LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Madame le Juge Patricia Wald
Assistée de :
Madame Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh
Décision rendue le :
8 juin 2000
LE PROCUREUR
C/
MIROSLAV KVOCKA
MILOJICA KOS
MLADO RADIC
ZORAN ZIGIC
DRAGOLJUB PRCAC
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ORDONNANCE DRESSANT CONSTAT JUDICIAIRE
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Le Bureau du Procureur :
M. Brenda Hollis
M. Michael Keegan
M. Kapila Waidyratne
Les Conseils de la Défense :
M. Krstan Simic pour Miroslav Kvocka
M. Zarko Nikolic pour Milojica Kos
M. Toma Fila pour Mladjo Radic
M. Simo Tosic pour Zoran Zigic
Mr. Jovan Simic for Dragoljub Prcac
LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I (ci-après la "Chambre") du Tribunal pénal international chargé de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après "le Tribunal"),
VU les articles 54, 73 et 94 du Règlement de procédure et de preuve (ci-après «le Règlement ») ;
VU la «Requête du Procureur pour le constat judiciaire de faits admis» et listant 583 paragraphes tirés des jugements Le Procureur c/ Dusko Tadic («jugement Tadic ») et Le Procureur c/ Zejnil Delalic et autres («jugement Celebici ») déposée le 11 janvier 1999 (ci-après, « Requête du 11 janvier 1999 ») ;
VU la décision de la Chambre de première instance du 19 mars 1999 dressant le constat judiciaire de faits contenus dans les paragraphes 1 à 6, 8, 10 à 17, 21 à 70, 74, 78 à 87, 89, 96 à 113, 115 à 125 de lannexe I de la Requête du 11 janvier 1999 ;
VU larrêt de la Chambre dAppel du 15 juillet 1999 rendu dans laffaire IT-94-1-A, Le Procureur c/ Dusko Tadic, et notamment le paragraphe 148 ;
VU lensemble des écritures présentées par les parties à la suite de la Requête du 11 janvier 1999 et notamment :
VU la «Proposition de la défense (Radic) relative à la reconnaissance de faits admis dans dautres affaires» du 2 février 2000 de dresser le constat judiciaire de faits admis dans laffaire Tadic à lexception de certains faits contenus dans les paragraphes 421 et 422 de lannexe 1 de la Requête du 11 janvier 1999 ; la «Requête de la défense de laccusé Milojika Kos relative à ladmission de faits dans dautres affaires » du 9 février 2000 ;
VU la «Réponse du Procureur aux requêtes de la défense visant à la reconnaissance de faits admis dans dautres affaires » du 14 février 2000, dans laquelle le Procureur estime que si le constat judiciaire des faits de laffaire Tadic était dressé, la décision devrait sappliquer à tous les accusés en lespèce ;
VU l«Ordonnance relative au constat judiciaire » du 17 février 2000 requérant la défense de se prononcer sur les faits contenus dans lannexe 1 du Procureur du 11 janvier 1999 pouvant faire lobjet dun constat judiciaire ;
VU la «Requête de la défense (Zigic) en application de lordonnance de la Chambre du 17 février 2000 » acceptant que soit dressé le constat judiciaire de deux faits de notoriété publique en application de larticle 94 A) du Règlement mais sopposant à un éventuel constat judiciaire en vertu des dispositions de larticle 94 B) du Règlement au motif que cela équivaudrait à un plaidoyer de culpabilité ;
OUÏ laccusation et la défense des accusés Kvocka, Kos, Radic et Zigic lors de la conférence de mise en état du 24 février 2000, au cours de laquelle les parties sont parvenues à un accord concernant les faits contenus dans 444 des 583 paragraphes proposés par laccusation dans lannexe I de la Requête du 11 janvier 1999 ;
OUÏ la défense de laccusé Prcac qui a accepté les faits contenus dans les 444 paragraphes susmentionnés, lors de la conférence de mise en état du 12 avril 2000 ;
VU la «Requête de laccusation aux fins déclaircissement de questions supplémentaires » et la «Requête de lAccusation aux fins de constat judiciaire en application de larticle 65 ter E) ii) du Règlement » » du 28 avril 2000 en vue de faire dresser le constat judiciaire des faits contenus dans les 444 paragraphes susmentionnés et den tirer les conclusions juridiques et plus particulièrement, de déclarer que lesdits faits établissent au-delà de tout doute raisonnable les éléments communs aux articles 3 et 5 du Statut du Tribunal (ci-après, «le Statut »), et notamment : lexistence dun conflit armé et dun lien entre ce conflit et les crimes reprochés aux accusés ; que les victimes des actes ou omissions relatifs aux crimes alléguées dans lacte daccusation de lespèce ne participaient pas activement aux hostilités au sens de larticle 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 ; quune offensive systématique et généralisée était dirigée contre les Musulmans et Croates au temps et aux lieux de lacte daccusation ; que les actes ou omissions allégués dans lacte daccusation sinscrivaient dans le cadre de cette attaque systématique et généralisée, au cours dun conflit armé, de caractère international ou interne ;
