Affaire n° : IT-95-16-R.3

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Liu Daqun
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
2 avril 2004

LE PROCUREUR

c/

DRAGO JOSIPOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE EN RÉVISION

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Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Le Conseil de Drago Josipovic :

M. Ranko Radovic

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

Vu l’Arrêt, la Décision relative à la demande du conseil de Drago Josipovic, et la Décision relative à la demande en révision, rendus par la Chambre d’appel respectivement le 23 octobre 2001, le 9 juillet 2002, et le 7 mars 2003,

VU la proposition du conseil de Drago Josipovic par laquelle celui-ci demande la révision de son procès (Proposal of the Counsel of Drago Josipovic for the Revision of the Case) (la « Demande en révision »), déposée à titre confidentiel le 11 septembre 2003 par le conseil de Drago Josipovic (respectivement la « Défense » et « Josipovic ») en application de l’article 119 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »),

VU la réponse de l’Accusation à la proposition du conseil de Drago Josipovic par laquelle celui-ci demande la révision de son procès, et sa requête aux fins de dépasser le nombre limite de pages (Prosecution’s Response to the Proposal of the Counsel of Drago Josipovic for the Revision of the Case and Prosecution’s Request for an Extension of Page Limit), déposées à titre confidentiel le 17 octobre 2003,

VU la réplique du conseil de Drago Josipovic ŕ la réponse faite par le Procureur à sa Demande en révision (Motion of the Counsel as the Answer to the Prosecutor’s Answer on the Proposal of the Counsel of Drago Josipovic, Considering Revision of the case), déposée à titre confidentiel par la Défense le 10 novembre 2003,

ATTENDU que, dans la Demande en révision, la Défense affirme que Josipovic a été injustement condamné sur la base de la déposition du Témoin EE parce que celui-ci a commis une erreur en l’identifiant comme l’une des personnes ayant, le 16 avril 1993, participé à l’attaque contre la maison de Musafer Pušcul dans le village d’Ahmici et au meurtre de celui-ci durant cette attaque,

ATTENDU qu’à l’appui de cette affirmation, la Défense se fonde sur les déclarations de plusieurs habitants du village d’Ahmici, à savoir :

    1. Salih Ahmic, qui indique avoir lu la première déclaration faite en 1993 par le Témoin EE au Centre chargé d’enquêter sur les crimes de guerre à Zenica, et affirme que cette déclaration ne mentionne nullement que Josipovic a participé à l’attaque menée contre la maison de Musafer Puscul le 16 avril 1993 ;

    2. Jasminka Ahmic, qui affirme avoir entendu une conversation, entre certains habitants du village d’Ahmici, au cours de laquelle le Témoin EE a déclaré qu’elle n’avait reconnu aucune des personnes qui ont attaqué la maison de Musafer Pušcul, mis à part une personne dont le visage n’était pas masqué (mais que ce n’était pas Josipovic),

    3. Nasiha Sarajlic, qui indique avoir, « en mai ou juin 1993 », entendu alors qu’elle était assise sur un banc avec son enfant dans un parc à Zenica, une conversation au cours de laquelle le Témoin EE affirmait que lorsque les Croates ont attaqué Ahmici, des soldats du HVO le visage masqué, se sont rendus à la maison de Musafer Pušcul et ont emmené celui-ci au dehors, et qu’« un certain Vlado », dont le visage n’était pas masqué, se trouvait parmi eux,

    4. Hajrija Ahmic, qui se souvient avoir parlé à un certain nombre d’habitants du village d’Ahmici après la déposition du Témoin EE au procès, et que ceux-ci étaient tous étonnés d’apprendre que ce témoin avait pu reconnaître Josipovic parmi les personnes qui ont attaqué la maison de Musafer Pušcul, étant donné que ces personnes avaient le visage masqué,
    5. Seiba Osmancevic, qui dément l’allégation selon laquelle Josipovic n’aidait pas les Musulmans, puisqu’il a sauvé son mari, et les a emmenés tous deux se réfugier chez Anto Papic pour une nuit, et
    6. le Témoin CA, qui affirme, entre autres, avoir entendu chez un habitant d’Ahmici le Témoin EE relater les événements qui se sont produits dans la maison de Musafer Pušcul, sans mentionner Josipovic une seule fois,

ATTENDU qu’en application de l’article 26 du Statut du Tribunal international (le « Statut »), et des articles 119 et 120 du Règlement, une partie qui souhaite la révision d’un jugement doit satisfaire aux quatre critères suivants, à savoir que :

  1. un fait nouveau a été découvert ;

