Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 6107

1 Le mercredi 12 juillet 2006

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à tous. Nous parlions hier de

6 questions d'intendance.

7 M. WHITING : [interprétation] Oui, effectivement, merci.

8 Tout d'abord, Monsieur le Président, je tiens à dire que nous n'avons

9 toujours pas reçu la liste des pièces qui seront utilisées par l'entremise

10 du premier témoin. La Chambre avait ordonné à la Défense de nous

11 communiquer cette liste lundi. Cela n'a pas été le cas. La Défense nous a

12 promis que nous recevrions cette liste hier, cela n'a pas été le cas. On en

13 a parlé hier dans le prétoire. Le conseil ne voulait pas être tenu par un

14 délai mais il avait promis de communiquer cette liste dans les plus brefs

15 délai. J'espérais que nous la recevrions hier, nous ne l'avons toujours pas

16 reçue. C'est la première question que je souhaitais soulever. C'est assez

17 urgent puisque cela concerne le premier témoin qui doit commencer sa

18 déposition aujourd'hui

19 Deuxièmement, le conseil devait demander au reste de son équipe quand la

20 traduction des pièces serait prête.

21 Troisièmement, il y a la question de la durée de la déposition du premier

22 témoin qui comparaîtra après les vacances judiciaires, Momir Bulatovic. La

23 Défense avait annoncé 10 heures, mais quelques jours après avoir déposé la

24 liste des résumés 65 ter, la Défense prévoit le double du temps prévu pour

25 la déposition pour ce témoin. Il est maintenant question de 10 heures

26 seulement pour l'interrogatoire principal, la durée a été doublée. Au

27 début, les 10 heures incluaient l'interrogatoire principal, le contre-

28 interrogatoire, les questions supplémentaires, les questions des Juges,

Page 6108

1 maintenant, la durée de la déposition a été multipliée par deux.

2 Cela suscite quelques préoccupations, bien entendu, concernant les

3 estimations données dans les résumés 65 ter. Nous avons le même problème,

4 il est toujours difficile d'estimer la durée de la déposition d'un témoin

5 et parfois nous nous sommes trompés sur ces estimations. Je comprends cela.

6 Toutefois, cette modification est récente et je souhaitais en parler.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Milovancevic, pouvons-nous tout

8 d'abord parler de la question des pièces à conviction qui seront utilisées

9 avec le témoin qui comparaîtra aujourd'hui.

10 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Nous n'allons présenter aucune pièce par

11 l'entremise de ce témoin. Nous entendrons seulement son témoignage. C'est

12 le premier point.

13 Ensuite, s'agissant du délai de traduction de ces documents, il est

14 difficile de prévoir le temps nécessaire pour ce faire. C'est un problème

15 que nous essayons de résoudre au fur et à mesure et cela prend du temps de

16 traduire tant de documents, ce n'est pas un processus rapide. Je ne peux

17 pas vraiment vous donner d'information supplémentaire à ce sujet. Vu le

18 nombre de documents qui devaient être traduits, vous verrez si nous avons

19 fait cela dans les délais ou pas.

20 S'agissant du témoin Bulatovic, nous nous sommes penchés sur la question de

21 près et nous avons conclu que s'il y a suffisamment de temps cette semaine-

22 là pour entendre un autre témoin, nous prévoirons un témoin supplémentaire

23 et nous vous informerons en temps utile.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Milovancevic, vos réponses ne

25 sont pas satisfaisantes. Vous ne pouvez pas laisser les choses en suspend

26 et nous dire que vous n'êtes pas en mesure de nous dire combien de temps la

27 traduction durera. Vous ne pouvez pas nous dire que s'il y a encore du

28 temps vous ferez comparaître un autre témoin. Vous devez nous dire

Page 6109

1 précisément combien de temps il vous faudra pour vous occuper de la

2 traduction. Combien de temps il vous faudra pour interroger le témoin au

3 cours de la première semaine et combien de temps vous prévoyez pour le

4 contre-interrogatoire, les questions supplémentaires, tout cela.

5 Vous ne pouvez pas nous dire simplement : "Nous verrons bien comment les

6 choses se passent et nous ferons de notre mieux." Cela ne veut pas dire

7 grand-chose.

8 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je suis désolé

9 que vous ayez cette impression. Je n'ai pas l'intention de laisser les

10 choses en suspend pour la Chambre et pour l'Accusation. J'essaie simplement

11 d'être réaliste dans mes estimations. Lorsque je dis que je vous promets de

12 faire de mon mieux, c'est ma parole que je vous donne. J'essaie de faire

13 face à la situation du mieux possible. J'espère que la Chambre comprend

14 cela. C'est la seule raison pour laquelle je vous ai répondu comme je l'ai

15 fait. Il n'y en a pas d'autre.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pour ce qui est de la durée prévue de

17 la déposition du témoin, puisque vous n'êtes pas en mesure de nous donner

18 une estimation précise, la Chambre s'en tiendra à cette estimation de 10

19 heures et ne vous accordera pas de temps supplémentaire. La Chambre en

20 application de l'article 65 ter, se penchera de nouveau sur la question le

21 14 août, je vous le rappelle. Cette estimation n'est pas définitive. Les

22 choses peuvent changer en fonction de la décision rendue en application de

23 l'article 73 ter.

24 Je ne sais pas quoi dire au sujet du deuxième point que vous avez soulevé,

25 c'est-à-dire, la traduction, Monsieur Whiting.

26 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, nous verrons comment

27 les choses se passent. Le plus important, bien sûr, c'est que nous

28 disposions des pièces dans les plus brefs délais et nous ferons de notre

Page 6110

1 mieux vu les circonstances. Si j'ai l'impression que nous avons subi un

2 préjudice quel qu'il soit, j'en parlerai plus tard.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Nous en avons terminé avec

4 les questions d'intendance.

5 Maître Milovancevic, vous pouvez poursuivre la déclaration liminaire.

6 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

7 Le dernier sujet que nous avons abordé hier concernait les

8 allégations énoncées dans l'acte d'accusation. Nous parlions des activités

9 alléguées de l'accusé dans le cadre de l'opération Corridor et de ses

10 activités alléguées en Bosnie-Herzégovine à l'époque.

11 La Défense citera à comparaître des témoins et présentera des documents

12 écrits pour réfuter les allégations de l'acte d'accusation selon lesquelles

13 l'opération Corridor visait à créer une Grande-Serbie en reliant la Krajina

14 à la Serbie au plan territorial. Nous montrerons que ces allégations sont

15 infondées. Nous présenterons également des documents qui démontreront que

16 le 26 novembre un accord a été conclu entre le général Tus de l'armée

17 croate et la JNA, accord en vertu duquel la 110e et la 120e Brigade se

18 retireraient de Bosnie-Herzégovine. Nous contestons les allégations --

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre mais

20 je vous rappelle ce qui a été dit hier, Maître Milovancevic : inutile de

21 nous présenter l'ensemble des éléments de preuve. Nous comprenons bien que

22 vous entendez réfuter l'intention ou l'objectif de l'opération Corridor.

23 Les détails seront présentés par des témoins et non pas par vous-même.

24 Je vous propose de passer au sujet suivant. Souvenez-vous que cette

25 déclaration liminaire est un tableau d'ensemble qui nous donne des

26 indications. Ce n'est rien de plus. C'est une feuille de route.

27 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Je comprends bien, Monsieur le

28 Président, mais la Défense est d'avis qu'il est important de vous présenter

Page 6111

1 l'essence de notre thèse. Nous entamons la présentation de notre thèse et

2 nous pensons que la Chambre doit savoir quelles sont les informations dont

3 la Défense dispose. Vous devez savoir quels sont les éléments-clés dont

4 nous nous servirons pour réfuter la thèse de l'Accusation. Je vous remercie

5 de vos remarques, Monsieur le Président.

6 Pour réfuter la thèse de l'Accusation concernant l'entreprise criminelle

7 commune qui aurait existé en Croatie et en Bosnie, nous présenterons des

8 preuves écrites qui démontreront que même en janvier 1993, le secrétaire

9 d'état américain ou l'ancien secrétaire d'Etat américain, Lawrence

10 Eagleburger a présenté au congrès américain la reconnaissance unilatérale

11 de l'indépendance de la Bosnie comme étant la cause principale de la guerre

12 qui s'en est suivie. Nous démontrerons que les preuves existantes indiquent

13 tout autre chose que ce que veut nous faire croire l'Accusation.

14 La Défense contestera également les allégations énoncées dans l'acte

15 d'accusation, allégations selon lesquelles Milan Martic aurait illégalement

16 équipé, armé, organisé la police et d'autres unités, les aurait incitées à

17 commettre certains actes visant à expulser la population croate. Nous

18 prouverons que cette théorie contredit totalement les preuves existantes et

19 qui sont du domaine public. Ceci est contenu même dans les résolutions du

20 Conseil de sécurité des Nations Unies telles que celles qui condamnent

21 l'opération de Maslenica. La Défense prouvera que l'engagement de toutes

22 les forces sur le territoire de la République serbe de Krajina n'avait

23 qu'un seul objectif, à savoir, se défendre contre les actions armées menées

24 par les forces armées croates lorsque les troupes des Nations Unies

25 n'étaient pas en mesure d'empêcher ces actions.