VU la «Réponse de la défense à la requête de laccusation aux fins déclaircissement de questions supplémentaires et à la requête de lAccusation aux fins de constat judiciaire en application de larticle 65 ter E) ii) du Règlement » du 2 mai 2000 par laquelle la défense de laccusé Radic consent au fait de dresser le constat judiciaire des faits contenus dans les 444 paragraphes susmentionnés mais soppose à ce que la Chambre tire des conclusions juridiques relatives aux articles 3 et 5 du Statut ;
VU la «Réponse de laccusé Kos à la requête de laccusation aux fins de constat judiciaire déposée le 28 avril 2000 en application de larticle 65 ter E) ii) du Règlement » du 4 mai 2000 dans laquelle la défense de laccusé Kos soppose à ce que la Chambre déclare que les faits concernés par le constat judiciaire prouvent au-delà de tout doute raisonnable certains éléments communs aux crimes reprochés aux accusés en application des articles 3 et 5 du Statut ;
VU la «Réplique de laccusation à la réponse de la défense à «la requête de laccusation aux fins déclaircissement de questions supplémentaires et à la requête de laccusation aux fins de constat judiciaire en application de larticle 65 du Règlement » » du 19 mai 2000 qui considère que les arguments de la défense de laccusé Radic sont partiellement erronés ;
VU la «Duplique de la défense à la «Réplique de laccusation à la réponse de la défense à «la requête de laccusation aux fins déclaircissement de questions supplémentaires et à la requête de laccusation aux fins de constat judiciaire en application de larticle 65 du Règlement » » datée du 23 mai 2000 et déposée le 30 mai 2000 suite à lautorisation de la Chambre requise et obtenue le même jour et dans laquelle la défense insiste sur le fait que conclure que les faits admis prouvent au-delà de tout doute raisonnable les éléments communs aux articles 3 et 5 du Statut reviendrait pour laccusé Radic à plaider coupable ;
OUÏ les parties et notamment la défense de tous les accusés lors de la conférence de mise en état du 6 juin 2000 ;
ATTENDU que la défense de laccusé Radic soppose à ce que la Chambre de première instance tire les conclusions juridiques relatives aux articles 3 et 5 du Statut au motif que larticle 94 du Règlement autorise le constat judiciaire des faits et non le constat judiciaire de points de droit ; que les parties ne sont pas autorisées à régler par voie de négociation des questions juridiques relatives aux éléments communs des crimes reprochés aux accusés ; que ceci pourrait être considéré comme un aveu indirect ; que la question des éléments communs visés aux articles 3 et 5 du Statut peut seulement être examinée lors de la détermination de la responsabilité pénale visée aux articles 7 1) et 7 3) du Statut ; quen outre, si le territoire de la Bosnie-Herzégovine était le théâtre dune offensive systématique et organisée contre les populations croates, serbes et musulmanes de Bosnie, ce conflit armé navait pas un caractère international ;
ATTENDU que la défense de laccusé Kos soppose à ce que la Chambre de première instance tire les conclusions juridiques relatives aux articles 3 et 5 du Statut au motif que larticle 94 du Règlement est destiné à couvrir des faits et non les conséquences légales qui en découlent ainsi que la décidé la Chambre de première instance III dans sa décision du 25 mars 1999, Le Procureur c/ Simic et autres ; que doit donc être pris en compte le principe de lautorité relative de la chose jugée ;
ATTENDU que laccusation soutient quune Chambre de première instance a le pouvoir inhérent de tirer des conclusions juridiques à partir de faits établis au-delà de tout doute raisonnable à nimporte quel moment de la procédure ; que cest là lintérêt du constat judiciaire et que, dans la plupart des juridictions nationales, les éléments des crimes touchant à la compétence des juges du fond sont souvent déterminés in limine litis ; que, par ailleurs, lors de la conférence de mise en état du 24 février 2000, la défense des accusés Radic et Kvocka a accepté les positions présentées dans larrêt Tadic et les éléments qui le fondent ; quenfin, la question de lexistence des éléments communs aux articles 3 et 5 du Statut est totalement distincte de celle de la détermination de la responsabilité pénale individuelle des accusés et que donc létablissement de ces éléments ne peut être constitutif dun aveu ;
ATTENDU que laccusation reconnaît que la défense de laccusé Radic a partiellement raison lorsquelle affirme que les parties ne sont pas autorisées à régler par voie de négociation les questions juridiques relatives aux éléments communs des crimes reprochés aux accusés mais que, cependant, les parties peuvent conclure des accords dans le cadre de larticle 65 ter et que si la Chambre nest pas tenue par un éventuel accord entre les parties sur les éléments communs aux crimes, elle peut fonder ses conclusions sur cet accord ;
