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1 (Vendredi 2 novembre 2001.)
2 (Jugement Kvocka et consorts.)
3 (Audience publique.)
4 (L'audience est ouverte à 14 heures 33.)
5 (La presse est dans le prétoire.)
6 (Les accusés sont introduits dans le prétoire. La presse les prend en
7 photographie.)
8 M. le Président: Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.
9 (Les accusés s'assoient.)
10 (La presse sort du prétoire.)
11 Bonjour, Mesdames et Messieurs. Je salue les conseils de l'accusation et
12 de la défense, et je salue également les interprètes, les techniciens et
13 les sténotypistes.
14 Madame la Greffière, pouvez-vous annoncer l'affaire, s'il vous plaît?
15 Mme Thompson (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Bon après-midi,
16 Madame et Messieurs les Juges.
17 Il s'agit de l'affaire IT-98-30-T, le Procureur contre Kvocka et consorts.
18 M. le Président: L'accusation peut-elle se présenter, s'il vous plaît?
19 Mme Somers (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je m'appelle
20 Susan Somers, conseil principal. J'ai à ma droite Mme Yukiko Takashiba, M.
21 Nobuo Hayashi, M. Daniel Saxon, M. Kapila Waidyaratne et Mme Denise
22 Gustin, à ma gauche.
23 M. le Président: Merci beaucoup, Madame Somers.
24 Et pour la défense, s'il vous plaît?
25 M. Simic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président. Je
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1 m'appelle Krstan Simic. Je représente les intérêts du premier accusé,
2 Miroslav Kvocka.
3 M. le Président: Merci.
4 M. Nikolic (interprétation): Bon après-midi, Madame et Messieurs les
5 Juges. Je m'appelle Zarko Nikolic, conseil principal de l'accusé Milojica
6 Kos. A ma droite se trouvent Mme Jelena Nikolic et M. Eugene O'Sullivan.
7 M. Fila (interprétation): Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je suis
8 Toma Fila et c'est avec Me Jovanovic que je défends les intérêts de M.
9 Radic.
10 M. Stojanovic (interprétation): Bon après-midi, Madame et Messieurs les
11 Juges. Je m'appelle Slobodan Stojanovic; je défends les intérêts de Zoran
12 Zigic. A ma gauche se trouve mon confrère, Me Deretic.
13 M. J. Simic (interprétation): Bon après-midi, Madame et Messieurs les
14 Juges. Je m'appelle Jovan Simic et c'est avec Dusan Masic que nous
15 défendons les intérêts de M. Prcac Dragoljub.
16 M. le Président: Merci beaucoup à vous tous.
17 "L'injustice n'importe où est une menace à la justice partout", selon une
18 belle formule de Martin Luther King. C'est en ayant à l'esprit cette
19 maxime et dans le souci d'écarter une telle menace que la Chambre rend
20 aujourd'hui son jugement dans l'affaire intentée par le Procureur contre
21 Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mlado Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac
22 pour persécution et autres crimes contre l'humanité et crimes de guerre,
23 commis dans la région de Prijedor, entre le 26 mai et le 30 août 1992 et,
24 plus précisément, dans les camps d'Omarska, de Keraterm et Trnopolje.
25 Avant d'aborder le fond de l'affaire, il convient de faire quelques
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1 remarques préliminaires.
2 En premier lieu, nous voudrions remercier tous ceux qui ont participé, à
3 des titres divers, à ce procès, en ayant une pensée particulière pour ceux
4 et celles qui ne sont pas présents aujourd'hui, mais qui sont quand même
5 parmi nous.
6 En deuxième lieu, nous souhaitons relever les vicissitudes procédurales
7 qu'a connu ce dossier. Les accusés ont été arrêtés à des dates aussi
8 distinctes que le 9 avril 1998, pour les premiers (M. Kvocka et M. Radic)
9 ou le 5 avril 2000 pour le dernier (M. Prcac).
10 L'équipe du Procureur a changé plusieurs fois d'avocat général. Une équipe
11 de la défense, celle de M. Zigic, a aussi changé de composition. La
12 Chambre a elle-même été composée de plusieurs manières au stade de la mise
13 en état. Au total, le procès n'a pu s'ouvrir que le 26 février 2000 à
14 l'encontre des accusés Kvocka, Radic, Kos et Zigic. Mais M. Prcac était
15 arrêté le 6 mars 2000 et, après en avoir débattu avec les parties, la
16 Chambre a ordonné la jonction des procédures dans un souci de bonne
17 administration de la justice. Le procès a repris le 2 mai 2000, cette fois
18 contre cinq accusés, et les débats ont été déclarés clos le 19 juillet
19 2001. Au cours du procès, une soixantaine de décisions et ordonnances
20 écrites ont été rendues, sans compter plus d'une centaine de décisions
21 orales. Il y a eu six appels interlocutoires. La Chambre a tenu 113 jours
22 d'audience dans cette affaire, étant entendu qu'elle tenait en parallèle
23 des audiences dans l'affaire Krstic. Enfin, la Chambre a entendu 50
24 témoins pour l'accusation et 89 témoins pour la défense, et a par ailleurs
25 admis un total de 489 pièces à conviction.
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1 Nous ne souhaitons pas ici entrer plus avant dans les détails de la
2 procédure. Deux décisions particulièrement importantes au regard de ce
3 procès méritent cependant d'être mentionnées.
4 La première est le constat judiciaire dressé par la Chambre à la requête
5 du Procureur. La Chambre a décidé, en s'appuyant sur l'arrêt de la Chambre
6 d'appel dans l'affaire Tadic, "qu'il existait dans les lieux et au temps
7 visés à l'Acte d'accusation, une attaque massive et systématique dirigée
8 contre la population civile musulmane et croate de la municipalité de
9 Prijedor qui s'inscrit dans le cadre d'un conflit armé mais aussi que les
10 faits décrits dans cet Acte d'accusation et commis au préjudice de ces
11 populations et notamment des détenus des camps d'Omarska, de Keraterm et
12 de Trnopolje sont en relation avec ce conflit". Cette décision, qui est
13 largement le résultat des échanges entre les parties, a permis de
14 circonscrire relativement les faits et de centrer la discussion sur la
15 responsabilité individuelle de chacun des accusés.
