Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL  AFFAIRE N° IT-95-16-T

  2   POUR L'EX-YOUGOSLAVIE  

  3   Mardi 09 novembre 1999

  4   L'audience est ouverte à 09 heures 10.

  5   Mlle Lauer. - Affaire IT-95-16-T, le Procureur contre Zoran

  6   Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Dragan

  7   Papic et Vladimir Santic.

  8   M. le Président. - Merci. Bonjour, Maître. Maître Terrier ?

  9   M. Terrier. - Bonjour, Monsieur le Président, bonjour Madame le

 10   Juge, bonjour Monsieur le Juge.

 11   Je voudrais commencer mes conclusions finales en évoquant très

 12   brièvement les témoins de l'accusation et en particulier ceux qui sont

 13   venus de Bosnie pour déposer devant ce Tribunal. Ce que nous savons de ce

 14   qui s'est passé à Ahmici le 16 avril, nous le savons pour l'essentiel par

 15   le moyen de leur déposition.

 16   Les témoins de l'accusation, à la différence d'ailleurs des

 17   témoins de la défense, ont tous ou presque tous, préalablement à leur

 18   déposition devant ce Tribunal, fait des déclarations écrites souvent même

 19   plusieurs déclarations écrites à des époques différentes. Tous, et c'est

 20   très légitime, ont été confrontés ici à ces déclarations écrites et

 21   quelquefois, leur crédibilité a été mise en cause.

 22   Quels que soient les sentiments que certains de ces témoins ont

 23   pu susciter dans cette salle, et parmi les Juges de ce Tribunal, je pense

 24   qu'il aura été démontré que ces témoins venus de Bosnie n'ont pas fomenté

 25   ensemble un complot contre la vérité, et qu'au contraire tous sont venus


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  1   de Bosnie pour obtenir la justice et pour établir la vérité, cela pour

  2   leur communauté, leur village, leur famille et leurs proches disparus.

  3   Mais je dois dire aussi au début de mes conclusions que les

  4   accusés, à mon sens, n’ont pas aidé à la manifestation de la vérité.

  5   Certains d'entre eux, et je pense à ceux qui se sont exprimés au cours de

  6   leur témoignage, ont reconnu qu'un crime très grave avait été commis à

  7   Ahmici le 16 avril 1993. Ils ont reconnu qu'un certain nombre de personnes

  8   non combattantes ont été tuées. Mais il ne me semble pas, et la lecture

  9   des conclusions écrites de la défense me le confirme, il ne me semble pas

 10   que ces accusés aient renoncé à l'allégation de combat, à l'allégation

 11   d'une résistance armée à Ahmici comme si la résistance opposée par la

 12   victime pouvait constituer une circonstance atténuante pour l'agresseur.

 13   Ce qui est certain à la fin de ce procès, comme cela

 14   apparaissait avant même le début de ce procès, c'est que l'action engagée

 15   à Ahmici le 16 avril 1993, quelle qu’elle soit, aujourd'hui, personne ne

 16   la revendique et nous devons considérer que si c'était un combat, c'était

 17   un combat douteux, si c'était une victoire des armes, c'était une victoire

 18   honteuse, qu'aucun ordre n'a commandé cette opération, qu'aucun rapport

 19   n'en rend compte.

 20   Dans mes conclusions, je voudrais d'abord évoquer l'attaque qui

 21   a été conduite le 16 avril 1993 par les forces armées du HVO contre la

 22   population civile musulmane d'Ahmici et en préciser le bilan qui me paraît

 23   indiscutable.

 24   Je voudrais ensuite, en me rapprochant du droit qu'applique ce

 25   Tribunal, définir les caractères de l'agression perpétrée contre la


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  1   population civile musulmane d'Ahmici.

  2   J'évoquerai ensuite les preuves qui ont été rassemblées au cours

  3   de ce procès contre chacun des accusés.

  4   Et enfin, l'accusation présentera ses recommandations sur les

  5   peines qui lui paraissent devoir être prononcées contre chacun des

  6   accusés.

  7   Pour évoquer d'une manière aussi véridique que possible

  8   l'attaque lancée le 16 avril contre la population civile d'Ahmici, le plus

  9   légitime est certainement d'évoquer des tragédies individuelles. Bien

 10   entendu, autant de victimes, autant de tragédie individuelle, mais

 11   certains des témoignages reçus par ce Tribunal plus que d'autres ont

 12   permis de comprendre l'horreur de ce qui s'est passé à Ahmici le 16 avril,

 13   de lui donner toute sa substance et toute sa signification.

 14   J'évoquerai en peu de mots trois des témoignages reçus par ce

 15   Tribunal.

 16   En premier lieu, celui du témoin D qui a déposé le 26 août 1998.

 17   Le Tribunal se souvient de cette femme musulmane, mère de famille,

 18   certainement pieuse, qui habitait dans le bas d'Ahmici non loin de la

 19   route principale et du cimetière catholique. Le témoin nous a dit qu'elle

 20   s'était levée de très bonne heure pour les prières, que son mari était

 21   parti pour la mosquée et que, vers 5 heures 20, comme les autres témoins,

 22   elle a entendu qu'on tirait sur la maison. Avec sa fille, ses deux fils,

 23   elle a tenté de s'abriter. Un soldat est entré dans la maison, ce soldat a

 24   fait sortir par le balcon de l'étage le fils du témoin, le fils aîné du

 25   témoin, qui a dû sauter et qui a été fusillé aussitôt. Le fils cadet du


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  1   témoin a dû sauter à son tour, mais lui a pu prendre la fuite. Puis le

  2   soldat a fait sortir le témoin sur le balcon, elle a vu son fils allongé

  3   sur le sol, du sang sur la tête, elle a vu un groupe de soldats en bas

  4   devant sa maison et son agresseur lui a ordonné de sauter du balcon,

  5   tandis que d'autres soldats riaient et qu'elle pouvait voir son fils

  6   étendu sur le sol et mort. Le témoin a refusé de sauter, submergée par

  7   l'horreur et à l'audience, elle a dit cette phrase pour décrire le soldat

  8   qui se trouvait face à elle : "Ce fauve devant moi insensé, il faisait

  9   tout ce qu'il voulait, sans aucune limite."

 10   Et en effet, les agresseurs, le 16 avril 1993 à Ahmici, ne se

 11   reconnaissaient aucune limite. Ils pouvaient condamner un jeune homme, ils

 12   pouvaient en gracier un autre, ils avaient les pleins pouvoirs de vie et

 13   de mort sur des hommes désarmés, sur des femmes, sur des enfants, sur des

 14   familles, sur une communauté.

 15   Le récit du témoin F, qui a déposé devant ce Tribunal le 31 août

 16   de l'année dernière, nous a permis d'entrevoir ce que fut le sort des

 17   enfants au coeur de cette tragédie. Le témoin F est alors un jeune

 18   adolescent de 14 ans. Il vit dans une maison non loin de la mosquée basse

 19   avec ses parents, son petit frère de 8 ans, sa petite soeur de 4 ans.

 20   Lorsque la maison est assiégée, son père n'est pas présent. La

 21   porte de la maison est forcée par les soldats, une grenade est jetée dans

 22   la maison, qui roule vers sa mère. Sa mère s'empare de cette grenade pour

 23   tenter de la rejeter vers l'extérieur, la grenade explose et sa mère est

 24   blessée tandis que son petit frère est tué.

 25   Une autre grenade explose dans la maison, qui blesse le témoin


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  1   aux jambes, mais le témoin peut se réfugier dans une chambre. Un soldat

  2   entre dans la maison, il jette une autre grenade. Ce soldat, nous a dit le

  3   témoin, porte un uniforme de camouflage, des peintures de guerre sur le

  4   visage, l'emblème du HVO et un ruban de couleur à l'épaule. D'autres

  5   grenades sont jetées dans la maison et la maison est en flammes.

  6   A la demande de sa mère, le témoin traîne le cadavre de son

  7   frère hors de la maison et sa mère, dehors, reçoit une balle dans le

  8   ventre. Le témoin se réfugie dans l'étable à proximité de la maison, il y

  9   transporte le corps de son frère, il y conduit sa petite soeur. Sa mère en

 10   rampant parvient à les rejoindre, il referme la porte de l'étable. Une

 11   demi-heure plus tard, sa mère est décédée. Pendant toute la journée,

 12   pendant toute la nuit qui suit, il va protéger sa soeur en la plaçant dans

 13   une mangeoire en béton. A plusieurs reprises, il perd connaissance car il

 14   a perdu beaucoup de sang.

 15   Pendant la nuit, des soldats tentent d'entrer dans l'étable, ils

 16   parviennent à entrebâiller la porte, jettent une grenade à l'intérieur,

 17   tirent des coups de fusil. Ils aperçoivent avec une torche électrique le

 18   corps de sa mère, celui de son petit frère. Par radio, ils rendent compte

 19   à leur autorité que tout a été tué aux alentours de la mosquée.

 20   Dans la journée du lendemain, il quitte l'étable pour trouver

 21   quelque chose à manger. Il voit autour de lui des cadavres, il voit autour

 22   de lui les cadavres de certains de ses voisins, celui d'Husein Ahmic et le

 23   corps sans connaissance de son voisin, le témoin G.

 24   Il voit Melisa, une petite fille de 7 ans, qui est allongée à

 25   côté de sa mère morte. Lorsqu'il lui demande de venir avec lui, elle lui


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  1   répond que sa mère dort, qu'elle veut rester auprès d'elle.

  2   Plus tard, le témoin sera conduit à l'école de Dubravica où il

  3   sera détenu jusqu'au 1er mai. Entre-temps, un soldat croate lui aura volé

  4   l'argent de la famille qu'il avait pu sauver de l'incendie.

  5   La déposition du témoin K a été à mon sens certainement l'une

  6   des plus émouvantes reçues par ce Tribunal. On se souvient que le témoin K

  7   habite à Grabovi, un peu au-dessus du groupe des maisons Kupreskic. Elle

  8   vit dans sa maison avec son mari, son fils de 10 ans, ses deux filles de 4

  9   et 6 ans. La famille est réveillée par des tirs sur la maison, les balles

 10   entrent par les fenêtres, le bruit est assourdissant, ils ne peuvent

 11   parler, ils ne peuvent s'entendre. La mère tente de protéger ses enfants,

 12   ils ont peur que des grenades soient lancées dans la pièce. La mère hurle

 13   et supplie qu'on ne tire pas sur ses enfants. Elle nous a dit qu'à un

 14   moment donné son fils a voulu faire pipi. Et comme il insistait, elle lui

 15   a permis d'aller vers l'évier de la cuisine, et de la cuisine son fils lui

 16   a dit  : "Je suis blessé !" en montrant son bras.

 17   A ce moment-là, son père a ouvert la porte de la maison et il a

 18   crié aux soldats : "Vous avez blessé mon fils !". Le témoin a vu dehors un

 19   soldat, un jeune homme blond, qui portait un fusil et qui a ordonné à son

 20   mari de sortir. Son mari a pris son fils dans ses bras et il est sorti en

 21   criant encore : "Vous avez blessé mon fils !". Le père de famille est

 22   pieds nus, en vêtements de nuit. Et deux ou trois mètres devant la porte

 23   de la maison, le père et le fils sont fusillés ensemble par une même

 24   rafale de fusil automatique. La mère rentre pour protéger ses filles.

 25   Autour de la maison, on tire, on court, on crie.


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  1   La mère ressort, elle veut voir son fils. Elle l'examine, elle

  2   nous a dit : "J'ai vu qu'il avait été blessé du côté droit, pas du côté

  3   gauche". Mais en fait, elle sait bien que son fils est mort. Elle le

  4   ramène dans la maison, elle continue de veiller sur ses enfants, elle

  5   tente de porter secours à son mari. Elle a dit, et je cite ses propos

  6   devant ce Tribunal : "Je ne savais pas quoi faire, j'étais paniquée. Je

  7   marchais à gauche et à droite d'une fenêtre à l'autre. Je ne pleurais pas,

  8   il n'y avait pas de larmes. Je buvais de l'eau, je me versais de l'eau sur

  9   la tête, sur le cou, sur les pieds, pour ne pas m'évanouir, pour tenir".

 10   Dehors elle voit les maisons incendiées, elle voit les cadavres

 11   de ses voisins musulmans et notamment, nous a-t-elle dit, celui d'une

 12   femme de 74 ans. Elle se cache, elle cache ses deux petites filles, et

 13   dans l'après-midi elle parviendra à rejoindre Vrhovine.

 14   Nous savons tous que le témoignage devant un Tribunal criminel

 15   est souvent un moyen imparfait de rendre compte d'un crime. Il ne restitue

 16   pas le bruit, la fureur de l'agresseur, la panique des victimes. Avec ces

 17   témoignages-là et d'autres, bien entendu, un peu de cette vérité

 18   substantielle sur le massacre nous a été restituée.

 19   A la fin de cette journée du 16 avril 1993, comme le signe

 20   définitif de leur victoire sur leurs victimes civiles, sur ces familles

 21   surprises en vêtements de nuit, comme l'achèvement de leur volonté

 22   criminelle, comme un signature et comme un aveu, les agresseurs abattent à

 23   l'explosif le minaret en ciment armé de la mosquée basse.

 24   Vers le haut d'Ahmici, on termine le travail, on abat dans leur

 25   maison ceux qui n'avaient pas voulu fuir ou qui n'avaient pas pu fuir. Les


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  1   témoins Q et S ont dit au Tribunal que leur père et mère âgés de 83 et

  2   78 ans, qui n'avaient pas pu fuir, avaient trouvé la mort avec d'autres

  3   personnes dans une maison du haut d'Ahmici.

  4   Si nous ne savons pas avec certitude le nombre des victimes, du

  5   moins nous avons quelque idée. Le témoin S, qui connaissait parfaitement

  6   tous les habitants d'Ahmici pour y avoir habité toute sa vie, a dressé les

  7   listes de ceux qui sont morts pendant l'attaque. Nous savons, et je crois

  8   que cela n'est pas discuté par la défense, nous savons que 600 Musulmans

  9   habitaient Ahmici, Santici, Pirici avant le 16 avril. Aux termes de

 10   l'opération conduite par le HVO le 16 avril, il n'en reste plus aucun.

 11   Ont été dénombrés 116 tués, dont 28 femmes, 16 enfants ou

 12   adolescents. De ces 116 victimes, à peine plus de la moitié étaient des

 13   hommes en âge de porter les armes et il n'a pas été établi au cours de ce

 14   procès qu'un seul d'entre eux ait été tué les armes à la main.

 15   De plus, nous a-t-on dit à cette époque à Ahmici vivaient un

 16   certain nombre de réfugiés, de réfugiés musulmans. Tous n'étaient pas

 17   connus, leur nombre demeure indéterminé aujourd'hui, comme celui des

 18   victimes tombées parmi eux.

 19   Nous savons aussi que 24 personnes ont été blessées au cours de

 20   l'attaque, dont près du tiers était des enfants. Et bien entendu, cela ne

 21   fait pas le compte des victimes. Les victimes, ce sont aussi tous ceux qui

 22   ont perdu des proches, leur maison, leurs terres et leurs biens.

 23   Tous ceux qui ont rencontré les survivants d'Ahmici dans les

 24   jours ou les semaines qui ont suivi l'attaque, alors qu'ils étaient

 25   hébergés provisoirement dans un quelconque centre de regroupement, ont


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  1   décrit leur détresse, leur angoisse, leur misère matérielle et morale.

  2   Certaines de ces victimes ont dû bénéficier d'un soutien psychologique ou

  3   même d'un traitement psychiatrique et nombreux sont ceux aujourd'hui qui

  4   n'ont pas pu retrouver une vie normale.

  5   Certains des morts d'Ahmici ont été inhumés à Vitez le

  6   28 avril 1993. Le Tribunal se souvient que le témoin Stephen Hugues,

  7   membre du Bataillon britannique, a assisté à l'inhumation de 96 corps de

  8   Musulmans qui avaient été échangés contre 3 corps croates. Le témoin

  9   Nihad Rebihic qui était en charge de cette inhumation collective a relaté

 10   au Tribunal les opérations.

 11   Il a été établi que les corps inhumés le 28 avril à Vitez

 12   viennent de plusieurs endroits de la région de Vitez. Tous n'ont pas pu

 13   être identifiés, mais il semble que 70 à 80 des corps inhumés ce jour-là

 14   viennent d'Ahmici. Il s'agit de cadavres d'hommes et de femmes de tous les

 15   âges ; deux corps seulement parmi ceux inhumés ce jour-là étaient revêtus

 16   d'un uniforme.

 17   Et l'accusation a soumis au Tribunal des certificats de décès au

 18   nombre de 93. Plusieurs familles, nous le savons, ignorent encore

 19   aujourd'hui où reposent leurs morts. Ainsi, le témoin R et sa soeur le

 20   témoin T ignorent où se trouve leur mère, qui a été tuée en vue de la

 21   maison de Vlatko Kupreskic.

 22   Ces témoins ont rapporté au Tribunal que le beau-frère de

 23   l'accusé Vlatko Kupreskic était venu proposer à l'une et à l'autre de leur

 24   révéler le lieu de l'inhumation en contrepartie bien entendu de leur

 25   abstention dans ce procès. Cette personne se référait à la Croix-Rouge, ce


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  1   qui évidemment était une manière de brouiller les pistes puisque la Croix-

  2   Rouge n'a rien à voir avec l'inhumation des victimes d'Ahmici. Et dans ces

  3   conditions, nous savons qu'existent encore à Ahmici ou dans les environs

  4   d'Ahmici des fosses communes clandestines.

  5   Pour ce qui concerne le bilan de l'attaque, nous devons aussi

  6   souligner que 169 habitations ont été délibérément détruites à Ahmici,

  7   Santici, Pirici ; 102 habitations pour ce qui concerne le seul Ahmici ; et

  8   nous savons aussi que les deux mosquées du village d'Ahmici ont été

  9   délibérément détruites.

 10   Maintenant, pour nous rapprocher du droit, je voudrais évoquer,

 11   souligner les caractères de cette attaque qui permettent de la qualifier

 12   comme crime.

 13   Je voudrais dire d'abord que l'attaque conduite le 16 avril 1993

 14   à Ahmici est une action réfléchie et techniquement parfaitement organisée.

 15   Ce n'est évidemment pas l'action spontanée d'une unité ayant échappé à

 16   tout commandement. Bien au contraire, c'est l'action coordonnée d'unités

 17   différentes placées sous la même direction opérationnelle et employant

 18   d'un bout à l'autre du village les mêmes procédés.

 19   Nous savons que les assaillants se déploient à 5 heures 20 au

 20   moment où l'appel à la prière du matin est lancé de la mosquée. Depuis un

 21   certain temps, des armements lourds ont été placés en position sur la

 22   périphérie du village et nous savons aussi que les agresseurs sont en

 23   position en plusieurs lieux du village d'Ahmici, en particulier près du

 24   cimetière catholique à Grabovi et du côté des maisons habitées par

 25   Drago Josipovic et Dragan Papic ; et l'attaque se déploie simultanément à


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  1   partir de ces trois zones.

  2   Nous savons que les maisons occupées par des familles musulmanes

  3   sont toutes assiégées par des soldats bien armés en uniforme de camouflage

  4   ou en uniforme noir, tel celui décrit par de nombreux témoins. Nous savons

  5   que certains portent des cagoules ou des peintures de guerre sur le

  6   visage. Différents types d'armement sont utilisés : canons antiaériens,

  7   mortiers, lance-roquettes, mitrailleuses, et bien entendu fusils

  8   automatiques.

  9   L'importance de cet armement implique des ordres et une

 10   logistique de guerre. Et les seuls Jokers, par exemple, n'auraient

 11   évidemment pas pu seuls le mettre en oeuvre. Partout, d'un bout à l'autre

 12   du village, on tire sur les maisons, on lance des grenades par les

 13   ouvertures, on ordonne aux familles de sortir. Certains hommes sont

 14   fusillés sur place, quelquefois des enfants, d'autres trouvent la mort

 15   dans leur fuite.

 16   Aussitôt, les maisons sont détruites par des moyens

 17   incendiaires, les maisons et toutes les dépendances des biens et tous les

 18   biens des Musulmans, en particulier le bétail. Certains agresseurs se

 19   livrent aussi au pillage. Les effectifs engagés sont certainement

 20   importants, évidemment largement supérieurs à ceux d'un peloton car de

 21   nombreuses maisons sont attaquées simultanément dès après les premiers

 22   tirs par des groupes de cinq ou six soldats.

 23   Ces soldats sont nombreux et ils sont donc nécessairement

 24   coordonnés. Ils disposent de moyens de communication radio, ils portent un

 25   ruban de couleur à l'épaule. Ils sont préparés, ils ont des objectifs


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  1   assignés. Ils savent quelles sont les maisons qui doivent être détruites,

  2   quelles sont les maisons qui doivent être préservées. Ils savent le nom

  3   des chefs de famille et quelquefois leur prénom.

  4   Plusieurs des témoins entendus par ce Tribunal ont relaté que

  5   les soldats croates évoquaient des ordres reçus auxquels il fallait se

  6   conformer. Ils les ont parfois entendus se féliciter de ce que tout aille

  7   conformément au plan. Le point de vue du témoin, le major Dooley, était

  8   que cette opération a été conduite d'un bout à l'autre de façon militaire

  9   par différentes unités coordonnées entre elles et dirigée par quelqu'un

 10   qui maîtrise les questions tactiques.

 11   En l'absence de résistance, il ne faudra pas longtemps aux

 12   forces armées du HVO pour parvenir à leur fin. Et vers midi probablement,

 13   comme nous l'a dit le major Dooley, l'opération est terminée dans le bas

 14   d'Ahmici et à Grabovi.

