Affaire n° : IT-03-66-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Kevin Parker, Président
M. le Juge Krister Thelin
Mme le Juge Christine Van Den Wyngaert

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
26 octobre 2005

LE PROCUREUR

c/

Fatmir LIMAJ
Haradin BALA
Isak MUSLIU

______________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA NOUVELLE DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE DE FATMIR LIMAJ

______________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Alex Whiting
M. Julian Nicholls
M. Milbert Shin
M. Colin Black

Les Conseils des Accusés :

MM. Michael Mansfield et Karim A. Khan, pour Fatmir Limaj
MM. Gregor Guy-Smith et Richard Harvey, pour Haradin Bala
MM. Michael Topolski et Steven Powles, pour Isak Musliu

 

I. RAPPEL DE LA PROCÉDURE

1. La Chambre de première instance (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis  1991 (le « Tribunal ») est saisie de la nouvelle demande de mise en liberté provisoire de Fatmir Limaj (Defence Renewed Motion for Provisional Release of Fatmir Limaj ) (la « Demande »), déposée à titre confidentiel le 5 septembre 2005. Dans la Demande, la Défense sollicite de la Chambre la mise en liberté provisoire de Fatmir Limaj jusqu’à la date du prononcé de son jugement ou pour une période plus courte à déterminer par la Chambre, en application des articles 20 et 21 du Statut et des articles 54, 65 et 73 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »). L’Accusation s’est opposée à la Demande par sa réponse (Prosecution’s Response to Defence Renewed Motion for Provisional Release of Fatmir Limaj) (la « Réponse  »), déposée le 14 septembre 2005. Le 21 septembre 2005, la Défense a déposé une réplique (Defence Reply to the Prosecution Response to Defence Renewed Motion for Provisional Release of Fatmir Limaj) (la « Réplique »). Le 22 septembre  2005, en application de l’article 126 bis du Règlement, la Chambre a autorisé la Défense à déposer la Réplique.

2. La Défense avait déjà déposé une demande de mise en liberté provisoire le 24  juin 2003 (la « Demande antérieure »). La Chambre de première instance I avait rendu sa décision le 12 septembre 20031 ( la « Décision antérieure »), rejetant la demande de l’Accusé au motif que celui- ci aurait pu prendre la fuite. La Décision antérieure de la Chambre de première instance I se fondait sur un certain nombre d’éléments, à savoir qu’elle n’était pas convaincue que l’Accusé se serait rendu volontairement s’il avait eu l’occasion de le faire, que l’Accusé se voyait reprocher des crimes graves, et que la MINUK, chargée de l’administration du Kosovo, n’était pas en mesure de fournir des garanties. Le 22 septembre 2003, la Défense avait déposé une demande d’autorisation d’interjeter appel contre la décision rendue par la Chambre de première instance2. Le 31 octobre 2003, la Chambre d’appel avait rejeté la demande, au motif que les conclusions de la Chambre de première instance n’étaient pas erronées (la « Décision de la Chambre d’appel »). Elle avait en particulier confirmé la conclusion de la Chambre de première instance relative à la reddition de l’Accusé et n’avait pas considéré que la Chambre de première instance accordait trop d’importance à l’absence de garanties de la part de la MINUK.