16 La seconde décision qui mérite d'être soulignée ici est celle prise le 14
17 décembre 2000 sur les requêtes aux fins d'acquittement présentées par la
18 défense des accusés, Radic, Kos, Zigic et Prcac. La Chambre a considéré
19 (et ce, même en l'absence de requête de la défense de M. Kvocka) que les
20 accusés Kvocka, Radic, Kos et Prcac devaient être acquittés des crimes qui
21 leur étaient reprochés et auraient été commis à Keraterm et Trnopolje,
22 ainsi que pour certains faits commis au préjudice d'un nombre de victimes
23 limitativement énumérées. L'accusé Zigic a été lui aussi acquitté pour un
24 nombre limité de faits pour lesquels il était poursuivi.
25 Venons en maintenant au prononcé du jugement proprement dit dans l'affaire
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1 "le Procureur contre Miroslav Kvocka, Miljica Kos, Mlado Radic, Zoran
2 Zigic et Dragoljub Prcac".
3 Il n'est pas question ici de lire l'intégralité du jugement écrit mais
4 d'en présenter une synthèse qui permette aux accusés ainsi qu'au public,
5 de connaître l'essentiel des raisons qui ont conduit la Chambre à se
6 déterminer comme elle l'a fait. Nous soulignons que le seul texte qui fait
7 foi est celui du jugement écrit et que rien dans ce que nous allons dire
8 ne pourra être conçu comme pouvant modifier, même de façon minime, ce
9 jugement.
10 Messieurs Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac, les crimes qui vous sont
11 reprochés, sont fondés sur les événements qui ont suivi l'attaque des
12 forces serbes sur la ville de Prijedor en avril-mai 1992, les arrestations
13 auxquelles les Serbes ont procédé et l'ensemble des mauvais traitements
14 que presque toutes les personnes arrêtées ont subis, des mauvais
15 traitements pouvant aller jusqu'au viol, à la torture, à la mort.
16 Pour parvenir à sa décision, la Chambre a dû répondre essentiellement à
17 trois questions: quels sont les faits? quels crimes peut-on retenir? peut-
18 on vous retenir Messieurs Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac coupables de
19 l'un ou l'autre de ces crimes?
20 C'est un résumé des conclusions auxquelles la Chambre a abouti sur ces
21 trois questions que nous allons présenter maintenant.
22 I. Quels sont les faits?
23 Le 30 avril 1992, les forces serbes ont pris le contrôle de Prijedor. La
24 prise de Prijedor est bientôt suivie de l'éviction des non-Serbes,
25 Musulmans ou Croates de Bosnie des fonctions de responsabilité. Beaucoup
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1 finissent par perdre leur emploi, leurs enfants sont empêchés d'aller à
2 l'école et la radio diffuse une propagande anti-Musulmans et anti-Croates.
3 Les Croates et les Musulmans n'acceptent pas cette situation et envisagent
4 de réagir. En cas de résistance importante de leur part, les Serbes
5 lancent des attaques, comme contre les villages de Hambarine et Kozarac.
6 Le 30 mai, la tentative des Musulmans de reprendre le contrôle de Prijedor
7 échoue. Pour prévenir toute velléité de résistance de la part des Croates
8 et, surtout, des Musulmans, les Serbes décident de procéder à
9 l'interpellation de toute personne non-serbe susceptible de présenter un
10 danger et donc, en particulier, à l'arrestation des personnes ayant exercé
11 une autorité quelconque, y compris morale, ou représentant un certain
12 pouvoir, notamment économique. Dans le même temps, les hommes sont séparés
13 des femmes, des enfants et des personnes âgées. Les hommes, surtout,
14 devant être interrogés. Il convient donc, selon les Serbes, de regrouper
15 ceux des non-Serbes qui n'ont pas quitté la région des centres.
16 C'est ainsi que sont créés les centres d'Omarska, Keraterm et Trnopolje.
17 Mais les éléments de preuve présentés devant la Chambre conduisent à
18 devoir parler non pas de centres d'enquêtes ou de regroupement, mais bien
19 de camps. Celui de Trnopolje est, en réalité, un ensemble assez disparate
20 de bâtiments dans le village du même nom. Le camp d'Omarska occupe les
21 locaux d'une ancienne mine de fer et le camp de Keraterm ceux d'une usine
22 de céramique.
23 Compte tenu des charges reprochées respectivement aux accusés et des
24 conclusions finales de la Chambre, nous nous concentrerons sur le camp
25 d'Omarska.
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1 Tout comme ceux de Trnopolje et de Keraterm, le camp d'Omarska a été
2 officiellement établi le 30 mai 1992 par Simo Drljaca (nous notons que
3 Drljaca avait été accusé par le Tribunal mais est mort lors d'une
4 tentative pour l'appréhender).
5 Initialement prévu pour fonctionner une quinzaine de jours, il
6 fonctionnera en réalité jusque vers le 20 août 1992. Pendant cette période
7 de près de trois mois, ce sont plus de 3.334 détenus au moins qui passent
8 par le camp. A ceux-là, il faut ajouter une trentaine de femmes, dont
9 plusieurs occupaient un rang élevé sur le plan local. Tous les détenus
10 sont interrogés. Presque tous sont frappés. Beaucoup ne sortiront pas
11 vivants du camp.
12 De fait, les conditions de vie au camp d'Omarska sont absolument
13 épouvantables. Peut-être certains d'entre vous se souviennent-ils de ces
14 images qui y furent tournées par une équipe de télévision, sur lesquelles
15 on voit des hommes au corps émacié, au visage marqué, à l'air souvent
16 résigné, sinon abattu. Ce sont ces images qui entraîneront une réaction de
17 la communauté internationale et sont, peut-être, l'une des origines de la
18 création de ce Tribunal.
19 Il faut s'imaginer le camp d'Omarska.
20 Un bâtiment administratif, avec un réfectoire et des cuisines au rez-de-
21 chaussée et des bureaux, qui servent notamment pour les interrogatoires, à
22 l'étage.