 15   Nous savons aussi que 150 à 200 personnes toutes musulmanes,

 16   dans une large majorité de femmes et d'enfants, quelques personnes âgées

 17   aussi venant pour certains d'Ahmici, pour les autres d'autres villages de

 18   la vallée de la Lasva, ont été détenues du 16 avril, après le 16 avril

 19   jusqu'au 1er mai dans l'enceinte de l'école de Dubravica. Ils ont été

 20   détenus sous la garde des forces armées du HVO et il est bien évident que

 21   cette détention n'a pas pu être improvisée.

 22   Plusieurs témoins nous ont dit aussi qu'au cours de cette

 23   détention, des femmes avaient fait l'objet de mauvais traitements et

 24   d'abus sexuels.

 25   Le premier caractère de l'attaque est donc d'avoir été


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  1   minutieusement préparée et organisée et d'impliquer des moyens importants

  2   en effectifs et en matériel.

  3   Le deuxième caractère de cette attaque, c'est qu'en l'absence

  4   d'objectifs militaires elle est conduite contre une population civile.

  5   Nous ne disposons d'aucun indice d'une présence militaire musulmane à

  6   Ahmici le 16 avril, malgré les efforts qui ont été déployés par la défense

  7   pour l'établir.

  8   Le major Dooley a confirmé qu'en avril 1993 l'armée de Bosnie

  9   est pratiquement absente de la région de Vitez Ahmici. Le témoin AA, qui

 10   était à l'époque membre de la police militaire et sous les ordres de

 11   l'accusé Vladimir Santic, a dit n'avoir jamais constaté la présence à

 12   Ahmici de forces de l'armée de Bosnie.

 13   Il n'existe donc aucune défense organisée du village. Le major

 14   Dooley n'a vu aucun signe d'une résistance. Les victimes étaient toutes

 15   civiles, hommes et femmes, aucune d'entre elles n'était armée. Et nous

 16   savons que la Défense territoriale à Ahmici n'est pas, à l'époque, une

 17   force à caractère militaire susceptible de résistance ou d'opposition. Au

 18   début de 1993, la Défense territoriale à Ahmici, ce sont quelques hommes

 19   en civil, peut-être une vingtaine. Ils peuvent avoir des obligations

 20   militaires mais, lorsqu'ils se trouvent à Ahmici, dans leur famille, leur

 21   activité se borne à circuler de nuit dans le village pour assurer la

 22   protection de leur maison, de leur quartier, de leur famille.

 23   Leur organisation est embryonnaire. Beaucoup d'entre eux,

 24   exagérément confiants, ne prennent pas au sérieux ces gardes et tentent de

 25   s'y soustraire. Il y a donc de la part des membres de cette Défense


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  1   territoriale peu d'engagement et peu de discipline.

  2   Il n'existe à Ahmici aucune installation de caractère militaire,

  3   aucun casernement, aucun dispositif de défense, aucun dépôt de matériel

  4   militaire. Et par conséquent, au cours de ce débat, de ce procès, la

  5   défense n'a pas pu établir l'existence d'une bataille opposant des forces

  6   armées. Elle n'a pas pu établir l'existence d'une attaque légitime dans

  7   son principe ni même une simple résistance des Musulmans à l'agression

  8   dirigée contre eux. Le colonel Watters, lors de son témoignage, a déclaré

  9   qu'il s'agissait du premier champ de bataille qui lui était donné de voir

 10   où aucun soldat mort n'était visible, où toutes les victimes étaient à

 11   l'évidence civiles.

 12   Le troisième caractère, c'est que cette population civile est

 13   musulmane. De nombreux témoignages concordants, il apparaît que les

 14   agresseurs employaient systématiquement des injures à caractère raciste

 15   contre leurs agresseurs, et en particulier le terme "Balija",

 16   qualification péjorative des Musulmans employée par les Croates. Il est

 17   donc clair que les victimes de l'agression n'ont été visées que parce

 18   qu'elles n'étaient pas croates, mais musulmanes, et que les maisons ont

 19   été détruites parce qu'elles abritaient des familles musulmanes.

 20   J'ai évoqué il y a quelques instants le nombre important des

 21   maisons détruites, je dois aussi dire que toutes les maisons musulmanes

 22   d'Ahmici ont été détruites ainsi que leurs dépendances et le bétail. Et le

 23   résultat le plus évident de l'attaque est le fait que, des 600 résidents

 24   musulmans d'Ahmici, il n'en subsiste aucun après le 16 avril. C'est une

 25   communauté entière qui est effacée d'un territoire, toute trace de son


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  1   existence étant supprimée et toute possibilité d'un retour délibérément

  2   anéantie.

  3   A l'inverse, la communauté des Croates d'Ahmici est indemne. Il

  4   a été établi qu'aucun civil croate n'a été atteint, tué ou même blessé,

  5   qu'aucune atteinte n'a été portée aux intérêts croates à Ahmici, qu'aucun

  6   symbole religieux catholique n'a été touché. Les membres du Bataillon

  7   britannique ont été frappés, et l'ont dit devant le Tribunal, par le

  8   contraste, le caractère évidemment sélectif des destructions qu'ils

  9   pouvaient voir, par le caractère presque chirurgical de cette opération

 10   qui serait l'excision d'une communauté religieuse culturelle et politique

 11   hors d'un territoire.

 12   Je n'ignore pas que les accusés ont tenté d'établir que leur

 13   maison avait été touchée ou pillée, voulant -c'est mon point de vue- de

 14   cette manière mêler leur sort à celui des victimes musulmanes. Mais il est

 15   clair qu'aucun début de preuve n'a été apporté de cette action.

 16   Il n'a pas été établi, par ailleurs, que les Croates aient subi

 17   des pertes militaires tant soit peu significatives le 16 avril à Ahmici.

 18   Nous avons eu de longs débats sur cette question. Et ce que nous savons de

 19   source sûre aujourd'hui, c'est que deux blessés appartenant aux forces

 20   croates ont été établis. Il s'agit de Nikola Omazic et d'Ivica Semren.

 21   Le dernier caractère de l'action conduite à Ahmici par les

 22   forces du HVO le 16 avril 1993, que je voudrais souligner, est le fait que

 23   cette action s'insère dans le cadre plus étendu et général d'une offensive

 24   à caractère militaire poursuivant des buts politiques.

 25   Certes, le crime commis à Ahmici, par l'étendue géographique du


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  1   village, par le nombre des victimes, par la gravité des dommages causés et

  2   l'importance des moyens militaires mis en oeuvre constitue déjà à lui

  3   seul, bien entendu, un crime étendu. Mais il est important aussi de

  4   souligner qu'Ahmici n'est pas un fait isolé. Que le 16 avril et les jours

  5   qui ont suivi, d'autres villages musulmans de la vallée de la Lasva ont

  6   été attaqués et que toutes ces attaques avaient les mêmes buts : le

  7   nettoyage ethnique.

  8   Et ces attaques s'inscrivent dans le cadre d'une politique

  9   délibérée de prise du pouvoir du HVO en Bosnie centrale. Au cours de ce

 10   procès, par les moyens de l'accusation et aussi par certains témoignages

 11   de la défense, de nombreuses preuves de cette évolution politique et

 12   militaire ont été soumises au Tribunal. Nous avons été informés du

 13   développement à compter de novembre 1991 du mouvement des Croates de

 14   Bosnie, de ces objectifs politiques et de ces objectifs territoriaux. Ces

 15   objectifs étaient un territoire autonome constituant le premier pas vers

 16   la souveraineté.

 17   Les Croates se sont donné une armée. Cette armée s'est équipée,

 18   les communautés croates et musulmanes se sont séparées et éloignées l'une

 19   de l'autre. Le HVO s'est progressivement emparé de la totalité du pouvoir

 20   sur tous les aspects de la vie civile, sociale et économique.

 21   Les tensions entre les communautés, qui étaient jusqu'alors

 22   alliées dans la lutte contre l'agresseur serbe, se sont accentuées et les

 23   événements qui se sont produits à Ahmici en octobre 1992 en sont la claire

 24   illustration.

 25   L'accusation ne conteste pas et considère même établi que des


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  1   membres de la communauté croate en Bosnie centrale ont été aussi victimes

  2   d'atrocités pas à Ahmici, mais ailleurs dans la vallée de la Lasva, pas le

  3   16 avril, mais avant le 16 avril et peut-être après le 16 avril. Je me

  4   souviens en particulier du témoignage de Zeljka Rajic le 27 janvier

  5   dernier, qui nous a relaté ce qui s'est passé à Dusina en janvier 1993,

  6   mais il va de soi qu'aucun crime ne peut se justifier par un autre crime.

  7   Et il est tout autant établi que, dans la vallée de la Lasva, au

  8   cours de la période qui précède le 16 avril 1993, pour la communauté des

  9   Musulmans, l'insécurité est allée grandissante. Nous en avons eu plusieurs

 10   preuves au cours de ces débats, et je me souviens en particulier de ce

 11   film vidéo, c'est la pièce 352, tourné en novembre 1992 par les moyens de

 12   propagande croate sur lequel nous pouvons voir au centre d'Ahmici deux

 13   soldats en uniforme noir faire une démonstration de tirs pendant que le

 14   journaliste -si c'est un journaliste- profère des commentaires clairement

 15   menaçants à l'égard des Musulmans.

 16   Nous avons eu plusieurs indices de la préparation à la guerre

 17   conduite par la communauté croate de Bosnie centrale, en tout cas par les

 18   autorités du HVO et je me souviens en particulier de tous ces ordres pris

 19   par le commandement de la zone opérationnelle, le colonel Blaskic, à

 20   partir de janvier 1993 jusqu'au 16 avril 1993.

 21   Le colonel Watters a rapporté devant le Tribunal le caractère

 22   général de l'offensive conduite par les Croates le 16 avril. Les tirs ont

 23   commencé à Vitez à la même heure qu'à Ahmici et sa description de Vitez le

 24   16 avril à 8 heures 30 est celle d'un champ de bataille où toutes les

 25   victimes sont civiles.


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  1   Et les dépositions du major Dooley et de Stephen Hughes vont

  2   exactement dans le même sens. Tout au long de la vallée, on peut voir

  3   brûler des maisons musulmanes, tout au long de la vallée, les civils

  4   musulmans doivent fuir ou bien ils sont tués, ou bien ils sont arrêtés et

  5   conduits vers des camps tel que celui de Kaonik ou d'autres centres de

  6   détention.

  7   Un camion piégé explose, le Tribunal s'en souvient, le 18 avril

  8   à Stari Vitez, six personnes sont tuées, huit personnes gravement

  9   blessées. Il s'agit pour les auteurs de cet attentat de terroriser la

 10   population civile musulmane, de l'obliger à partir, quitter la ville,

 11   quitter la vallée. Le bombardement de Zenica, le 19 avril par le HVO

 12   relève de la même logigue de terreur.

 13   Le colonel Watters nous a dit que les Croates avaient mis à

 14   profit cette fenêtre d'opportunité qui s'était alors ouverte, puisque les

 15   forces musulmanes étaient occupées à l'ouest sur le front contre les

 16   Serbes et que les médias étaient occupés par les événements se déroulant

 17   alors à Srebrenica.

 18   Dès lors, compte tenu des caractères de l'attaque, nous pouvons

 19   la qualifier comme crime. Nous savons que ses auteurs sont des Croates de

 20   Bosnie, qu'ils ont agi de manière délibérée et systématique en pleine

 21   conscience des objectifs qu'ils poursuivaient. Nous savons que leur

 22   objectif était le nettoyage ethnique du village d'Ahmici et plus

 23   généralement des différentes agglomérations de la vallée de la Lasva. Nous

 24   savons que leur attaque est dirigée contre une population civile non armée

 25   et non défendue et nous savons que cette population civile est musulmane


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  1   par religion et par culture.

  2   Nous savons qu'au cours de cette attaque de nombreuses personnes

  3   civiles ont été assassinées, que leur patrimoine a été détruit, que les

  4   survivants ont dû quitter leur terre et cette attaque s'insère à

  5   l'évidence dans le cadre d'un conflit armé opposant le HVO et les moyens

  6   militaires de la Bosnie-Herzégovine. Cette attaque ne peut recevoir par

  7   conséquent qu'une seule qualification : celle de crime contre l'humanité.

  8   Je voudrais maintenant évoquer le rôle des résidents croates

  9   d'Ahmici avant de venir à la situation de chacun des accusés. Nous savons

 10   que, avant la guerre, les communautés cohabitaient, que leurs relations

 11   étaient parfois cordiales, mais toujours pacifiques. Mais nous savons

 12   aussi qu'à compter de 1993 ces relations se sont détériorées. Les organes

 13   d'information croates ont commencé de diffuser en 1991 une propagande

 14   intense. Le sentiment nationaliste s'est développé chez les Croates, le

 15   sentiment d'être catholique et croate avant que d'être bosnien et le

 16   sentiment de ne pas appartenir à la même communauté nationale que les

 17   Musulmans, ce qui les a conduits à vouloir s'en séparer.

 18   Plusieurs témoins ont décrit ce processus de séparation qui

 19   conduit au désastre et je pense en particulier au professeur Tone Bringa.

 20   Certains témoins ont mentionné des faits insignifiants en apparence comme

 21   ces mots nouveaux qui apparaissent dans le vocabulaire des Croates de

 22   Bosnie, mais tous ces faits bout à bout donnent un sens à l'histoire.

 23   Il existe un élément propre à Ahmici que de nombreux témoins,

 24   notamment pour la défense, ont évoqué. Il tient à l'afflux des réfugiés

 25   musulmans à Ahmici alors que les réfugiés croates de la ligne de front ne


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  1   s'installent pas dans la région de Vitez, mais poursuivent leur chemin. Et

  2   il en est résulté, semble-t-il, pour les Croates de la région d'Ahmici une

  3   situation préoccupante. Je me souviens que le témoin Ivica Kupreskic a

  4   évoqué un doublement de la population d'Ahmici par l'afflux des réfugiés,

  5   tous Musulmans.

  6   Dans cette situation, dans ce processus de séparation des

  7   communautés, nous avons vu que les moyens armés du HVO ont fait leur

  8   apparition au sein du village d'Ahmici. Il faut s'arrêter quelques

  9   instants sur ce qu'est le HVO à cette époque-là.

 10   Au cours des débats, on a très longuement évoqué des lois, des

 11   règlements. Mais, à ce stade du procès, je voudrais faire valoir trois

 12   idées.

 13   La première idée, c'est que, dans les circonstances d'alors, la

 14   réalité opérationnelle devance la réalité administrative. Je me souviens

 15   que le témoin DA pour la défense, qui était chargé d'administrer et de

 16   réorganiser la brigade de Vitez, en est convenu. Le témoin a reconnu que

 17   la brigade de Vitez existe sur le terrain avant d'exister

 18   administrativement.

 19   La deuxième idée, c'est que dès que la communauté des Croates se

 20   croit menacée, il n'existe plus de différence entre le réserviste et le

 21   soldat d'active.

 22   Et la troisième idée, c'est que l'opposition actifs non actifs

 23   est supplantée à cette époque-là, et dans les circonstances de l'époque,

 24   par l'opposition volontaire professionnelle. En 1992 et 1993, les Croates

 25   de Bosnie vivent une période révolutionnaire et je veux dire par là qu'ils


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  1   tentent d'établir un ordre nouveau national et politique sur les ruines

  2   d'un ordre ancien. Et dans ces circonstances, le réel et l'officiel ne

  3   peuvent plus coïncider, l'un ne traduit pas l'autre.

  4   De plus, les Croates sont peu nombreux, ou se croient peu

  5   nombreux. Tous sont mobilisés de fait et la mobilisation au nom de la

  6   communauté prétendument en danger est effective avant d'être officielle.

  7   Par exemple, le témoin Rudo Vidovic, restaurateur à Zume, a déclaré qu'à

  8   plusieurs reprises, bien que n'appartenant pas officiellement aux forces

  9   armées du HVO, il est allé combattre les Serbes au mont Vlasic en 1992 et

 10   il a précisé que son fils a fait de même à plusieurs reprises.

 11   Le témoin décrivait une pratique répandue : les uns se rendaient

 12   sur le front en vêtements civils, les autres, en uniforme de camouflage.

 13   Le témoin Milutin Vidovic, toujours pour la défense, a déclaré être allé

 14   deux fois en 1992 sur le front contre les Serbes pour deux périodes de

 15   7 jours chacune comme volontaire sans être officiellement membre du HVO.

 16   Il en a été de même pour le témoin DH et pour Ivo Pranjkovic qui s'est

 17   rendu sur la ligne de front à Kuber notamment le 13 avril 1993 ; et il en

 18   était encore de même pour le témoin Anjelko Vidovic qui nous a dit s'être

 19   rendu lui aussi à Kuber le 13 avril 1993.

 20   Et souvenons-nous aussi de Stipo Alilovic qui quitte la Bosnie

 21   pour la Hollande le 29 mars 1992 et qui déclare aux autorités

 22   néerlandaises à l'appui d'une demande de statut de réfugié qu'il a dû

 23   quitter la Bosnie parce qu'il était sommé de rejoindre l'armée des Croates

 24   de Bosnie.

 25   Souvenons-nous aussi que dans son ordre daté du 16 janvier 1993,


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  1   le colonel Blaskic ordonne que soit élevée au plus haut niveau la capacité

  2   de combat du HVO, que tous les membres armés du peuple croate soient

  3   inclus dans les unités du HVO. Et nous pouvons présumer que quelques

  4   conséquences ont bien dû s'attacher à cet ordre, qui signifie à la fois la

  5   levée en masse des Croates de Bosnie et le branle-bas de combat.

  6   Goran Males, qui témoigne pour la défense et qui est un soldat

  7   professionnel, admet qu'à cette époque il n'y a pas grande de différence

  8   entre la position de réserviste et la position d'active. En fait, même a-

  9   t-il précisé devant le Tribunal, il n'y a pas de réservistes parce que les

 10   Croates sont trop peu nombreux. Et le registre du HVO, le registre des

 11   soldats du HVO, distingue entre professionnels et réservistes ; il ne

 12   distingue pas entre actifs et réservistes. Tous les soldats

 13   professionnels, non professionnels sont réservistes, qu'ils soient actifs

 14   ou non.

 15   Et ce HVO, qui à partir de la fin 1992 et au début de 1993 est

 16   partout, il est aussi bien entendu présent à Ahmici. Le 1er Bataillon de

 17   la brigade de Vitez est responsable d'un territoire qui englobe Ahmici.

 18   Son commandant est Slavko Papic qui a été abondamment cité au cours de nos

 19   débats. Selon plusieurs témoins, et en particulier des témoins de la

 20   défense, il est présent à Ahmici le 16 avril à compter de 4 heures du

21   matin et le lendemain ; et je me réfère en particulier à la déposition de

 22   Milutin Vidovic.

 23   Ce que l'on a désigné comme les Home Guards existe bien à

 24   Ahmici. Ils ne sont peut-être pas encore administrés, mais ils ont un

 25   commandant, Nenad Santic, qui est nommé par un ordre du 12 mars 1993. Et


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  1   Nenad Santic est bien à cette époque une figure prééminente comme de

  2   nombreux témoins tant pour l'accusation que pour la défense l'ont

  3   souligné. Il donne des ordres à caractère militaire et notamment selon la

  4   défense elle-même à l'accusé Dragan Papic.

  5   Nous savons que les forces territoriales croates sont soumises

  6   aux instructions du commandement de la zone opérationnelle. Rappelons que

  7   le témoin Zvonimir Santic appelé par la défense, qui est non d'Ahmici mais

  8   de Rovna, a déclaré que les gardes villageois de Donja Rovna ont reçu

  9   avant l'attaque du 16 avril 1993 du quartier général HVO de Busovaca

 10   l'ordre de garder le pont de Radak.

 11   Dans ces conditions, avons nous des indices et des preuves de ce

 12   que la communauté des Croates résidant à Ahmici, Santici, Pirici ait été

 13   impliquée d'une manière quelconque, c'est-à-dire passive ou active dans

 14   l'agression conduite contre les Musulmans. C'est évidemment une question

 15   difficile de ce procès et je m'exprimerai évidemment avec beaucoup de

 16   précautions.

 17   La défense a fait état de forces venues d'ailleurs. La défense a

 18   affirmé que les Croates d'Ahmici ne savaient pas ; et on doit bien entendu

 19   reconnaître que pour les accusés admettre que les habitants d'Ahmici

 20   étaient impliqués, c'était s'incriminer soi-même.

 21   Mais je voudrais faire un certain nombre d'observations. Tout

 22   d'abord, on notera et c'est important que les seules pertes alléguées des

 23   forces croates à Ahmici le 16 avril concernent des personnes qui habitent

 24   Ahmici : Mirjan Santic, selon les accusés et plusieurs témoins de la

 25   défense, Nikola Omazic, Ivica Semren ; et ces deux derniers appartiennent


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  1   aux unités régulières du HVO. L'armée régulière du HVO est présente à

  2   Ahmici, et les résidents d'Ahmici ont leur place dans cette armée

  3   régulière du HVO.

  4   Deuxième observation : les agresseurs étaient parfaitement

  5   informés. Ils savaient qui habite où, ils savaient que telle maison est

  6   musulmane, telle autre est croate, même si aucune différence dans leur

  7   aspect extérieur ne permette de les distinguer. Les agresseurs ne

  8   commettent aucune erreur puisqu'aucune maison croate n'a été détruite. Et

  9   je rappelle que plusieurs témoins ont dit que les agresseurs connaissaient

 10   les noms et les prénoms de leurs victimes.

 11   Troisième observation : les résidents croates d'Ahmici sont

 12   prévenus à l'avance et évacuent. Plusieurs des témoins de l'accusation ont

 13   dit que cette journée du 15 avril leur avait paru étrange, inhabituelle.