II. ARGUMENTS DES PARTIES

3. À l’appui de sa Demande, la Défense soutient que les conditions de mise en liberté provisoire après le procès ne diffèrent pas de celles qui s’appliquent durant la phase préalable au procès. La Défense renvoie à la Décision antérieure et affirme que les conclusions de la Chambre de première instance I se fondaient sur l’absence de garanties de la part de la MINUK, chargée de l’administration du Kosovo. À cet égard, la Défense cite la décision rendue précédemment dans l’affaire Ramush Haradinaj, dans laquelle la MINUK a fourni des garanties en vue de la mise en liberté provisoire de l’Accusé et indiqué que la situation en matière de sécurité s’était améliorée au Kosovo. La Défense soutient qu’en conséquence, la nouvelle Demande est très différente de la Demande antérieure. Elle maintient que, contrairement à ce que la Chambre avait conclu dans la Décision antérieure, l’Accusé s’est en réalité rendu volontairement. Pour appuyer ses dires, elle renvoie aux dépositions à l’audience de l’Accusé et celle de M. Bajram Rexhepi, ainsi qu’aux conclusions écrites précédemment examinées par la Chambre de première instance. La Défense estime que les circonstances de la reddition de l’Accusé sont similaires à celles de Ramush  Haradinaj, hormis le fait que l’Accusé en l’espèce n’a pas eu la même possibilité de se rendre volontairement. Elle soutient que la situation personnelle de l’Accusé, notamment l’état de santé de ses parents, son souhait de retrouver sa famille et de préparer l’après-procès, quelle qu’en soit l’issue, justifie l’octroi d’une mise en liberté provisoire. La Défense, prévoyant certains arguments de l’Accusation, les a réfutés à l’avance dans sa demande. Elle affirme que la peine requise par l’Accusation est sans valeur avant le prononcé du jugement. À cet égard, la Défense affirme également que les preuves présentées en l’espèce ne sont pas « accablantes  ». Elle soutient que l’Accusé, qui ne souhaite pas devenir un fugitif à vie, ne saurait profiter de l’occasion pour fuir. Enfin, la Défense argue de la pertinence, dans le cadre de la Demande, de la décision, rendue par une autre Chambre de première instance, de mettre en liberté provisoire Biljana Plavsic à la suite de son plaidoyer de culpabilité et avant le jugement portant condamnation. Dans sa Réplique, la Défense conteste toutes les allégations de pressions exercées sur des témoins. La Défense affirme que ces allégations infondées, faites par l’Accusation avant le procès, n’ont pas été établies durant celui-ci. Elle fait remarquer que l’Accusation n’a produit aucune preuve de pressions exercées sur les témoins. Elle soutient également qu’il est inexact d’affirmer, comme le fait l’Accusation dans ses conclusions, que le passeport de l’Accusé contenait des lieu et date de naissance erronés ; la Défense explique en effet que durant cette période de troubles, de nombreux documents de voyage contenaient des erreurs. Elle insiste également sur le fait que, si l’Accusé n’a pas informé les médias de l’endroit où il se trouvait exactement, c’était pour éviter toute difficulté liée à l’organisation du voyage, protéger sa vie privée et préserver une certaine dignité. En réponse à l’affirmation de l’Accusation selon laquelle, à ce stade de la procédure, la tentation de fuir est plus grande que jamais pour l’Accusé, la Défense prétend que les accusations, et la peine requise, se situent « au bas de l’échelle des infractions dont connaît le TPIY3  ». En outre, dans l’éventualité où la MINUK ne souhaiterait ou ne pourrait pas surveiller l’Accusé de façon efficace, la Défense renouvelle sa demande subsidiaire en faveur d’une courte période de mise en liberté provisoire. À défaut de cela, elle propose que la Chambre ordonne, non une mesure de transfert de l’Accusé, mais une permission de sortie pour rendre une visite à ses parents au Kosovo, sous la surveillance du personnel du Tribunal.

