Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mercredi 5 décembre 2001.) 154

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 33.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président: Veuillez vous asseoir. L'audience est ouverte.

5 Madame la Greffière, faites introduire les accusés, s'il vous plaît.

6 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)

7 Bien. Je vais saluer tout le monde: les conseils de la défense, les

8 conseils du Bureau du Procureur. Je salue les accusés.

9 Avec mes collègues, nous allons donc reprendre. Et je m'adresse…

10 Les interprètes sont-ils prêts? Je les salue: bonjour.

11 Les interprètes: Bonjour, Monsieur le Président.

12 M. le Président: Nous reprenons. Je ne rappelle pas les contraintes des

13 horaires.

14 Je redonne tout de suite la parole à Me Prodanovic qui doit maintenant

15 développer, à la fois sur le plan juridique et sur le plan factuel, le

16 problème posé par la définition de la torture.

17 Maître Prodanovic, vous avez la parole.

18 (Présentation des arguments de la défense relatifs à la définition de la

19 torture par Me Prodanovic.)

20 M. Prodanovic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je vous

21 remercie.

22 La Chambre de première instance a proclamé Dragoljub Kunarac coupable de

23 torture au point 1-3.11 de l'Acte d'accusation en application de l'Article

24 5f) du Statut et en application de l'Article 3 du Statut également. Pour

25 le Chef d'accusation 3 de l'accusation, seul s'applique l'Article 3 du

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1 Statut et, pour le Chef n°11, seul s'applique l'Article 3 également.

2 La défense tient à souligner que l'accusé n'a commis aucun de ces crimes

3 et nous tenons à réitérer notre avis selon lequel il est impossible de

4 déclarer l'accusé coupable du même acte en application de deux articles du

5 Statut, à savoir l'Article 3 et l'Article 5. Ceci, ce commentaire ne porte

6 pas uniquement sur le prononcé de la sentence, mais également sur la

7 déclaration de condamnation: deux mêmes actes ne pouvant pas être…, un

8 même acte ne pouvant pas être jugé en application de deux articles

9 différents.

10 La défense a déjà déclaré que les actes décrits comme ayant été commis par

11 l'accusé correspondent bien à l'avis de la défense. En effet, en droit

12 pénal, tout acte commis par un auteur d'acte criminel doit être décrit

13 précisément pour qu'on puisse déterminer si les éléments qualifiant telle

14 ou telle infraction existent ou pas; et ceci est important s'agissant

15 d'établir les faits, mais aussi s'agissant d'établir le droit qui

16 s'applique.

17 Dans son jugement, la Chambre de première instance a cité un certain

18 nombre de sources juridiques afin d'établir la définition, la

19 qualification de "torture".

20 Et la Chambre de première instance a conclu que, pour établir l'infraction

21 de "torture", les conditions suivantes doivent être réunies: avoir infligé

22 une souffrance grave, physique ou mentale, à quelqu'un par un acte ou par

23 une omission, cet acte ou cette omission devant être intentionnelle et

24 devant viser à obtenir des informations ou des aveux.

25 La Chambre de première instance estime que ces éléments sont indiscutables

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1 et que trois éléments notamment pouvaient être discutés.

2 La liste des motifs considérés comme légitimes par la Chambre de première

3 instance a été fournie pour définir la "torture". L'acte doit être commis

4 dans le contexte d'un conflit armé. Il doit être incité ou provoqué avec

5 l'accord d'un responsable agissant en tant que responsable officiel. Et la

6 Chambre de première instance estime que le but, l'objectif de la torture

7 doit consister à infliger une souffrance importante à un être, directement

8 ou indirectement.

9 La Chambre de première instance a estimé que l'une des trois conditions

10 que je viens de décrire doit exister pour que la qualification de

11 "torture" soit prononcée, et notamment les conditions suivantes: infliger

12 une souffrance importante sur le plan physique ou mental ou provoquer

13 l'affliction d'une telle souffrance; l'acte doit avoir un but; l'acte doit

14 viser à obtenir des aveux ou des informations, ou en tout cas à punir ou à

15 créer la terreur, ou à créer une coercition vis-à-vis de la victime ou

16 d'une tierce personne.

17 La défense peut admettre le point de vue de la Chambre de première

18 instance à condition que toutes les conditions citées soient réunies.

19 Toutes les conditions citées comme nécessaires à la qualification de

20 "torture". Et la défense estime donc que trois éléments doivent être

21 réunis.

22 Dans le cas de l'accusé, aucun de ces trois éléments n'existe, n'a été

23 prouvé, et la Chambre de première instance ne définit donc pas en quoi

24 consiste la torture dans ce cas précis. L'accusé Kunarac, par aucun de ses

25 actes, n'a infligé une souffrance physique ou psychique importante à l'une

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1 quelconque des victimes.

2 Il a été prouvé que l'accusé a commis l'acte pour lequel il a été déclaré

3 coupable dans le jugement et qui est cité dans l'Acte d'accusation, en

4 cours du contre-interrogatoire du témoin FWS-195. Cette femme a répondu

5 aux questions du Procureur par les mots suivants: "Je pense qu'aucun de

6 nos Musulmans n'a été maltraité physiquement par les soldats serbes au

7 cours de l'interrogatoire à Buk Bijela". Fin de citation, à la page 2220

8 du compte rendu d'audience.

9 Le conseil de la défense a demandé à cette femme témoin si l'accusé

10 Kunarac lui avait infligé des sévices quelconque à cette occasion et le

11 témoin a répondu "non".

12 A une question ultérieure, consistant à demander au témoin si elle avait

13 été insultée par l'accusé, elle a répondu: "Je ne me rappelle pas". Page

14 2331 du compte rendu d'audience.

15 S'agissant maintenant du témoin FWS-186, répondant aux questions du

16 conseil de la défense de l'accusé Kunarac, le conseil de la défense lui

17 demandant: "Mais comment se fait-il que DP6 était avec Kunarac dans le

18 couloir avec vous? Et est-ce que ces deux hommes se sont comportés

19 amicalement à votre égard? Ont-ils été agréables à votre égard?". Le

20 témoin répond: "Je ne sais pas comment répondre à cette question. Mais ils

21 ne nous ont pas maltraités. Je veux parler de mauvais traitements

22 physiques ou psychiques." Page 2253 du compte rendu d'audience.

23 Par conséquent, l'accusé Kunarac n'a commis aucun des actes, n'a commis

24 aucun acte et n'a commis non plus aucune omission visant à infliger une

25 grave souffrance physique ou psychique à quelqu'un. Si l'on tient compte

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1 du fait que l'accusé Kunarac a eu un rapport sexuel avec au moins une

2 femme témoin contre sa volonté, ceci est un fait, mais tous les témoins

3 qui ont accusé Kunarac ont affirmé que ce dernier n'avait pas utilisé la

4 force physique à leur encontre.

5 Si une souffrance psychique ou physique était liée à l'existence d'un

6 rapport sexuel non désiré par la victime, alors il est permis de dire

7 qu'il a commis cet acte délibérément, mais pas dans l'intention d'imposer

8 une souffrance psychique ou physique. Sa seule intention était la

9 satisfaction sexuelle, donc l'acte en question ne peut aucunement être mis

10 en relation avec la volonté éventuelle d'infliger une grave souffrance

11 physique ou psychique.

12 Et je ne dis ceci que dans le cadre où les actes dont je viens de parler,

13 les actes pour lesquels l'accusé a été coupable seraient considérés comme

14 prouvés.

15 Il est tout à fait clair que ce deuxième élément n'est pas prouvé. En tout

16 cas, pas dans les conditions requises pour que la qualification de torture

17 existe. La Chambre de première instance a donc erré en droit lorsqu'elle a

18 prononcé l'accusé Kunarac coupable de torture, soit en application de

19 l'Article 5, soit en application de l'Article 3 du Statut. Je considère

20 donc que l'accusé Kunarac doit être acquitté de ce crime de torture.

21 J'en ai terminé Monsieur le Président.

22 M. le Président: Merci, Maître Prodanovic. J'avais noté que vos confrères

23 ou consœurs devaient maintenant s'exprimer sur ces questions d'infraction.

24 J'avais bien noté, je suppose. Mais auparavant, si l'on intervenait sur la

25 torture, je voudrais d'abord me tourner vers mes collègues. Le Juge Güney

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1 voudrait poser une question, puis, je crois, le Juge Meron.

2 M. Güney: Merci, Monsieur le Président. Maître Prodanovic, je voudrais

3 avoir certains éclaircissements.

4 M. le Président: Pourriez-vous réorienter votre micro? Merci, mon cher

5 collègue.

6 M. Güney: Je voudrais avoir certains éclaircissements à l'égard de

7 l'approche de la défense vis-à-vis des éléments de l'acte de viol. Vous

8 avez dit que vous aviez mis l'accent sur l'opposition et vous avez dit que

9 l'opposition verbale n'est pas suffisante: il faut qu'il y ait une

10 opposition physique.

11 M. Prodanovic (interprétation): Excusez-moi, je n'ai pas d'interprétation.

12 M. Güney: Une opposition physique, réelle et continue au cours de tout

13 l'acte de viol: est-ce exact?

14 M. Prodanovic (interprétation): Une opposition orale est tout de même une

15 opposition, Monsieur le Juge. Dans les crimes de viol, nous nous sommes

16 trouvés confrontés parfois à des situations correspondant à ce je vais

17 vous dire maintenant: la personne violée a été amenée dans une pièce et

18 Janko Janic avait amené cette femme à cet endroit. Dans la pièce, il y

19 avait une autre personne et Janko Janic a dit à cette autre personne de

20 violer le témoin. Le témoin a supplié: "Ne le fais pas!" Et finalement,

21 l'autre homme a eu pitié et n'a pas commis de viol.

22 Donc je considère qu'un acte comme celui-ci entre également tout de même

23 dans le cadre de l'opposition. Donc, pas seulement une opposition au sens

24 de lutte physique contre l'agresseur mais, dans tous les cas, il faut

25 évaluer la situation et en tirer une conclusion. N'y a-t-il pas eu

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1 opposition? On ne peut pas utiliser une formule de façon générale et

2 appliquer toujours la même formule.

3 M. Güney: Donc, prenons l'exemple d'une victime qui, sous la force ou bien

4 la menace de la force, a essayé de s'opposer bien sûr à l'auteur de crime,

5 mais à partir d'un moment donné, elle est épuisée, elle n'a pas pu. Est-ce

6 que l'on pourrait la considérer qu'elle a consenti?

7 M. Prodanovic (interprétation): Non, Monsieur le Juge, absolument pas.

8 M. Güney: Merci.

9 M. le Président: Merci, Monsieur le Juge. Monsieur le Juge Meron, vous

10 vouliez intervenir?

11 M. Meron (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Moi aussi,

12 j'aimerais aller un peu plus avant dans la définition du viol.

13 Si je vous ai bien compris -en fait, je prends le relais de la question

14 posée par mon confrère, il y a un instant-, vous avez dit que, parmi les

15 conditions nécessaires pour établir l'existence du viol, il faut que la

16 victime ait fait preuve d'une résistance constante et effective. Hier,

17 vous-même et vos confrères, ainsi que dans votre mémoire écrit, avez dit

18 que la résistance, l'opposition devait se poursuivre pendant toute la

19 durée du viol.

20 Alors, je vous repose la situation suivante: un viol qui dure dix minutes

21 et, après cinq minutes, la victime cesse de résister, selon la définition

22 présentée dans votre mémoire écrit, cela signifierait qu'il n'y a pas eu

23 acte de viol? Est-ce bien votre position?

24 M. Prodanovic (interprétation): Non. Le fait d'opposer une résistance

25 prolongée doit être replacé dans toutes les situations pendant la durée de

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1 l'acte. Il faut que celui qui commet le viol change d'avis au moment où la

2 personne violée oppose une résistance. Et donc cesse de violer.

3 M. Meron (interprétation): Ma deuxième question est la suivante: Maître,

4 je suis sûr que vous êtes certainement au courant du grand nombre de

5 documents de droit qui concernent le viol en cas de détention. L'absence

6 de consentement est normalement quelque chose que les tribunaux nationaux

7 considèrent comme existant au départ.

8 Le Juge Schomburg d'ailleurs a évoqué un point assez similaire hier, mais

9 j'aimerais y revenir: je veux parler de ce contexte de coercition dans

10 lequel se déroulent de tels événements.

11 Comme vous le savez sans doute, il y a eu à peu près une dizaine de

12 condamnations de gardiens de prison aux Etats-Unis, accusés de viols et

13 d'autres agressions sexuelles, ou d'avoir eu des rapports sexuels avec des

14 prisonnières. J'aimerais avoir votre commentaire à ce sujet.

15 M. Prodanovic (interprétation): Je comprends bien le fond de votre

16 préoccupation, Monsieur le Juge. Moi, je situais mon propos dans un cadre

17 différent.

18 Si une personne porte les armes et que la victime est là, sa résistance

19 est évidemment empêchée par la simple présence de ces armes. Si c'est un

20 gardien de prison, bien sûr, la situation est différente.

21 Mais nous sommes, nous, dans une situation où les éléments sont absents,

22 éléments qui étaient présents lorsque le viol a été déclaré exister. Donc

23 c'est seulement oralement que j'ai exposé cet argument; ce n'est pas un

24 cliché dont il n'est pas permis de sortir, bien entendu.

25 Ou bien je vais essayer d'être un peu plus clair en m'exprimant

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1 différemment, pour mieux correspondre à votre pensée, Monsieur le Juge.

2 A cette fin, je vais vous donner un exemple: si l'on applique strictement

3 l'Article 3 du Statut, "Violation des lois ou coutumes de la guerre", et

4 notamment le paragraphe (f), "Pillage de biens publics ou privés", donc si

5 nous devions interpréter cette disposition de la façon la plus stricte que

6 soit, nous nous trouverions dans une situation où quelqu'un pillerait donc

7 un bien public ou privé en temps de guerre. Il s'agirait dans ce cas-là

8 d'un crime de guerre.

9 Mais si nous considérons cette même situation d'un point de vue juridique

10 formel, tous les éléments sont présents. Cependant, nous devons nous poser

11 la question de savoir si cela s'applique à tous les cas de pillage en

12 temps de guerre. Si nous appliquons les dispositions du Statut

13 strictement, alors, nous devons déclarer tous les accusés coupables de

14 crime de guerre.

15 Cependant, je ne pense pas que ce soit le cas. S'il y a eu cinq ou vingt

16 cas de pillage qui peuvent être considérés dans ce cadre, je ne pense pas

17 que cela soit le cas dans tous les cas. Mais il y peut y avoir un cas de

18 pillage ici et un élément d'organisation différent qui justifie que le

19 pillage ne soit pas déclaré comme crime de guerre ailleurs.

20 M. le Président: Monsieur le Juge Schomburg?

21 M. Schomburg (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

22 J'ai bien compris que vous ne souhaitez pas maintenir la position que vous

23 avez exprimée hier, à savoir qu'une opposition…, que le niveau de

24 résistance n'était pas suffisant. Ce que vous faites aujourd'hui, c'est

25 parler d'une situation concrète, n'est-ce pas.

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1 Et en deuxième lieu, je vous pose la question suivante: conviendrez-vous

2 que, lorsque la réduction en esclavage existe déjà, c'est-à-dire lorsque

3 la personne est privée de liberté, est aliénée, ceci peut-il être

4 considéré comme une situation de coercition, dans laquelle une quelconque

5 résistance de la part de la victime n'aurait aucune sens, en raison de

6 quoi nous devons considérer que le viol existe.

7 D'autre part -troisième point-, je n'ai pas compris un point que vous avez

8 évoqué hier, en disant notamment que, dans un conflit armé, la définition

9 du viol devrait être différente. Pourriez-vous donner davantage de détails

10 sur ce point?

11 Merci.

12 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Juge, il existe différents

13 points de vue, parce que je pense un peu différemment au viol en tant que

14 crime de guerre.

15 Mais à l'instant, je parlais du pillage. Eh bien, je crois que des

16 commentaires similaires peuvent être faits au sujet du viol considéré

17 comme crime de guerre. Si quelqu'un ne commet qu'un seul acte -je parle de

18 crime de guerre, n'est-ce pas, et pas de viol considéré en droit commun-,

19 si quelqu'un commet un seul viol et que tous les éléments sont réunis,

20 soyons bien d'accord, que tous les éléments sont réunis, je continue à

21 estimer que ce viol unique n'est pas un acte criminel au sens du crime de

22 guerre. C'est un acte criminel, mais au sens du droit commun.

23 Par contre, s'il y a, comme dans le cas du pillage, cinq viols différents

24 les uns des autres, indépendants qui sont commis, même alors je ne

25 considère pas que nous sommes en présence de crimes de guerre. Mais si ces

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1 actes criminels sont accomplis en visant à obtenir un nettoyage ethnique,

2 c'est-à-dire qu'il existe un plan, si ces actes sont commis dans le cadre

3 du nettoyage ethnique, alors, selon moi, la définition du viol en tant que

4 crime de guerre existe. Parce qu'à ce moment-là, l'auteur est

5 effectivement un criminel de guerre et doit être jugé par le Tribunal où

6 nous sommes aujourd'hui. C'est ce que je pense.

7 Maintenant, tout ce qui ne correspond pas à cette définition est, à mon

8 avis, un acte criminel en viol en droit commun, mais pas au sens du crime

9 de guerre. Et dans ce cas-là, c'est un tribunal national qui a compétence

10 à mon avis.

11 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Prodanovic, vous voyez que vous

12 nous intéressez beaucoup puisque plusieurs Juges de la Chambre d'appel

13 veulent réagir à vos conclusions, veulent vous poser des questions.

14 J'espère que vous comprendrez ceci aussi sous cet éclairage lorsque je

15 vais tenir les propos suivants.

16 A mon avis, cela revient à ceci: les conclusions tirées par la Chambre de

17 première instance semblent indiquer que le consentement est un élément

18 universel constitutif de l'infraction de viol.

19 Nous vous rappelez que, quelque part dans le jugement, la Chambre de

20 première instance s'est prononcée sur ce point. Elle a dit que le principe

21 qu'il faut extraire d'une étude de la jurisprudence internationale, c'est

22 qu'il faut qu'il y ait une certaine autonomie de la volonté. Il faut que

23 quelqu'un prouve qu'il y ait absence ou défaut d'autonomie, dans le cas

24 concret.

25 On fait référence à l'Article 96 du Règlement. Et il me semble que ce que

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1 fait l'Article 96, c'est deux choses: il dit que certaines circonstances

2 factuelles suffiront à prouver qu'il n'y avait pas consentement. Par

3 ailleurs, si l'on voit le chiffre romain "III", on prévoit dans cette

4 disposition une certaine procédure pour ce qui est de la façon de prouver

5 le consentement ou l'absence de celui-ci. On dit qu'il faudra dire que

6 l'accusé, avant que la preuve du consentement de la victime ne soit

7 admise, devra montrer à la Chambre qu'il y avait des raisons précises.

8 Donc il y a un aspect procédural.

9 Est-ce que j'aurais le droit de penser ou de supposer que vous, vous ne

10 contestez pas cet aspect-là du jugement de première instance qui a estimé

11 qu'il y avait quand même une dimension de consentement? Ou est-ce que vous

12 consentez cela aussi?

13 M. Prodanovic (interprétation): Monsieur le Juge, je ne peux pas

14 simplement vous répondre par un oui ou par un non; je vais me permettre de

15 vous fournir un exemple.

16 Nous avons une situation. En fait, ce que je vais dire a trait à des faits

17 qui ne sont pas contestés en l'espèce. Voici un exemple où le témoin DB a

18 été violée par l'accusé Kunarac. Ce témoin DB a dit que le viol avait eu à

19 son initiative, qu'elle a joué un rôle actif, qu'elle a commencé à le

20 déshabiller alors que lui n'avait pas eu recours à la force et à la

21 menace, donc le rapport sexuel, ce serait elle qui l'aurait engagé.

22 M. Shahabuddeen (interprétation): Je comprends bien pourquoi vous tenez à

23 reprendre ces détails factuels des circonstances de l'espèce.

24 Moi, je vous demande votre aide cependant sur les principes.

25 Est-ce qu'il y a un aspect de consentement, dans le crime de viol, qui a

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1 été déterminé par la Chambre? Est-ce que vous préférez ne pas vous

2 prononcer, ne pas fournir des réponses?

3 M. Prodanovic (interprétation): Non, non, vous ne m'avez pas bien compris.

4 J'avais déjà dit dans mes réponses antérieures que la Chambre de première

5 instance doit analyser chaque cas individuel et c'est en fonction des

6 circonstances individuelles qu'il faut tirer des conclusions

7 individuelles. Il n'y a pas de formule générale qu'on puisse appliquer à

8 tous les cas.

9 M. Shahabuddeen (interprétation): Vous ai-je bien compris? Vous parlez de

10 l'opposition ou de la résistance. Je vous ai compris de la façon suivante:

11 "quand je dis résistance, avez-vous dit, vous ne pensez pas uniquement à

12 la résistance physique, pas de façon exclusive", mais est-ce que la norme

13 à appliquer n'est pas de savoir si, dans la totalité des circonstances, il

14 n'y a pas quelque chose qui montre que la victime ou la victime présumée

15 n'était pas consentante à l'exécution de l'acte?

