Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 22 mars 2006

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 [Le témoin dépose par vidéoconférence]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 17.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Whiting.

7 M. WHITING : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame et

8 Monsieur les Juges. L'Accusation cite à comparaître son témoin suivant, Mme

9 Marica Vukovic.

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. Je voudrais que le

11 témoin répète après moi : "Je déclare solennellement…"

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement…

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] "…que je dirai la vérité, toute la

14 vérité et rien que la vérité."

15 LE TÉMOIN : [interprétation] … que je dirai la vérité, toute la vérité et

16 rien que la vérité.

17 LE TÉMOIN: MARICA VUKOVIC [Assermentée]

18 [Le témoin répond par l'interprète]

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Grand merci. Le témoin vient de

20 faire sa déclaration solennelle. Veuillez continuer, Monsieur Whiting.

21 M. WHITING : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

22 Interrogatoire principal par M. Whiting :

23 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Vukovic.

24 R. Bonjour.

25 Q. Est-ce que vous m'entendez et est-ce que vous me comprenez dans une

26 langue qui est la vôtre ?

27 R. Oui, je vous comprends.

28 Q. Si à un moment donné, vous ne pouvez pas m'entendre ou me comprendre,

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1 veuillez me le faire savoir, je vous prie.

2 R. Je comprends bien.

3 Q. Bien. Merci. Nous allons parler de votre biographie, et j'aimerais que

4 vous me confirmiez, vous êtes bien née le 9 avril 1955 dans la localité de

5 Poljanak ?

6 R. Oui.

7 M. WHITING : [interprétation] Pour préciser les choses à l'intention de la

8 Chambre, je dirais que le village de Poljanak peut être trouvé dans le

9 recueil de cartes qui se trouve au niveau de la pièce à conviction numéro

10 23, page 19, juste au-dessus de l'endroit indiqué par E3 sur la carte.

11 Q. Madame Vukovic, est-ce que vous êtes Croate ?

12 R. Oui.

13 Q. Est-ce que vous avez vécu à Poljanak toute votre vie, mis à part la

14 période entre le 7 novembre 1991 et l'année 1995 ?

15 R. En effet.

16 Q. Je voudrais que nous parlions maintenant de l'année 1991. Pouvez-vous

17 m'indiquer combien de familles résidaient dans cette localité de Poljanak à

18 cette époque ?

19 R. Une cinquantaine.

20 Q. Est-ce que Poljanak était un village surtout croate, ou surtout serbe,

21 ou mixte ?

22 R. C'était un village purement croate. Il y a eu seulement quelques

23 mariages mixtes dans ce village.

24 Q. Pouvez-vous nous préciser à quelle distance Poljanak se trouve de

25 Saborsko ?

26 R. A 14 kilomètres environ.

27 Q. Quelle est la distance qui sépare la localité de Poljanak et Plitvica ?

28 R. Huit kilomètres.

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1 Q. Est-ce que Poljanak se trouve entre Saborsko et Plitvica ?

2 R. Oui.

3 Q. Veuillez nous dire ce qui suit : en 1991, à quelle distance le hameau

4 de Vukovici se trouvait-il de Poljanak ?

5 R. Environ un demi kilomètre.

6 Q. Avant 1991, et je vous demande de préciser à l'intention des Juges de

7 la Chambre, quelles étaient les relations entre Serbes et Croates dans

8 votre secteur ?

9 R. Les relations étaient bonnes jusqu'en 1991.

10 Q. Comment les changements se sont-ils survenus en 1991 ?

11 R. Cela, je ne le sais pas.

12 Q. Nous allons peut-être procéder au pas à pas. Est-ce que l'une

13 quelconque des parties en présence, la partie serbe, ou la partie croate,

14 ou les deux auraient commencé à se procurer des armes en 1991 ?

15 R. On a vu plus d'armes dans le village serbe.

16 Q. Quand vous dites "le village serbe," à quel village pensez-vous ?

17 R. Je parle du village de Plitvica, parce que le 7 janvier 1991, je suis

18 tombée sur des hommes en uniformes portant des armes. C'étaient des soldats

19 serbes.

20 Q. Mais quel type d'uniformes portaient-ils, si tant est que vous vous en

21 souvenez ?

22 R. Il y avait des uniformes verts et des uniformes bariolés.

23 Q. Vous avez précisé que vous étiez à Plitvica le 7 janvier 1991. Dites-

24 nous pourquoi vous êtes allée là-bas, si vous vous en souvenez.

25 R. Oui. Puisque mon mari avait une sœur qui avait épousé un Serbe, ils

26 fêtaient le Noël orthodoxe, et nous sommes allés là-bas. On s'est arrêté au

27 niveau du pont et on a vu des hommes en armes dans le village de Plitvica,

28 avec ces uniformes verts. Nous ne savions pas pourquoi ils étaient venus,

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1 ni comment.

2 Q. Comment saviez-vous qu'ils étaient Serbes ?

3 R. On a reconnu plusieurs de nos voisins serbes.

4 Q. Bien. A l'époque, après janvier 1991, est-ce que les Croates de votre

5 village avaient rencontré des difficultés en voyageant par Plitvica ou en

6 allant là-bas ?

7 R. Jusqu'à Pâques, il n'y a pas eu de problèmes, mais après, très peu de

8 gens y sont allés.

9 Q. Nous allons passer à Pâques tout à l'heure. Vous nous avez dit qu'on

10 vous avait arrêtés sur le pont de Plitvica en janvier, le 7 janvier 1991.

11 Entre janvier 1991 et Pâques 1991, est-ce que cela s'est produit avec

12 d'autres personnes qui auraient été stoppées au pont de Plitvica ?

13 R. Je ne sais pas. Je sais qu'un jeune homme, Zdravko Sebalj, a été arrêté

14 là-bas, tout comme nous, le même jour, au soir. Il a été malmené lui aussi.

15 On lui a tout sorti de la voiture, et une fois rentré, il a raconté ce qui

16 s'était passé. D'autres y allaient ou n'y allaient pas, mais on n'y allait

17 plutôt pas parce que ce n'était pas très sûr.

18 Q. Ce jeune que vous avez mentionné, Zdravko Sebalj, vous avez dit que

19 c'était un ami. Etait-ce un Croate ou un Serbe ?

20 R. Un Croate du village de Lipovaca.

21 Q. Savez-vous ce qui lui est arrivé à Plitvica au juste ce jour-là ? Par

22 où est-il passé et que lui est-il arrivé ? Si tant est que vous le savez,

23 dites-le-nous.

24 R. Il travaillait chez un Serbe à Plitvica, chez Mladen Biga, et il était

25 censé partir faire son service. On l'a arrêté. On lui a demandé où il

26 allait, et il a dit qu'il allait faire ses adieux à son patron. Une fois

27 qu'il est arrivé là-bas, son patron lui a dit : Mais pourquoi es-tu venu ?

28 Tu as vu que la guerre est sur le point d'éclater, et tu viens me dire au

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1 revoir. Il a dit à ses amis de le laisser repartir et de ne pas toucher à

2 lui, et il a dit à Zdravko de ne plus retourner au village de Plitvica

3 parce que cela n'était plus sûr du tout.

4 Q. Le dénommé Mladen Biga que vous venez de mentionner, était-ce un Serbe

5 ou un Croate ?

6 R. Un Serbe.

7 Q. Il a dit à Zdravko de ne plus revenir à Plitvica parce que ce n'était

8 pas sûr; c'est cela ?

9 R. Oui.

10 Q. Vous avez dit tout à l'heure -- ou plutôt, vous avez mentionné des

11 événements à Pâques en 1991. Qu'est-il arrivé au moment des fêtes de

12 Pâques ?

13 R. Je ne sais pas trop. Le matin, mes filles sont allées à la discothèque

14 et elles ne sont pas revenues jusqu'à 6 heures du matin. J'ai demandé au

15 voisin si ses enfants étaient rentrés et il a dit que ses enfants n'étaient

16 pas rentrés non plus et. Il est allé jusqu'à Grabovac. La police ne le

17 laissait pas passer par la route principale. Il a dit que les enfants

18 étaient tous installés à Grabovac parce qu'à Plitvica il y avait la guerre,

19 et que les enfants ont été installés au motel de Grabovac, et que tant que

20 la situation ne serait pas stabilisée on ne les laisserait pas repartir. Ce

21 n'est que vers 10 heures du matin, le jour d'après, que les enfants sont

22 rentrés. On a vu à la télévision des barrages routiers, des blessés. On a

23 entendu des avions, des hélicoptères survoler. Je ne sais pas qui était à

24 bord ces hélicoptères.

25 Q. Vous venez de nous dire que les enfants ont été emmenés à Grabovac.

26 Dites-nous où se trouve Grabovac par rapport à l'emplacement de votre

27 village à vous ?

28 R. Grabovac se trouve à quelque huit kilomètres en direction de Zagreb.

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1 Les enfants étaient à la discothèque de Slunj et ils étaient censés revenir

2 de Slunj et ils ont été emmenés à Grabovac parce que la police les avait

3 arrêtés et ne les a pas laissés continuer.

4 Q. Après cet événement, s'agissant de Plitvica pour Pâques 1991, qu'est-il

5 survenu comme changements ? Que s'est-il passé ?

6 R. Après Pâques, les gens ne sont plus allés travailler. Ils ne se

7 sentaient plus en sécurité. Les hôtels ont fermé et il n'y avait plus de

8 gens qui venaient. Les voisins serbes venaient de moins en moins dans notre

9 village à nous. L'école aussi -- enfin, les autocars allaient des fois, et

10 des fois ne circulaient pas. C'est ainsi que cela s'est passé jusqu'au mois

11 de juin, jusqu'à la fin de l'année scolaire, et lorsque les cours ont pris

12 fin, on a cessé d'y aller carrément.

13 Q. Vous avez dit que les voisins serbes venaient de moins en moins souvent

14 dans votre village. Mais dites-moi, les Croates, allaient-ils de moins en

15 moins souvent dans les villages serbes ?

16 R. Oui. Les gens ne se déplaçaient pas sans en avoir vraiment besoin. Les

17 gens ne quittaient pas leurs maisons ou leurs propres villages.

18 Q. A un moment donné, vous êtes restée dans votre localité de Poljanak et

19 vous ne l'avez pas quitté ?

20 R. Non, je ne l'ai pas quitté jusqu'au 7 novembre. Le 5 septembre 1991,

21 les enfants mineurs et les femmes ayant des enfants mineurs sont allés à

22 Kraljvica, ont quitté Poljanak et les autres villages environnants pour y

23 aller.

24 Q. Bien. Je vous poserai des questions au sujet des choses que vous venez

25 de mentionner, mais vous avez déjà dit qu'après Pâques, à un moment donné,

26 plus personne n'allait nulle part. Est-ce qu'à un moment donné, après

27 Pâques, il est arrivé un moment où vous êtes restée à Poljanak sans plus

28 quitter votre village du tout ?

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1 R. Oui.

2 Q. Que --

3 R. Je n'allais plus nulle part.

4 Q. Quand est-ce que cela s'est passé ? Est-ce que c'est après Pâques que

5 vous avez cessé de quitter votre village ou est-ce que c'est après ? Dites-

6 nous plutôt quand est-ce que vous avez cessé de quitter votre village de

7 Poljanak.

8 R. A compter de Pâques. Les femmes restaient à la maison, les hommes qui

9 se sentaient plus en sécurité allaient faire des courses. Je n'ai plus

10 quitté mon village à compter de Pâques.

11 Q. Je crois que vous avez déjà répondu en partie à cette question-ci, mais

12 j'aimerais que vous nous précisiez pourquoi vous n'avez plus quitté votre

13 village après Pâques.

14 R. Mais je n'étais plus en sécurité.

15 Q. Est-il arrivé quelque chose aux gens qui ont quitté leurs villages pour

16 aller dans d'autres villages, vers d'autres localités ?

17 R. Là où il y avait des soldats et de la police serbes, on renonçait d'y

18 aller et nous ne fréquentions plus ces gens-là. Il n'y avait plus de

19 sécurité. Etant donné que dans tous les villages autour il n'y avait que

20 des Serbes, nous n'avons plus bougé de chez nous.

21 Q. Vous nous avez dit que vous ne vous sentiez pas en sécurité là où il y

22 avait des militaires serbes et une police serbe. Dites où ces soldats et

23 ces policiers serbes se trouvaient-ils ? Dans quels villages et à quelle

24 distance se trouvaient-ils de votre village ?

25 R. Ils étaient à Plitvica, au pont de Korana. Ils étaient au village de

26 Plitvica. Ils venaient dans notre village de Plitvica en arme et en

27 uniforme. Ceux du village de Plitvica ne nous touchaient pas, ne nous

28 malmenaient pas. Ils disaient, au contraire, que rien ne pouvait nous

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1 arriver pendant qu'eux étaient là au village.

2 Q. Les soldats ou la police serbes sont-ils venus dans votre village à

3 bord de véhicules ou ont-ils traversé votre village ?

4 R. Oui, ils sont passés à bord de blindés transport de troupes en

5 direction de Saborsko.

6 Q. A quelle fréquence cela se produisaient-ils, ces passages en blindés

7 transport de troupes pour se rendre à Saborsko ?

8 R. Ils savaient passer tous les jours au moins une fois, sinon deux fois,

9 mais ils y allaient tous les jours.