26 Par le biais de nos témoins et des preuves écrites que nous présenterons,

27 nous démontrerons que le comportement des participants aux événements qui

28 se sont déroulés sur le territoire de la Croatie et de la Bosnie-

Page 6112

1 Herzégovine, côté croate et côté musulman, s'accompagnaient de mensonges et

2 de tromperies destinés à l'opinion publique internationale. Les autorités

3 croates et musulmanes voulaient complètement déformer ce qui se passait sur

4 le terrain.

5 La Défense attirera votre attention sur un document datant du mois de mars

6 1993, d'où il ressort que M. Henry Kissinger, un diplomate américain

7 chevronné, a estimé que la communauté internationale avait commis une grave

8 erreur en reconnaissant la Bosnie-Herzégovine; ainsi nous démontrerons que

9 les allégations énoncées dans l'acte d'accusation concernant les

10 souffrances graves subies par la population civile sont décrites d'une

11 manière qui n'a rien à voir avec la réalité. Ces souffrances, selon nous,

12 ont été causées par des raisons tout à fait différentes. Nous démontrerons

13 que l'Accusation s'est servie de personnes, de lieux et d'événements isolés

14 pour établir des liens factices et parvenir à des conclusions tout à fait

15 erronées. Dans le cadre de la présentation de nos moyens, nous nous

16 appuierons sur un nombre important de documents datant de l'année 1993 qui

17 illustreront les rapports entre les forces de la Republika Srpska et la

18 population croate ainsi nous entendons contester la théorie de

19 l'Accusation, selon laquelle l'objectif des forces serbes était d'expulser

20 les Croates, car à quatre reprises ou même plus souvent, l'armée de la

21 Republika Srpska a accueilli des milliers et des milliers de civils croates

22 qui fuyaient suite aux activités menées par les forces musulmanes. Il

23 existe des preuves verbales et écrites qui seront présentées par la Défense

24 et qui réfutent totalement la théorie selon laquelle il existait une

25 intention d'effacer toute trace de tel ou tel groupe ethnique.

26 Nous présenterons des documents à la Chambre qui démontreront que sur

27 le territoire de la Bosnie-Herzégovine, malgré les nombreux accords conclus

28 entre les forces croates et les forces serbes et les forces musulmanes,

Page 6113

1 nombre de conflits armés se sont produits entre les forces croates et les

2 forces musulmanes. Les Serbes n'avaient rien à voir avec cela. Nous

3 démontrerons également qu'au cours de cette même période et sur ce même

4 territoire, entre ces mêmes protagonistes serbes, croates et musulmans qui

5 constituaient la population de la Bosnie-Herzégovine, tout au long de la

6 période qui nous intéresse, il y avait des conflits récurrents et violents

7 causés par la reconnaissance prématurée de la Bosnie-Herzégovine en tant

8 qu'Etat indépendant, alors que la crise yougoslave aurait pu être résolue

9 de façon politique.

10 Nous démontrerons que cela ne s'inscrivait pas dans le cadre d'un

11 plan visant à expulser la population locale. Au contraire, les trois

12 communautés ethniques se sont armées chacune de leur côté et se sont

13 affrontées dans le cadre d'une guerre civile. Il est très difficile pour

14 nous de comprendre cette théorie concernant l'entreprise criminelle commune

15 qui aurait été réalisée par les Serbes.

16 Le Procureur lui-même a mentionné le fait qu'il existait divers actes

17 d'accusation concernant la même période dressés à l'encontre de

18 représentants de forces croates en Bosnie-Herzégovine et de forces

19 musulmanes en Bosnie-Herzégovine. L'existence même de ces actes

20 d'accusation démontre que ce qui s'est déroulé en Bosnie-Herzégovine était

21 une guerre civile atroce, et pour chacun des endroits concernés, il est

22 nécessaire d'établir le mobile réel, les protagonistes réels et les

23 coupables réels. Le Procureur ne cherche pas à faire cela. Au contraire, il

24 choisit d'isoler -- ou il a choisi de sélectionner certains endroits dans

25 cette guerre civile dans l'ensemble, pour alimenter sa théorie selon

26 laquelle il existait une sorte d'entreprise criminelle commune unilatérale.

27 La Défense montrera que cette théorie n'est que fiction.

28 Nous démontrerons, par le biais de témoins et de documents, que

Page 6114

1 pendant toute la durée de la période au cours de laquelle ces événements en

2 Krajina et en Bosnie-Herzégovine et en Croatie se sont déroulés, il y avait

3 des milliers, plusieurs milliers de représentants des Nations Unies sur le

4 terrain. Toutes les décisions- clés prises dans des accords concernant le

5 cessez-le-feu et la cessation des hostilités et tous les accords concernant

6 l'organisation future de ces territoires montrent que les plus hauts

7 fonctionnaires de la communauté internationale ont été impliqués tout au

8 long de cette période. Nous démontrerons que nombre de ces accords ont été

9 déformés de manière à réaliser des objectifs de guerre, des objectifs

10 militaires. Même s'il aurait été possible de mettre en œuvre ces accords,

11 nous démontrerons que la communauté internationale a joué un rôle-clé pour

12 réaliser ces objectifs de guerre en Bosnie-Herzégovine et en Croatie par

13 l'utilisation d'armes. Nous démontrerons que les Serbes de la République

14 serbe de Krajina, qui, d'après le recensement de 1991, étaient au nombre de

15 581 000, leur rôle a été minime. C'était la même chose en Bosnie. Donc, les

16 Serbes étaient dans une position de faiblesse par rapport aux autres

17 parties belligérantes, et il était dans leur intérêt de résoudre les choses

18 par le biais d'un accord.

19 Nous démontrerons qu'un accord a été conclu juste avant le début de

20 l'opération Corridor, à bord du porte-avion Invincible. Toutefois, les

21 autres parties belligérantes ont toujours souhaité l'intervention de la

22 communauté internationale, une intervention militaire.

23 L'Accusation affirme que l'Accusé ne s'est pas montré coopératif et

24 qu'il a conduit son propre peuple dans une mission suicide. La Défense

25 démontrera, par le biais de documents, qu'au début du mois de février 1994,

26 le secrétaire général des Nations Unies a reconnu que des troupes étaient

27 déployées dans l'Etat voisin de Bosnie-Herzégovine. La Croatie a reconnu

28 cela publiquement.

Page 6115

1 Par le biais de ces éléments de preuve, nous contesterons et réfuterons la

2 thèse de l'Accusation qui fait valoir que ce qui s'est passé en Bosnie-

3 Herzégovine était le résultat de l'entreprise criminelle commune mise en

4 œuvre par les Serbes. Nous avons déjà vu quelle était la situation des

5 Serbes.

6 La Défense se servira de preuve écrite et citera à comparaître des

7 témoins afin de démontrer que la situation était bien différente,

8 contrairement à ce que nous ont affirmé certains témoins à charge qui ont

9 déclaré que les Serbes et l'accusé en l'espèce avaient entravé la mise en

10 œuvre de tous les accords conclus. Notre premier témoin vous parlera du

11 type de pourparlers qui se sont tenus et des concessions faites par les

12 Serbes pour éviter ce qui s'est passé par la suite. La Défense présentera

13 le texte de l'accord de Zagreb concernant le cessez-le-feu et la séparation

14 des parties belligérantes. Cet accord a été conclu à l'époque où M. Martic

15 était le président de la République serbe de Krajina.

16 La Défense montrera que les allégations de l'Accusation concernant le

17 plan Z-4 comme étant une très bonne offre qui aurait pu sauver les Serbes,

18 mais que cela était complètement contraire à la réalité. Il s'est agi d'une

19 énorme supercherie menée par les représentants des autorités croates dans

20 les intérêts de la Croatie. Nous allons montrer également que toutes les

21 dispositions du plan Z-4 avaient déjà été proposées au côté serbe deux ans

22 auparavant par la Croatie et que cela n'avait été que revu par

23 l'ambassadeur Galbraith au mois de janvier 1995.

24 Nous verrons à travers certains témoins et éléments de preuve que M.

25 Martic n'avait pas refusé le plan Z-4, parce que c'est un mécréant qui

26 détestait son propre peuple et ne respectait pas la communauté

27 internationale, comme l'Accusation voudrait nous le faire croire. Il a été

28 décrit comme pratiquement retardé mental par les témoins de l'Accusation.

Page 6116

1 La Défense va démontrer les véritables raisons pour lesquelles les

2 négociations concernant le plan Z-4 avaient été mises en attente jusqu'au

3 point où la Croatie avait accepté l'extension du déploiement des troupes

4 des Nations Unies. Nous allons donc démontrer quelles étaient les vraies

5 raisons derrière cela.

6 Donc, il n'était pas du tout vrai de dire que le plan Z-4 avait comme

7 but de sauver le peuple serbe et leur garantir la protection par le

8 FORPRONU. A ce moment-là, la FORPRONU n'existait plus. M. Martic insistait

9 à l'époque sur le fait de s'assurer qu'un nouveau mandat ou une extension

10 du mandat des forces des Nations Unies puisse être mise en œuvre, car il

11 pensait qu'il s'agissait d'une forme minimum de protection pour son peuple.

12 Nous allons montrer qu'au mois de mars 1995, la Croatie a finalement

13 été obligée d'accepter une extension de ce mandat pour les forces des

14 Nations Unies. Cependant, le plan Z-4 ne fut plus reproposé, et tout s'est

15 terminé avec les deux opérations Eclair et Tempête.