4. L’Accusation s’oppose à la Requête pour diverses raisons. Elle estime que l’affirmation de l’Accusé selon laquelle la Décision antérieure était « fondée sur l’absence de garanties de la part de la MINUK4 » ne faisait que reprendre l’argument qu’elle avait invoqué dans l’appel interjeté contre celle-ci et qui avait été rejeté par la Chambre d’appel. En outre, l’Accusation soutient que la capacité de la MINUK à fournir des garanties à la Chambre s’agissant de l’Accusé n’a pas fondamentalement changé depuis qu’elle a énoncé sa position, citée dans la Demande antérieure ; à l’appui de cet argument, l’Accusation renvoie à l’affaire Beqa Beqaj, dans laquelle la MINUK a indiqué au début de l’année qu’elle ne disposait pas de ressources suffisantes pour surveiller l’Accusé comme il se doit. L’Accusation estime que les circonstances de la reddition de l’Accusé ne devraient pas être réexaminées puisqu’elles ont déjà été traitées en détail dans la Décision antérieure et dans la Décision de la Chambre d’appel, laquelle a en particulier confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle l’Accusé ne s’était pas rendu volontairement et rappelé les fausses déclarations qu’il avait faites à la presse et aux autorités slovènes qui l’ont arrêté. L’Accusation affirme qu’au vu des éléments portés à sa connaissance, la Chambre n’a aucune raison de s’écarter de sa Décision antérieure. Elle fait observer qu’au vu de la solidité des preuves à charge et du fait que l’Accusé connaît la peine requise, il est «  difficile d’imaginer une situation dans laquelle un accusé serait plus tenté de fuir5 ». L’Accusation établit une distinction avec les deux affaires dans lesquelles une mise en liberté provisoire a été accordée récemment dans l’attente du jugement6, distinction fondée en particulier sur le fait que les trois accusés dont les demandes ont été accueillies avaient déjà été mis en liberté provisoire avant le procès. Elle distingue également le cas de l’Accusé de celui de Ramush Haradinaj, qui s’est rendu volontairement au Tribunal et dont le procès ne s’ouvrira probablement pas avant 2007. L’Accusation soutient qu’on ne saurait comparer le cas de l’Accusé avec celui de Biljana Plavsic puisque celle-ci avait plaidé coupable des crimes qui lui étaient reprochés, apportant une contribution importante à la réconciliation dans le pays. L’Accusation maintient que, s’il était libéré, l’Accusé mettrait en danger des victimes et des témoins. À cet égard, elle fait valoir que certains événements qui se sont produits depuis 2003 ont confirmé que les victimes et les témoins en l’espèce sont en danger et que l’on « soupçonne fortement7  » des proches de l’Accusé d’avoir exercé des pressions sur des témoins. L’Accusation pense que cette situation persiste, même si les témoins ont fini de déposer, particulièrement parce que les débats en l’espèce ne sont pas clos et qu’il pourrait être nécessaire de citer de nouveau certains témoins à l’avenir.

III. EXAMEN

5. L’article 65 du Règlement dispose notamment :

A) Une fois détenu, l’accusé ne peut être mis en liberté provisoire que sur ordonnance d’une Chambre.

B) La mise en liberté provisoire ne peut être ordonnée par la Chambre de première instance qu’après avoir donné au pays hôte, et au pays où l’accusé demande à être libéré la possibilité d’être entendus, et pour autant qu’elle ait la certitude que l’accusé comparaîtra et, s’il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne.

6. La Chambre reconnaît que rien ne justifie de faire de l’article 65 du Règlement une interprétation qui le limite à la phase préalable au procès et qu’elle a compétence pour examiner la demande de l’Accusé8.

7. La Chambre d’appel a fourni une liste non exhaustive d’éléments pertinents à prendre en compte lors de l’examen d’une demande de mise en liberté provisoire dans l’attente du jugement. Il convient d’établir la gravité des crimes reprochés au requérant et, s’il est déclaré coupable, la longueur de la peine d’emprisonnement encourue ; les circonstances dans lesquelles il s’est rendu ; le degré de coopération des autorités concernées ; le fait que le gouvernement concerné ait ou non fourni des garanties pour que l’accusé revienne au Tribunal pour le prononcé du jugement et observe les conditions fixées pour sa mise en liberté provisoire ; l’importance des fonctions occupées par l’Accusé, dans la mesure où cela a une incidence sur la valeur à accorder aux garanties fournies par les autorités ; la garantie personnelle de respecter toutes les conditions énoncées pour sa mise en liberté provisoire apportée par le requérant ; la probabilité que les autorités concernées procèdent à une nouvelle arrestation de l’accusé, dans le cas où celui-ci refuserait de se représenter devant le Tribunal au moment voulu — dans la mesure où l’on peut actuellement le prévoir. La Chambre ajouterait encore à cela la conduite de l’Accusé durant le procès. Le degré de pertinence et l’importance relative à accorder à ces considérations varieront bien évidemment en fonction des circonstances de l’espèce.

8. Conformément à la jurisprudence du Tribunal, pour revenir sur sa décision, la Chambre doit être convaincue qu’« un changement fondamental s’est produit depuis la dernière demande »9. C’est toujours à l’Accusé qu’il incombe de convaincre la Chambre, notamment, qu’il comparaîtra pour le prononcé du jugement et que, durant la période de sa mise en liberté provisoire, il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne10. Étant donné les limites fixées à la compétence du Tribunal et à ses moyens de coercition, et vu qu’il doit se reposer sur les autorités locales ou internationales pour surveiller les mouvements et la conduite de l’Accusé et pour donner effet à ses mandats d’arrêt, l’Accusé doit présenter des arguments clairs et solides pour convaincre la Chambre que, s’il est mis en liberté provisoire, il se représentera pour le prononcé du jugement, et qu’il ne mettra pas en danger pour victime, un témoin ou toute autre personne11.

