Affaire n° : IT-03-66-AR65.3
DEVANT UN COLLÈGE DE JUGES DE LA CHAMBRE D’APPEL

Devant :
M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président
M. le Juge Mehmet Güney
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistés de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
31 octobre 2003

LE PROCUREUR

c/

FATMIR LIMAJ
HARADIN BALA
ISAK MUSLIU

__________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE DE HARADIN BALA

__________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Andrew Cayley 
M. Alex Whiting

Les Conseils de la Défense :

M. Karim A. A. Khan, pour Fatmir Limaj
MM. Tome Gashi et Peter Murphy, pour Haradin Bala
M. Steven Powles, pour Isak Musliu

I. Rappel du contexte

1. Le Collège de juges de la Chambre d’appel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (respectivement le « Collège » et le « Tribunal international ») est saisi d’une demande d’autorisation d’interjeter appel de la Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire (Application of Haradin Bala for Leave to Appeal Against the Decision on Provisional Release), déposée par le conseil de Haradin Bala (respectivement la « Défense  » et « Bala ») le 23 septembre 2003 (la « Demande d’autorisation d’interjeter appel  »), en application de l’article 65 D) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »),

2. Par la Demande d’autorisation d’interjeter appel, la Défense conteste une décision rendue par la Chambre de première instance I le 16 septembre 2003, rejetant la requête de Bala aux fins de mise en liberté provisoire (la « Décision contestée »)1. Par la Décision contestée, la Chambre de première instance a refusé d’accorder la mise en liberté provisoire, notamment au motif que : i) « l’état de santé satisfaisant de l’accusé ne justifie pas sa mise en liberté provisoire » ; ii) « il est reproché à l’Accusé d’avoir pris part à de graves crimes » et « s’il est reconnu coupable, il encourt une longue peine d’emprisonnement et […] il a, par conséquent, de bonnes raisons de s’enfuir » ; iii) « il n’a été produit aucune preuve tendant à établir que la MINUK serait en mesure de garantir que, s’il était mis en liberté provisoire, l’accusé comparaîtrait au procès » ; et iv) « par conséquent, la Chambre n’a pas la certitude que, s’il était libéré, l’accusé comparaîtrait devant le Tribunal »2.

3. Pour rappel, la procédure a été la suivante : le 30 septembre 2003, le Collège a accordé au Bureau du Procureur (l’ « Accusation ») l’autorisation de déposer une réponse aux Demandes d’autorisation d’interjeter appel des trois accusés, ainsi qu’une prorogation de délai3. L’Accusation a ainsi déposé sa réponse le 6 octobre 2003 (la « Réponse »)4. La Défense a déposé sa réplique le 10 octobre 2003 (la « Réplique »)5.

4. La question qui se pose au Collège est de savoir s’il existe « des motifs sérieux, au sens de l’article 65 D) du Règlement (première phrase), justifiant de faire droit à la demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Chambre d’appel au complet.

II. Le droit applicable

5. L’article 65 B) du Règlement définit les conditions dans lesquelles la Chambre de première instance peut ordonner la mise en liberté provisoire d’un accusé. Il dispose que la mise en liberté provisoire « ne peut être ordonnée par la Chambre de première instance qu’après avoir donné au pays hôte, et au pays où l’accusé demande à être libéré la possibilité d’être entendus, et pour autant qu’elle ait la certitude que l’accusé comparaîtra et, s’il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne. » (non souligné dans l’original).

6. L’article 65 D) du Règlement dispose que l’autorisation de faire appel « peut être accordée par un collège de trois juges de la Chambre d’appel lorsque des motifs sérieux pour ce faire auront été invoqués ». D’après la jurisprudence établie de la Chambre d’appel, il existe des « motifs sérieux », au sens de l’article 65 D), pour accorder l’autorisation d’interjeter appel s’il apparaît que la Chambre de première instance « a pu verser dans l’erreur » en rendant la décision contestée 6.

7. La Chambre de première instance « a pu verser dans l’erreur » si elle n’a pas correctement appliqué le droit ou n’a pas pris en compte et apprécié tous les faits décisifs d’une affaire.

8. L’article 21 3) du Statut du Tribunal adopté par le Conseil de sécurité dans sa résolution 827 du 25 mai 1993 (le « Statut ») dispose que « toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie ». Cette disposition traduit et reprend les normes internationales telles que consacrées, notamment, à l’article 14 2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 19 décembre 1966 (le « Pacte international »), et à l’article 6 2) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (la « Convention européenne »).