10 Q. Y a-t-il eu un moment -- est-ce qu'à un moment donné les blindés

11 transport de troupes ont rencontré un obstacle pour ce qui était de passer

12 par votre village et se rendre à Saborsko ?

13 R. Non, jamais.

14 Q. A quelle distance se trouve la localité de Korenica de là où vous étiez

15 ?

16 R. A quelque 25 kilomètres.

17 Q. Pendant cette période de temps, entre Pâques 1991 et jusqu'à l'été

18 1991, disons, est-ce que quiconque de votre village aurait quitté celui-ci

19 pour aller à Korenica ?

20 R. Oui, les enfants allaient à l'école en prenant l'autocar. Puis, les

21 jeunes gens allaient se faire recruter. Ils étaient censés aller faire leur

22 service militaire. Ils sont allés là-bas, ils ont été capturés, malmenés,

23 puis on les a relâchés assez tard dans la nuit. Il leur a été dit de ne

24 plus retourner à Korenica.

25 Q. Quand cela s'est-il produit ?

26 R. C'était en juin ou juillet, en juin 1991. Je ne suis pas tout à fait

27 certaine, mais je crois que c'était à cette période puisque les classes

28 n'avaient pas encore pris fin. Ces deux jeunes gars avaient quitté l'école

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1 à Korenica, au bout d'un mois ou deux, ils se sont retrouvés à Opatija.

2 Q. Veuillez nous préciser si Korenica est un village serbe, croate ou

3 mixte ?

4 R. La majorité était des Serbes.

5 Q. Vous avez dit que ces jeunes hommes ont été capturés et malmenés.

6 Savez-vous nous dire qui est-ce qui les a capturés et malmenés ?

7 R. Malheureusement, c'étaient des habitants de Korenica. Je ne sais pas

8 exactement qui.

9 Q. Vous a-t-on dit si c'étaient des Serbes ou des Croates, ces gens qui

10 les ont malmenés ?

11 R. Des Serbes.

12 Q. Est-il arrivé un moment où les villages de votre secteur ont été

13 pilonnés ?

14 R. Oui.

15 Q. Quand est-ce que ces pilonnages se sont produits pour la première fois

16 ? Quel est le village, d'après ce que vous en savez, qui a été pilonné en

17 premier ?

18 R. Le premier village incendié était celui de Rastovaca et c'est à partir

19 de là qu'on tirait. A partir du 28, des obus nous sont tombés dessus tous

20 les jours à partir du 28 août.

21 Q. Je me propose de vous poser plusieurs questions au sujet de ce que vous

22 venez de nous dire. Veuillez préciser où se trouve Rastovaca par rapport à

23 votre village de Poljanak ?

24 R. Rastovaca se trouve de l'autre côté de la rivière Korana dans le sens

25 opposé à Poljanak, à deux kilomètres avant Plitvica.

26 Q. Etait-ce une village croate ou un village serbe ?

27 R. Un village croate.

28 Q. Vous avez dit que les pilonnages ont commencé le 28 août. Est-ce que

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1 votre village, celui de Poljanak, a été pilonné ?

2 R. Oui, notre village à nous.

3 Q. Quand il s'agit de Saborsko, est-ce que cette localité a également été

4 pilonnée ?

5 R. Oui, un peu avant la nôtre.

6 Q. Comment le savez-vous ?

7 R. Des réfugiés passaient par notre village en direction de Saborsko à

8 bord de tracteurs, de charrettes, de voitures. On leur demandait pourquoi

9 ils fuyaient. Ils ont dit que des obus leur tombaient dessus, et qu'il

10 fallait qu'ils fuient leurs domiciles, leurs maisons.

11 Q. Vous venez de nous dire que cela s'est passé avant que votre village à

12 vous ne soit pilonné. Savez-vous nous dire à peu près quand est-ce que cela

13 s'est produit ?

14 R. Je crois que c'était vers le mois de juin ou juillet.

15 Q. Bien. Pendant cette époque-là, donc été et automne 1991, auriez-vous vu

16 des unités militaires croates dans votre village ?

17 R. La police croate ne faisait que passer par le village pour aller en

18 direction de Saborsko.

19 Q. Où cette police croate était-elle installée ?

20 R. A Drezni Grad et Grabovac, et le poste était à Slunj.

21 Q. A quelle distance se trouvaient de chez vous ces postes de police de

22 Grabovac et Slunj ?

23 R. Vous voulez dire de quoi, à partir de quelle endroit ?

24 Q. Oui, je voulais dire par rapport à votre village à vous ?

25 R. Poljanak est à 12 kilomètres de Dreznik, et il y a huit kilomètres

26 jusqu'à Grabovac.

27 Q. Bien. Lorsque la police croate traversait votre village, veuillez nous

28 préciser combien ils étaient ? Etaient-ils un, deux ou s'agissaient-ils de

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1 groupes ?

2 R. Ils étaient deux, trois, quatre au plus pour aller relever les leurs à

3 Saborsko. Il n'y en avait pas plus à se déplacer en groupe.

4 Q. Nous n'avons pas bien entendu la dernière partie de votre réponse. Je

5 vous prierais de reprendre ce que vous venez de dire.

6 R. Ils étaient parfois deux, parfois quatre. Ils étaient au maximum

7 quatre, parce qu'ils allaient accomplir leur travail à Saborsko.

8 Q. Est-ce qu'ils se sont attardés dans le village de Poljanak ou ne

9 faisaient-ils que passer ?

10 R. Lorsque le magasin était ouvert à Poljanak, ils savaient s'arrêter pour

11 prendre une bière, mais quand le magasin était fermé ils ne s'arrêtaient

12 pas.

13 Q. Bien. Mis à part cette police croate qui passait et qui s'arrêtait de

14 temps à autre pour boire une bière, y avait-il d'autres unités militaires

15 ou des soldats quelconques au village de Poljanak pendant cet été et

16 automne 1991 ?

17 R. Non, il n'y a pas eu de militaires. Il n'y avait que des villageois qui

18 étaient là en guise de protection civile.

19 Q. Que faisait cette protection civile ? Quelle a été sa fonction ? Quelle

20 a été la tâche qui était la leur ?

21 R. Ils étaient chargés de veiller aux enfants et aux femmes. Ils passaient

22 à côté des maisons, ils montaient la garde des fois où ils entendraient un

23 coup de feu, ça et là, ils venaient en informer les autres, mais eux

24 n'étaient pas armés, ils ne pouvaient rien faire du tout.

25 Q. Ont-ils lancé des attaques ? Ont-ils entamé des combats ?

26 R. Non, jamais.

27 Q. Bien. Vous avez décrit le début des pilonnages de votre village à la

28 date du 28 août 1991. Veuillez nous dire ce que les villageois ont fait en

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1 réponse ? Y a-t-il eu une réaction quelconque ?

2 R. Il n'y avait rien du tout. Ils n'avaient pas avec quoi réagir ou

3 riposter. Mais nous n'avons plus dormi dans nos maisons du tout.

4 Q. Est-ce que les gens ont quitté le village à cette époque ?

5 R. Il y a bien eu quelques familles qui sont parties, puis qui sont

6 revenues au bout d'un jour ou deux, elles ne sont pas reparties jusqu'au 7

7 novembre.

8 Q. Tout à l'heure dans votre témoignage, vous avez indiqué que les femmes

9 et les enfants ont quitté au mois de septembre, peut-être ai-je mal

10 compris. Pourriez-vous expliquer, est-ce que j'ai bien compris vos dires, à

11 savoir qu'en septembre les femmes et les enfants sont partis ?

12 R. Oui. Les enfants mineurs et les femmes avec des enfants en bas âge,

13 mais nous qui n'avions pas d'enfants mineurs, nous qui n'avions personne,

14 nous sommes tous restés au village.

15 Q. Je vois. Les femmes qui avaient des enfants en bas âge, elles sont

16 parties pour quelle destination ?

17 R. A Kraljevica.

18 Q. Pour quelle raison sont-elles parties ?

19 R. Elles sont parties parce qu'il y avait des coups de feu. Elles ne

20 pouvaient plus dormir chez elles à la maison. Les enfants avaient peur et

21 elles ne pouvaient plus supporter cela.

22 Q. Vous nous avez dit que vous ne passiez plus la nuit chez vous après le

23 début du pilonnage. Où passiez-vous la nuit à partir de ce moment-là ?

24 R. Dans les bois.

25 Q. Et pendant la journée, vous reveniez chez vous ?

26 R. Oui. On revenait pour nous préparer à manger s'il n'y avait pas de

27 coups de feu, mais quand on tirait, on restait jour comme nuit dans les

28 bois, dans la forêt.

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1 Q. Est-ce que vous étiez en mesure de savoir d'où provenaient les

2 pilonnages et les coups de feu ?

3 R. On tirait de Rastovaca, de Plitvica, de Bigina Poljana.

4 Q. Vous avez dit à l'instant que Rastovaca était un village croate. Savez-

5 vous pour quelle raison il y aurait eu des pilonnages de Rastovaca, en

6 provenance de là ?

7 R. C'était un village croate. Ils avaient incendié le village, ils avaient

8 chassé la population et ils s'étaient emparés de l'endroit, ils l'avaient

9 occupé.

10 Q. Qui sont les "eux", les "ils" ? Qui a fait cela ?

11 R. Les Serbes.

12 Q. Vous avez dit aussi qu'on a pilonné depuis Bigina Poljana. Je ne suis

13 pas sûr de bien le prononcer, mais je compte sur les interprètes. A

14 l'époque, était-ce un village serbe ou croate ?

15 R. C'est un village serbe.

16 Q. Est-il arrivé quelque chose à Jure Pavlic à un moment donné ?

17 R. Oui. Le 28 août à Vaganac, Jure a été tué.

18 Q. Qui était Jure Pavlic ?

19 R. C'était un policier croate. Il est originaire du village de Dreznik. Il

20 était Croate.

21 Q. Savez-vous quelque chose sur les circonstances de sa mort ? Comment a-

22 t-il été tué ?

23 R. Il était là avec Ante, son frère, et Turkalj Marko. Ils faisaient une

24 patrouille de la police. Rade Keca et Janko Jerkovic sont arrivés à bord

25 d'un camion. Ils voulaient les arrêter dans le cadre de leur patrouille, et

26 lorsqu'ils ont demandé des papiers d'identité, au lieu de présenter une

27 pièce d'identité, il a tiré son revolver, et il lui a tiré dessus.

28 Q. Mais qui a fait cela ? Qui l'a tué ?

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1 R. Rade Keca et Ranko Jerkovic, mais c'est Rade Keca qui l'a tué.

2 Q. Ces deux hommes, étaient-ils tous les deux des Serbes ?

3 R. Oui, c'étaient des Serbes.

4 Q. Leur est-il arrivé quelque chose à eux ?

5 R. Oui. Le frère de Jure, Ante a tué ces deux-là, les deux.

6 Q. Ils ont été tués tous les deux ?

7 R. Il les a tués, oui.

8 Q. Je voudrais maintenant avancer dans le temps. Je voudrais que l'on

9 parle du mois d'octobre 1991. Est-il arrivé quelque chose à Tomo Vukovic

10 dans votre village à ce moment-là ?

11 R. Oui. Il a été tué devant sa maison.

12 Q. Vous souvenez-vous à quel moment cela s'est produit ?

13 R. C'était vers midi ou 13 heures le 8 octobre.

14 Q. Que savez-vous de cet événement ? Comment a-t-il été tué ? Qu'est-ce

15 qui s'est produit ?

16 R. Le 8, vers 13 heures, on a commencé à entendre des coups de feu dans le

17 village. Nous nous sommes enfuis dans les bois. Il s'est mis à pleuvoir

18 très fort, et on a passé la nuit dans la forêt. Près de leurs maisons, on a

19 vu des flammes pendant qu'on était dans les bois. On a vu des tirs, des

20 coups de feu. Le lendemain, mon époux, à l'aube, est parti. Il avait son

21 frère dans ce village et il est parti pour voir ce qui se passait là-bas.

22 Quand il est revenu, il m'a dit : Trois maisons ont brûlé, celles de Tomo,

23 de Pero et de la tante Lucija. Tomo, quant a lui, il a été tué devant sa

24 maison. Nous l'avons enterré trois jours plus tard. Pendant trois jours, il

25 y a eu des tirs qui nous ont empêchés de l'enterrer.

26 Q. Cela s'est passé dans quel village ?

27 R. Le village de Vukovici, ce n'est pas loin de Poljanak.

28 Q. Vous dites qu'il a été tué devant sa maison. Qui l'a tué, le savez-

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1 vous ?

2 R. Cela, je ne le sais pas.

3 Q. Savez-vous si c'étaient des Serbes, des Croates ?

4 R. Ce jour-là, il y avait des Serbes dans le village, c'est sûr.

5 Q. Tomo Vukovic était-ce un soldat, était-ce un combattant, était-il

6 membre de la police ?