16 M. Prodanovic (interprétation): Oui, oui. Oui, Monsieur le Juge. Je vous

17 ai déjà dit qu'il ne fallait pas que ce soit une résistance physique.

18 M. Shahabuddeen (interprétation): Je vous remercie.

19 M. le Président: Bien, je vous remercie, Maître Prodanovic, et aussi mes

20 collègues qui ont effectivement éclairé beaucoup d'aspects de votre

21 intervention.

22 Vous pouvez vous rasseoir, Maître Prodanovic.

23 J'appelle maintenant vos confrères qui devaient, je crois compléter,

24 chacun pour leur client, un certain nombre de points.

25 Je ne sais pas qui a décidé de prendre la parole après Me Prodanovic? Ou

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1 est-ce que cela clôture l'ensemble de la question? Non? Alors, allez-y.

2 (Présentation des arguments de la défense relatifs au jugement de première

3 instance par Me Kolesar.)

4 M. Kolesar (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

5 Messieurs les Juges, je vais maintenant vous présenter quelques remarques

6 portant sur le jugement en première instance concernant Radomir Kovac,

7 dont je défends les intérêts.

8 Mais je vais également aborder la question de la peine, ce que j'essaierai

9 de faire de la façon la plus concise puisque le temps qui nous était

10 imparti diminue.

11 L'accusé Radomir Kovac était un soldat ordinaire de l'armée de la

12 Republika Srpska. En tant que tel, il a participé à des actions militaires

13 menées par son unité. Ce sont des opérations de combat dirigées contre les

14 unités musulmanes sur le territoire de la municipalité de Foca, à Foca

15 même également. Mais ce n'est pas uniquement dans les villages musulmans

16 qu'il y a eu des combats, il y en a eu aussi dans les villages serbes. Des

17 opérations militaires contre des forces ennemies sont une chose, mais des

18 attaques contre des villages musulmans ou des populations musulmanes,

19 c'est autre chose.

20 Il n'était pas membre de la police militaire ni d'une unité paramilitaire,

21 pas plus qu'il n'était l'adjoint du commandant de la police militaire.

22 Il a rejoint les forces serbes le 17 avril 1992, au moment où les combats

23 dans la ville de Foca même étaient déjà terminés. Il lui aurait donc été

24 impossible de participer à la persécution de Musulmans, pour autant qu'il

25 y ait eu persécution. De toute façon, il n'y a pas eu persécution dans la

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1 ville de Foca. Les Musulmans de cette ville, une fois que les Serbes ont

2 pris le contrôle de la ville, les Musulmans sont partis de leur propre

3 volonté sans qu'aucune pression soit exercée sur eux. Ils se sont rendus

4 dans les parties du territoire qui se trouvaient sous contrôle musulman.

5 L'accusé Radomir Kovac n'a pas participé aux actions dirigées contre les

6 villages de Mesaja et Trosanj. Il faut dire aussi que l'unité dont il

7 faisait partie n'a pas participé à ces attaques.

8 La défense de Radomir Kovac a présenté de façon détaillée son avis en ce

9 qui concerne la participation de Kovac dans les attaques dirigées contre

10 le village de Mesaja. Ceci figure à la page 19 de notre mémoire; je ne

11 m'attarde pas sur ce point.

12 L'époque ou le temps pertinent, pour ce qui est de l'accusé, est le 30

13 octobre 1992 jusqu'au 25 février 1993, aux environs de ces dates. Au cours

14 de cette période couverte par l'Acte d'accusation, les combats entre les

15 forces serbes et musulmanes étaient terminés depuis longtemps dans la

16 région de Foca et des environs. Les Serbes avaient le contrôle de la

17 ville, avaient établi un gouvernement et les unités militaires avaient

18 pris leurs positions sur les lignes de démarcation.

19 La population civile, qu'elle soit serbe ou musulmane, s'est déplacée,

20 s'est installée dans les parties du territoire qui étaient contrôlées par

21 la force respective. Au moment de la période couverte par l'Acte

22 d'accusation dressé contre Radomir Kovac, les civils de Mesaja et de

23 Trosanj, à l'exception de quelques rares habitants, avaient déjà quitté

24 Foca. Est-ce qu'ils étaient partis sur des territoires contrôlés par les

25 Musulmans ou sur des territoires contrôlés par les Serbes? Peu importait.

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1 S'ils étaient partis sur des territoires serbes, c'était par le

2 Monténégro.

3 L'accusé Kunarac, l'accusé Kovac et l'accusé Vukovic ne se connaissaient

4 que de vue, que ce soit avant, pendant ou après le conflit. Ils n'avaient

5 pas de rapport en dehors du travail, ils ne se rendaient pas visite à leur

6 domicile respectif. Chacun menait sa propre vie et chacun savait ce qu'il

7 faisait, mais pas ce que les deux autres faisaient. Ils ne passaient pas

8 de temps libre ensemble, ils n'avaient pas non plus de conversations, de

9 discussions ensemble. Il leur était impossible d'agir dans un dessein

10 commun.

11 Pour qu'il y ait dessein ou objectif commun, il est nécessaire d'avoir une

12 connaissance personnelle, du fait qu'il y a eu planification d'une

13 opération où il faudrait savoir que des valeurs protégées vont être

14 violées, ou des biens protégés vont être violés, ou l'ont été. Il faut

15 aussi qu'il y ait eu un accord avec le plan préparé et la volonté de

16 participer à son exécution. Tout ceci doit être nettement défini et établi

17 pour dire qu'il y a responsabilité individuelle. En effet, chaque auteur

18 est responsable de ses actes, pour autant qu'il y ait eu préméditation.

19 Kovac n'a participé à aucune prise de décision, qu'elle soit militaire ou

20 civile, à Foca. Par conséquent, il ne peut pas être tenu responsable de ce

21 que ces autorités civiles ou militaires ont fait.

22 L'accusé Kovac, alors que des civils musulmans se trouvaient à l'école de

23 Aladza, au centre sportif de Partizan ou à la maison Karaman, Kovac n'est

24 pas allé à ces endroits; il ne savait pas ce qui s'y passait. Aucun des

25 témoins n'a mentionné le fait qu'il aurait été présent en aucun de ces

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1 endroits.

2 La période couverte par l'Acte d'accusation ne correspond pas, en ce qui

3 le concerne, aux époques couvertes pour les deux autres accusés. Tout ceci

4 concourt à montrer que la seule conclusion à tirer, c'est que, pendant la

5 période couverte par l'Acte d'accusation, les trois accusés vaquaient à

6 leurs propres occupations, menaient leur propre vie et qu'il n'y avait pas

7 existence d'un dessein commun entre eux.

8 L'accusé Kovac et sa défense estiment qu'il n'a pas été prouvé, au-delà de

9 tout doute raisonnable, qu'il y aurait eu un plan existant parmi les

10 accusés afin que soient violées des femmes musulmanes. Il n'a pas été

11 prouvé que l'accusé aurait su que, s'il y avait viol, il ne savait pas

12 justement qu'il y avait eu viol, ce qui veut dire que l'élément moral,

13 l'élément matériel manque.

14 On pourrait dire que, si l'on peut parler de l'élément matériel comme

15 étant un élément présent pour chacun des accusés, puisque chacun aurait

16 été un participant actif dans ce système en place à l'époque, et si ceci

17 devait être considéré comme étant une action individuelle, on ne peut

18 toujours pas parler d'élément moral ou de "mens rea" pour aucun des

19 accusés, puisque aucun des accusés n'était au courant de l'existence d'un

20 plan destiné à réprimer qui que ce soit. Il n'existait pas un tel plan.

21 Aucun des accusés n'avait l'intention de participer à l'exécution d'un

22 plan conçu à l'avance.

23 Les témoins FWS-7587, AS et la jeune fille AB sont allées dans

24 l'appartement de l'accusé Kovac le 30 octobre 1992 ou autour de cette

25 date. En d'autres termes, elles sont arrivées à un moment où tous les

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1 civils du village de Mesaja, à l'exception de quelques filles, avaient

2 déjà quitté Foca; et ces femmes sont restées volontairement dans cet

3 endroit. Il y a même une de ces femmes qui a épousé un soldat serbe et en

4 a eu des enfants. Les circonstances dans lesquelles ces quatre femmes sont

5 arrivées à l'appartement de Radomir Kovac, les raisons pour lesquelles

6 elles sont venues à cet endroit ont déjà été soumises de façon détaillée

7 dans notre mémoire d'appel, pages 23 à 28. Nous n'allons pas revenir là-

8 dessus.

9 La défense de l'accusé Kovac a également exprimé son avis en ce qui

10 concerne le séjour de ces femmes dans l'appartement de Kovac. Cependant,

11 la Chambre de première instance ayant émis certains avis, je dois revenir

12 de façon plus détaillée sur ces points qui ne sont pas repris dans le

13 mémoire.

14 La défense estime qu'aucun motif ne permet de tirer les conclusions tirées

15 par la Chambre de première instance, à savoir que les jeunes femmes

16 avaient faim quand elles se trouvaient dans l'appartement et que ceci

17 n'était pas la conséquence d'une pénurie généralisée en matière de

18 nourriture à Foca, parce que le café était ouvert: il y avait de la

19 nourriture. On pouvait en trouver également au Monténégro.

20 La défense affirme catégoriquement que les jeunes filles n'avaient pas

21 faim lorsqu'elles étaient dans l'appartement de Kovac. Elles avaient

22 autant de nourriture que tous les autres habitants de Foca. Ces jeunes

23 femmes, elles-mêmes, n'ont jamais affirmé d'ailleurs avoir eu faim.

24 Plusieurs des témoins à décharge ont confirmé que Kovac s'était occupé

25 aussi de leur régime alimentaire, de leur hygiène personnelle. Les cafés

Page 172

1 étaient ouverts, mais on ne servait pas de nourriture dans ces cafés, on y

2 servait que du café et des boissons. Les magasins étaient ouverts, mais

3 les étagères étaient vides et il n'y avait pas beaucoup de denrées

4 alimentaires qu'on pouvait acheter. On pouvait obtenir de la nourriture du

5 Monténégro, mais il n'était pas facile de l'obtenir. En effet, la ville se

6 trouvait sous blocus imposé par les forces musulmanes au moment couvert

7 par l'Acte d'accusation.

8 La défense de Radomir Kovac estime dès lors que, vu les circonstances

9 objectives, Kovac a fait tout ce qu'il a pu pour s'occuper de

10 l'alimentation et de l'hygiène personnelle de ces jeunes femmes pendant

11 qu'elles se trouvaient chez lui. Il a obtenu des médicaments, des

12 cigarettes pour qu'elles puissent fumer. Il est aussi impossible de

13 conclure, comme l'a fait pourtant la Chambre de première instance, que les

14 jeunes filles devaient faire du ménage et devaient assurer la satisfaction

15 sexuelle d'autres soldats, ce dont on tient Radomir Kovac responsable.

16 Sa défense ainsi que le témoin 87 l'ont d'ailleurs confirmé. Le témoin 87

17 est restée tout ce temps dans cet appartement. Elle a dit que les travaux

18 ménagers qu'elle devait faire étaient des travaux ordinaires, que ce

19 n'étaient pas des travaux lourds sur le plan physique ni des travaux

20 humiliants. Ceci se trouve à la page 6126du compte rendu d'audience.

21 Ces jeunes femmes vivaient dans l'appartement. Il est évident que si elles

22 y vivaient, elles devaient le nettoyer, mettre de l'ordre, comme on fait

23 toujours dans les travaux ménagers. La défense de Kovac estime également

24 qu'il n'est pas humiliant ni difficile de le faire. Si, par exemple, les

25 jeunes femmes faisaient leur cuisine pour elles-mêmes, elles pouvaient

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1 aussi faire la cuisine pour Kovac et les amis qui utilisaient

2 l'appartement. Ce qui veut dire que ces jeunes femmes vaquaient aux

3 travaux habituels d'une maison; ce qu'on ne peut pas considérer comme

4 étant un mauvais traitement, des sévices ou un traitement dégradant,

5 puisque ces jeunes femmes ont, de leurs propres dires, reconnu que ces

6 tâches n'avaient rien de très compliqué.

7 La Chambre a également conclu que l'accusé Kovac, pendant le séjour de ces

8 jeunes femmes dans son appartement, avait emmené des soldats à cet

9 endroit, avait ordonné à ces jeunes filles d'avoir des rapports sexuels

10 avec ces soldats. Le témoin 75, le témoin AB auraient été emmenées dans

11 différents appartements où elles auraient été violées. Apparemment,

12 l'accusé Kovac aurait violé le témoin AB qu'elle aurait vendu pour 200

13 marks allemands.

14 La défense de l'accusé Kovac, dans son appel, sous l'intitulé "événements

15 concernant les témoins 75 et AB", des pages 30 à 38, a soumis de façon

16 détaillée son avis eu égard aux conclusions tirées par la Chambre de

17 première instance sur ce point. Cependant la défense estime que ces

18 conclusions sans fondement doivent être étudiées plus avant et qu'il faut

19 présenter à la Chambre d'appel d'autres éléments.

20 La Chambre de première instance s'est fondée dans ses conclusions sur le

21 fait que Kovac aurait violé le témoin AB, aurait amené d'autres soldats

22 dans l'appartement et qu'il aurait forcé les jeunes filles à avoir des

23 rapports sexuels avec ceux-ci, qu'il aurait amené les témoins 75 et AB

24 dans d'autres appartements, qu'il aurait vendu le témoin AB pour 200 marks

25 allemands et qu'il serait responsable du fait que l'on n'a pas retrouvée;

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1 qu'il aurait frappé, infligé des sévices au témoin 75, qu'il aurait violé

2 le témoin 75 et le témoin 87 tout en jouant la musique du "Lac du cygne",

3 et tout ceci s'est basé sur la déposition du témoin 75.

4 La défense de Radomir Kovac, dans ses plaidoiries, compte rendu du 22

5 novembre 2000, a analysé de façon très détaillée les contradictions qui

6 apparaissent dans les déclarations des témoins à charge, a attiré

7 l'attention des Juges sur les endroits où les déclarations sèment la

8 confusion, sont discordantes.

9 La défense a aussi montré les endroits où les témoins à décharge ont

10 réfuté par leurs dires ce qu'avaient dit les témoins à charge.

11 Donc on n'a pas d'éléments suffisants pour emporter la conviction.

12 La défense s'est intéressée à la déposition du témoin 75; nous sommes là à

13 la page 6469 du compte rendu d'audience jusqu'à la page 6475, et de la

14 page 6475 à la page 6488.

15 Dans son appel, la défense s'est attachée à la déposition dudit témoin en

16 jetant le doute sur l'authenticité de cette déposition.

17 Le témoin 75 a déclaré que Kovac avait amené d'autres soldats à

18 l'appartement, avait obligé les jeunes filles à avoir des rapports avec

19 ces soldats. Il aurait emmené ce témoin et le témoin AB dans différents

20 endroits, où elles auraient été violées par d'autres soldats.

21 Le témoin 87 et le témoin AS, cependant, qui se trouvaient dans

22 l'appartement pendant toute la période concernée, ont dit que le témoin 75

23 et le témoin AB étaient restées très peu de temps dans l'appartement, à

24 peine sept jours, suite à quoi elles seraient parties et ne seraient pas

25 revenues. Elles ont aussi affirmé de façon catégorique que l'accusé Kovac

Page 175

1 n'avait pas amené d'autres soldats dans l'appartement.

2 A la lumière de ces témoignages du témoin 87 et du témoin AS, il n'est pas

3 possible de conclure que l'accusé Kovac aurait pu vendre le témoin AB dans

4 son appartement, le 25 décembre 1992, comme l'affirme le témoin 75, pas

5 plus qu'au début du mois de décembre 1992, comme l'a conclu erronément et

6 sans fondement la Chambre de première instance.

7 Les pièces documentaires présentées par la défense, s'agissant de la

8 blessure subie par Radomir Kovac, devraient être prises en compte par la

9 Chambre d'appel, ce qui n'a pas été contesté par la Chambre de première

10 instance; nous parlons ici des pièces 909 et 912.

11 On ne peut pas non plus accuser Kovac du fait que le témoin AB soit portée

12 manquante, ce qui a été pourtant une faute grave retenue contre lui.

13 Le témoin AB et 75 ne sont restées que peu de temps chez lui; elles sont

14 ensuite parties. Et Kovac n'était plus responsable de leur sort par la

15 suite.

16 Le témoin 75 a affirmé devant la Chambre de première instance, le 3 avril

17 2000, en réponse à des questions posées par le Procureur qui lui demandait

18 quand elle avait vu le témoin AB pour la dernière fois, elle a répondu

19 qu'elle l'avait vu peut-être deux mois plus tard ou quelque chose de cet

20 ordre. Donc c'est deux mois après qu'elle eut quitté l'appartement de

21 Kovac.

22 Ce témoin a été le seul à déposer sur certains faits. Ce témoin n'est pas

23 fiable pour les raisons que j'ai déjà énoncées. Son témoignage est en

24 contradiction avec le témoignage d'autres témoins à charge comme à

25 décharge, et en contradiction avec d'autres pièces documentaires.

Page 176

1 La défense par conséquent estime qu'une condamnation ne peut pas se fonder

2 sur la déposition de ce témoin.

3 En effet, ceci n'apporte pas la preuve, au-delà de tout doute raisonnable,

4 des charges retenues dans l'Acte d'accusation ni des conclusions tirées

5 dans le jugement, selon lequel Kovac aurait violé le témoin AB, aurait

6 emmené les témoins AB et 75 dans d'autres appartements et maisons où elles

7 auraient été violées par d'autres soldats, et selon lequel il aurait vendu

8 une femme pour 200 marks allemands, qu'il est responsable du fait qu'elle

9 soit portée disparu, et qu'il aurait amené d'autres soldats à

10 l'appartement et exigé de ces jeunes femmes qu'elles aient des rapports

11 sexuels avec eux, qu'il les aurait battues ou maltraitées.

12 Ajoutons à tout ceci ce que dit le témoin 75, qui a déclaré devant la

13 Chambre de première instance qu'elle était venue déposer pour juger,

14 parlait ici des trois accusés, et ceci montre quel est le degré

15 d'objectivité de ce témoin.

16 Ceci concourt à prouver également qu'il y a des témoins qui ne sont pas

17 objectifs, mais qu'ils sont protégés par l'Article 96.

18 En ce qui concerne d'autres faits, tout ceci est déjà consigné dans les

19 mémoires. Nous n'allons pas nous prononcer davantage en ce qui concerne

20 les faits.

21 Parlons maintenant des points de droit, en ce qui concerne l'accusé Kovac.

22 Sa défense reprend l'avis exprimé aux pages 66 à 89 de son mémoire, ainsi

23 que sa réponse au mémoire de l'intimé, en ce qui concerne le cumul des

24 condamnations, le fait de prononcer une double peine, et en ce qui

25 concerne l'accusé Kovac, s'en tient à l'avis exprimé pour ce qui est de la

Page 177

1 responsabilité imputée à Kovac pour certains crimes ou pour certaines

2 infractions.

3 Nous allons simplement essayer d'apporter davantage de précision sur

4 certains points.

5 Tout d'abord, Kovac a été jugé coupable du crime de viol en vertu de

6 l'Article 3 et de l'Article 5(g) du Statut.

7 Pour un seul acte, il a été jugé coupable deux fois. Cette décision rendue

8 par la Chambre est erronée et contraire aux principes du droit pénal,

9 lesquels interdisent qu'il y ait double pénalisation, double condamnation

10 pour un même acte criminel.

11 Nous avons déjà avancé des conclusions conjointes qui valent pour les

12 trois accusés sur ce point en nous rapportant à la décision du mois de

13 février, du 20 février 2001, paragraphes 421 à 427.

14 S'agissant de l'accusé Radomir Kovac et de la condamnation qu'il a subie

15 pour viol.

16 Je crois qu'il est un exemple tout à fait typique: il a été condamné à

17 deux reprises pour un même comportement.

18 La Chambre de première instance se devait d'appliquer un test, d'établir

19 tout d'abord si toutes les dispositions pertinentes reprenaient les mêmes

20 éléments que ceux contenus dans d'autres dispositions. La Chambre devait

21 établir s'il y avait certains éléments qui étaient matériellement

22 différents. Tout ceci doit bien sûr être prouvé.

23 Il n'y a que des infractions pénales individuelles qui peuvent faire

24 l'objet d'un cumul de condamnations, mais l'Acte d'accusation, à ce

25 moment-là, doit contenir un élément différent pour chacune des

Page 178

1 infractions; je parle d'un élément qui ne se retrouve pas dans d'autres

2 charges retenues pour d'autres crimes. C'est seulement à ce moment-là que

3 l'on peut déterminer qu'il y a condamnation, qui doit être cependant en

4 rapport direct à un acte défini de façon plus spécifique.