9. En outre, l’article 9 3) du Pacte international souligne, entre autres, que : « [l]a détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l'intéressé à l'audience ». L’article 5 3) de la Convention européenne dispose, notamment, que « [t]oute personne arrêtée ou détenue […] a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »

10. Ces instruments de protection des droits de l’homme font partie intégrante du droit international public.

11. Le TPIY a pour mission de rétablir la justice en ex-Yougoslavie, et surtout de rendre justice aux victimes, à leurs familles et aux autres personnes innocentes. Néanmoins, la justice implique également le respect des droits fondamentaux des auteurs présumés des crimes. On ne saurait dès lors établir de distinction selon que les personnes sont poursuivies dans leur pays d’origine ou par des instances internationales.

12. L’article 65 B) et D) du Règlement doit donc se lire à la lumière du Pacte international, de la Convention européenne et de la jurisprudence en la matière.

13. En outre, pour interpréter l’article 65 B) et D) du Règlement, il faut tenir compte du principe général de proportionnalité. En droit international public, une mesure n’est proportionnelle que lorsqu’elle est 1) appropriée, 2) nécessaire et 3) d’un degré et d’une portée raisonnables par rapport à l’objectif envisagé. Une mesure procédurale ne doit jamais être arbitraire ni excessive. Si l’on peut se contenter d’une mesure plus clémente que la détention obligatoire, c’est celle-là qu’il faut appliquer7.

III. Examen

14. Dans la Demande d’autorisation d’interjeter appel, la Défense invoque quatre moyens d’appel. Ils seront examinés l’un après l’autre. En outre, dans sa Réplique, Bala joint le moyen d’appel invoqué par Limaj et Musliu, ses coaccusés, selon lequel la Chambre d’appel a eu tort de refuser d’accorder une audience sur la question de la mise en liberté provisoire8. Ce moyen supplémentaire sera examiné ci-après au point e) en tant que cinquième moyen d’appel.

a) La Chambre de première instance a eu tort de ne pas faire supporter à l’Accusation la charge de prouver que l’accusé n’a pas droit à une mise en liberté provisoire (cinquième moyen d’appel)

15. D’après la Défense, les règles et principes du droit international humanitaire consacrés dans le Pacte international et la Convention européenne font supporter à l’Accusation la charge de prouver que la détention se justifie dans l’attente de l’ouverture d’un procès devant le Tribunal international. La Défense ajoute que la détention doit être justifiée par des éléments de preuve clairs et convaincants. À l’appui, la Défense cite plusieurs affaires dont ont été saisis le Comité des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’homme, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Elle se fonde également sur les articles 60 2) et 58 1) du Statut de la Cour pénale internationale (la « CPI »).

16. L’Accusation estime que la Défense interprète mal le droit international et que la Décision contestée est parfaitement conforme à la jurisprudence établie du Tribunal international, dont il ressort clairement que la charge de la preuve repose sur l’accusé. Elle rappelle que, contrairement aux juridictions internes, le Tribunal international ne dispose pas d’une force de police et qu’elle doit compter sur les États pour veiller au respect des conditions de libération et les appliquer. Elle est d’avis que l’approche de la Chambre de première instance est pleinement compatible avec l’obligation qui incombe à cette dernière de procéder à une évaluation équitable des circonstances et des intérêts en jeu. S’agissant du Statut de la CPI, l’Accusation fait observer qu’il ne lie pas le Tribunal international et qu’il ne prévoit pas que ce soit à l’Accusation de justifier la détention préalable au procès.

17. Le Collège est d’avis que, contrairement à ce que prétend la Défense, la Chambre de première instance n’a pas eu tort de ne pas faire supporter à l’Accusation la charge de démontrer qu’une mise en liberté provisoire ne se justifiait pas. Tout d’abord, l’article 65 B) du Règlement ne fait pas peser la charge de la preuve sur l’Accusation. En application de cet article, la Chambre de première instance était tenue de déterminer si elle avait la « certitude » que Bala, s’il était libéré, se présenterait à son procès. Après avoir tenu compte des informations qu’elle a reçues des parties et après avoir apprécié tous les facteurs pertinents, elle a conclu qu’elle n’en avait pas la certitude. La Défense n’est donc pas fondée à prétendre qu’en faisant peser la charge de la preuve sur l’Accusation, la Chambre de première instance a commis une erreur dans son application de l’article 65 B) du Règlement.