23 Depuis le réfectoire et l'escalier qui conduit aux bureaux, on peut voir
24 l'espace qui sépare le bâtiment administratif des hangars, un endroit
25 qu'on appelle la Pista. Un peu plus loin, on voit un espace herbeux, avec
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1 un petit bâtiment, de couleur claire, qu'on appelle la Maison Blanche.
2 Plus loin encore, mais on ne le voit pas, un très petit bâtiment, la
3 Maison Rouge.
4 Les mauvais traitements sont continuels et généralisés au sein du camp et
5 commencent dès l'arrivée des détenus.
6 Dès leur arrivée, en effet, les prisonniers sont le plus souvent battus
7 ou, en tout cas, maltraités, comme pour leur signifier immédiatement
8 qu'ils ne seront pas considérés comme des êtres humains. On les fait
9 descendre de l'autobus qui les conduit au camp en les frappant; on les
10 fait s'aligner contre le mur et, souvent, ils se font dérober un document
11 d'identité ou de l'argent; on leur fait chanter des chants serbes; on les
12 fait asseoir sur le sol ou même se coucher à plat ventre, sur l'asphalte
13 brûlant, pendant des heures, sans qu'ils aient le droit de bouger ou la
14 possibilité de boire.
15 Puis, ils sont interrogés. Ils sont alors frappés, à coups de poings, à
16 coups de bottes, avec la crosse des armes, avec toutes sortes
17 d'instruments.
18 Il n'y a pas de cellules dans les hangars, mais de grandes salles où les
19 détenus sont entassés dans une promiscuité insupportable, ayant parfois à
20 peine l'espace de bouger, contraints de dormir, lorsqu'ils le peuvent, à
21 même le sol ou sur des palettes.
22 Les prisonniers n'ont qu'une maigre nourriture, souvent avariée, presque
23 pas d'eau. Il n'y a pour ainsi dire pas de toilettes, il faut satisfaire
24 ses besoins naturels dans des seaux ou même, souvent, dans le coin d'une
25 pièce ou sur soi.
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1 Les détenus malades ou blessés ne reçoivent pas ou guère de traitement.
2 D'une manière générale, tous ces hommes sont amaigris, affaiblis, et
3 d'autant plus abattus qu'ils vivent constamment dans un climat de violence
4 et d'anxiété.
5 Ils ne savent pas quand leur nom va être appelé.
6 Mais ils savent que, quand ils seront appelés, ce sera non pas tant pour
7 être interrogés que pour être frappés.
8 Ils sont frappés lors de leurs interrogatoires, nous l'avons dit.
9 Ils sont frappés lorsqu'ils vont manger, alors qu'on les fait courir pour
10 aller au réfectoire: ils n'ont que quelques minutes pour avaler un piteux
11 repas.
12 Ils sont frappés lorsqu'ils veulent aller aux toilettes, de sorte que la
13 plupart renoncent à y aller.
14 Ils sont frappés, aussi, sans autre raison apparente que la violence qui
15 saisit un garde ou un "visiteur".
16 La Chambre a reçu de nombreux éléments de preuve qui démontrent qu'il
17 n'était pas rare que des personnes extérieures au camp y pénètrent et se
18 livrent à diverses exactions sur les prisonniers. M. Zigic est de ceux-là.
19 Les femmes, elles, ne sont pas frappées; certaines sont molestées,
20 d'autres, ou les mêmes, sont violées.
21 En d'autres termes, il n'est pas un seul lieu dans l'enceinte du camp
22 d'Omarska où un détenu puisse se sentir en sécurité ou, simplement,
23 espérer ne pas être frappé ou subir des violences sous une forme ou sous
24 une autre.
25 Dans le bâtiment administratif, il y a les bureaux, notamment ceux du
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1 commandant du camp et celui des communications.
2 Mais il y a aussi ceux où ont lieu les interrogatoires. Les hommes
3 hurlent. Aucun accusé n'entend leurs cris. Les hommes sont violemment
4 frappés: lorsque les femmes doivent nettoyer, elles voient les traces de
5 sang ou de résidus humains. Les accusés ne voient rien.
6 C'est là que dorment les femmes détenues. C'est là que, la nuit, on vient
7 les chercher. C'est là que certaines sont violentées, violées. Certaines,
8 le jour, restent prostrées, sans prononcer une parole. Aucun des accusés
9 n'aura remarqué quoi que ce soit.
10 Les détenus passent des heures sur la Pista. Nous sommes en juin, juillet,
11 août. Il fait souvent chaud, très chaud. Ils n'ont pas à boire mais ils
12 sont violemment arrosés à coups de lance à incendie.
13 Les hommes sont sales. Leurs blessures s'infectent. Certains ont la
14 dysenterie, des crises de diarrhées. Selon de nombreux témoins, l'odeur
15 est absolument pestilentielle.
16 Les accusés ne sentent-ils rien?
17 Les détenus qui sont conduits à la Maison Blanche sont presque
18 systématiquement battus, le plus souvent atrocement. On torture les hommes
19 les uns devant les autres, parfois on les oblige à se battre entre eux, on
20 bat à mort un père devant son fils. Les hommes hurlent de douleur, il y a
21 du sang sur les murs, sur le sol. Les hommes qui en ressortent vivants
22 portent des plaies ouvertes, ne peuvent pas se tenir debout, sont
23 inconscients. Les cadavres qui en sont retirés ont des plaies ouvertes au
24 crâne, les articulations coupées, la gorge tranchée. Certaines victimes
25 sont finalement exécutées par balle.
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1 Les accusés n'entendent rien, ne voient rien, ne font rien.
2 A force de coups, parfois en raison des coups mortels reçus, des détenus
3 meurent. Leurs cadavres sont laissés sur le terrain entre la Maison
4 Blanche et la Pista, parfois plusieurs jours. Ils seront chargés dans des
5 petits camions par des détenus.
6 Les accusés ne voient-ils toujours rien?
7 Certains cadavres seront retrouvés, bien plus tard, dans des fosses, dont
8 ceux de deux femmes.