7 R. Non. Non, rien de tout cela.

8 Q. Savez-vous pour quelles raisons il a été tué ?

9 R. Non, je ne sais pas. Je ne le sais pas non plus cela.

10 Q. Milan Pavlic, est-ce qu'il lui est arrivé quelque chose ?

11 R. Oui; il a été capturé ce jour-là.

12 Q. A quel endroit est-ce qu'on l'a capturé ?

13 R. A 500 mètres ou un kilomètre de sa maison, dans la forêt.

14 Q. Où était située sa maison, dans quel village ?

15 R. C'était à Poljanak également.

16 Q. Savez-vous qui l'a capturé ?

17 R. Des voisins serbes de Plitvica.

18 Q. Que lui est-il arrivé à partir du moment où il a été capturé ?

19 R. Ils l'ont fait prisonnier et ils l'ont emmené à Korenica. On ne l'a pas

20 revu chez lui pendant une journée ou deux. On ne savait pas ce qui lui

21 était arrivé. Puis deux jours plus tard, deux ou trois jours plus tard, des

22 hommes sont arrivés du village de Plitvica, c'étaient des militaires. Ils

23 sont arrivés à sa maison. C'étaient deux jeunes hommes. Son épouse a

24 demandé : Qu'en est-il de mon Mico ? Eux, ils ont répondu : Il est à

25 Korenica. Il ne lui arrivera rien. Il avait une sœur à Korenica qui avait

26 épousé un Serbe, et elle a pu trouver un moyen de les informer du fait

27 qu'il était à Korenica, qu'il était détenu là-bas. C'est ainsi qu'on a

28 appris qu'il était détenu à Korenica.

Page 2418

1 Q. Savez-vous pendant combien de temps il a resté détenu à Korenica ?

2 R. Je ne sais pas exactement, une quinzaine de jours. C'est ce temps-là

3 qu'il est resté à Korenica et il a fait l'objet d'un échange à Manjaca.

4 Q. Avez-vous eu l'occasion de lui parler après l'échange ?

5 R. Oui.

6 Q. Vous a-t-il parlé de ce qui lui était arrivé, des raisons pour

7 lesquelles il a été détenu ?

8 R. Il a raconté toutes sortes de choses, ce qu'on lui a fait. On lui a

9 brisé le nez, la tête. On l'a battu. On l'a maltraité. Enfin, toutes sortes

10 de choses. Mais il n'aime pas tellement en parler. Il dit que quand il en

11 parle, il ne se sent pas bien.

12 Q. Milan Pavlic, était-il un soldat, un policier ? Faisait-il partie d'une

13 force militaire ?

14 R. Non, rien de tout cela.

15 Q. Je voudrais vous poser des questions au sujet d'autres personnes. Ivan

16 et Mile Loncar, leur est-il arrivé quelque chose ?

17 R. Ils se sont pendus.

18 Q. Ils se sont pendus eux-mêmes ?

19 R. Oui. Je ne sais pas si des Serbes les ont pendus ou s'ils l'ont fait

20 eux-mêmes. Personne ne l'a vu. Mais Mile était un handicapé et il n'aurait

21 pas pu le faire tout seul. Mais personne n'a vu l'événement, donc personne

22 ne peut le dire au juste.

23 Q. A quel moment est-ce que cela s'est produit ?

24 R. Je crois que c'était le 14 octobre.

25 Q. Ces hommes, étaient-ils dans les rangs d'une force armée, des

26 militaires, des soldats, de la police ?

27 R. Mais non, rien du tout. Mile était un homme handicapé et Ivan était un

28 homme âgé.

Page 2419

1 Q. Ivan, était-ce un jeune homme ou quelqu'un d'âgé ?

2 R. C'était un homme âgé.

3 Q. Les connaissiez-vous ?

4 R. Oui. C'étaient mes voisins.

5 Q. A votre avis, que leur est-il arrivé ? Ont-ils commis un suicide ou

6 ont-ils été tués ?

7 R. Cela, je ne le sais pas. Lorsqu'on sait qui était Mile et comment était

8 Mile, il n'aurait pas pu le faire tout seul. Quelqu'un aurait dû le pendre.

9 Quant à Ivan, je ne le sais pas. Mais je ne pense pas qu'ils ne l'auraient

10 jamais fait eux-mêmes. C'étaient des hommes courageux. C'est comme tel

11 qu'on les connaissait dans le village, donc ils ne l'auraient pas fait eux-

12 mêmes. Mais on n'était pas là pour voir ce qui s'est produit.

13 Q. Je comprends. Vous êtes allée à leur enterrement, à l'enterrement

14 d'Ivan et de Mile Loncar ?

15 R. Oui.

16 Q. Est-ce que vous avez eu à cet endroit, à cette occasion, une

17 conversation avec Goran Visnjic ?

18 R. Non. Ce jour-là, j'ai eu une conversation avec Goran Visnjic chez moi.

19 Goran Visnjic passait par la route devant ma maison et il s'est adressé à

20 moi : Marica, y a-t-il des militaires par ici ? Je lui ai dit : Je n'en

21 sais rien. A cela, il m'a répondu : Que Dieu nous en garde. Si jamais

22 quelqu'un tirait une balle sur nous, il ne resterait plus un chat dans ce

23 village en vie.

24 Q. Goran Visnjic, était-ce un Serbe ou un Croate ?

25 R. Un Serbe.

26 Q. Il était originaire de quel village ?

27 R. De Jezerac.

28 Q. C'est à quelle distance de votre village ?

Page 2420

1 R. Une dizaine de kilomètres à peu près.

2 Q. Etait-il en uniforme lorsque vous avez eu cette conversation avec lui ?

3 R. Oui. Il était en uniforme et il portait un fusil.

4 Q. Qu'avez-vous éprouvé au moment où il a dit si jamais qui que ce soit

5 tire ne serait-ce qu'une balle, il n'y aura plus un chat en vie dans ce

6 village ?

7 R. Je ne me suis pas sentie très à l'aise. Je ne lui ai pas répondu. Je

8 suis rentrée dans la maison, et il a continué sur la route.

9 Q. Je voudrais vous poser des questions au sujet d'autres personnes. Est-

10 il arrivé quelque chose à Ivica et Perica Bicanic ?

11 R. Oui. Eux aussi, ils ont été capturés.

12 Q. Si vous souhaitez boire une gorgée d'eau, je vous en prie. Vous devriez

13 avoir de l'eau devant vous.

14 R. Oui, oui, il y en a.

15 Q. A quel endroit ont-ils été capturés ?

16 R. Près de la maison d'Ivica.

17 Q. Où était-ce ?

18 R. Excusez-moi, près de la maison de Perica.

19 Q. La maison de Perica était dans quel village ?

20 R. Dans le village de Poljanak.

21 Q. Cela s'est produit à quel moment ?

22 R. Je pense que c'était également le 14 octobre.

23 Q. Comment savez-vous que cela s'est produit ?

24 R. Perica est mon oncle. Je suis allée le voir chez lui puisque son épouse

25 et sa petite-fille étaient parties pour Kraljevica, donc je suis allée le

26 voir pour voir s'il avait besoin de quelque chose. En arrivant auprès de la

27 maison, je vois des hommes en bas, des militaires. Je me suis arrêtée un

28 petit peu dans les buissons et j'ai vu qu'ils voulaient le prendre. J'ai vu

Page 2421

1 une voiture garée sur la route et j'ai vu les deux hommes emmenés, tout

2 d'abord lui, et ensuite Ivica. Ils les ont placés à bord de la voiture, et

3 j'ai entendu Ivica pousser un cri : Aïe. J'ai vu qu'ils ont été emmenés.

4 Après, je suis descendue. Je suis rentrée dans la maison et j'ai vu que

5 c'était tout mis sens dessus dessous. Tout était dérangé, brisé. Il n'est

6 plus jamais revenu.

7 Q. Savez-vous où on les a emmenés ou où a-t-on emmené Perica et Ivica ?

8 R. A Korenica. C'est là qu'on les a emmenés.

9 Q. Les deux ?

10 R. Oui, les deux ont été emmenés à Korenica.

11 Q. Que leur est-il arrivé là-bas ? Ils ont été détenus pendant combien de

12 temps ? Le savez-vous ?

13 R. Je ne sais pas ce qu'on leur a fait. Ivica est resté un peu moins de

14 temps, un mois ou deux. Perica, il y est resté pendant neuf mois. Ivica a

15 été échangé à Manjaca, et Perica à Zitnic.

16 Q. Vous les avez revus après l'échange ?

17 R. Ivica, je ne l'ai pas revu tout de suite. Perica, je l'ai vu tout de

18 suite après qu'il a été fait l'objet de l'échange. Parce qu'on avait deux

19 chambres qui se jouxtaient à Kraljevica quand il est venu rejoindre sa

20 femme, quand il a été amené. Il était dans un état atroce quand il est

21 revenu. Il avait eu 120 kilos avant, et quand il est revenu, il en avait à

22 peine 60. Il était traumatisé.

23 Q. Et Ivica, savez-vous ce qui lui est arrivé ?

24 R. Ivica, il a été échangé à Manjaca. Il est parti rejoindre sa femme à

25 Zagreb, chez sa sœur, et il s'est installé à Karlovac, chez sa famille. Je

26 ne l'ai pas revu souvent.

27 Q. Avez-vous jamais appris ce que lui est arrivé pendant sa détention ?

28 R. Vous savez, tout le monde raconte les mêmes histoires. Comment on les a

Page 2422

1 passés à tabac, comment on leur a fait subir de mauvais traitements,

2 comment on les a torturés. Après, il a eu une hémorragie cérébrale. Il a eu

3 des problèmes de santé.

4 Q. Ivica et Perica Bicanic, étaient-ils des soldats, des policiers,

5 faisaient-ils partie d'une force militaire ?

6 R. Le fils de Perica était dans la police, mais ces deux-là étaient comme

7 tout le reste des habitants du village.

8 Q. Qu'entendez-vous par là, lorsque vous dites qu'ils étaient comme tous

9 les autres villageois ?

10 R. Je veux dire qu'ils faisaient partie d'une sorte de protection civile.

11 C'étaient des civils dans le village pour garder le village.

12 Q. Donc, ils n'étaient pas dans les rangs d'une armée ou de la police ?

13 R. Non, ils ne l'étaient pas.

14 Q. Je voudrais maintenant que l'on parle du 7 novembre 1991, des

15 événements qui se sont produits à cette date-là. Je voudrais que l'on

16 avance dans l'ordre, et vous me direz si vous avez besoin d'une pause.

17 R. Non, je n'en ai pas besoin.

18 Q. Ce jour-là, le 7 novembre, étiez-vous chez vous dans votre maison ?

19 R. Oui. J'étais chez moi dans ma maison.

20 Q. Aviez-vous passé la nuit précédente dans la maison ou dans les bois ?

21 R. Dans les bois. Mais ce matin-là du 7, je suis rentrée chez moi pour

22 faire du pain, et on est venu aussi pour se laver un petit peu. Mon époux

23 et mon père étaient partis dans le village de Vukovici pour se rendre

24 auprès d'un oncle malade. C'était le frère de mon père. A ce moment-là, ils

25 sont rentrés, et la voisine, Marija Vukovic, est venue nous voir.Elle a dit

26 : "On tire près de la maison de l'oncle Dana. Cette maison était à peu près

27 à 500 mètres en surplomb par rapport à notre autre maison. J'ai répondu en

28 disant : Ecoute, on tire tous les jours. On était devant la maison. On se

Page 2423

1 parlait, et là on a vu apparaître un soldat depuis Vukovici. Mais il

2 n'était pas le seul. Après lui, il y en a eu au moins 20 qui ont fait leur

3 apparition, et ils ont encerclé complètement la maison de toute part. Ils

4 nous ont capturés --

5 Q. Attendez, je vais vous arrêter un instant. Il faudrait que je vous pose

6 des questions sur quelques détails. Quel était le nom de votre époux, s'il

7 vous plaît, et quelle est sa date de naissance ?

8 R. Il s'appelle Nikola Vukovic. Il est né le 27 novembre 1938, dans le

9 village de Poljanak.

10 Q. Et votre père, quel était son prénom et quelle est sa date de

11 naissance ?

12 R. Il s'appelle Ivan Vukovic. Il est né le 15 juillet 1934.

13 Q. Très bien. Vous dites qu'ils sont partis voir un oncle à Vukovici. Quel

14 était son nom ?

15 R. Nikola Vukovic, surnommé Sojka.

16 Q. Vous alliez nous parler des 20 soldats qui sont arrivés et qui ont

17 encerclé la maison. Est-ce que vous pouvez nous décrire ces soldats ?

18 R. Certains avaient des uniformes bariolés. D'autres avaient des uniformes

19 verts. Il y en avait des uns comme des autres. Ils étaient armés. Pour la

20 plupart, c'étaient des hommes qui étaient plutôt jeunes. Ils nous ont

21 capturés, et ils savaient tout de nous. Combien on avait d'argent, où on

22 travaillait, qui on recevait, quels étaient nos revenus. Ils savaient tout

23 sur nous. Ils nous ont demandé de leur donner de l'argent. Ils nous ont

24 demandé pourquoi on n'était pas satisfait. Ils nous ont dit : "Mais

25 regardez la maison que vous a bâtie Milosevic, et vous n'êtes pas contents.

26 Tudjman, il va vous tirer une balle dans la tête." Ils ont immédiatement

27 ligoté les mains de mon époux et mon père derrière le dos. Il y avait moi,

28 Marija, ma voisine, sa fille Jelena, ma belle-mère. Ils nous placées près

Page 2424

1 du prunier, et là ils nous ont maltraitées. Ils nous ont injuriées. Ils

2 nous ont dit toutes sortes de choses et ils nous ont posé toutes sortes de

3 questions.