18. Pour les raisons susmentionnées, le Collège conclut que la Défense n’a pas démontré, dans son premier moyen d’appel, en quoi la Chambre de première instance a pu verser dans l’erreur dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 65 B) du Règlement (voir les paragraphes 5 à 13 plus haut), et qu’il doit donc être rejeté.

b) La Chambre de première instance a versé dans l’erreur en refusant la mise en liberté provisoire pour un motif (l’incapacité présumée de la MINUK à surveiller les frontières du Kosovo) qui commanderait que la mise en liberté provisoire soit refusée à tout accusé (deuxième moyen d’appel)

19. La Défense prétend que la Chambre de première instance a négligé d’envisager des conditions de libération appropriées et qu’elle a rejeté la demande de mise en liberté provisoire pour un motif qui, dans tous les cas, commanderait le refus : l’incapacité de la MINUK à surveiller les frontières du Kosovo. La Défense ajoute que l’Accusation n’a pas été en mesure de faire état d’un fait concernant l’accusé en personne.

20. L’Accusation répond que la gravité des accusations portées contre Bala, notamment le meurtre de dix hommes parmi d’autres crimes graves, justifient son maintien en détention. L’Accusation fait observer que la Chambre de première instance a eu entièrement raison de considérer le point de vue de la MINUK comme un important facteur dans sa décision et la Défense n’est pas fondée à dire que c’est un facteur qui aurait dû être négligé. L’Accusation déclare qu’elle n’a jamais préconisé une politique de « refus en bloc » des demandes de mise en liberté provisoire et avance que les faits particuliers à l’espèce justifiaient le refus.

21. En application de l’article 65 B), la Chambre de première instance était précisément tenue de déterminer si Bala, une fois libéré, prendrait la fuite ou non. L’incapacité de la MINUK à surveiller les frontières du Kosovo est donc un facteur hautement pertinent. En revanche, les conséquences que cette incapacité pourrait avoir sur d’autres demandes semblables ne présentent aucun intérêt pour la décision en l’espèce de la Chambre de première instance et ne sauraient empêcher la Chambre de tenir compte d’un facteur décisif lorsqu’elle détermine si Bala, une fois libéré, prendra la fuite ou non. De l’avis du Collège, la Chambre de première instance n’a donc pas commis une erreur en se fondant sur ce fait.

22. Pour les raisons susmentionnées, le Collège conclut que la Défense n’a pas démontré, dans son deuxième moyen d’appel, en quoi la Chambre de première instance a pu verser dans l’erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 65 B) du Règlement (voir les paragraphes 5 à 13 plus haut) et qu’il doit donc être rejeté.

c) La Chambre de première instance a versé dans l’erreur en se fondant sur la gravité des accusations portées contre Bala pour lui refuser la mise en liberté provisoire sans prendre en considération sa situation personnelle (troisième moyen d’appel)

23. Tout d’abord, la Défense prétend que la Chambre de première instance a eu tort de porter principalement son attention sur la gravité des accusations pesant sur Bala sans tenir compte de sa situation personnelle. D’après la Défense, la Chambre de première instance se serait écartée de la pratique du Tribunal international, lequel a accordé la mise en liberté provisoire à des personnes accusées de crimes plus graves (telles que Biljana Plavsic et Dragan Jokic).

24. L’Accusation répond que la jurisprudence du Tribunal international est parfaitement conforme au droit international et que la Chambre de première instance a tenu compte de la gravité des accusations et de la longueur de la peine encourue parmi plusieurs autres facteurs. Elle fait observer que, dans le cas de Plavsic, la Chambre de première instance a tenu compte, entre autres facteurs favorables à sa libération, de son âge avancé, de sa reddition volontaire et de sa coopération avec l’Accusation. Dans le cas de Jokic, la Chambre de première instance a tenu compte de sa reddition volontaire, du mauvais état de santé de sa fille, des nombreuses garanties offertes par la Serbie-et-Monténégro et du consentement conditionnel de l’Accusation.