5 Si la Chambre de première instance a conclu que, s'agissant du

6 comportement du Kovac, s'y trouvent des éléments qui permettent de le

7 juger coupable de viol -nous continuons à penser que ce n'est pas le cas-,

8 pour les raisons déjà avancées dans le mémoire et dans le mémoire de

9 l'intimé, on ne peut le juger coupable que du 5(g) du Statut.

10 La défense de Kovac estime que, dans son appel, ainsi que dans sa réponse

11 au mémoire de l'intimé, elle a suffisamment évoqué les crimes de viol et

12 d'atteinte à la dignité de la personne, ainsi que de la réduction en

13 esclavage et de viol.

14 Nous avons également avancé suffisamment d'arguments pour ce qui est de la

15 responsabilité pénale attribuée à Kovac pour le crime de viol et

16 d'atteinte à la dignité de la personne et de réduction en esclavage.

17 Nous aimerions demander à la Chambre d'appel, lors de son délibéré, de

18 s'attacher tout particulièrement aux paragraphes 161, 166 du mémoire

19 d'Appel -pages 86 à 89-, qui présentent l'avis de la défense s'agissant du

20 crime de réduction en esclavage.

21 En effet, je ne veux pas répéter ce que j'ai déjà dit hier. Et pour ce qui

22 est de l'accusé Kovac, je pense qu'il y a de nombreux éléments qui se

23 rapportent à l'avis exprimé par la Chambre de première instance.

24 La Chambre de première instance a parlé d'une liberté réduite de mouvement

25 du fait qu'il y a eu transfert de personnes pour que ces femmes subissent

Page 179

1 des sévices sexuels, le fait de vendre des jeunes femmes, tout ceci a été

2 retenu par la Chambre de première instance comme éléments constitutifs de

3 la réduction en esclavage.

4 La dernière partie de mon exposé portera sur le prononcé de la sentence.

5 Je reviendrai donc sur ce qu'a fait la Chambre de première instance au

6 moment où elle a prononcé sa sentence contre mon client, et la défense de

7 mon client s'appuiera, pour ses arguments, sur le Règlement de procédure

8 et de preuve.

9 L'Article 15 du Statut établi la nécessité d'appliquer le Règlement et les

10 décisions, certaines décisions du Tribunal du Rwanda ont également été

11 utilisées. Le Règlement de procédure d'épreuve existe effectivement dans

12 ce Tribunal. Il est obligatoire et contraignant pour le Tribunal,

13 indépendamment de l'action d'autres tribunaux qui ne se sont pas prononcés

14 sur l'application de ce même Règlement.

15 Hier, nous avons entendu dire que l'Article 6 du Règlement, qui était en

16 vigueur à la fin de ce procès, était clair et net, indépendamment des

17 modifications et changements qui ont été prononcés et adoptés par la

18 suite. Et je pense que les modifications nombreuses montrent bien que ceci

19 a affecté de façon négative l'accusé.

20 La défense a développé ses arguments dans son mémoire écrit ainsi que dans

21 sa réponse, donc je n'ai pas d'élément supplémentaire à vous soumettre

22 aujourd'hui, mais je mettrai simplement l'accent sur le fait que la

23 rétroactivité de l'application d'un certain nombre de dispositions du

24 Règlement s'est faite aux dépens de l'accusé Kovac.

25 D'autre part, la défense de Kovac a dit par le passé et le répète

Page 180

1 aujourd'hui qu'il est impossible d'admettre que l'on ne détermine pas un

2 barème des peines en proportion des actes criminels commis. Ceci a déjà

3 été dit à de nombreuses reprises hier. Il est donc absolument inacceptable

4 que la peine, la sanction ne soit pas déterminée comme est déterminé

5 l'acte criminel qui, lui, est défini dans sa qualification.

6 Une différence nette doit être établie entre le danger social que

7 constitue tel ou tel acte criminel et il est difficile, s'agissant de la

8 sanction, de dire s'il faut juger plus gravement un acte criminel qui

9 constitue un crime contre l'humanité ou un acte criminel qui constitue un

10 crime de guerre. C'est d'ailleurs ce qu'a dit la Chambre de première

11 instance, car elle estime que cela créerait un danger pour la

12 détermination de la gravité de tous les actes criminels dans le Règlement

13 et dans le Statut.

14 Les peines ne sont donc pas définies, ce qui permet, dans une grande

15 mesure, de rendre des décisions en se fondant uniquement sur l'arbitraire,

16 ce qui bien entendu risque d'aboutir à une peine injuste, une sanction

17 injuste.

18 Nous sommes dans la situation, aujourd'hui, où les peines prononcées à

19 l'encontre de l'accusé Kovac, pour les actes similaires à ceux qui sont

20 commis par les autres accusés, sont beaucoup plus lourdes.

21 Il est clair que le viol et la réduction en esclavage sont des actes

22 graves s'ils sont prouvés mais, selon la défense, la torture, les passages

23 à tabac, les sévices volontairement infligés pour produire de grandes

24 souffrances sont des actes beaucoup plus graves, et ce, notamment de la

25 part de personnes qui avaient des responsabilités importantes dans des

Page 181

1 camps où étaient notamment enfermés des civils, alors que les sentences

2 prononcées à l'encontre des accusés ont été plus légères que la sentence

3 prononcée à l'encontre de Kovac qui était un simple soldat. Il n'avait

4 donc aucune responsabilité hiérarchique de commandant. Et d'ailleurs, même

5 s'il avait été responsable, la défense estime que ce n'est pas le cas, en

6 tout cas tous les événements se sont déroulés bel et bien dans

7 l'appartement où il résidait lui-même.

8 Nous pensons à l'affaire Kvocka, nous pensons à l'affaire Delalic, nous

9 pensons à l'affaire Ante Furundzija lorsque nous développons ces

10 arguments.

11 La défense de Radomir Kovac ne peut en aucun cas admettre que les actes

12 qui sont imputés à Kovac soient punis plus durement, plus gravement que

13 les actes commis par d'autres accusés qui ont comparu devant ce Tribunal.

14 Dans aucun système judiciaire, la peine infligée pour viol n'est plus

15 grave que la peine infligée pour meurtre multiple ou pour torture.

16 Je voudrais évoquer encore deux omissions de la part de la Chambre de

17 première instance ainsi que deux violations de l'Article 101 du Règlement

18 de procédure et de preuve. L'Article 101 du Règlement de procédure et de

19 preuve stipule qu'il convient de prendre…, que la Chambre de première

20 instance doit tenir compte des dispositions prévues au paragraphe 2 de

21 l'Article 24 du Statut. Or, selon l'Article 24 du Statut, la peine

22 correspondant aux actes imputés à mon client est une peine de prison. Et

23 pour déterminer la durée de cette prison, le Tribunal est censé prendre en

24 compte la pratique judiciaire de l'ex-Yougoslavie.

25 Selon le a) de l'Article 101 du Règlement également, donc sous paragraphe

Page 182

1 a), "La pratique en vigueur dans l'ex-Yougoslavie" est censée être prise

2 en compte également au moment de la détermination de la peine.

3 La défense de l'accusé Kovac a invité le docteur Stanko Beatovic,

4 professeur d'université, à témoigner devant la Chambre au sujet des peines

5 qui étaient appliquées dans l'ex-Yougoslavie pour crime de viol et crime

6 similaire. Mais en dépit de ce qu'a dit ce témoin, la Chambre de première

7 instance n'a pas tenu compte de cela.

8 L'Article 101A)-i) du Règlement indique également que la Chambre aurait dû

9 rechercher d'éventuelles existences de circonstances atténuantes pour

10 Kovac qui auraient pu déboucher sur le prononcer d'une peine plus courte.

11 La défense a parlé de l'individualisation de la peine dans son mémoire,

12 page 9399, en parlant également de la nécessité de prendre en compte les

13 circonstances atténuantes qui auraient pu être à l'avantage de l'accusé

14 Kovac. Je ne vais pas revenir sur tout ce qui figure par écrit dans notre

15 mémoire, mais la Chambre de première instance, nous le disons, n'a pas

16 réussi à trouver de circonstances atténuantes, et ce, uniquement dans le

17 cas de l'accusé Kovac.

18 Enfin, la Chambre de première instance a violé d'une autre manière encore

19 le Règlement de procédure et de preuve. Maintenant, je vais d'ailleurs

20 revenir sur un point que j'ai déjà évoqué hier.

21 En effet, au moment de prononcer la sentence contre les accusés et donc

22 également contre l'accusé Kovac, la Chambre de première instance n'a pas

23 compté le temps déjà passé en prison avant le procès. Donc, dans ces

24 conditions, la défense de l'accusé Kovac demande à la Chambre d'appel de

25 tenir compte de l'ensemble des détails qui sont stipulés par écrit dans le

Page 183

1 mémoire de la défense ainsi que dans la réponse, et d'examiner tous ces

2 aspects de très près afin de prononcer aujourd'hui un autre jugement.

3 Nous avons, dans nos écritures, demandé l'acquittement et c'est une

4 position que nous continuons à défendre ici même, devant vous, oralement

5 aujourd'hui.

6 Je vous remercie de votre attention.

7 M. le Président: Merci. Merci, Maître Kolesar.

8 Je crois qu'il reste maintenant, Maître, pour Kunarac ou pour Vukovic

9 peut-être?

10 C'est peut-être Maître Jovanovic? C'est vous qui terminez? A moins qu'il y

11 ait des questions sur ces questions qui sont en partie factuelles. Sauf

12 pour le Juge Shahabuddeen. Excusez-moi, Maître Jovanovic.

13 Monsieur Shahabuddeen, c'est à vous.

14 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Kolesar, je vous ai écouté avec

15 beaucoup d'attention, mais je peux néanmoins vous avoir peut-être mal

16 compris.

17 J'ai eu l'impression que vous avez abordé le problème de la peine unique

18 ou des peines multiples. Et j'ai eu le sentiment que vous avez dit que la

19 capacité d'imposer une peine unique pour plusieurs déclarations de

20 culpabilité était une violation des normes fondamentales du droit pénal.

21 Je ne suis pas, loin de là, un expert en droit pénal mais il me semble que

22 la pratique de la peine unique englobant l'ensemble est une pratique bien

23 connue dans le système judiciaire français, notamment et dans le système

24 judiciaire d'autres pays appliquant le droit romain et germanique.

25 Quel est votre sentiment à ce sujet?

Page 184

1 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, je ne me rappelle avoir dit

2 ce que vous venez d'indiquer.

3 Moi, j'ai abordé déjà un sujet hier, à savoir que j'ai dit que

4 concrètement, lorsqu'il s'agit de l'acte criminel de viol qui est imputé à

5 mon client Radomir Kovac, nous disons que seul un article du Statut peut

6 s'appliquer. Et dans notre plaidoirie, ainsi qu'hier, nous avons dit que

7 seul l'Article 5g) du Statut était applicable. Je l'ai redit aujourd'hui.

8 Je ne sais pas si c'est à cela que vous pensiez?

9 M. Shahabuddeen (interprétation): Vous faites référence à l'argumentation

10 que vous avez développée au sujet de ce que moi, j'appellerai la question

11 ou le pouvoir, la capacité d'imposer un cumul de peines ou de déclarations

12 de culpabilité. Mais je pensais que vous parliez, que vous avez parlé en

13 tout cas de la capacité d'imposer une peine unique pour juger des actes

14 multiples, des actes criminels multiples.

15 Vous ai-je mal compris?

16 M. Kolesar (interprétation): Je crains que vous m'ayez mal compris. Car,

17 dans le droit de l'ex-Yougoslavie, il y a une disposition légale qui

18 prévoit de prononcer une sentence globale. Nous appelons cela le "cumul de

19 peines".

20 Mais pour prononcer une peine unique à l'encontre de plusieurs actes

21 criminels, il faut que ceci soit prescrit par le droit. Dans l'ex-

22 Yougoslavie, c'est le droit qui prévoyait d'agir de la sorte et donc cette

23 disposition s'appliquait.

24 Cependant, pour chaque crime, une peine maximale a été prévue dans le

25 droit yougoslave également. Et donc il faudrait appliquer cette

Page 185

1 disposition, cet article particulier, lorsqu'on prononce une peine unique.

2 M. Shahabuddeen (interprétation): Je pensais effectivement que, sur le

3 territoire de l'ex-Yougoslavie, le droit correspondait exactement à ce que

4 vous venez de dire, mais n'étant pas un expert en la matière, je n'en

5 avais pas parlé jusqu'à présent. Je vous remercie de l'avoir fait vous-

6 même.

7 Maintenant, j'aimerais que nous revenions sur l'analyse des faits relatifs

8 à votre client. Et je vous pose la question suivante.

9 Vous savez bien sûr que la Chambre d'appel a compétence aussi bien sur les

10 erreurs de droit que sur les erreurs de fait, en tout cas, lorsqu'il y a

11 risque d'erreur judiciaire.

12 Dans votre exposé, vous avez parlé d'erreurs de droit, sur lesquelles je

13 ne reviendrai pas. Je me contenterai de parler des erreurs de fait que

14 vous avez évoquées également dans votre analyse.

15 Vous dites que l'analyse des faits par la Chambre de première instance est

16 insuffisante pour déclarer la culpabilité. Vous avez parlé d'un certain

17 nombre de témoins dont le témoignage, selon vous, n'était pas fiable. Et

18 vous avez parlé du témoignage d'autres témoins, que vous avez qualifiés

19 d'objectifs et que vous avez opposés à tous les autres témoignages

20 considérés par vous comme n'étant pas objectifs.

21 Alors ce qui me préoccupe un petit peu, c'est l'appréciation qu'il

22 convient de faire de la mission dont est chargée la Chambre d'appel, donc

23 du travail que doit accomplir la Chambre d'appel.

24 A mon avis, il est possible que, dans une affaire déterminée, si nous

25 avions siégé en tant que Chambre de première instance, nous ayons tiré une

Page 186

1 conclusion différente de celle de la Chambre de première instance dont

2 nous sommes en train de parler ici aujourd'hui.

3 Mais la question pourrait se poser sans doute de savoir si cela suffit

4 pour changer complètement la décision de la Chambre de première instance

5 en l'espèce, à moins que les choses ne se situent à un très haut niveau.

6 Et ce très haut niveau est le suivant: il importe de prouver non seulement

7 que nous aurions pu parvenir, siégeant en tant que Chambre de première

8 instance, à une conclusion différente de celle qui a été tirée par la

9 Chambre de première instance qui a jugé cette affaire, mais que la

10 conclusion tirée par la Chambre de première instance qui a agi était

11 tellement non raisonnable qu'aucune Chambre de première instance agissant

12 en toute raison n'aurait tiré la même conclusion.

13 Etes-vous en train de dire que la Chambre d'appel, ce matin, doit décider

14 de renverser la décision de la Chambre de première instance parce que

15 celle-ci n'aurait pu être rendue par aucun autre Tribunal agissant de

16 façon raisonnable?

17 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, dans mon exposé, j'ai dit

18 que, dans ma plaidoirie faite le 22 novembre 2000 devant la Chambre de

19 première instance, j'avais analysé les dépositions d'un certain nombre de

20 témoins de l'accusation.

21 Et l'accusation, dans les parties de l'Acte d'accusation qui concernent

22 l'accusé Kovac, ne proposait d'entendre que quatre témoins; donc le nombre

23 de témoins dont j'ai parlé n'était pas important.

24 Et dans ma plaidoirie, j'ai donc mis en exergue toutes les contradictions

25 en déclarant notamment que, nous fondant sur un ensemble de ces

Page 187

1 déclarations de témoin, nous ne pouvions pas, au-delà de tout doute

2 raisonnable, considérer que les allégations retenues contre mon client,

3 contre l'accusé Kovac, avaient été prouvées.

4 Et aujourd'hui, j'ai dit que j'avais pour intention de ne souligner qu'un

5 seul exemple, très massif, d'absence de fiabilité dans un témoignage.

6 Parce que, si une seule femme témoin affirme quelque chose en disant le

7 contraire de ce que disent deux autres femmes témoins qui étaient

8 présentes en permanence, et sur des points importants que le fait de

9 savoir si les soldats étaient présents ou pas, si une jeune fille a été

10 vendue ou pas -et je ne vais revenir sur tout ce que j'ai dit il y a

11 quelques instants-, ceci me semble suffisamment important pour que je

12 maintienne la position que j'ai défendue devant la Chambre de première

13 instance durant ma plaidoirie, à savoir que le témoignage du témoin 75,

14 notamment, n'était pas suffisamment fiable pour qu'on prononce une

15 déclaration de culpabilité en se fondant sur ce témoignage.

16 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci beaucoup.

17 M. Kolesar (interprétation): Merci également à vous.

18 M. Schomburg (interprétation): Merci, Monsieur le Président, de me donner

19 la parole.

20 Maître Kolesar, j'aimerais vous renvoyer au principe "nullum crimen sine

21 lege". Je crois que vous êtes très loin d'appliquer ce principe.

22 Et pour être plus clair, je vous dirais que j'ai eu l'impression que vous

23 souhaitiez modifier l'Article 24 du Statut en disant que celui-ci ne

24 correspondait pas à la teneur du principe "nullum crimen sine lege".

25 Alors, j'ai une question à votre intention. Savez-vous que, dans la

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1 plupart des systèmes judiciaires du monde, lorsque des crimes graves sont

2 jugés, la sentence est prononcée sous la forme suivante: entre un an et

3 vingt ans d'emprisonnement, ou bien entre quinze ans et l'emprisonnement à

4 vie?

5 Alors, quelle serait la différence entre la démarche que je viens de vous

6 illustrer et la démarche que l'on trouve à l'Article 24 du Statut, qui dit

7 que "la Chambre de première instance n'impose que des peines

8 d'emprisonnement, et que ces peines peuvent aller jusqu'à l'emprisonnement

9 à vie"? Cela, c'est donc ma première question.

10 Et ma deuxième question porte sur l'Article 6D). Vous avez parlé de cet

11 Article en ajoutant: "Quelque chose s'est passé qui s'est fait au

12 détriment de mon client".

13 Je pense personnellement qu'il appartient à la défense, dans un cas de ce

14 genre, de prouver que l'application de l'Article 6D) s'est faite en

15 nuisant au droit de l'accusé.

16 C'est la raison pour laquelle je vous demande, je vous prie, d'entrer

17 davantage dans le détail au sujet de ce préjudice subi par votre client,

18 merci.

19 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, je crains fort qu'il y ait

20 eu malentendu.

21 En effet, s'agissant de l'Article 24 du Statut, qui est intitulé "Peines",

22 au pluriel, jamais il ne me viendrait à l'esprit de proposer une

23 quelconque modification de la teneur de cet article, mais ce que j'ai dit

24 dans mon exposé, au sujet de cet article, est la chose suivante. En effet,

25 au point 1 de l'Article 24, nous lisons -je cite-: "La Chambre de première

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1 instance n'impose que des peines d'emprisonnement."

2 Un peu plus loin dans cet article, il est stipulé que "la Chambre de

3 première instance doit tenir compte de la loi, de la pratique judiciaire

4 appliquée sur le territoire de l'ex-Yougoslavie". Alors, ce que j'ai dit,

5 c'est la chose suivante: la défense a entendu un témoin expert, cité par

6 elle à la barre, qui a donc soumis à la Chambre un certain nombre

7 d'éléments importants relatifs aux sentences qui étaient en vigueur dans

8 l'ex-Yougoslavie pour crime de viol.

9 Cependant la Chambre n'a pas tenu compte de ces éléments proposés par

10 notre témoin expert. Voilà ce que je voulais dire pour l'essentiel. Je

11 n'ai pas parlé de l'application de "nullum crimen sine lege" à cet

12 endroit-là.

13 Maintenant, s'agissant de votre question, je crois qu'une sanction

14 comprise entre un et vingt ans est envisagée pour certains crimes, mais je

15 crois que ceci est une sanction spécifique. Et la défense estime que la

16 sanction n'est pas spécifiée dans la pratique du Tribunal où nous

17 travaillons, ici, alors qu'une disposition peut éventuellement permettre

18 de préciser la peine. S'il n'y a pas de disposition légale applicable par

19 un Tribunal qui spécifie telle ou telle peine pour tel ou tel acte crime,

20 dans ce cas bien sûr, la Chambre de première instance a toute discrétion

21 pour déterminer la durée à son gré. Je ne sais pas d'ailleurs si j'ai bien

22 répondu à votre question.

23 M. le Président: Excusez-moi, je ne sais pas si vous avez répondu à la

24 question du 6D), de l'Article 6D) du Règlement. C'était votre question,

25 Juge Schomburg.

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1 M. Kolesar (interprétation): Ah oui, oui, l'Article 6D) du Règlement.

2 M. Le Président: Maître Kolesar et ainsi que vos confrères, pouvez-vous

3 nous expliquer votre position?