  2. elle n’avait pas connaissance de ce fait nouveau lors de la procédure devant la Chambre de première instance ou la Chambre d’appel ;

  3. la non-découverte de ce fait nouveau n’était pas due à un manque de diligence de sa part, et

  4. le fait nouveau, si celui-ci est prouvé, n’aurait pas pu être un élément décisif de la décision initiale1,

ATTENDU que, même si l’on considère que les déclarations de Salih Ahmic, Jasminka Ahmic, et Hajrija Ahmic portent sur des faits nouveaux au sens de l’article 119 du Règlement, l’existence de ces témoins potentiels était déjà connue de la Défense lors de la procédure en appel dans la présente affaire, étant donné qu’ils étaient parmi les signataires d’une pétition soumise par la Défense (agissant à l’époque pour le compte de Mirjan et Zoran Kupreskic), qui a été rejetée par la Chambre d’appel, et que, par conséquent, ni le deuxième ni le troisième des critères susmentionnés n’est satisfait2,

ATTENDU, en outre, que les déclarations de ces témoins ne concernent pas des faits revêtant une importance telle que, si ceux-ci avaient été établis, ils auraient pu être un élément décisif de la décision initiale au sens de l’article 120 du Règlement,

ATTENDU que, même si l’on estime que la déclaration de Nasiha Sarajlic porte sur des faits nouveaux au sens de l’article 119, aucune de ses allégations ne revêt une importance telle que, si celles-ci avaient été établies, elles auraient pu être un élément décisif de la décision initiale au sens de l’article 120 du Règlement,

ATTENDU que le Témoin CA a déjà été entendu au procès3 et que sa déclaration a été admise et examinée dans l’Arrêt4,

ATTENDU que, même en supposant que la déclaration du Témoin CA satisfait au premier critère énoncé par l’article 119 du Règlement, celle-ci ne revêt pas une importance telle que, si elle avait été établie, elle aurait pu être un élément décisif de la décision initiale au sens de l’article 120 du Règlement,

ATTENDU que, dans la Décision relative à la demande en révision rendue le 7 mars 2003, la Chambre d’appel a déjà longuement examiné le témoignage de Seiba Osmanovic (et celui de son époux, Mirsad), et que, par conséquent, la Défense n’aurait pas dû de nouveau invoquer ce témoignage5,

VU la demande de la Défense afin que le Témoin AT soit cité à comparaître,

ATTENDU que cette demande ne repose sur aucun fait nouveau au sens de l’article 119 du Règlement, et que la portée de la déposition du Témoin AT sur la condamnation de Josipovic a déjà fait l’objet d’un examen approfondi dans l’Arrêt6,

VU le dépôt par la Défense, d’une pétition signée par 27 habitants du village d’Ahmici dans laquelle ceux-ci proclamaient l’innocence de Drago Josipovic (la « Pétition »),

ATTENDU que 10 des signataires de la Pétition avaient déjà signé une pétition similaire, qui a été rejetée par la Chambre d’appel7, et que, même si elle reflète l’opinion de certains habitants d’Ahmici, la Pétition ne fait apparaître aucun fait nouveau décisif pouvant étayer l’affirmation selon laquelle Josipovic n’a pas participé à l’attaque contre la maison de Musafer Pušcul,

ATTENDU que, pour les raisons susmentionnées, la Demande en révision ne satisfait pas aux critères énoncés par les articles 119 et 120 du Règlement,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Demande en révision.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 2 avril 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Theodor Meron

[Sceau du Tribunal]
1. Voir également Le Procureur c/ Drago Josipovic, affaire n° IT-95-16-R2, Décision relative à la demande en révision, 7 mars 2003, par. 12 ; et Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-R, Arrêt relatif à la demande en révision, 30 juillet 2002, par. 20.
2. Voir Le Procureur c/ Zoran, Mirjan et Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic et Vladimir Josipovic, affaire n° IT-95-16-A, Motion Pursuant to Rule 115 for Admission of Additional Evidence on Appeal by the Appellants, Zoran and Mirjan Kupreskic, 6 juillet 2001 (confidentiel), p. 8 ; et, dans la même affaire, la Décision relative à la requête de Zoran Kupreskic et Mirjan Kupreskic aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires, 17 juillet 2001 (confidentiel), p. 3.
3. Voir le Jugement, par. 273 à 276.
4. Voir l’Arrêt, par. 349 à 353.
5. Voir la Décision relative à la demande en révision, p. 9 et 10.
6. Voir l’Arrêt, par. 338 à 348.
7. Supra, note n° 2.