ATTENDU que lacte daccusation modifié du 31 mai 1999 reproche aux accusés la commission de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes contre lhumanité en Bosnie-Herzégovine, dans la municipalité de Prijedor et en particulier dans les camps dOmarska, de Keraterm et de Trnopolje entre le 26 mai et le 30 août 1992 ; que laccusé Dusko Tadic a été condamné définitivement pour des crimes commis dans ces mêmes lieux entre le 23 mai et le 31 décembre 1992 ; que le jugement Celebici (dont la Chambre observe quil a fait lobjet dun appel actuellement en cours dexamen) fait état du conflit en Bosnie-Herzégovine à la même période ;
ATTENDU que les parties ont convenu quil était dans lintérêt de la justice, et notamment dun procès rapide, quun constat judiciaire des faits établis contenus dans 444 des 583 paragraphes tirés de laffaire Tadic et de laffaire Celebici et en rapport avec laffaire de lespèce soit dressé afin que les parties naient pas à plaider sur certaines questions de faits non litigieuses relatives au contexte historique, géographique, militaire et administratif de la municipalité de Prijedor entre le 23 mai et le 31 décembre 1992 ;
ATTENDU que la Chambre constate que larticle 94 du Règlement lui permet de dresser le constat judiciaire de faits admis dans le cadre dautres affaires portées devant le Tribunal et en rapport avec linstance ; que la Chambre de première instance III a déjà adjugé les faits contenus dans 94 des 444 paragraphes dans sa décision du 19 mars 1999 susmentionnée concernant les accuses Kvocka, Kos, Radic et Zigic ; quil existe au demeurant un accord entre les parties portant sur les faits contenus dans 444 des 583 paragraphes visés dans la requête du 11 janvier 1999 ; que la Chambre a déjà fait savoir aux parties quelle avait pris note de leur accord ;
ATTENDU que si larticle 94 du Règlement vise seulement le constat judiciaire de faits et de moyens de preuve documentaires, aucune disposition du Statut ou du Règlement ninterdit à la Chambre, dès lors que les droits de laccusé sont pleinement respectés, de tirer les conclusions juridiques qui lui paraissent résulter des faits quelle estime établis ;
ATTENDU que la défense des accusés a pu formuler toutes les observations quelle estimait utile à cet égard notamment lors de la conférence de mise en état du 6 juin 2000 ; que la défense de laccusé Kos, soutenue par la défense de laccusé Prcac, a ainsi admis que certains des éléments communs requis par les articles 3 et 5 du Statut pourraient être tirés au vu des faits admis ;
ATTENDU que cest à juste titre que la défense soutient quil appartient au Procureur de démontrer la culpabilité des accusés au regard des faits visés à lacte daccusation ;
ATTENDU cependant, quil résulte nécessairement et incontestablement des faits objets de laccord entre les parties et dont la Chambre dresse ici le constat judiciaire non seulement quil existait, dans les lieux et au temps visés à lacte daccusation, une attaque systématique et massive dirigée contre la population civile musulmane et croate de la municipalité de Prijedor qui sinscrit dans le cadre dun conflit armé mais aussi que les faits décrits dans cet acte daccusation et commis au préjudice de ces populations et notamment des détenus des camps dOmarska, de Keraterm et de Trnopolje sont en relation avec ce conflit ;
ATTENDU que la détermination faite ainsi par la Chambre nindique pas en soi que les faits sont imputables à lun ou lautre des accusés ; quil appartient au Procureur den apporter la preuve au regard tant de larticle 7 1) que de larticle 7 3) du Statut et à la défense de faire valoir ses arguments dans le plein exercice de ses droits ;
PAR CES MOTIFS,
DRESSE LE CONSTAT JUDICIAIRE des faits contenus dans les paragraphes 1 à 330, 332, 334 à 339, 342, 343, 345 à 366, 475 à 492, 519 à 583 de lannexe I de la Requête du Procureur du 11 janvier 1999 ;
DECIDE quil existait, dans les lieux et au temps visés à lacte daccusation, une attaque systématique et massive dirigée contre la population civile musulmane et croate de la municipalité de Prijedor qui sinscrit dans le cadre dun conflit armé mais aussi que les faits décrits dans cet acte daccusation et commis au préjudice de ces populations et notamment des détenus des camps dOmarska, de Keraterm et de Trnopolje sont en relation avec ce conflit.
Fait en français et en anglais, la version en français faisant foi.
Fait le 8 juin 2000
À La Haye,
Pays-Bas
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Juge Almiro Rodrigues
Président de la Chambre de première instance I
[sceau du Tribunal]