25. Le Collège estime qu’en application de l’article 65 B) du Règlement, la Chambre de première instance ne saurait, pour se prononcer sur une demande de mise en liberté provisoire, se fonder uniquement sur la gravité des accusations pesant sur l’accusé, mais elle est certainement en droit d’en tenir compte pour déterminer si l’accusé, s’il est libéré, se présentera à son procès9. Il est évident que plus lourde est la peine encourue, plus grande est l’incitation à fuir. Comme la Chambre de première instance s’est fondée sur la gravité des accusations portées contre Bala en plus de plusieurs autres facteurs, elle n’a pas commis d’erreur en en tenant compte. Rien ne porte à croire, dans la décision, que la Chambre a considéré ce facteur comme déterminant ou comme suffisant en soi à justifier la détention. Comme l’a fait observer l’Accusation, le cas qui nous préoccupe peut et doit être distingué des autres cas où la demande de mise en liberté provisoire a été favorablement accueillie, et rien ne justifie que la Chambre de première instance réserve à la présente demande le même sort que celui qu’elle a réservé à d’autres demandes.

26. Pour les raisons susmentionnées, le Collège conclut que la Défense n’a pas démontré, dans son troisième moyen d’appel, en quoi la Chambre de première instance a pu versé dans l’erreur dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 65 B) du Règlement (voir les paragraphes 5 à 13 plus haut) et qu’il doit par conséquent être rejeté.

d) La Chambre de première instance n’a pas examiné la question de savoir si des garanties permettant la mise en liberté provisoire avaient été fournies (quatrième moyen d’appel)

27. D’après la Défense, la Chambre de première instance s’est fourvoyée car il ressort clairement, en l’absence d’indications en sens contraire dans la Décision contestée, qu’elle n’a pas tenu compte des conditions strictes et détaillées dont la Défense proposait d’entourer la mise en liberté provisoire de Bala.

28. L’Accusation affirme que la Chambre de première instance a pris note de la volonté de Bala d’accepter toutes les conditions qui lui seraient imposées s’il était mis en liberté provisoire. Elle estime toutefois que la Chambre de première instance a eu raison de conclure que les engagements personnels de Bala ne pouvaient l’emporter sur d’autres facteurs favorables à la détention préalable au procès.

29. Dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 65 B) du Règlement, la Chambre de première instance doit tenir compte de tous les faits décisifs d’une affaire. Elle a pris bonne note des arguments exposés par la Défense dans sa requête originale et des engagements personnels de Bala. Après les avoir mis en balance avec tous les autres facteurs pertinents, elle a raisonnablement conclu que Bala ne devait pas être libéré.

30. Pour les raisons susmentionnées, le Collège conclut que la Défense n’a pas démontré, dans son quatrième moyen d’appel, en quoi la Chambre de première instance a pu verser dans l’erreur dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 65 B) du Règlement (voir les paragraphes 5 à 13 plus haut) et qu’il doit par conséquent être rejeté.

e) La Chambre de première instance a eu tort de refuser d’accorder une audience (cinquième moyen d’appel)

31. D’après la Défense, la Chambre de première instance a indûment refusé de lui accorder une audience, car, dans l’histoire du Tribunal international, jamais une demande de mise en liberté provisoire n’a été refusée « sur documents écrits uniquement  » alors qu’une audience avait été demandée. Ce refus, prétend la Défense, l’a privée de la possibilité de citer d’importants témoins et de présenter ses arguments oralement et a privé Bala de l’occasion d’être entendu et de faire savoir oralement qu’il était prêt à respecter les conditions de sa mise en liberté provisoire. Il en découle que la Chambre de première instance a rejeté la demande de mise en liberté provisoire pour des « motifs génériques »10.

32. L’Accusation est d’avis que la décision de recevoir ou non des arguments oraux en plus des arguments écrits relève du pouvoir d’appréciation de la Chambre de première instance et que, lorsqu’elle a sollicité une audience, la Défense n’a pas exprimé son intention de citer des témoins supplémentaires.

33. Le Collège souscrit dans une large mesure aux arguments de l’Accusation. Un autre collège de juges de la Chambre d’appel, en rejetant une demande d’autorisation d’interjeter appel dans l’affaire Odjanic, a tenu le raisonnement suivant :

« ATTENDU […] que le droit d’un accusé d’être entendu n’est pas similaire à ce qu’Ojdanic considère comme son droit d’être entendu en personne,
ATTENDU que le « droit » d’un accusé, qui est assisté, d’être entendu en personne n’est pas illimité et relève du pouvoir d’appréciation de la Chambre devant laquelle l’accusé comparaît,
ATTENDU qu’Ojdanic n’a présenté aucune raison impérieuse à l’appui de l’argument selon lequel la Chambre de première instance aurait dû l’entendre en personne en l’espèce, et qu’il n’a pas non plus prouvé qu’elle avait abusé de son pouvoir discrétionnaire en le lui refusant, [la Chambre refuse l’autorisation d’interjeter appel]. »11

