, ce chiffre ne peut pas être la
6 base d'une conclusion affirmant qu'il est question ici de viol général et
7 global.
8 Si l'on devait admettre, en tant qu'élément de preuve de l'existence, si
9 l'on devait admettre comme élément de preuve le fait qu'il y a eu des
10 viols, on constatera que ces viols n'ont existé que dans certains villages
11 et sur un nombre de victimes égal à 15, ce qui en aucun cas ne peut être
12 la preuve du caractère général et global de ce crime.
13 Parmi les victimes présumées de viol, on en a une qui vient de la
14 municipalité de la municipalité de Gacko et une de la municipalité de
15 Kalinovik, et si l'on compare ce chiffre de un à la population totale de
16 Gacko d'une part, de Kalinovik d'autre part, il ne fait aucun doute que
17 cela ne peut pas servir la Chambre de première instance à prouver qu'il
18 existait des viols généralisés et globaux dans ces municipalités car la
19 municipalité de Foca n'était pas dans la même situation visiblement que
20 les municipalités voisines.
21 Par ailleurs, la défense tient à souligner que dans la ville de Foca,
22 pendant le conflit armé, il n'y a eu aucun viol et que seule une victime
23 présumée, qui affirme avoir été violée, a été violée après la fin du
24 conflit à Foca. Mais même si l'on devait accepter le fait que ce témoin a
25 été violé, il s'agit d'un cas isolé qui n'a aucun rapport avec le conflit
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1 armé et donc, ceci ne peut pas démontrer l'existence de viols généralisés
2 et globalisés, contrairement à ce qu'a affirmé la Chambre de première
3 instance.
4 Dans la municipalité de Foca, il y avait au total 20.828 habitants
5 musulmans et 18.329 Serbes, ce qui nous donne une supériorité numérique
6 des Musulmans de plus de 2.000 habitants. Mais dans la ville même de Foca,
7 il y avait 5.554 Musulmans et 7.997 Serbes, ce qui indique que dans la
8 ville elle-même il y avait 2.404 Serbes de plus que de Musulmans.
9 Le Procureur, dans ses éléments de preuve, a parlé dans la pièce 19 de
10 l'accusation, a montré 42 localités de la municipalité de Foca qui avaient
11 plus de 200 habitants.
12 La défense tient à souligner que sur la base de cette même pièce à
13 conviction il a été établi qu'il y avait 120 villages dans cette région et
14 on constate donc, à l'évidence dans ces conditions, que les victimes ne
15 venaient que d'un seul village, Mesaja.
16 Puisque ces victimes ne venaient que de Mesaja, il est absolument interdit
17 et impossible de parler de viol généralisé et global.
18 La défense ne conteste pas l'existence de certains cas où des femmes
19 jeunes ou plus âgées ont été contraintes à des rapports sexuels non
20 souhaités par elles avec certains soldats, mais ceci en aucun cas ne peut
21 être considéré comme ayant un lien quelconque avec le conflit armé.
22 La Chambre de première instance, dans son jugement, n'a pas prouvé de
23 façon convaincante qu'un quelconque acte de viol, même s'il était prouvé,
24 a été commis de façon telle qu'il était possible de voir un lien entre cet
25 acte et le conflit armé.
Page 145
1 La défense estime donc que la Chambre de première instance n'a pas non
2 plus établi un autre élément important, un élément particulièrement
3 important, à savoir le lien existant entre les viols et le conflit armé
4 qui seul permettrait de considérer le viol en question comme un crime de
5 guerre.
6 Par conséquent, la défense affirme qu'il s'est agi de cas peu nombreux et
7 isolés qui, sur le fond, n'ont rien à voir avec le conflit armé et qui,
8 par conséquent, ne peuvent pas répondre à la qualification de crimes de
9 guerre.
10 J'en ai terminé sur ce point s'agissant des aspects généraux et, à
11 présent, avec votre permission, j'aimerais parler plus précisément des
12 chefs d'accusation qui ont servi de base à la déclaration de culpabilité
13 donc des faits.
14 La Chambre de première instance établit, au-delà de tout doute
15 raisonnable, que le témoin FWS-75 et le témoin DB ont été violées au 16 de
16 la rue Osman Dikic, et l'accusé, Dragoljub Kunarac, et un soldat appelé
17 "Gaga" ont amené le témoin FWS-75 et le témoin DB dans cette maison, comme
18 il est précisé au paragraphe 5 de l'Acte d'accusation, et cette fois-là,
19 Kunarac a violé le témoin DB alors que l'autre femme a été violée par le
20 viol collectif d'au moins 15 soldats. Tout ceci se serait produit vers le
21 16 juillet 1992.