9. Le 10 octobre 2005, les autorités du pays hôte ont informé le Tribunal qu’elles ne voyaient aucune objection à la mise en liberté provisoire de l’Accusé. Le 11  octobre 2005, la MINUK, chargée de l’administration du Kosovo, a répondu aux demandes de la Chambre quant au type de surveillance et aux garanties qu’elle pouvait fournir s’agissant de l’Accusé. Dès lors, la Chambre considère qu’il a été satisfait aux conditions énoncées à l’article 65 B) du Règlement, à savoir, de donner au pays hôte et au pays où l’accusé demande à être libéré la possibilité d’être entendus.

10. Contrairement à l’un des principaux arguments avancés par la Défense, la Chambre ne peut, à ce stade, considérer qu’un changement fondamental de circonstances justifie la demande puisqu’au vu des preuves produites au procès, il est fort peu probable qu’il soit déclaré coupable. La Chambre procède actuellement à l’examen des éléments de preuve et des conclusions des parties sur un certain nombre de questions juridiques, en vue de déterminer si l’Accusé et chacun de ses coaccusés sont coupables ou non coupables des accusations portées contre eux. En l’espèce, on ne peut conclure, à ce stade, avant d’avoir terminé l’examen du droit et des preuves, que l’Accusé ne sera probablement pas déclaré coupable. La Chambre estime qu’elle ne servirait pas la justice en détournant son attention de l’examen de l’ensemble du droit et des preuves pour déterminer la culpabilité ou l’innocence de chaque accusé, pour procéder, dans le cadre de la présente Demande, à une sorte d’évaluation provisoire des « probabilités de condamnation ou d’acquittement » de l’Accusé Fatmir Limaj s’agissant de chaque accusation dont il fait l’objet.

11. En effet, dans la mesure où la probabilité qu’il soit déclaré coupable et puni pourrait l’inciter à fuir, il convient de faire remarquer qu’à ce stade, l’Accusé a entendu tous les éléments de preuve et toutes les conclusions. Son évaluation personnelle de la probabilité qu’il soit condamné influence probablement plus sa conduite que l’évaluation finale par la Chambre du droit et des preuves. La Chambre n’est pas en position de jauger ce que pense l’Accusé de sa situation à ce stade de la procédure. C’est la raison pour laquelle on considère que la proximité de la date du jugement est un facteur qui peut jouer en défaveur d’une mise en liberté provisoire12. Selon qu’il s’attend à être déclaré coupable ou non coupable, l’Accusé pourrait, à ce stade de la procédure, être particulièrement tenté de prendre la fuite.

12. Dans ses conclusions, l’Accusation a mis l’accent sur la peine qu’il conviendrait de prononcer si l’Accusé était reconnu coupable de toutes les accusations portées à son encontre. S’il est possible que cet élément influence fortement l’Accusé à ce stade, la Chambre fait remarquer qu’il ne renforce pas la position de l’Accusation. Si l’Accusé était reconnu coupable d’une ou plusieurs des accusations à son encontre, il va cependant de soi, étant donné leur nature et leur gravité, qu’il y a de fortes chances pour que la peine d’emprisonnement prononcée soit lourde. Dès lors, l’éventualité d’une déclaration de culpabilité ne saurait être considérée comme de peu de conséquence ou d’importance.

13. La Chambre sait bien évidemment que la perspective d’une lourde peine d’emprisonnement ne saurait être retenue contre l’Accusé dans l’abstrait, puisque tous les accusés comparaissant devant le Tribunal se voient reprocher des crimes graves et encourent, s’ils sont reconnus coupables, des peines lourdes13. Néanmoins, pour les raisons exposées ci-dessus, la gravité des accusations portées contre l’Accusé et de la peine encourue est un élément qui milite, dans une certaine mesure, surtout dans l’attente du jugement, contre la mise en liberté provisoire de l’Accusé14.