 14   Le témoin A voit Dragan Papic partir dans une Lada rouge avec sa famille

 15   vers Busovaca et revenir seul une demi-heure plus tard sans sa famille.

 16   Le témoin F voit lui aussi dans l'après-midi du 15 avril partir

 17   la lada rouge de la famille Papic avec à son bord des femmes et des

 18   enfants ; cette voiture revient plus tard avec d'autres personnes. Ce même

 19   témoin F, au cours de cet après-midi, voit aussi Ivica Kupreskic au volant

 20   de son véhicule Mercedes quitter Ahmici avec sa famille.

 21   Le témoin Fahrudin Ahmic voit le 15 avril au soir Vinko Vidovic,

 22   sa femme et ses enfants se préparer à partir en voiture en direction de

 23   Busovaca. Les témoins F et G ont dit au Tribunal que les enfants croates,

 24   leurs camarades de classe et de jeu sont absents le jeudi 15 avril 1993.

 25   Quatrième observation : nous savons qu'à l'initiative de


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  1   Nenad Santic, au cours de la nuit du 15 au 16 avril 1993, s'est tenue une

  2   réunion à laquelle plusieurs habitants d'Ahmici ont été conviés. Je me

  3   réfère au témoignage de Dragan Vidovic. Dragan Vidovic a déclaré avoir

  4   reçu vers 2 heures 30 ou 3 heures du matin un appel téléphonique de Nenad

  5   Santic lui demandant de se rendre à la maison du témoin DH. Il y trouve

  6   d'autres Croates résidant à Ahmici. Il en donne les noms au cours de son

  7   témoignage, bien entendu. Et selon le témoin, au cours de cette réunion,

  8   on évoque une attaque imminente des forces musulmanes, le témoin se voit

  9   assigner la tâche de réveiller un certain nombre de personnes. Selon

 10   Dragan Vidovic, qui le dit au cours de l'interrogatoire principal et puis

 11   qui le répète au cours de son contre-interrogatoire, est notamment présent

 12   au cours de cette réunion (expurgé), décédé par la

 13   suite.

 14   Nous savons par un autre témoin, Zvonimir Silic, que

 15   (expurgé) faisait partie probablement de la police militaire. Et

 16   c'est cet homme que le témoin EE a dit avoir vu devant sa porte le

 17   16 avril au matin en compagnie de Vlado Santic et de Drago Josipovic.

 18   C'est (expurgé)qui s'exprime au cours de cette réunion, qui passe

 19   les consignes, et évidemment nous devons nous interroger sur ce qu'il a pu

 20   dire aux habitants croates d'Ahmici.

 21   La cinquième observation tient au caractère très partiel et très

 22   localisé de l'évacuation. En réalité, cette évacuation, quel que soit le

 23   moment à laquelle elle s'est produite, que ce soit la veille ou que ce

 24   soit dans les premières heures du 16 avril, ne concernait que les Croates

 25   habitant au milieu des Musulmans, par exemple les Kupreskic mais pas les


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  1   Sakic. Et si, effectivement, comme les accusés l'ont prétendu, on craint à

  2   ce moment-là une attaque des Musulmans sur le village, une attaque de

  3   Moudjahidin venant du nord ou de la montagne, ce sont évidemment toutes

  4   les maisons croates qui sont menacées.

  5   Enfin, je voudrais me référer au témoignage du professeur

  6   Tone Bringa qui, sur la base de son expérience dans un village distinct,

  7   qui n'est pas Ahmici mais qui ressemble beaucoup à Ahmici, nous a dit, a

  8   dit au Tribunal que, selon les informations qui lui avaient été

  9   communiquées, l'attaque contre ce village avait été préparée de

 10   l'extérieur, mais que certains Croates habitant le village y avaient

 11   participé au terme d'un processus comparable à celui qui s'est déroulé à

 12   Ahmici.

 13   Par conséquent, l'accusation dit que la communauté des Croates

 14   d'Ahmici ne pouvait pas et n'a pas été laissée en dehors de ce qui se

 15   tramait, que certains des Croates d'Ahmici ont été associés à l'attaque

 16   qui se préparait et y ont concouru.

 17   Je voudrais maintenant évoquer les preuves qui pèsent contre

 18   chacun des accusés et, en premier lieu, évoquer les accusés Zoran et

 19   Mirjan Kupreskic. Je vais examiner leur situation ensemble car il me

 20   semble que, sur le terrain et aussi dans le cadre de ce procès, ils ont

 21   très largement lié leur destin et l'examen des faits révèle

 22   qu'effectivement ils étaient bien inséparables.

 23   L'accusation dit que les preuves ont été rapportées devant ce

 24   Tribunal que les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic se sont activement

 25   engagés dans l'agression conduite contre la population civile musulmane


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  1   d'Ahmici, qu'ils ont activement contribué à ce que le HVO réalise ses

  2   objectifs militaires et politiques et qu'ils sont aussi les auteurs

  3   directs de la destruction de la famille du témoin KL.

  4   Le premier élément que je veux faire valoir devant le Tribunal

  5   contre ces deux accusés est que l'un et l'autre sont impliqués dans les

  6   forces armées du HVO. Zoran Kupreskic et son frère Mirjan ont tous les

  7   deux une formation militaire acquise dans le cadre de l'armée de

  8   l'ancienne Yougoslavie. Tous les deux sont vus par de nombreux témoins

  9   avant le 16 avril 1993 en uniforme et armés aller et venir dans le village

 10   d'Ahmici. Le témoin S, par exemple, le témoin T, le témoin V voient

 11   fréquemment Zoran circuler en uniforme du HVO et armé. Il en est de même

 12   pour Mirjan Kupreskic avec cette réserve, cependant, que Mirjan apparaît

 13   moins souvent en uniforme que son frère.

 14   Mais le témoin Z relate que, peu après les événements

 15   d'octobre 1992, il a participé à un point de contrôle installé à l'entrée

 16   d'Ahmici en compagnie, notamment, de Mirjan Kupreskic, qui était en

 17   uniforme de camouflage et portait un fusil automatique. Du reste, au cours

 18   de sa déposition, l'accusé Mirjan Kupreskic n'a pas nié qu'il pouvait se

 19   déplacer dans le village en uniforme en portant la veste de camouflage de

 20   son frère. Il n'a pas nié qu'il pouvait monter la garde, armé d'un fusil

 21   automatique AK47.

 22   Le témoin JJ, qui entretenait et peut-être entretient toujours

 23   avec l'accusé Zoran Kupreskic des liens d'amitié étroits et qui

 24   travaillait dans la même entreprise que l'accusé, a déclaré de façon

 25   formelle que Zoran Kupreskic était avant le 16 avril 1993 un membre du


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  1   HVO. Elle a déclaré qu'elle avait personnellement constaté que Zoran

  2   Kupreskic se rendait sur la ligne de front contre les Serbes, qu'il ne

  3   s'en cachait pas, que c'était normal pour un Croate.

  4   Le témoin Abdullah Ahmic a confirmé lui aussi qu'à sa

  5   connaissance Zoran Kupreskic se rendait souvent sur la ligne de front. Et

  6   cette notion d'un engagement volontaire et temporaire sur la ligne de

  7   front des Croates, nous l'avons rencontrée au cours de ces débats, je l'ai

  8   dit à plusieurs reprises.

  9   Nous avons appris que, selon le témoin JJ, Zoran Kupreskic a

 10   personnellement, en uniforme, prêté serment de fidélité au HVO au cours

 11   d'une cérémonie qui s'est tenue sur le stade de Vitez, cette cérémonie

 12   ayant manifestement un caractère nationaliste et de mobilisation.

 13   Bien que plusieurs témoins de la défense, je me souviens, aient

 14   nié l'existence de ces cérémonies, l'accusé Zoran Kupreskic a reconnu

 15   avoir assisté à l'une d'entre elles, mais dans le public et en vêtements

 16   civils. Cependant, il n'a pas pu expliquer au Tribunal, me semble-t-il,

 17   pour quelle raison et comment son ami avait pu faire une aussi grossière

 18   confusion.

 19   Les noms des témoins... les noms des accusés Zoran et Mirjan

 20   Kupreskic apparaissent tant sur le registre du HDZ que sur celui du HVO,

 21   et cela implique une association ancienne et étroite, autant politique que

 22   militaire avec les Croates de Bosnie. Je rappelle que ces deux documents

 23   portent les numéros 371 et 353.

 24   Et je voudrais dire qu'il est à cet égard curieux que nous

 25   n'ayons pas reçu de la défense le livret militaire de Zoran et pas


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  1   davantage le livret militaire de Mirjan à la différence, par exemple, de

  2   la défense de l'accusé Vlatko Kupreskic.

  3   Les accusés nous ont dit que ce livret existe, mais que chacun

  4   avait égaré le sien. En revanche, aucun d'entre eux n'avait, bien entendu,

  5   égaré son certificat de démobilisation.

  6   Plusieurs des témoins de l'accusation ont rapporté que, selon

  7   leurs constatations et selon leur expérience, Zoran Kupreskic n'était pas

  8   seulement un soldat du HVO, il en était aussi un responsable. Abdullah

  9   Ahmic a dit que Zoran Kupreskic était le commandant du HVO à Grabovi,

 10   souvent il le voit en uniforme et armé, il le voit en particulier en

 11   compagnie de Slavko Sakic, autre commandant du HVO, comme il est apparu

 12   aux dires même des témoins de la défense.

 13   Le témoin Y a relaté une réunion qui s'est tenue quelque jours

 14   avant l'attaque d'avril 1993 à l'initiative de Zoran Kupreskic sur la

 15   question des gardes. Cette réunion a été présidée par Zoran Kupreskic. Au

 16   cours de cette réunion, la partie croate a souhaité que les gardes montées

 17   par les Musulmans cessent dans le village. Les Musulmans ont alors proposé

 18   de conduire des gardes conjointes et Zoran a refusé ce compromis. Pour

 19   justifier son refus, il a invoqué ces ordres. Selon le témoin, Zoran

 20   Kupreskic, à cette occasion, a fait savoir à ses interlocuteurs qu'il

 21   allait bientôt prendre un nouveau commandement et que ses responsabilités

 22   à Ahmici seraient exercées par une autre personne.

 23   Le protocole du 21 octobre 1992, c'est la pièce D 27, est l'une

 24   des preuves du rôle notable joué par Zoran Kupreskic au sein des

 25   structures du HVO et localement dans la communauté des Croates d'Ahmici.


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  1   Ce document, comme on sait, conclut les négociations pour le retour des

  2   réfugiés musulmans. Qu'est-ce qu'il signifie ? Il signifie la reddition

  3   des Musulmans d'Ahmici. Premièrement, il est établi sous l'égide du HVO.

  4   Deuxièmement, il prescrit le désarmement des Musulmans d'Ahmici. Et

  5   troisièmement, par ce document, le HVO en contrepartie du désarmement,

  6   garantit la sécurité des Musulmans.

  7   Nous savons que ce document n'est pas resté lettre morte, il

  8   convient de se reporter aux déclarations du témoin Abdullah Ahmic et à

  9   celles du témoin U.

 10   Le désarmement a bien eu lieu même si, évidemment, il n'a pas

 11   été total. On se souvient que Fahrudin Ahmic se verra confisquer son arme

 12   par Nenad Santic lequel la remettra ou la fera remettre à Drago Josipovic.

 13   En revanche, nous savons ce qui devait en être des garanties

 14   promises par les signataires. Mais il apparaît clairement que le

 15   désarmement des Musulmans d'Ahmici en application de cet ordre, a facilité

 16   et n'a pu que faciliter l'agression conduite le 16 avril 1993.

 17   L'accusé Zoran Kupreskic nous a expliqué qu'il avait écrit sous

 18   la dictée, qu'il était le secrétaire de séance et qu'il n'a pris aucune

 19   part réelle dans ce processus de décision. Mais tous les autres

 20   signataires de l'accord étant morts, il ne prend évidemment pas le risque

 21   d'être démenti. Et surtout, le témoin B nous éclaire sur ce qu'a été le

 22   rôle réel de Zoran Kupreskic dans cette négociation. Il nous a dit que le

 23   lendemain du premier conflit, celui d'octobre 1992, il avait rencontré

 24   Nenad Santic pour négocier le retour des réfugiés. Avec Nenad Santic, il

 25   s'est rendu chez Zoran Kupreskic et Zoran Kupreskic devant lui a pris des


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  1   engagements : au nom de la communauté croate, il a garanti la sécurité des

  2   réfugiés musulmans à leur retour, affirmant qu'il n'y aurait pas de

  3   problème.

  4   Le témoin GJ a déclaré que dix jours avant le conflit

  5   d'avril 1993, son ami Zoran lui a révélé qu'il était un commandant local

  6   du HVO à Ahmici. Le témoin a ajouté que, dans les jours qui ont précédé le

  7   16 avril, Zoran a mentionné devant elle un barrage installé par les

  8   Musulmans d'Ahmici pour empêcher Dario Kordic d'entrer dans le village et

  9   Zoran lui a dit qu'il avait négocié très facilement le démantèlement de ce

 10   barrage et ainsi s'explique à mon sens que Zoran Kupreskic soit en mesure

 11   de faire bénéficier de sa protection son ami le témoin GJ. Il est apparu

 12   selon les déclarations de ce témoin que son nom avait pour elle constitué

 13   un sauf-conduit, que ce nom de Zoran Kupreskic avait été respecté par des

 14   soldats, alors même que l'attestation signée de Marjan Skopljak avait été

 15   considérée comme sans valeur par ces mêmes soldats.

 16   Nous avons, l'accusation, au cours de ces débats a établi que

 17   les deux accusés Zoran et Mirjan Kupreskic avaient pris une part active et

 18   consciente à l'agression dirigée le 16 avril contre la population

 19   musulmane d'Ahmici. Et l'accusation, pour établir cela, s'est fondée sur

 20   les éléments suivants.

 21   J'ai dit que Zoran et Mirjan Kupreskic sont chacun d'entre eux

 22   membres actifs du HVO. A ce titre, ils ne peuvent qu'être associés et dès

 23   le stade de sa conception à une opération conduite par le HVO dans le

 24   village qu'ils habitent. Le contraire, à mon sens, serait tout simplement

 25   impensable.


Page 11900

  1   Deuxième élément : nous savons que des préparatifs de guerre ont

  2   été conduits autour des maisons Kupreskic. Le témoin V a déclaré que le

  3   15 avril 1993 en fin d'après-midi, alors qu'il circule en voiture, il

  4   aperçoit entre les maisons d'Ivica et Zoran Kupreskic une dizaine de

  5   soldats qui portent des uniformes de camouflage et qui sont armés et

  6   deux civils. Cet attroupement l'a inquiété et il en a parlé aussitôt à

  7   certains de ses amis, tels le témoin Y, qui l'a confirmé lorsqu'il a

  8   déposé devant le Tribunal.

  9   Et compte tenu des moyens militaires et en effectifs mis en

 10   oeuvre le 16 avril au matin, il est évidemment vraisemblable qu'une

 11   logistique de guerre ait été mise en place dès la veille de l'agression.

 12   Par conséquent, à supposer que Zoran et Mirjan Kupreskic ne

 13   soient pas encore à ce stade autrement impliqués dans l'agression, ce qui

 14   se passe autour de leur maison le 15 avril, ils ne peuvent pas l'ignorer

 15   et, sachant ce qui se passe, ils ne peuvent pas manquer d'en comprendre la

 16   signification.

 17   Troisième élément : comme les accusés l'ont reconnu au cours de

 18   leur déposition, ils n'ont pris le matin aucune mesure pour informer leurs

 19   voisins de ce qui allait se produire.

 20   Et compte tenu des informations qui, à les croire, bien entendu

 21   leur avaient été données, ils ne pouvaient manquer de penser que, comme

 22   eux, les habitants musulmans d'Ahmici se trouvaient aussi en danger.

 23   Zoran Kupreskic, au cours du contre-interrogatoire, l'a très

 24   clairement admis, et je le cite : "J'avais probablement des raisons de

 25   croire que ces gens arrivés de l'extérieur, les Mudjahidin, allaient


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  1   également causer du mal à mes voisins musulmans. Je ne connaissais pas

  2   cette armée, ces soldats, on avait appris qu'ils égorgeaient, qu'ils

  3   tuaient, qu'ils incendiaient les maisons. Les Musulmans avaient aussi

  4   peut-être peur de ces gens-là. On avait aussi peur des Vitezovi, des TPN,

  5   des Zuti, les Musulmans en avaient peur. On essayait de s'écarter, de

  6   s'éloigner, de ne pas être à côté, par conséquent, je pouvais supposer que

  7   les Musulmans s'écartaient et s'éloignaient aussi et ne voulaient pas

  8   s'attendre à ce que les Mudjahidin arrivent".

  9   Et cette abstention à agir de Zoran et de Mirjan Kupreskic dans

 10   ces circonstances ne pouvait que favoriser les agresseurs et le succès de

 11   leur entreprise.

 12   Le quatrième élément sur lequel se fonde l'accusation est bien

 13   entendu la déclaration du témoin C. Le témoin C est, le Tribunal s'en

 14   souvient, alors un très jeune adolescent : 13 ans et demi. Il a été chassé

 15   de sa maison après que son frère a été tué sous ses yeux, il a été conduit

 16   chez Jozo Alilovic, et caché dans la maison très proche de celle de Jozo

 17   Alilovic, en compagnie de Tomislav, le frère de Jozo, il voit arriver en

 18   fin de matinée quatre hommes en uniforme de camouflage, ruban vert à

 19   l'épaule, armés, quatre hommes qu'il reconnaît pour être Zoran Kupreskic,

 20   Mirjan Kupreskic, le frère de Dragan Papic et le surnommé "Asko", qui a,

 21   le Tribunal s'en souvient, déposé ici.

 22   A l'audience de ce Tribunal, le témoin a confondu Zoran et

 23   Mirjan, mais cela, à mon sens, ne peut conduire à remettre en cause sa

 24   crédibilité puisqu'il désigne collectivement les frères Zoran et Mirjan

 25   Kupreskic, il les identifie clairement et sans hésitation. Ce témoin


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  1   s'est-il trompé ou a-t-il menti ?

  2   Je crois qu'il n'est guère envisageable que ce témoin se soit

  3   trompé. Il connaissait parfaitement les accusés, il les a vus à courte

  4   distance, il a toujours été précis et exact dans le récit des événements

  5   qu'il a vécus.

  6   Est-ce que le témoin peut mentir ? Je dirai que, en règle

  7   générale, lorsqu'un témoin ment, il ne cite pas de tiers qui pourraient

  8   venir le démentir. Et je pense que si le témoin C avait voulu par un

  9   mensonge porter tort aux frères Zoran et Mirjan Kupreskic, il n'aurait pas

 10   cité d'autres personnes que les frères Kupreskic. Et surtout, pour mentir,

 11   il faut un mobile, et ce mobile, nous ne l'avons pas découvert ici. Nous

 12   n'avons trouvé aucune trace d'un mobile de cette sorte.

 13   Je vais en venir maintenant à l'agression contre la maison de la

 14   famille du témoin H. Mais peut-être Monsieur le Président, souhaitez-vous

 15   une interruption.

 16   M. le Président. - Oui, c'est le bon moment pour une pause de

 17   trente minutes.

 18   (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 11 heures.)

 19   M. le Président. - Maître Terrier, avant de commencer, puis-je

 20   vous poser une question ? Vous nous donnerez un peu de temps à la fin pour

 21   des questions ou bien vous comptez aller jusqu'à 13 heures 30 ?

 22   M. Terrier. - J'espère vous donner du temps pour les questions,

 23   Monsieur le Président.

 24   M. le Président. - Quinze minutes, peut-être ?

 25   M. Terrier. - Entendu. J'en étais arrivé dans l'examen des


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  1   preuves réunies contre les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic à l'agression

  2   conduite...

  3   M. le Président. - Attendez. Vous pouvez parler, cela marche

  4   maintenant.

  5   M. Terrier. - Merci, Monsieur le Président. J'en étais arrivé à

  6   l'agression contre la maison de la famille du témoin H. Le Tribunal s'en

  7   souvient, le témoin H était en avril 1993 âgée de 13 ans. Elle habite une

  8   maison qui n'est pas éloignée des maisons Kupreskic, avec son père, sa

  9   mère et ses deux soeurs cadettes.

 10   Au cours des débats, nous avons vu des photographies de cette

 11   maison. Et le Tribunal a sans doute en mémoire l'agencement un peu

 12   particulier de cette maison avec cette cave, cette sorte de cave, à

 13   laquelle on accède par une trappe qui s'ouvre dans la chambre des enfants

 14   et qui dispose d'une autre ouverture sur le garage.

 15   En décembre 1993, devant le juge d'instruction de Zenica, et en

 16   septembre 1998 devant ce Tribunal, le témoin H fait le récit de ce qui se

 17   passe dans cette maison le 16 avril. Lorsque la famille entend les

 18   premiers tirs, les parents viennent réveiller leurs filles et ils

 19   descendent dans la cave par la trappe. Des grenades sont lancées dans la

 20   maison. Devant, à l'extérieur de la maison, devant la porte du garage, on

 21   appelle son père par son prénom et on lui demande d'ouvrir la porte.

 22   Le témoin H croit que ce sont des voix amies, des gens qui

 23   veulent les rejoindre dans l'abri ; et elle prie son père d'ouvrir la

 24   porte du garage. Elle ne peut pas imaginer bien entendu que ces agresseurs

 25   utilisent le prénom de son père. Son père quitte la cave, ouvre la porte


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  1   du garage et, à ce moment-là, le témoin entend qu'on ordonne à son père de

  2   sortir, elle entend son père supplier et elle entend une rafale d'arme

  3   automatique.