4 M. Kolesar (interprétation): Ma position à cet égard est la même qu'hier,

5 à savoir que la Chambre de première instance, au moment où elle s'est

6 prononcée sur la culpabilité et au moment où elle a prononcé sa sentence,

7 aurait dû appliquer le Règlement qui était en vigueur à l'époque, et pas

8 le Règlement qui a été adopté deux mois plus tard, au moins. Donc la

9 défense affirme qu'il est impossible d'appliquer un document qui est entré

10 en vigueur à une date bien ultérieure à la conclusion de l'affaire, donc à

11 la fin du procès, je veux dire.

12 C'est la position que j'ai défendue hier et que je continue à défendre

13 aujourd'hui.

14 M. le Président: Vous pouvez concrètement expliquer les deux différences

15 qui auraient porté préjudice à votre client? Qu'est-ce qui aurait été plus

16 profitable à votre client? Parce que là, on parle de façon abstraite. Nous

17 les connaissons, nous, les modifications mais j'aimerais que vous les

18 expliquiez là, pour être bien précis.

19 Vous dites: "Avec telle explication du Règlement, au moment du procès, mon

20 client n'aurait pas subi un préjudice. Avec la nouvelle modification, il

21 subit un préjudice."

22 Pouvez-vous nous expliquer avant la pause?

23 M. Kolesar (interprétation): J'ai déjà dit cela hier, mais je vais le

24 répéter aujourd'hui.

25 En application de l'Article 101 du Règlement, qui était en vigueur à la

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1 fin du procès, la Chambre de première instance bénéficiait, avait le

2 pouvoir discrétionnaire de prononcer des sentences et de décider si ces

3 sentences devaient être, si ces peines devaient être purgées simultanément

4 ou l'une après l'autre. C'était le droit de la Chambre de première

5 instance.

6 Alors qu'avec le Règlement modifié, cet Article du Règlement modifié, la

7 Chambre de première instance n'a que le droit de prononcer une peine

8 unique. Cela nuit à mon client Kovac, car la Chambre de première instance,

9 selon l'ancien Règlement de procédure et de preuve, aurait dû prononcer

10 une peine tout à fait spécifique, tout à fait déterminée, d'une durée

11 déterminée pour chacune des condamnations, pour chacun des actes condamnés

12 et ensuite, la Chambre aurait dû décider si ces sentences auraient été

13 servies simultanément ou consécutivement.

14 Alors que, dans la situation actuelle, avec le nouveau Règlement, personne

15 ne sait, pas plus nous que quiconque au Tribunal, quel est le poids qui a

16 été accordé à chacun des actes commis par l'accusé. Ce qui, comme je l'ai

17 dit moi-même mais comme l'ont dit également d'autres conseils de la

18 défense, ici, crée une espèce d'incertitude pour les défenseurs qui sont

19 donc dans l'incapacité de déterminer la gravité exacte de tel ou tel acte

20 criminel.

21 Je crois que toute sentence doit être individualisée, bien entendu.

22 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Kolesar, vous parlez ici d'un

23 argument invoquant le préjudice. Est-ce qu'il ne part pas du principe

24 selon lequel le pouvoir d'imposer une peine unique ou une peine globale

25 serait un pouvoir qui nous serait apparu dans le Règlement qu'au moment où

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1 cette modification a été apportée, il y a à peu près un an de cela?

2 Nous parlons ici de la modification apportée au 87C), mais vous savez,

3 n'est-ce pas, qu'avant que ne soit apportée cette modification dans le

4 procès Blaskic, mais je pense aussi dans d'autres procès, que ce soit ici

5 ou au Tribunal pour le Rwanda, les peines globales étaient des peines qui

6 étaient imposées par ce Tribunal.

7 Je vous convie à examiner l'Article 23 du Statut; vous y verrez que là, au

8 premier paragraphe, le Tribunal a le droit de prononcer des sentences, et

9 d'imposer des peines et sanctions. On ne dit pas si ces peines ou

10 sanctions doivent être distinctes, séparées ou globales. Effectivement,

11 c'est une question matérielle qu'on ne peut pas diluer par un Règlement de

12 procédure.

13 L'Article 24, en son premier paragraphe, dit ceci: "Pour fixer les

14 conditions de l'emprisonnement, la Chambre de première instance a recours

15 à la grille générale des peines d'emprisonnement appliquées par les

16 tribunaux de l'ex-Yougoslavie."

17 Pouvez-vous nous dire qu'en Yougoslavie, bien sûr sous réserve de la

18 présence de certaines conditions, on n'a pas le pouvoir d'imposer une

19 peine globale? Cette disposition que je viens d'évoquer, qui se trouve

20 dans le Statut même, est-ce que vous pensez que cette disposition est

21 suffisamment large pour permettre à ce Tribunal d'imposer une peine qui,

22 non seulement est dans le droit fil de la pratique telle qu'elle se

23 faisait en ex-Yougoslavie s'agissant des conditions d'emprisonnement, mais

24 qui est aussi de la grille et de la durée, mais aussi pour ce qui est du

25 pouvoir qu'a une Chambre d'imposer une peine qui serait globale, qui

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1 serait distincte, séparée?

2 Qu'en pensez-vous?

3 M. Kolesar (interprétation): Tout d'abord, en ce qui concerne les peines

4 imposées en ex-Yougoslavie, ce que j'ai dit précédemment, c'est que les

5 tribunaux de l'ex-Yougoslavie avaient compétence pour prononcer une peine

6 globale, mais qu'auparavant, ils devaient préciser quelle était la peine

7 exacte infligée pour chacune des infractions; après quoi, une peine

8 globale était prononcée.

9 Vous venez de lire la disposition 24.1 du Statut qui est incontestable.

10 Cependant dans le Règlement de Procédure et de Preuve -qui est un document

11 qui sert de fondement légal aux activités de ce Tribunal-, quand on voit

12 l'ancienne mouture, l'ancienne 101C) du Règlement, avant modification du

13 19 janvier, on y disait que "la Chambre de première instance, au moment où

14 elle statuait et décidait d'une peine à imposer, qu'elle allait établir si

15 des sanctions pour des infractions individuelles allaient être purgées de

16 façon consécutive ou simultanée". Ce qui veut dire que l'ancienne mouture

17 du 101C) prévoyait qu'il fallait d'abord qu'il y ait une peine

18 individuelle imposée pour chaque infraction et la Chambre ensuite disait

19 si ces peines étaient purgées de façon consécutive ou simultanée.

20 Cependant, le 19 janvier, le Règlement a été modifié: l'Article 101C) a

21 été abrogé et la disposition a été reprise à l'Article 87. Je pense que

22 ceci a porté préjudice à mon client.

23 En effet, celui-ci ne sait plus aujourd'hui quelle était la durée des

24 peines individuelles pour lesquelles on l'a jugé coupable. Si on avait

25 appliqué l'ancien Règlement, il l'aurait su de façon précise.

Page 194

1 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci. Hier, je pense, je vous ai déjà

2 renvoyé aux dispositions du 87C) et je vous ai dit que son libellé était

3 tel qu'apparemment, il reconnaît que la Chambre a compétence pour imposer

4 une peine unique.

5 Est-ce que je vous comprends bien? Est-ce que vous nous dites que le fait

6 d'imposer une peine unique, par exemple dans le procès Blaskic ou dans

7 d'autres procès tenus ici ou au Tribunal pour le Rwanda, qui étaient

8 antérieurs à la modification ou une modification de ce type, est-ce que

9 c'étaient des décisions erronées?

10 Est-ce bien ce que vous nous dites? Vous voulez dire qu'on n'avait pas

11 compétence pour imposer une peine unique avant que ne soit apportée cette

12 modification au Règlement?

13 M. Kolesar (interprétation): Monsieur le Juge, que ce soit dans le procès

14 Blaskic ou un procès du Tribunal pour le Rwanda, je pense que, dans toutes

15 procédures où des décisions étaient similaires à celles en l'espèce,

16 effectivement, les Règlements ont été violés.

17 Je vous remercie.

18 M. le Président: Maître Kolesar, juste un point. Je ne voudrais pas trop

19 m'attarder sur cette question-là, mais je vous ferai remarquer: vous

20 parlez de préjudice. Le Règlement effectivement a donné une latitude, une

21 possibilité à la Chambre -elle n'a pas supprimé une disposition ancienne-,

22 elle a donné une latitude plus large. Alors, quand vous parlez de

23 préjudice, je pourrais le comprendre si, par exemple, vous, dans votre

24 travail de défenseur ou pour la bonne compréhension de la sentence par

25 votre client, il n'était pas possible de discerner, à travers des notions

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1 de comportement criminel global, de discerner sur quel type de culpabilité

2 votre client a été appréhendé.

3 Or ce n'est pas du tout ce que vous trouvez dans le dispositif. Dans le

4 dispositif final de la disposition, vous conviendrez avec moi que Radomir

5 Kovac a bien été reconnu coupable du Chef 22, du Chef 23, du Chef 24, du

6 Chef 25. Ces infractions visent pour la Chambre un seul comportement,

7 comportement criminel. C'est ça qui a apporté la nouveauté du texte. Vous

8 êtes tout à fait libre de ne pas partager cette opinion, mais, en tout cas

9 pour les Juges qui avaient modifié le Règlement, c'était une possibilité

10 supplémentaire, mais qui ne portait pas préjudice en soi aux accusés.

11 Voilà simplement la précision que je voulais apporter.

12 Ecoutez, il est 11 heures 10. Il me semble que, d'après notre juriste, il

13 doit nous rester…

14 M. Kolesar (interprétation): (Pas de traduction française.)

15 [Est-ce que j'ai le droit de répliquer?]

16 M. le Président: Oui, bien sûr. Je voulais apporter une précision sur les

17 modifications du Règlement.

18 Je tenais à vous dire simplement que, chaque fois que le Règlement est

19 modifié, les Juges prennent bien soin que la modification ne s'applique

20 aux affaires en cours que dans la mesure où elle ne porte pas préjudice.

21 Mais allez-y, je vous écoute. Mais rapidement. Allez-y.

22 M. Kolesar (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

23 Merci de cet éclairage très précieux.

24 Mais prenons un exemple précis: par exemple, l'affaire Furundzija. Il a

25 été condamné à deux ans et les peines ont été purgées de façon simultanée.

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1 Pour ce qui est de Delalic, là, il a eu la peine pratiquement maximale. Ou

2 plusieurs donc. Mais là aussi, elles ont été prises de façon simultanée.

3 Nous, notre client, nous nous attendions à faire l'objet de peines qui se

4 conformaient à l'ancien Règlement et que ce serait dans le droit fil de

5 décisions, comme dans les affaires Furundzija et Delalic.

6 M. le Président: Bien. Monsieur le Juriste, après la pause, combien va-t-

7 il nous rester pour la défense? Je pense qu'il n'y a plus que Me Jovanovic

8 qui intervient? Oui, combien?

9 Oui, il restera environ 40 minutes. Je pense que cela permettra de

10 terminer.

11 Oui, Maître Prodanovic? Vous vouliez intervenir à nouveau? Non, non, je

12 vous pose la question simplement.

13 M. Prodanovic (interprétation): Oui, très rapidement. Merci, Monsieur le

14 Président. Je voudrais intervenir brièvement après Me Jovanovic pour la

15 peine imposée à Kunarac. Quelques phrases à peine.

16 M. le Président: Voilà. Simplement, après la pause. Nous reprenons à 11

17 heures et demie. Vous savez le temps, après la pause, qui restera pour en

18 terminer avec la présentation des moyens de la défense? Je pense que nous

19 pourrons commencer la présentation des moyens de réplique du Procureur

20 juste après 12 heures, 12 heures 30. Bien.

21 L'audience est suspendue. Elle reprendra à 11 heures 30.

22 (L'audience, suspendue à 11 heures 11, est reprise à 11 heures 35.)

23 M. le Président: L'audience est reprise. Faites entrer les accusés.

24 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)

25 Nous reprenons. Normalement, sous réserve des questions posées par les

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1 Juges, sous cette réserve-ci, nous devrions terminer à 12 heures 20 ou 12

2 heures 15, environ, la présentation globale de tous les moyens de la

3 défense.

4 J'appelle votre attention sur le fait que, s'agissant des derniers points,

5 ne reprenez pas les questions juridiques posées par tel ou tel de vos

6 confrères.

7 Je crois que c'est Maître Prodanovic qui veut prendre la parole?

8 M. Prodanovic (interprétation): Non, Monsieur le Président. C'est Me

9 Jovanovic qui devait intervenir maintenant.

10 M. le Président: Très bien. Je n'avais pas très bien saisi.

11 Maître Jovanovic?

12 (Exposé des moyens de la défense de M. Zoran Vukovic par Me Jovanovic.)

13 M. Jovanovic (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président.

14 Avant de commencer l'exposé des moyens de la défense de M. Vukovic, qui se

15 limiteront uniquement à des questions de fait et à la façon dont les faits

16 ont été établis, et dont les moyens de preuves ont été soumis à la

17 Chambre, j'aimerais intervenir sur un point qui est en rapport pas

18 seulement avec ce procès.

19 Comme vous venez de le dire, Messieurs les Juges, la défense suggère qu'à

20 l'avenir, dans les procès à venir, il faudrait, dans les procédures

21 d'appel, distribuer le temps de façon différente puisque, ici, en toute

22 hypothèse, étant le troisième conseil à intervenir, si le premier conseil

23 soulève des questions intéressantes qui entraînent des débats qui durent

24 un certain temps, ce qui peut se passer, c'est que le troisième conseil

25 qui est censé intervenir n'a pas suffisamment de temps pour le faire.

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1 C'est simplement une proposition que nous faisons pour l'avenir.

2 M. le Président: Permettez que je vous réponde sur ce point-là.

3 Votre observation est très intéressante et elle ne m'a pas échappé. Elle

4 m'a tellement peu échappé d'ailleurs que j'ai repris la séance en disant:

5 "Sous réserve des questions des Juges, l'ensemble de la défense devrait

6 terminer à 12 heures 20." Mais je vous répondrai que premièrement, vous

7 vous êtes réparti le temps et vous avez déjà plaidé devant ce Tribunal,

8 donc vous devez savoir que les Juges interviennent, c'est leur droit. Vous

9 éclairez les Juges et les Juges vous éclairent parfois, cela peut arriver.

10 Deuxième élément de réponse: je vous inciterai à profiter des questions

11 que posent vos confrères. Il est vrai que Me Prodanovic a beaucoup tenu la

12 tribune, mais il a posé aussi beaucoup de questions de droit ce qui, dans

13 le dialogue qui s'est instauré entre les Juges et lui, a dû certainement

14 être profitable pour l'ensemble des conseils la défense. Ce qui fait que

15 j'aurais tendance à dire que vous êtes plutôt un privilégié. Normalement,

16 vous ne devriez pratiquement plus rien avoir à dire, mais je crois que

17 j'exagère.

18 Maintenant, je vous donne la parole.

19 M. Jovanovic (interprétation): Je vous en remercie, Monsieur le Président.

20 Je vais maintenant vous présenter les moyens de l'accusé que je

21 représente.

22 J'interviendrai uniquement sur des points de fait et de la manière dont

23 ces faits ont été établis, de la façon dont la culpabilité de mon client a

24 été établie.

25 Avant de procéder à une brève analyse, permettez-moi de souligner que, de

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1 l'avis de la défense, la façon dont on a conclu à la culpabilité de mon

2 client a été en contradiction de certains des principes fondateurs du

3 droit pénal, du droit à la défense et du droit imposé équitable.

4 La culpabilité de Zoran Vukovic et des faits qui ont été établis en

5 rapport avec lui peuvent être considérés comme se rapportant à deux

6 choses.

7 Il y a d'abord le lien qu'il avait avec l'attaque menée sur la population

8 civile, son état de volonté à participer à l'attaque, à l'exécution même

9 de cette attaque. Le deuxième ensemble de faits porte sur les infractions

10 précises contenues dans le Chef 7.11 de l'Acte d'accusation pour lequel il

11 a été déclaré coupable.

12 Le lien entre M. Vukovic et l'attaque menée sur la population civile, la

13 connaissance qu'il aurait eu de cette attaque, sa volonté d'y participer

14 et puis l'exécution de cette attaque, tout ceci a été établi à partir des

15 dépositions des témoins 50 et 75.

16 Nous avons eu connaissance de ces dépositions juste avant le début du

17 procès. Il y avait dans ces dépositions des infractions pénales très

18 graves, à savoir le meurtre, le viol et aussi un autre cas de viol.

19 Nous en avons pris connaissance pour la première fois, en fait, au moment

20 du procès.

21 L'Acte d'accusation ne contenait pas, en effet, un seul de ces trois

22 crimes retenus contre lui. Ce qui veut dire que la défense n'a pas été

23 appelée à soumettre des arguments. Or des conclusions ont été tirées de

24 ceci, un jugement s'est fondé sur des faits apportés dans ces conditions.

25 Tout ceci, selon nous, est en contradiction avec les droits de la défense.

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1 Le principe de l'égalité des armes a, lui aussi, été violé. Comment

2 voulez-vous que la défense présente des moyens contre de telles

3 allégations?

4 Je serais d'ailleurs très précis. Le témoin 50 a déclaré que, le 3

5 juillet, M. Zoran Vukovic l'aurait violé oralement à Buk Bijela.

6 Le témoin 75 a dit que, ce même jour du mois de juillet, elle aurait vu M.

7 Zoran Vukovic qui emmenait un homme assez âgé vers la rivière de la Drina:

8 "Après, on a entendu une rafale de coups de feu et on n'a plus jamais

9 revu, ni entendu parler de ce monsieur.

10 La Chambre de première instance en a conclu que Vukovic avait participé à

11 une attaque dirigée contre la population civile à partir de ces

12 infractions pénales.

13 La défense ne peut pas simplement dire: "M. Vukovic n'était pas à Buk

14 Bijela ce jour-là, il ne sait pas ce qui s'y passait". Je pense que la

15 défense devrait prouver que Zoran Vukovic n'a pas commis ces crimes. Or

16 ces crimes n'ont pas été mis en accusation. Alors, est-ce que cela

17 présuppose que la défense doit se défendre d'allégations apportées au

18 moment même du procès?

19 Nous, nous sommes tenus par l'Acte d'accusation, par les charges retenues

20 contre notre client. Le rôle qu'il aurait joué, sa présence ici se base

21 sur le fait qu'il aurait commis des crimes. S'il n'est pas jugé coupable

22 de ces crimes, s'il n'a pas été prouvé que ces crimes ont été commis par

23 lui, il est impossible de tirer quelque conclusion factuelle que ce soit

24 de ces allégations.

25 Or je trouve ce type de choses à certains endroits du jugement, ce qui ne

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1 fait que semer encore davantage la confusion.

2 Je vais citer le paragraphe 163 dudit jugement, vers la fin de ce

3 paragraphe. Je cite. Un instant, s'il vous plaît.

4 Oui parce que ceci a trait à un incident à cause duquel on a estimé qu'il

5 avait participé à une attaque. Nous parlons ici d'une infraction dont nous

6 avons eu connaissance au moment du procès même, lorsque le témoin 75 a dit

7 que, présumément, Vukovic est dans l'appartement de M. Kovac, après avoir

8 eu une conversation dans laquelle il avait admis avoir tué un homme à Buk

9 Bijela; il l'aurait forcé à avoir un rapport sexuel oral avec lui.

10 Mais ceci n'avait pas été retenu dans l'Acte d'accusation soumis à la

11 Chambre de première instance et la Chambre de première instance ne tire

12 pas de conclusion à ce propos.

13 Mais je trouve que ceci ne correspond pas à ce qu'on trouve plus loin dans

14 le jugement, où l'on voit bien que la Chambre a tiré des conclusions suite

15 à cet incident: au paragraphe…

16 Je vous demande un moment d'indulgence. Excusez-moi: vu le peu de temps

17 que j'ai, je le trouverai plus tard.

18 C'est à partir de cet incident qui s'est produit dans l'appartement de M.

19 Kovac que la Chambre a conclu que Vukovic a participé à une attaque

20 dirigée contre la population civile. Or c'est en contradiction directe

21 avec la conclusion au paragraphe 163.

22 Ceci vaut aussi pour la déposition du témoin 75.

23 Au paragraphe 236 du jugement -et ici, nous parlons du témoin 50-: "A Buk

24 Bijela, elle a été victime d'un viol oral par Zoran Vukovic".

25 Cet incident n'avait pas été mentionné par le témoin auparavant. Par

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1 conséquent, il n'avait pas été repris dans l'Acte d'accusation.

2 L'accusation a décidé de ne pas modifier l'Acte d'accusation s'agissant de

3 M. Vukovic; la Chambre ne s'est pas fondée dans sa condamnation sur cet

4 incident, mais je dois remarquer que le jugement s'est fondé sur cet

5 incident puisqu'on l'a utilisé pour établir un lien entre Vukovic et

6 l'attaque dirigée contre la population civile.

7 S'agissant des incidents qui se sont produits à Buk Bijela, il y a un

8 autre point qu'il faut soulever, ici aussi en rapport avec les conclusions

9 tirées par la Chambre de première instance.