16 La Défense va démontrer que toutes les obligations internationales selon la

17 résolution des Nations Unies, le plan Vance et l'accord de Zagreb, lorsque

18 ces derniers ont été acceptés, toutes les obligations qui, conformément à

19 un certain nombre de négociations, furent rompues par la Croatie, la

20 Défense montrera que le rejet de l'accord avec les Serbes n'avait qu'un

21 seul but, à savoir, la mise en œuvre du plan HDZ afin de faire en sorte que

22 la Croatie devienne un Etat pour le peuple croate. Il fallait à tout prix

23 éviter un accord de façon à ce que la question puisse être résolue par des

24 moyens militaires. Le colonel Grujic et d'autres témoins de l'Accusation

25 ont témoigné de la façon dont les choses se sont déroulées, à savoir que

26 250 à 350 000 personnes ont fui la Croatie.

27 En fin de compte, la Défense démontrera également que le rapport du Conseil

28 de sécurité du mois de mai 1993 soumis par M. Boutros Boutros-Ghali

Page 6117

1 montrait qu'à cette époque-là déjà, 251 000 personnes avaient déjà été

2 expulsées. La Défense confirmera également que le rapport de M. Grujic

3 selon lequel au mois d'août 1995, sur 50 000 Serbes qui habitaient en

4 Croatie au début de la crise yougoslave, d'après le recensement officiel,

5 il n'en restait plus que 581 000.

6 La Défense soulignera les véritables raisons pour lesquelles les Serbes ont

7 été obligés de s'organiser.

8 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Excusez-moi, Maître Milovancevic. Il

9 y a peut-être un problème avec la traduction. Vous nous avez cité un

10 certain nombre de chiffres concernant le nombre de Serbes qui habitaient en

11 Croatie au début de la crise yougoslave. Est-ce qu'il s'agit de 50 000 --

12 L'INTERPRÈTE : L'interprète dit qu'elle est désolée de mon erreur.

13 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pouvez-vous clarifier cette

14 question ?

15 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Oui. Merci, Monsieur le Juge. Je

16 soulignais le fait que je me préoccupais de deux chiffres, l'un qui

17 provenait du recensement de 1991 d'après lequel il y avait 581 000 Serbes

18 qui habitaient en Croatie avant la crise, et le chiffre provenant d'un

19 témoin expert qui disait que seuls 50 000 Serbes demeuraient en Croatie

20 après les opérations Eclair et Tempête, seulement 50 000. La population

21 serbe a été expulsée de la Croatie pendant les opérations Eclair et

22 Tempête. Lorsqu'on rajoute les personnes dont l'appartenance ethnique n'a

23 pas été déclarée de même que les Yougoslaves, les questions sont plus

24 claires, mais ce que veut souligner la Défense pour l'instant, c'est que la

25 situation était tout à fait différente de celle qui a été décrite par

26 l'Accusation.

27 La Défense, à travers ses témoins, montrera que l'attitude des autorités de

28 la République serbe de la Krajina était bien intentionnée, qu'ils étaient

Page 6118

1 coopératifs, que les Serbes ont rempli leurs obligations. Il existe des

2 documents des Nations Unies qui démontrent que des armes lourdes avaient

3 été mises sous le système de la double clé. Cinq offensives d'envergure ont

4 été lancées pendant que les Nations Unies étaient présentes, de même qu'un

5 certain nombre d'incursions par les forces croates de moindre envergure.

6 Nous allons également fournir des moyens quant au nombre de ce type

7 d'attaques contre les Serbes sur le territoire de la République serbe de la

8 Krajina.

9 La Défense, à travers ses témoins, va démontrer que les allégations dans

10 l'acte d'accusation selon lequel l'opération Eclair a eu lieu le 1er mai ne

11 sont pas vraies. Celle-ci a commencé le 1er mai et ne s'est terminée qu'au

12 bout de sept ou huit jours. Nous sommes profondément convaincus que

13 l'Accusation fait fi de ceci, car ils veulent mettre en place une

14 séparation artificielle, le fait que Zagreb était ciblé -- enfin, les

15 attaques en Slovénie occidentale.

16 La Défense fera témoigner des témoins et apportera des éléments écrits qui

17 montreront que les Nations Unies avaient été informées le 1er mai de

18 l'offensive à venir, que la force armée croate avait invité des membres des

19 Nations Unies à se réfugier et ensuite s'est mise à massacrer la population

20 de la Slavonie occidentale. Le massacre continue pendant des jours et des

21 jours.

22 La Défense fera témoigner des personnes et présentera des éléments

23 écrits, qui montrent que les tirs, utilisant des projectiles d'artillerie

24 et un système Orkan sur des cibles à Zagreb, constituaient une tentative

25 légitime d'empêcher l'agression. Les Nations Unies ont reconnu le droit à

26 l'autodéfense de tout un chacun qui subirait une attaque ou une menace. En

27 Slavonie occidentale, ce n'étaient pas simplement les forces serbes et la

28 population serbe qui étaient attaquées. C'était également les Nations

Page 6119

1 Unies. C'était une zone protégée par les Nations Unies et ce sont les

2 forces armées croates qui ont pris le contrôle. C'est dans ces

3 circonstances-là que les tirs à Zagreb ont eu lieu.

4 La Défense démontrera qu'il y a un certain nombre de rapports écrits,

5 écrits par des responsables des Nations Unies concernant les souffrances de

6 la population et qu'il y a des documents de l'armée croate qui démontrent

7 que le 4 mai, il y a eu des tirs d'artillerie lourde dirigés contre un

8 certain nombre de villages peuplés par des civils et qu'il y avait un

9 massacre et que les Nations Unies faisaient absolument rien pour

10 l'empêcher. Cela s'est produit jusqu'à ce que la Slavonie occidentale fût

11 nettoyée.

12 La Défense présentera également à la Chambre un document écrit de

13 Tadeusz Mazowiecki au représentant des Nations Unies pour les droits de

14 l'homme, qui a confirmé que les forces de l'armée de la police croate

15 avaient tué des civils serbes et ciblé les cibles civiles et les édifices.

16 A travers ces témoins et ces documents-là, la Défense va prouver que c'est

17 ce qui s'est passé pendant les opérations Eclair et Tempête le 4 août 1995.

18 Et à la suite, dans les mois qui ont suivi, alors que toute la population

19 de la République serbe de la Krajina a été expulsée et que 22 000 édifices

20 ont été détruits dans le secteur sud, 22 000 bâtiments serbes ont été rasés

21 dans le but de faire en sorte qu'il soit impossible pour les Serbes de

22 jamais revenir. La Défense va montrer que cela faisait partie d'une

23 entreprise commune systématique et organisée de la part de la direction de

24 l'Etat politique et militaire croate, afin d'éliminer tous les Serbes du

25 territoire, là où ils vivaient en tant que citoyens de la Croatie et en

26 tant que peuple à l'intérieur de la Croatie.

27 La Défense soumettra également un document qui montre comment

28 l'attitude des autorités croates était vis-à-vis de ces crimes. Elle

Page 6120

1 démontrera que le président de la République de Croatie, Franjo Tudjman, le

2 4 juin 1995, le jour de la fête nationale croate, avait décoré l'un des

3 meurtriers de la famille Zec à Zagreb. Il s'agissait d'une famille serbe

4 connue et ils ont été abattus en 1991. Quatre auteurs, dont l'identité est

5 connue, se sont emparés de la mère et de la fille, ont tué le père, violé

6 la mère et la fille et les ont jetés dans une décharge. La procédure devant

7 un tribunal n'était pas encore terminée, mais M. Tudjman avait décoré l'un

8 des auteurs de ces crimes, dont le nom et le prénom vont être révélés à la

9 Chambre, le 4 juin 1995. Il a également décoré le terroriste Miro Baresic

10 qui, il y a longtemps, avait tué l'ambassadeur yougoslave auprès de la

11 Suède.

12 En attirant l'attention sur ces faits, la Défense n'est pas tentée de

13 témoigner, mais simplement d'expliquer quels sont les documents qu'elle a à

14 sa disposition et les documents qu'elle va présenter pour aller à

15 l'encontre de la thèse de l'Accusation selon laquelle les craintes des

16 Serbes n'étaient pas justifiées et étaient exagérées. Au contraire, cette

17 crainte était tout à fait justifiée et tout ce que craignaient les Serbes

18 s'est malheureusement produit.

19 La Défense présentera des documents qui démontrent qu'il y a un

20 certain nombre de décisions du Conseil de la sécurité au mois de juin 1995,

21 après l'opération Eclair, concernant l'activité des forces croates sur le

22 territoire de la Bosnie-Herzégovine et elle montrera que la Croatie n'a pas

23 respecté les avertissements et qu'en prenant le contrôle de Glamoc et

24 Grahovo, qui sont juste derrière Knin, mais dans le territoire de la

25 Bosnie-Herzégovine, ils étaient en train de se préparer pour porter le coup

26 final contre Knin et la Krajina au cours de l'opération Tempête.

27 La Défense va montrer qu'aucune des raisons présentées par les

28 témoins de l'Accusation en ce qui concerne l'opération Tempête, les

Page 6121

1 événements allégués en ce qui concerne la poche de Bihac, sont vraies ni

2 exactes, car Janko Bobetko, le général de l'armée croate, le 26 juin 1995,

3 a signé une directive pour la mise en œuvre de l'opération Tempête qui a

4 démarré le 4 août 1995.

5 Le 5 décembre 2004, cinq mois avant l'opération Eclair, il avait

6 également signé une directive sur la mise en œuvre de cette opération

7 Eclair. Nous allons présenter ce document à la Chambre également et vous

8 montrer --

9 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Désolée de vous interroger.