  4   Alors la trappe de la cave est ouverte au-dessus d'elle, de la

  5   chambre d'enfant, et elle entend une voix d'homme demander qui est là en

  6   bas. Sa mère, dit-elle, est en état de choc, incapable de parler, serrant

  7   ses deux petites filles contre elle. Le témoin sort de la cave et se

  8   trouve en présence de Zoran Kupreskic. Il est face à elle, à un mètre de

  9   distance pas davantage, et elle le reconnaît sans aucun doute possible. Il

 10   porte un uniforme, des peintures de guerre sur le visage. Il porte un

 11   fusil automatique.

 12   Elle lui dit que sa mère et sa soeur sont en bas, Zoran lui

 13   demande alors s'il y a des armes en bas, si des hommes se cachent dans la

 14   cave car, dit-il, il a ordre de les tuer tous. Puis, selon le récit du

 15   témoin, Zoran s'éloigne de quelques pas pour se rapprocher de Mirjan,

 16   lequel porte le même costume et le même équipement que son frère.

 17   Zoran demande à Mirjan ce qu'il faut faire d'eux, Mirjan répond

 18   qu'il ne sait pas. Puis Zoran revient vers le témoin et ordonne à tous de

 19   sortir de la cave. Le témoin se met à genoux devant Zoran et supplie qu'il

 20   lui laisse la vie sauve ainsi qu'à sa famille. Outre Zoran et Mirjan,

 21   selon le témoin, trois autres soldats sont dans la maison, deux dans la

 22   cuisine, un devant la porte d'entrée. Ils sont en train de mettre le feu

 23   au moyen d'essence.

 24   Que penser de ce témoignage ?

 25   Tout d'abord, à mon sens, qu'il n'existe aucune possibilité


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  1   d'erreur ou de confusion de la part du témoin H. Les hommes que le

  2   témoin H affirme avoir reconnus, elle les connaissait bien. Et ces hommes

  3   se tenaient à très courte distance d'elle et ils lui ont parlé. Par

  4   conséquent, elle n'a pas seulement reconnu leur physique, elle a aussi

  5   reconnu leur voix.

  6   Si le témoin H n'a pas commis d'erreur, ne peut pas avoir commis

  7   d'erreur, peut-elle avoir menti ? Peut-il exister entre un certain nombre

  8   de témoins un pacte au terme duquel, c'est ce que suggère la défense, ce

  9   qu'ont suggéré en tout cas les accusés au cours de leur témoignage, un

 10   pacte au terme duquel différents témoins considèrent que Zoran et

 11   Mirjan Kupreskic doivent assumer la culpabilité des Croates.

 12   Pour répondre à cet argument, j'appellerai l'attention du

 13   Tribunal sur les éléments d'appréciation suivants. Premier point, le

 14   témoin H, le 17 décembre 1993, est entendu par le juge d'instruction de

 15   Zenica. Dans mon esprit, la réalité de cette audition, et je me réfère

 16   bien entendu au témoignage de Mme Ajanovic, le juge d'instruction lui-

 17   même, ne fait pas de doute même si le témoin paraît avoir oublié cette

 18   rencontre. Et, sur l'essentiel, ce qui frappe lorsqu'on considère la

 19   déclaration écrite du 17 décembre 1993, qui est la pièce D1/2 du Tribunal,

 20   c'est que sur tous les points majeurs, sur la connaissance par les

 21   agresseurs de l'existence de cette cave, sur l'identification de Zoran et

 22   de Mirjan, sur le fait que Zoran et Mirjan parlent, qu'ils échangent

 23   ensuite tous les deux des propos, sur le fait qu'elle s'agenouille devant

 24   l'un d'eux, sur le fait qu'elle, sa mère et sa soeur sont chassées ensuite

 25   de la maison pendant qu'on y met le feu, sur tous ces points majeurs, le


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  1   témoignage de décembre 93 et celui fait devant le Tribunal en septembre 98

  2   sont cohérents, et que le nom de Zoran et Mirjan Kupreskic apparaissent

  3   dès décembre 1993 dans une déclaration recueillie par un juge

  4   d'instruction, est évidemment un élément d'appréciation important.

  5   J'observe cependant, et c'est peut-être une concession que je

  6   ferai à la défense, que, comme le témoin C, le témoin A paraît confondre

  7   Zoran et Mirjan Kupreskic et il est possible, à lire très attentivement sa 

  8   déclaration de décembre 1993, que ce soit Mirjan et non pas Zoran qui ait

  9   ouvert la porte de la trappe et Zoran qui se trouvait en retrait, mais

 10   cela, bien entendu, ne porte aucune atteinte à la crédibilité du témoin

 11   sur l'essentiel des propos qu'il a tenus, elle connaissait les accusés,

 12   elle pouvait confondre les prénoms.

 13   Deuxième point : les déclarations écrites de la mère du

 14   témoin H. L'accusation a voulu citer la mère du témoin H, mais cette

 15   personne, le Tribunal s'en souvient, n'a pas pu déposer devant le Tribunal

 16   compte tenu de l'état de santé dans lequel elle se trouvait. Le Tribunal a

 17   entendu le chef de l'unité de protection des victimes et des témoins qui a

 18   fait état de l'avis du médecin et un dossier médical a été remis au

 19   Tribunal. Les déclarations écrites de la mère du témoin H ont été versées

 20   au dossier du Tribunal.

 21   Il est à mon sens très important de constater que, le

 22   23 avril 1993, dans une déclaration écrite, la mère du témoin H dit que sa

 23   fille l'a informée de ce qu'elle avait reconnu Zoran Kupreskic dans la

 24   maison.

 25   Il est vrai, et je le concède là encore à la défense, que la


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  1   mère du témoin H a fait par la suite des déclarations qui sont très

  2   largement incohérentes, mais souvenons-nous de la description qu'a fait le

  3   témoin H de sa mère, c'est-à-dire d'une femme submergée par la panique,

  4   l'angoisse, incapable de parler et incapable d'agir.

  5   Il est donc important de retenir que, dès le 23 avril 1993, la

  6   mère du témoin H rapporte les propos, ou certains des propos, tenus par sa

  7   fille, que celle-ci développera ensuite en décembre 1993 devant le juge

  8   d'instruction de Zenica et, enfin, quelques années plus tard, devant le

  9   Tribunal.

 10   De la maison du témoin H, je souhaite que, maintenant, nous nous

 11   rendions jusqu'à la maison du témoin KL. Ces deux maisons sont à très

 12   courte distance, quelques dizaines de mètres, et entre les deux, il existe

 13   un lien technique qui a été mis en lumière par les investigations

 14   conduites par les experts de la police néerlandaise. Le Tribunal se

 15   souvient que, devant la maison du témoin H, est découverte notamment une

 16   douille d'arme à feu.

 17   Et il apparaît probable, comme l'a démontré le témoin Kherkhoff,

 18   que cette douille découverte devant la maison du témoin H et trois autres

 19   douilles découvertes dans la maison du témoin KL proviennent de la même

 20   arme.

 21   S'agissant de ce qui s'est passé dans la maison du témoin KL, le

 22   Tribunal se souvient de la très longue déclaration faite devant lui par ce

 23   témoin. Il a dit qu'en avril 1993 il vit dans cette maison avec son fils,

 24   sa belle-fille, un enfant de 6 ou 7 ans, qui est le fils de sa belle-

 25   fille, et un bébé de 3 mois, qui est son petit-fils. Et le témoin KL


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  1   occupe dans cette maison une chambre qui ouvre sur la pièce principale où

  2   demeure sa famille.

  3   Le 16 avril 1993, quelques instants après les premières

  4   détonations, un soldat entre dans la maison. Ce soldat, le témoin KL, qui

  5   est venu sur le seuil qui sépare la chambre, sa chambre, de la pièce

  6   principale, le reconnaît, il dit que c'est Zoran Kupreskic.

  7   Derrière lui, derrière Zoran Kupreskic, entre Mirjan Kupreskic.

  8   La lumière est allumée dans la pièce, elle lui permet de reconnaître ces

  9   deux personnes. Zoran Kupreskic, selon le témoin, tire immédiatement sur

 10   le fils du témoin ; il tire ensuite sur la belle-fille du témoin, il se

 11   dirige ensuite vers le jeune garçon qui est couché sur un canapé-lit. En

 12   même temps, Mirjan Kupreskic verse le liquide d'une bouteille dans la

 13   pièce et met le feu.

 14   Le témoin KL tombe par terre, sa tête heurte le mur au pied du

 15   canapé-lit, et il perd, nous a-t-il dit, conscience quelques très brefs

 16   instants.

 17   Zoran Kupreskic, selon le témoin, tire dans sa direction sans le

 18   toucher, les balles étant arrêtées par l'accoudoir du canapé. Ensuite, le

 19   bébé pleure, et de nouveaux coups de feu claquent. Et enfin, les

 20   agresseurs se retirent. Selon le témoin, ils portaient des peintures

 21   noires sur le visage et l'un et l'autre étaient revêtus d'un uniforme

 22   noir.

 23   Tel est le récit que le Tribunal a reçu de ce témoin. Ce témoin

 24   a fait, bien entendu, avant sa comparution comme témoin devant le

 25   Tribunal, de très nombreuses déclarations. J'évoquerai les


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  1   trois premières.

  2   Il a d'abord fait une déclaration le 22 avril 1993 devant le

  3   représentant d'un institut de recherche sur les crimes contre l'humanité,

  4   et au cours de cette déclaration il ne nomme pas Zoran et Mirjan

  5   Kupreskic. Il fait ensuite une déposition le 1er octobre 1993 devant un

  6   juge d'instruction de Zenica ; il dit qu'il n'a pas reconnu le visage des

  7   agresseurs, mais qu'ils ressemblaient à Zoran et Mirjan Kupreskic. Et dans

  8   une troisième déclaration faite le 20 février 1994 devant le représentant

  9   du même institut de recherche, il nomme en la personne de Zoran et de

 10   Mirjan Kupreskic les deux Oustachis qui ont massacré sa famille et détruit

 11   sa maison.

 12   Le témoin, alors qu'il est à l'hôpital, fait aussi une

 13   déclaration sous la forme d'une interview à la télévision qui est diffusée

 14   en avril 1993.

 15   Je concéderai à la défense, qui, certainement, reviendra en

 16   détail sur ce point, qu'entre ces déclarations et celles qui suivent,

 17   faites devant un enquêteur du Tribunal, du Bureau du Procureur, de

 18   nombreuses contradictions apparaissent. Mais, à mes yeux, l'essentiel est

 19   bien entendu qu'il ne nomme pas ses agresseurs avant le 20 février 1994.

 20   Pourquoi ?

 21   La question lui a été posée à l'audience de ce Tribunal par

 22   vous-même, Monsieur le Président, et il a expliqué qu'il n'avait pas eu ce

 23   courage parce que c'était la guerre, que personne ne savait comment cela

 24   allait finir, que, par la suite, il a réfléchi, que, par la suite, il a

 25   jugé qu'il ne devait pas protéger les auteurs d'un massacre de cette


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  1   nature.

  2   Est-ce que les contradictions relevées entre le déclaration

  3   successive du témoin et le retard de ce témoin à nommer les agresseurs

  4   doivent conduire à penser qu'il a subi des influences, ou qu'il a

  5   délibérément déposé contre des innocents ?

  6   Je ferai d'abord, sur la question de la crédibilité du

  7   témoin KL, une réflexion à caractère général. Le Tribunal sait bien que la

  8   déclaration écrite d'un témoin est le résultat d'un exercice à

  9   quatre mains. Je veux dire que, pour qu'une déclaration soit exacte et

 10   complète, il faut que le témoin ait des souvenirs précis, qu'il dise la

 11   vérité, mais il faut aussi que l'enquêteur ait du talent et de

 12   l'expérience. Or, nous ne savons rien, nous ne savons rien des qualités

 13   professionnelles de ceux qui ont recueilli les premières déclarations du

 14   témoin KL. Par ailleurs, je tiens à souligner que la moralité du témoin KL

 15   a été passée au crible, mais que rien de sérieux ne lui a été opposé.

 16   Les quelques incidents évoqués par la défense sont si rares et

 17   si anciens qu'ils constituent pratiquement un brevet de civisme et de

 18   moralité. Et ce témoin n'avait, jusqu'au 16 avril 1993, aucune raison d'en

 19   vouloir aux accusés qu'il a nommés. Si le témoin KL a menti, il n'avait

 20   aucun mobile d'agir ainsi, aucune raison ne saurait expliquer son

 21   comportement.

 22   Je voudrais aussi souligner que la preuve me semble avoir été

 23   rapportée que le témoin KL est bien le témoin de l'assassinat de sa

 24   famille par deux hommes qui mettent ensuite le feu à la maison.

 25   Le déroulement des faits, dans ces grandes lignes, est donné dès


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  1   les premières auditions. Et les contradictions qui apparaissent ensuite,

  2   relatives à ce déroulement des faits, sont d'un intérêt et d'une

  3   importance secondaires.

  4   Nous savons aussi que, partiellement, son récit a été confirmé

  5   par le résultat des investigations techniques conduites dans la maison par

  6   les experts de la police néerlandaise. Cette confirmation est évidemment

  7   très partielle mais elle est néanmoins importante.

  8   Le témoin Prudon, officier de police néerlandais qui a examiné

  9   la maison du témoin KL en juillet 1998, a fait, malgré le temps très

 10   limité qui lui était imparti, un certain nombre de découvertes et de

 11   constatations, et aucune d'entre elles ne vient contredire le récit du

 12   témoin KL.

 13   Les ossements d'enfant, par exemple, découverts dans la maison,

 14   ont été calcinés, selon les experts, à une température très élevée :

 15   1000°C à 1630°C. Et le témoin a dit qu'à cette température très élevée il

 16   est une explication possible : l'utilisation par les agresseurs d'un

 17   accélérateur de combustion. Il n'a pas été retrouvé trace d'un

 18   accélérateur de combustion, cela est vrai, mais le témoin Van der Peijl,

 19   qui est un expert chimiste auprès du ministère de la Justice des Pays Bas,

 20   a dit qu'il était possible, compte tenu du temps écoulé et de la situation

 21   de la maison, que ces traces avaient simplement disparu au cours de la

 22   période qui a précédé l'expertise.

 23   De la même manière, dans la partie de la pièce où le témoin KL

 24   dit avoir vu Mirjan Kupreskic renverser un produit inflammable, le

 25   plancher en bois a lui-même brûlé ce qui peut signifier, selon le témoin


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  1   Prudon, une concentration d'incendie à cet endroit, c'est-à-dire un foyer

  2   d'incendie.

  3   Dans le récit du témoin KL il y a, c'est vrai, un certain nombre

  4   d'étrangetés et de bizarreries et moi-même, je le dis au Tribunal, lorsque

  5   j'ai pris connaissance de cette audition, je me suis étonné de certaines

  6   de ces bizarreries. Mais, sur la plupart de ces points, le témoin KL a

  7   donné des explications qui sont tout à fait convaincantes.

  8   Par exemple, je m'étais étonné que, dans sa première déposition,

  9   le témoin ne dise pas s'être dissimulé derrière un sofa, avoir disparu

 10   derrière un sofa. Mais dans la déclaration du témoin KL, telle qu'elle a

 11   été recueillie le 5 mai 1993 par le représentant de la commission des

 12   Droits de l'Homme et incluse dans le rapport de la commission des Droits

 13   de l'Homme, il est dit que le témoin s'est caché derrière le sofa. Il est

 14   donc bien clair qu'un certain nombre des contradictions relevées, au

 15   moins, tiennent à la manière dont ces dépositions ont été recueillies.

 16   De la même manière, c'est un second exemple, je ne comprenais

 17   pas qu'il ait pu échapper à la mort en disparaissant derrière l'accoudoir

 18   d'un canapé et sentir tomber sur ses jambes les douilles éjectées par

 19   l'arme automatique tenue par l'agresseur. Mais tout s'éclaire en fin de

 20   compte lorsqu'on sait que les douilles sont éjectées d'un fusil AK47 sur

 21   la droite et plutôt vers l'avant, comme l'a démontré le témoin Kerkhoff au

 22   cours de sa déposition.

 23   Maintenant, sur la question de l'identification, je voudrais

 24   souligner tout d'abord que le témoin KL n'a jamais donné un autre nom que

 25   ceux des accusés, s'il est vrai qu'il a retardé le moment où il les a


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  1   nommés. Il n'a pas été prouvé, me semble-t-il, que le témoin KL avait

  2   publiquement, lors de son interview télévisée en avril 1993, dit qu'il ne

  3   connaissait pas les assassins de sa famille. Les deux témoins que nous

  4   avons entendus à cet égard ne me semblent pas avoir été suffisamment

  5   convaincants, compte tenu du caractère extrêmement sélectif de leurs

  6   souvenirs.

  7   Je veux encore souligner que le retard à nommer les agresseurs

  8   n'est qu'officiel parce qu'en réalité, très rapidement et avant la fin

  9   même du mois d'avril, le nom de Kupreskic apparaît en liaison avec le

 10   massacre de la famille du témoin KL. Et la source ne peut évidemment en

 11   être que le témoin, seul survivant de ces événements.

 12   De la fin du mois d'avril 1993 apparaît cette notion que les

 13   auteurs du crime sont des voisins. Le témoin JJ, présent à Zenica pour le

 14   compte d'une organisation internationale et qui parle la langue bosnienne,

 15   rencontre le 7 mai à l'hôpital de Zenica le témoin KL, et celui-ci lui dit

 16   alors qu'il connaît le nom des assassins et il précise qu'il s'agit des

 17   voisins de la première maison.

 18   Par ailleurs, le témoin JJ a dit au Tribunal qu'elle a entendu à

 19   la radio, quelques jours après le 16 avril, que les crimes d'Ahmici

 20   avaient été commis par un certain nombre de personnes qui étaient nommées.

 21   Le nom de Zoran Kupreskic était mentionné. Le témoin a dit qu'un peu plus

 22   tard, le 24 ou le 25 avril, à l'occasion d'une rencontre avec Zoran

 23   Kupreskic, celui-ci a évoqué lui-même le nom du témoin KL. Il a dit qu'il

 24   était accusé par cette famille d'avoir tué l'un d'entre eux. Il a bien

 25   entendu nié sa culpabilité, mais le fait est en soit tout à fait


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  1   important, et lors de sa déposition le témoin JJ a affirmé ne pouvoir

  2   commettre aucune confusion sur le moment où elle a reçu ces confidences de

  3   la part de Zoran Kupreskic.

  4   Puisque, très rapidement et de manière non officielle mais de

  5   manière cependant certaine, le témoin KL nomme en tout cas Zoran

  6   Kupreskic, est-ce qu'il peut avoir commis une erreur de bonne foi ? La

  7   réponse, bien évidemment, doit être négative car le témoin KL connaissait

  8   parfaitement et depuis très longtemps les personnes qu'il a identifiées.

  9   Il s'agissait de familiers, la distance qui les séparait était très courte

 10   et la luminosité suffisante. Et ces deux personnes n'ont pas vraiment

 11   tenté de se dissimuler, pensant sans doute ne laisser derrière elles aucun

 12   témoin.

 13   Reste bien entendu une dernière hypothèse soulevée par la

 14   défense : est-ce que le témoin KL, avec les autres témoins qui ont mis en

 15   cause les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic, a conclu un pacte frauduleux

 16   contre la vérité ? Le Tribunal se fera bien entendu son opinion sur cette

 17   question mais je voudrais faire deux remarques.

 18   La première remarque, c'est qu'il est très difficile de croire

 19   qu'un pacte de cette nature puisse se conclure dans les jours mêmes qui

 20   suivent le massacre, compte tenu bien entendu de la situation qui était

 21   celle des victimes à ce moment-là.

 22   Et deuxième remarque : il me semble que dans cette affirmation,

 23   une contradiction grave affecte la défense. On nous dit à la fois que

 24   Zoran et Mirjan Kupreskic étaient des personnages modestes, ne jouant

 25   qu'un rôle insignifiant et qu'on aurait voulu faire d'eux les boucs


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  1   émissaires de la culpabilité croate. Je pense que si des témoins avaient

  2   cherché un bouc émissaire, c'est-à-dire une culpabilité emblématique, ils

  3   auraient désigné d'autres personnages, peut-être plus notables et plus

  4   influents que les deux accusés.

  5   En fin de compte, nous pouvons, je crois, comprendre sans trop

  6   de peine le témoin KL et le retard qui a été le sien dans la désignation

  7   officielle des agresseurs de sa famille. Il n'est pas aisé pour ces

  8   témoins, qui sont aussi et bien entendu les victimes de crimes très

  9   graves, de citer le nom de voisins comme auteurs de ces crimes.

 10   Nous savons que dans les semaines et même les premiers mois qui

 11   suivent le massacre d'Ahmici, la situation dans la vallée de la Lasva est

 12   tout à fait incertaine. L'issue du conflit est imprévisible. Le simple

 13   exercice de la justice est alors improbable, même si officiellement une

 14   résolution a été prise pour la création de ce Tribunal. Les victimes sont

 15   isolées, elles sont sans soutien, elles sont sans aucun moyen.

 16   Et sans doute, ces victimes ou certaines d'entre elles ne

 17   peuvent pas rompre avec Ahmici, même si elles ont été chassées d'Ahmici ;

 18   elles ne peuvent pas rompre avec leur maison, même si leur maison était en

 19   ruines. Certaines de ces victimes ont certainement du mal à imaginer leur

 20   vie ailleurs qu'à Ahmici. Or, citer le nom d'un voisin croate comme

 21   l'auteur d'un crime, c'est alors se couper tous les ponts derrière soi,

 22   c'est s'interdire tout espoir de retour à Ahmici. On comprendra que

 23   désigner par exemple l'accusé Vlatko Kupreskic, pour ce qui concerne le

 24   témoin KL, comme étant présent à proximité des maisons en feu, ce n'est

 25   pas la même chose que de désigner les assassins de sa famille.