4 Q. Sur quoi portaient leurs questions ?

5 R. Ils nous posaient toutes sortes de questions. Où était l'armée croate,

6 où étaient les policiers, où était l'argent, où étaient les enfants de mon

7 frère. Toutes sortes de choses. Ma fille avait 20 ans à l'époque. Ils lui

8 ont demandé où était son petit ami. Enfin, toutes sortes de choses. Ils

9 nous disaient également toutes sortes de choses. Ils nous injuriaient,

10 insultaient. Ils nous disaient qu'on n'était pas content avec Milosevic,

11 qu'on préférait Tudjman. On se taisait, on n'osait rien dire. En contrebas

12 de la route, il y avait un champ de maïs, et ils nous ont emmenées là, en

13 traversant la route, et ils nous ont mis dans le maïs. A ce moment-là, on a

14 vu arriver Bosko, le petit de Marija Vukovic et il pleurait : Vous avez tué

15 mon père. Ne tuez pas ma mère. Le petit s'est mis à pleurer. Les femmes,

16 ils nous ont séparées à ce moment-là, fait sortir des maïs. Je me suis

17 poser la question ce qui allait advenir de ces deux-là. Ils ont dit : "On

18 doit leur parler. On a des choses à voir avec eux."

19 Q. Vous avez dit que Bosko Vukovic est arrivé. Il est arrivé d'où ?

20 R. Oui, du village de Vukovici.

21 Q. Pouvez-vous nous dire quel était son âge à peu près, à ce moment-là ?

22 R. Il avait 17 ans.

23 Q. Cette vingtaine de soldats, ils étaient venus d'où ? Le savez-vous ?

24 R. Non. Ils sont arrivés de Vukovici.

25 Q. Lorsque vous avez vu qu'ils savaient tout cela sur vous, est-ce que

26 ceci vous a permis de comprendre d'où ils venaient ?

27 R. D'après tout cela, en voyant qu'ils nous connaissaient bien, je pense

28 qu'il y avait parmi eux des gens du cru. Car les gens originaires

Page 2425

1 d'ailleurs, ils ne pouvaient savoir sur moi, sur ma maison, sur mon mari,

2 sur l'argent qu'on avait, sur ce qu'il gagnait en privé. C'était

3 nécessairement quelqu'un qui nous connaissait bien, et qui savait tout sur

4 nous, un serbe du cru.

5 Q. Vous avez dit qu'ils ont mis de côté votre époux et votre père, qu'ils

6 les ont séparés du groupe. Que s'est-il passé par la suite ?

7 R. C'était sur la route quand on a séparé les femmes, Bosko était avec

8 nous. Ils m'ont demandé : "Où sont les gars du village ? Où est l'armée ?

9 Où sont les militaires ?" J'ai dit : "Ecoutez, je n'en sais rien, je n'ai

10 pas de fils, je ne peux pas le savoir." Puis, il y en avait un qui avait

11 des gants, des mitaines en cuir, et il avait un couteau à la main. Il m'a

12 dit : "Si tu ne sais pas où sont les militaires, dis-moi pourquoi j'ai ces

13 mitaines ?" J'ai dit : "Mais je n'en sais rien." Lui, il a répondu :

14 "C'est pour ne pas m'ensanglanter les mains quand j'égorge les Oustachi."

15 Il a placé le côté obtus du couteau sur mon cou. Puis un autre m'a demandé

16 si je savais qui a tué son père quand il gardait les moutons. Je lui dit :

17 "Mais je ne sais pas qui tu es." Je pense que c'était Cvjeticanin Milan,

18 mais je n'en suis pas certaine parce que j'avais très peur puisque c'est

19 son père qui a été tué de cette manière-là. C'est un Serbe. Mais je ne peux

20 pas garantir que c'était lui, je n'en suis pas certaine.

21 Q. Que s'est-il passé ensuite ?

22 R. A ce moment-là, il y en a un qui s'est avancé, il était plus vieux que

23 les autres, et il a dit : "Circulez, disparaissez, que ce soit comme si je

24 ne vous avait pas vus." Nous avons pris notre élan pour partir vers les

25 bois. Il a dit : " Non, ne je vous ai pas dit d'aller vers les bois, prenez

26 la route." Il s'agissait de la route menant à Vukovici. Nous avons emprunté

27 cette route et, à un certain moment, la route descendait un peu vers la

28 vallée, c'est là que nous nous sommes arrêtés à l'abri de quelques arbres.

Page 2426

1 Mais cinq ou dix minutes plus tard, nous les avons vus qui arrivaient. Nous

2 les avons entendus arriver derrière nous dans notre dos, ils nous

3 suivaient. Dans un pré qui était tout près de ce vallon, il y avait un

4 groupe d'hommes qui nous poursuivaient, c'étaient des hommes qui venaient

5 de Vukovici, et ils disaient : "Vous les avez vus, est-ce que vous les avez

6 rencontrés quelque part sur la route ?" Ils ont ajouté : "Non, mais dans

7 dix minutes, ils le feront." L'autre homme dont j'ai déjà parlé a dit :

8 "Est-ce que vous pensez que ce genre de travail est facile à faire ? Vous

9 nous rendez le travail difficile. Est-ce que vous pensez que nous pouvons

10 faire ce que nous avions prévu, que nous réussirons ?" Voilà, ce qu'ils ont

11 fait. Je n'ai pas vu ensuite ce qu'ils ont fait aux environs de Vukovici.

12 Q. Mais quand ils vous ont dit : "Est-ce que vous pensez que notre travail

13 est facile, le travail que vous nous donnez," est-ce qu'ils vous ont dit où

14 avait été préparé ce projet ? Est-ce que vous avez pu le constater ?

15 R. De Vukovici, c'est de là qu'ils venaient.

16 Q. Où étiez-vous quand vous avez entendu cette conversation entre les deux

17 groupes d'hommes ?

18 R. Nous étions à une vingtaine de mètres du vallon en contrebas, eux

19 étaient en haut de la côte, mais on entendait tout ce qu'ils disaient.

20 Q. Que s'est-il passé ensuite ?

21 R. Après cela, ils ont dit : "Puisque vous n'avez pas fait ce que vous

22 étiez censés faire peut-être pouvez-vous en trouver quelques-uns. Allons

23 voir les voitures, mettre le feu aux voitures dès que nous en voyons une."

24 Ils ont commencé à circuler un peu partout en se dirigeant vers les

25 voitures et les maisons et en mettant le feu à tout ce qui se trouvait là.

26 Ma maison a brûlé ce jour-là, mon étable aussi, et tout ce qui se trouvait

27 dans l'étable, le bétail en même temps. Il y a simplement la maison de mon

28 beau-frère qui est resté debout parce qu'ils n'ont pas pu terminer le

Page 2427

1 travail. Elle n'était pas terminée, elle était encore en construction. J'y

2 ai retrouvé certaines choses, mais tout le reste a brûlé.

3 Q. Est-ce que vous avez vu ces bâtiments en train de brûler, votre maison,

4 votre étable ? Est-ce que vous les avez vus de vos yeux en train de brûler

5 ?

6 R. Oui, parce que nous étions près du prunier, toujours les mains ligotées

7 quand ils ont mis le feu à tout, et ils ont brisé les vitres des fenêtres

8 de la maison ou tirer dans les murs et les fenêtres de la maison avant d'y

9 mettre le feu. Ils ont dit : "Voyez Milosevic a construit cette maison, et

10 c'est Milosevic qui va la détruire. Que pensez-vous que Tudjman va faire ?

11 Tout ce que vous recevrez de sa part, c'est une balle dans la tête."

12 Q. Est-ce qu'ils ont emporté quelque chose de chez vous, de votre maison ?

13 R. Non, tout a été brûlé, ils ont simplement trouvé mon argent caché dans

14 les haies, et ils l'ont emporté.

15 Q. Vous avez parlé de voitures auxquelles ils ont mis le feu. Où se

16 trouvaient ces voitures qui ont été incendiées ?

17 R. Il y en avait deux à côté de ma maison, et une autre devant la maison

18 de mon voisin, parce que les gens avaient essayé de mettre leurs voitures à

19 l'abri pour qu'elles ne soient pas brûlées. Tous ceux qui avaient quelque

20 part où cacher leurs voitures l'avaient fait.

21 Q. Une fois que ces voitures et ces bâtiments ont brûlé, que s'est-il

22 passé ? Est-ce que vous étiez toujours cachée dans les

23 bois ?

24 R. Jusqu'à 3 heures, nous sommes restés dans les bois, Marija et moi. A 3

25 heures, j'ai dit à ma belle-sœur, à ma belle-mère et à Bosko, je vais voir

26 ce qui se passe. Je vais essayer de voir si, par hasard, ils se sont

27 retirés. Je vais voir ce qui se passe. Effectivement, quand nous sommes

28 arrivés à la maison, la maison était en feu. Je suis allée du côté de la

Page 2428

1 route pour voir si je pouvais retrouver mon mari ou quelqu'un que je

2 connaissais, je n'ai retrouvé personne. J'ai simplement vu que tout était

3 en feu, et je me suis emparée de deux couvertures que j'ai trouvées dans la

4 maison de mon beau-frère et je les ai apportées à ma fille et à ma belle-

5 mère parce qu'elles avaient froid et pour qu'elles puissent se couvrir.

6 Nous sommes revenues une heure plus tard, Marija, ma voisine, et moi. A

7 cette deuxième visite, j'ai trouvé le cadavre de mon père et de mon mari,

8 des corps sans vie dans les champs de maïs. Ma voisine, Danica Pavlic, est

9 apparue. Sa maison était juste en contrebas de la mienne. Elle a dit : Où

10 est-ce que vous étiez toute la journée ? J'ai

11 répondu : Mon Dieu, nous étions un peu plus haut, là où on ne tirait pas.

12 Elle m'a dit que mon père avait été tué et qu'elle avait vu deux hommes qui

13 mettaient le feu aux maisons et qu'ils avaient prononcé le nom de mon père.

14 Elle a dit également qu'elle les avait entendus parler également de son

15 gendre qui aurait construit une autre maison et qui avait de l'argent. Ils

16 auraient dit : Il s'apprête à construire une nouvelle maison. Quand elle

17 est revenue, elle a dit que les deux maisons étaient en feu et m'a demandé

18 ce que je faisais là. Je lui ai dit : Bien, Nikola -- mon père et mon mari

19 ont été tués tous les deux. Nous sommes ensuite allées ensemble retrouver

20 ma fille et ma belle-mère. Je suis revenue une troisième fois pour prendre

21 deux couvertures afin d'envelopper le cadavre de mon père dans une

22 couverture et celui de mon mari dans une autre. Quand je me suis approchée,

23 j'ai vu que le cerveau de mon mari avait éclaboussé les environs, et que

24 mon père n'avait plus son crâne entier non plus. Il n'y avait plus d'yeux

25 dans son crâne. A ce moment-là, je n'ai plus eu le courage de continuer à

26 regarder, j'ai simplement envelopper les cadavres dans les deux couvertures

27 pour empêcher que les animaux ne les dévorent ou les chiens et je les ai

28 laissés là où je les ai trouvés. Nous avons passé la nuit dans la maison de

Page 2429

1 Marko Loncar.

2 Q. Madame Vukovic, ce jour-là, est-ce que votre mari ou votre père était

3 armé, et est-ce qu'ils portaient des armes ce jour-là ?

4 R. Non. Ils n'ont jamais porté d'armes.

5 Q. Est-ce qu'ils étaient vêtus d'uniformes ?

6 R. Non.

7 Q. Est-ce qu'ils faisaient partie d'une quelconque force militaire ou

8 policière ?

9 R. Non.

10 Q. Est-ce qu'ils ont opposé la moindre résistance aux soldats, d'une façon

11 ou d'une autre ?

12 R. Non, d'aucune façon. Ils n'avaient rien qui aurait pu leur servir à

13 résister.

14 Q. Est-ce que vous avez quitté Poljanak ce jour-là ?

15 R. Ils revenaient de temps en temps et tout le village était terrorisé.

16 Q. Non, non. Je ne vous ai pas demandé si eux revenaient, mais si vous

17 avez quitté Poljanak après ce qui s'était passé, une fois que vous avez

18 découvert les corps de votre mari et de votre père sans vie.

19 R. Non, je ne suis pas partie ce soir-là. Je suis restée jusqu'au 7 dans

20 la soirée. J'ai passé la nuit à Poljanak dans la maison de Loncar qui était

21 toujours intacte. Nous y avons passé la nuit et à 5 heures du matin, moi et

22 ma fille ainsi que ma belle-mère et deux voisins, nous nous sommes dirigés

23 vers le village de Lisina.

24 Q. Quelque chose de particulier s'est-il passé ce jour-là à Lisina ?

25 R. Oui. Une demi-heure après notre arrivée, un jeune est arrivé et il a

26 dit : Il faut qu'on s'enfuit parce que les Serbes sont arrivés dans le

27 village. Nous avons commencé à courir vers une certaine maison et, à une

28 vingtaine de mètres ou à dix mètres de cette maison, nous avons entendu des

Page 2430

1 coups de feu et des cris, des hommes qui nous disaient : Stop, arrêtez-

2 vous, vous les Oustachi, vous n'allez pas sauver votre peau. Nous allons

3 tous vous tuer jusqu'au dernier. Nous avons continué à essayer de nous

4 enfuir, ils ont tiré dans notre direction, mais heureusement, personne

5 d'entre nous n'a été blessé. Nous avons réussi à parvenir jusqu'aux bois.