14. Dans leurs conclusions, les parties ont examiné attentivement les circonstances de la reddition de l’Accusé. Dans la mesure où la Défense se fonde ici sur des éléments à décharge différents de ceux produits au procès sur ces circonstances, la Chambre fait remarquer que ces éléments de preuve ne révèlent que le fait qu’elle cherche à fournir une explication et une justification différentes de la conduite de l’Accusé au moment des faits. Tandis que la Chambre reconnaît que, si ces éléments de preuve étaient admis, l’objectif de l’Accusé n’aurait peut-être pas été la fuite, il resterait néanmoins le fait qu’il a tenté d’éviter et de retarder sa mise en détention, et ce, à la connaissance de l’un ou plusieurs membres du Gouvernement. On ne peut savoir avec certitude s’il aurait fini par se rendre volontairement au Tribunal, dans l’éventualité où on lui en aurait laissé le choix.

15. Aucune garantie gouvernementale formelle n’a été fournie à la Chambre à l’appui de la présente Demande. Le conseil a simplement exposé les possibilités telles qu’indiquées dans deux lettres. Dans un souci de clarifier la position de la MINUK, chargée de l’administration du Kosovo, puisque l’Accusé souhaite être libéré sur le territoire qu’elle administre, il a posé des questions, et il a reçu des indications détaillées quant à la position de la MINUK. Cette démarche est bien évidemment pertinente et revêt une importance certaine, étant donné que le Tribunal ne dispose pas de moyens de coercition propres15. La Chambre examinera l’assistance et les garanties proposées par la MINUK, au vu des circonstances de l’espèce16 et de la situation personnelle de l’Accusé17. La nécessité de s’informer auprès de la MINUK a retardé l’examen de la Demande.

16. La Chambre a pris en compte les arguments présentés par la Défense dans l’affaire Ramush Haradinaj au sujet des engagements pris18. La Chambre a également considéré que la réponse de la MINUK, dans laquelle celle -ci indique que sa réponse à certaines questions en l’espèce diffère de celle qu’elle avait donnée dans l’affaire Beqa Beqaj, montre qu’à certains égards, la capacité actuelle de la MINUK à surveiller de manière effective l’Accusé pendant son séjour au Kosovo s’est améliorée. Toutefois, la Chambre sait également que la MINUK ne peut assurer que l’Accusé respectera les conditions de sa mise en liberté provisoire, même durant son séjour au Kosovo que sous condition et avec des restrictions. Le manque de garanties, ajouté à la position de la MINUK s’agissant du transfert de l’Accusé et sa réticence à assumer la responsabilité de l’Accusé durant son trajet entre l’aéroport de Schiphol et le Kosovo, à l’aller comme au retour, ne permet pas à la Chambre de savoir avec certitude dans quelle mesure la MINUK peut veiller à ce que l’Accusé se conforme aux conditions de sa mise en liberté provisoire, et notamment qu’il ne cherchera pas à entrer en contact avec des témoins et qu’il se représentera devant le Tribunal pour le prononcé du jugement. Aucun élément convaincant ne justifie la proposition faite par la Défense que le Tribunal prenne à sa charge les frais et assure la sécurité du transfert de l’Accusé au Kosovo, à l’aller comme au retour. La Chambre fait également remarquer que l’Accusé a occupé des fonctions politiques très importantes au Kosovo et qu’il paraît y jouir encore d’une influence considérable.

17. L’Accusation a fait remarquer, à bon escient, que chacun des trois accusés récemment mis en liberté provisoire dans l’attente de leur jugement l’avait également été durant la phase préalable au procès. Chaque accusé a donc démontré qu’il pouvait se conformer aux conditions de la mise en liberté provisoire, ce dont il a été tenu compte dans chaque cas19. L’Accusé en l’espèce n’a pas été mis en liberté provisoire par le passé ; la Chambre n’est donc pas en mesure de se fonder sur le fait que l’Accusé a montré par le passé qu’il était disposé à se conformer aux conditions de la mise en liberté provisoire. Lorsque l’on passe en revue ces éléments, on comprend que le cas de Biljana Plavsic est nettement différent, étant donné que la demande de mise en liberté provisoire avait été accordée à la suite d’un plaidoyer de culpabilité20.

