Affaire n° : IT-03-66-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Kevin Parker, Président
M. le Juge Krister Thelin
Mme le Juge Christine Van Den Wyngaert

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
14 avril 2005

LE PROCUREUR

c/

Fatmir LIMAJ
Haradin BALA
Isak MUSLIU

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DES CONSEILS COMMIS D’OFFICE DANS L’AFFAIRE MILOSEVIC AUX FINS DE MODIFIER LES MESURES DE PROTECTION PRISES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 75 DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

M. Alex Whiting 
M. Julian Nicholls
M. Milbert Shin
M. Colin Black

Les Conseils commis d’office dans Milosevic :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

L’Amicus curiae dans Milosevic :

M. Timothy McCormack

L’Accusé dans Milosevic :

Slobodan Milosevic

Les Conseils des Accusés :

MM. Michael Mansfield et Karim A. A. Khan pour Fatmir Limaj
MM. Gregor Guy-Smith et Richard Harvey pour Haradin Bala
MM. Michael Topolski et Steven Powles pour Isak Musliu

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête du 8 avril 2005 (la « Requête »)1, présentée par les conseils commis d’office à la défense de Slobodan Milosevic (les « Conseils commis d’office dans l’affaire Milosevic »), dans laquelle lesdits conseils demandent à la Chambre de modifier les mesures de protection dont bénéficie le témoin à charge Dragan Jasovic qui a déposé en l’espcce les 5, 6 et 7 avril 2005 et, par ailleurs, d’ordonner au Greffe de communiquer les comptes rendus de toutes les dépositions faites à huis clos partiel par Dragan Jasovic ainsi que les copies de tous documents et picces à conviction confidentiels produits par le témoin pendant le procès,

VU la réponse déposée le 12 avril 20052 pour le compte du Bureau du Procureur (l’ « Accusation »), dans laquelle il est avancé que, quoique nullement tenue de communiquer les pièces en question aux Conseils commis d’office ou à l’Accusé dans l’affaire Milosevic, vu les dispositions afférentes du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), l’Accusation ne s’opposera pas à ce que la Chambre fasse droit à la Requête si elle estime que c’est dans l’intérêt de la justice,

ATTENDU que les conseils des accusés en l’espèce ont indiqué qu’ils ne s’opposeraient pas à la Requête3,

VU l’article 75 du Règlement qui dispose notamment qu’« [u]ne fois que des mesures de protection ont été ordonnées en faveur d’une victime ou d’un témoin dans le cadre d’une affaire portée devant le Tribunal, ces mesures continuent de s’appliquer mutatis mutandis dans toute autre affaire portée devant le Tribunal […] et qu’une partie qui souhaite obtenir l’annulation, la modification ou le renforcement de mesures ordonnées dans une autre affaire doit soumettre sa demande à la Chambre encore saisie de cette affaire, quelle que soit sa composition,

ATTENDU par conséquent que, ayant ordonné les mesures de protection relatives aux pièces demandées, la Chambre est régulièrement saisie de la Requête,

VU les arguments présentés par les Conseils commis d’office dans l’affaire Milosevic à l’appui de la Requête, à savoir :

1) qu’un certain nombre de déclarations de témoins portant sur les événements survenus en 1999 dans la région de Racak (Kosovo), recueillies par Dragan Jasovic — à l’époque policier serbe au secrétariat aux affaires intérieures d’Urosevac — ont été présentées par un témoin à décharge dans l’affaire Milosevic et versées au dossier par la Chambre saisie de cette affaire ;

2) que les déclarations semblent notamment révéler l’identité de membres de l’ALK à Racak et alentour, et que certains noms correspondent à ceux qui figurent à l’annexe A de l’acte d’accusation relatif au Kosovo dans l’affaire Milosevic ;

3) que l’Accusation conteste l’admissibilité des déclarations de témoins au motif notamment que celles-ci ont été obtenues sous la contrainte et, partant, que leur versement au dossier est contraire à l’article 95 du Règlement ;

4) que Slobodan Milosevic demande maintenant à citer Dragan Jasovic dans le cadre de sa propre affaire4, afin d’établir notamment que ce dernier a recueilli les déclarations de témoins conformément à la loi ;

ATTENDU qu’une partie a toujours le droit de demander des documents de quelque origine que ce soit qui pourraient l’aider à préparer son dossier à condition de les identifier ou de décrire leur nature générale, et d’établir l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent5,

ATTENDU que l’accès à des pièces confidentielles présentées dans une autre affaire est accordé lorsque la partie requérante parvient à démontrer que lesdites pièces sont susceptibles de l’aider grandement à présenter sa cause ou, tout au moins, qu’il y a de bonnes chances pour qu’il en soit ainsi6,

ATTENDU en outre que des pièces peuvent être considérées comme pertinentes lorsqu’un lien existe entre l’affaire de la partie requérante et les affaires dans le cadre desquelles ces pièces ont été présentées (c’est-à-dire dès lors que sont incriminés des faits qui ont eu lieu dans la même région et à la même époque)7,

