Affaire n° : IT-98-30/1-A

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL INTERNATIONAL

Devant :
M. le Juge Theodor Meron, Président

Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
30 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

MIROSLAV KVOCKA

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE GRÂCE OU DE COMMUTATION DE PEINE

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Le Bureau du Procureur :

M. Anthony Carmona 
Mme Helen Brady
Mme Norul Rashid
M. David Re
Mme Kelly Howick 

Le Conseil de la Défense :

M. Krstan Simic pour Miroslav Kvocka

 

1. Le 2 novembre 2001, la Chambre de première instance a rendu son jugement dans l’affaire Le Procureur c/ Miroslav Kvocka et consorts. La Chambre a déclaré Kvocka individuellement pénalement responsable sur la base de l’article 7 1) du Statut du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (le « Statut ») et coupable pour avoir participé à des persécutions (chef 1), un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 du Statut, à des meurtres (chef 5) et à des tortures (chef 9), une violation des lois ou coutumes de la guerre réprimée par l’article 3 du Statut. Les infractions dont Kvocka a été reconnu coupable découlent de son comportement au camp d’Omarska, en Bosnie-Herzégovine. Kvocka a interjeté appel de sa condamnation et la Chambre d’appel a rendu son arrêt le 28 février 2005.

2. La Chambre d’appel a accueilli les moyens soulevés par Kvocka qui se rapportaient à la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre pour participation aux viols et violences sexuelles (chef 1, persécutions, un crime contre l’humanité) et a annulé celle-ci dans la mesure où elle sanctionnait les crimes sous-jacents de viol et de violences sexuelles. La Chambre d’appel a confirmé pour le surplus la déclaration de culpabilité prononcée pour le chef 1. S’agissant du chef 5 (meurtres, une violation des lois ou coutumes de la guerre), la Chambre d’appel a accueilli les moyens invoqués par Kvocka concernant les meurtres d’Ahil Dedic et Ismet Hodzic, et a confirmé la déclaration de culpabilité en question pour le meurtre de Mehmedalija Nasic et Becir Medunjanin. La Chambre d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité de l’appelant pour tortures (chef 9 de l’acte d’accusation) ainsi que la peine de sept ans d’emprisonnement infligée par la Chambre de première instance.

3. Le 3 mars 2005, Miroslav Kvocka a déposé une demande de libération anticipée en application de l’article 28 du Statut et des articles 124 et 125 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »)1. Kvocka a été détenu au quartier pénitentiaire des Nations Unies (le « quartier pénitentiaire ») du 9 avril au 19 décembre 2003. Aprcs avoir bénéficié d’une mise en liberté provisoire, il a été réincarcéré le 19 mars 2004. Kvocka avait exécuté les deux tiers de sa peine le 13 janvier 2004, peine qu’il aura exécutée dans son intégralité le 25 novembre 2006.

4. L’article 28 du Statut dispose que le Président du Tribunal ne peut examiner une demande de grâce ou de commutation de peine que s’il est convaincu que le condamné peut bénéficier d’une telle grâce ou commutation de peine « en vertu des lois de l’État dans lequel il est emprisonné ». Ni le Statut, ni les dispositions applicables du Règlement, ni la Directive pratique relative à l’appréciation des demandes de grâce, de commutation de peine et de libération anticipée des personnes condamnées par le Tribunal international (la « Directive pratique ») n’envisagent le cas où un condamné exécuterait sa peine au quartier pénitentiaire et non dans l’un des États chargés de l’application des peines. Cela étant, comme nous l’avons déjà indiqué dans de précédentes décisions, les conditions à remplir pour bénéficier d’une grâce et d’une commutation de peine devraient s’appliquer pareillement à toutes les personnes condamnées par le Tribunal. Dès lors, les conditions à remplir au quartier pénitentiaire doivent être définies eu égard aux conditions fixées par les États chargés de l’application des peines2.