10 Nos avons entendu un autre témoin au moment du procès, il s'agissait du

11 témoin FWS-62. Cette dame est la femme de l'homme qui a sans doute été tué

12 ce jour-là à Buk Bijela.

13 Cette dame connaît ou connaissait Zoran Vukovic avant la guerre. Elle a vu

14 ce qui est arrivé à son mari. Elle n'a pas identifié M. Vukovic ici dans

15 le prétoire comme étant l'auteur de l'infraction.

16 La déposition de ce témoin se retrouve au paragraphe 384 du jugement.

17 Etablir des faits importants de cette façon est, à notre avis, loin d'être

18 la façon qui convient. L'ensemble des allégations retenues contre M.

19 Vukovic et sa participation présumée aux événements se fondent

20 effectivement sur ces trois incidents.

21 Permettez-moi d'appeler votre attention sur un autre point. Nous savons

22 que le crime ne paye pas, mais qu'une bonne action ne paye pas, ça, c'est

23 quelque chose de nouveau aussi.

24 Au paragraphe 590 du jugement, il est dit que Zoran Vukovic était au

25 courant des périls que couraient les Musulmans à Foca parce qu'au moment

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1 du conflit, il a lui-même aidé des citoyens musulmans dont il savait

2 qu'ils étaient en danger.

3 Il n'est pas équitable d'utiliser négativement une bonne action. Et des

4 témoins à charge sont venus dire que M. Vukovic avait aidé des Musulmans,

5 à tel point qu'il les a même défendus à l'aide d'armes contre d'autres

6 Serbes. Il n'est pas juste d'utiliser ce genre de choses positives de

7 façon négative.

8 C'est la raison pour laquelle, de l'avis de la défense, le droit à la

9 défense a été violé, car la défense n'a pas eu l'occasion de présenter ces

10 moyens. Et qu'au contraire, des conclusions ponctuelles ont été tirées

11 afin d'établir un lien entre M. Vukovic et l'attaque dirigée contre la

12 population civile.

13 Et ceci nous amène au cœur même du problème en ce qui concerne la défense

14 de mon client, à savoir la conclusion de sa culpabilité au regard des

15 charges retenues au point 7.11 de l'Acte d'accusation.

16 Nous avons déjà beaucoup parlé du témoin 50 et de l'incident qui le

17 concerne. Pourtant permettez-moi d'ajouter encore quelque chose. Pour que

18 vous puissiez mieux suivre mon argumentation, je vais essayer de vous

19 décrire rapidement l'incident tel que l'a relaté le témoin 50. Un jour,

20 Zoran Vukovic, accompagné d'un soldat serbe dont l'identité n'est pas

21 connue, est venu dans le centre sportif des Partizans. Le témoin s'est

22 cachée lorsqu'elle a vu M. Vukovic mais, effrayée des menaces proférées

23 par M. Zoran Vukovic à l'égard du témoin 51, qui est la mère du témoin 50,

24 le témoin 50 s'est montrée. Il a emmené ce témoin, le témoin 87, dans un

25 appartement abandonné où l'accusé Vukovic a violé le témoin 50 dans une

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1 pièce. Et le témoin 87 a été violée dans une autre pièce par le soldat

2 serbe. Après cela, Zoran Vukovic les a ramenées au centre sportif.

3 Ici, le point de départ, c'est le nombre de personnes impliquées dans cet

4 incident. On a le témoin 50, le témoin 51, le témoin 87, M. Vukovic et un

5 soldat serbe dont l'identité n'est pas connue.

6 La Chambre a eu l'occasion d'entendre quatre des protagonistes de cet

7 incident: M. Vukovic, qui s'est déclaré innocent, non coupable à sa

8 comparution initiale, non coupable de tous les chefs, dont celui-ci.

9 Nous avons entendu le témoin 87 qui aurait été avec le témoin 50, au

10 moment en question. Le témoin 87 conteste que cet incident ait eu lieu.

11 La Chambre a cru les dires du témoin parce qu'au paragraphe 246 du

12 jugement, on trouve sous l'intitulé "Moyens à l'appui des allégations", ce

13 qui est assez bizarre, mais on parle effectivement de ce viol.

14 La Chambre de première instance a conclu que le témoin 87 n'avait vu Zoran

15 Vukovic que deux fois et jamais, ça n'a été en compagnie du témoin 50.

16 Le témoin 51, la mère donc du témoin 50, n'a pas confirmé en un seul mot

17 qu'il y aurait eu cet incident. De plus, dans sa déposition, elle a

18 précisé qu'on n'avait jamais fait sortir sa fille du centre sportif des

19 Partizans, indépendamment de Zoran Vukovic. Mais s'agissant de cet

20 incident, elle n'en fait aucunement mention. Ceci se voit aux paragraphes

21 378 et 379 de ce jugement.

22 Il existe en principe, en théorie une possibilité. D'ailleurs, je précise

23 qu'il s'agit ici de témoins à charge. En théorie, il est possible que deux

24 témoins à charge, la mère du témoin et le témoin 87, qui apparemment

25 étaient sur les lieux, il se peut que ces témoins, en théorie, mentent.

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1 Mais si c'est le cas, il faut que nous ayons de très bonnes raisons de

2 croire qu'elles se sont livrées à des mensonges. Nous n'avons pas de

3 telles raisons.

4 Les questions fondamentales se posent. Des témoins à charge, pourquoi

5 défendraient-ils, en principe, Zoran Vukovic, qu'il ait commis ces crimes

6 ou pas?

7 Je précise que le témoin 87, ou plutôt qu'apparemment, M. Vukovic l'aurait

8 violée au cours d'un autre incident, tout à fait distinct de celui dont

9 nous parlons.

10 Il était acquitté de cet autre incident. Ce témoin n'a aucune raison de

11 protéger Vukovic parce qu'apparemment, selon l'Acte d'accusation, elle

12 aurait été violée par lui. Alors pourquoi une mère témoignerait-elle

13 contre son enfant, contre sa fille?

14 Cependant, M. Vukovic a été déclaré coupable de ce chef d'accusation qui

15 entraîne douze ans de prison. Nous estimons que ceci n'est pas juste.

16 Monsieur le Président, en conclusion, permettez-moi d'appeler votre

17 attention sur le paragraphe 591 du jugement. J'ai d'abord cru que c'était

18 une erreur de traduction; j'avais hâte d'avoir la traduction officielle.

19 Ici je parle du jugement.

20 Au paragraphe 591 dudit jugement, il est dit que Zoran Vukovic aurait

21 également commis une attaque en violant personnellement au moins deux

22 femmes musulmanes. Si l'on dit "au moins deux", on permet la possibilité

23 selon laquelle il en aurait violé davantage. Lorsque je me suis rendu

24 compte que ce n'était pas un problème de traduction, je me suis dit -et ce

25 n'est bien sûr qu'une hypothèse que j'émets- mais je me suis dit que

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1 certaines parties de son jugement ont été rédigées au moment où l'on

2 s'attendait à ce que M. Vukovic soit déclaré coupable de deux viols ou

3 plus, parce que les victimes sont mentionnées, celles qui sont censées

4 être les victimes de ces viols dont il serait déclaré coupable.

5 Je continue bien sûr à vous livrer mon sentiment hypothétique personnel.

6 Je ne sais pas quel est le sentiment ressenti par quelqu'un qui

7 s'attendait à ce qu'une peine de ce genre soit prononcée. Mais ce que je

8 sais, c'est comment se sent mon client qui n'est pas coupable et qui a été

9 condamné.

10 Je ne peux pas parler de la peine ici, mais la seule chose que je ferai,

11 c'est prier la Chambre d'appel de bien vouloir relire ce texte, ce

12 jugement, et de bien vouloir rendre la seule décision qui s'impose, à

13 savoir acquitter Zoran Vukovic pour cet acte criminel unique, le seul

14 d'ailleurs qui reste dans l'Acte d'accusation.

15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est sur ces mots que la

16 défense de Zoran Vukovic termine son exposé.

17 M. le Président: Bien. Merci, Maître Jovanovic.

18 Je me tourne vers mes collègues à présent. Est-ce qu'il y a des questions?

19 Vous deviez nous donner une précision dans le jugement; vous en souvenez-

20 vous, Maître Jovanovic? Vous avez dit "faute de temps", mais je vois qu'il

21 vous reste du temps. Vous deviez nous l'indiquer dans votre première

22 intervention.

23 M. Jovanovic (interprétation): Oui, oui. Oui, en effet.

24 M. le Président: C'était intéressant de savoir où le jugement était en

25 contradiction avec ce qui était dit dans une autre partie. Vous pourriez

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1 aider les Juges si vous avez cette référence.

2 M. Jovanovic (interprétation): Oui, absolument, Monsieur le Président, et

3 je vous remercie.

4 La première contradiction liée aux événements de Buk Bijela qui est en

5 rapport avec le viol du témoin 50…

6 J'indique que le paragraphe 236 n'a absolument aucun rapport avec le

7 paragraphe 589. D'autre part, le paragraphe 591 du jugement n'a aucun

8 rapport avec le paragraphe 563. Nous parlons du contenu de ces

9 paragraphes, bien sûr.

10 M. le Président: Bien.

11 Mes chers collègues, pas de question particulière?

12 Oui, Juge Shahabuddeen?

13 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Jovanovic, je m'efforce de vous

14 suivre. Je crois comprendre que vous dites que des actes qui n'ont pas

15 fait l'objet de poursuite ou d'accusation n'ont pas été suivis de sentence

16 et n'ont donc pas été pris en compte au moment du prononcé de la sentence.

17 Vous affirmez cependant que des conclusions, des éléments directement liés

18 à ces actes ont été pris en compte par la Chambre de première instance

19 pour se prononcer sur des actes qui, eux, faisaient l'objet d'accusation

20 dans l'Acte d'accusation.

21 Etes-vous, dans ces conditions, en train de dire que, si un acte ne fait

22 l'objet d'aucune accusation dans l'Acte d'accusation, des éléments de

23 preuves liés à cet acte sont inadmissibles, ne peuvent pas être versés au

24 dossier dans l'effort de prouver l'existence d'autres actes qui, eux, font

25 l'objet d'accusation dans l'Acte d'accusation.

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1 Au paragraphe 163 du jugement… Je me corrige: au paragraphe 28 du

2 jugement, 28 donc, dans le dernier tiers de ce paragraphe, la Chambre de

3 première instance dit très clairement ce qui suit –je cite-: "Par

4 conséquent, la Chambre de première instance ne prendra pas ces faits en

5 compte à des fins de déclaration de culpabilité ou de sentence, mais ces

6 faits sont pertinents s'agissant d'identifier Zoran Vukovic". (Fin de

7 citation.)

8 Etes-vous donc en train d'affirmer qu'à moins qu'un acte ne fasse l'objet

9 d'une accusation dans l'Acte d'accusation et ne soit suivi d'un prononcé

10 de culpabilité, les éléments de preuves liés à cet acte sont inadmissibles

11 au dossier du procès et ne peuvent pas être utilisés pour établir la

12 commission d'autres actes qui, eux, font l'objet d'accusation dans l'Acte

13 d'accusation? C'est bien cela?

14 M. Jovanovic (interprétation): Absolument, Monsieur le Juge. Il s'agit ici

15 de crimes graves et il impossible, il n'est pas permis d'utiliser des

16 parties de ces crimes dans le but de prouver l'existence d'un autre crime

17 alors que le premier n'a pas été prouvé.

18 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci bien. Je vous comprends.

19 M. le Président: Merci.

20 Monsieur Prodanovic?

21 (Exposé des moyens de la défense de M. Kunarac par Me Prodanovic.)

22 M. Prodanovic (interprétation): Je serai très bref. Hier, j'ai dit que

23 j'allais essayer d'économiser du temps et je vais m'efforcer de le faire.

24 Je vais donc m'exprimer encore seulement quelques minutes.

25 M. le Président: Vos confrères ont été brefs et ils vous ont même presque

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1 reproché d'avoir été trop long. Alors, essayez d'être bref. Allez-y.

2 M. Prodanovic (interprétation): Je serai encore plus court qu'eux.

3 Le problème dont je souhaite parler en quelques phrases est le suivant:

4 s'agissant concrètement de mon client, nous avons toute une série de

5 témoins qui depuis 1993 ne mentionnent pas mon client, dans le cas du

6 témoin 95, comme étant l'auteur du viol, en 1995, car des déclarations ont

7 été faites par ce témoin en 1995. Ils ne mentionnent pas mon client comme

8 l'auteur du viol, mais disent simplement le connaître. Et puis ensuite,

9 ces témoins décrivent quelqu'un qui a des traits ne correspondant

10 absolument pas à ceux de mon client. C'est seulement quand mon client

11 s'est livré au Tribunal, c'est-à-dire en 1998, que ce témoin donne une

12 troisième déclaration; et à ce moment là, elle se souvient tout d'un coup

13 qu'elle a été violée.

14 Et sur la base de cette dernière déclaration de ce témoin, la Chambre a

15 prononcé la culpabilité de mon client. Il ne s'agit pas uniquement de ce

16 témoin mais également, par exemple, du témoin 87 qui ne se souvient pas

17 d'un viol commis par Kunarac. Aux points 9 et 10 de l'Acte d'accusation,

18 deux déclarations différentes sont faites. Et quand Kunarac arrive ici,

19 quand il répond aux questions du Bureau du Procureur, ce témoin tout d'un

20 coup se souvient que Kunarac l'a violée à l'époque.

21 A mon avis, il est très discutable de savoir si des déclarations de tels

22 témoins sont acceptables. Mais chacun, chacune de ces témoins répondant à

23 la question: "Quand est-ce que votre mémoire était de meilleure qualité?"

24 a répondu: "En 1994, etc.".

25 Nous avons eu un autre témoin, le témoin 48, qui a fait une déclaration

Page 210

1 préalable en août 1992 et n'a pas mentionné Kunarac. Alors qu'en 1996,

2 tout d'un coup, elle le mentionne. Et heureusement, mon client a été

3 acquitté par rapport à ces accusations particulières.

4 Donc je demande à la Chambre d'appel de prendre en compte cet aspect des

5 choses.

6 Par ailleurs, j'aimerais revenir quelques instants sur la façon dont la

7 Chambre de première instance donne deux qualifications à un même acte et,

8 dans les deux cas, à l'encontre de Kunarac.

9 Regardez, je vous prie, le paragraphe 863 du jugement où nous lisons ce

10 qui suit -je cite-: "M. Kunarac a joué un rôle dirigeant sur le plan de

11 l'organisation et il avait de l'influence, etc." (Fin de citation.)

12 Ce qui signifie qu'il aurait utilisé sa position d'autorité pour empêcher

13 certains actes d'être commis.

14 Cependant, au paragraphe 741, les témoins protégés 191 et 186 décrivent

15 Kunarac; et la Chambre de première instance en conclut que Kunarac a

16 démontré qu'il avait les droits exclusifs sur le témoin FWS-191 en

17 interdisant à d'autres soldats de la violer.

18 Alors, ça, c'est encore moins clair pour moi, parce qu'il est censé avoir

19 une position d'autorité dont il peut se servir pour protéger ses victimes

20 mais lorsque, dans un autre cas, il agit exactement de cette façon-là, il

21 protège le témoin, et ceci est retenu contre lui.

22 Voilà, tout ce que je voulais vous dire. Je vous remercie de votre

23 attention.

24 M. le Président: Merci, Maître Prodanovic.

25 Je ne sais pas s'il y a des points particuliers. Peut-être pas.

Page 211

1 Je crois que cela termine la présentation des éléments de preuve de la

2 défense. Je vous remercie, vous avez tous fait des efforts pour être

3 synthétiques, ce qui me permet de me tourner vers le Bureau du Procureur

4 et notamment vers M. Carmona et de le convier également à faire le même

5 effort. C'est-à-dire: lorsque vous pouvez vous référer à votre mémoire

6 d'appel, vous le faites; les Juges lisent les mémoires d'appel, je le

7 rappelle, c'est leur devoir. Donc vous plaidez par observation et vous

8 essayez d'être le plus synthétique, ce qui permet ensuite aux Juges de

9 poser les questions les plus appropriées.

10 Nous avions prévu quatre heures pour l'ensemble. Je ne sais pas si vous

11 aurez besoin de quatre heures. En tout cas, vous pouvez commencer.

12 C'est à vous, Monsieur le Procureur.

13 (Présentation des arguments du Bureau du Procureur, relatifs au jugement

14 de première instance, par M. Carmona.)

15 M. Carmona (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

16 dans une tentative de facilitation du processus auquel vous participez,

17 nous avons préparé un plan de la réponse du Procureur et nous avons mis ce

18 texte à la disposition des Juges, mais également de la défense.

19 Et sans plus attendre, je tiens à faire connaître au Tribunal un certain

20 nombre d'observations s'agissant des normes qui doivent être appliquées

21 par la Chambre d'appel.

22 Les normes utilisées par la Chambre d'appel sont de nature corrective et

23 s'agissant de ce Tribunal, l'appel n'a rien à voir avec un nouveau procès.

24 La Chambre d'appel ne fonctionne donc pas en tant que deuxième Chambre de

25 première instance.

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1 Le point de départ d'un processus d'appel doit donc être que la décision

2 rendue par une Chambre de première instance doit être renversée si elle

3 n'est pas exacte. Par conséquent, la Chambre d'appel a pour tâche de

4 vérifier si l'Article 5.1 du Statut a bien été appliqué.

5 Cet Article 5 prévoit qu'un appel est possible sur des motifs

6 particuliers. La Chambre d'appel est donc en droit d'établir si la Chambre

7 de première instance a erré en droit dans sa décision, ou si elle a erré

8 en fait, provoquant ainsi une erreur judiciaire.

9 A moins que cette erreur soit établie, la décision de la Chambre de

10 première instance est maintenue.

11 Il appartient aux parties de convaincre la Chambre d'appel que la Chambre

12 de première instance a erré en droit, et ce dans une mesure telle que

13 cette partie doit donc décrire quels sont les détails de cette erreur,

14 doit souligner quelles sont les normes du droit qui ont été violées et

15 doit décrire le préjudice qui en a résulté pour la partie interjetant

16 appel suite à la décision de la Chambre de première instance et, de ce

17 fait, obtenir éventuellement une décision d'invalidation.

18 S'agissant des faits, les normes appliquées par la Chambre d'appel sont la

19 norme du manque de caractère raisonnable selon lequel donc la Chambre de

20 première instance se serait appuyée sur des éléments de preuves qui

21 n'auraient pas pu être admis par un autre Tribunal agissant de façon

22 raisonnable. Ce qui signifie que l'ensemble des preuves est fautif. C'est

23 seulement lorsque la Chambre de première instance est considérée comme

24 ayant présenté des éléments de preuve qui ne peuvent pas être admis par

25 d'autres Chambres agissant de façon raisonnable, que la Chambre d'appel

Page 213

1 peut intervenir.

2 Le Procureur n'a nullement l'intention de vous livrer la totalité de la

3 jurisprudence applicable aux procédures en appel mais nous disons, avec le

4 respect que nous devons à ce Tribunal, que c'est dans l'intérêt d'une

5 bonne administration de la justice que les parties ne soient pas

6 autorisées, au stade de l'appel, à se contenter de répéter leur plaidoirie

7 qui est déjà prononcée à la fin du procès. Et ceci paraît particulièrement

8 important dans la présente affaire, non seulement parce que les parties

9 sont nombreuses mais également parce qu'il y a un certain nombre de

10 complexités dans les questions soumises à l'intérêt des Juges de cette

11 Chambre.

12 A cet égard, il est pertinent de faire référence à la décision récente

13 dans l'affaire "le Procureur contre Kupreskic" où il a été décidé qu'une

14 procédure en appel ne pouvait pas se dégrader pour devenir un jeu de

15 devinettes pour la Chambre d'appel.

16 Il faut que des éléments déjà examinés par la Chambre de première instance

17 soient repris mais à condition que les erreurs, imputées à la Chambre de

18 première instance, soient bien définies.

19 A cet égard, nous disons, avec le respect que nous devons à la Chambre

20 d'appel, que certains des exposés des conseils de la défense entendus

21 jusqu'à présent souffrent d'un certain nombre de défauts sur ce point.

22 Nous nous sommes efforcés de présenter des arguments qui correspondent aux

23 arguments développés dans notre mémoire écrit et dans nos argumentations

24 verbales et, à part ceci, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous

25 remarquerez que nous ne parlons pas d'identification, de témoignages

Page 214

1 d'expert ou de torture dans notre texte. Nous avons l'intention de traiter

2 de ces questions dans le cadre des réponses que nous apporterons à chacun

3 des appelants concernés.

4 Sans plus attendre, je voudrais maintenant vous présenter ma collègue, Mme

5 Suzanne Lamb, qui traitera des questions relatives au paragraphe 2 de

6 notre plan, du plan que nous avons distribué.

7 M. le Président: Madame Lamb?

8 (Intervention du Bureau du Procureur relative au motif d'appel commun des

9 accusés, par Mme Lamb.)

10 Mme Lamb (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce

11 que je vais dire répondra au motif commun d'appel de la part des trois

12 accusés Kunarac, Kovac et Vukovic.