22 La défense souhaite indiquer que la date du 16 juillet 1992 ou une date
23 proche de celle-là, c'est quelque chose de vague. Qu'est-ce que ça veut
24 dire aux environs de cette date, aux alentours de cette date? Qu'est-ce
25 que cela veut dire? C'est si peu précis, si peu délimité que ceci ne peut
Page 146
1 pas montrer quelle est la crédibilité des témoins déposant sur ces faits.
2 La défense affirme que ceci s'est produit le 3 août 1992, comme l'a dit
3 d'ailleurs dans sa déposition l'accusé Kunarac.
4 De ses propres dires, Kunarac a eu des rapports sexuels avec le témoin DB,
5 ce qui veut dire qu'il y a eu pénétration vaginale avec le pénis; le
6 premier élément qui doit être établi en tant qu'élément constitutif du
7 viol et celui-la n'est pas contesté.
8 Le deuxième élément, le fait d'avoir recours à la force physique ou à la
9 menace, n'était pas existant de l'avis de la défense. Le témoin DP a
10 reconnu qu'elle-même avait pris l'initiative de cet acte sexuel. Le témoin
11 DB a ajouté que pendant les rapports sexuels Kunarac n'avait pas eu
12 recours à la force ni à la menace à son encontre ni à l'encontre d'une
13 personne qui aurait été près d'elle. Comme l'a expliqué le témoin DB, le
14 rapport sexuel, l'acte sexuel s'est fait suite à son initiative à elle.
15 Il est donc très clair que l'accusé Kunarac n'avait, en aucune façon et
16 surtout pas en ayant recours à la force à son encontre, à l'encontre du
17 témoin DB ou d'une personne proche d'elle, pas essayé de briser sa
18 résistance d'une aucune façon puisque c'est elle qui était à la base, qui
19 a pris l'initiative de ce rapport sexuel au cours duquel elle a fait
20 preuve d'activité.
21 Le témoin DB dans sa déposition a ajouté qu'elle s'était comportée de la
22 sorte parce qu'elle avait été menacée par un soldat surnommé "Gaga" qui
23 avait dit qu'il la tuerait si elle ne répondait pas aux besoins de son
24 commandant.
25 Le Procureur lui a demandé: "Où se trouvait "Gaga" lorsqu'il l'a menacée",
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1 le témoin DB a répondu: "Que 'Zaga' était en train d'entrer dans la pièce
2 et qu'elle ne savait pas si 'Zaga' avait entendu la menace proférée par
3 'Gaga'." Dans sa déposition, Kunarac a dit ne pas avoir entendu les
4 menaces proférées par "Gaga" à l'encontre du témoin. C'est seulement 15
5 jours plus tard que "Gaga" a reconnu qu'il avait menacé le témoin pour la
6 forcer à avoir des rapports sexuels avec lui.
7 L'accusé Kunarac ne savait pas que le soldat "Gaga" avait menacé le témoin
8 DB. De ce fait, il ne pouvait pas savoir que le témoin DB était censé
9 avoir un rapport sexuel avec lui. L'accusé Kunarac n'avait pas été informé
10 par qui que ce soit de ce que le témoin DB ne participait pas -en
11 consentant- à cet acte sexuel. Il n'aurait donc pas pu en tirer une
12 conclusion pareille du comportement du témoin DB.
13 La défense conclut que le deuxième élément constitutif, le recours à la
14 force physique ou à une menace physique afin de briser la résistance d'une
15 personne s'agissant de la possibilité d'un rapport sexuel, que ce deuxième
16 élément est tout à fait absent.
17 Vu l'absence de cet élément, il n'existe donc pas d'infraction de viol.
18 La défense estime, dès lors, que l'accusé Kunarac devait être acquitté de
19 cette infraction.
20 S'agissant du viol des témoins FWS-87, 85 et 50, la Chambre de première
21 instance a établi que le 2 août 1992 l'accusé Kunarac avait emmené d'une
22 école de Kalinovik plusieurs femmes qui avaient été placées au 16 de la
23 rue Osman Dikic, et qu'il est allé ensuite au Partizan, au centre sportif,
24 pour y emmener les témoins 50, 75, 87 et le témoin DB pour les emmener au
25 16 de la rue Osman Dikic où se trouvaient déjà les femmes de Kalinovik. Il
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1 savait que les femmes allaient être violées pendant toute la nuit dans
2 cette maison. Les témoins 75 et 50 ont subi des viols incessants de la
3 part des autres soldats.
4 La Chambre de première instance a établi que ce soir-là Kunarac avait
5 violé le témoin 87 et que ce témoin avait été violé également par d'autres
6 soldats de plus.