5. Un condamné peut généralement bénéficier d’une grâce ou d’une commutation de peine dans l’État chargé de l’application de sa peine dès qu’il en a exécuté les deux tiers. Kvocka avait exécuté les deux tiers de sa peine le 13 janvier 2004 et, dès lors, nous considérons qu’il peut prétendre à une commutation de peine.

6. L’article 125 du Règlement dispose qu’aux fins d’apprécier l’opportunité d’une grâce ou d’une commutation de peine, le Président du Tribunal tient compte de la gravité de l’infraction commise, du traitement réservé aux condamnés se trouvant dans la même situation, de la volonté de réinsertion sociale dont fait preuve le condamné ainsi que du sérieux et de l’étendue de la coopération fournie au Procureur.

7. Les crimes dont Kvocka a été reconnu coupable sont particulicrement graves. Toutefois, tout en condamnant Kvocka, la Chambre de premicre instance s’est dite persuadée que ce dernier était en temps normal une personne de bonne moralité et qu’il était, avant la perpétration des infractions, un fonctionnaire de police sérieux et compétent. L’intégrité professionnelle dont a fait preuve Kvocka par le passé indique qu’une réinsertion sociale est possible.

8. Conformément à l’article 2 de la Directive pratique, le Greffier nous a transmis le rapport de l’Accusation et celui du quartier pénitentiaire. Dans son rapport, le Procureur fait observer que Kvocka n’a pas coopéré avec elle. Toutefois, elle n’indique pas qu’elle a jamais sollicité sa coopération. Le rapport du commandant du Quartier pénitentiaire est favorable à Kvocka. Il se serait ainsi montré respectueux envers l’administration et le personnel et se serait plié au Règlement sur la détention préventive et aux instructions des gardiens. Il aurait toujours entretenu des relations cordiales avec ses codétenus et son état de santé physique et mentale serait bon. Au vu du comportement de Kvocka au quartier pénitentiaire, nous sommes convaincus qu’il a fait montre de grandes aptitudes à se réinsérer.

9. En application de l’article 124 du Règlement et l’article 5 de la Directive pratique, nous sommes tenus de transmettre ces documents avec mes observations sur la demande aux autres Juges de la Chambre qui ont prononcé la peine et aux membres du Bureau. Aucun des membres de la Chambre de première instance qui a prononcé la peine n’est encore en fonction au Tribunal. Cela étant, nous avons consulté les membres de la Chambre d’appel ainsi que ceux du Bureau.

10. Tous les Juges consultés n’accueillent pas favorablement la demande de commutation de peine présentée par Kvocka. Cependant, une bonne majorité d’entre eux sont convaincus qu’il y a lieu de faire droit à cette demande, pour les raisons que j’ai déjà indiquées.

11. L’article 4 de la Directive pratique donne au condamné la possibilité de prendre connaissance des informations que nous a communiquées le Greffier et de nous présenter ses observations. Toutefois, ma décision étant favorable à Kvocka, j’estime qu’il ne perd rien à ne pas être entendu.

12. Par ces motifs, il est fait droit à la demande de commutation de peine présentée par Kvocka. Le Greffier est prié d’informer le commandant du quartier pénitentiaire de la présente décision et de veiller à ce que toutes les mesures soient prises pour son exécution dans un délai raisonnable.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 30 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président du Tribunal
_____________
Theodor Meron

[Sceau du Tribunal]


1. [Pas de note 1.]
2. Ordonnance du Président relative à la demande de libération anticipée de Simo Zaric, IT-95-9, 21 janvier 2004, p. 3 ; Ordonnance du Président relative à la demande de libération anticipée de Milan Simic, IT-95-9/2, 27 octobre 2003, p. 3 ; Ordonnance du Président en réponse à la demande de libération anticipée de Zdravko Mucic, IT-96-21-A bis, 9 juillet 2003, p. 3 ; Décision du Président relative à la demande de grâce ou de commutation de peine de Miroslav Tadic, 24 juin 2004.