9 Le 12 juillet 1992, c'est la Saint Pierre (Petrovdan), une grande fête
10 orthodoxe à l'occasion de laquelle on fait un grand feu. Ce 12 juillet
11 1992, on fait un grand feu avec des pneus. Des coups de feu sont tirés
12 vers une des salles où il y a des détenus. Certains sont appelés hors du
13 hangar. On entend des hurlements. L'air sent le pneu brûlé et la chair
14 grillé.
15 Aucun accusé n'a-t-il rien senti, rien vu?
16 Nous n'avons pu ici qu'évoquer à très grands traits les conditions
17 effrayantes de vie dans les camps, notamment dans celui d'Omarska. A
18 l'évidence, ces faits ne peuvent s'analyser autrement que comme des
19 crimes.
20 Ecoutons ce que nous a dit un témoin: "Après cette tragédie qui est
21 survenue là-bas, je ne pense pas pouvoir dire que je serais jamais
22 heureuse. D'abord, j'ai perdu mon père, ma sœur. Ma fille souffre de très
23 grosses séquelles de ces événements et moi aussi. Et je voudrais savoir
24 qui est la personne qui est habilitée pour me faire sortir de ma maison,
25 de ma ville, de mon Etat, pour me retrouver réfugiée quelque part au bout
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1 du monde.
2 J'espère que ceux qui sont responsables de cela seront punis tant par Dieu
3 que par vous, et j'espère que vous le ferez de façon honnête et
4 équitable".
5 II. Quels crimes ont été retenus par la Chambre?
6 Le Procureur a qualifié tous les faits que nous venons d'exposer et a
7 reproché aux accusés d'avoir commis:
8 -des persécutions de l'Article 5 du Statut au moyen de meurtres, de
9 tortures et de sévices, de violences sexuelles et de viols, de
10 harcèlement, d'humiliation et de violences psychologiques; et
11 d'internement dans des conditions inhumaines;
12 -des tortures (Articles 3 et 5 du Statut) et des traitements cruels
13 (Article 3 du Statut);
14 -des assassinats (Article 5 du Statut) et des meurtres (Article 3 du
15 Statut);
16 -s'agissant de M. Radic seul, des viols et tortures de l'Article 5 du
17 Statut, pour des faits également qualifiés de tortures ou atteintes à la
18 dignité des personnes en vertu de l'Article 3 du Statut.
19 Il faut souligner deux choses:
20 -d'une part, le Procureur a distingué deux des accusés comme ayant
21 personnellement et physiquement commis de nombreux crimes, M. Radic pour
22 des faits de viol, principalement, et M. Zigic pour des meurtres et de
23 violences;
24 -d'autre part, à la demande de la Chambre alors saisie, le Procureur a
25 présenté pour chaque accusé une liste de victimes qui permet de
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1 différencier notamment les faits reprochés à M. Zigic de ceux reprochés
2 aux autres accusés.
3 D'une manière générale, la défense ne conteste pas la qualification
4 juridique des faits telle que retenue par l'accusation. Ce qu'elle
5 conteste essentiellement, c'est le rôle des accusés dans la dans la
6 commission de ces crimes.
7 Dans son jugement, la Chambre s'appuie essentiellement sur la
8 jurisprudence du Tribunal pour ce qui est de la définition des crimes. Je
9 ne m'étendrai donc pas ici sur la qualification des crimes, sinon pour
10 rappeler que, en dressant le constat judiciaire de nombreux faits, la
11 Chambre avait décidé très tôt au cours du procès qu' "il existait, dans
12 les lieux et au temps visés à l'Acte d'accusation, une attaque massive et
13 systématique dirigée contre la population musulmane et croate de la
14 municipalité de Prijedor." Enfin, dans la mesure où les mêmes faits ont
15 été qualifiés de plusieurs manières, la Chambre conclut son jugement en
16 faisant application de la jurisprudence de la Chambre d'Appel en ce qui
17 concerne le cumul des infractions et reprend notamment la jurisprudence
18 selon laquelle les mêmes faits peuvent donner lieu à des condamnations à
19 la fois au titre de l'Article 3 du Statut et au titre de l'Article 5 du
20 Statut.
21 A l'analyse, la Chambre conclut que des crimes de persécution, meurtres,
22 torture et traitement cruel ont été commis.
23 III. Les accusés Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac sont-ils coupables de
24 l'un ou de l'autre de ces crimes?
25 La question principale à laquelle la Chambre doit répondre est de savoir
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1 si les accusés peuvent être retenus coupables de ces crimes.
2 Très schématiquement, les thèses de l'accusation et de la défense sont les
3 suivantes:
4 Pour le Procureur, les faits qui se sont déroulés à Omarska ou à Keraterm
5 tels qu'ils sont reprochés doivent être appréhendés dans la perspective de
6 l'ensemble des crimes commis à l'époque dans la région de Prijedor.
7 L'essentiel est qu'une attaque massive ou systématique à caractère
8 discriminatoire a coïncidé avec la commission de nombreux crimes par
9 différents individus. Certains crimes peuvent être isolés. Mais,
10 s'agissant de camps tels que ceux qui sont en cause ici, c'est la doctrine
11 du but commun, ou de l'entreprise criminelle conjointe, qui doit être
12 appliquée. Ainsi, pour le Procureur, les accusés ne sont pas seulement
13 responsables des crimes qu'ils ont directement et personnellement commis.
14 Ils le sont aussi pour l'ensemble des crimes qui s'inscrivent dans le but
15 commun. Les accusés Kvocka, Radic, Kos, Zigic et Prcac sont en conséquence
16 responsables, dit le Procureur, pour l'ensemble des crimes commis à
17 Omarska, l'accusé Zigic portant en outre la responsabilité des incidents
18 s'étant déroulés à Keraterm pour lesquels il est poursuivi. Tous les
19 accusés sont responsables sur la base de l'Article 7-1) du Statut, c'est-
20 à-dire qu'ils sont individuellement responsables. Mais le Procureur avance
21 que les accusés Kvocka, Radic, Kos et Prcac sont également responsables au
22 titre de leur qualité de supérieur hiérarchique en vertu de l'Article 7-3)
23 du Statut.