6 Le 8, nous avons passé la nuit dans les bois, le 8 novembre, je veux dire.

7 C'était assez loin de nos maisons et du village.

8 Q. Est-ce que --

9 R. Ce jour-là, le 8, oui, c'était le 8, ils ont capturé Slavica Matovina

10 et Zivko Matovina dans le village de Lisina. A ce moment-là, les coups de

11 feu ont cessé, ils ont cessé de tirer dans notre direction et ils les ont

12 emmenés avec eux.

13 Q. Ces deux personnes qui avaient été capturées, était-ce des Croates ou

14 des Serbes ?

15 R. C'était des Croates.

16 Q. Etait-ce des soldats, des gens qui faisaient partie d'une force armée,

17 militaire ou policière ?

18 R. Non, absolument pas.

19 Q. Vous nous avez déjà dit que Bosko Vukovic avait dit aux soldats qu'ils

20 avaient déjà tué son père et qu'ils ne devaient pas tuer sa mère. Savez-

21 vous si quelque chose s'est encore produit par la suite dans le village de

22 Vukovici ce jour-là ?

23 R. Oui. Il a raconté que son enfant avait été tué, son père aussi, tous

24 ceux qui se trouvaient chez le frère de mon père, chez mon oncle. Son père

25 a été tué, deux de ses tantes et deux voisins du village aussi, ainsi que

26 Dana Vukovic. Ils ont été sept à se faire tuer ce matin-là.

27 Q. Quelque chose est-il arrivé aux maisons du village, si vous le savez ?

28 R. Ce jour-là, Tomo qui avait deux maisons, ils ont brûlé sa première

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1 maison et sa deuxième maison aussi. Mais ce qui s'est passé ensuite dans le

2 détail, je ne le sais pas, parce que nous n'étions plus là. Quand nous

3 sommes rentrés après l'orage, nous avons vu qu'il n'y avait plus une seule

4 maison intacte.

5 Q. Pas une seule maison intacte à Vukovici, c'est cela ?

6 R. Ni à Vukovici, ni à Lisina, ni à Poljanak.

7 Q. Vukovici, existe-t-il encore aujourd'hui ?

8 R. Non. Tout a été déménagé dans le village de Poljanak, parce qu'il n'est

9 resté que de très rares villageois qui habitaient à Vukovici, ils ont tous

10 déménagés.

11 Q. Vous dites être retournée à Poljanak après l'opération Tempête. Est-ce

12 la première fois que vous êtes retournée à Poljanak après votre départ de

13 cet endroit, le 7 ou le 8 novembre 1991 ?

14 R. Oui.

15 Q. Qu'avez-vous trouvé là à votre retour ? Vous dites qu'il n'y avait plus

16 une seule maison intacte dans votre village, mais qu'en est-il des autres

17 maisons que la vôtre ?

18 R. Plus rien, que des décombres, des débris de matériaux de construction,

19 rien d'autre.

20 M. WHITING : [interprétation] Je demanderais à Mme la Greffière de vous

21 montrer trois pages de photographies que je vais distribuer aux personnes

22 présentes dans le prétoire, également avec l'aide de M. l'Huissier.

23 Notre version de ce document, je l'indique pour le compte rendu d'audience,

24 se compose de trois pages allant du numéro ERN 04687687 à 7689. Quant aux

25 autres documents, ils ont des numéros ERN différents, mais il s'agit des

26 mêmes photographies.

27 Q. Madame Vukovic, est-ce que vous reconnaissez ce qu'on voit sur ces

28 photographies ?

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1 R. Oui.

2 Q. Est-ce que c'est vous qui avez remis ces photographies aux

3 représentants du bureau du Procureur ?

4 R. Oui.

5 Q. J'aimerais que nous nous penchions sur la page, celle qui comporte le

6 numéro 1. Pouvez-vous nous dire ce qu'on voit sur les photographies

7 figurant sur cette page ?

8 R. La photo numéro 1, c'était ma cuisine extérieure, la cuisine qui se

9 trouvait devant ma maison, et vous voyez ce qu'il en reste. C'est là que

10 nous séjournions l'été.

11 La deuxième photographie, c'est l'entrée de ma maison.

12 La troisième photographie montre la remise dans le couloir, le

13 congélateur dans le couloir.

14 La quatrième photographie montre la cuisinière à côté de la maison.

15 Q. Nous sommes arrivés à l'heure de la pause. Je vais vous poser encore

16 quelques questions au sujet de ces photographies après la pause. Il nous

17 faudra trouver un moyen d'identifier ces photographies par d'autres termes

18 que simplement première, deuxième, troisième et quatrième photo. On verra

19 comment on peut les numéroter éventuellement de façon à ce qu'à chaque

20 instant, nous sachions exactement de quelle photographie vous parlez dans

21 vos réponses.

22 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai pratiquement

23 terminé. Je ne pense pas qu'un quelconque problème de temps se posera, et

24 si la Chambre en est d'accord, une demi-heure de pause nous conviendrait

25 tout à fait car j'en ai presque terminé. Après les questions que je poserai

26 au sujet de ces photographies, il ne m'en restera peut-être une ou deux et

27 ce sera fini.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Suspension, 30 minutes de

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1 pause jusqu'à 16 heures.

2 --- L'audience est suspendue à 15 heures 31.

3 --- L'audience est reprise à 16 heures 01.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Whiting, vous pouvez

5 poursuivre.

6 M. WHITING : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

7 Q. Madame Vukovic, pendant la pause, avec l'aide de Mme la Greffière, j'ai

8 numéroté les photographies pour permettre à chacun de suivre plus

9 facilement les débats. Sur la première page, vous avez, en haut à gauche,

10 une photographie qui comporte le numéro 1, en haut à droite, une

11 photographie comportant le numéro 2, en bas à gauche, il s'agira de la

12 photo numéro 3, et en bas à droite, de la photo numéro 4.

13 R. Oui.

14 Q. La même numérotation est adoptée pour les deuxième et troisième pages

15 de cette série, mais il y a une petite différence pour la troisième page.

16 R. Au niveau de la photographie numéro 4, oui.

17 Q. Sur la première page, la photographie que j'ai enregistrée en tant que

18 numéro 1, en haut à gauche, que montre-t-elle ?

19 R. On voit le couloir et l'entrée de la maison. Dans le couloir, on voit

20 un grand congélateur qui a été calciné. Tout ce qui reste de congélateur,

21 c'est cette carcasse métallique calcinée.

22 Q. Photographie numéro 2, en haut à droite, que représente-t-elle ?

23 R. Des décombres, la moitié du mur de la maison démolie.

24 Q. La photographie numéro 3 en bas à gauche ?

25 R. C'est à côté de la maison, là où il y avait un puits.

26 Q. La photographie en bas à droite, le numéro 4, que nous montre-t-elle ?

27 R. C'est l'extérieur de la maison, juste à côté du bâtiment, là où était

28 installée ma cuisine d'été. Là où je faisais la cuisine l'été, c'est là

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1 qu'on voit la carcasse calcinée de la cuisinière.

2 Q. Est-ce vous pourriez maintenant prendre la deuxième page. Les

3 photographies qui figurent sur cette deuxième page sont numérotées de la

4 même façon que la première page, donc numéro 1, en haut à gauche, que

5 montre cette photographie ?

6 R. C'est l'intérieur de la maison, la cuisinière et l'intérieur de la

7 cuisine, avec l'évier, l'endroit où se trouvait la cuisine.

8 Q. Photographie numéro 2, en haut à droite, que nous montre-t-elle ?

9 R. On voit la moitié d'un mur de la maison qui a été démoli, le mur

10 communiquant avec la maison voisine.

11 Q. Photographie numéro 3, en bas à gauche, que montre-t-elle ?

12 R. L'entrée du garage et l'étable.

13 Q. Photographie numéro 4, en bas à droite ?

14 R. La salle de bain.

15 Q. Ces photographies, illustrent-elles l'état de votre maison quand vous y

16 êtes retournée en 1995 ?

17 R. Ces photographies ont été prises en 1995 à mon retour chez moi.

18 Q. A votre retour chez vous, avez-vous également retrouvé les cadavres de

19 votre mari et de votre père ?

20 R. Non. A ce moment-là, je ne savais pas qu'ils se trouvaient là. Un autre

21 jour quand j'étais là-bas, j'ai trouvé les tombes.

22 Q. J'aimerais que nous passions maintenant à la troisième page de

23 photographies. La photographie que j'ai numérotée avec le numéro 1 est

24 celle qui se trouve en haut, où on ne voit aucune représentation de

25 personnes, et la photographie numéro 2 est celle qui se trouve en dessous.

26 R. C'est exact.

27 Q. La photographie numéro 3 est tout à fait en bas et elle montre un

28 groupe de trois personnes. Vous voyez tout cela ?

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1 R. Oui.

2 Q. Que représente la photographie numéro 1, je vous prie ?

3 R. C'est la croix. On avait déjà trouvé les tombes à ce moment-là et on a

4 allumé trois bougies à côté de la croix, des tombes de mon père et de mon

5 mari.

6 Q. Les photographies numéro 2 et 3, est-ce que ce sont également des

7 photographies des tombes ?

8 R. Oui. Ce sont les tombes. La photographie numéro 2 montre deux amis qui

9 m'ont accompagnée, moi et ma fille, et qui nous ont aidé à nettoyer un peu

10 la tombe. Nous avons enlevé ce que nous pouvions enlever. Ils nous ont aidé

11 à arracher des racines et à couper des branches à l'aide d'un couteau. En

12 tout cas, à faire ce qu'il était possible de faire, à nettoyer la tombe

13 comme on pouvait, et à tracer un chemin menant à la tombe.

14 Q. Merci, Madame Vukovic.

15 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, je demande que les

16 trois pages de photographies soient versées au dossier.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous en prie.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je demande que les trois pages de

19 photographies se voient octroyées une cote puisqu'elles sont admises au

20 dossier.

21 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agira de la pièce à conviction

22 259, Monsieur le Président.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

24 M. WHITING : [interprétation]

25 Q. Madame Vukovic, entre le 7 novembre 1991 et l'année 1995, savez-vous si

26 les autorités serbes ont mené des enquêtes ou éventuellement sanctionné qui

27 que ce soit pour les événements survenus dans ce village ?

28 R. Je crois que personne n'a rien fait. Encore aujourd'hui, il reste sept

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1 cadavres qui n'ont pas été découverts.

2 M. WHITING : [interprétation] Merci, Madame Vukovic. Je n'ai plus de

3 questions à votre attention. Je vous remercie de tout cœur d'avoir accepté

4 de témoigner.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Whiting.

6 Maître Milovancevic, c'est à vous.

7 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

8 Contre-interrogatoire par M. Milovancevic :

9 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Vukovic.

10 R. Bonjour.

11 Q. Je m'appelle Predrag Milovancevic et je suis le conseil de la Défense

12 de Milan Martic. Le Règlement en vigueur dans ce Tribunal me permet de vous

13 poser actuellement quelques questions. Puisque vous et moi parlons la même

14 langue, je vous demanderais de penser à ménager une courte pause entre la

15 fin de mes questions et le début de vos réponses pour aider les interprètes

16 dans leur travail.

17 Dans la déclaration écrite que vous avez fournie au bureau du Procureur,

18 vous déclarez que Poljanak était un village croate et que les habitants de

19 Poljanak ont toujours été en très bonnes relations avec les Serbes qui

20 vivaient dans les villages voisins. Vous ajoutez qu'il n'y avait

21 pratiquement pas une seule famille dans votre village qui n'était pas un

22 couple mixte. Est-ce bien ce que vous avez dit ?

23 R. Oui.

24 Q. Vous avez également déclaré que la situation s'est dégradée uniquement

25 à partir de 1991. Pourriez-vous nous dire, je vous prie, dans quelle

26 condition cette détérioration des relations entre les villageois s'est

27 produite ? Comment l'avez-vous constatée ?

28 R. Ils ont cessé de venir, comme ils le faisaient avant, dans le village.

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1 Nous ne nous rendions plus visite. Nous n'assistions plus mutuellement aux

2 cérémonies d'enterrement ou de mariage des uns et des autres, des choses

3 comme cela. Quand ils venaient dans le village, ils portaient des armes.

4 Q. Merci, Madame Vukovic.

5 R. Je vous en prie.

6 Q. Vous avez dit qu'à Pâques 1991, des policiers ont été tués au lac de

7 Plitvice et --

8 R. Oui.

9 Q. -- que jusqu'à ce jour-là, les Serbes venaient tout à fait normalement

10 dans le village, mais que suite à cet incident survenu à Pâques, les Serbes

11 ont cessé de venir dans votre village. J'aimerais vous poser quelques

12 questions au sujet de ce passage de votre déclaration écrite. Savez-vous

13 pourquoi, après Pâques 1991, les Serbes ont cessé de venir dans votre

14 village ?

15 R. Je ne sais pas.

16 Q. Vous avez déclaré que vous avez cessé de vous rendre chez vos voisins

17 parce que vous ne vous sentiez plus en sécurité. Ce sont les termes que

18 vous avez utilisés.

19 R. En effet.

20 Q. Ne pensez-vous pas que les Serbes pouvaient également ne plus se sentir

21 en sécurité ?