13 S'agissant des exigences minimales de l'Article 3 et de l'Article 5 du

14 Statut, je parlerai des motifs d'appel suivants.

15 S'agissant de l'Article 3, je traiterai du motif d'appel relatif à

16 l'inclusion de l'Article 3 commun des Conventions de Genève, dans le champ

17 d'application de l'Article 3 du Statut et du champ d'application qui est

18 confirmé par cet article. Et en deuxième, je parlerai du motif d'appel

19 relatif à l'existence d'un conflit armé, enfin du motif d'appel relatif à

20 la suffisance d'un lien de causalité entre l'existence d'un conflit armé

21 et les crimes commis par les appelants.

22 S'agissant de l'Article 5, je traiterai du motif d'appel consistant à

23 savoir si, oui ou non, une attaque a été commise contre la population

24 civile de Foca. En deuxième lieu, de l'aspect généralisé ou systématique

25 de cette attaque, et enfin de tout ce qui a trait à la connaissance par

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1 chacun des accusés du contexte plus vaste dans lequel les crimes se

2 situaient.

3 Je vais maintenant traiter du premier motif d'appel, à savoir l'Article 3

4 commun.

5 Les appelants, les écritures et les arguments développés par écrit par les

6 appelants contestent d'abord le caractère approprié, adapté de la

7 condamnation par la Chambre de première instance des crimes correspondants

8 à l'Article 3. Selon l'Article 3 de notre Statut, les crimes relevant de

9 l'Article 3 commun ne sont pas couverts. Cette position semble avoir été

10 modifiée au cours des argumentations orales de la part des appelants et ne

11 semble plus tenir actuellement, s'agissant des infractions contre la

12 dignité de la personne, par exemple, ou de l'utilisation d'armes ou de

13 violence contre des propriétés, contre des biens.

14 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce motif d'appel est sans

15 fondement. En effet, l'Article 3 devant ce Tribunal -et cela a été prouvé

16 dans le cas de nombreux délits-, chaque fois qu'il y a violation

17 importante du droit international humanitaire, l'Article 3 s'applique sans

18 que ceci puisse être remis en question. Ce texte est tout à fait

19 explicite, il fait obligation de traiter les gens avec humanité sans

20 distinguer entre telle ou telle partie aux hostilités.

21 Par ailleurs, la conduite répréhensible dont il a été question au cours de

22 ce procès, à savoir la violence contre la vie et la personne, se rapproche

23 davantage de la torture et de ce type de délit que d'autres. Donc

24 l'Article 3 et le champ d'application ne peuvent pas être considérés comme

25 les appelants le font.

Page 216

1 Et au vu de ceci, je propose maintenant de passer au deuxième motif

2 d'appel.

3 Le deuxième motif d'appel, c'est celui qui concerne l'existence ou plutôt

4 la non-existence d'un conflit armé dans certaines municipalités au cours

5 de la période couverte dans l'Acte d'accusation.

6 Une fois encore, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le Procureur

7 affirme que ce motif d'appel est sans fondement.

8 D'abord, le Procureur déclare que, si ce motif d'appel concerne

9 l'existence d'un conflit armé, nous remarquons que les appelants se sont

10 déjà entendus avec l'accusation par stipulation sur ce point. Le 1er

11 février de l'an 2000, les deux parties au procès ont considéré non

12 contestable ce fait et un document a été versé au dossier du procès à

13 cette fin. Cet accord a été conclu sur le fait qu'à partir d'avril 1992,

14 et en tout cas en février 1993, "un conflit armé était en cours -je cite-

15 dans la région de Foca." (Fin de citation.)

16 Les appelants ont donc admis qu'un conflit armé existait dans la région de

17 Foca et, aujourd'hui, ils semblent remettre en cause l'existence d'un

18 conflit armé également dans les municipalités voisines de Gacko et de

19 Kalinovik. C'est une erreur de fait. Ils affirment qu'une erreur de fait a

20 été commise par la Chambre de première instance.

21 Nous faisons remarquer, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que

22 Gacko et Kalinovik sont contiguës, adjacentes à la municipalité de Foca et

23 que, dans l'accord conclu, dans l'accord de stipulation, on ne parlait pas

24 que de la municipalité de Foca ou de la ville de Foca, mais de la région

25 de Foca.

Page 217

1 Durant le procès, rien n'a été dit qui permettrait de penser que, sur le

2 plan géographique, le conflit armé ne s'est pas étendu à ces trois

3 municipalités. En effet, le dossier du procès démontre que le Procureur,

4 durant le procès, a fourni des éléments de preuve montrant qu'un conflit

5 armé existait dans toutes les trois municipalités et la défense cherche à

6 élever une objection au motif que la stipulation ne concernait pas ces

7 trois municipalités.

8 Nous disons que la stipulation concernait les trois municipalités

9 puisqu'elle concernait la région.

10 Nos collègues de la défense ont prétendu le contraire, hier; cette

11 objection nous semble être sans fondement au niveau de l'appel.

12 A cet égard, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les appelants

13 prétendent qu'ils n'ont pas pu présenter un certain nombre d'arguments au

14 procès, s'agissant de l'étendue réelle du conflit armé et il apparaît que

15 ceci a été fait parce qu'on leur a opposé un argument de non-pertinence au

16 début du procès quant au fait que les Musulmans auraient attaqué des

17 Serbes.

18 Ces questions devaient être reprise plus tard.

19 Mais ce qui est plus fondamental, Monsieur le Président, et ce que nous

20 disons ici aujourd'hui, c'est que cette non-pertinence ne concerne pas

21 l'existence ou pas du conflit armé.

22 Le Tribunal a compétence en cas de conflit armé sur le territoire d'un

23 Etat partie. Autrement dit, la compétence de ce Tribunal s'applique chaque

24 fois qu'il y a un conflit armé entre des Etats membres ou chaque fois

25 qu'il y a des violences qui éclatent entre les autorités et un groupe armé

Page 218

1 présent dans cet Etat.

2 Les organisations humanitaires doivent réagir à partir du début d'un tel

3 conflit et continuer à agir jusqu'à la fin du conflit en question, jusqu'à

4 ce que la paix prévale. Autrement dit, le droit humanitaire international

5 s'applique sur l'ensemble du territoire et jusqu'à la fin des hostilités

6 qu'un conflit armé soit en cours ou pas.

7 Par conséquent, il n'est pas nécessaire de déterminer que le conflit armé

8 se déroulait dans un secteur bien déterminé sur le plan géographique qui

9 est un secteur inférieur à la superficie de l'Etat. Et le fait dans l'acte

10 d'accusation que les trois municipalités n'aient pas été décrites en

11 détail n'est pas un obstacle.

12 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les appelants, dans leurs

13 objections, auraient dû, je pense, plutôt que d'invoquer l'Article 3,

14 parler de minimum requis pour application de l'Article 5, celui qui

15 concerne l'attaque sur les populations civiles généralisée et

16 systématique. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants.

17 Mais pour le moment, je passerai au motif d'appel suivant, c'est-à-dire au

18 lien de causalité entre les crimes imputés aux appelants et l'existence du

19 conflit armé.

20 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le Procureur rejette

21 totalement l'argument selon lequel un tel lien de causalité n'existerait

22 pas et donc rejette les arguments des appelants.

23 Nous savons que la Chambre de première instance a correctement appliqué

24 les principes nécessaires à la preuve de l'existence d'un tel lien de

25 causalité entre les infractions et le conflit, et a remarqué que ce

Page 219

1 rapport existait s'agissant des crimes allégués qui avaient un lien étroit

2 avec l'existence des hostilités.

3 Après revue attentive et consciencieuse des éléments de preuve, la Chambre

4 de première instance s'est convaincue qu'un lien de causalité importante

5 existait, pour les raisons suivantes.

6 D'abord la Chambre a estimé que le fait que les trois accusés ont combattu

7 d'un côté du conflit, c'est-à-dire dans les troupes d'un des belligérants,

8 créait un lien de causalité entre les accusés et le conflit.

9 Deuxièmement, la Chambre de première instance a estimé que les crimes

10 imputés faisaient partie du conflit armé ou, en tout cas, justifiaient

11 l'impunité dont on peut bénéficier en cours de conflit armé lorsqu'on est

12 un auteur de tels crimes.

13 Ces conclusions, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ne peuvent

14 pas être modifiées en appel.

15 D'abord, la Chambre de première instance insiste sur le statut de

16 combattant et le rôle officiel des appelants au cours de ce conflit armé

17 puisque les appelants étaient dans les troupes de l'une des parties

18 belligérantes.

19 Ceci a déjà été pris en compte dans plusieurs jugements rendus devant ce

20 Tribunal.

21 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, de nombreux arguments sont

22 développés dans notre mémoire écrit, je ne les répéterai pas, mais qu'il

23 vous suffise de tenir compte, par exemple, de l'affaire Furundzija, de

24 l'affaire Tadic, Celebici, Kordic, des différents procès en appel au cours

25 desquels tous les appelants ayant statut de combattants ont été considérés

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1 comme étant étroitement liés à l'existence du conflit armé.

2 Le deuxième argument fourni par la Chambre de première instance était

3 qu'il y avait nécessité d'un lien de causalité entre les meurtres et les

4 violations, et les infractions commises à l'encontre des civils.

5 Ceci est le cas dans le procès qui nous intéresse.

6 M. le Président: Un de mes collègues rejoint une des observations que

7 j'allais vous faire. Je sais que vous voulez aller vite, nous y sommes

8 tous sensibles, mais pensez aux interprètes qui ont du mal à vous suivre.

9 Essayez de parler un peu plus lentement.

10 Mme Lamb (interprétation): Je m'en excuse, Monsieur le Président.

11 M. le Président: Merci, Juge Güney.

12 Poursuivez.

13 Mme Lamb (interprétation): Apparemment, il y a deux aspects aux

14 conclusions tirées par la Chambre de première instance, pour dire que les

15 crimes en question faisaient partie du conflit.

16 Premier aspect: la Chambre a relevé que nombre de crimes commis dans la

17 région, en tant que tels, ont en fait été commis dans le cadre ou comme

18 étant une partie des hostilités ou suite à ces hostilités. L'accusation

19 reconnaît que, stricto sensu, un tel lien avec les hostilités n'est pas en

20 fait requis tant qu'il y a un lien matériel entre les crimes et la

21 totalité du conflit armé.

22 Deuxième aspect de cette conclusion de la Chambre de première instance:

23 c'est que les crimes en question faisaient partie du conflit parce que les

24 femmes détenues étaient toutes des femmes musulmans de Bosnie. Femmes

25 détenues pour des raisons discriminatoires du fait qu'elles partageaient

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1 l'ethnicité des ennemis qui combattaient dans la région. Donc ça ne veut

2 pas dire que toutes les femmes disponibles auraient été rassemblées aux

3 fins d'exploitation sexuelle; au contraire, cette ethnicité des détenants

4 et des détenus qui détermine et qui correspond tout à fait à la division

5 ethnique qu'on trouve sur le terrain, un tel facteur s'explique uniquement

6 si l'on pense au conflit interethnique féroce qui sévissait dans la région

7 à l'époque.

8 Les conclusions corollaires ont été qu'au minimum l'impunité générale qui

9 permettait de commettre des crimes permis aux appelants par le conflit

10 crée un lien de causalité substantielle qui est requis pour déterminer

11 l'existence du conflit.

12 Je le répète, nous estimons que cette conclusion est inattaquable. Nous

13 avançons qu'une telle conclusion est tout à fait correct parce qu'il y a

14 un environnement qui est dans le contexte manifeste d'un conflit armé. Il

15 est inimaginable qu'un tel crime soit commis s'il n'y avait pas eu

16 légitimation s'il n'y avait pas présence d'un environnement qui était créé

17 par le conflit inter-ethnique à l'époque.

18 Pensons aussi aux affaires de dénonciation de la Deuxième Guerre mondiale

19 qui expriment un principe généralisé selon lequel, de temps à autre, les

20 formes de crimes commis par un conflit les plus odieuses sont celles qui

21 essaient de se fonder sur un système sous-jacent, latent de tyrannie, de

22 cruauté. Ou lorsque vous avez des attaques individuelles contre des

23 victimes individuelles en rapport étroit avec ce régime de violence et de

24 tyrannie où une conduite individuelle semble se baser sur le fait qu'on

25 sait qu'un tel comportement sera toléré. De ce fait, ceci ajoute un lien,

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1 un maillon dans ce rapport qui permet la pérennisation du système.

2 De plus, cette condition exprime parfaitement la notion d'un seuil qu'on

3 retient pour permettre effectivement des crimes internationaux.

4 L'interdiction des crimes contre l'humanité est délimitée par rapport aux

5 crimes nationaux précisément par des situations telles que celles-ci, où

6 vous avez des mesures nationales de juridiction qui ne sont plus

7 possibles, qui ne sont plus applicables, par exemple parce que les

8 conditions qui prévalent sont des questions chaotiques, des conditions de

9 guerre. Et effectivement, la Chambre de première instance a pris des

10 conclusions pertinentes quant à la présence de rapports étroits entre ces

11 conditions.

12 Rappelez-vous les dépositions qui montent que, lorsque des victimes ont

13 demandé la protection des autorités de police, ces demandes ont été

14 ignorées ou, au contraire, ces femmes ont subi d'autres préjudices,

15 d'autres exactions.

16 Quand on voit l'ampleur et la gravité des crimes commis à Foca, ceci

17 n'aurait pas été possible dans un autre conflit et n'aurait pas été

18 possible s'il n'y avait pas eu ce laxisme du climat officiel. Et ceci

19 renforce encore le lien qu'il y a entre le conflit armé et les crimes en

20 question.

21 Mais permettez-nous de réagir à ce qu'ont suggéré les appelants. Ils nous

22 ont dit que le lien de causalité demandait une preuve, une preuve qu'il

23 n'y aurait pas pu y avoir un tel comportement s'il n'y avait pas eu

24 conflit armé.

25 Nous faisons valoir qu'une telle norme ne peut pas être appliquée pour une

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1 raison simple: c'est l'élément matériel de toute infraction dans ce

2 Tribunal; c'est que, littéralement, ceci pourrait se faire aussi en temps

3 de paix.

4 Depuis, les appelants disent qu'il n'y a pas de lien de causalité avec le

5 conflit armé parce qu'il n'y avait pas de plan visant à attaquer la

6 population civile.

7 La jurisprudence de ce Tribunal le montre bien. L'exigence d'un plan n'est

8 pas exigée pour montrer la connexité entre l'Article 3 et le conflit armé,

9 pour une raison bien simple: la motivation en est qu'en vertu du droit

10 international humanitaire, les obligations de personnes individuelles sont

11 séparées des responsabilités qui incombent aux Etats.

12 L'accusation affirme aussi que les actes des appelants ou les arguments,

13 c'étaient des actes isolés et donc qu'il n'y a pas de connexité, la

14 connexité requise. Mais ceci doit être débouté également.

15 L'accusation note aussi qu'il n'y a pas de rapport étroit ou bien que

16 cette nécessité de rapport étroit existe par rapport au crime contre

17 l'humanité. L'Article 5, en stipulant simplement que les infractions sont

18 commises pendant un conflit armé, ne dit pas qu'il faut établir un lien

19 nécessaire entre les crimes et le conflit armé.

20 Maintenant, parlons du motif d'appel relatif à l'Article 5 du Statut.

21 Tout d'abord, parlons de l'existence d'une attaque contre une population

22 civile. Les appelants disent: "On ne peut pas dire qu'il y a eu une telle

23 attaque contre une population civile" et, à cet égard, ils apportent trois

24 types d'arguments.

25 Tout d'abord, qu'une telle attaque dirigée contre des civils ne peut pas

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1 être considérée comme s'étant produite, au motif que les incidents en

2 question découlent d'un conflit qui a, à son origine, les Musulmans eux-

3 mêmes.

4 Deuxième raison avancée, c'est qu'aucune attaque n'a été dirigée contre la

5 population civile, qu'il y a eu simplement des activités de combat.

6 Troisièmement, on affirme que certains des crimes en question, telle que

7 la détention d'une partie des femmes qui habitaient la région de Foca, ne

8 sont pas équivalents à une attaque, pas plus qu'on ne peut les considérer

9 comme s'étant appliqués contre une population civile.

10 Tous ces arguments sont sans fondement.

11 Prenons le premier: l'accusation relève que les appelants, de façon

12 systématique, s'agissant de qui a déclenché le conflit -pour autant que

13 cette question ait un intérêt-, eh bien, ne peuvent que semer la

14 confusion. On ne voit pas quelle est la légitimité du recours aux armes.

15 Mais, de toute façon, il y a interdiction de tout type de conflit armé. Et

16 même s'il y avait eu des provocations et même si l'on pouvait attribuer

17 une erreur quelconque aux Musulmans de Foca, aucune théorie du droit

18 international ne cherche à justifier une attaque ultérieure dirigée, elle,

19 contre les Musulmans de Bosnie.

20 Deuxième argument: à savoir qu'aucune attaque n'a eu lieu contre la

21 population civile dans la mesure où, en fait, toutes auraient été des

22 activités de combat. Cet argument est sans fondement, lui aussi. On essaie

23 de présenter les victimes de cette attaque comme étant, en fait, des

24 dégâts subsidiaires, des victimes subsidiaires de combats qui seraient

25 légitimes. Mais ceci n'est pas soutenable. Il se peut, effectivement,

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1 qu'il y ait eu en parallèle, en même temps des activités de combat

2 légitimes dans la région, mais ceci ne résout pas de toute façon la

3 question quant à savoir s'il y a eu attaque contre la population civile.

4 La Chambre de première instance semble avoir rejeté les moyens de preuve

5 selon lesquels les civils en question auraient été, si vous voulez, les

6 victimes accidentelles de combats. La Chambre a plutôt estimé que

7 c'étaient des victimes principales.

8 De plus, une telle motivation ne pourrait pas servir de justification pour

9 certains de ces crimes, par exemple, la détention généralisée ou les

10 sévices sexuels infligés aux femmes et aux enfants. Donc, ceci ne se

11 justifie pas, en aucune façon d'ailleurs, par la doctrine de la nécessité

12 militaire.

13 Enfin, le troisième moyen d'appel, présenté par les appelants: c'est que

14 l'évacuation des civils, la détention des civils, de tels crimes

15 n'équivalent pas à une attaque dirigée contre une population civile.

16 Je le répète, les appelants se trompent dans la mesure où apparemment, ils

17 font équation entre une attaque contre une population civile et une

18 attaque de style militaire qu'on pourrait trouver comme relevant de la

19 conduite d'hostilité.

20 Au contraire, la notion d'une attaque dirigée contre une population civile

21 peut renvoyer à un type de comportement qui implique la perpétration

22 d'actes multiples inhumains. Il ne faut pas nécessairement qu'une telle

23 attaque soit de nature violente. Par exemple, le crime de l'apartheid est

24 manifestement, sans aucune ambiguïté, un crime contre l'humanité.

25 Enfin, les appelants contestent qu'il y ait eu détention d'une partie de

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1 la population féminine civile. Les appelants disent que ce n'est pas une

2 population civile.

3 Nous nous contentons de relever qu'il n'y a pas de condition légale à

4 remplir selon lesquelles il faudrait que toute la population soit victime

5 de telles mesures. Il suffit que l'infraction soit de nature collective.

6 Si nous reprenons l'ensemble de ces facteurs, l'accusation estime que la

7 Chambre n'a pas erré en droit en concluant à l'existence d'une attaque

8 dirigée contre la population civile de la région de Foca.

9 J'aborde maintenant le moyen suivant, le caractère…

10 M. le Président: Nous allons peut-être nous interrompre, Mme Lamb. C'est

11 l'heure d'une pause.

12 Nous allons prendre vingt minutes de pause et nous reprenons à 13 heures.

13 L'audience est suspendue.

14 (L'audience, suspendue à 12 heures 41, est reprise à 13 heures 08.)

15 M. le Président: L'audience est reprise. Faites entrer les accusés.

16 (Les accusés sont introduits dans le prétoire.)

17 Madame Lamb, reprenez.

18 Mme Lamb (interprétation): Merci, Messieurs les Juges.

19 Je vais rapidement faire la synthèse des deux derniers motifs d'appel qui

20 ont trait au caractère généralisé systématique de l'attaque et de

21 l'attaque de la connaissance de l'accusé.

22 Pour ce qui est du premier motif, les appelants affirment plusieurs

23 choses. Ils disent dans leurs conclusions que le conflit se limitait

24 uniquement à la municipalité de Foca, que l'attaque dirigée contre la

25 population civile ne peut pas être considérée comme étant systématique ni

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1 généralisée. Deuxièmement, ils affirment que les actes des accusés

2 n'étaient pas nombreux en tant que tels en soi; par conséquent, on ne peut

3 pas dire qu'ils étaient ni généralisés ni systématiques. Et enfin, les

4 appelants avancent que la condition posée du caractère généralisé et

5 systématique n'est pas disjonctif, mais conjonctif.