10 S'agit-il véritablement du 5 décembre 1994 ou 2004, comme apparaît sur le

11 compte rendu d'audience ?

12 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Madame le Juge. C'est sans doute

13 une erreur que j'ai faite. Je parlais de 1994, l'opération Eclair a eu lieu

14 le 1er mai 1994 et je parle de moyens qui sont à la disposition de la

15 Défense selon lesquels le général Bobetko, le 5 décembre 1994, et non pas

16 2004, merci de m'avoir corrigé, a émis un ordre selon lequel cette

17 opération devait être conduite. La Défense va également présenter des

18 documents qui démontrent que ces directives, en matière d'opération Eclair,

19 signifient également que les forces croates étaient en position de

20 démarrage trois mois auparavant, et attendaient que l'opération commence.

21 Et alors que l'Accusation représente tout ceci comme étant simplement le

22 signe que Martic était têtu et qu'il ne voulait pas coopérer avec les

23 Nations Unies. Mais en fait, tout ce que craignait Martic, c'est que ce qui

24 allait se produire se produirait et donc essayait par tous les moyens de

25 l'empêcher conformément avec toutes les normes morales et éthiques.

26 La Défense va également démontrer à travers des documents que le 30 juillet

27 1995, M. Akashi et M. Martic, en présence du commandant Janvier de la

28 FORPRONU, ont signé un accord qui réglementait la question de Bihac et le

Page 6122

1 comportement du côté serbe. Il sera très clair que Bihac n'était pas la

2 raison de l'opération Tempête comme l'ambassadeur Galbraith a prétendu.

3 La Défense va présenter des documents et appeler des témoins qui

4 démontreront que l'opération Tempête a démarré très tôt le matin avec des

5 tirs d'artillerie très nourris et que l'OTAN les a appuyés avec des moyens

6 aériens partant de la base d'Aviano et que le porte-avion Théodore

7 Roosevelt a détruit les moyens de communication, ce qui a eu un effet

8 direct sur les opérations militaires à l'époque et les possibilités pour la

9 République Serbe de la Krajina de se défendre alors qu'elle était sous

10 protection des Nations Unies.

11 La Défense présentera un document, un document écrit démontrant que M. Mato

12 Granic, qui était un responsable haut placé de la République de la Croatie,

13 explique dès le 6 août 1995 que les Etats-Unis avaient averti les Croates

14 quand et comment mener une attaque sur les Serbes de la Krajina et à donner

15 son feu vert. Nous allons voir s'il y a un lien de causalité entre ces

16 faits-là et le témoignage de l'ambassadeur Galbraith, dont j'ai déjà dit

17 qu'il avait rencontré plusieurs fois par jour M. Tudjman.

18 Après l'opération Tempête en 1995, toute la population serbe avait été

19 expulsée du territoire de la République Serbe de la Krajina sous protection

20 des Nations Unies, à travers les activités de l'armée croate. Milan Martic

21 qui était le président de la République Serbe de la Krajina est devenu un

22 réfugié pour éviter d'être tué. C'est pour cette raison que les Serbes ont

23 fui. L'Accusation prétend, dans son acte d'accusation, que Martic a

24 continué à mener une entreprise criminelle commune même en tant que

25 réfugié. Dans autre acte d'accusation contre M. Gotovina et Cermak, il est

26 dit que la direction, à partir du 4 août, lorsque "Oluja" avait commencé

27 l'opération Tempête, que tous les Serbes avaient été expulsés de la

28 Croatie, il y avait également des activités armées au mois de novembre 1995

Page 6123

1 et une destruction totale et systématique des conditions de vie des Serbes

2 dans cette zone. D'un autre côté, l'Accusation, dans ce procès, accuse

3 Martic d'avoir été impliqué dans l'entreprise criminelle commune même en

4 tant que réfugié.

5 La Défense a également présenter des moyens démontrant que pendant

6 l'opération Eclair plusieurs centaines Serbes ont été tués, qu'ils ont tous

7 été expulsés, que seuls 800 sont restés sur le territoire de la Slavonie

8 occidentale alors qu'il y en avait eu

9 15 000 auparavant.

10 La Défense va démontrer que l'opération Tempête du 4 août 1995, au cours de

11 cette opération, 1 791 personnes d'ethnicité serbe ont été tuées ou ont

12 manqué à l'appel. Ceci n'est plus contesté aujourd'hui. Parmi ces 1 791

13 personnes, 996 sont des civils, dont 11 enfants et 449 femmes.

14 La Défense montrera que contrairement à ce que dit l'Accusation, au sujet

15 de l'entreprise criminelle commune de Martic, qu'en 1995, lorsqu'il était

16 déjà un réfugié, des combats horribles se déroulaient sous le territoire de

17 la Bosnie-Herzégovine. D'un côté, il y avait les forces croates et

18 musulmanes conjointes. Il y a des éléments de preuve corroborant qu'il ne

19 s'agissait pas seulement des Croates de la Bosnie-Herzégovine, qui

20 participaient aux combats mais aussi les troupes régulières croates venant

21 d'un autre pays et l'offensive militaire était soutenue par les forces de

22 l'OTAN, qui a effectué des bombardements qui ont duré depuis la fin août

23 jusqu'à presque fin septembre 1995.

24 Ces raids aériens ont permis à la partie croato-mulsumane d'obtenir

25 le territoire de la Bosnie-Herzégovine que la partie serbe était prête à

26 leur céder dès le début 1992 dans le cadre du plan Cutileiro, que nous

27 avons mentionné. La Défense montrera que quelqu'un souhaitait la guerre,

28 que les activités de M. Martic et les activités du sommet politique

Page 6124

1 yougoslave n'avaient rien à voir avec cela de même que du sommet yougoslave

2 militaire.

3 Puis la Défense montrera que la population serbe, qui est restée sur

4 place, a signé un accord le 12 novembre 1995, concernant la réintégration

5 pacifique en Croatie. Cela c'est l'accord de Erdut. Nous allons montrer

6 également que la délégation serbe était présidée par Slobodan Milosevic à

7 Dayton, qui est prétendument le leader de l'entreprise criminelle commune,

8 mais à Dayton il a signé les accords de Dayton, le 21 novembre 1995, ce qui

9 a signé la fin de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Le président des Etats-

10 Unis, Bill Clinton a dit au sujet de Slobodan Milosevic qu'il avait joué un

11 rôle-clé à Dayton, alors que l'Accusation affirme qu'à l'époque Martic

12 participait avec lui dans l'entreprise criminelle commune qui s'est

13 déroulée jusqu'à la fin de 1995.

14 La Défense va également présenter les documents de l'ONU indiquant

15 que dans le palais de l'ONU à Genève, il était dit que les forces croates,

16 à la fin de 1995, ne respectaient la résolution de l'ONU portant sur le

17 cessez-le-feu. Ils faisaient tout pour rendre impossible une vie normale à

18 la population serbe.

19 La Défense revient au début de ses propos liminaires. Elle montrera

20 par le biais de ces documents que M. Stjepan Mesic, qui en 1991, le 1er

21 juillet 1991, a été nommé au poste du président de la Yougoslavie à un

22 moment où la Croatie avait déjà proclamé son indépendance, que dans un

23 entretien accordé à MTB, le 7 novembre 1991, c'est un poste de télévision

24 slovène, et il a dit qu'il était le président de la Croatie, à ce moment-

25 là. Il a dit qu'il avait pris ces fonctions à Belgrade en tant président de

26 la Yougoslavie, alors qu'à la tête de la diplomatie yougoslave, à l'époque,

27 se trouvait M. Loncar, qui est un Croate. Il avait contacté les facteurs

28 internationaux à Mostar afin de les convaincre que l'intégration de la

Page 6125

1 Yougoslavie était absurde.

2 M. Mesic a dit qu'il souhaitait transmettre l'idée de la dissolution

3 de la Yougoslavie à ceux qui avaient le plus d'influence sur son sort,

4 Genscher et qu'il essayait que Genscher et le pape allaient donner leur feu

5 vert à la dissolution totale de la RSFY.

6 L'Accusation a parlé d'une espèce de la dissolution de l'Etat lorsqu'il

7 parle de la conférence présidée par Carrington. Il ne s'agit pas là d'un

8 terme juridique qui n'existe pas dans le vocabulaire juridique de ce monde.

9 Mesic a expliqué que le pape et Genscher avaient donné leur feu vert à

10 l'éclatement total de la RSFY. La Défense montrera des documents, des notes

11 prises par l'ambassadeur américain et par le Saint-Siège, qui témoignent du

12 fait que le pape a pris des mesures sans précédent afin de reconnaître la

13 Croatie et la Slovénie et a exercé des pressions sur un nombre de pays.

14 Ceci est confirmé par des visites des représentants du Saint-Siège à la mi-

15 1991, qui ont eu pour résultat la conclusion que les Serbes étaient les

16 agresseurs.

17 La Défense souhaite montrer, par le biais des éléments de preuve

18 mentionnés hier et aujourd'hui, qu'en 1990, 1991 et 1992, il y avait un

19 seul Etat souverain, la Yougoslavie, et que cet Etat s'était éclaté par le

20 biais de la sécession armée et du soulèvement armé. Or, ceci est tout à

21 fait différent des déclarations de l'Accusation.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous rappelle, Maître Milovancevic,

23 que vous n'avez pas présenté d'éléments de preuve hier ni aujourd'hui. Ne

24 l'oubliez pas.