22 R. S'ils ne s'étaient pas sentis en sécurité, ils ne seraient pas venus en

23 portant des armes. Ils ne seraient plus venus du tout.

24 Q. Etes-vous au courant du fait qu'à Pâques 1991, un affrontement armé

25 s'est produit au lac de Plitvice, entre des policiers croates et des

26 policiers locaux du lac de Plitvice, et que deux hommes ont été tués ce

27 jour-là, dont l'un était serbe et l'autre croate ? Etes-vous au courant de

28 ces événements ?

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1 R. Oui.

2 Q. A la télévision ce jour-là, avez-vous été informée de la décision prise

3 par la présidence yougoslave d'envoyer, au niveau du lac de Plitvice, une

4 unité de la JNA chargée de séparer les deux parties prenantes à cet

5 affrontement, pour empêcher tout affrontement ultérieur ?

6 R. Non, je n'ai pas entendu parler de cela. Je ne regardais pas la

7 télévision.

8 Q. Est-ce que vous avez, par hasard, entendu la déclaration faite à ce

9 moment-là par Stipe Mesic, qui était membre de la présidence de l'Etat

10 yougoslave à cette époque-là et qui a dit qu'il était opposé à la décision

11 d'envoyer la JNA parce qu'il pensait que c'était à la police croate de

12 régler le problème sur le terrain ?

13 R. Je ne suis pas au courant parce que la politique ne m'intéressait pas.

14 Q. Vous rappelez-vous si ce jour-là, le jour de l'affrontement armé à

15 Plitvice, était bien le jour de la Pâques catholique ou de la Pâques

16 orthodoxe ?

17 R. C'était la Pâques catholique.

18 Q. Vous déclarez dans la déposition que vous avez faite au bureau du

19 Procureur que suite aux événements de Pâques 1991, les Serbes ont cessé de

20 venir dans votre village et qu'un peu plus tard, ils se sont mis à dresser

21 des barrages sur les routes, et qu'à partir de ce moment-là il est devenu

22 de plus en plus difficile de circuler. Pourriez-vous nous dire sur quelle

23 route, à côté de quel village, les barrages ont été érigés ?

24 R. Le premier barrage a été dressé à Plitvica.

25 Q. Dans votre déposition écrite faite devant les représentants du bureau

26 du Procureur, vous dites que suite aux incidents de Pâques 1991, vous avez

27 cessé de passer la nuit dans votre maison parce que vous aviez peur. Vous

28 déclarez que vous passiez la nuit dans les bois avoisinants. Pouvez-vous

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1 nous expliquer si vous avez commencé à agir ainsi tout de suite après la

2 fête de Pâques ou un peu plus tard ?

3 R. Tout de suite après la fête de Pâques, parce qu'ils sont arrivés du

4 village de Plitvice, les Serbes, et ils nous ont un peu encouragés. Ils

5 nous ont dit que nous n'avions pas besoin d'avoir peur, que nous n'étions

6 pas menacés, que nous pouvions tranquillement dormir chez nous à la maison,

7 qu'il n'y avait aucun risque. Mais quand ils ont commencé à capturer les

8 gens, à les faire sortir de chez eux et à les emmener, nous ne nous sommes

9 plus sentis en sécurité chez nous. A partir du 28 août, nous n'avons plus

10 passé une seule nuit à la maison.

11 Q. Dans votre déposition au bureau du Procureur, vous dites que vous

12 écoutiez la radio. Je crois qu'il s'agissait de Radio Zagreb.

13 R. Oui.

14 Q. Vous avez entendu dire que les Serbes massacraient, violaient et

15 mettaient le feu aux maisons. Pouvez-vous nous dire quand exactement vous

16 avez entendu cela ? Est-ce que c'était pendant les fêtes de Pâques ou un

17 peu plus tard ?

18 R. C'était plus tard.

19 Q. Pourriez-vous nous dire si ces annonces faites par Radio Zagreb

20 citaient des noms de localités précises, ou s'agissait-il d'annonces de

21 caractère général ?

22 R. Non, ce n'était pas une annonce générale. Ils parlaient de

23 Vukovar, de Borovo, et de tous les villages suivants.

24 Q. Merci. Dans votre déposition au bureau du Procureur, vous déclarez

25 que vous étiez au courant du fait que les Serbes pilonnaient les villages,

26 et que vous vous en êtes particulièrement rendu compte quand ils ont

27 commencé à pilonner Saborsko. Vous dites que vous pouviez entendre les

28 explosions venant de Saborsko. Pourriez-vous nous dire quand le pilonnage

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1 de Saborsko a commencé, si vous vous en souvenez ?

2 R. A peu près en juin, juillet.

3 Q. Quand vous dites que les Serbes ont pilonné Saborsko, est-ce que vous

4 savez aussi nous dire quels Serbes et d'où pilonnaient-ils ?

5 R. Ils pilonnaient de Bigina Poljana, de Rodic Poljana, de Licka Jesenica.

6 Q. Savez-vous nous dire à quelle unité appartenaient ces Serbes qui ont

7 pilonné Saborsko ? Apparemment, puisqu'ils pilonnaient, ils étaient armés,

8 mais ils faisaient partie de quoi ? Avez-vous des informations à ce sujet ?

9 R. Non, je n'en sais rien.

10 Q. Merci. Dans votre déclaration auprès du bureau du Procureur, et c'est

11 une chose que vous avez d'ailleurs répétée aujourd'hui, vous avez indiqué

12 que votre village a été pilonné le 28 août 1991, depuis Rodic Poljana,

13 Bigina Poljana et Rastovaca. Est-ce que vous pouvez nous indiquer à quelle

14 distance ces villages se trouvent de votre village, de Poljanak ?

15 R. Plitvica se trouve à trois kilomètres, Bigina Poljana à cinq kilomètres

16 et Rodic Poljana à cinq ou six kilomètres, à peu près. Rastovaca pareil. A

17 vol d'oiseau, il n'y a pas plus d'un kilomètre entre ces villages.

18 Q. Savez-vous nous dire quelles sont les unités qui étaient en place dans

19 les villages à partir desquels les tirs provenaient ?

20 R. Je ne le sais pas.

21 Q. Dans votre déposition auprès du bureau du Procureur, vous avez indiqué

22 qu'après le début des pilonnages en date du 28 août 1991, il n'y a pas eu

23 de morts, mais qu'il y a eu deux maisons de touchées, et avant le premier

24 pilonnage, des Serbes de Plitvica venaient pour vous affirmer que vous

25 n'étiez pas menacés et qu'ils allaient vous protéger. En a-t-il été ainsi ?

26 R. Oui, c'est vrai.

27 Q. Vous avez expliqué aussi que ces Serbes étaient venus en groupe de huit

28 à 12 personnes et que d'habitude ils passaient par la forêt. Au tout début,

Page 2442

1 lorsqu'ils disaient qu'ils allaient vous protéger et que vous n'aviez rien

2 à craindre, au début, vous leur faisiez confiance, et par la suite, vous

3 les avez crus de moins en moins.

4 R. Quand ils ont commencé à emprisonner et à incendier les maisons, nous

5 n'avions rien à espérer. Nous voyions que les choses allaient de mal en

6 pis. Lorsqu'ils ont incendié le village de Rastovaca, c'était un village

7 croate, on n'a plus fait confiance et on n'a pas cru que telle chose

8 n'allait pas se produire chez nous aussi.

9 Q. Dans votre déclaration auprès du bureau du Procureur, vous avez dit que

10 des Serbes locaux originaires de Plitvica, et selon vous d'autres villages

11 aussi, sont venus faire irruption à Poljanak le -- ils ont tué Tomo Vukovic

12 et arrêté Milan Pavlic. Avez-vous vu ces gens-là ?

13 R. Nous ne les avons pas vus de près, mais on les a vus à Grnovo [phon]

14 lorsqu'ils traversaient les champs. Milan Pavlic, lorsqu'il est revenu de

15 prison, il a dit qui est-ce qui les avait arrêtés. Mais pour ce qui est de

16 ceux qui ont tué Tomo, nous n'avons pas vu cela. Nous ne savons pas quels

17 sont les militaires.

18 Q. Avez-vous remarqué à l'occasion de ces événements, je parle du 8

19 octobre lorsque Tomo Vukovic a été tué, ces Serbes locaux, comme vous les

20 qualifiez, originaires de Plitvica, portaient-ils des uniformes ou pas ?

21 R. Ils portaient des uniformes.

22 Q. Est-ce que vous pourriez décrire ces uniformes ?

23 R. C'étaient des uniformes verts.

24 Q. Quand on dit des uniformes verts, est-ce que cela signifie que c'était

25 du vert olive militaire ?

26 R. Oui, militaire.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pouvons-nous établir, Maître

28 Milovancevic, de quelle armée on est en train de parler ?

Page 2443

1 M. MILOVANCEVIC : [interprétation]

2 Q. Lorsque vous avez dit que ces uniformes étaient des uniformes vert

3 olive qu'on appelait SMB et que vous dites que c'étaient des uniformes

4 militaires, quelle est l'armée qui portait ce type d'uniforme ? Comment

5 s'appelait-elle, cette armée-là ? En d'autres termes, est-ce que c'était la

6 JNA ? C'est ce que je voulais vous demander. Est-ce que c'étaient des

7 uniformes utilisés jusque-là par la JNA ?

8 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je ne sais pas si

9 le témoin m'entend.

10 Q. Madame Vukovic, est-ce que nous nous entendons ?

11 R. Oui, nous nous entendons.

12 Q. Ces uniformes militaires vert olive, à qui appartenaient-ils ? Qui

13 avait utilisé, jusque-là, ces uniformes ? Les Juges de la Chambre sont

14 intéressés par cette réponse.

15 R. C'étaient les soldats, l'armée de la JNA, et c'étaient les réservistes

16 aussi, de l'époque, qui avaient ces uniformes, ceux qui avaient déjà fait

17 leur service militaire.

18 Q. Merci. Quand vous avez décrit l'événement du 8 octobre, date à laquelle

19 a été tué Tomo Vukovic, vous avez précisé qu'il y a eu des tirs à l'arme

20 automatique et autres armes légères depuis le ravin ou le canyon de

21 Plitvica et de la forêt non loin de votre village, et ensuite ils ont

22 commencé à tirer depuis le hameau de Vukovici. Savez-vous nous dire qui

23 est-ce qui a ouvert le feu ?

24 R. Mais qui voulez-vous que ce soit ? Les Serbes.

25 Q. Vous tirez cette conclusion parce qu'on a tiré en direction de votre

26 village à vous, qui était un village croate; c'est la raison qui vous

27 motive. Est-ce que j'ai bien compris ?

28 R. Oui, je pense que oui.

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1 Q. Merci. Vous nous avez dit que plus tard, ils ont commencé à tirer

2 depuis le hameau de Vukovici. Qui est-ce qui a commencé à tirer depuis le

3 hameau de Vukovici ?

4 R. Les Serbes.

5 Q. Dans votre déclaration, vous avez indiqué qu'après que Tomo Vukovic du

6 hameau de Vukovici ait été tué, le jour d'après, les habitants de ce hameau

7 de Vukovici ont appris ce qui s'était passé, et vous vouliez aller les

8 aider, mais on a recommencé à tirer, et Tomo Vukovic n'a été enterré que

9 trois jours plus tard. Pendant ces tirs qui sont survenus, y a-t-il eu des

10 ripostes depuis Vukovici, à l'occasion des tirs que vous avez entendus ?

11 R. Non.

12 Q. Lorsque vous avez expliqué les événements du 24 octobre 1991, vous avez

13 dit que Jaga Pavlic, une voisine à vous, avait dit que la nuit d'avant,

14 elle était dans la maison d'Ivan et Mile Loncar et elle a dit que ces deux

15 hommes avaient été pendus le soir d'avant et que l'on avait descendu les

16 corps déjà lorsque vous êtes allée là-bas, et ces corps se trouvaient sur

17 la table dans la maison. Vous avez aussi dit que vous ne saviez pas comment

18 tout ceci s'était passé. C'est bien ce que vous avez dit ?

19 R. Oui.

20 Q. Dans votre déposition, vous avez également expliqué que le frère

21 d'Isija [phon], à savoir Ivan Loncar, et son fils, Mile Loncar, ont péri.

22 Mais le fils et le frère, Marko Loncar, était là pour aider à organiser les

23 funérailles des personnes décédées. C'est bien ainsi que cela s'est passé,

24 n'est-ce pas ?

25 R. Oui.

26 Q. Dans votre déposition au sujet des funérailles de ces deux personnes

27 pendues, vous avez précisé qu'il y avait à l'enterrement plusieurs Serbes

28 locaux, et le mari de la sœur à Marko, Nedjo Dujic, puis Goran Visnjic,

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1 Momcilo et Mico Grbic, et d'autres Serbes dont vous ne vous souveniez plus

2 des noms. Pourriez-vous nous dire qui étaient ces Serbes et d'où étaient-

3 ils venus aux funérailles des personnes qui ont été pendues ?

4 R. Du village de Plitvica.

5 Q. En répondant aux questions posées par le Procureur et dans votre

6 déposition également, vous avez donné une description de l'entretien que

7 vous avez eu avec Goran Visnjic, qui avait dit que si on leur tirait

8 dessus, personne ne survivrait, quelque chose dans ce genre. Cet entretien,

9 a-t-il eu lieu avant que vous ne partiez aux funérailles de ces deux

10 hommes ?