6 Comme je l'ai déjà dit dans mes conclusions, l'accusation ne concède pas

7 que ce conflit aurait été limité à la municipalité de Foca.

8 M. le Président: Vous l'avez dit, je crois, Madame Lamb. Vous voulez le

9 reprendre? Quand on peut éviter de reprendre.

10 Mme Lamb (interprétation): Nous n'admettons pas ce point. Ce que nous

11 disons à ce propos que c'est l'attaque menée sur la population civile qui

12 doit être généralisée et systématique et pas le conflit armé sous-jacent.

13 Donc ceci règle les deux objections soulevées par les appelants. D'abord,

14 que le conflit se limitait à la municipalité de Foca à elle seule, et puis

15 qu'elle était isolée ou indépendante du conflit armé qui sévissait sur le

16 territoire de l'ex-Yougoslavie.

17 Autre chose: nous relevons simplement que c'est l'attaque dirigée contre

18 la population civile qui doit avoir un caractère systématique et

19 généralisé, et pas les actes commis par les accusés en tant que tels. Par

20 conséquent, le fait que les accusés ont peut-être commis un nombre défini,

21 limité d'actes ne règle pas la question. Apparemment, les appelants font

22 la confusion entre le "mens rea" de l'acte sous-jacent et le critère-seuil

23 qui parle de la connaissance qu'on avait des événements. Pour ce qui est

24 de l'attaque systématique et généralisée qui serait disjonctive -nous

25 parlons ici de la jurisprudence-, nous la faisons valoir et les appelants

Page 228

1 n'ont pas avancé d'argument à leur encontre.

2 Pour ce qui est de la connaissance qu'auraient eue les accusés du

3 caractère généralisé et systématique des attaques menées contre la

4 population civile, nous faisons valoir que la Chambre de première instance

5 a tiré des conclusions inattaquables en matière de faits.

6 Les accusés savaient chacun qu'il y avait une attaque plus large dirigée

7 contre la population civile au cours de la période couverte par l'Acte

8 d'accusation. La Chambre semble incrédule, semble avoir des difficultés à

9 croire que, puisque chacun des accusés était un combattant, puisqu'ils

10 avaient mené cette attaque, comment auraient-ils pu ne pas être au courant

11 de cette attaque généralisée dirigée contre la population civile?

12 Nous n'avons pas l'intention de revenir de façon détaillée sur les

13 conclusions tirées en première instance. Nous voulons simplement vous

14 indiquer une direction générale, vous montrer les tendances qui se

15 dessinent dans le raisonnement soutenu par la Chambre de première

16 instance.

17 Ceci montrera, au-delà de tout doute raisonnable, que la Chambre a procédé

18 à une analyse minutieuse et tout à fait pertinente des moyens soumis à son

19 attention, et que les conclusions sont raisonnables.

20 Pour ce qui est de l'accusé Kunarac tout d'abord. Permettez-nous d'attirer

21 votre attention sur les paragraphes 582 et 83 du jugement où la Chambre

22 insiste sur le poste de commandant de l'accusé ce qui lui donnait un accès

23 privilégié à des renseignements, à des informations officielles portant

24 sur l'ampleur, sur la portée de l'attaque dirigée contre la population

25 civile qui était planifiée.

Page 229

1 Sa position de responsable lui permettait d'avoir un poste privilégié pour

2 ce qui est du recueil d'informations. Il a personnellement participé à

3 plusieurs activités, ce qui lui donnait une occasion unique d'avoir

4 l'occasion de voir de ses propres yeux comment étaient traités les civils

5 lors de la prise de ces municipalités. Le fait qu'on a constaté qu'il

6 avait participé au transfert de victimes, cela montre clairement qu'il

7 était au courant de la portée de l'ampleur des infractions commises contre

8 cette population.

9 Pour ce qui est de l'appelant Kovac, nous nous permettons d'attirer votre

10 attention sur les paragraphes 586 à 588, où la Chambre a été convaincue de

11 ce que Kovac était au courant d'une attaque plus large dirigée contre les

12 civils. C'est dû surtout au fait qu'il a reconnu lui-même que les

13 Musulmanes couraient des risques à Foca, ce qui semble indiquer qu'il

14 était tout à fait au courant des périls qui les guettaient.

15 Et puis il a participé, au moins à une prise par la force d'une

16 municipalité où il aurait été témoin de sévices imposés à des civils; et

17 puis, il a participé à plusieurs infractions lui-même, ce qui indique

18 qu'il était au courant, qu'il avait connaissance d'une partie importante

19 de ces attaques.

20 Enfin s'agissant de l'appelant M. Vukovic, les moyens de preuve montrent

21 qu'il se trouve à Buk Bijela dès juillet 1992; puis, il a des contacts

22 avec le témoin 75 en octobre, en novembre de cette année, ce qui renvoie à

23 un incident dont il a été témoin montrant qu'il y a une continuité sur

24 plusieurs mois; qu'il est au courant de sa conduite. Et puis, il a essayé

25 d'aider des amis musulmans à lui dans la ville.

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1 Ceci montre aussi qu'il était au courant des dangers auxquels faisaient

2 face les civils musulmans de Foca.

3 En conséquence, ce motif d'appel est tout à fait dénué de fondement, lui

4 aussi.

5 Et j'en ai ainsi terminé, à moins bien sûr que vous n'ayez des questions à

6 me poser.

7 Je vous remercie.

8 M. le Président: Juge Shahabuddeen?

9 M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Lamb, je vous remercie infiniment

10 de cet exposé.

11 Pensez-vous que nous pouvons penser que la partie adverse est en mesure de

12 faire une distinction entre la responsabilité d'un Etat et la

13 responsabilité pénale individuelle? Est-ce qu'il faut être conscient du

14 risque qu'il y a de voir un conseil de la défense dire, en fait, que leur

15 attitude a été un peu…, a fait l'objet de caricatures?

16 Vous faites une référence très intéressante à la question de savoir qui a

17 déclenché le conflit. Ceci semble indiquer qu'ici, on soulève une

18 question: quand le "ius ad bellum"?

19 Mais est-ce qu'il en découle immédiatement que la position adoptée par les

20 conseils de la défense serait justifiée? Les conseils ne demandant pas à

21 la Chambre de décider qui a déclenché le conflit dans le contexte "ius ad

22 bellum". Je pense que leur position est différente.

23 Ce qu'ils nous disaient, c'est ceci. Vous voyez, il faut voir qui a

24 déclenché le conflit. Parce que nous, nous disons que ce n'est pas nous,

25 que c'est la partie adverse. Nous, nous disons avoir fait ceci. Nous avons

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1 répondu à une attaque militaire qui était dirigée contre nous; par

2 conséquent, nous n'attaquions pas des civils en tant que tels. Il se peut

3 que des civils aient été des victimes, mais c'est une espèce de conclusion

4 ou de conséquence accidentelle. Aujourd'hui, le mot à la mode, c'est

5 "dégâts collatéraux", semble-t-il. N'était-ce pas leur position?

6 Mme Lamb (interprétation): Tout à fait. L'accusation avance dès lors que

7 les moyens de preuve n'indiquent pas que le conflit eût été de nature

8 purement défensive. Nous concédons aisément qu'il y a eu des activités de

9 combat légitimes se produisant au même moment dans la région, mais ceci

10 n'est pas incompatible avec la conclusion tirée, selon laquelle il y a eu

11 aussi une attaque contre la population civile. Je pense que ceci est

12 évoqué avec plus de précision dans nos écritures.

13 M. Shahabuddeen (interprétation): Effectivement, quelque part j'ai vu une

14 conclusion dans ce sens: selon lesquelles les forces de défense

15 attaquaient les civils et que ce n'était pas par hasard que ça se passait.

16 Je l'ai vu quelque part, mais ça c'est un point différent, effectivement.

17 Je vous remercie.

18 M. le Président: Juge Meron?

19 M. Meron (interprétation): Je pense que… D'abord, je vous remercie des

20 arguments que vous avez avancés, mais je vous serais gré de nous faire un

21 commentaire plus précis sur une question évoquée ce matin par le conseil

22 de M. Vukovic. Celui-ci nous a dit qu'il y avait des incidents qui

23 n'étaient pas relevés dans l'Acte d'accusation, dont la preuve n'avait pas

24 été apportée devant ce Tribunal. Or ces incidents auraient été utilisés

25 pour déclarer M. Vukovic coupable de crime contre l'humanité, donc de

Page 232

1 crime, à savoir d'attaque contre la population civile.

2 Mme Lamb (interprétation): A cet égard, je crois savoir de quel litige

3 vous parlez. Voici ce que j'aurais à dire.

4 Les moyens de preuve précis, les questions d'administration de la preuve

5 qui portent sur la question de savoir si on peut considérer admissibles

6 ces éléments; ceci sera abordé par ma consœur par la suite.

7 Pour le moment, je ferai simplement une distinction générale entre deux

8 choses. Je dirai que les appelants semblent faire une confusion entre la

9 notion de la condition de mens rea pour un comportement sous-jacent avec

10 la condition générale seuil pour la connaissance qu'on avait des

11 événements. Nous, nous disons que l'accusé avait…, que c'était simplement

12 le comportement qui était la base de sa condamnation.

13 Mais apparemment, la Chambre a fait référence à toute une gamme de moyens

14 de preuve qui ont trait au contexte plus général du conflit armé pour

15 établir ce seuil.

16 L'appelant…, la connaissance qu'avait Vukovic peut être établie à partir

17 de plusieurs facteurs et pas à partir d'un seul incident.

18 M. Meron (interprétation): Je vous remercie.

19 M. le Président: Pas d'autres questions? Merci, Maître Susan Lamb.

20 Mme Lamb (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

21 M. le Président: Maintenant, je crois que vous allez céder votre siège à

22 Mme Helen Brady.

23 Mme Lamb (interprétation): Oui, je vais donner la parole à Mme Helen Brady

24 qui va parler des motifs communs d'appel s'agissant de l'infraction de

25 viol.

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1 (Intervention du Bureau du Procureur relative aux "éléments constitutifs

2 du viol", par Mme Brady.)

3 Mme Brady (interprétation): Qu'il plaise à la Chambre, Monsieur le

4 Président, Messieurs les Juges, cet après-midi, les arguments que je

5 présente au nom de l'accusation vont porter sur le moyen commun d'appel, à

6 savoir les éléments constitutifs du viol.

7 La Chambre de première instance a déclaré les trois accusés coupables de

8 ce crime contre l'humanité en vertu du 5F) et des violations des lois ou

9 coutumes de la guerre en vertu de l'Article 3 du Statut.

10 Les appelants contestent la définition que donne la Chambre de première

11 instance du viol. Ils posent certains éléments constitutifs pour qu'il y

12 ait viol et on estime qu'aucune Chambre raisonnable n'aurait pu estimer

13 que ce comportement était équivalent au viol.

14 En réponse, nous disons que la définition donnée par la Chambre du viol

15 est en parfaite concordance avec la définition du droit coutumier

16 international, ce qui n'est pas le cas pour ce que disent les appelants.

17 C'est là-dessus que nous nous fondons pour demander que soit rejeté ce

18 moyen commun et pour que soit maintenue la décision prise par la Chambre

19 de première instance.

20 Maintenant, je vais uniquement me poser sur les aspects juridiques de la

21 qualification et de la définition du viol.

22 Plus tard, mes confrères et moi-même, nous allons réagir aux allégations

23 d'erreurs factuelles soutenues par les appelants, par chacun d'entre eux,

24 et nous montrerons que pour chacun d'entre eux, la Chambre ne s'est pas

25 trompée, n'a pas versé dans l'erreur en concluant que le comportement de

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1 chacun des appelants répondait aux éléments requis pour qu'il y ait viol.

2 Les appelants ne contestent pas que le viol soit un crime en vertu du

3 droit international. En fait, leur contestation porte sur les éléments

4 constitutifs de ce crime, et plus particulièrement, ils nous disent

5 qu'outre l'élément de pénétration sexuelle, le crime de viol contient

6 aussi deux éléments intrinsèques: d'abord le recours, l'utilisation de la

7 force ou de la coercition "qui doit être de nature physique" disent-ils ou

8 "de la menace du recours à la force à l'encontre d'une victime ou d'un

9 tiers".

10 Deuxièmement, ils nous disent que le deuxième élément intrinsèque c'est

11 que la victime doit faire preuve d'une résistance, d'une opposition

12 réelle, authentique et continue.

13 Le Juge Shahabuddeen a posé une question ce matin. En réponse à celle-ci,

14 Me Prodanovic a dit effectivement que cette résistance, cette opposition

15 de la victime ne doit pas nécessairement être de nature physique.

16 Le premier élément constitutif proposé par les appelants, Monsieur le

17 Président, Messieurs les Juges, qui est le recours à la force, a un

18 rapport avec l'actus reus du crime de viol, et le deuxième élément

19 constitutif proposé par les appelants, même s'il est décrit en termes de

20 résistance de la part de la victime, c'est-à-dire que doit faire la

21 victime a un rapport avec le mens rea du crime. Car il se passe la chose

22 suivante: une personne ne peut pas, selon eux, être condamnée pour viol

23 sans avoir manifesté de résistance car, dans le cas contraire, comment

24 est-ce que l'auteur du crime aurait pu savoir que la victime n'était pas

25 consentante?

Page 235

1 Nous disons que ces deux éléments sont contraires à la définition du viol

2 en droit international et donc que les motifs d'appel doivent être

3 rejetés. Le droit international ne fait pas obligation de ne satisfaire à

4 l'actus réus que par le recours à la force ou la menace du recours à la

5 force contre la victime par l'auteur de l'acte.

6 Il n'est pas exigé non plus que la victime résiste de façon continue et

7 constante ou de façon réelle et effective.

8 Par ces éléments constitutifs, proposés par les appelants, ceci remet en

9 cause de façon indirecte l'adéquation de la définition du viol en droit

10 international.

11 Donc, pour comprendre pour quelle raison cette définition ne serait pas en

12 accord avec le droit international, il faut examiner l'importance que le

13 droit international accorde à ce crime.

14 L'accusation affirme que la Chambre de première instance a bien défini les

15 éléments constitutifs du viol, car la Chambre a estimé, qu'outre la

16 pénétration sexuelle, l'actus reus du crime de viol, en droit

17 international, est constitué par ce que l'on peut lire au paragraphe 560

18 du jugement.

19 Le crime est qualifié lorsque cette pénétration a eu lieu sans

20 consentement de la victime et le consentement, dans ce cas précis, doit

21 être un consentement volontaire résultant donc de l'exercice de la liberté

22 individuelle de la victime dans le contexte des circonstances dans

23 lesquelles la victime se trouve.

24 Dans le jugement en première instance de Kunarac, le mens rea est

25 constitué puisqu'il y avait intention d'avoir une pénétration sexuelle et

Page 236

1 qu'il y avait connaissance du fait que cela se passait sans consentement

2 de la victime.

3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'actus reus existe donc, et

4 l'accusation est convaincue qu'en dehors de la pénétration sexuelle,

5 l'absence de consentement de la part de la victime -le mot "consentement"

6 étant entendu comme un consentement volontaire-, donné par la victime dans

7 le cadre de l'exercice de sa liberté individuelle pleine et entière et

8 dans les conditions dans lesquelles la victime se trouve, doit être

9 existant également.

10 Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que, lorsqu'il y a emploi de la

11 force, menace de la force ou coercition, ce facteur est la négation d'un

12 véritable consentement. Donc, l'acte est, de fait, transformé en crime de

13 viol. En tout cas, nous avons-là l'actus reus du crime de viol.

14 Mais par ailleurs, la Chambre de première instance a également indiqué que

15 d'autres facteurs, d'autres situations pouvaient transformer une

16 pénétration sexuelle active non consentante de la part de la victime et

17 que dans ce cas-là, l'actus reus du crime est également présent.

18 La Chambre a donné certains exemples: quand une victime est inconsciente,

19 quand une victime souffre d'une incapacité qui la ou le rend incapable de

20 faire connaître son consentement, ou lorsque l'auteur développe des

21 arguments faux. Et là, j'aimerais revenir quelques instants sur un point

22 qui a déjà été évoqué par la défense, hier, dans la bouche de Me

23 Prodanovic; il a dit que la Chambre de première instance avait estimé

24 qu'il était suffisant de partir du fait qu'il y avait conflit armé à

25 l'époque et que ce seul fait suffisait donc à prouver que la victime était

Page 237

1 incapable de résister. Il a dit ceci aux pages 94 à 95 du compte de

2 l'audience d'hier.

3 Nous aimerions apporter une correction sur ce point. La Chambre de

4 première instance n'a pas dit cela. En fait, la Chambre a déclaré qu'il

5 fallait examiner les facteurs dont je viens d'en énumérer quatre, il y a

6 quelques instants, au début de mon exposé.

7 S'agissant du mens rea, Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

8 l'accusation est dans l'obligation d'établir que l'auteur du crime avait

9 l'intention de pénétrer sexuellement la victime, sachant qu'il le faisait

10 sans le consentement de celle-ci. Là encore, l'aspect critique des choses,

11 c'est le fait que le consentement doit être donné volontairement, doit

12 donc résulter de l'exercice de la liberté pleine et entière de la victime

13 dans le contexte des circonstances dans lesquelles celle-ci se trouve. Ce

14 qui signifie que la victime n'est pas dans l'obligation d'exprimer son

15 absence de consentement par rapport à l'acte sexuel grâce à des mots ou un

16 comportement particulier, non. L'accusé peut savoir que la victime n'est

17 pas consentante en se fondant uniquement sur les circonstances

18 environnantes.

19 Ceci est un fondement des principes généraux du droit pénal dans lesquels

20 la connaissance, le savoir qu'a une personne doit être défini par rapport

21 aux circonstances environnantes. Mais ce qui est critique ici, c'est que

22 ceci permet de reconnaître que la victime d'un viol, dans les

23 circonstances que ce Tribunal a jugées, cette victime est souvent

24 terriblement terrorisée, ce qui la rend le plus souvent incapable de faire

25 savoir son manque de consentement par des mots ou par des gestes puisqu'en

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1 fait, faire connaître son manque de consentement de cette façon serait

2 dangereux pour la victime.

3 J'aimerais également appeler sur un commentaire qui a été formulé par Me

4 Prodanovic lorsqu'il répondait à une question posée par le M. le Juge

5 Meron.

6 A ce moment-là, Me Prodanovic a convenu du fait que, si quelqu'un était en

7 possession d'une arme et que la victime du viol se trouve présente, il a

8 dit -je cite-: "Bien sûr, dans ce cas, la résistance est dépassée et

9 surmontée par la présence de l'arme." Fin de citation.

10 Nous disons que la définition du viol est très fondée en droit

11 international coutumier, notamment à la période où les accusés ont commis

12 leurs infractions. En l'absence d'une convention obligatoire définissant

13 le viol, la Chambre de première instance s'est appuyée sur les principes

14 généraux du droit qui sont ceux de tous les grands systèmes judiciaires du

15 monde.

16 La Chambre de première instance a passé en revue toutes les décisions

17 rendues dans des cas de viol en 1992, dans différents systèmes

18 judiciaires, et elle a estimé que c'est là qu'il convenait de trouver les

19 principes fondamentaux qui s'appliquent. Je vous donnerai la référence de

20 mon propos dans quelques instants.

21 La Chambre a donc estimé que tels étaient bien les principes fondamentaux.

22 Les principes fondamentaux réellement communs à ces systèmes judiciaires

23 résident dans le fait qu'une violation sérieuse de l'autonomie d'une

24 personne est pénalisée. L'autonomie sexuelle d'une personne est pénalisée

25 lorsqu'une personne est soumise à un acte sans en être consentante pour

Page 239

1 que cet acte se produise.

2 Nous disons que la Chambre de première instance a donc adopté une position

3 tout à fait correcte sur ce point. Des Etats très nombreux ont légiféré,

4 ont créé des lois aux fins de juger le viol. Ils ont jugé ce crime dans

5 leur juridiction nationale au fil du temps et ce en application du droit

6 coutumier. Donc la Chambre de première instance a pu, en s'appuyant sur

7 ces jugements, resituer dans un contexte plus précis la définition du

8 viol.

9 Par ailleurs, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la définition

10 appliquée par la Chambre de première instance en l'espèce est tout à fait

11 compatible avec les définitions appliquées par d'autres Chambres dans

12 d'autres jugements de ce Tribunal, est compatible avec les jugements

13 rendus par le Tribunal du Rwanda.

14 L'actus reus, dans le jugement Kunarac, reprend bien ce qui s'est fait

15 dans l'affaire Furundzija, à savoir que la pénétration sexuelle doit se

16 faire grâce à la coercition, à l'emploi de la menace ou à l'emploi de la

17 force contre la victime ou contre un tiers. Cette définition recouvre

18 également la définition appliquée dans Akayesu qui a été reprise dans

19 l'affaire Celebici, jugée par ce Tribunal.