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  1   J'ai évoqué certains points de l'argumentation de la défense. Je

  2   voudrais en évoquer rapidement deux autres. La défense a dit et dira

  3   encore que les accusés sont incapables d'avoir agi comme le prétend

  4   l'accusation dans la maison du témoin KL compte tenu de leurs qualités

  5   humaines.

  6   Je ne discuterai pas dans ce procès des qualités humaines des

  7   accusés, mais je suis bien obligé de constater que le matin du 16 avril,

  8   selon leur propre déclaration, alors qu'ils en ont le temps et l'occasion,

  9   ils ne prennent aucune disposition pour prévenir leurs voisins musulmans

 10   ou leurs amis musulmans d'une situation dans laquelle les Musulmans eux-

 11   mêmes ne peuvent pas se trouver en parfaite sécurité.

 12   Et quant à l'aide apportée par Zoran Kupreskic à son témoin JJ,

 13   je n'en conteste pas la réalité, bien entendu, mais je demande au nom de

 14   quoi cette aide a été apportée au témoin JJ. Je dis que ce n'était pas au

 15   nom de l'humanité, je dis que c'était au nom d'une amitié, une amitié

 16   étroite et exclusive ; et que de cet intérêt le témoin JJ est apparemment

 17   la seule à avoir bénéficié.

 18   La défense évoque aussi une sorte d'alibi. Cet alibi tient à un

 19   séjour dans la dépression derrière les maisons Kupreskic, à tenter

 20   d'observer sans rien voir ce qui se passe à Ahmici. Nous avons entendu de

 21   très nombreux témoins qui se sont accordés sur un même récit.

 22   Tous ces témoins ou la plupart d'entre eux ont évoqué ces

 23   30 policiers militaires, cette trentaine de policiers militaires ; ils les

 24   ont décrits de manière identique. Et ces policiers militaires ont provoqué

 25   chez tous ces témoins les mêmes sentiments d'angoisse et de répulsion.


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  1   Tous ces témoins ont évoqué ce séjour de trois jours passé dans la

  2   dépression ; passé dans la dépression sans pouvoir pratiquement en bouger

  3   et sans savoir rien de ce qui se passe, sans savoir par exemple quelles

  4   sont les maisons qui brûlent.

  5   Nous avons du mal à croire à la réalité de ce séjour lorsque

  6   l'on sait que cette dépression ne peut pas être un abri pour les accusés

  7   et leurs amis, ne peut pas être un moyen de garantir la sécurité de leur

  8   famille ; lorsque l'on sait que dès la fin de la matinée, au plus tard,

  9   Zoran et Mirjan Kupreskic sont en contact avec Nikola Omazic, dont on sait

 10   qu'il est un membre du HVO impliqué dans l'attaque ; lorsque l'on sait que

 11   dès le milieu de la matinée du 16 avril Vlatko Kupreskic affirme circuler

 12   sans grande difficulté entre Zume et sa maison ; lorsque l'on sait que

 13   d'autres personnes au cours de cette même matinée circulent librement

 14   notamment pour faire connaître aux accusés la nouvelle de la mort de

 15   Fahrudin Ahmic et que, de la même manière, Drago Josipovic nous est décrit

 16   comme allant et venant au milieu du champ de bataille dans le bas

 17   d'Ahmici ; et lorsqu'on se souvient que Zoran Kupreskic nous a dit que le

 18   matin du 16 avril, il entend des femmes, il reconnaît pour être des femmes

 19   musulmanes, hurler de terreur.

 20   Et enfin, nous savons que l'agression conduite contre la

 21   population civile d'Ahmici avait atteint son objectif au plus tard en fin

 22   d'après-midi du 16 avril avec la destruction hautement symbolique du

 23   minaret.

 24   Je ne relèverai pas tous les détails sur lesquels les témoins se

 25   sont accordés à une si longue distance des faits. Il est évident, me


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  1   semble-t-il, que même confronté aux seules allégations de la défense que

  2   je viens d'évoquer cet alibi perd sa crédibilité.

  3   Nous sommes évidemment frappés que ce récit des témoins sur ce

  4   qui s'est passé le 16 avril 1993 recoupe si parfaitement ce qui selon ces

  5   mêmes témoins s'est passé le 20 octobre 1992 alors que les circonstances

  6   sont évidemment totalement différentes.

  7   Tout s'écroule plus encore lorsqu'on écoute le témoin JJ. Le

  8   témoin JJ a déclaré que Zoran dès le 16 avril a appelé son domicile pour

  9   l'enjoindre de rechercher un abri. Le témoin JJ a dit que Zoran Kupreskic

 10   lui avait dit un peu plus tard, vers le 21 avril, qu'avant les premiers

 11   tirs dans la nuit du 15 au 16 avril, il avait avec sa voiture et devant

 12   faire plusieurs voyages avec sa voiture mis à l'abri à Rovna toute sa

 13   famille.

 14   Le témoin JJ a dit qu'en confidence Zoran lui avait raconté qu'à

 15   Ahmici ce 16 avril les membres des unités des Jokers tiraient sur les

 16   civils qui fuyaient ; que l'un de ces Jokers a remarqué que, lui,

 17   Zoran Kupreskic ne tirait pas et l'a alors menacé de son arme s'il ne se

 18   décidait pas à tirer. Et alors Zoran a tiré en l'air, il n'a pas tiré sur

 19   les civils, il a tiré en l'air.

 20   Pourquoi est-ce qu'il a dit cela à son amie, le témoin JJ ?

 21   S'il l'a dit, les Juges de ce Tribunal devront décider si cela

 22   était vrai, s'il a menti au témoin JJ. S'il a dit la vérité au témoin JJ,

 23   il a menti devant ce Tribunal. Et, au regard de tout ce que nous savons au

 24   terme de ce procès, il est clair à mon sens pour l'accusation que

 25   Zoran Kupreskic n'a dit la vérité ni à son amie le témoin JJ ni à ses


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  1   Juges. Et à son ami comme à ses Juges, Zoran Kupreskic avait évidemment de

  2   bonnes raisons de cacher la vérité.

  3   Compte tenu de tous ces éléments recueillis au cours des débats

  4   et que bien entendu dans le temps qui m'est imparti je n'ai fait que

  5   brièvement évoquer, je demande aux Juges du Tribunal de dire que les chefs

  6   d'accusation 1 à 11 retenus contre les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic

  7   sont établis par les preuves et tous les éléments d'appréciation soumis au

  8   Tribunal dans le cours de ce procès.

  9   J'en viens maintenant à la situation de l'accusé

 10   Vlatko Kupreskic. Contre l'accusé Vlatko Kupreskic, l'accusation considère

 11   avoir établi qu'il a personnellement pris part à l'agression conduite par

 12   le HVO contre la population civile musulmane d'Ahmici et que, par son

 13   comportement et par ses actes, il en a facilité la réalisation et le

 14   succès, l'accusation considère avoir établi de la même manière qu'il est

 15   personnellement et directement, avec d'autres personnes, responsable de la

 16   mort de Fata Pezer et des blessures infligées à la fille de celle-ci.

 17   Je voudrais évoquer d'abord la question que beaucoup de témoins

 18   de la défense ont soulevée de l'état de santé de l'accusé Vlatko

 19   Kupreskic.

 20   Il n'est pas contesté par l'accusation que Vlatko Kupreskic ait

 21   pu dans son enfance rencontrer de sérieux problèmes de santé et il est

 22   certainement vrai que l'accusé a été, en 1970, déclaré inapte au service

 23   militaire en temps de paix.

 24   De la même manière, il est, me semble-t-il, établi qu'en

 25   mai 1993 une commission de réforme du HVO l'a déclaré inapte au service


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  1   armé. Mais qu'en est-il avant le mois de mai 1993 ?

  2   La notion de service en temps de paix dans le cadre de

  3   l'ancienne Yougoslavie est certainement différente de celle de service en

  4   temps de guerre pour les Croates de Bosnie centrale dans les circonstances

  5   de 1992 et 1993.

  6   Et on ne peut croire, dans ces conditions, que le citoyen

  7   ordinaire que Vlatko Kupreskic prétend avoir été, ait pu opposer à l'ordre

  8   de mobilisation d'avril, par exemple, une inaptitude constatée en 1970 par

  9   les autorités de l'ancienne Yougoslavie.

 10   La décision de réforme du 27 mai 1993, c'est la pièce D 16/3 du

 11   Tribunal, est notifiée non seulement à l'intéressé, mais aussi à la

 12   brigade de Vitez. C'est à mon sens la preuve que l'accusé Vlatko Kupreskic

 13   avait été versé dans les cadres de cette brigade. Et c'est ce que confirme

 14   le document 335, qui est le rapport sur la mobilisation, d'où il apparaît

 15   que l'accusé a été déployé dans les forces actives du HVO pendant la

 16   période débutant le 16 avril 1993.

 17   Mais peut-être toute cette discussion sur l'appartenance de

 18   l'accusé Vlatko Kupreskic au cadre du HVO est peu pertinente, car il est

 19   apparu par les témoignages recueillis devant ce Tribunal qu'à l'époque qui

 20   nous intéresse, l'accusé n'est en rien handicapé dans ses mouvements, dans

 21   ses activités.

 22   Le plus souvent, il est décrit comme un homme actif et

 23   dynamique, en particulier dans la conduite de ses affaires, et plus tard,

 24   au moment de son arrestation, il fait usage d'un fusil automatique AK47,

 25   arme qu'il conservait auprès de lui, chargée et prête à tirer.


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  1   Et le témoin pour la défense Mario Rajic a déclaré le 8 février

  2   dernier que, pour utiliser un AK47, il faut un certain entraînement.

  3   Par conséquent, l'accusé Vlatko Kupreskic était physiquement

  4   parfaitement en mesure de tenir le rôle que lui impute l'accusation.

  5   Deuxième élément d'appréciation que je soumets au Tribunal :

  6   l'engagement nationaliste de Vlatko Kupreskic n'est pas douteux. Et c'est

  7   certainement cet engagement qui le conduit à revendiquer un temps son

  8   appartenance au service armé du HVO ; je me réfère bien entendu au

  9   document 329, c'est-à-dire le certificat qui indique que Vlatko Kupreskic

 10   était membre de la brigade de Vitez pendant la période allant du

 11   16 avril 1993 au 15 janvier 1996.

 12   Nous avons d'autres éléments d'appréciation à cet égard ; je me

 13   réfère au témoin T, qui a dit que, dans le courant du mois d'octobre 1992,

 14   elle a vu Vlatko Kupreskic accompagné de son épouse et d'un autre homme

 15   sortir des armes d'une voiture et les transporter dans sa maison.

 16   Je me souviens aussi de la déposition du témoin H, qui a relaté

 17   un incident qui s'est déroulé bien après les événements du 16 avril 1993 :

 18   lorsqu'elle est retournée voir sa maison, elle a rencontré Vlatko

 19   Kupreskic, qui lui a demandé ce qu'elle faisait là, qui lui a dit que ce

 20   n'était plus sa maison et que cette maison ne serait plus jamais à elle.

 21   Je sais bien que l'accusé lui-même, au cours de son témoignage,

 22   et la défense, ont beaucoup insisté sur le fait que Vlatko Kupreskic est

 23   un commerçant, qu'il fait du commerce avec les membres de toutes les

 24   communautés, qu'il fait des actes de commerce avec la Croatie, mais je

 25   voudrais faire cette observation générale que le commerce en temps de


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  1   guerre n'implique pas la neutralité puisqu'il ne s'exerce pas librement et

  2   que, au contraire, il implique des relations étroites avec les autorités ;

  3   et l'autorité, à cette époque, c'est le HVO.

  4   Et en effet, lorsque l'on examine les documents 359, 377 et 378,

  5   l'accusé Vlatko Kupreskic apparaît avoir été alors beaucoup plus engagé

  6   qu'il ne le prétend avec les autorités du HVO.

  7   Le document 359, on s'en souvient, c'est le rapport d'inventaire

  8   établi par une commission, qui est daté de février 93 et signé notamment

  9   de Vlatko Kupreskic. Cette signature a été authentifiée devant le Tribunal

 10   par l'épouse de l'accusé et le document lui-même n'a pas été contesté.

 11   Le document 377 est un rapport daté du 28 décembre 1992, adressé

 12   au ministère de l'Intérieur sur les effectifs de la police de Vitez. Et

 13   l'accusé Vlatko Kupreskic y est mentionné comme inspecteur de première

 14   classe, chargé, je cite, "de combattre les infractions d'intérêt spécial

 15   pour l'Etat ".

 16   Le document 378 est un rapport du 22 février 93 d'inspection des

 17   services de la police de Vitez qui mentionne l'accusé comme étant

 18   l'officier chargé de combattre la criminalité et investi d'une mission

 19   d'intérêt spécial pour l'Etat.

 20   Au cours de son contre-interrogatoire, l'accusé a expliqué qu'il

 21   s'agissait d'un montage administratif pour assurer la rémunération de son

 22   travail d'inventaire.

 23   Je considère que cette justification est d'une particulière

 24   inconsistance lorsqu'on sait que Vlatko Kupreskic a réalisé le travail

 25   d'inventaire au sein d'une commission exclusivement composée de membres de


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  1   la police et que le rapport final tient en trois pages.

  2   Il est clair que ces documents démontrent la considération dont

  3   bénéficiait, de la part des autorités officielles du HVO, Vlatko

  4   Kupreskic. Ces documents démontrent qu'à un certain moment, et pour une

  5   certaine période, l'accusé Vlatko Kupreskic a été membre d'une police

  6   civile et spéciale tout à la fois, ce qui pourrait expliquer qu'on ne le

  7   retrouve pas dans les cadres militaires avant le 16 avril 1993, mais à mes

  8   yeux, cela soulève aussi toute la question de ce qui nous demeure encore

  9   aujourd'hui caché de la situation et du rôle joué par l'accusé Vlatko

 10   Kupreskic à cette époque-là dans la région de Vitez.

 11   Ma troisième observation se rapporte au prétendu voyage effectué

 12   en Croatie la veille et l'avant-veille de l'agression du 16 avril 1993.

 13   Je ne consacrerai pas beaucoup de temps à cette question car

 14   l'accusé admet en fin de compte avoir été présent à Ahmici à compter de la

 15   fin d'après-midi du 15 avril, mais je voudrais souligner cependant que

 16   nous n'avons pas, à mon sens, reçu de preuve irréfutable de la réalité de

 17   ce voyage, et en particulier, aucune preuve documentaire tenant par

 18   exemple à des documents ou des contrats commerciaux ou bancaires qui

 19   auraient établi la réalité de ce voyage.

 20   Et surtout, le Tribunal se souvient que plusieurs des témoins de

 21   l'accusation ont rencontré Vlatko Kupreskic avant l'agression du 16 avril,

 22   dans les jours et la journée qui l'ont précédée, dans la région de Vitez

 23   et à Ahmici à un moment où l'accusé prétend avoir été en voyage. Je me

 24   réfère en particulier au témoin B, qui voit Vlatko Kupreskic plusieurs

 25   fois entre octobre 1992 et avril 1993 à l'hôtel Vitez, et la dernière fois


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  1   le 15 avril 1993, dans l'après-midi.

  2   Je me réfère au témoin L qui habite en bordure de la route qui

  3   monte vers Ahmici, non loin de la maison de Vlatko Kupreskic. Le témoin L

  4   a expliqué qu'il rentrait à pied de Zume le 15 avril entre 5 et 6 heures

  5   de l'après-midi, et qu'en allant vers sa maison il est passé devant le

  6   magasin Sutra et la maison de Vlatko Kupreskic. Devant le magasin Sutra il

  7   a vu Vlatko Kupreskic ainsi que d'autres personnes, une dizaine environ,

  8   qu'il ne connaissait pas. Sur le balcon de la maison de Vlatko Kupreskic,

  9   il a vu des soldats.

 10   Le témoin M voit le 15 avril, en fin de journée mais avant la

 11   tombée de la nuit, un camion s'arrêter près de la maison de Vlatko

 12   Kupreskic, des soldats en descendre et entrer dans la maison de l'accusé.

 13   Cette déclaration du témoin M est corroborée par le témoin O qui voit vers

 14   6 heures de l'après-midi le 15 avril des soldats, quatre à six soldats,

 15   entrer dans la cour de la maison de Vlatko Kupreskic.

 16   Par conséquent, nous ne pouvons pas croire que l'accusé Vlatko

 17   Kupreskic soit rentré à Ahmici le 15 avril au soir d'un voyage d'affaires

 18   en Croatie, ignorant tout de ce qui se tramait.

 19   Nous devons au contraire constater que sa maison et ses environs

 20   immédiats ont été utilisés pour les préparatifs de guerre et l'accusé, à

 21   supposer qu'il n'ait pas été autrement informé de ce qui se tramait, ne

 22   pouvait pas manquer de constater ces préparatifs de guerre et d'en

 23   comprendre, bien entendu, la signification.

 24   Je voudrais montrer aussi que l'accusé Vlatko Kupreskic ne

 25   pouvait pas ignorer l'utilisation par l'agresseur de sa maison dans


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  1   l'action conduite par les forces du HVO contre les populations civiles

  2   d'Ahmici.

  3   Il est parfaitement établi par de nombreux témoignages que la

  4   maison de l'accusé et ses environs immédiats ont été utilisés dès les

  5   premiers instants de l'agression et pendant pratiquement toute la journée

  6   du 16 avril par les forces du HVO. Cette maison a été utilisée comme base

  7   pour l'action conduite contre les maisons musulmanes des environs. Elle a

  8   été utilisée aussi pour refermer le piège sur ceux des civils musulmans

  9   qui tentaient de fuir vers le haut d'Ahmici.

 10   Nous nous souvenons que, dès les premières minutes de

 11   l'agression, les maisons du voisinage immédiat sont attaquées. Nous nous

 12   souvenons que les premiers civils qui tentent de fuir vers le haut

 13   d'Ahmici sont stoppés devant la maison de l'accusé et le magasin Sutra.

 14   Nous nous souvenons qu'au cours de la matinée du 16 avril

 15   plusieurs femmes, en particulier, sont tuées ou grièvement blessées devant

 16   cette maison.

 17   Le témoin W se retrouve piégé en contre-bas de la maison de

 18   Vlatko Kupreskic et doit y rester trois ou quatre heures. Son épouse

 19   reçoit là une balle dans la tête à laquelle elle ne survivra pas.

 20   Le témoin X est elle aussi piégée devant cette maison de

 21   8 heures du matin jusqu'à midi environ. L'une de ses filles est tuée, une

 22   autre de ses filles est blessée après que son mari ait été abattu sous ses

 23   yeux, à un autre endroit, d'une balle tirée à bout portant. Devant cette

 24   maison, le témoin X voit Slavko Sakic, fils de Niko Sakic, un habitant

 25   d'Ahmici, qui est en compagnie des soldats.


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  1   Le témoin BB confirme que la maison de Vlatko Kupreskic était un

  2   piège où ceux qui tentaient de fuir vers Ahmici-le-Haut étaient pris et

  3   que de nombreux soldats se trouvaient rassemblés devant cette maison. Le

  4   témoin BB a relaté qu'en début d'après-midi on peut entendre ces soldats

  5   se féliciter du bon travail accompli.

  6   Le major Dooley a constaté que vers 13 heures 30, le 16 avril,

  7   on opérait à partir des maisons Kupreskic avec du gros calibre, du

  8   calibre 50 ; et le témoin N a vu lui aussi une arme de gros calibre en

  9   position devant le magasin Sutra.

 10   L'accusé a prétendu que sa maison avait été utilisée à son insu

 11   et qu'il l'avait retrouvée pillée et abîmée par les soldats. Cette

 12   allégation n'a en aucune manière été prouvée au cours des débats.

 13   D'un document du 5 avril 1995 il apparaît que certains dommages

 14   ont été causés sur la maison, mais nous savons aussi que cette même maison

 15   a été cambriolée le 7 mai 1994 et qu'à cette occasion des dommages ont été

 16   causés sur la porte d'entrée et sur le balcon.

 17   L'accusé dit avoir quitté sa maison devenue inhabitable le

 18   16 avril 1993 et avoir vécu ensuite une vie de réfugié. Or, quelques jours

 19   après l'agression, le caporal Skillen, qui circule à pied dans le village,

 20   est surpris de voir sur la maison, sur le balcon de la maison de Vlatko

 21   Kupreskic une femme et un enfant assis qui -je cite le témoin- "semblaient

 22   vivre un jour tout à fait normal. Ils se comportaient comme si rien ne

 23   s'était passé dans le village d'Ahmici". Un peu après, en repassant devant

 24   cette même maison, le caporal Skillen a remarqué que deux adultes en

 25   uniforme avaient rejoint cette femme et cet enfant sur le balcon.


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  1   Le témoin G, caché dans une maison non loin de la mosquée basse,

  2   environ trois jours après le massacre, voit Vlatko Kupreskic sortir de sa

  3   voiture et entrer dans une maison ayant appartenu à un Musulman.

  4   Mais je voudrais aussi souligner que plusieurs témoins ont

  5   rapporté la familiarité de Franjo Kupreskic, père de Vlatko, avec les

  6   soldats. Le témoin W relate que, sa femme ayant reçu une balle dans la

  7   tête en contre-bas de la maison de Vlatko Kupreskic, il s'adresse en début

  8   d'après-midi à Franjo et lui demande une brouette pour transporter son

  9   épouse ou un instrument pour fabriquer un brancard. Franjo Kupreskic

 10   refuse, mais un soldat lui demande d'accepter et Franjo Kupreskic lui

 11   remet une hache avec laquelle il peut couper les branches et constituer un

 12   brancard.