7 La Chambre a conclu que ces viols avaient entraîné des souffrances
8 physiques et psychologiques graves pour ces victimes qui avaient été
9 emmenées par l'accusé Kunarac au 16 de la rue Osman Dikic pour viol, et
10 que la seule raison à cela était le fait qu'elles étaient musulmanes. Par
11 conséquent, ce viol ou ces viols étaient pratiqués pour des raisons
12 discriminatoires entraînant donc la responsabilité pénale de Kunarac en
13 vertu des Articles 3 et 5 du Statut.
14 La défense souhaite souligner que la Chambre de première instance a tiré
15 ces conclusions sans motifs.
16 En effet, d'après la déposition du témoin 87, ceci n'a pas été corroboré
17 par aucun autre témoin. Le témoin 75, DB, 191, 186, tous ces témoins ont
18 été entendus sur ce point et aucune de ces femmes n'a corroboré les dires
19 du témoin 87, même si c'étaient des témoins à charge.
20 Le témoin DB est la soeur du témoin 87.
21 Cet événement qui s'est produit le 2 août 1992 a fait l'objet de trois
22 versions.
23 L'une de ces versions vient de la déposition du témoin 87, du témoin 75,
24 du témoin DB, d'un autre témoin. Mais ces quatre témoins ont confirmé que,
25 le 2 août 1992, Kunarac les avait fait sortir du centre sportif "Partizan"
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1 pour les emmener au 16 de la rue Osman Dikic avec le témoin 50.
2 Le témoin 75 dit qu'elles avaient été emmenées dans cette maison et que
3 Kunarac était parti sans revenir cette nuit-là, à la page du compte rendu
4 d'audience 1431. Ceci a été corroboré par le témoin DB qui a tenu les
5 mêmes propos.
6 Le témoin 50, quant à elle, a déclaré qu'elle avait été violée par Kunarac
7 le 2 août 1992 cette nuit-là. Ce témoin a fourni deux déclarations aux
8 enquêteurs du Bureau du Procureur, l'une le 30 août 1995 et l'autre le 5
9 septembre 1995. Dans aucune de ses déclarations, elle ne mentionne
10 l'accusé Kunarac.
11 Cependant, lors du procès, elle a affirmé que Kunarac l'avait violée cette
12 nuit-là. Il n'avait pas violé le témoin 87.
13 Pour ce qui est du 2 août 1992, tous les témoins disent que ces événements
14 se sont produits le 2 août parce que c'est au cours de cette nuit qu'il y
15 avait eu une forte explosion et qu'une mosquée proche de la maison avait
16 été plastiquée.
17 D'après une deuxième version fournie par les témoins 191, 190 et 186, le 2
18 août, ces témoins ont été amenés de l'école primaire de Kalinovik à cette
19 maison, au 16 de la rue Osman Dikic à Foca. Les témoins ont dit qu'il y
20 avait des gamines dans cette maison. Le témoin 191 a dit qu'elle ne
21 pensait pas, qu'elle ne connaissait pas de jeunes filles qui auraient été
22 les victimes de sévices sexuels.
23 Lorsque mes collègues, confrères ont demandé si "Zaga" était là, le témoin
24 191 a dit qu'elle ne se souvenait pas de sa présence, qu'apparemment
25 "Zaga" était parti quelque part. Il s'agit de la page du compte rendu
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1 d'audience 1153.
2 La même question a été posée au témoin 186. elle a dit qu'elle ne se
3 souvenait pas de la présence de M. Kunarac dans la maison. Il s'agit de la
4 page du compte-rendu d'audience 2936.
5 Le Procureur a posé des questions au témoin 75. Lorsqu'on a demandé à ce
6 témoin si elle avait vu "Zaga" cette nuit-là, après qu'il les eut emmenées
7 dans cette maison, elle a répondu par la négative. Page du compte rendu
8 d'audience 1431.
9 Il faut ajouter que les conclusions tirées par la Chambre de première
10 instance, selon lesquelles M. Kunarac aurait violé le témoin 87, le 2 août
11 1992, sont contradictoires.
12 La Chambre estime ou a cru la déposition des témoins et tous, sauf la
13 victime elle-même, le témoin 87, ont dit que Kunarac n'était là qu'un
14 instant, au moment où il les a amenées, et puis qu'il était parti. Aucune
15 autre preuve n'a été apportée.
16 S'ajoute à cela une troisième version qui tient de la déposition de
17 l'accusé Kunarac, qui a fourni une défense d'alibi. Il dit qu'il se
18 trouvait au col de Rogoj cette nuit-là, quand il y avait des combats entre
19 les forces serbes et l'armée de Bosnie-Herzégovine.