25 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

26 La Défense, dans le cadre de la présentation des moyens à décharge, va

27 essayer de prouver cette thèse. Cela, c'est l'intention de la Défense, et

28 la Défense souhaite montrer que la thèse de l'Accusation concernant

Page 6126

1 l'entreprise criminelle commune ne tient pas, et elle fera écrouler

2 l'ensemble de l'acte d'accusation. Je touche à la fin, Monsieur le

3 Président.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je comprends cela, mais je souhaite

5 que vous compreniez que la déclaration liminaire n'a pas de valeur

6 probante. Les éléments de preuve sont présentés par le biais des témoins et

7 non pas par le biais du conseil. C'est ce que nous sommes en train de dire

8 toute la semaine. Vous n'allez pas prouver votre thèse en parlant du poste

9 qui est le vôtre. Si vous souhaitez déposer, prenez la place du témoin et

10 allez déposer sous serment. Donc, ce que vous êtes en train de dire depuis

11 deux jours ne sont pas les éléments de preuve.

12 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Bien sûr, Monsieur le Président. Dans

13 cette phase de la procédure, les éléments de preuve ne sont pas versés au

14 dossier. Je ne fais qu'indiquer quels sont les arguments de la Défense, les

15 arguments que la Défense soulignera. J'indique quelle sera la direction que

16 la Défense prendra pour que la Chambre puisse déjà évaluer si les témoins

17 proposés sont pertinents ou pas et de quoi il s'agira au cours de la

18 présentation des moyens à décharge. Nous avons considéré qu'il serait utile

19 à la Chambre de savoir quelle sera la direction prise par la Défense. C'est

20 tout ce que je souhaitais faire.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, je faisais simplement un

22 commentaire sur votre déclaration à la ligne 21, page 20, où vous avez dit

23 : "La Défense souhaite montrer que les éléments de preuve mentionnés hier

24 et aujourd'hui," et cetera. Ce que je dis simplement est que ce que vous

25 êtes en train de dire n'a pas de valeur probante.

26 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Bien sûr, Monsieur le Président.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] A moins que ceci ne soit confirmé par

28 un témoin qui déposera depuis cette place.

Page 6127

1 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] C'est justement ce que je souhaitais

2 dire, peut-être que je n'étais pas suffisamment précis dans cette phase. Je

3 souhaitais dire justement que la Défense, par le biais des éléments de

4 preuve qu'elle présentera, essaiera de prouver cette thèse. Je regrette si

5 je n'ai pas été clair. Je ne souhaitais pas être compris ainsi. Je

6 souhaitais dire autre chose.

7 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Maître Milovancevic, je souhaite

8 ajouter quelque chose. Je pense que vous ne pouvez pas compter sur le fait

9 que vous êtes en train de nous montrer l'intention de votre thèse, comme

10 vous avez dit, et qu'ensuite, vous allez nous clarifier ainsi ce qui est

11 pertinent ou pas. Car au cours de la présentation des moyens de preuve,

12 c'est à ce moment-là que vous allez verser au dossier vos éléments de

13 preuve, et nous serons toujours en mesure de décider au sujet de la

14 pertinence des moyens de preuve.

15 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Je suis entièrement d'accord avec vous.

16 Je suis entièrement d'accord avec vous, Monsieur le Juge.

17 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci.

18 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] J'ai compris ce que vous avez dit. La

19 Défense, par le biais de la présentation des éléments de preuve, essaiera

20 de prouver que les choses sont telles que la Défense les présente, et il

21 reviendra bien sûr à la Chambre de décider ce qui est exact et ce qui ne

22 l'est pas parmi ces arguments. Merci.

23 Pour terminer et pour gagner du temps, je dirais que la Défense à ce stade,

24 pendant les propos liminaires, ne va pas indiquer de quelle manière elle

25 traitera des chefs d'accusation concrets contenus dans l'acte d'accusation

26 en mentionnant des emplacements concrets, car ceci sera fait au moment de

27 la déposition de chaque témoin particulier. A ce moment-là, nous aurons des

28 documents indiquant tout cela.

Page 6128

1 C'est ainsi que je souhaite terminer mes propos liminaires, Monsieur le

2 Président. Je souhaite répéter la position de la Défense qui est la

3 suivante. La Défense s'attend à ce qu'elle pourra montrer que le

4 comportement de M. Martic n'a rien à voir avec une quelconque entreprise

5 criminelle commune, que cette entreprise criminelle commune est une

6 fabrication pure et simple que l'Accusation n'a pas pu prouver, et il

7 reviendra bien sûr à la Chambre de trancher là-dessus pendant la suite de

8 la procédure.

9 J'ai ainsi terminé mes propos liminaires, et notre premier témoin sera M.

10 Slobodan Jarcevic. Si la Chambre de première instance est d'accord, peut-

11 être nous pourrions prendre une pause dès à présent et modifier le

12 calendrier de la journée, ou, si vous le préférez, nous pouvons faire venir

13 le témoin immédiatement. Mais la Défense préférerait que l'on procède

14 d'abord à une pause.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître Milovancevic. Veuillez

16 citer le témoin.

17 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci de votre compréhension,

18 Maître Milovancevic.

19 [La Chambre de première instance se concerte]

20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez citer à la barre votre

21 premier témoin, Maître Milovancevic.

22 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

23 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, notre premier

24 témoin, si je ne me trompe, il doit être averti par la Chambre dès le début

25 par rapport à ses obligations ou est-ce que vous comptez le faire après son

26 serment ?

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur, veuillez lire la déclaration

28 solennelle.

Page 6129

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

2 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

3 LE TÉMOIN: SLOBODAN JARCEVIC [Assermenté]

4 [Le témoin répond par l'interprète]

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, veuillez vous asseoir.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

7 Interrogatoire principal par M. Milovancevic :

8 Q. [interprétation] Bonjour, M. Jarcevic.

9 R. Bonjour.

10 Q. La Défense commencera votre interrogatoire principal à présent. Avant

11 de commencer notre travail, je souhaite vous prier d'une chose, à savoir

12 puisque nous parlons tous les deux la même langue et puisque nous nous

13 comprenons bien, veuillez ménager une pause entre mes questions et vos

14 réponses, et je ferai pareil, pour permettre aux interprètes de nous

15 suivre.

16 R. Je vais le respecter.

17 Q. Je vais essayer de m'en tenir à cela aussi et je vais vous prier d'une

18 chose supplémentaire, à savoir, s'il est nécessaire de faire une petite

19 pause au cours de notre conversation, je propose que l'on évite de se

20 chevaucher, si possible.

21 R. Très bien.

22 Q. Veuillez nous dire quels sont votre nom et prénom.

23 R. Slobodan Jarcevic. Je suis né en 1942 à Gornja Ravno, un village en

24 Bosnie, pendant la Deuxième Guerre mondiale, et peut-être il vous sera

25 intéressant de savoir que je suis l'un des rares bébés qui ont survécu dans

26 ma région. L'armée a tué 270 enfants de quatre villages dans la région --

27 Q. Nous y reviendrons tout à l'heure, Monsieur Jarcevic, mais pour le

28 moment, ce qui importe, ce sont vos données personnelles. Donc, vous êtes

Page 6130

1 né en 1942, n'est-ce pas, dans le village de Ravno ?

2 R. Gornja Ravno.

3 Q. Dans la municipalité de Kupres en Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ?

4 R. Oui.

5 Q. Quelle sont votre appartenance ethnique et votre profession ?

6 R. Je suis Serbe orthodoxe.

7 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Avant cela, apparemment, nous

8 avons un problème. J'ai un problème lié au volume. Apparemment, j'ai un

9 problème. Je n'entends pas bien la voix, elle est coupée dans la traduction

10 que je reçois, et normalement, ceci ne m'arrive pas d'habitude. Je ne sais

11 pas à quoi c'est dû. Merci, Maître Milovancevic. Un moment, s'il vous

12 plaît. Merci.

13 Apparemment, c'est beaucoup mieux, merci.

14 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Faut-il que l'on répète certaines

15 questions ou peut-on continuer ?

16 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Non, non. Continuez, s'il vous

17 plaît.

18 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci.

19 Q. Pourriez-vous nous dire quelles études vous avez faites et où vous avez

20 travaillé, Monsieur Jarcevic ?

21 R. J'ai terminé l'école secondaire de l'économie à Kikinda et les sciences

22 politiques à l'Université de Belgrade, et je travaillais en tant que

23 diplomate en Yougoslavie de 1970 jusqu'à 2002. Je suis aussi membre de

24 l'Association des écrivains de la Serbie, car j'écris des livres et des

25 articles sur l'histoire des Balkans et sur la situation politique de nos

26 peuples qui se sont retrouvés entre les grandes puissances.

27 Q. Merci. Vous avez dit que vous avez travaillé au sein du ministère des

28 Affaires extérieures, ministère fédéral. Est-ce que vous pouvez nous citer

Page 6131

1 les pays dans lesquels vous avez exercé vos fonctions ?

2 R. Oui. Pendant un certain temps, j'étais en Zambie, ensuite en Roumanie,

3 au Koweït, en Grèce, en Inde, et mon dernier mandat était en Biélorussie.

4 Q. Merci.

5 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Je pense que le moment est opportun pour

6 faire une pause, à présent, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Effectivement. Merci beaucoup, Maître

8 Milovancevic. Nous allons prendre une pause maintenant et revenir à 11

9 heures moins le quart.

10 --- L'audience est suspendue à 10 heures 15.