24 La défense a souligné, d'une manière générale, que l'accusation n'a pas
25 avancé la théorie du but commun au moment de l'Acte d'accusation, que les
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1 accusés n'avaient aucune fonction d'autorité au sein du camp et que tous
2 occupaient des fonctions subalternes ou des métiers sans rapport avec leur
3 position à l'époque des faits: M. Kvocka était un jeune policier non
4 gradé; M. Radic était un policier expérimenté mais non gradé également; M.
5 Kos était serveur; M. Zigic était chauffeur de taxi et musicien; M. Prcac,
6 enfin, était retraité au moment où il a été rappelé pour servir à Omarska.
7 Les défenses des accusés Kvocka et Prcac ont en outre souligné que ces
8 deux derniers avaient passé peu de temps au camp d'Omarska. Monsieur Zigic
9 n'aurait passé que huit heures, sur une période d'une dizaine de jours, à
10 Keraterm. Et s'il a pu commettre quelques écarts, dus notamment à son
11 intempérance et à son caractère impulsif, il n'a pas pu commettre nombre
12 des meurtres et des violences qui lui sont imputés, notamment en raison
13 d'une blessure qu'il a subie à cette époque.
14 La Chambre était donc confrontée à des questions de nature très difficile,
15 très différentes, la réponse à la première conditionnant très largement
16 les autres: existait-il une entreprise criminelle conjointe?
17 A titre préliminaire, la Chambre relève que, dans l'affaire Celebici, la
18 Chambre d'appel a considéré que, pour souhaitable que cela soit,
19 l'identification dans l'Acte d'accusation du mode de participation exacte
20 dans les crimes n'est pas en soi déterminante. En d'autres termes, bien
21 que le Procureur n'ait pas, loin s'en faut, expressément fait référence à
22 la théorie du but commun dans l'Acte d'accusation, rien n'interdit à la
23 Chambre de considérer cette théorie qui ne constitue, finalement, qu'une
24 des nombreuses formes de participation envisagées par le Statut. Pour
25 reprendre les mots de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic:
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1 "[Le Statut] n'exclut pas les cas où plusieurs personnes poursuivant un
2 but commun entreprennent de commettre un acte criminel qui est ensuite
3 exécuté soit de concert par ces personnes, soit par quelques membres de ce
4 groupe de personnes. Quiconque contribue à la perpétration d'un crime par
5 le groupe de personnes visé ou par certains de ses membres, en poursuivant
6 un but criminel commun, peut être tenu pénalement responsable sous
7 certaines conditions […]."
8 La Chambre a soigneusement évalué tous les arguments présentés, puis
9 examiné scrupuleusement l'ensemble des pièces du dossier et les
10 témoignages, très nombreux, des victimes. Ce faisant, elle s'est attachée
11 à vérifier la fiabilité des déclarations des uns et des autres,
12 s'abstenant de toute approche systématique ou monolithique. C'est ainsi
13 qu'un témoin considéré comme crédible sur un incident a pu être écarté au
14 sujet d'un autre incident.
15 La Chambre a pesé méticuleusement tous les éléments susceptibles de
16 fournir une indication, d'une part, sur la place exacte de l'un ou l'autre
17 accusé au sein du camp, d'autre part, sur les actes ou omissions qui ont
18 été les siens, enfin, sur la relation pouvant exister entre chacun des
19 accusés et les camps mis en place le 30 mai 1992.
20 Et il n'y a aucun doute possible.
21 Les camps d'Omarska, de Keraterm et de Trnopolje ne sont pas un accident,
22 ils ne sont pas le fruit du hasard. Les éléments de preuve démontrent
23 qu'ils sont le résultat d'une politique délibérée visant à imposer un
24 système de discrimination aux populations non-serbes de Prijedor. La
25 Chambre convient tout à fait qu'aucun de vous, Messieurs les accusés, ne
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1 peut se voir reprocher d'avoir participé, même de loin, à l'élaboration ou
2 à la planification de ce système. La Chambre n'affirme pas davantage que
3 vous avez été impliqués, à un titre ou à un autre, dans la conception des
4 camps ou dans la décision de les ouvrir.
5 Lorsque vous êtes en fonction dans le camp d'Omarska, Messieurs Kvocka,
6 Radic, Kos et Prcac, vous savez bien ce qui se passe. Et vous, Monsieur
7 Zigic, quand vous entrez dans un camp, c'est moins pour y exercer des
8 fonctions de garde, ce que vous n'avez été qu'à Keraterm et pour un temps
9 très court, que pour vous livrer au plaisir sadique de frapper les
10 détenus, seul ou avec d'autres, sans vous inquiéter le moins du monde de
11 la souffrance que vous leur infligez, jusqu'à la mort, parfois.
12 Mais la Chambre ne peut accepter que vous n'ayez pas eu conscience de
13 participer directement à ce système de persécution dans sa composante
14 "camps". La politique discriminatoire mise en œuvre par d'autres que vous
15 ne s'est pas arrêtée aux portes des camps.
16 Bien au contraire.
17 Les camps, sous prétexte de rechercher d'éventuels opposants criminels,
18 n'étaient qu'un rouage de plus dans la machine à persécuter les
19 populations non-serbes de la municipalité de Prijedor.
20 Ce rouage était en lui-même, par définition, discriminatoire: il n'y a eu
21 pour ainsi dire aucun Serbe détenu à Omarska et ceux qui le furent étaient
22 accusés de collaborer avec les ennemis non-serbes.
23 Ce rouage, c'est vous qui, chacun d'une manière différente, avez permis
24 qu'il tourne.
25 Pour que les camps fonctionnent, il fallait un commandant de camp, un
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1 adjoint au commandant ou quelqu'un en faisant fonction, des agents
2 administratifs pour tenir des listes de prisonniers, des chefs d'équipe
3 pour permettre une rotation entre les gardes.
4 Aucun de vous ne peut raisonnablement soutenir que ces camps avaient pour
5 seul but de procéder plus facilement à des enquêtes pour identifier
6 d'éventuels criminels, ce qui, en soi, aurait pu se concevoir.