11 R. Cela s'est passé quand je suis revenue de là-bas.

12 Q. Dans la déposition qui a été recueillie par le bureau du Procureur, en

13 page 3 de celle-ci, il est dit que vous aviez précisé qu'avant les

14 funérailles, Goran Visnjic était venu vous rendre visite et il avait

15 demandé s'il était sûr de rentrer. Il avait notamment demandé s'il y avait

16 à proximité des soldats croates. Puis, il a dit : "A Dieu ne plaise que

17 l'un quelconque des Serbes soit tué, parce que vous seriez tous tués et mis

18 à feu, et il ne resterait dans le village pas un seul chat de vivant." Est-

19 ce qu'il l'a dit ?

20 R. Ce jour-là, nous sommes rentrés cinq ou six fois à la maison et on en

21 est ressorti parce que les funérailles n'ont pas eu lieu au cimetière, là

22 où on enterrait les gens d'habitude, mais à côté de la maison. Je suis

23 allée deux ou trois fois dans la maison et j'en suis sortie. Je ne sais pas

24 maintenant vous dire si c'était avant qu'on les ait enterrés ou pas, parce

25 que je suis entrée deux ou trois fois dans la maison et j'en suis

26 ressortie. Nous étions voisins. J'allais et venais.

27 Q. Merci. L'homme qui a proféré ces mots, c'était Goran Visnjic, c'était

28 quelqu'un qui était présent aux funérailles, n'est-ce pas ?

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1 R. Oui.

2 Q. Merci. S'agissant des événements tragiques du 7 novembre 1991, vous

3 avez expliqué qu'à un moment donné pendant que vous étiez chez vous, vous

4 avez pu voir 20 ou 30 soldats dévaler le sentier depuis Vukovici, et vous

5 avez expliqué que vous pensiez que c'étaient des Serbes locaux, n'est-ce

6 pas ?

7 R. C'est exact.

8 Q. Dans la déclaration recueillie par le bureau du Procureur, en répondant

9 à une question directe à ce sujet, au sujet de cette opinion qui était la

10 vôtre et qui consistait à dire que c'étaient des Serbes locaux, on vous a

11 également demandé si c'étaient des membres de la JNA ou des réservistes

12 locaux. Vous aviez répondu que c'étaient des Serbes locaux, parce qu'ils

13 connaissaient bon nombre de détails au sujet de vous en personne et de

14 votre famille, n'est-ce pas ?

15 R. Oui.

16 Q. Vous avez décrit ces 20 ou 30 hommes au sujet desquels vous aviez dit

17 qu'ils portaient des uniformes de camouflage verts et vous étiez d'avis que

18 des membres de l'armée régulière ne sauraient pas ce qu'ils savaient, eux,

19 et suite au stress dont vous avez été victime, vous ne pouviez pas, aviez-

20 vous dit, vous souvenir de leurs noms; c'est bien cela ?

21 R. Oui.

22 Q. Pouvez-vous nous dire à quelle distance de Saborsko se trouve

23 Poljanak ?

24 R. Quatorze kilomètres.

25 Q. Avez-vous entendu parler des villages de Kuselj, Fontana et Panici ?

26 R. Oui.

27 Q. A quelle distance cela se trouve-t-il ?

28 R. Tout cela se trouve avant Saborsko. Un village se trouve à sept,

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1 l'autre à huit et un troisième encore à dix.

2 Q. Aurais-je raison de dire que ce sont des villages se trouvant entre

3 Saborsko et Poljanak, sur la route conduisant jusqu'à Saborsko, n'est-ce

4 pas ?

5 R. Oui, vous avez raison.

6 Q. Avez-vous entendu parler d'un village appelé Borik et d'un autre

7 village appelé Tuk ?

8 R. Oui.

9 Q. A quelle distance se trouvent-t-ils de Poljanak ?

10 R. Ce sont des villages qui sont rattachés à Saborsko et qui portent des

11 noms distincts.

12 Q. Merci. Slunj, c'est une bourgade, un centre urbain, n'est-ce pas ?

13 R. Oui.

14 Q. A quelle distance cela se trouve de Poljanak ?

15 R. A une trentaine de kilomètres.

16 Q. De l'autre côté par rapport à Slunj, il y a une localité appelée

17 Glibodol. A quelle distance cela se trouve de Poljanak ?

18 R. Je ne le sais pas. Une trentaine de kilomètres.

19 Q. Mais vous avez entendu parler de cette localité ?

20 R. Oui, j'ai entendu parler de la localité, mais je ne sais pas à combien

21 de kilomètres cela se trouve.

22 Q. En répondant aux questions posées par le Procureur, vous avez dit qu'en

23 été 1991, il est passé des blindés de transports de troupes et que sur la

24 route, personne n'a posé d'obstacle à leur déplacement. Savez-vous nous

25 dire si c'étaient des blindés de transports de troupes de militaire de

26 l'ex-JNA ou de quelqu'un d'autre ?

27 R. Je ne sais pas. Ils étaient de couleur verte. C'étaient ceux qu'avait

28 la JNA de l'époque. Des fois, ils étaient bariolés, ces blindés, comme cela

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1 est le cas à présent. Mais je crois qu'il y en avait un qui était de

2 couleur verte et qui passait tous les jours.

3 Q. Savez-vous nous dire si à Licka Jesenica, il y avait une caserne ou un

4 entrepôt à l'époque ?

5 R. Je ne sais pas au juste. Je pense qu'il y avait quelque chose en effet,

6 mais je ne suis pas tout à faite certaine. Cela ne m'intéressait pas. Je ne

7 me suis jamais penchée sur la question.

8 Q. Saviez-vous qu'à côté de Slunj, il y avait un polygone militaire très

9 grand, énorme ?

10 R. Oui, je le sais.

11 Q. Saviez-vous qu'à Saborsko et dans toutes les autres localités que j'ai

12 déjà mentionnées, Kuselj, Fontana, Panici, Borik, Tuk, Slunj et Glibodol,

13 dans toutes ces localités-là, il y avait des unités militaires armées en

14 été 1991 et que la JNA avait entrepris des actions pour conduire des

15 opérations visant à combattre ces unités croates, et que cela s'est passé

16 en novembre, décembre 1991 ? Savez-vous quoi que ce soit à ce sujet ?

17 R. Non, je n'en sais rien du tout.

18 Q. Merci, Madame Vukovic. Nous regrettons que vous ayez dû prolonger votre

19 séjour là où vous vous trouvez, en raison des réponses que vous avez

20 apportées aux questions des conseils de la Défense. Nous vous en sommes

21 reconnaissants.

22 R. Il n'y a pas de quoi.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Maître Milovancevic.

24 Monsieur le Juge ?

25 Questions de la Cour:

26 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci. Madame Vukovic, je voudrais

27 vous poser deux questions. Il s'agit de deux points que vous avez

28 mentionnés en répondant au Procureur, et pour des éclaircissements, vous

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1 avez été interrogée à ce sujet par le conseil de la Défense. La première

2 des questions étaient celle qui se rapportait aux uniformes que portaient

3 ces gens. Je crois que cela se trouve en page 46 du compte rendu

4 d'audience, ligne 1. Juste une seconde.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que je peux vous interrompre ?

6 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Oui allez-y.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je me suis trompé. Peut-être devrait-

8 on entendre d'abord les questions complémentaires de M. Whiting avant que

9 nous ne posions nos questions.

10 M. LE JUGE HOEPFEL : [aucune interprétation]

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, justement. Je m'excuse, c'est une

12 erreur de ma part.

13 M. WHITING : [interprétation] Merci beaucoup.

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est moi qui vous remercie.

15 M. WHITING : [interprétation] Il n'y a pas de problème, Monsieur le

16 Président.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

18 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] D'accord. Alors, il y a des

19 éclaircissements que nous avions demandés. Nous allons revenir à cette

20 question de 20 ou 30 hommes qui ont été mentionnées et qui portaient des

21 uniformes verts ou des uniformes de camouflage. Vous avez dit que c'étaient

22 des uniformes de camouflage vert. Ce sont les termes repris par le conseil

23 de la Défense.

24 R. Dans ce groupe.

25 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Vous avez dit oui, mais justement ce

26 que je voulais savoir c'est si c'étaient des uniformes verts ou des

27 uniformes partiellement bariolés ? Etaient-ce des uniformes de camouflage

28 bariolés ou verts ? Je ne sais pas si cela prête à confusion ?

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1 R. Non, cela ne prête pas à confusion.

2 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] J'aimerais que vous apportiez ces

3 éclaircissements.

4 R. Dans ce groupe où il y avait ces trente hommes, il y en avait de toutes

5 sortes, des âgés, des jeunes, il y avait des uniformes verts portés

6 auparavant par l'armée et des uniformes bariolés. Certains avaient des

7 bandanas autour de la tête ou un bas de tirer par-dessus la tête.

8 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci beaucoup.

9 La deuxième question porte sur la structure de la population, la

10 population qui a résidé dans le village de Poljanak. Le Procureur vous a

11 demandé si c'était un village serbe, ou un village croate, ou encore un

12 village mixte. Pourriez-vous revenir, je vous prie, à cette question et à

13 ce que vous avez fourni comme description ? Je pose la question parce que,

14 plus tard, Me Milovancevic a demandé s'il était vrai ou pas de dire qu'il

15 n'y avait pas une seule famille dans Poljanak sans avoir un couple mixte en

16 son sein. Cela contredit ce que vous aviez répondu auparavant à cette

17 question, et j'aimerais que vous reveniez pour nous l'expliquer.

18 R. Cela a été un village purement croate. Il n'y avait pas une seule

19 maison serbe. Mais il y a eu des mariages mixtes, parce qu'il y avait des

20 Croates qui avaient épousé des Serbes et vice versa, et qui étaient partis

21 de leur maison ou d'autres qui étaient venus dans la leur. Donc, il n'y

22 avait pas 5 % de familles où il n'y a pas eu un couple mixte quelconque.

23 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Je comprends. Merci beaucoup. Je n'ai

24 plus de questions.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] C'est moi qui vous remercie, Monsieur

26 le Juge.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y a vraiment pas de quoi.

28 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je n'ai pas de questions.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame Vukovic, vous avez parlé d'un

2 certain nombre de villages qui ont été attaqués et vous avez parlé de

3 maisons qui n'y étaient plus en 1995. Alors, des éclaircissements : vous

4 avez parlé de votre propre village, Poljanak. Pouvez-vous nous citer les

5 autres villages, je vous prie.

6 R. Oui, je puis. Il y a Poljanak, Kuselj, Saborsko, Korana, Rastovaca,

7 Celiste, Smoljanac, Dreznik, Rakovac, Lipovaca, Vaganac, et Slunj compris.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce tout ?

9 R. Il y a des villages, des centaines, mais ceux-là se trouvent tout

10 autour de mon village, et cela va jusqu'à Slunj et Karlovac. Il en va ainsi

11 de Plitvica à Karlovac. Chaque fois qu'il y avait une population croate, il

12 en a été ainsi.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ces villages que vous avez mentionnés,

14 ce sont des villages croates, tous ces villages ?

15 R. Oui, ce sont des villages croates.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Dans ces villages, y a-t-il eu des

17 gens qui ont été tués, le savez-vous ?

18 R. Il y a peu de villages où il n'y a pas eu de personnes tuées. Dans la

19 plupart des villages, il y a eu des tués. A Saborsko, il y a une fosse

20 commune. A Kuselj, et à Poljanak, à Celiste, à Zejanca [phon], à Rastovaca,

21 Lipovaca, Rakovica, Dreznik, Vaganac.

22 L'INTERPRÈTE : L'interprète précise que cette énumération est trop rapide

23 pour qu'on puisse reproduire fidèlement les noms de tous ces villages.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais vous poser une question :

25 seriez-vous à même de fournir une estimation concernant le nombre de

26 personnes qui ont été tuées, selon vous, dans la totalité de ces villages ?

27 R. Un très grand nombre, je ne le connais pas ce nombre, mais déjà notre

28 petit village de Poljanak a connu 17 victimes, 17 morts.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pourriez-vous nous donner une

2 estimation du nombre d'habitants de votre village à l'époque ?

3 R. Quand ce crime a été commis, il y avait 50, 60, 70 personnes qui sont

4 restées, pas plus de 50. Parce que les enfants et les femmes avec des

5 enfants en bas âge sont partis pour Kraljevica dès le 5 septembre et les

6 autres sont restés.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] On va parler maintenant des autres

8 villages. Diriez-vous que les gens qui ont été tués se comptaient par

9 centaines ou par milliers ou par dizaines de milliers ?

10 R. Des centaines, pour autant que je le sache, pour ce qui est des

11 endroits que je connais, pour mon village et les villages dans les

12 environs. Une centaine de personnes dans une dizaine, une quinzaine de

13 villages.

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Dans cette dizaine ou

15 quinzaine de villages, est-ce qu'il y a eu également destruction de

16 maisons ? Nous avons vu les photos de votre maison. Est-ce que les autres

17 maisons dans ces villages ont été détruites d'une façon comparable ?

18 R. Oui.

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pour ce qui est des biens qui se

20 trouvaient dans ces maisons, savez-vous si ces biens ont été emportés par

21 les gens qui ont détruit les maisons ?