 13   Le récit du témoin X qui, en début d'après-midi, elle aussi,

 14   décide de se rendre -si je puis employer ce mot- aux soldats avec les

 15   personnes qui l'accompagnent, nous permet de voir Franjo Kupreskic en

 16   compagnie de soldats du HVO et, visiblement, non pas menacé mais au

 17   contraire très à son aise. Il est même en position sinon de commandement,

 18   du moins d'influence à l'égard des soldats qui se trouvent déployés autour

 19   de cette maison.

 20   En conséquence, compte tenu de tous ces éléments et compte tenu

 21   en particulier de l'attitude qui a été celle du père de l'accusé, nous ne

 22   pouvons penser que cette maison a été utilisée à l'insu de l'accusé.

 23   Nous avons aussi, pour le confirmer, les dépositions de deux

 24   témoins, le témoin H et le témoin KL, selon lesquelles, en début de

 25   matinée, vers 6 heures ce matin du 16 avril, l'accusé Vlatko Kupreskic se


Page 11928

  1   trouve à proximité de sa maison.

  2   J'en viens maintenant au récit du témoin Q qui est, en ce qui

  3   concerne le crime spécifique reproché à l'accusé, évidemment le témoin

  4   principal. Le témoin Q vit avec Fata, son épouse, trois de ses enfants, sa

  5   belle-fille et trois des enfants de sa belle-fille.

  6   Entre 5 heures 20 et 5 heures 30 ce matin là, alors qu'il

  7   s'apprête à partir au travail, les tirs commencent. Il rassemble sa

  8   famille, il rassemble aussi la famille de son frère, et d'autres réfugiés

  9   les rejoignent. Ils quittent sa maison et rejoignent un garde-manger où

 10   ils demeurent un moment.

 11   Et ensuite, vers 8 heures 8 heures 30, formant un groupe de

 12   14 personnes environ et disposées en colonne, ils progressent vers le haut

 13   d'Ahmici. Toutes ces personnes sont en civil, aucune de ces personnes

 14   n'est armée, le témoin Q ferme la marche.

 15   Nous avons vu des photographies et des films des lieux où cette

 16   action s'est passée. Nous savons que le chemin monte une étroite vallée,

 17   qu'à leur gauche une colline allongée les sépare de la route et de la

 18   maison de Vlatko Kupreskic, et qu'à leur droite se trouve une autre

 19   colline, parallèle à la première mais plus élevée et plus longue.

 20   En progressant vers le haut, ces personnes se trouvent à un

 21   moment donné exposées aux soldats qui sont positionnés dans et autour de

 22   la maison de l'accusé Vlatko Kupreskic. Le groupe à ce moment-là

 23   entreprend de monter sur la colline à sa droite pour s'éloigner de la

 24   route où réside le danger.

 25   Et alors qu'ils parviennent au sommet de la colline, ils


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  1   entendent des injures, le témoin Q se retourne, il voit quatre hommes se

  2   tenant à proximité de la maison de Vlatko Kupreskic, trois soldats en

  3   uniforme de camouflage qu'il n'identifie pas et l'accusé, Vlatko

  4   Kupreskic, en habit civil. Tous sont armés. Vlatko Kupreskic porte son

  5   arme en position de tirs.

  6   Après les cris, ces quatre hommes, je veux dire les

  7   quatre hommes y compris l'accusé Vlatko Kupreskic, ouvrent le feu sur le

  8   groupe de personnes qui prend la fuite. Tout d'abord, la fille du témoin

  9   est blessée. Elle appelle sa mère, sa mère revient sur ses pas, sa mère

 10   est touchée de la même manière ainsi, pratiquement au même moment, que

 11   l'un des réfugiés qui fait partie de ce groupe de fuyards. A ce moment-là,

 12   le témoin Q traîne sa fille sur le versant opposé de la colline, de

 13   manière à la mettre à l'abri des tirs qui proviennent de la maison de

 14   Vlatko Kupreskic. Il revient ensuite vers son épouse et la traîne elle

 15   aussi jusqu'à l'endroit où il a laissé sa fille.

 16   Très longuement et par de nombreux témoins, par de nombreux

 17   documents aussi, la défense a entendu contester le lieu indiqué par le

 18   témoin Q comme étant celui où son épouse avait été tuée et sa fille

 19   blessée.

 20   Pour tenter d'établir que le groupe, au moment des tirs,

 21   progressait hors de vue de la maison de Vlatko Kupreskic, la défense s'est

 22   largement appuyée sur les déclarations du témoin CF. Mais nous savons que

 23   ce témoin CF, qui était un réfugié, ne connaissait pas la topographie des

 24   lieux, et les indications qu'il donne cinq ans plus tard à ce sujet

 25   manquent évidemment de crédibilité.


Page 11930

  1   Nous avons constaté que le récit du témoin Q sur le trajet suivi

  2   par son groupe et sur le lieu où se trouvaient son épouse et sa fille

  3   lorsqu'elles ont été, tuée pour la première et blessée pour la seconde, a

  4   été corroboré par les témoins P, R, S et T.

  5   Ces témoins nous ont indiqué que lorsqu'ils ont quitté la maison

  6   pour prendre la fuite vers le haut d'Ahmici, des tirs d'armes de gros

  7   calibre provenaient du sud, de la direction de la route principale, et que

  8   par conséquent, prendre par le sud de la colline comme le prétend la

  9   défense c'était s'exposer en terrain découvert et prendre des risques

 10   alors que l'autre voie paraissait à cet instant-là plus sûre.

 11   De plus, tous les témoins ont dit avoir fait une halte au garde-

 12   manger qui est un local creusé dans la colline, à une distance de 35 ou

 13   40 mètres de la maison du témoin Q, selon les indications données au

 14   Tribunal par Howard Tucker enquêteur au Bureau du Procureur.

 15   Les témoins ont dit tous qu'en sortant de ce local, ils ont pris

 16   à droite vers le haut d'Ahmici, ils n'ont pas pris à gauche pour revenir

 17   vers la maison du témoin Q ; et même pour la défense, le témoin CE, épouse

 18   du témoin CF, l'a confirmé.

 19   Et en définitive, le témoin CF lui-même est apparu devant le

 20   Tribunal comme manquant de souvenirs précis. Il a fait une déclaration en

 21   1998 selon laquelle on lui avait tiré dessus alors qu'il était en train de

 22   courir pour s'éloigner de la route et du magasin Sutra. Et sur le lieu où

 23   se trouvaient les personnes tuées et blessées appartenant à la famille du

 24   témoin Q, les témoins se sont vu corroborer par la découverte au sommet de

 25   cette colline, sur les indications du témoin Q, d'objets personnels dont


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  1   beaucoup ont été reconnus comme appartenant à leur famille par les

  2   témoins Q et R.

  3   La défense a également contesté que le témoin Q à la distance

  4   qui le séparait des tireurs ait pu reconnaître l'accusé Vlatko Kupreskic.

  5   On se souvient que pour la défense est apparu devant le Tribunal le

  6   professeur Wagenaar qui a dit que l'identification d'une personne à une

  7   distance de 60 mètres, si elle est possible, si elle demeure possible,

  8   présente un risque d'erreur notable de l'ordre de 50 %.

  9   On se souvient que cette distance qui séparait l'accusé du

 10   témoin, selon les déclarations et indications du témoin, a été mesurée à

 11   53 mètres. Mais il me semble que l'expérimentation sur laquelle se fonde

 12   le professeur Waagenaar n'est pas pertinente au regard de la situation

 13   d'espèce, puisque selon le protocole qu'il avait défini, il s'agissait de

 14   reconnaître parmi différents visages photographiés un visage aperçu

 15   quelques instants auparavant, lui aussi sur photographie.

 16   Nous devons constater que ce protocole d'expérience ne pouvait

 17   pas prendre en compte premièrement, la différence notable qui existe entre

 18   le fait de reconnaître un visage sur une photographie et le fait de

 19   reconnaître une personne réelle, en relief, en couleur, dont on peut voir

 20   la taille, l'allure, le mouvement, les gestes caractéristiques ; et

 21   deuxièmement, ne pouvait pas prendre en compte l'incidence du lien de

 22   familiarité, c'est-à-dire le fait que le témoin connaît parfaitement et

 23   depuis longtemps a souvent rencontré et aperçu la personne qu'il affirme

 24   avoir identifiée.

 25   La distance est évidemment un facteur important mais nous


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  1   n'avons pas, par la bouche du témoin, entendu dans quelle mesure

  2   précisément ce facteur pouvait être jugé important. Et nous devons bien

  3   constater que les observations et les travaux du professeur Waagenaar ne

  4   sont pas pour nous d'un grand secours. Nous nous trouvons renvoyés à notre

  5   expérience personnelle et nous savons par expérience personnelle qu'il

  6   nous est facile de reconnaître sans erreur une personne familière par sa

  7   nature, son allure, sa morphologie autant que par les traits de son

  8   visage, même si nous la voyons à une grande distance.

  9   J'ajoute que le témoin Q a été partiellement corroboré par le

 10   témoin S qui a vu un civil et trois soldats, et j'ajoute enfin que je

 11   crois que le témoin Q a fait ici la preuve de sa fiabilité ; aucune sorte

 12   d'incohérence, aucune sorte de contradiction n'a été relevée dans

 13   l'ensemble de son témoignage.

 14   L'accusé Vlatko Kupreskic a bien entendu fait état ici d'un

 15   alibi, et nous avons entendu plusieurs témoins dont son épouse pour

 16   établir la réalité de cet alibi. Mais, sans m'attarder au détail des

 17   incohérences et des incertitudes qui subsistent, je voudrais dire très

 18   brièvement pour quelles raisons nous ne pouvons pas croire à son récit.

 19   Tout d'abord, il existe de très importantes discordances entre

 20   la déclaration faite au Bureau du Procureur le 11 juin 1998 par l'accusé

 21   et les témoignages que nous avons reçus à l'audience, en particulier sur

 22   l'heure à laquelle il rejoint sa maison et sur la présence de soldats dans

 23   ou autour de sa maison.

 24   Sont apparues aussi de très graves incohérences relatives aux

 25   raisons pour lesquelles il quitte l'abri et rejoint sa maison. Il a dit au


Page 11933

  1   cours de son témoignage s'être inquiété pour son père qu'il avait dû

  2   laisser seul, en raison de son état physique. Or, dans une lettre écrite

  3   au Procureur de ce Tribunal en novembre 1997, l'épouse de l'accusé écrit

  4   que son mari qui se trouvait avec elle dans l'abri a reçu l'ordre de se

  5   rendre à la maison de Niko Sakic où il devait s'occuper des blessés.

  6   Et de fait, selon le témoignage reçu par ce Tribunal de la part

  7   de l'accusé et de la part de Niko Sakic, c'est bien dans la maison de ce

  8   dernier que se rend l'accusé Vlatko Kupreskic après avoir quitté l'abri.

  9   Et par conséquent, il ne semble pas que sa préoccupation ait été alors de

 10   rejoindre son père ; d'autant d'ailleurs que nous savons par d'autres

 11   témoins de l'accusation que le père de l'accusé n'était en aucune manière

 12   dans une situation de danger et que son état de santé lui aurait permis,

 13   sans aucun doute possible, de rejoindre l'abri comme il l'a fait

 14   d'ailleurs dans l'après-midi.

 15   Il semble donc que l'accusé ait reçu des ordres, des ordres de

 16   s'occuper des blessés. Et nous avons à cet égard une dernière

 17   interrogation qui est celle de savoir pourquoi l'accusé n'apparaît pas

 18   quand le corps de Mirjan Santic par exemple est transporté vers Zume, ou

 19   quand Nikola Omazic est blessé puisque ni Zoran Kupreskic ni son frère

 20   Mirjan ni aucune des personnes qui les accompagnent n'aperçoivent au cours

 21   de cette journée l'accusé Vlatko Kupreskic.

 22   Ce qui fait que, me semble-t-il, compte tenu de l'ensemble de

 23   ces contradictions, encore une fois, il apparaît que nous n'avons que très

 24   peu d'idées sur le rôle joué effectivement par l'accusé Vlatko Kupreskic

 25   au cours de cette journée et que tout indique qu'il était, en tout cas,


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  1   très étroitement associé à la conduite de l'agression par le HVO et, en

  2   tout cas, présent aux alentours de 8 heures 30 devant sa maison lorsque

  3   des fuyards ont été visés et pour certains d'entre eux tués et blessés.

  4   Compte tenu de l'ensemble de ces éléments réunis par

  5   l'accusation et que j'évoque bien entendu brièvement, je demande au

  6   Tribunal de déclarer l'accusé coupable pour les chefs d'accusation

  7   numéro 1 et numéros 12 à 15.

  8   J'en viens maintenant à la situation...

  9   M. le Président. - Peut-être pourrions-nous faire une pause de

 10   dix minutes, mais seulement dix minutes, sinon vous n'arriverez pas à

 11   finir.

 12   M. Terrier. - Très volontiers, Monsieur le Président.

 13   (L'audience, suspendue à 12 heures 10, est reprise à

 14   12 heures 25.)

 15   M. le Président. – Maître Terrier.

 16   M. Terrier. – Merci, Monsieur le Président. J'en viens

 17   maintenant aux charges retenues contre l'accusé Dragan Papic. Je pense que

 18   l'accusation a établi contre lui sa participation personnelle et active

 19   aux faits de persécution commis le 16 avril contre la population civile

 20   musulmane d'Ahmici.

 21   En premier lieu, j'évoquerai son engagement nationaliste. Je me

 22   réfère à tous les témoins de l'accusation -et ils sont nombreux- qui ont

 23   déclaré de manière unanime qu'avant avril 1993 ils voient couramment

 24   Dragan Papic porter un uniforme noir et porter un fusil.

 25   Tous ces témoins ont dit aussi que le comportement de


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  1   Dragan Papic à leur égard, c'est-à-dire à l'égard des Musulmans, est

  2   clairement menaçant, intimidant.

  3   En deuxième lieu, je me réfère au document 371 qui est le

  4   registre des membres du HDZ pour la période de septembre 1991 à

  5   avril 1992. Le nom de l'accusé comme membre du parti HDZ y figure et sa

  6   signature valide ces indications.

  7   Je veux faire valoir ensuite que l'accusé Dragan Papic est à

  8   cette époque un membre actif d'une unité militaire du HVO.

  9   Je me réfère à plusieurs témoignages et en particulier à des

 10   témoignages reçus de la défense. Pour la défense, le témoin Zvonimir

 11   Santic a déclaré que le 20 octobre 1992 vers 8 heures du matin, il voit

 12   Dragan Papic qui porte un mortier M60 et un sac et qui dit avoir reçu de

 13   Nenad Santic l'ordre d'aller jusqu'à Njive. Ceci a été confirmé par la

 14   défense de l'accusé au cours de la déclaration liminaire.

 15   Il apparaît donc que, le 20 octobre 1992, l'accusé exécute des

 16   ordres à caractère militaire et utilise une arme de guerre puisque, bien

 17   entendu, l'utilisation d'un mortier est une prérogative militaire et non

 18   pas une occupation civile.

 19   Le témoin B a évoqué un barrage installé à Ahmici devant la

 20   maison de l'accusé Dragan Papic en novembre 1992. Sur ce barrage, on peut

 21   voir des sacs de sable placés en chicane et un fusil mitrailleur.

 22   Nenad Santic est présent ainsi que Mario Cerkez et Dragan Papic et au

 23   terme d'une négociation, Dragan Papic donne aux soldats l'ordre de

 24   démonter le barrage. C'est donc lui qui est au commandes du barrage selon

 25   la déposition du témoin B.


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  1   Avant le 16 avril 1993, la maison de Dragan Papic est couramment

  2   utilisée comme base par les forces armées du HVO. Elle est encore utilisée

  3   en octobre 1992 puisque, selon les témoins, et en particulier je me réfère

  4   au témoin D et au témoin Mehmed Ahmic, des tirs peuvent être vus de cette

  5   maison, et notamment le témoin Mehmed Ahmic a indiqué qu'il avait essuyé

  6   des tirs de l'accusé lui-même alors revêtu d'un uniforme noir et armé d'un

  7   fusil automatique.

  8   En janvier 1993, le témoin Fahrudin Ahmic a vu l'accusé

  9   accompagné d'autres personnes transporter du matériel militaire hors de sa

 10   maison.

 11   Le témoin B a vu, après octobre 1992, des armes lourdes

 12   stationner à proximité de la maison de Dragan Papic. Cette maison est donc

 13   couramment le centre d'une activité militaire.

 14   D'autres éléments soumis par l'accusation -et parfois même par

 15   la défense- établissent l'appartenance de l'accusé à une unité militaire.

 16   Je me réfère au document D 18/2 daté de février 1993, au vu duquel

 17   l'accusé apparaît sur la liste des personnels du deuxième bataillon de la

 18   brigade de Vitez. Le nom de Dragan Papic y figure avec cette précision que

 19   son incorporation remonte à juin 1992.

 20   Le 16 avril 1993, la maison de l'accusé est utilisée comme en

 21   octobre 1992, comme base de feu et base d'appui par les forces croates.

 22   Plusieurs témoins ont rapporté qu'une importante activité militaire était

 23   déployée le 16 avril 1993 au cours de cette maison.

 24   Je me réfère au témoin Fahrudin Ahmic qui a déposé pour

 25   l'accusation ainsi qu'au témoin A qui a vu une mitrailleuse le


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  1   16 avril 1993 en position à proximité de la maison de Dragan Papic.

  2   Dragan Papic est présent dans le village le 16 avril 1993, il prend part à

  3   l'agression conduite contre les populations civiles musulmanes.

  4   Le témoin G a déclaré qu'au cours de la matinée du 16 avril sur

  5   le seuil de la maison de Hussein Ahmic, dont le cadavre gît à ce moment-là

  6   sur le sol, à une dizaine de mètres de lui, il voit Dragan Papic debout.

  7   Dragan Papic est revêtu d'un uniforme, il porte un fusil, d'autres soldats

  8   se trouvent près de lui et le témoin reverra Dragan Papic au cours de

  9   l'après-midi en compagnie d'autres soldats.

 10   Ce témoignage est apparu crédible compte tenu de ce que le

 11   témoin G connaissait parfaitement Dragan Papic pour être depuis longtemps

 12   un très proche voisin, et sur l'ensemble de sa déclaration, ce témoin ne

 13   s'est pas livré à des contradictions ou à des incohérences.

 14   Le témoin A a vu Dragan Papic le lendemain, le 17 avril,

 15   toujours en uniforme noir, debout devant sa maison à côté d'une

 16   mitrailleuse, en compagnie d'autres soldats et selon le témoin A, l'accusé

 17   a alors fait des plaisanteries aux dépens des réfugiés musulmans qui

 18   étaient emmenés en direction d'un centre de détention.

 19   La défense nous a indiqué par la voie de ses témoins -pas par la

 20   voix de Dragan Papic qui a choisi de ne pas s'exprimer- que l'accusé était

 21   ignorant de ce qui se tramait le 16 avril à Ahmici et qu'il ne se trouvait

 22   pas de toute la journée du 16 avril à Ahmici, mais sur le pont de Radak où

 23   il était chargé de monter une garde.

 24   Tout d'abord, pour répondre à cette thèse de la défense, je

 25   voudrais souligner que compte tenu de l'étroitesse des liens qui unissent


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  1   Dragan Papic au HVO, compte tenu de ce qu'a été son rôle en particulier au

  2   cours du conflit d'octobre 1992, compte tenu de l'utilisation qui est

  3   faite de sa maison, l'ignorance prétendue est a priori peu crédible.

  4   Sa présence prétendue sur le pont de Radak appelle évidemment un

  5   certain nombre d'observations. Nous avons reçu le témoignage d'Ivo Vidovic

  6   pour la défense, qui a vu arriver Dragan Papic vers 6 heures 30, non pas

  7   d'Ahmici, mais de Rovna et nous avons reçu aussi le témoignage de

  8   Zvonimir Santic.

  9   L'un et l'autre témoin, Ivo Vidovic et Zvonimir Santic, ont dit

 10   avoir été là en exécution d'ordres très stricts. Ces ordres incluaient le

 11   fait qu'ils ne devaient en aucune manière s'éloigner du pont de Radak. Il

 12   apparaît que ces hommes, ces deux témoins en particulier ainsi que

 13   l'accusé qui les accompagnait, sont devenus donc le 16 avril, aux

 14   premières heures du 16 avril, des soldats. Mais n'a pas été résolu au

 15   cours de ces débats par les témoins de la défense la question de savoir

 16   quand ces hommes sont devenus des soldats, quand Nenad Santic a-t-il pu

 17   donner des ordres à Dragan Papic ?

 18   Nous nous souvenons du témoignage du frère cadet de l'accusé

 19   Goran Papic, qui a dit que Dragan avait avec sa famille pris la fuite dans

 20   la forêt qui jouxte sa maison ; puis ensuite, qu'il avait emmené les

 21   femmes de la famille vers Rovna par le pont de Radak. Et quand il en

 22   revient, il s'arrête pour entamer sa garde. Et selon le témoin, ce n'était

 23   pas ce matin-là du 16 avril que son frère avait pu rencontrer Nenad Santic

 24   et recueillir les ordres qu'il a exécutés.

 25   Nous devons donc considérer même si la crédibilité du témoin


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  1   Goran Papic a paru plus que suspecte, que si Dragan Papic comme le prétend

  2   la défense a reçu instructions de monter la garde sur le pont, ces

  3   instructions n'ont pu lui être données le matin après le début du tir mais

  4   seulement avant et probablement la veille de l'agression du 16 avril.

  5   Il est possible que l'accusé ait passé une partie et les jours

  6   suivant le 16 avril, une partie de la journée du 16 avril et les jours

  7   suivants sur le pont de Radak, mais il est aussi établi par les témoins de

  8   l'accusation qu'il se trouvait bien au milieu du village le 16 avril et

  9   sur les lieux de tueries indiscutables comme celles de Husein Ahmic et de

 10   la famille du témoin G.