7 Toute personne entrant dans l'un de ces camps pouvait immédiatement
8 percevoir la réalité qu'ils recouvraient, c'est-à-dire des espaces de
9 privation de liberté ou la violence est constante, délibérée, infligée
10 aussi bien par les personnes supposées garder les prisonniers que par des
11 personnes venant de l'extérieur, une violence infligée à des détenus mal
12 nourris, peu ou pas soignés, pas lavés, souffrant de dysenterie, une
13 violence qui va jusqu'au meurtre: ce sont les cadavres que l'on laisse à
14 l'air libre, au vu et au su de tous.
15 Dans ces conditions, comment pouvez-vous légitimement soutenir que vous ne
16 saviez pas?
17 Vous le saviez bien, Monsieur Kvocka, puisque vous avez voulu faire sortir
18 vos beaux-frères du camp d'Omarska. En tant que policier, vous saviez bien
19 la différence qu'il y a entre tabassage et interrogatoire.
20 Vous le saviez bien, Monsieur Radic, que la violence utilisée lors des
21 interrogatoires était considérable, puisque, selon vos propres
22 déclarations, vous passiez beaucoup de temps dans les bureaux.
23 Vous aussi, Monsieur Prcac, qui vous êtes plu à souligner le caractère
24 strictement administratif de vos tâches, comme si le blanc du papier
25 pouvait cacher la couleur du sang sur les murs ou la puanteur ambiante.
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1 Vous le saviez bien, Monsieur Kos, vous qui avez argué de votre qualité de
2 serveur pour insister que vous n'étiez même pas un policier et que donc
3 vous ne commandiez rien ni personne. Mais nous savons que les gardes
4 fonctionnaient selon le système des trois-huit. Nous savons donc que vous
5 étiez là au moins huit heures par jour. C'est pour cela que les victimes
6 ont pu vous identifier comme chef d'équipe et peu importe que vous n'ayez
7 pas été policier auparavant. Il faut même croire que cela vous a plu,
8 puisque vous êtes resté tout le temps que le camp a fonctionné et que vous
9 avez fait un stage de police par la suite.
10 Et vous, Monsieur Zigic, nous savons très bien que vous aimiez venir à
11 l'improviste au camp d'Omarska, au camp de Keraterm ou au camp de
12 Trnopolje, nous le savons car vous êtes tellement excessif que même les
13 autres gardes se plaignent de vous et des rapports sont faits pour que des
14 mesures soient prises qui vous empêchent de revenir.
15 La Chambre souhaite que vous la compreniez bien. La Chambre ne dit pas que
16 vous aviez prévu, ni que vous souhaitiez, que les choses se passent comme
17 elles se sont déroulées.
18 La Chambre dit que vous avez eu pleinement conscience du système de
19 persécution mis en œuvre aux camps d'Omarska, de Keraterm ou de Trnopolje
20 et que vous y avez participé, chacun à votre manière, en toute
21 connaissance de cause.
22 Vous avez participé à cette orgie persécutoire infernale.
23 -Monsieur Kvocka, veuillez vous lever, s'il vous plait.
24 (L'accusé se lève.)
25 Monsieur Kvocka, vous êtes un policier professionnel, très au fait des
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1 règles applicables en matière de police.
2 Quand vous travailliez au camp d'Omarska, entre le 29 mai et le 23 juin
3 1992, vous êtes, selon vos déclarations, officier de service. Vous n'avez
4 pas de fonction officielle, pas de responsabilité particulière. Vous
5 assistez bien à quelques violences mais vous n'y participez jamais. Au
6 contraire, vous dites avoir voulu aider certaines personnes, notamment vos
7 beaux-frères, qui sont musulmans.
8 Mais la Chambre considère que des actes isolés de bienveillance à l'égard
9 de certains prisonniers ne sauraient absoudre de crimes éventuels.
10 Vous n'êtes pas un petit fonctionnaire tout en bas de l'échelle qui ne
11 saurait en rien influer sur le cours des événements. Les éléments de
12 preuve présentés à l'audience montrent que vous êtes le bras droit du
13 commandant du camp. A ce titre, vous répercutez les ordres qu'il prend.
14 Mais votre rôle ne s'arrête pas là. Vous remplacez le commandant du camp,
15 quand ce dernier n'est pas là. Vous pouvez aussi intervenir pour faire
16 cesser les mauvais traitements subis par un détenu. Vous savez que des
17 sanctions peuvent être prises contre les gardes responsables d'exactions
18 mais vous ne prendrez pas de mesure significative en ce sens. Vous
19 constatez le climat de violence permanente qui règne au sein du camp et
20 pourtant, jour après jour, vous revenez exercer vos fonctions de
21 responsabilité à Omarska. Vous nous avez déclaré que vous seriez resté
22 plus longtemps au camp si l'on vous avait donné le choix.
23 En résumé, non seulement vous connaissez le système de persécution que
24 représente le camp d'Omarska, mais vous y adhérez, vous permettez qu'il
25 fonctionne. Et vous remplissez si bien votre tâche que, pour les victimes,
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1 vous êtes incontestablement le commandant-adjoint du camp.
2 Que vous soyez un policier professionnel aimant son métier, la Chambre
3 l'accepte.
4 Que vous n'auriez pas, de vous-même, décidé de commettre des mauvais
5 traitements de manière systématique et répétée au préjudice des non-
6 Serbes, la Chambre peut l'admettre. Mais vous avez participé à ce système
7 et, ce faisant, vous avez endossé une responsabilité criminelle.
8 Pour les raisons exposées en détail dans le jugement, la Chambre vous
9 déclare coupable du crime contre l'humanité de persécution et des crimes
10 de guerre de meurtre et de torture.
11 Monsieur Kvocka, vous pouvez vous asseoir pour un instant, s'il vous
12 plaît.
13 (L'accusé, M. Kvocka, s'assoit.)
14 -Monsieur Kos, veuillez vous lever.
15 (L'accusé, M. Kos, se lève.)