ATTENDU que même s’il y a eu plus ou moins des recoupements dans l’espace entre certains faits incriminés dans l’affaire Milosevic et les faits incriminés en l’espèce, les recoupements dans le temps n’apparaissent pas clairement,

ATTENDU toutefois que l’Accusation conteste l’admissibilité des déclarations de témoins recueillies par Dragan Jasovic à Racak (Kosovo) et alentour dans l’affaire Milosevic au motif notamment que lesdites déclarations ont été obtenues sous la contrainte,

ATTENDU par conséquent que les témoignages sur la manière dont les déclarations de témoins ont été recueillies par Dragan Jasovic en général, question abordée par ce dernier dans sa déposition devant la Chambre, peuvent ętre utiles à la Défense de Slobodan Milosevic, comme peut présenter un intéręt pour elle la question de la crédibilité de Dragan Jasovic, et, ATTENDU en outre, que Slobodan Milosevic entend le citer à comparaître dans le cadre de sa propre affaire aux fins, notamment, d’approfondir ces questions,

ATTENDU que les Conseils commis d’office dans l’affaire Milosevic ont identifié les pièces demandées et, de l’avis de la Chambre, ont démontré qu’elles peuvent être d’une grande aide pour la défense de Slobodan Milosevic,

ATTENDU toutefois qu’il n’a pas été établi que l’identité des personnes nommées par le témoin à charge Dragan Jasovic lors d’une audience à huis clos partiel en l’espèce est utile à la Défense de Slobodan Milosevic et, dcs lors, que les noms de ces personnes doivent être supprimés dans ces comptes rendus d’audiences à huis clos partiel et les documents et pièces confidentiels produits par Dragan Jasovic avant qu’ils ne soient communiqués en application de la présente décision,

ATTENDU que, bien qu’assurant sa propre défense, Slobodan Milosevic bénéficie également de l’assistance de Conseils commis d’office et d’un conseil désigné à titre d’amicus curiae (l’« Amicus curiae »),

EN APPLICATION de l’article 75 G) i) du Règlement, FAIT DROIT à la Requête et ordonne ce qui suit :

1) Les mesures de protection dont bénéficie le témoin à charge Dragan Jasovic seront modifiées pour permettre aux Conseils commis d’office, à l’Accusé et à l’Amicus curiae dans l’affaire Milosevic d’avoir accès aux comptes rendus de la déposition faite par Dragan Jasovic à huis clos partiel et à tous les documents et pièces à conviction présentés par celui-ci en l’espèce, expurgés conformément à la présente décision, à charge pour l’Accusation de transmettre au Greffe les copies expurgées de ces documents pour distribution aux Conseils commis d’office, à l’Accusé et à l’Amicus curiae dans l’affaire Milosevic ;

2) Les Conseils commis d’office, l’Accusé et l’Amicus curiae dans l’affaire Milosevic ne communiqueront pas au public, tel que défini ci-après, l’un quelconque des documents confidentiels susvisés ;

Aux fins de la présente décision, le terme « public » inclut toutes les personnes, États, organisations, entités, associations et groupes autres que les Juges du Tribunal, les membres du Greffe, l’Accusation, ainsi que l’Accusé, les Conseils commis d’office et l’Amicus curiae dans l’affaire Milosevic et les assistants juridiques agréés par la Chambre saisie de cette affaire. Le terme « public » comprend également, sans s’y limiter, la famille, les amis et les relations de l’accusé, les accusés et leurs conseils dans d’autres affaires portées ou actions engagées devant le Tribunal, les médias et les journalistes.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 14 avril 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
___________
Kevin Parker

[Sceau du Tribunal]


1. Assigned Counsel Motion Pursuant to Rule 75 Requesting Access to Certain Confidential Material in the case of The Prosecutor v. Fatmir Limaj, Haradin Bala and Isak Musliu on Behalf of the Defence of Slobodan Milosevic, 8 avril 2005.
2. Prosecution’s Response to Assigned Counsel Motion Pursuant to Rule 75 Requesting Access to Certain Confidential Material in the case of The Prosecutor v. Fatmir Limaj, Haradin Bala and Isak Musliu on Behalf of the Defence of Slobodan Milosevic, 12 avril 2005.
3. Compte rendu d’audience en l’affaire Le Procureur c/ Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu, p. 5833.
4. Les conseils commis d’office indiquent dans la Requête que la Chambre de première instance saisie de l’affaire Milosevic a accepté, comme l’avait demandé oralement l’accusé, de citer M. Jasovic à comparaître, alors que celui-ci ne figure pas sur la liste de témoins initiale déposée en application de l’article 65 ter du Règlement.
5. Le Procureur c/ Kvocka et consorts, affaire n° IT-98-30/1-A, Décision relative à la requête de Momcilo Gruban aux fins d'accéder à des pièces, 13 janvier 2003, par. 5, citant les affaires évoquées.
6. Ibidem.
7. Ibidem.