18. La Chambre n’est pas convaincue par les arguments de l’Accusation selon lesquels, si l’Accusé était mis en liberté provisoire, il mettrait en danger pour toute victime ou témoin ayant déposé au procès, ou toute autre personne. Le fait que l’Accusé ait été « fortement soupçonné »21 d’avoir participé à une tentative de faire pression sur des témoins n’a pas été confirmé durant le procès ou dans la Demande. Sur ce point, et de manière générale, la Chambre fait remarquer que l’Accusé s’est conduit correctement durant le procès et qu’il n’a commis aucune faute apparente.

19. À la lumière de ce qui précède, et notamment, des conditions et restrictions formulées par la MINUK s’agissant de garantir le retour de l’Accusé au Tribunal lorsqu’il lui sera demandé de le faire, le fait qu’à ce stade de la procédure, le risque potentiel de fuite et la tentation que peut avoir l’Accusé de se soustraire à la justice restent importants, voire sont les plus importants, ainsi que l’absence de sécurité suffisante et de dispositions financières en vue du transfert de l’Accusé au Kosovo, à l’aller comme au retour, la Chambre ne peut être convaincue comme elle devrait l’être au vu des raisons exposées, que l’Accusé, s’il est mis en liberté provisoire, se représentera pour le prononcé du jugement.

IV. DISPOSITIF

Par ces motifs, en application de l’article 65 du Règlement, la Chambre de première instance REJETTE la Demande.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
________________
Kevin Parker

Le 26 octobre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire de Fatmir Limaj, 12 septembre 2003.
2. Application for Leave to Appeal Against the Decision on Provisional Release of Fatmir Limaj, Rendered by Trial Chamber I on 12 September 2003, 22 septembre 2003.
3. Defence Reply to Prosecution Response to Defence Renewed Motion for Provisional Release of Fatmir Limaj, 21 septembre 2005.
4. Requête, par. 10.
5. Réponse, par. 8.
6. Le Procureur c/ Hadzihasanovic et Kubura, affaire n° IT-01-47-T, Décision relative aux requêtes d’Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura demandant une mise en liberté provisoire, 19 juillet 2005 (la « Décision Hadzihasanovic et Kubura ») et Le Procureur c/ Halilovic, Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire, affaire n° IT-01-48-T, 1er septembre 2005 (la « Décision Halilovic »).
7. Réponse, par. 25.
8. Décision Halilovic, p. 5.
9. Le Procureur c/ Martic, affaire n° IT-95-11-PT, Décision relative à la deuxième requête aux fins de mise en liberté provisoire, 12 septembre 2005, par. 16 (la « Décision Martic »).
10. Décision Martic, par. 12.
11. Décision Tolimir, Miletic et Gvero, par. 8.
12. Le Procureur c/ Rahim Ademi, affaire n° IT-01-46, Ordonnance relative à la requête aux fins de mise en liberté provisoire, 20 février 2002, par. 22.
13. Le Procureur c/ Prlic et consorts, affaire n° IT-04-74-T, Ordonnance relative à la demande de mise en liberté provisoire de Jadranko Prlic, 30 juillet 2004, par. 29 (Ordonnance Prlic et consorts).
14. Le Procureur c/ Cermak et Markac, affaire n° IT-03-73-AR65.1, Décision relative à l’appel interjeté contre la décision de la Chambre de première instance de refuser la mise en liberté provisoire, 2 décembre 2004, par. 25 ; Décision Tolimir, Miletic et Gvero, par. 10.
15. Ordonnance Prlic et consorts, par. 17.
16. Le Procureur c/ Mrksic, affaire n° IT-95-13/1-AR65, Décision relative à l’appel interjeté contre le rejet de la demande de mise en liberté provisoire, 8 octobre 2002, par. 9.
17. Décision Sainovic et Ojdanic, par. 7.
18. Demande, par. 16 à 22.
19. Décision Halilovic, p. 5 ; Le Procureur c/ Halilovic, affaire n° IT-01-48-T, Décision relative à la nouvelle demande de mise en liberté provisoire, 22 juillet 2005, p. 4 ; et Décision Hadzihasanovic et Kubura, p. 3 et 5.
20. Décision Hadzihasanovic et Kubura, p. 7 ; Le Procureur c/ Hadzihasanovic et Kubura, affaire n° IT-01-47-AR65.3, Décision relative à la demande d’autorisation d’interjeter appel, 28 juillet 2005, p. 6.
21. Réponse, par. 25.