22 R. Cela, je ne l'ai pas vu. De ma maison, on a rien emporté, ils n'ont

23 rien emporté des maisons qui ont brûlé.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Dans votre déposition, vous avez

25 mentionné des viols. Est-ce que vous connaissez quelqu'un qui a été violé

26 ou est-ce que vous avez entendu parler de quelqu'un qui aurait été violé ?

27 M. WHITING : [interprétation] J'ignore la réponse à cette question, mais si

28 on citera des noms, peut-être vaudrait-il mieux passer à huis clos partiel.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je retire cette question. Je vais la

2 reposer différemment. Est-ce que vous savez s'il y a jamais eu de cas de

3 personnes qui auraient été violées ? Est-ce que vous pouvez nous citer le

4 chiffre, si vous le connaissez ? Ne citez pas de noms.

5 R. J'en ai entendu parler, personnellement je n'ai vu aucun cas de genre.

6 Mais j'ai entendu dire qu'il y en a eu. Quand je suis arrivée à Karlovac,

7 j'ai entendu dire que cela s'était produit dans ma région, mais je n'ai pas

8 eu de contacts directs avec des gens qui auraient été concernés par cela.

9 Je ne l'ai pas vus non plus. On nous a insultés, on nous a battus, mais

10 pour ce qui est des viols, non, je n'en ai pas vus, donc je ne peux pas

11 parler de ce que je n'ai pas vu.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez entendu parler de combien de

13 viols ?

14 R. Six ou sept viols.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous venez de nous dire qu'on vous a

16 maltraitée. J'aimerais savoir si on vous a asséné des coups.

17 R. Oui. On nous donnait des coups, des gifles. Oui, on m'a mis un couteau

18 à la gorge. Il m'a demandé pourquoi il portait des gants et quand je lui ai

19 dit que je ne le savais pas, il a mis son couteau sur ma gorge et il m'a

20 dit que : "C'était pour ne pas s'ensanglanter les mains." Je pensais que

21 c'était trop, vu que la situation était déjà suffisamment mauvaise pour

22 nous.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous savez s'il y a eu

24 d'autres personnes qui ont subi un traitement comparable au vôtre ?

25 R. Il y avait ma voisine, Marija, ma fille qui était avec moi, qui avait

26 20 ans à l'époque et ma mère, elles ont subi le même sort. On nous disait

27 toutes sortes de choses, on nous insultait, on nous giflait, on nous

28 menaçait.

Page 2455

1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Dans le cas des pilonnages de tous ces

2 villages, est-ce que vous savez si les gens qui ont pilonné portaient des

3 uniformes ? Vous avez parlé d'uniformes aujourd'hui ?

4 R. Mais cela, je ne l'ai pas vu. Lorsque les obus tombaient, je regardais

5 où l'obus allait tomber. Je n'étais pas là d'où on envoyait les obus, donc

6 je n'ai pas vu leurs vêtements.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Lors de chacune des rencontres

8 que vous avez eues avec ces Serbes dont vous nous avez parlé, est-ce qu'à

9 chaque fois ils étaient en uniformes, les gens que vous avez vus ?

10 R. Les gens du cru, du village de Plitvica, alors tantôt ils étaient en

11 uniforme, tantôt ils venaient en civil, mais la majorité était en uniforme.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Etait-ce le même uniforme que vous

13 avez déjà décrit ?

14 R. Oui. Parfois c'était un uniforme bariolé, parfois c'était l'uniforme de

15 l'armée, gris et vert olive.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] De quelle armée ?

17 R. De l'armée yougoslave.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et l'uniforme de camouflage, savez-

19 vous à quelle organisation il appartenait ?

20 R. Cela, je ne le sais pas. Il y en avait qui avaient des fichus sur la

21 tête, d'autres des bas sur la tête. Il y en a eu quelques uns comme cela.

22 Mais la majorité n'avait rien. Mais il y en avait quelques-uns qui étaient

23 masqués.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ceux qui portaient des uniformes de

25 camouflage, ils étaient accompagnés de ceux qui étaient en uniformes

26 verts ? Ils étaient tous ensembles ?

27 R. Oui, ils étaient tous ensembles.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Savez-vous qui a enterré votre père et

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1 votre époux ?

2 R. Je ne le sais pas. L'époux de la sœur de mon feu époux était présent et

3 il paraît, d'après lui, que c'étaient des voisins du village de Plitvica et

4 les militaires qui l'ont enterré.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Juste pour information, j'aimerais

6 savoir combien de temps s'est passé entre l'attaque sur votre village et le

7 moment où vous êtes revenue chez vous.

8 R. Je ne vois pas, qu'entendez-vous par là, combien de temps je suis

9 restée à l'extérieur du village, de quelle attaque on parle ?

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous nous avez parlé vers la fin de

11 l'interrogatoire mené par le Procureur que lorsque que vous êtes retournée

12 dans votre village en 1995, pas une seule maison n'était debout dans votre

13 village. Alors, je vous demande quelle a été la longueur de votre absence

14 de votre maison, donc entre le moment où vous êtes partie et le moment en

15 1995, où vous y êtes revenue et quand vous avez trouvé le village dans cet

16 état ?

17 R. Je suis partie en 1991, je suis revenue en 1995. Je n'y ai pas mis les

18 pieds pendant cinq ans, pas du tout, j'étais absente.

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Pendant ces années-là où vous

20 n'étiez pas dans votre village, où viviez-vous ?

21 R. Pendant une année, je suis restée à Kraljevica dans ce qu'on appelle la

22 baie Scott, et le reste du temps, je suis restée à Karlovac jusqu'en l'an

23 2000.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous viviez avec qui ? Etait-ce votre

25 propre maison ?

26 R. Je vivais avec ma fille et j'avais un appartement qui appartenait au

27 ministère de la Défense.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le ministère de la Défense de quel

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1 gouvernement ?

2 R. Du gouvernement croate.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie beaucoup, Madame

4 Vukovic.

5 R. Je vous en prie.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur le Procureur, avez-vous des

7 questions supplémentaires ?

8 M. WHITING : [interprétation] Oui, juste quelques petites questions qui

9 découlent de vos questions.

10 Nouvel interrogatoire supplémentaire par M. Whiting :

11 Q. [interprétation] Madame Vukovic, M. le Juge Moloto vous a posé des

12 questions sur tous ces villages où les maisons avaient été détruites, où la

13 population avait été tuée; j'aimerais être certain, vous entendre dire si

14 Vukovici en fait partie ?

15 R. Oui.

16 Q. De quoi avait l'air Vukovici quand vous y êtes revenue en 1995 ?

17 R. Il n'y avait pas une seule maison, c'était des broussailles partout, il

18 n'y avait ni maisons, ni foyers; tout avait été brûlé et détruit.

19 Q. Le 7 novembre 1991, d'après votre déposition, votre maison, votre

20 étable, la cuisine extérieure avaient été incendiées. Vous avez également

21 parlé de voitures qui avaient été incendiées. Est-ce que vous avez vu

22 d'autres maisons dans votre village auxquelles on aurait mis le feu ce

23 jour-là ?

24 R. Oui. La maison de ma mère et de mon père, et en contrebas dans le

25 village, d'autres maisons, mais on ne voyait plus puisqu'on a pris la

26 fuite. On ne voyait que la fumée dans le village. Je ne sais pas combien de

27 maisons ont été incendiées ni à qui elles appartenaient, mais j'ai vu

28 brûler la maison de ma mère et la mienne, et aussi celle de Vukovic Dana.

Page 2458

1 Ces trois maisons, je les ai vues en flammes; et du voisin Slavko, donc

2 quatre maisons, les quatre qui étaient autour de la mienne.

3 Q. Pour que ce soit tout à fait clair, vous avez vu ces quatre maisons en

4 flammes, et vous avez vu la fumée dans une autre partie du village ?

5 R. Oui, oui. Il y en avait dans le reste du village, mais je ne sais pas à

6 qui appartenaient les maisons qui ont brûlé ce jour-là.

7 Q. Je crois que je vous ai comprise. Je vous remercie encore une fois,

8 Madame Vukovic, d'être venue déposer.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Whiting.

10 Maître Milovancevic, avez-vous des questions à poser ?

11 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Juge, une seule question

12 peut-être.

13 Contre-interrogatoire supplémentaire par M. Milovancevic :

14 Q. [interprétation] Mme Vukovic, sait-elle à qui appartenait l'appartement

15 qui a été mis à sa disposition par le ministère de la Défense de Croatie,

16 sait-elle qui avait été le propriétaire de cet appartement précédemment.

17 R. Il appartenait à un officier de l'armée qui s'était enfui à cette

18 époque-là. Son nom est Stupar Dragan.

19 Q. Vous dites officier de l'armée, de la JNA ?

20 R. Oui.

21 Q. Je vous remercie.

22 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Maître Milovancevic.

24 Madame Vukovic, merci d'être venue déposer. Vous pouvez disposer. Je vous

25 remercie.

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie pour ma part.

27 [Fin de la déposition du témoin par vidéoconférence]

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Whiting, je pense que

Page 2459

1 vous n'aurez plus de témoin pour aujourd'hui.

2 M. WHITING : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

3 Cela a été plus court que ce que je n'aurais anticipé. Notre prochain

4 témoin est prêt pour déposer demain.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Je lève

6 l'audience jusqu'à demain. Je pense que nous commençons à 9 heures du

7 matin.

8 M. WHITING : [interprétation] Ah oui, je ne le savais pas.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

10 M. WHITING : [interprétation] C'est une surprise. Et un autre point, si je

11 puis. J'ai informé le juriste de la Chambre de ce point-là et j'en ai parlé

12 également à la Défense. Notre deuxième témoin demain, c'est le témoin MM-

13 038 - je ne vais pas citer son nom puisqu'il bénéficie de mesures de

14 protection - nous allons déposer une requête à son sujet demain, mais je

15 voudrais en avertir la Chambre d'ores et déjà, nous allons demander que sa

16 déposition soit versée aux termes de l'article 92 bis. La déclaration

17 préalable avait déjà été faite dans le procès Milosevic, mais nous

18 acceptons qu'il vienne pour être contre-interrogé. Autrement dit,

19 l'interrogatoire principal sera versé aux termes de l'article 92 bis, et il

20 sera contre-interrogé par la Défense. C'est la procédure qui a été

21 appliquée dans l'affaire Milosevic. J'ai eu l'avis de la Défense qui

22 accepte cette procédure. Nous allons déposer formellement notre requête

23 demain à ce sujet. Nous avons communiqué à la Chambre la déclaration en

24 application 92 bis, si la Chambre souhaite la revoir.

25 Nous souhaitons aussi demander de modifier légèrement la liste des mesures

26 de protection. Il bénéficiera d'un pseudonyme et de la déformation des

27 traits du visage. Nous allons vous expliquer les raisons demain.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

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1 Maître Milovancevic ?

2 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] On vient d'entendre qu'on modifie le

3 planning pour demain, qu'on aura une audience dans la matinée. D'après ce

4 que j'avais compris, on allait siéger toute la semaine dans l'après-midi;

5 ai-je fait une erreur ?

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je pense que vous avez fait une

7 erreur. Nous allions avoir une audience dans la matinée demain, Maître

8 Milovancevic. Il n'y a pas eu de modification là-dessus. Je vais retrouver

9 le planning, mais ce que j'ai écrit dans mon agenda dans tous les cas,

10 c'est que le 23, nous allions siéger le matin.

11 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge, je vous présente

12 mes excuses, j'ai fait une erreur. C'est la raison pour laquelle je vous ai

13 posé la question.

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La Chambre tenait à le dire puisque

15 sinon vous alliez être passible d'outrage à la Cour.

16 Pendant que nous en sommes aux questions de procédure et les questions

17 pratiques, je ne sais pas qui de l'Accusation pourra me répondre à la

18 question que je vais poser, Monsieur Black peut-être : dans la requête que

19 vous avez déposée hier, vous vous êtes référé à des points en suspens qui

20 doivent être faits en application de l'article 92 bis. Un petit point que

21 vous n'avez pas abordé, je voudrais vous le rappeler. Le 15 février

22 dernier, la Chambre a déclaré comme suit : "La Chambre de première instance

23 estime que la déclaration du témoin MM-028 correspond aux exigences des

24 dispositions de l'article 92 bis. Cependant, la Défense a soulevé des

25 objections relatives à l'authenticité des documents relatifs à cette

26 déclaration. La Chambre de première instance demande, par conséquent, que

27 l'Accusation se procure une déclaration supplémentaire de la part du témoin

28 portant sur les questions suivantes…" Les questions ont été posées et

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1 l'Accusation a dit qu'elle allait se conformer à l'ordonnance.

2 M. WHITING : [interprétation] Je me suis conformé à l'ordonnance, mais vous

3 ne l'avez pas encore reçue, moi non plus d'ailleurs. Le témoin a été

4 interrogé, je pense samedi ou dimanche dernier. La déclaration n'est pas

5 encore présentée, mais cela sera fait dès que je l'aurai reçue.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je comprends. Je vous remercie.

7 Cela concerne uniquement ce qui a été dit par M. Black dans la requête

8 d'hier.

9 Si c'est tout, l'audience est levée et nous reprendrons demain à 9

10 heures du matin.

11 --- L'audience est levée à 17 heures 03 et reprendra le jeudi 23 mars 2006,

12 à 9 heures 00.

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