16 Lorsque vous êtes mobilisé, le 16 mai 1992, dans les forces de réserve de
17 la police, vous êtes serveur, Monsieur Kos. Vous serez affecté au camp
18 d'Omarska de fin mai à début août 1992 au moins. Au camp d'Omarska, vous
19 êtes, selon votre défense, une jeune recrue inexpérimentée qui n'a aucune
20 autorité d'aucune sorte. Pour le Procureur, vous êtes un chef d'équipe de
21 gardes. Les éléments de preuve présentés ont convaincu la Chambre sans
22 doute possible que vous étiez bien un chef d'équipe, connu sous le surnom
23 de "Krle". Il est intéressant de noter au passage que M. Kvocka a décrit
24 les fonctions qui vous auraient été confiées par Zeljko Meakic de la même
25 manière que M. Radic a défini les siennes: chargé des relations radio et
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1 téléphoniques.
2 En réalité, vous êtes bien un chef d'équipe: les gardes s'adressent à vous
3 en cette qualité, vous leur donnez des directives. Il vous est certes
4 arrivé, en de très rares occasions, d'intervenir pour empêcher que des
5 violences soient commises à l'égard d'un détenu.
6 Mais de nombreux témoignages vous ont mis en cause, d'abord pour avoir été
7 parfaitement en mesure de constater que des crimes avaient été commis ou
8 étaient en train de se commettre et être resté sans réaction; ensuite,
9 pour avoir vous-même participé à des violences contre des détenus; enfin
10 pour vous être livré occasionnellement à des extorsions de fonds au
11 préjudice de détenus.
12 Vous n'étiez pas seulement un maillon de la chaîne, tournant passivement
13 en même temps que la roue. Vous étiez un maillon fort et vous n'hésitiez
14 pas, le cas échéant, à contribuer activement à accroître la violence et la
15 terreur au sein du camp.
16 La Chambre vous reconnaît ainsi coupable du crime contre l'humanité de
17 persécution, ainsi que des crimes de guerre de meurtre et torture.
18 Veuillez vous asseoir pour un instant.
19 (L'accusé, M. Kos, s'assoit.)
20 -Monsieur Radic, pouvez-vous vous lever, s'il vous plaît?
21 (L'accusé, M. Radic, se lève.)
22 Monsieur Radic, vous êtes également un policier professionnel, depuis
23 1972. Selon vos propres déclarations, vous avez travaillé au camp
24 d'Omarska du 28 mai 1992 à la fin août 1992, d'abord comme garde puis
25 comme chargé des communications radio et téléphoniques.
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1 Les éléments de preuve reçus par la Chambre montrent que vous occupez plus
2 précisément les fonctions de chef d'équipe. Il y avait trois chefs
3 d'équipe à Omarska: vous-même, M. Kos et un certain Ckalja. Vous étiez
4 d'ailleurs plus connu des détenus sous votre surnom de "Krkan" et vous
5 aviez une réputation: celle du chef de l'équipe la plus violente.
6 En tant que chef d'équipe, vous êtes libre de déambuler dans le camp, dans
7 les bureaux, sur la Pista, dans la Maison Blanche. Surtout, vous donnez
8 des ordres aux gardes; en tout cas, vous exercez sur eux une autorité, en
9 leur assignant leur poste, en leur disant de conduire les détenus à tel ou
10 tel endroit. Votre autorité est telle que -des témoins nous l'ont déclaré-
11 vous pouvez faire cesser des violences à l'encontre de prisonniers (en
12 particulier lorsqu'ils viennent de la ville où vous avez exercé vos
13 fonctions) ou rassurer une femme sur le comportement inquiétant de l'un
14 des gardes à son encontre.
15 Mais cette générosité, Monsieur Radic, est très sélective.
16 Il résulte clairement des témoignages que les gardes de votre équipe
17 étaient particulièrement brutaux. Vous accompagnez des détenus jusqu'aux
18 bureaux où ils seront interrogés et vous les reconduisez après qu'ils ont
19 été non seulement interrogés mais battus. Vous n'empêchez pas que des
20 personnes extérieures, notamment M. Tadic ou M. Zigic, rentrent dans le
21 camp et se livrent à des exactions au préjudice des détenus. Plusieurs
22 détenus meurent des coups reçus des gardes de votre équipe. Et vous ne
23 prenez guère de mesures pour empêcher vos gardes d'exercer des violences.
24 Une telle attitude ne peut que constituer un encouragement à ce qu'elles
25 se poursuivent.
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1 En outre, vous avez une attitude tout à fait inadmissible à l'égard de
2 plusieurs femmes détenues à Omarska. Les éléments réunis contre vous à cet
3 égard sont accablants. Vous ne vous contentez pas d'avoir des gestes
4 déplacés ou des paroles offensantes, ou d'essayer de monnayer vos bons
5 offices. Vous vous livrez à des attouchements. Vous violez. Compte tenu de
6 l'état de vulnérabilité dans lequel se trouvaient les victimes, du
7 caractère délibéré de la souffrance qu'elles ont subie, de l'état
8 d'angoisse dans lequel vous mainteniez les femmes détenues à Omarska, la
9 Chambre caractérise les actes de violence sexuelle qu'elle retient contre
10 vous comme des actes de torture au sens de l'Article 3 du Statut.
11 En définitive, Monsieur Radic, la Chambre vous reconnaît coupable du crime
12 contre l'humanité de persécution et des crimes de guerre de meurtre et de
13 torture.
14 Asseyez-vous, M. Radic.
15 -Monsieur Zigic, veuillez vous lever, s'il vous plait.
16 Monsieur Zigic, les crimes qui vous sont reprochés diffèrent de ceux
17 reprochés à vos coaccusés en ce que les faits se sont déroulés non
18 seulement à Omarska mais également à Keraterm et Trnopolje.
19 De nombreux témoins ont évoqué la violence de votre comportement, y
20 compris à l'égard de ceux qui, quelques jours à peine auparavant, vous
21 étaient très proches.
22 Les faits sont patents. Tantôt seul, tantôt en compagnie d'individus de
23 votre acabit, vous vous saisissez d'un détenu. Il vous arrive de lui
24 réclamer de l'argent. Mais vous ne vous contentez pas de cela.