Il s’ensuit que le droit d’être entendu en personne n’est pas absolu. La décision d’accorder une audience relève du pouvoir d’appréciation de la Chambre de première instance et celle-ci peut légitimement estimer qu’une audience est inutile si, comme en l’espèce, l’information dont elle dispose est suffisante pour rendre une décision en connaissance de cause. La Défense n’a pas démontré l’utilité d’une audience, c’est-à-dire la raison pour laquelle une telle audience, à supposer qu’elle ait été accordée, aurait pu conduire la Chambre de première instance à rendre une autre conclusion.

34. Pour les raisons susmentionnées, le Collège estime que les arguments invoqués par la Défense à l’appui du cinquième moyen d’appel ne démontrent pas en quoi la Chambre de première instance a pu commettre une erreur dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 65 B) du Règlement (voir les paragraphes 5 à 13 plus haut) et, par conséquent, ils sont rejetés.

IV. Dispositif

35. Le Collège conclut que la Défense, dans sa Demande d’autorisation d’interjeter appel, ne démontre pas en quoi la Chambre de première a pu verser dans l’erreur dans l’exercice des pouvoirs que lui confère l’article 65 B) du Règlement et que, par conséquent, il n’y a pas de « motifs sérieux », au sens de l’article 65 D) du Règlement, justifiant de faire droit à la demande d’autorisation d’interjeter appel. L’autorisation d’interjeter appel de la Décision contestée est donc refusée.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 31 octobre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
____________
Wolfgang Schomburg

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, Affaire n° IT-03-66-PT, « Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire de Haradin Bala », 16 septembre 2003.
2 - Ibid., p. 8.
3 - Le Procureur c/Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, Affaire n° IT-03-66-AR65, IT-03-66-AR65.2, IT-03-66-AR65.3, « Ordonnance relative à la Requête de l’Accusation aux fins de lui permettre de répondre globalement aux demandes d’autorisation d’interjeter appel », 30 septembre 2003.
4 - Le Procureur c/ Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, Affaire n° IT-03-66-AR65, IT-03-66-AR65.2, IT-03-66-AR65.3, « Prosecution’s Motion for Leave to Respond Jointly to the Accused’s Applications for Leave to Appeal the Trial Chamber’s Provisional Release Decisions », 26 septembre 2003.
5 - Le Procureur c/ Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, Affaire n° IT-03-66-AR65, IT-03-66-AR65.2, IT-03-66-AR65.3, « Reply of Haradin Bala to Consolidated Response of Prosecution to Applications for Leave to Appeal Against Decisions on Provisional Release », 10 octobre 2003 (la “Réplique”).
6 - Voir, notamment, Le Procureur c/ Blagojevic et consorts, Affaires n° IT-02-60-AR65.3 & IT-02-60-AR65.4, « Décision relative aux demandes d’autorisation d’interjeter appel de Blagojevic et Obrenovic », 16 janvier 2003, par. 8 ; Le Procureur c/ Brdanin et Talic, Affaire n° IT-99-36-AR65, « Décision relative à la requête aux fins d’autorisation d’interjeter appel », 7 septembre 2000, p. 3 ; et Le Procureur c/ Jokic, IT-03-66-AR65, « Décision relative à la demande d’autorisation de faire appel de Dragan Jokic », 18 avril 2002, par. 3.
7 - Voir, entre autres, Le Procureur c/ Darko Mrda, Affaire n° IT-02-59-PT, « Décision relative à la Requête de Darko Mrda aux fins de mise en liberté provisoire », 15 avril 2002, Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura, « Décision autorisant la mise en liberté provisoire d’Enver Hadzihasanovic », 19 décembre 2001.
8 - Voir la Réplique, par. 2.
9 - Le Procureur c/ Nikola Sainovic et Dragoljub Ojdanic, « Décision relative à la mise en liberté provisoire », 30 octobre 2002, par. 6.
10 - Voir la Réplique, p. 2.
11 - Le Procureur c/ Nikola Sainovic et Dragoljub Ojdanic, Affaire n° IT-99-37-AR65.2, « Décision refusant à Ojdanic l’autorisation d’interjeter appel », 27 juin 2003, p. 4.