11 --- L'audience est reprise à 10 heures 47.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître

13 Milovancevic.

14 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

15 Q. Monsieur Jarcevic, nous allons poursuivre l'interrogatoire principal.

16 Avant la pause, vous avez mentionné plusieurs pays où vous aviez travaillé

17 en tant que diplomate. Vous avez dit que le dernier pays était la

18 Biélorussie. Quand avez-vous travaillé là-bas ?

19 R. [hors micro]

20 Q. Je vais répéter ma question, excusez-moi. Votre dernier poste en tant

21 que diplomate yougoslave était en Biélorussie. Quand êtes-vous revenu de

22 Biélorussie ?

23 R. En 2001.

24 Q. En 2001; est-ce exact ? Vous ai-je bien compris ou était-ce plus tôt?

25 R. Non. Vous m'avez bien compris.

26 Q. Comment vous êtes-vous retrouvé ministre des Affaires étrangères de la

27 République serbe de Krajina ? Avez-vous occupé ce poste ?

28 R. Oui, j'étais ministre des Affaires étrangères de la République serbe de

Page 6132

1 Krajina du mois d'octobre --

2 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas entendu l'année et demande au témoin de

3 répéter sa réponse.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] L'interprète n'a pas entendu l'année;

5 est-ce que le témoin pourrait répéter sa réponse ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais le ministre des Affaires étrangères de

7 la République serbe de Krajina du mois d'octobre 1992 au mois d'avril 1994.

8 M. MILOVANCEVIC : [interprétation]

9 Q. Puisque nous parlons des postes que vous avez occupés, après le mois

10 d'avril 1994, avez-vous occupé d'autres postes au sein de la République

11 serbe de Krajina ?

12 R. J'ai été remplacé à mon poste de ministre des Affaires étrangères par

13 le Dr Milan Babic. Le président de la RSK, Milan Martic, m'a demandé de

14 rester au sein de son gouvernement et de l'aider pour ce qui est du domaine

15 des affaires étrangères. Je devais m'occuper des contacts avec le corps

16 diplomatique à Belgrade, avec les Etats membres des Nations Unies, la

17 Communauté européenne et d'autres organisations internationales. J'ai

18 accepté ce poste et je suis resté adjoint chargé des Affaires étrangères du

19 président Martic jusqu'au 26 février 1996.

20 Q. Je vous remercie. Vous avez dit qu'à partir du mois d'octobre 1992,

21 vous avez occupé le poste de ministre des Affaires étrangères de la RSK.

22 Pouvez-vous nous dire ce que vous faisiez avant de devenir ministre des

23 Affaires étrangères ? Comment se fait-il que vous ayez été nommé à ce

24 poste ?

25 R. Si la Chambre le souhaite, je peux vous expliquer les circonstances

26 dans lesquelles je me suis rendu en RSK.

27 En 1992, j'étais employé au secrétariat fédéral aux affaires

28 étrangères de la République fédérale yougoslave. Il s'agissait en d'autres

Page 6133

1 termes du ministère des Affaires étrangères. Dans l'intervalle, la

2 propagande regrettable qui a été menée à l'encontre des Serbes s'est

3 organisée sous forme de campagne. En tant qu'originaire de Bosnie-

4 Herzégovine, je me suis rendu compte que nous étions face au même danger

5 qu'en 1941. J'ai donc rejoint l'Association des Serbes de Bosnie-

6 Herzégovine en Serbie.

7 En 1991 et en 1992, mes peurs se sont concrétisées. Lorsque je suis

8 allé en Bosnie-Herzégovine, j'étais accompagné d'un groupe de compatriotes

9 qui avait survécu aux massacres qui s'étaient produits près de Livno -- Lim

10 et Duvno en Bosnie-Herzégovine. J'ai appelé l'ambassadeur et je lui ai dit

11 que je disposais de renseignements selon lesquels les Musulmans préparaient

12 un massacre des Serbes de Bosnie par armes biologiques. Je rappelle à la

13 Chambre que 70 % à 80 % de Serbes ont été tués dans ces villes en Bosnie-

14 Herzégovine. Il m'a promis qu'il appellerait le ministre des Affaires

15 étrangères du Portugal et que par l'entremise de leur ambassadeur à Zagreb,

16 ils entreraient en rapport avec le président croate, M. Tudjman. De

17 nombreux témoins sont en mesure de dire que les gens de Duvno ont été

18 alignés pour être exécutés et que le massacre était sur le point de se

19 produire comme en 1941.

20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que je peux vous

21 interrompre quelques instants, s'il vous plaît ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Allez-y.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le témoin a dit qu'il avait appelé

24 l'ambassadeur; l'ambassadeur de quel pays, auprès de quel pays ? Comment

25 s'appelait cet homme ?

26 M. MILOVANCEVIC : [interprétation]

27 Q. Monsieur Jarcevic --

28 R. J'ai entendu la question.

Page 6134

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14 intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

15 versions anglaise et française

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28

Page 6135

1 Q. Est-ce que vous pourriez expliquer la chose suivante ? Vous avez

2 déclaré que vous disposiez de renseignements selon lesquels les Serbes de

3 la région étaient en danger. Vous avez appelé l'ambassadeur de quel pays ?

4 D'abord, pourriez-vous nous dire quand cela s'est produit ?

5 R. C'était en 1992, au début de l'année 1992. Je me trouvais à Belgrade.

6 Comme je l'ai dit, il y avait une Association des Serbes de Bosnie en

7 Serbie et j'ai appelé l'ambassadeur du Portugal, car cette année-là, le

8 Portugal était à la tête de la Communauté européenne. Ce sont des fonctions

9 très importantes aujourd'hui encore. Je suis désolé de dire que j'ai oublié

10 le nom de l'ambassadeur en question, mais c'est facile à retrouver. On peut

11 vérifier qui représentait le Portugal.

12 Q. Excusez-moi, dans quel pays ?

13 R. Dans la République fédérale de Yougoslavie ou dans la République

14 socialiste fédérative de Yougoslavie qui, à l'époque, était en pleine

15 dissolution.

16 Q. Que s'est-il passé ensuite ?

17 R. L'ambassadeur portugais à Livno, qui comptait beaucoup d'habitants

18 serbes, a réussi à faire venir une délégation de la Croix-Rouge de Suisse.

19 Ils ont veillé à ce que rien n'arrive aux Serbes, et les Serbes ont pu

20 quitter la ville en toute tranquillité.

21 La troisième initiative que j'ai prise au sein de l'Association des Serbes

22 de Bosnie de Serbie concernait la ville de Kupres, où je suis né. Nous

23 avons transféré la majorité des civils de Kupres vers Belgrade et vers la

24 Vojvodine, car nous disposions de renseignements selon lesquels les unités

25 croates allaient attaquer cette municipalité. En effet, les Serbes avaient

26 gagné les élections pluripartites dans cette municipalité. Les Serbes

27 étaient au pouvoir là-bas.

28 Il s'agit d'un plateau dont le point le moins élevé était à 1 200 mètres.

Page 6136

1 C'était un endroit élevé dans cette région et nous savions que les Croates

2 voulaient certainement prendre le contrôle de la ville. Heureusement, nous

3 avons réussi à faire sortir les civils, donc les pertes ont été beaucoup

4 moins importantes lorsque l'armée régulière croate de Croatie a attaqué le

5 territoire en question. Ce territoire a été attaqué alors qu'il faisait

6 encore partie de la Yougoslavie, le 3 avril 1992.

7 Voilà trois initiatives que j'ai prises. Mes amis en ont parlé. M. Zecevic,

8 le premier ministre de la Krajina. A l'époque, je ne connaissais pas M.

9 Zecevic, ni M. Martic, ni qui que ce soit au sein de la République serbe de

10 Krajina. J'ai été nommé à ce poste en raison du fait que j'avais contribué

11 à sauver les Serbes de ces trois municipalités. C'est ainsi que je suis

12 devenu ministre des Affaires étrangères de la RSK.

13 Q. Vous nous avez répondu longuement au sujet de la question de savoir

14 dans quelles circonstances vous étiez devenu ministre des Affaires

15 étrangères. Pour que le compte rendu d'audience soit tout à fait clair,

16 pourriez-vous nous dire en quelques mots qui vous a proposé au poste de

17 ministre et quand ?

18 R. C'était à la mi-octobre 1992. J'ai reçu un appel téléphonique du

19 premier ministre de la République serbe de Krajina, Zdravko Zecevic. Il m'a

20 demandé de le rencontrer à Belgrade. J'ai accepté son invitation et je lui

21 ai dit qu'il ne devait pas me nommer à ce poste. Je n'avais pas de

22 fonctions au sein du parti et je lui ai dit que je craignais d'assumer la

23 responsabilité qui découlait du poste de ministre des Affaires étrangères.

24 Il m'a dit que nous reparlerions de cela. Il m'a demandé de rentrer chez

25 moi et de réfléchir à la question. Je devais le rencontrer le lendemain.

26 Je viens d'une région qui a beaucoup souffert tout au long de notre

27 histoire et j'ai finalement accepté sa proposition pour devenir ministre

28 des Affaires étrangères de la RSK.

Page 6137

1 Q. Monsieur Jarcevic, vous avez commencé à exercer ces fonctions en

2 octobre 1992. Avant cela, étiez-vous employé au ministère fédéral des

3 Affaires étrangères à Belgrade, et dans l'affirmative, comment étaient

4 régies vos fonctions ?