 11   Par conséquent, l'accusation pense avoir démontré que l'accusé

 12   s'est associé à la cause du nationalisme des Croates de Bosnie, qu'il

 13   s'est associé aux forces armées du HVO quelles que soient les modalités

 14   juridiques de cette association, qu'il était inséré dans une chaîne de

 15   commandement, qu'il était nécessairement informé de ce qui se tramait

 16   avant le début de l'agression, qu'il avait évacué sa famille et qu'il

 17   était présent le 16 avril à Ahmici en uniforme et porteur d'une arme.

 18   L'accusation demande au Tribunal de le déclarer coupable sur le

 19   chef d'accusation n° 1 c'est-à-dire de persécution.

 20   J'en viens maintenant à la situation de l'accusé

 21   Drago Josipovic. L'accusation pense avoir démontré la réalité de son

 22   engagement nationaliste même si son tempérament est évidemment moins

 23   expressif que celui de Dragan Papic. Son nom figure sur la liste des

 24   membres du HDZ et les liens familiaux notoires qui l'unissent notamment à

 25   Nenad Santic, même s'ils ne l'impliquent pas personnellement, dressent un


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  1   contexte qui ne peut pas être méconnu.

  2   De la même manière, son implication dans les unités armées du

  3   HVO a été établie. On se souvient que l'accusé est mentionné sur le

  4   registre du HVO pour la période du 8 avril 1992 au 15 octobre 1995, et la

  5   réalité de sa signature n'a pas été, je crois, contestée.

  6   S'agissant de son implication dans l'agression conduite le

  7   16 avril contre les Musulmans d'Ahmici, je ferai valoir les éléments

  8   d'appréciation suivants. Premièrement, il n'est pas contesté que l'accusé

  9   se trouvait le 16 avril au matin en uniforme et armé à l'extérieur de sa

 10   maison lorsque commencent les tirs, lorsque commence l'agression. De très

 11   nombreux témoins à la fois pour la défense et pour l'accusation ont

 12   rapporté ce fait.

 13   Nous ne savons pas, par les témoins de la défense, ce qui a

 14   conduit Drago Josipovic à quitter sa maison au petit matin de ce 16 avril

 15   avant le début de l'agression en uniforme et armé alors qu'il prétend

 16   avoir tout ignoré de ce qui allait se passer. Nous ne savons pas, par les

 17   témoins de la défense, ce qui l'a conduit à rejoindre le témoin DG, si

 18   c'est ce qu'il a fait, et ensuite à se diriger vers le lieu d'où

 19   proviennent les tirs lorsque commence l'agression.

 20   Mais nous sommes invités bien évidemment à conclure que

 21   Drago Josipovic sait ce qui va se passer et que s'il est dehors en

 22   uniforme et armé avant que cela commence, c'est qu'il a l'intention d'y

 23   prendre part. Quand il rejoint le témoin DG, sa famille se trouve à

 24   l'abri. Elle aurait trouvé refuge à Rovna, selon ce témoin DG, mais nous

 25   ne savons pas quand elle s'y est rendue ni par quel moyen.


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  1   Le témoin Z a par ailleurs relaté que dans l'après-midi du

  2   16 avril, vers 16 heures 30, alors qu'il se trouvait auprès de la grande

  3   route, il a aperçu au moment où il embarquait dans un véhicule du

  4   Bataillon britannique Drago Josipovic à la tête de quatre hommes au bord

  5   de la route. Tous sont en uniforme de camouflage, tous armés de fusils

  6   automatiques, et compte tenu de la parfaite connaissance qu'a le témoin Z

  7   de l'accusé aucune possibilité d'erreur ou de confusion n'a pu s'élever

  8   puisque ce groupe de soldats se trouvait à une vingtaine de mètres de lui.

  9   Ce même témoin Z a déclaré devant votre Tribunal que, peu avant

 10   d'embarquer dans le véhicule du Bataillon britannique, il a aperçu un

 11   certain Aladin Karahoda qui se trouvait dans l'enceinte de l'entreprise

 12   Ogrev et qui lui faisait des signes. Le témoin André Kujawinski, sergent

 13   du Bataillon britannique, a pris une photographie de ces instants. Il a

 14   confirmé que, au moment où un certain nombre de victimes, de réfugiés,

 15   embarquaient dans un des véhicules du Bataillon britannique, il a remarqué

 16   un jeune homme très effrayé qui a réussi à sortir du bâtiment Ogrev après

 17   avoir essayé d'ouvrir sans succès la porte de l'enceinte. Il a dû passer

 18   sous cette porte en rampant.

 19   Nous savons que ce Aladin Karahoda, qui est depuis décédé, a eu

 20   par la suite l'occasion de relater dans quelles circonstances il s'était

 21   trouvé enfermé dans l'enceinte de l'entreprise Ogrev. Le témoin BB qui,

 22   comme le témoin Z, a embarqué dans l'un des véhicules de la Forpronu, a

 23   déclaré qu'Aladin lui avait relaté que Drago Josipovic l'avait enfermé

 24   dans ce bâtiment alors qu'il se trouvait accompagné de soldats, lui avait

 25   coupé le téléphone et l'avait menacé.


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  1   Autre élément d'appréciation que je veux soumettre au Tribunal :

  2   les soldats qui agissent dans ce quartier d'Ahmici viennent de la maison

  3   de l'accusé. Nous le savons de manière certaine par la déposition du

  4   témoin CA et par la déposition du témoin CB, et ceci nous montre que

  5   l'accusé en quittant sa maison le 16 avril au matin ne pouvait pas avoir

  6   manqué d'apercevoir ces soldats ni de comprendre ce qui allait se passer

  7   s'il n'en était pas autrement informé.

  8   Il est apparu aussi au cours de ces débats que des Musulmans,

  9   femmes, enfants et personnes âgées sont détenus au cours de cette journée

 10   du 16 avril 1993 dans la maison du témoin DG avant d'être transférés vers

 11   l'école de Dubravica. Et nous avons pu constater que l'accusé

 12   Drago Josipovic a concouru activement à cette détention de réfugiés

 13   musulmans.

 14   La défense a bien entendu essayé de faire valoir que ce

 15   regroupement de Musulmans dans la maison du témoin DG avait un caractère

 16   humanitaire et charitable. En réalité, nous avons constaté que ces

 17   Musulmans ont été regroupés dans une seule maison et dans aucune autre ;

 18   que ces Musulmans ont rencontré dans cette maison des conditions

 19   extrêmement difficiles. Selon le témoin DG lui-même, 38 personnes ont été

 20   rassemblées dans deux pièces de 9 mètres carrés. Les réfugiés, a dit le

 21   témoin -je le cite- "étaient debout comme des allumettes l'un à côté de

 22   l'autre".

 23   Le témoin DG et Drago Josipovic sont très présents autour de

 24   cette maison dans la journée du 16 ainsi que le 17 avril, le lendemain.

 25   Ils viennent dans la maison, ils requièrent les hommes présents de sortir


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  1   pour aller collecter des cadavres. Ils font, selon le témoin CA, référence

  2   à leurs ordres. Nenad Santic vient aussi dans cette maison. Le lendemain

  3   17 avril, toutes les personnes rassemblées dans la maison du témoin DG

  4   sont transférées à Zume dans une autre maison et puis le jour suivant, ils

  5   seront transférés à l'école de Dubravica. C'est lorsqu'ils se trouvent à

  6   Zume que quatre personnes sont appelées par les soldats et disparaissent

  7   ensuite à tout jamais. Drago Josipovic accompagne le transfert de ces

  8   réfugiés musulmans, il refuse au témoin CA qui exprime la volonté de

  9   rester, le droit de rejoindre sa maison.

 10   Il est possible que certains réfugiés musulmans dans cette

 11   maison n'aient pas eu le sentiment d'avoir été détenus, il est possible

 12   que certains d'entre eux aient considéré que cette maison, après l'enfer

 13   du début de matinée, était un refuge. Mais nous devons constater que tout

 14   simplement ils n'avaient pas le choix et c'est bien ce que le témoin CB

 15   nous a dit : "Nous n'avions pas d'autre solution, tout simplement ".

 16   Par conséquent, cette maison était un centre de détention, de

 17   transit, et l'accusé Drago Josipovic a joué un rôle très actif dans cette

 18   détention. Il est clair que, ce faisant, il a pris une part active à

 19   l'opération du HVO dont le caractère de persécution est tout à fait

 20   établi.

 21   Je me réfère maintenant à la déposition du témoin DD, dont le

 22   fils de 15 ans et l'époux sont exécutés alors que, selon son témoignage,

 23   Drago Josipovic se trouve sur les lieux. Le témoin a déclaré, et le

 24   Tribunal s'en souvient, dans quelles circonstances son fils de 15 ans et

 25   son époux avaient été emmenés par les soldats et exécutés.


Page 11944

  1   Elle a déclaré que Drago Josipovic se trouvait sur les lieux de

  2   ces faits. Elle a affirmé avoir vu son visage, en particulier lorsqu'à un

  3   moment donné, Drago Josipovic a soulevé sa cagoule pour s'essuyer le

  4   front.

  5   Elle a affirmé avoir entendu à deux reprises sa voix. Une

  6   première fois, lorsque le témoin se bat avec un soldat, Drago Josipovic

  7   intervient et ordonne aux soldats de la laisser tranquille. Il apparaît

  8   d'ailleurs que Drago Josipovic est à cet instant en situation de

  9   commandement des soldats qui l'accompagne.

 10   Une deuxième fois, lorsqu'elle est emmenée dans une étable et

 11   enfermée dans cette étable, elle entend la voix de Drago Josipovic qui

 12   recommande aux soldats d'une maison proche appartenant à un Croate qu'elle

 13   soit épargnée. Là encore, Drago Josipovic est en position d'influence ou

 14   de commandement à l'égard des soldats qui l'accompagnent.

 15   Et enfin, je me réfère au témoignage du témoin EE et lorsque

 16   j'évoque ce témoignage, j'évoque en réalité les charges qui pèsent à la

 17   fois contre Drago Josipovic et contre l'accusé Vladimir Santic. Nous nous

 18   souvenons du récit du témoin EE, nous nous souvenons que sa maison est à

 19   très courte distance de celle du témoin DD, nous nous souvenons que le

 20   témoin EE a reconnu parmi les agresseurs qui se sont présentés devant sa

 21   maison notamment les accusés Vladimir Santic et Drago Josipovic, tous les

 22   deux comme les autres soldats présents habillés d'un uniforme de

 23   camouflage. Vlado Santic, selon le témoin, porte à cet instant un casque

 24   avec une personne dont le nom est Zeljo Livancic que nous connaissons. Il

 25   emmène son mari et le témoin ne le reverra jamais.


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  1   Le témoin a indiqué que, dans les instants qui ont suivi,

  2   lorsqu'elle quitte sa maison à laquelle on met le feu, elle doit avoir

  3   affaire avec l'accusé Drago Josipovic qui lui dit où elle doit se rendre

  4   ainsi qu'une nouvelle fois à Vlado Santic qu'elle voit passer à 3 mètres

  5   d'elle.

  6   Lorsque la nuit tombe, elle voit Drago Josipovic une nouvelle

  7   fois en uniforme et en armes ainsi que les témoins DG et DH.

  8   Le témoin EE a identifié Drago Josipovic devant ce Tribunal,

  9   elle a dit l'avoir vu à courte distance à plusieurs reprises le 16 et le

 10   17 avril sur les lieux où son mari a été emmené, puis exécuté, et pendant

 11   le cours de l'agression.

 12   Elle a dit avoir connu de longue date Drago Josipovic, par

 13   conséquent, n'avoir pu commettre une possible erreur ou une possible

 14   confusion.

 15   De la même manière, elle a identifié l'accusé Vladimir Santic

 16   qu'elle a vu à deux reprises et à courte distance ce matin du 16 avril et

 17   qu'elle connaît bien.

 18   L'accusation affirme que, sur les aspects essentiels de son

 19   témoignage, le témoin a fait la preuve de sa crédibilité. Nous disons au

 20   Tribunal que, bien entendu, il appréciera la portée de cette crédibilité

 21   et de ce témoignage. Je sais que la défense conteste les déclarations du

 22   témoin en faisant valoir en particulier qu'elle a cité trois personnes qui

 23   ne pouvaient pas être présentes, selon elle, ce 16 avril à Ahmici, et je

 24   veux parler de Stipo Alilovic, Zeljo Livancic et Marinko Katava.

 25   Je veux simplement souligner pour ce qui concerne Stipo Alilovic


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  1   que la preuve n'a pas été établie au cours de ces débats et en particulier

  2   par les témoins appelés par la défense, que Stipo Alilovic qui se trouvait

  3   avec sa famille à Amsterdam depuis le mois de mars 1992, n'avait pas pu

  4   quitter la Hollande pour rejoindre la Bosnie au début de l'année 1993 et

  5   en particulier aux alentours du mois d'avril 1993.

  6   Le Tribunal appréciera ce point, de même qu'il appréciera la

  7   portée des déclarations du témoin CD qui a déclaré devant ce Tribunal que

  8   Marinko Katava se trouvait bien à Vitez le 16 avril aux alentours de

  9   5 heures 30 et qui a affirmé aussi l'avoir revu entre 9 heures et

 10   9 heures 30.

 11   L'accusation, sur ces deux points, ne veut pas spéculer

 12   davantage. En revanche, nous affirmons que pour ce qui concerne

 13   Zeljo Livancic, nous avons suffisamment d'éléments et suffisamment

 14   d'éléments que nous tenons même de certains des témoins de la défense,

 15   pour dire que Zeljo Livancic, très probablement, pratiquement

 16   certainement, se trouvait bien le 16 avril au matin à Ahmici et se

 17   trouvait engagé dans l'action conduite par le HVO contre la population

 18   civile d'Ahmici.

 19   En toute hypothèse, sur les points que je viens d'évoquer, il ne

 20   semble pas que le témoin, que la crédibilité du témoin EE se trouve

 21   compromise. Nous avons à l'encontre de l'accusé Drago Josipovic un certain

 22   nombre de preuves qui sont précises et convergentes. Nous avons les

 23   preuves que, par son comportement et par ses actes, il a pris une part

 24   personnelle à l'agression qui a été conduite contre les civils musulmans

 25   d'Ahmici, qu'il s'est impliqué de manière très active et personnelle dans


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  1   la détention illégale d'un nombre important de Musulmans et, de la même

  2   manière, dans l'assassinat de l'époux du témoin EE, qu'il était présent

  3   sur les lieux lorsque des membres de la famille du témoin DD ont été

  4   emmenés et exécutés.

  5   Du récit des témoins il apparaît que Drago Josipovic était

  6   parfaitement conscient des raisons de sa présence, du sort réservé à la

  7   famille du témoin EE comme à la famille du témoin DD et qu'en conséquence

  8   il a, activement et en pleine connaissance de cause, concouru à la

  9   réalisation des buts criminels poursuivis par les agresseurs.

 10   J'en viens maintenant à l'accusé Vladimir Santic. Vladimir

 11   Santic, c'est l'évidence, se distingue des autres accusés en ce sens qu'il

 12   n'est pas un résident d'Ahmici, d'une part, et d'autre part en ce sens

 13   qu'il exerce à cette époque-là d'importantes responsabilités militaires.

 14   Le rôle de commandement de l'accusé Vladimir Santic a été établi, et

 15   d'ailleurs non contesté par la défense, et je crois que nous pouvons

 16   considérer que Vladimir Santic, policier de formation, membre de la police

 17   militaire du HVO, exerçait bien depuis janvier 1993 les responsabilités de

 18   commandant de la 1ère Compagnie du 4e Bataillon de police militaire, unité

 19   comprenant notamment le peloton dit "antiterroriste" des Jokers.

 20   Nombre de témoins entendus par le Tribunal, nombre de documents

 21   reçus par le Tribunal ont établi ce rôle militaire et de commandement

 22   exercé alors par l'accusé Vladimir Santic. Je me réfère en particulier au

 23   récit du témoin AA, qui était un subordonné de l'accusé, et qui a indiqué

 24   au Tribunal que Vladimir Santic exerçait un commandement extrêmement

 25   étroit sur les unités placées sous ses ordres, et en particulier sur


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  1   l'unité qui devait prendre le nom d'unité des Jokers, peloton à la tête

  2   duquel la désignation d'Anto Furundzija comme chef a été approuvée par

  3   l'accusé.

  4   Selon le récit du témoin AA, il est apparu aussi que le chef de

  5   ce peloton des Jokers, Anto Furundzija, ne pouvait agir sans les ordres ou

  6   sans l'approbation de Vladimir Santic, commandant de la compagnie, et que

  7   Vladimir Santic était très présent auprès de ses hommes, et en particulier

  8   auprès du Bungalow.

  9   Nous avons d'autres confirmations de ce fait : nous avons

 10   certains des ordres écrits émis par l'accusé Vladimir Santic -je me réfère

 11   au document 390. Nous avons la preuve aussi, et c'est important, que

 12   Vladimir Santic exerçait sur ses hommes le pouvoir disciplinaire lorsqu'il

 13   l'estimait utile et nécessaire.

 14   Nous savons qu'après le 16 avril, avant et après le 16 avril et

 15   le 16 avril lui-même, l'accusé Vladimir Santic s'est trouvé présent, a été

 16   vu au Bungalow auprès de ses hommes de l'unité dite des Jokers.

 17   Nous savons aussi que Vladimir Santic n'a pas exercé ses

 18   responsabilités de commandement d'une manière impartiale et avec un souci

 19   normal de ses devoirs de responsable public. Le témoin AA l'a décrit comme

 20   particulièrement indulgent, voire totalement passif à l'égard d'exactions,

 21   d'ailleurs sérieuses et répétées comme le pillage, le vol, commises au

 22   préjudice des Musulmans, parfois par des membres de son unité.

 23   Nous nous souvenons de l'incident grave constitué par

 24   l'arrestation de Miroslav Bralo pour l'assassinat d'Esad Sakic. Bralo a

 25   été arrêté, détenu quelques temps à la prison de Kaonik dans des


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  1   conditions d'ailleurs confortables, et ensuite libéré avec la

  2   bienveillance active ou passive de Vladimir Santic.

  3   Le rôle des Jokers au cours de la journée du 16 avril 1993 à

  4   Ahmici a été établi par de très nombreux témoignages, non seulement des

  5   victimes de l'agression -Abdullah Ahmic, le témoin E, le témoin A, le

  6   témoin F, CA, G et GG-, mais aussi par des membres du Bataillon

  7   britanniques qui sont entrés dans Ahmici ou qui sont passés devant le

  8   Bungalow au cours de cette journée du 16 avril. Je pense au témoignage

  9   d'André Kujawinski qui, devant le Bungalow au cours de l'après-midi du

 10   16 avril, a vu un certain nombre de soldats portant des toasts et

 11   paraissant très heureux, ce qui l'a conduit évidemment à considérer qu'ils

 12   étaient impliqués dans l'agression commise contre Ahmici.

 13   Et nous nous souvenons aussi du témoignage de Lee Withworth qui

 14   a rencontré des hommes du Bungalow, plus tard, et à qui il a semblé que,

 15   de manière implicite, les Jokers revendiquaient leur -je cite entre

 16   guillemets bien entendu- "victoire militaire à Ahmici".

 17   La présence de Vlado Santic à Ahmici le 16 avril 1993 auprès de

 18   ses hommes a, elle aussi, été établie au-delà de tout doute raisonnable et

 19   en particulier par les considérations soumises au Tribunal par le

 20   brigadier Asim Dzambasovi. Ce témoin, en se référant aux principes qui

 21   régissent le fonctionnement des armées dans tous les pays du monde, a

 22   expliqué qu'un chef de peloton tel qu'Anto Furundzija ne peut référer à sa

 23   hiérarchie qu'à travers son commandement de compagnie et que, inversement,

 24   tout ordre donné au peloton ne peut l'être que par la voie du commandant

 25   de compagnie.


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  1   Il nous a expliqué aussi qu'un commandant de compagnie à le

  2   devoir de veiller concrètement à la bonne exécution de l'ordre qu'il donne

  3   ou qu'il transmet et, qu'à cette fin, il est requis de se trouver présent

  4   sur le terrain avec ses hommes.

  5   De ces principes élémentaires applicables dans toutes les

  6   armées, nous devons conclure que des ordres illégaux ont été donnés aux

  7   Jokers, premièrement. Deuxièmement, que ces ordres illégaux ont été donnés

  8   par ou par l'intermédiaire de l'accusé Vlado Santic, et troisièmement que

  9   ces ordres, bien entendu, ne pouvaient comporter aucune trace écrite.

 10   Enfin, que le commandant de compagnie ne pouvait qu'accompagner ses hommes

 11   sur le terrain, c'est-à-dire, en l'espèce, être physiquement présent le

 12   16 avril 1993 à Ahmici.

 13   Par conséquent, par ses responsabilités à la tête de la

 14   1ère Compagnie du 4e Bataillon de police militaire, Vlado Santic se trouve

 15   étroitement impliqué dans les faits de persécution, l'opération de

 16   nettoyage ethnique. Il est le donneur d'ordres, c'est-à-dire qu'au moins,

 17   au moins, s'il a reçu des directives générales, il les a transmises malgré

 18   leur caractère manifestement illégal et il les a complétées de ses ordres

 19   d'exécution.

 20   Mais la contribution aux crimes commis à Ahmici par l'accusé est

 21   plus vaste encore puisque l'accusé était présent le 16 avril aux premières

 22   heures de la journée devant la maison du témoin EE et en compagnie de ses

 23   hommes.