20 Au paragraphe 615 du jugement, la Chambre a estimé qu'il était possible
21 qu'il ait pris part aux combats qui ont eu lieu à ce col, que ces combats
22 se sont terminés en début d'après-midi.
23 Dans sa déposition, l'accusé Kunarac a dit -ce qui a été corroboré par
24 d'autres dépositions-, que le 2 août 1992, ce col de Rogoj devait être
25 pris parce que les forces musulmanes s'en étaient emparé la nuit
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1 précédente, dans le cadre d'une attaque bien organisée, que les combats
2 avaient duré toute la journée jusqu'à la fin de l'après-midi. Entre 17
3 heures et 18 heures, les forces musulmanes ont battu en retraite, se sont
4 repliées. Et vers 19 heures, l'accusé Kunarac est arrivé à Dobro Polje.
5 Ceci a été confirmé par DE.
6 M. le Président: J'ai l'impression que tout ce que vous plaidez, vous
7 l'avez développé dans votre mémoire, me semble-t-il, tout ce qui est
8 factuel?
9 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Président, pas avec autant de
10 détails.
11 M. le Président: J'en suis bien persuadé. Je suis bien d'accord avec vous,
12 pas avec autant de détails, c'est certain.
13 Je pense surtout à vos confrères et votre consœur parce que, je vous le
14 dis, demain, il restera deux heures quinze minutes pour la défense. Donc
15 je vous le dis, j'arrêterai et je passerai la parole au Procureur. Je vous
16 demande de bien en tenir compte.
17 Je vous demande de terminer sur le viol. Il restera la torture. Mais
18 mettez-vous d'accord ce soir avec vos confrères et votre consœur.
19 J'arrêterai! Il vous reste deux heures quinze minutes. Et vous vous devez
20 inclure les questions des Juges éventuellement: les Juges posent quelques
21 questions précises.
22 C'est ça, le labeur, le travail de la Chambre d'appel.
23 Donc choisissez! Vous ne pouvez pas développer tout de votre mémoire. Nous
24 les avons, vos mémoires, nous les lisons, nous les travaillons.
25 Terminez sur le viol. Demain, vous reprendrez la parole sur la torture.
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1 Mais mettez-vous bien d'accord avec vos confrères et consœur.
2 Poursuivez pour terminer sur le viol. Nous avons déjà dépassé de dix
3 minutes. Et pensez surtout aux interprètes, à qui nous n'avons pas donné
4 de pause. Poursuivez et terminez. Merci.
5 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Président, je n'ai plus qu'une
6 demi-page et nous étions convenus de ces deux heures et demie.
7 M. le Président: Si c'est qu'une demi-page, alors terminez, mais il
8 restera deux heures quinze. Je vous le rappelle: alors, terminez votre
9 demi-page.
10 Mais l'exercice de l'appel n'est pas l'exercice de l'instance. Vous avez
11 développé des mémoires, vous devez développer les grandes articulations de
12 votre argumentation, sinon on ferait des audiences de quinze jours. Mais
13 ce n'est pas du tout l'exercice devant la Chambre d'appel.
14 Terminez votre demi-page.
15 M. Prodanovic (interprétation): La Chambre de première instance n'a pas
16 cru ce que disait ce témoin.
17 Ce que je dis, c'est que la Chambre n'a cru que partiellement ce que
18 disait ce témoin 87 qui aurait été violée par l'accusé Kunarac. Entre le
19 13 juin et le 1er août, elle aurait été emmenée à la rue Osman Dikic à
20 deux reprises et, chaque fois, elle aurait été violée par deux soldats
21 monténégrins. C'est ce qui est écrit au Chef 5.2 de l'Acte d'accusation.
22 Mais si la Chambre de première instance croit que les faits mentionnés au
23 point 5.2 n'ont pas été prouvés au-delà de tout doute raisonnable, elle
24 aurait dû d'autant plus penser que le point 5.4 n'avait pas non plus était
25 prouvé au-delà de tout doute raisonnable.
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1 En effet, les témoins DB, 75, 75, 87, 50 n'ont pas confirmé.
2 La défense estime donc que Kunarac ne doit pas être tenu coupable du point
3 5.4 de l'Acte d'accusation.
4 M. le Président: Bien.
5 Demain, je demanderai à mes collègues, lorsque vous aurez traité de la
6 torture, s'ils ont des questions.
7 Pour l'heure, nous allons lever la séance. L'audience reprendra demain
8 matin, à 9 heures 30, ici même.
9 L'audience est levée.
10 (L'audience est levée à 16 heures 12.)
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