5 R. Il y avait un accord selon lequel la Yougoslavie pouvait fournir un

6 appui technique, scientifique, culturel et autre à d'autres pays, par le

7 biais d'un institut. Je me suis entretenu avec mon ministre et je lui ai

8 demandé d'appliquer le principe qui s'appliquait essentiellement aux pays

9 non alignés. Lorsque la Yougoslavie aidait certains pays, les frais étaient

10 payés soit par la Yougoslavie, soit par le pays hôte, soit par des

11 organisations internationales. J'ai demandé au ministre de continuer à

12 travailler en RSK en étant payé par Belgrade.

13 Vous trouverez peut-être la lettre que j'ai rédigée à cette occasion.

14 Je n'ai pas osé dire que je serais ministre des Affaires étrangères, j'ai

15 simplement mentionné le fait que j'allais travailler au sein du ministère

16 des Affaires étrangères de la RSK.

17 Cela a été accepté. J'ai envoyé une autre lettre dans laquelle je

18 précisais que dans l'intervalle, le gouvernement de la RSK avait décidé

19 qu'au lieu d'être un simple fonctionnaire, je serais ministre des Affaires

20 étrangères de la RSK.

21 Q. Après avoir été nommé au poste de ministre des Affaires étrangères,

22 êtes-vous automatiquement devenu membre du gouvernement de la RSK ?

23 R. Oui. C'est une pratique courante partout.

24 Q. Est-ce que vous pourriez nous dire où se trouvaient vos bureaux ? Avez-

25 vous assisté à des réunions du gouvernement, et dans l'affirmative, à

26 quelle fréquence ?

27 R. Je me suis présenté à Knin --

28 Q. Excusez-moi. Quand ?

Page 6138

1 R. Lorsque j'ai été nommé ministre des Affaires étrangères, dans les

2 premiers jours du mois de novembre, j'ai assisté à des réunions du

3 gouvernement à Knin. J'ai présenté un rapport proposant que les bureaux du

4 ministère des Affaires étrangères restent à Belgrade. J'ai dit que la

5 République fédérale de Yougoslavie ne serait pas opposée à cela. J'ai

6 justifié cela en expliquant qu'aucun pays membres des Nations Unies ne

7 voulait ouvrir une antenne à Knin, même pas la Croix-Rouge ou l'UNICEF. Ils

8 ne voulaient pas d'antenne en République serbe de Krajina. J'ai dit qu'à

9 Belgrade, nous pouvions garder des contacts avec les ambassadeurs et autres

10 représentants du corps diplomatique de 70 à 80 pays qui avaient des bureaux

11 à Belgrade.

12 Ma proposition a été acceptée. Par conséquent, mon bureau est resté à

13 Belgrade, alors que mon adjoint avait un bureau à Knin.

14 Q. Monsieur Jarcevic --

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Jarcevic, avez-vous continué

16 à être payé par Belgrade en tant que ministre des Affaires étrangères de la

17 RSK ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exact, Monsieur le Président. Comme

19 je l'ai déjà dit, il y avait trois façons de procéder pour ce qui est du

20 paiement des cadres. J'étais payé par le ministère des Affaires étrangères

21 de la Yougoslavie et je recevais un supplément de la part du gouvernement

22 de la RSK.

23 M. MILOVANCEVIC : [interprétation]

24 Q. Monsieur Jarcevic, est-ce que vous pourriez parler un peu plus

25 lentement de façon à faciliter la tâche des interprètes ?

26 R. Je m'excuse auprès des interprètes. J'ai l'impression de parler

27 lentement.

28 Q. Pour enchaîner sur la question qui vous a été posée par M. le Juge

Page 6139

1 Moloto, vous avez expliqué que vous aviez présenté une demande,

2 conformément aux dispositions juridiques régissant l'assistance technique

3 qui permettait aux employés des organes étatiques de travailler ailleurs.

4 C'est ainsi que votre statut juridique a été régi. Qu'en est-il de votre

5 emploi à Belgrade au sein du ministère des Affaires étrangères, lorsque

6 vous avez été nommé ministre des Affaires étrangères de la RSK ?

7 R. En réponse à la question posée par le Président de la Chambre, j'ai

8 essayé d'expliquer que j'avais toujours mon emploi, mais que j'étais

9 temporairement absent, car je fournissais une assistance technique

10 ailleurs.

11 Q. Est-ce que c'était possible pour vous seulement ou pour d'autres

12 également ?

13 R. Tous ceux qui étaient employés, non seulement en tant que

14 fonctionnaires, mais également au sein d'entreprises commerciales ou

15 d'instituts scientifiques, et cetera. Les personnes qui travaillaient dans

16 ces instituts étaient parfois envoyées dans des pays tiers.

17 Q. Est-ce que cela signifie que lorsque vous avez été nommé ministre des

18 Affaires étrangères, vous avez cessé d'être un fonctionnaire du ministère

19 yougoslave des Affaires étrangères ? Votre emploi était en quelque sorte

20 en suspens pendant que vous étiez ministre des Affaires étrangères de la

21 RSK ?

22 R. Oui, c'était prévu par la loi.

23 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire si vous avez assisté à des réunions du

24 gouvernement, et dans l'affirmative, à quelle fréquence ? Je veux parler de

25 la République serbe de Krajina. Qui participait à ces réunions ?

26 R. J'ai souvent assisté à ces réunions. Elles se tenaient une fois par

27 semaine ou une fois tous les 15 jours. Je n'y assistais pas s'il y avait

28 une délégation à Belgrade, s'il me fallait rencontrer un représentant de la

Page 6140

1 Grèce, de la Russie, de la Hongrie. Nous avions des réunions avec le corps

2 diplomatique, donc ils nous rencontraient, mais ils veillaient à ne laisser

3 aucune trace écrite de nos rencontres.

4 Maître Milovancevic, vous m'avez demandé qui assistait aux réunions du

5 gouvernement. Bien, c'étaient seulement les membres du gouvernement et

6 certaines personnes qui étaient invitées. Il s'agissait de personnes qui

7 travaillaient soit dans le domaine économique, soit au sein des autorités

8 locales. Il s'agissait parfois d'officiers qui devaient fournir des

9 informations concernant la situation le long des frontières et les menaces

10 émanant de l'armée croate, et cetera.

11 Q. Fin octobre 1992, lorsque vous êtes devenu ministre des Affaires

12 étrangères de la RSK, est-ce que M. Martic occupait des fonctions, quelles

13 qu'elles soient, au sein du gouvernement de la RSK ?

14 R. Oui. C'est la première fois que j'ai rencontré M. Martic. C'est là que

15 j'ai fait sa connaissance. Il était ministre de l'Intérieur, et la première

16 fois que nous nous sommes rencontrés, c'était au moment où des

17 représentants des Nations Unies, Cyrus Vance et David Owen, sont arrivés à

18 Knin. C'était au mois de novembre. Je peux vous dire ce dont il a été

19 question, si nécessaire.

20 Q. S'agissant de cette réunion, nous y reviendrons plus tard, mais

21 maintenant, je souhaiterais savoir la chose suivante : en quelle qualité M.

22 Martic assistait-il aux réunions du gouvernement et est-ce qu'il y prenait

23 une part active ?

24 R. Il était ministre de l'Intérieur. C'est un ministère très important

25 dans n'importe quel gouvernement.

26 Q. M. Martic informait-il lui aussi le gouvernement de la situation, comme

27 vous le faisiez ?

28 R. Oui. Les ministres participaient aux réunions en fonction de l'ordre du

Page 6141

1 jour. Cela dépendait de l'ordre du jour.

2 Q. Merci. Monsieur Jarcevic, vous avez mentionné votre première réunion en

3 qualité de ministre des Affaires étrangères avec des représentants de la

4 communauté internationale. Vous avez parlé de M. Owen et M. Vance. De quoi

5 a-t-on parlé lors de cette réunion, d'après vos souvenirs ? Qu'a-t-il été

6 dit qui soit en rapport avec M. Martic ?

7 R. Ils sont venus pour parler de choses précises. Parfois, ils parlaient

8 du paiement des loyers, des coupures d'électricité. Mais à cette occasion,

9 M. Vance a soulevé la question du plan Vance, le plan dont il était auteur

10 et qui envisageait le désarmement de l'armée de la police serbe. S'agissant

11 du désarmement de l'armée serbe, il n'avait pas d'objection par rapport à

12 cela, car les armes lourdes étaient gardées par un système de double clé

13 par la FORPRONU et nos propres officiers. Donc, il s'est tourné vers M.

14 Martic et il lui a dit : "Pourquoi est-ce que vous policiers portent

15 toujours des armes à canon long, alors qu'ils ne devraient être autorisés à

16 porter que des armes à main ?" Le ministre Martic a pris la parole et a dit

17 plus ou moins la chose suivante : il a dit à M. Vance que la police de la

18 RSK était armée à hauteur de 7 %, qu'il s'agissait de normes applicables

19 partout ailleurs dans le monde et qu'il n'avait enfreint aucun règlement ni

20 mis en danger qui que ce soit. Il a également dit à Vance et à Owen que

21 l'armée croate franchissait souvent la frontière et qu'à chaque fois, elle

22 tuait des civils. Il a dit qu'il ne pouvait pas repousser de telles

23 attaques criminelles, qu'il pouvait seulement repousser de telles attaques

24 criminelles avec des armes à canon long. Il a dit à M. Vance que la police

25 de la RSK abandonnerait les armes à main si les Nations Unies pouvaient

26 garantir que la population de la RSK ne serait pas mise en danger par

27 l'armée croate.