 24   J'ai déjà examiné le témoignage de EE, je n'y reviens pas, je

 25   dois seulement rappeler que, pour ce qui concerne le rôle joué par


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  1   l'accusé Vladimir Santic, les déclarations du témoin EE sont corroborées,

  2   premièrement par le fait que le témoin CA a rapporté que le témoin EE, dès

  3   son arrivée dans ce centre de rassemblement et de détention, a mentionné

  4   le nom de l'accusé Vladimir Santic comme étant l'une des personnes qu'elle

  5   a vues autour de sa maison au moment où son époux a été assassiné. Et

  6   deuxièmement, le témoin CB cité par la défense a dit aussi d'une manière

  7   claire et formelle qu'elle se souvient que le témoin EE a mentionné ce

  8   16 avril le nom de Vlado Santic qui était venu devant sa porte et qui

  9   avait refusé de répondre à sa question lorsque le témoin EE lui avait

 10   demandé : "Que fais-tu là, Vlado ?"

 11   Dernier élément sur ce plan que je soumets : l'accusation a

 12   soumis au Tribunal un moyen de preuve tenant dans un film vidéo ; c'est la

 13   pièce 253 du Tribunal, de l'accusation du dossier du Tribunal. C'est un

 14   film tourné dans le cadre du Bungalow. Sur ce film, on peut voir l'accusé.

 15   Le témoin AA a reconnu de manière catégorique le lieu où le film a été

 16   tourné, c'est-à-dire le Bungalow, et a formellement identifié l'accusé

 17   Vladimir Santic. Comme il apparaît tant du commentaire que de la mention

 18   inscrite sur ce film, il a été tourné le 16 avril dans la soirée.

 19   Et nous savons que le témoin de la défense Davor Biletic a dit

 20   avoir vu Vladimir Santic et attesté de sa présence à 8 heures 30 ce

 21   16 avril au Bungalow au milieu de ces hommes.

 22   Je ne crois pas, compte tenu des charges réunies contre

 23   l'accusé, que la défense ait pu démontrer l'alibi qu'elle a prétendu

 24   soutenir par des témoins tels Ivica Franjic et Davor Biletic. Je n'évoque

 25   pas Ivica Franjic, qui n'a attesté de la présence de l'accusé à Vitez qu'à


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  1   6 heures 30, ce qui, évidemment, compte tenu de la très courte distance

  2   qui sépare Vitez d'Ahmici ne l'empêche pas de se trouver au début de

  3   l'agression devant la maison du témoin EE.

  4   Quant au témoin Davor Biletic, je souligne les incohérences et

  5   les bizarreries de son témoignage, et en particulier le fait que si le

  6   témoin est formel quant à la présence de l'accusé à l'hôtel Vitez, dans

  7   les premières heures du 16 avril, il a, semble-t-il, tout oublié des

  8   personnes qui se trouvaient présentes à l'hôtel Vitez ce matin-là et des

  9   circonstances de cette journée.

 10   Et par conséquent, je ne pense pas que Davor Biletic ait pu être

 11   en position d'apporter au Tribunal un témoignage utile, ni, surtout, que

 12   sa seule déposition soit suffisante à discréditer les preuves de

 13   l'accusation.

 14   Dans ces conditions, je demande au Tribunal de dire que l'accusé

 15   Vladimir Santic s'est bien rendu coupable, par les ordres donnés et les

 16   responsabilités exercées, et par ses actes personnels, des crimes

 17   mentionnés aux chefs d'accusation n° 1, et n° 16 à 19.

 18   J'ai dit au début de mes conclusions orales, Monsieur le

 19   Président, Madame et Monsieur les Juges, que l'accusation entendait par ma

 20   voix dire quelles sont, selon son point de vue, les peines qui doivent

 21   être prononcées contre chacun des accusés. Je me réfère, compte tenu du

 22   temps qui me reste, Monsieur le Président, et pour réserver du temps à vos

 23   questions, je me réfère aux conclusions écrites de l'accusation pour ce

 24   qui concerne les critères qui paraissent devoir être pris en compte dans

 25   la détermination de cette sanction qui doit être prononcée contre chacun


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  1   des accusés.

  2   Pour ce qui concerne Dragan Papic, Dragan Papic est-il celui que

  3   le capitaine Stevens a formellement reconnu pour avoir, le 21 avril 1993,

  4   à Ahmici, pendant une vingtaine de minutes, exprimé toute la satisfaction

  5   qu'il ressentait à l'idée de ce qui s'était passé et des morts musulmans ?

  6   Je ne veux pas spéculer, mais je veux simplement souligner que,

  7   compte tenu des preuves rassemblées contre lui, compte tenu de son

  8   caractère, du fanatisme de son engagement, le fait est pour le moins

  9   plausible.

 10   Pour la période antérieure au massacre et le 16 avril 1993,

 11   l'accusé a déployé une activité zélée pour le compte du HVO en exerçant

 12   l'intimidation contre la population musulmane, en contribuant notoirement

 13   et notablement à l'accroissement des tensions et de l'insécurité.

 14   Il a prêté sa maison à l'agresseur, qui en a fait une base

 15   d'appui-feu et une sorte de quartier général. Il est actif, il exécute les

 16   ordres qui lui sont donnés par le commandement du HVO, il est présent sur

 17   le lieu des tueries, mais l'accusation prendra bien entendu en compte le

 18   fait qu'aucun assassinat spécifique ne lui est imputé.

 19   Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de

 20   8 ans d'emprisonnement.

 21   Vlatko Kupreskic : je ne crois pas que nous sachions vraiment ce

 22   que fut l'étendue de son rôle et son implication réelle dans les

 23   entreprises du HVO. Du moins, nous savons sans aucun doute possible qu'il

 24   ne fut pas l'honnête commerçant tout occupé au développement de ses

 25   affaires qu'il prétend avoir été.


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  1   Les preuves de l'accusation ont montré l'étroitesse de ses

  2   relations avec le HVO et ont établi qu'il était nécessairement associé à

  3   la préparation de l'attaque, qu'il a contribué activement et sans risque

  4   au succès de l'agresseur, qu'il leur a prêté une assistance au moins

  5   matérielle en leur permettant d'utiliser sa maison, qui s'est refermée

  6   comme un piège mortel sur de nombreuses victimes.

  7   Agissant en compagnie d'autres soldats, il a personnellement

  8   fait feu sur un groupe de Musulmans essentiellement composé de femmes et

  9   d'enfants et il est coperpétrateur direct de la mort d'une mère de famille

 10   et des blessures causées à sa fille.

 11   Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de

 12   12 ans d'emprisonnement.

 13   Zoran Kupreskic a toujours affirmé être attaché à la paix entre

 14   les communautés, mais les preuves de l'accusation ont montré qu'il n'est

 15   pas vrai qu'il soit demeuré neutre. Bien au contraire, l'accusé s'est

 16   vivement engagé dans la cause des Croates de Bosnie et il a exercé dans ce

 17   cadre un rôle de responsabilité. Averti de ce qui allait se passer, il n'a

 18   pris aucune disposition pour prévenir ses voisins ou amis musulmans pour

 19   les sauver alors que, quelques mois auparavant, sous sa signature, il leur

 20   demandait de se désarmer et garantissait en contrepartie leur sécurité.

 21   L'accusation a établi qu'il a pris une part active, et peut-être

 22   déterminante, dans l'agression du 16 avril 1993, et s'il a peut-être,

 23   comme a dit le témoin JJ, conçu du remord par la suite, il n'a pas, en

 24   tout cas, voulu le dire à ses Juges. Et quand, le 16 avril 1993, il

 25   parcourt Ahmici les armes à la main, il sait ce qu'il fait ; ce qu'il


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  1   fait, il ne peut pas le faire.

  2   Et selon les termes de l'accusation, il a tué, persécuté sans

  3   vouloir même épargner l'innocence de deux enfants. Et l'assassinat de ces

  4   deux enfants, je le souligne auprès du Tribunal, relève moins du nettoyage

  5   ethnique que d'une logique génocidaire, c'est-à-dire de la volonté

  6   d'interrompre la ligne des générations.

  7   Si les Juges de ce Tribunal sont convaincus par les preuves de

  8   l'accusation quant à la responsabilité de Zoran Kupreskic sur tous les

  9   chefs de l'accusation, l'accusation recommande que soit prononcée contre

 10   lui une peine qui ne soit pas inférieure à 20 ans d'emprisonnement.

 11   L'accusation soutient que l'implication de Mirjan Kupreskic dans

 12   les crimes retenus contre lui est égale à celle de son frère Zoran. Lui

 13   aussi est étroitement associé aux forces du HVO, dont il partage le projet

 14   militaire et politique. Comme son frère, il s'abstient de prévenir qui que

 15   ce soit, pas même son ami Fahrudin, qui aurait été son meilleur ami. Dès

 16   le début de l'attaque, il agit en compagnie de son frère dans les maisons

 17   proches de son domicile, dont il connaît depuis toujours les occupants.

 18   Quand il entre dans la maison du témoin KL en compagnie de son

 19   frère, il sait ce qui attend cette famille, dont il connaît tous les

 20   membres. Il ne fera rien pour épargner qui que ce soit, pas même les

 21   enfants.

 22   Mais l'accusation comprendrait que le Tribunal considère aussi

 23   que l'accusé a pu subir l'ascendant de son frère plus âgé, plus instruit

 24   et en position de commandement dans le cadre du HVO.

 25   Si le Tribunal s'est convaincu des preuves de l'accusation et


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  1   partage le point de vue de l'accusation sur la situation de cet accusé,

  2   l'accusation recommande que soit prononcée une peine qui ne soit pas

  3   inférieure à 15 ans d'emprisonnement.

  4   Pour ce qui concerne Drago Josipovic, nous savons que, par son

  5   entourage familial, et évidemment aussi par conviction, l'accusé est

  6   étroitement lié aux autorités du HVO dès les premières heures de

  7   l'aventure des Croates de Bosnie. Il a nécessairement été associé à

  8   l'attaque, à la préparation de l'attaque, et évidemment aussi à la

  9   conduite de cette attaque. Il est présent sur les lieux de plusieurs

 10   tueries, il est le coauteur, ou le coperpétrateur, de deux assassinats,

 11   dont celui d'un jeune adolescent.

 12   Certains des témoignages reçus le présentent comme en position

 13   d'autorité, ou du moins d'influence à l'égard des hommes qui

 14   l'accompagnent. Il prend une part notable dans la détention de plus d'une

 15   trentaine de Musulmans chassés de leur maison et déportés ensuite en-

 16   dehors du village.

 17   Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de

 18   15 ans d'emprisonnement.

 19   Vlado Santic, de tous les accusés, est celui dont la

 20   responsabilité pénale est la plus lourdement engagée. Homme d'autorité,

 21   homme d'expérience et homme de pouvoir, il est nécessairement étroitement

 22   impliqué dans la préparation de l'attaque et dans son déroulement. Sa

 23   fonction de commandement, sa position hiérarchique, indiquent qu'il sait

 24   parfaitement la nature, l'étendue et la portée de ce qui se prépare.

 25   Sans lui, sans les ordres d'exécution qu'il donne à ses hommes,


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  1   rien n'aurait été possible. Il est présent le 16 avril à Ahmici parmi ses

  2   hommes, il agit à leur tête et, ainsi, il les encourage. Il est encore

  3   présent auprès de ses hommes après le 16 avril, approuvant ainsi l'action

  4   qui a été la leur. Et comme ancien officier de police connaissant la loi,

  5   connaissant la typologie des crimes, il sait mieux que personne, en tout

  6   cas mieux qu'aucun des accusés présents, il sait la nature criminelle de

  7   son comportement et la nature criminelle du comportement des hommes qu'il

  8   a lancés dans l'attaque.

  9   Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de

 10   30 ans d'emprisonnement.

 11   Je voudrais dire maintenant, Monsieur le Président, Madame,

 12   Monsieur, les Juges, très brièvement, quelques mots pour conclure.

 13   On se souvient au tout début de ce procès que nous avons projeté

 14   un film vidéo. Sur ce film vidéo, on pouvait voir un soldat britannique

 15   anonyme présent à Ahmici lorsque certains des cadavres calcinés ont été

 16   découverts et ce soldat a exprimé son indignation, son dégoût et sa

 17   protestation en disant : "Nous sommes en 1993, pas en 1943".

 18   Et ces mots sont peut-être les plus forts et les plus violents

 19   de ceux que nous avons entendus dans le cadre de ce procès. Mais ce n'est

 20   pas seulement l'observation de ce soldat qui nous renvoie dans le passé,

 21   nous avons beaucoup d'échos dans ce procès de ce qui s'est passé dans

 22   cette région de l'Europe une cinquantaine d'années auparavant, que ce soit

 23   le 16 avril 1941 quand Ante Pavelic rentre à Zagreb de son exil d'Italie

 24   pour prendre la tête de la sinistre aventure des Oustachis, c'est peut-

 25   être une coïncidence.


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  1   Mais il est évidemment significatif que la brigade du HVO de

  2   Zenica prenne le nom de brigade Jure Francetic. Le témoin de la défense,

  3   Jadranka Tolic, membre de cette brigade, a dit que Francetic était un

  4   personnage historique sous le patronage duquel ils s'étaient placés ; Mais

  5   elle a affirmé ne pas en savoir davantage. Or, il est notoire que

  6   Francetic était le chef d'une unité spéciale Oustachi, dite "légion

  7   noire", qui a semé la terreur en Bosnie orientale par des actions contres

  8   les populations civiles.

  9   Et, en effet, en manifestant une même volonté hégémonique, les

 10   mêmes références nationalistes et historiques, la même volonté

 11   d'appropriation exclusive de territoires, une violence de même nature, un

 12   même mépris des personnes appartenant à d'autres communautés, certains des

 13   Croates de Bosnie et je dis, bien entendu, pas tous les Croates de Bosnie,

 14   certains des Croates de Bosnie ont lié ces deux périodes de l'histoire :

 15   1943 et 1993.

 16   La justice n'a pas été rendue contre les responsables des crimes

 17   oustachis pour que l'Histoire ne se répète plus, ce Tribunal existe. Merci

 18   Monsieur le Président, j'en ai terminé.

 19   M. le Président. - Merci beaucoup, Maître Terrier.

 20   J'imagine que vous êtes très fatigué, mais j'aimerais bien vous

 21   poser une question à propos d'un problème qui a été aussi soulevé par la

 22   défense.

 23   Dans le mémoire que vous avez déposé la semaine dernière, vous

 24   accusez Zoran, Mirjan Kupreskic, entre autres, du meurtre du père du

 25   témoin H. Et peut-être vous vous rappelez que le 3 septembre j'avais posé


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  1   la même question à votre collègue, M. Moskowitz, lorsque je lui ai posé la

  2   question si l'accusation avait décidé de formuler une charge bien précise

  3   contre les deux accusés au sujet de ce meurtre.

  4   Et à l'époque, M. Moskowitz avait dit : "Oui, on avait pensé à

  5   faire une charge précise et puis on a décidé de ne pas amender l'acte

  6   d'accusation, et en tout cas vous allez prendre en considération nos

  7   éléments de preuve et j'ai ici devant moi les pages pertinentes du

  8   transcript, c'est page 1696 et suivantes". Et il avait ajouté : "C'est à

  9   vous de décider ce que vous comptez faire… dans quelle mesure prendre en

 10   compte ces éléments de preuve pour ce qui est de la persécution".

 11   Alors, ma question est la suivante : quelle est votre position

 12   maintenant au sujet de ce meurtre ? Parce que, je le répète, dans le

 13   mémoire écrit, vous avez accusé les deux accusés de ce meurtre qui

 14   toutefois ne figure pas formellement dans l'acte d'accusation. Dans quelle

 15   limite le Tribunal peut-il prendre en considération des charges qui n'ont

 16   pas été formulées d'une manière formelle dans l'acte d'accusation, mais

 17   qui ont été avancées au cours du procès ?

 18   M. Terrier. – Monsieur le Président, en fait, je vous ferai une

 19   réponse tout à fait analogue à celle qu'avait faite à l'époque M.

 20   Moskowitz au nom de l'accusation et que vous avez rappelée.

 21   Il est vrai que l'assassinat du père du témoin H ne figure pas

 22   dans l'acte d'accusation. Il est vrai que les preuves -du moins c'est le

 23   point de vue de l'accusation- les preuves que nous avons rassemblées et

 24   soumises au Tribunal indiquent que très probablement, l'un et l'autre des

 25   accusés Zoran et Mirjan Kupreskic se trouvaient sur les lieux de cet


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  1   assassinat. Ces preuves n'indiquent pas qu'ils aient agi en même temps que

  2   les auteurs de cet assassinat ou qu'ils soient eux-mêmes les auteurs de

  3   cet assassinat. Nous ne connaissons pas ceux qui ont tué le père du

  4   témoin H. En revanche, nous savons que les deux accusés, selon les preuves

  5   de l'accusation, se trouvaient présents.

  6   Par conséquent, selon le point de vue que j'exprime ici

  7   aujourd'hui, il me semble que c'est au titre du chef de persécution que

  8   l'on peut retenir cet aspect du comportement de l'un et l'autre des

  9   accusés devant la maison du témoin H et non pas bien entendu comme un

 10   crime spécifique qui leur serait reproché.

 11   Ce que nous savons de source plus certaine, en tout cas, c'est

 12   le point de vue de l'accusation, c'est leur présence dans la maison,

 13   quelques instants après l'assassinat du père du témoin H et l'échange qui

 14   à ce moment-là s'est produit entre les deux accusés et le témoin H.

 15   Donc, en fait, ma réponse à la question, Monsieur le Président

 16   rejoint tout à fait celle qui vous avait déjà été faite et que je juge

 17   excellente de M. Moskowitz.

 18   M. le Président. - D'accord, mais je vous pose une autre

 19   question. Vous suggérez de prendre en considération, à supposer que la

 20   Cour soit convaincue de ces allégations de l'accusation de prendre en

 21   considération le meurtre en tant que manifestation de la persécution, du

 22   crime de persécution, crime contre l'humanité ?

 23   M. Terrier. - Plus précisément Monsieur le Président,

 24   l'accusation suggère au Tribunal de prendre en compte au titre du chef

 25   d'accusation n° 1 persécution, le comportement des accusés devant et dans


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  1   la maison du témoin H tel qu'il est apparu selon les preuves de

  2   l'accusation et dont le Tribunal appréciera la portée.

  3   Encore une fois, nous ne pouvons pas dire… nous savons que le

  4   père du témoin H a été fusillé, exécuté à cet endroit et à ce moment dans

  5   sa maison, nous savons que les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic se

  6   trouvaient à quelques mètres de là, mais nous ne savons pas davantage ce

  7   qu'a été leur rôle dans cette exécution. En revanche, nous savons par le

  8   témoin H ce qu'a été leur rôle dans la maison du témoin H et en fin de

  9   compte, au titre de la persécution dirigée contre cette famille.

 10   M. le Président. – Encore quelques minutes, j'ai d'autres

 11   questions, mais je me borne à une petite question concernant ce que vous

 12   avez dit aujourd'hui au sujet de l'attaque armée et du manque de

 13   résistance de la part des Musulmans. Toutefois, vous avez noté qu'il y a

 14   eu deux Croates qui ont été blessés et en plus, un militaire croate qui a

 15   été tué. Donc il y a eu aussi des témoins ici qui ont témoigné dans le

 16   sens qu'ils ont tiré. Donc, ils ont participé à un minimum de combat. De

 17   quelle manière expliquez-vous ce minimum d'échanges de coups de fusil et

 18   de tir entre un groupe de civils armés et les militaires croates ?

 19   M. Terrier. – Ce que l'accusation dit au terme de ce procès sur

 20   cette question, Monsieur le Président, c'est la chose suivante : nous

 21   n'excluons pas que certains des habitants musulmans d'Ahmici qui pouvaient

 22   disposer d'une arme personnelle aient opposé une certaine forme de

 23   résistance à l'agression pour protéger leurs maisons et pour protéger

 24   leurs familles. Nous savons en particulier ce que nous a dit le témoin V.

 25   Nous n'excluons pas qu'une certaine forme de résistance ait été


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  1   opposée à l'agresseur, mais nous disons que cette résistance a été

  2   extrêmement localisée, elle a été le fait de civils tentant de protéger

  3   leur propriété, leur famille, elle n'a pas duré, cette résistance n'a pas

  4   duré, et en fin de compte, cette résistance n'a rien empêché de

  5   l'agression. Peut-être l'a-t-elle retardé quelques instants du côté de

  6   Grabovi ou au-dessus de Grabovi, mais elle n'a rien empêché.

  7   Pour ce qui concerne les victimes croates, nous savons par des

  8   documents du HVO -non pas par des témoins de l'accusation, mais par des

  9   documents du HVO- que deux personnes habitant Ahmici et membres du

 10   bataillon de la brigade de Vitez ont été blessées au cours de cette

 11   action. Nous n'avons pas d'autres détails sur les circonstances dans

 12   lesquelles elles ont été blessées, bien entendu.

 13   On nous a dit que le dénommé Mirjan Santic a été tué. Nous

 14   n'avons aucune preuve documentaire de ce que cette mort soit survenue à

 15   Ahmici et ce jour-là en-dehors d'un livre consacré à la gloire de la

 16   police militaire du HVO. Les documents officiels ne font pas état de la

 17   mort de Mirjan Santic à Ahmici et ce jour-là.

 18   Mais nous n'excluons pas que ceci ait pu survenir. En tout cas,

 19   si cela est survenu, c'est par le fait d'une résistance personnelle de

 20   quelques citoyens, non organisée, ponctuelle, qui n'a pas duré et qui n'a

 21   rien empêché.

 22   M. le Président. - Merci. Donc on peut maintenant lever

 23   l'audience et donc, on se revoit demain à 9 heures pile.

 24   L'audience est levée à 13 heures 25.

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