20 A savoir qu'il est requis que le viol ait pour victime une personne

21 soumise à des circonstances où la coercition existe. En d'autres termes,

22 dans de telles situations, le consentement de la victime est nié, mais

23 d'autres facteurs, comme l'a fait remarquer la Chambre de première

24 instance dans l'affaire Kunarac, peuvent également faire que la

25 pénétration sexuelle ne bénéficie pas du consentement de la victime; et

Page 240

1 c'est ce qui s'applique en droit international.

2 La décision récente en appel dans l'affaire Kvocka vient également à

3 l'appui de la décision rendue par la Chambre de première instance eu égard

4 à Kunarac. Et ce, en précisant davantage encore la situation que l'on

5 entend par les termes assez généraux de "manque de consentement".

6 Maintenons, si nous revenons sur la définition du viol proposée par les

7 appelants, s'agissant des éléments constitutifs de ce crime, il est clair

8 que cette définition ne correspond pas au droit international. Les

9 appelants affirment que l'actus reus du viol n'existe que si le Procureur

10 démontre que l'accusé a eu recours à la force ou à la menace de la force,

11 d'une force de nature physique contre la victime. Eh bien, c'est en fait

12 l'une des façons dont l'actus reus peut être démontré.

13 Comme le montre la définition du viol en droit international, ce n'est en

14 aucun cas la seule façon de prouver l'actus reus. L'élément constitutif

15 fondamental du crime de viol, c'est une violation de l'autonomie sexuelle

16 de la victime. Et ceci peut se faire de diverses façons et pas seulement

17 en imposant la force physique ou en menaçant d'imposer la force physique à

18 une victime ou à des tiers.

19 Il y a toutes sortes d'autres circonstances dans lesquelles la victime

20 peut être incapable de faire connaître son absence de consentement eu

21 égard à une pénétration sexuelle et à l'actus reus du viol. Et je veux

22 parler de situations y compris dans lesquelles la nature même de la

23 situation est coercitive. Par exemple, lorsque la victime est en détention

24 ou en captivité.

25 De même, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce que les appelants

Page 241

1 proposent, à savoir la nécessité pour les victimes d'avoir démontré une

2 résistance continue et constante réelle et effective, n'est pas une

3 exigence émanant du droit international. Si le Procureur est dans

4 l'obligation de prouver qu'un accusé savait que sa victime n'était pas

5 consentante, cette circonstance peut être déduite des circonstances

6 environnantes; et la victime n'est pas dans l'obligation de faire

7 connaître son absence de consentement par rapport à la pénétration

8 sexuelle, par des mots ou par un comportement particulier.

9 La définition proposée par les appelants s'agissant de l'actus reus de

10 viol est beaucoup plus étroite que celle que propose le droit

11 international et doit donc être rejetée. Ce que les appelants proposent

12 pour définir la résistance de la victime n'est pas un élément existant en

13 droit international et donc être rejeté également.

14 Nous prions les Juges de cette Chambre d'appel de rejeter ce motif d'appel

15 commun et de confirmer la définition du viol proposée par la Chambre de

16 première instance.

17 Je vous remercie de votre attention.

18 M. le Président: Merci.

19 Qui veut intervenir?

20 Monsieur le Juge Shahabuddeen?

21 M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Brady, j'aimerais connaître votre

22 réaction à la question que je m'apprête à vous poser.

23 Le Tribunal est tenu d'appliquer le droit international chaque fois qu'il

24 s'applique. Alors, si le droit international stipule comme élément

25 constitutif du viol, l'absence de consentement, serait-ce "intra vires",

Page 242

1 par rapport au Règlement, de limiter quelque peu cette exigence en disant

2 qu'il y a "absence de consentement" uniquement dans les circonstances

3 décrites dans l'Article 96B) du Règlement, mais qu'en dehors de ces

4 circonstances, il ne doit plus être question de consentement ou d'absence

5 de consentement?

6 Je vais reformuler d'ailleurs.

7 En application de l'Article 14 du Statut, le pouvoir de mettre en place un

8 Règlement de procédure et de preuve est prévu. Alors, peut-on penser que

9 l'Article 96-2 peut être interprété comme signifiant que, dans le cas où

10 les faits et les circonstances mentionnées au A) et B) de cet Article sont

11 établis, cela suffit à prouver l'absence de consentement, mais que cela

12 n'est pas exhaustif. Car au 3) de l'Article 96 du Règlement, il semble -et

13 je suis d'accord pour dire qu'il s'agit de quelque chose qui est implicite

14 mais fortement implicite-, il semble qu'il y ait tout de même une

15 condition requise qui soit celle du consentement généralement applicable,

16 condition généralement applicable en cas de viol; et que, par conséquent,

17 l'Article du Règlement en question est tout à fait conforme aux

18 dispositions du droit international sur le sujet?

19 Que dites-vous de cela?

20 Mme Brady (interprétation): Oui, nous sommes partiellement d'accord avec

21 ce que vous dites.

22 Et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle nous affirmons que la Chambre

23 de première instance a bien appliqué l'Article 96 du Règlement, s'agissant

24 de juger des éléments susceptibles de prouver ou d'affirmer l'existence du

25 consentement. Et quand on dit "consentement", il s'agit du consentement de

Page 243

1 la victime. C'est la raison pour laquelle le Procureur vous renvoie au

2 paragraphe 464 du jugement, s'agissant de cet Article 96-2 du Règlement.

3 On lit à ce paragraphe 464 du jugement…, ou en tout cas, on lit -je cite-:

4 "Ainsi, lorsque la victime a été soumise ou menacée, ou lorsqu'elle avait

5 des raisons de se sentir soumise à la violence, à la coercition

6 lorsqu'elle était détenue ou psychologiquement opprimée ou qu'elle pouvait

7 raisonnablement penser qu'elle était dans cette situation, ou qu'elle

8 risquait de devenir soumise à de telles circonstances par la suite, c'est-

9 à-dire de subir la menace ou la crainte, tout consentement apparent

10 exprimé par la victime n'est pas accordé en toute liberté. Et c'est la

11 définition que la Chambre de première instance a estimée comme existante."

12 Fin de citation.

13 Donc, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la façon dont la Chambre

14 a interprété l'Article 96-2 consiste à vous référer à cette situation dont

15 je viens de vous donner lecture et permet de dire que l'actus reus du

16 crime de viol existait bien.

17 Je vous renvoie donc à l'Article 96-3 également du Règlement. Et je pense

18 que nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises. C'est un article du

19 Règlement qui permet d'enlever toute crédibilité ou fiabilité aux

20 objections soulevées par les appelants.

21 M. Shahabuddeen (interprétation): Je vais vous poser une autre question,

22 si vous me le permettez, question qui vous renverra à la référence que

23 vous venez de citer en droit coutumier international.

24 Est-ce que vous invitez la Chambre de première instance, est-ce que vous

25 invitez la Chambre d'appel à revenir sur le jugement de la Chambre de

Page 244

1 première instance au niveau des principes généraux?

2 Je reformule ma question: estimez-vous que les deux éléments dont vous

3 venez de débattre avec moi correspondent bien au droit international

4 coutumier et aux principes généraux du droit?

5 Mme Brady (interprétation): Monsieur le Juge, sur cette question des

6 principes généraux du droit, ceux-ci sont une source du droit coutumier

7 international.

8 Cependant, du point de vue du Procureur, ce que la Chambre a fait en

9 l'espèce, c'est examiner les pratiques des différents systèmes judiciaires

10 du monde afin de prendre la définition du crime de viol la plus large qui

11 soit, en 1992, dans 35 systèmes judiciaires différents de la planète.

12 Nous estimons qu'il s'agit là d'éléments de preuve tout à fait

13 convaincants, qui ne se limitent pas à une seule pratique judiciaire, et

14 qu'il s'agit donc d'un fondement solide pour prouver que le droit

15 coutumier international a été bien appliqué.

16 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci.

17 Mme Brady (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, si

18 vous n'avez pas d'autre question à me poser, j'aimerais vous présenter ma

19 consœur, Mme Norul Raschid, qui vous parlera du motif commun d'appel lié à

20 l'esclavage, à la réduction en esclavage et au cumul des déclarations de

21 culpabilité.

22 M. le Président: Allez-y.

23 (Intervention du Bureau du Procureur sur le motif d'appel lié à

24 l'esclavage, par Mme Raschid.)

25 Mme Raschid (interprétation): Qu'il plaise à la Chambre. Messieurs les

Page 245

1 Juges, dans cette partie de notre réponse, je vais vous parler du motif

2 commun d'appel soulevé par les appelants Kovac et Kunarac à propos de

3 plusieurs erreurs alléguées de droit pour ce qui est de la réduction en

4 esclavage.

5 Dans cette réponse, je vais réagir aux arguments fournis par écrit, ainsi

6 qu'à ceux fournis à l'audience hier, plus précisément par Me Kolesar.

7 Apparemment, le seul débat appelé par les appelants en matière de

8 jurisprudence se pose sur une grande question et plusieurs questions

9 subsidiaires que j'évoque rapidement.

10 Tout d'abord, est-ce que la définition donnée par la Chambre de première

11 instance, la réduction en esclavage, telle que présentée dans le mémoire

12 d'appelants est trop large? Ne définissant pas bien les éléments

13 constitutifs de l'infraction pénale, est-ce que la Chambre a donc versé

14 dans l'erreur?

15 Deuxièmement, en corollaire à ce moyen de preuve, on affirme que la

16 Chambre n'a pas bien appliqué le droit ou fait. Les appelants disent que

17 cette définition de la réduction en esclavage doit être interprétée de

18 façon étroite.

19 Kunarac nous dit qu'il n'y a pas eu de réduction en esclavage, par exemple

20 du témoin 191 et du témoin 186, puisqu'elles avaient liberté de mouvement,

21 comme bon leur entendait.

22 On dit aussi qu'il n'y a pas eu d'élément de contrôle puisque les visites

23 de Kunarac à l'appartement où étaient détenues ces victimes étaient

24 sporadiques.

25 Quant à Kovac, il dit aussi que la réduction en esclavage doit être pour

Page 246

1 une période indéterminée et doit impliquer qu'il y a restriction complète

2 des déplacements.

3 Et puis, les deux font allusion aux travaux forcés, qu'il n'y a pas eu

4 travaux forcés de leur avis puisqu'il y aurait eu consentement des

5 victimes.

6 De plus, ils semblent avancer que les actes de réduction en esclavage, si

7 prouvés, constituent ce qu'ils appellent un esclavage sexuel. Si la

8 Chambre, disent-ils, les avait condamnés pour esclavage sexuel, elle

9 aurait versé dans l'erreur.

10 Notre réponse générale est celle-ci: la démarche, l'analyse et les

11 conclusions tirées par la Chambre de première instance n'ont pas été

12 contestées, n'ont pas été prouvées comme étant incorrectes en droit par

13 les appelants.

14 J'essaie de replacer mes arguments dans leur contexte et, pour ce faire,

15 je vous renvoie au passage suivant du jugement, d'abord le paragraphe 5516

16 où l'on a observé que la discussion de la Chambre n'avait pas pour

17 objectif d'être complète et d'épuiser tout le droit en matière de

18 réduction en esclavage.

19 Au paragraphe 541, il est dit que la définition de la réduction en

20 esclavage pourrait être plus large que la définition plus traditionnelle

21 et quelquefois distincte de ce qui est donné de l'esclavage du commerce,

22 de l'esclavagisme et des travaux forcés ou le fait d'être en situation

23 d'esclavage.

24 Et puis, je ne reprendrai pas ce qui est dit aux paragraphes 539 et 540 du

25 jugement.

Page 247

1 Nous disons simplement ceci: même s'il y a une définition assez étroite

2 des pratiques d'esclavage, aujourd'hui l'esclavage, en tant que crime

3 contre l'humanité, doit se voir accordé une définition bien plus large

4 puisqu'il y a plusieurs manifestations contemporaines de ce phénomène. Et

5 même si la Chambre estime que la réduction en esclavage est un crime plus

6 large que celui de l'esclavage même, il y a un lien très étroit entre la

7 réduction en esclavage et l'esclavage, ne serait-ce que pour la définition

8 de base qui établit le contenu en droit international coutumier.

9 Mais la réduction en esclavage englobe d'autres formes contemporaines

10 d'esclavage qui ne sont pas reprises dans la convention sur l'esclavage de

11 1926 ou dans d'autres conventions ultérieures ou des conventions

12 antérieures à cette date.

13 La Chambre de première instance, dans la démarche qu'elle a faite pour

14 cette analyse, note qu'elle ne veut pas donner de définition qui guide la

15 définition de la réduction en esclavage. Elle s'inspire d'autres

16 instruments, d'autres sources. C'est donc là la démarche à retenir.

17 L'origine de ce crime est claire. Il est reconnu en général dans la

18 communauté internationale que le concept de la réduction en esclavage

19 vient de l'esclavage et de pratiques y afférant.

20 De la façon la plus simple, peut-être la moins proche du droit, en fait,

21 la réduction en esclavage, c'est être un esclave, c'est rendre quelqu'un

22 esclave. La Chambre a étudié l'évolution de ce crime de réduction en

23 esclavage à partir de crimes d'esclavage remontant à la convention de 1926

24 sur l'esclavage et de conventions ultérieures qui interdisent les travaux

25 forcés, l'objectif étant d'apporter la démonstration simple que la

Page 248

1 Convention de 1926 sur l'esclavage, en fait, est maintenant reconnue comme

2 pertinente dans le droit international coutumier. Ce qui n'est pas

3 contesté dans la présente procédure.

4 Pour établir la définition de la réduction en esclavage, la Chambre de

5 première instance a procédé à une étude minutieuse de toutes les sources.

6 Elle a examiné la Charte de Nuremberg pour conclure que celle-ci n'a pas

7 fait de distinction entre le concept par exemple de déportation, travaux

8 forcés en tant qu'esclavage ou réduction en esclavage.

9 Il est intéressant et sans doute pertinent de remarquer que, dans

10 l'analyse du jugement de Nuremberg, il est démontré qu'il y avait une

11 corrélation entre des pratiques équivalentes à l'esclavage et la réduction

12 en esclavage.

13 Ceci vaut aussi pour Tokyo. La Chambre de première instance, après avoir

14 examiné le jugement de Tokyo, a conclu qu'il n'y avait pas de distinction

15 systématique entre la déportation pour travaux forcés, esclavage et

16 réduction en esclavage.

17 Ce qui monte qu'il y a une corrélation entre ces trois phénomènes.

18 Il est aussi pertinent de remarquer l'Article 4 du Protocole de 1977 qui

19 montre qu'il y a esclavage et réduction en esclavage sous plusieurs

20 formes.

21 On adopte ainsi les dispositions sur la Convention sur l'esclavage de

22 1926.

23 A l'appui des conclusions tirées par la Chambre de première instance,

24 selon lesquelles en fait la réduction en esclavage demande une définition

25 plus large que la définition conventionnelle de l'esclavage, la Chambre a

Page 249

1 étudié l'évolution du droit international après la Convention de 1926, par

2 exemple la Convention supplémentaire de 1956 sur l'abolition de

3 l'esclavage, du commerce esclavagiste et de pratiques équivalentes à

4 l'esclavage.

5 Je parlerai par la suite de conventions supplémentaires dès 1956.

6 Celle-ci retient la définition traditionnelle qui provient de la

7 Convention de 1926, tout en élargissant les formes de pratiques

8 équivalentes à l'esclavage, par exemple le fait qu'il y ait le fait de

9 forcer des femmes à se marier, de transférer des gens pour des fins

10 pécuniaires, la déportation d'enfants, ce genre de pratiques.

11 Vous avez donc des définitions similaires pour l'esclavage, mais pas

12 uniquement pour l'esclavage, mais pour des pratiques qui sont similaires à

13 l'esclavage, équivalentes à ce dernier.

14 Nous avons des formes contemporaines d'esclavage qui ont été étudiées par

15 le groupe de travail sur les formes contemporaines d'esclavage. Ce rapport

16 a été cité dans le jugement.

17 J'en fais brièvement la synthèse. Le groupe a adopté par exemple une

18 recommandation qui disait que le trafic transfrontalier de femmes,

19 l'exploitation sexuelle constituent des formes contemporaines d'esclavage

20 et constituent des violations graves des droits de l'homme.

21 Remarquons que l'Article 7.2 V) du Statut de Rome laisse entendre que le

22 trafic, le commerce de femmes, d'enfants constitue une forme contemporaine

23 de réduction en esclavage.

24 En concluant que cette définition peut être plus large que la définition

25 distincte et traditionnelle de l'esclavage, la Chambre de première

Page 250

1 instance s'est penchée sur le travail fait par la Commission de droit

2 international et a examiné aussi les affaires postérieures à la Seconde

3 Guerre mondiale.

4 En quelques mots, le projet de code sur les crimes de 1996 parle de

5 réduction en esclavage de façon large pour inclure des esclavages qui sont

6 la conséquence du fait qu'on a rapproché la définition du concept

7 traditionnel d'esclavage.

8 Je vous renvoie à la première ligne de cette définition: "La réduction en

9 esclavage, c'est le fait d'établir ou de maintenir une personne dans un

10 état d'esclavage". En état d'esclavage, je précise.

11 L'accusation est d'accord avec la remarque faite par la Chambre de

12 première instance pour dire que, sur ce point, le travail de la Commission

13 de droit international peut être considéré comme étant une preuve ou un

14 moyen du droit coutumier international à l'appui de la conclusion tirée

15 par la Chambre selon laquelle la définition de la réduction en esclavage

16 peut être plus large que la définition traditionnelle de la servitude, du

17 travail forcé ou de l'esclavage.

18 Rappelons que les signataires à la Convention de 1926 sur l'esclavage

19 voulaient mettre un terme au commerce fait en Afrique de l'esclavage et de

20 toutes les formes d'esclavage. Il y avait, il y a peut-être une certaine

21 perception selon laquelle la convention, lorsqu'elle utilise le terme

22 d'esclavage, pense vraiment au fait d'être lié par des boulets, que les

23 gens n'étaient pas considérés comme des gens, mais comme des machines qui

24 devaient être utilisées pour en retirer de l'argent.

25 La Communauté internationale a ressenti le besoin d'élargir cette

Page 251

1 définition à des institutions, à des pratiques équivalentes à l'esclavage,

2 d'où la Convention supplémentaire de 1956.

3 Mais même avant ceci, nous avons en 1910 la Convention internationale pour

4 la suppression du commerce sexuel blanc. Là, on parlait de l'exploitation

5 sexuelle des femmes, des enfants, des jeunes filles qui servaient à la

6 prostitution, autre forme d'esclavage.

7 Quelques remarques sur les commentaires faits par les appelants qui nous

8 disent qu'ici…

9 M. le Président: Excusez-moi de vous interrompre, vous savez qu'il faut

10 aujourd'hui interrompre à 14 heures, d'autant qu'il y a d'autres audiences

11 qui nous suivent.

12 Est-ce que vous en avez pour longtemps encore? Je ne veux pas du tout vous

13 presser, sur ce point particulier.

14 Mme Raschid (interprétation): Trois minutes, Monsieur le Président.

15 M. le Président: Vous les avez.

16 Mme Raschid (interprétation): Je vous remercie infiniment.

17 L'esclavage sexuel peut être considéré comme étant une des formes de

18 réduction en esclavage.

19 Ce n'est pas en tant que tel un crime international.

20 L'Article 7.2G) du Statut de Rome nous dit que "l'esclavage sexuel est une

21 infraction distincte de la réduction en esclavage en tant que crime contre

22 l'humanité".

23 Mais la définition de l'esclavage sexuel montre clairement qu'un des

24 éléments de la définition pour qu'il y ait esclavage sexuel, c'est… En

25 fait, une des parties de la réduction en esclavage, c'est l'exercice du

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1 pouvoir par rapport au droit de propriété ou en tant que droit de

2 propriété.

3 Il faut conclure que la réduction en esclavage dans le Statut de Rome a

4 pour intention de reprendre, aussi d'englober une forme d'esclavage, alors

5 que l'esclavage sexuel aussi reprend une forme d'esclavage qui a surtout

6 des caractéristiques sexuelles de par sa nature.

7 En conclusion, je me contenterai très rapidement de dire ceci: on peut

8 conclure que la définition de la Convention de 1926 n'a jamais eu pour

9 objectif de ne pas tenir compte des formes contemporaines d'esclavage.

10 En tout état de cause, dès 1926, il apparaît clairement que toute forme de

11 coercition illégitime est une contravention à un droit et que tout ceci

12 est reconnu dans le monde entier.

13 Les appelants n'ont pas le droit de nous imposer de voir une

14 interprétation étroite. Aucune loi, aucun droit n'a été avancé à cet

15 appui.

16 Donc ce motif d'appel est absolument sans fondement.

17 Je suis tout à fait prête à répondre à vos questions, Messieurs les Juges.

18 M. le Président: Vous êtes parfaitement à l'heure. Donc j'inviterai mes

19 collègues à reprendre demain matin.

20 Donc l'audience reprendra demain matin à 9 heures 30 pour la fin des

21 explications du Procureur et puis les explications finales de la défense.

22 Merci.

23 L'audience est levée.

24 (L'audience est levée à 14 heures.)

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