25 Vous aimiez utiliser la force, vous aimiez faire mal, vous aimiez pousser
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1 les détenus à la limite de leur capacité à endurer la souffrance,
2 n'hésitant pas, parfois, à utiliser des armes, comme un bâton muni d'une
3 boule de métal à l'extrémité. Vous aimez humilier aussi, forçant les
4 détenus à laper l'eau comme les chiens ou à boire leur propre sang. Vous
5 vous acharnez parfois, par exemple en faisant courir un détenu avec une
6 mitrailleuse, puis le frappant encore. Votre violence se distingue à ce
7 point qu'un rapport a été établi contre vous.
8 La Chambre a tenu à distinguer, parmi les crimes qui vous sont reprochés,
9 ceux qui vous sont imputables et ceux à l'égard desquels il existe un
10 doute. Vous êtes ainsi acquitté notamment de l'incident dit "Massacre de
11 la salle 3" au camp de Keraterm, et de quelques autres incidents.
12 Mais la liste de vos victimes pour lesquelles il n'existe aucun doute
13 raisonnable est longue, très longue, Monsieur Zigic.
14 Si vous avez pu abuser d'alcool et de tranquillisants, vous ne vous êtes
15 pas trouvé en état d'intoxication aiguë, à l'époque des faits, susceptible
16 d'abolir votre capacité à agir.
17 En définitive, dans le Jugement, la Chambre vous déclare coupable du crime
18 contre l'humanité de persécution et des crimes de guerre de meurtre,
19 torture et traitement cruel.
20 Asseyez-vous, Monsieur Zigic.
21 -Monsieur Prcac, veuillez vous lever, s'il vous plait.
22 Agé de près de 55 ans, vous étiez à la retraite le 29 avril 1992 lorsque
23 vous avez été mobilisé pour reprendre votre métier de technicien de police
24 scientifique au poste de police d'Omarska. Vous avez été affecté au camp
25 d'Omarska le 14 juillet et vous y êtes resté jusqu'au 6 août 1992. Le
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1 débat essentiel en ce qui vous concerne, Monsieur Prcac, a été de savoir
2 quelle était votre position au sein du camp, l'accusation soutenant que
3 vous étiez le commandant adjoint et votre défense alléguant que vous
4 n'étiez qu'un agent administratif sans autorité.
5 Les témoins ont confirmé que vous passiez la majeure partie de votre temps
6 dans une pièce du bâtiment administratif. Mais cette pièce se trouve à
7 quelques mètres à peine des bureaux où sont interrogés les détenus. Vous
8 circulez librement dans le camp, on vous voit souvent avec des listes à la
9 main. Ces listes servent à appeler des détenus pour les faire passer d'un
10 endroit du camp à un autre, notamment lorsqu'il s'agit pour eux d'aller
11 subir un interrogatoire ou d'organiser les transferts du camp d'Ormaska
12 vers un autre camp ou une autre destination.
13 Les gardes s'adressent à vous en cas de problème, vous demandent par
14 exemple l'autorisation de sortir un détenu de la Maison Blanche.
15 Pour les détenus, vous êtes le commandant adjoint du camp.
16 La Chambre considère que la preuve n'a pas été rapportée de ce que telle
17 était bien votre position, mais relève que vous aviez parfaitement
18 connaissance de la violence régnant dans le camp et des crimes qui se
19 commettaient.
20 Vous n'êtes cependant pratiquement jamais intervenu et avez effectué vos
21 tâches avec diligence contribuant activement au système de persécution en
22 place.
23 La Chambre vous déclare donc coupable du crime contre l'humanité de
24 persécution et des crimes de guerre de meurtre et torture.
25 Vous pouvez vous asseoir, Monsieur Prcac.
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1 (Monsieur Prcac s'assoit.)
2 Comme l'a dit Bertolt Brecht, "le ventre est encore fécond d'où est sortie
3 la bête immonde". Il faut faire mentir Brecht.
4 La justice peut contribuer à ce but par la mesure des jugements qu'elle
5 prononce.
6 Chaque situation individuelle est unique.
7 Pour déterminer la peine que chacun de vous mérite, nous avons
8 naturellement pris en compte la gravité des crimes qui vous sont
9 respectivement imputés.
10 En outre, nous avons voulu signifier clairement trois éléments qui nous
11 paraissent déterminants pour la fixation de la peine.
12 Le premier élément tient à la combinaison de la position hiérarchique d'un
13 accusé et de sa participation physique au crime.
14 Le deuxième élément, c'est le souci d'apaiser les victimes, le souci de ne
15 pas encourager un quelconque sentiment de vengeance, car comme l'exprime
16 judicieusement une maxime chinoise: "Si vous cherchez à vous venger,
17 creusez deux tombes".
18 Le troisième élément, en revanche, joue en sens inverse. C'est
19 l'observation qu'au regard des crimes commis sur le territoire de l'ex-
20 Yougoslavie, notamment à Prijedor, il y a des personnes dont la
21 responsabilité individuelle est bien supérieure à la vôtre. Cet élément
22 joue incontestablement dans le sens d'une atténuation de la peine.
23 Pour toutes les raisons que nous venons d'évoquer et qui sont exposées en
24 détail dans le jugement, cette Chambre condamne, chacun d'entre vous, en
25 tant que membre d'une entreprise criminelle pour les faits commis à
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1 Omarska, et M. Zigic, seul, pour les faits commis à Keraterm et Trnopolje,
2 et prononce à votre encontre:
3 Vous pouvez vous lever tous ensemble, s'il vous plaît.
4 (Les accusés se lèvent.)
5 -Monsieur Kvocka, la peine de 7 ans d'emprisonnement,
6 -Monsieur Kos, la peine de 6 ans d'emprisonnement,
7 -Monsieur Radic, la peine de 20 ans d'emprisonnement,
8 -Monsieur Zigic, la peine de 25 ans d'emprisonnement,
9 -Monsieur Prcac, la peine de 5 ans d'emprisonnement.
10 L'audience est levée.
11 (L'audience est levée à 15 heures 35.)
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