28 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Est-ce que le témoin pourrait

Page 6142

1 ralentir, s'il vous plaît ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'excuse.

3 M. Vance a ri. Il n'a rien dit, et c'était la fin de la réunion.

4 M. MILOVANCEVIC : [interprétation]

5 Q. Concernant cette conversation et votre participation au travail du

6 gouvernement, quelles sont les informations que vous, en tant que nouveau

7 ministre des Affaires étrangères de la RSK, avez-vous pu obtenir lors de

8 ces réunions portant sur la situation dans la RSK et la zone protégée des

9 Nations Unies, en particulier en matière de sécurité, les conditions de

10 vie, la guerre, la paix, et cetera ?

11 R. Oui. J'ai pu obtenir une impression de ce qui se passait dans un laps

12 de temps très court. Ce qui était très étonnant, c'était que les gens avec

13 qui nous nous sommes rencontrés ne voulaient pas ou n'avaient aucune idée

14 de ce qui se passait en Yougoslavie et dans l'ancienne unité fédérale de la

15 Croatie. J'ai trouvé cela bizarre que les documents des Nations Unies, et

16 en particulier le plan Vance et ensuite la résolution 762, ne notaient

17 simplement le fait que les personnes déplacées depuis la RSK devaient

18 revenir et que rien n'y était dit concernant les Serbes qui avaient été

19 expulsés depuis les villes croates et qu'il y en avait beaucoup plus que ce

20 qu'il y avait eu comme nombre de Croates dans la Krajina. Donc, j'ai décidé

21 d'informer les Nations Unies et ses Etats membres et les organisations

22 internationales que tout les maux ont démarré lorsque le Parlement croate

23 et le gouvernement croate ont mis les Serbes hors la loi. La Slovénie

24 l'avait déjà fait auparavant, et je fus très étonné que le monde ne fût pas

25 au courant. C'était identique à ce qu'avaient fait les Nazis vis-à-vis des

26 Juifs et des Gitans.

27 Si vous êtes intéressé, je pourrais vous donner deux ou trois exemples de

28 la façon dont les Serbes furent mis hors la loi.

Page 6143

1 Q. Monsieur Jarcevic, vous avez mentionné le problème du retour des

2 personnes déplacées et des réfugiés. Vous avez également parlé du plan

3 Vance. Etant donné les dispositions du plan Vance qui envisageaient le

4 retour des personnes déplacées et des réfugiés, avez-vous parlé de ces

5 problèmes avec des personnes représentant la communauté internationale ? Et

6 si c'est le cas, où et quand ?

7 R. J'ai souvent rencontré les représentants des Nations Unies et surtout

8 le chef du service civil, M. Thornberry, qui était un Néerlandais de

9 Grande-Bretagne qui toujours évitait de mentionner le fait que le plus

10 grand nombre des personnes déplacées et expulsées venaient de villes

11 croates. Lorsque j'ai demandé au général Nambiar qui venait de l'Inde,

12 juste avant qu'il ne parte pour revenir chez lui, il n'était pas du tout à

13 l'aise. Il est resté silencieux. Comme je l'ai déjà dit au cours du procès

14 de M. Milosevic, il a dit que les détails les plus précis concernant les

15 expulsions de Serbes sont aux mains du Conseil de sécurité, mais jusqu'à

16 nouvel ordre, ils ont été mis de côté et ne doivent pas être utilisées pour

17 les opérations et le travail des fonctionnaires des Nations Unies.

18 Je fus très étonné par ces dires, et jusqu'à aujourd'hui, nous ne savons

19 toujours pas pourquoi cette ligne a été adoptée.

20 Q. Concernant les Serbes expulsés dont vous avez parlé et l'obligation

21 qu'il y avait de faire en sorte que les Croates déplacés soient ramenés,

22 est-ce que vous avez eu des chiffres ?

23 R. J'ai eu une conversation très intéressante avec un général norvégien,

24 le général Wahlgren. Je ne me souviens pas de son prénom. J'ai parlé de

25 cette question au mois de mars 1993 lorsque nous étions à Genève pour des

26 négociations avec des Croates. Il fut étonné par ma question et il m'a dit

27 : "M. Jarcevic, c'est impossible que des documents des Nations Unies ne

28 mentionnaient pas le fait que les Serbes aient été expulsés des villes

Page 6144

1 croates." Il a demandé à un assistant de lui apporter le plan Vance, la

2 Résolution 762 et un certain nombre de documents internes que je ne connais

3 pas et il les a examinés longuement et m'a dit : "Vous avez raison. On ne

4 parle absolument pas du fait que des Serbes aient été expulsés des villes

5 et je vais parler de cette question."

6 Je ne sais pas ce qu'il a fait, mais le 15 mai 1993, lors du Conseil

7 de sécurité, Boutros Boutros-Ghali a soumis un rapport et a dit que des

8 Serbes avaient été expulsés des villes et sortis du territoire de la RSK

9 et, seulement pour la Yougoslavie et la Krajina, il y avait un chiffre de

10 251 000 personnes. C'était un chiffre absolument atroce, car il y avait eu

11 179 000 Croates qui vivaient dans la Krajina, mais cette expulsion de

12 Serbes portait simplement sur ceux qui avaient trouvé refuge en Krajina et

13 en Yougoslavie. Il y a de très nombreux Serbes qui n'avaient pas été

14 mentionnés, à savoir, ceux qui s'étaient rendus à l'étranger.

15 En tant que ministre des Affaires étrangères, j'ai pris immédiatement

16 des mesures pour établir, avec les autorités d'immigration de ces pays, où

17 se trouvaient les Serbes provenant de Croatie, mais aucun des Etats membres

18 des Nations Unies n'a voulu coopérer avec nous. Le Conseil de sécurité ne

19 voulait pas répondre à ma lettre et le secrétaire général Boutros Boutros-

20 Ghali non plus ne voulait pas répondre.

21 Je vais vous dire comment j'ai obtenu ces informations concernant les

22 400 000 Serbes qui ont été expulsés. En 1993, l'ambassadeur croate à New

23 York, Mario Nobilo a informé le Conseil de sécurité qu'en 1991, en dehors

24 de la Krajina, il y avait 470 000 Serbes qui habitaient la Croatie. Nous

25 avons compté sur le fait que les Croates avaient expulsé 80% de ceux-ci, à

26 savoir, 400 000 personnes. Seule l'Allemagne s'est prononcée. Le chancelier

27 Kohl a affirmé que tous les Serbes allaient être ramenés en Croatie. Il

28 s'agissait des Serbes qui s'étaient réfugiés en Allemagne. Nous avons

Page 6145

1 protesté. Les Allemands ne nous ont pas donné une réponse écrite et nous

2 avons dit que, s'ils ont été expulsés et qu'ils ont été pillés, on leur a

3 enlevé leurs maisons et leurs appartements, que vont-elles faire, ces

4 personnes, que vont-elles faire en Croatie maintenant ? Quelqu'un m'a

5 parlé, un Allemand, le président d'une conférence internationale qui

6 parlait un très bon serbe, a dit que le gouvernement n'allait pas rapatrier

7 les Serbes comme il avait été annoncé, mais que c'est l'Allemagne qui

8 payait le prix le plus élevé en Europe pour les réfugiés serbes.

9 Q. En dehors du fait que sur le territoire de la Croatie il y avait

10 beaucoup de Serbes qui furent expulsés comme vous l'avez dit, le

11 gouvernement de la République serbe de la Krajina, et en particulier M.

12 Martic, est-ce qu'ils ont d'une quelconque façon empêché le retour des

13 Croates déplacés dans le territoire de la RSK ?

14 R. En tant que ministre des Affaires étrangères, j'ai relayé les

15 conclusions et décisions de notre gouvernement au médiateur international

16 et nous avons souligné le fait que tous les Croates étaient libres de

17 revenir en Krajina, mais à condition que les Serbes étaient également

18 libres de revenir dans les villes croates. Pas un seul employé des Nations

19 Unies n'a été d'accord pour parler de cette question avec nous.

20 Q. Concernant vos activités diplomatiques, pouvez-vous nous dire si

21 pendant votre mandat, en tant que ministre des Affaires étrangères de la

22 RSK, il y a eu des discussions concernant une solution pacifique du conflit

23 serbe et croate, à savoir, la crise entre la RSK et la Croatie ?

24 R. Maître Milovancevic, la position du gouvernement de la RSK était d'être

25 disposé à négocier et rechercher une solution par des moyens pacifiques

26 dans l'esprit du plan Vance et en accord avec les droits des Serbes dans la

27 RSK. Nous avons basé notre position sur l'hypothèse que la nationalité des

28 Serbes dans la RSK était la plus ancienne de tous les Balkans. Nous avons

Page 6146

1 des attributs étatiques dans le sens actuel de ce mot en Autriche depuis

2 1936. C'est sous domination autrichienne, à partir de 1936, que cela a eu

3 cours et la Yougoslavie a été un pays à deux nationalités, tout comme la

4 Belgique l'est aujourd'hui. Et nous disons très souvent aux représentants

5 internationaux : Est-ce que vous seriez d'accord pour que les Wallons ne

6 puissent pas bénéficier de leurs droits étatiques et feraient l'objet

7 d'expulsion ?

8 Je voudrais vous montrer un document provenant des archives

9 viennoises. C'est un document latin concernant la constitution serbe en

10 Krajina.

11 Q. Excusez-moi, Monsieur le Témoin, mais il y a une certaine procédure à

12 respecter avant de présenter des éléments de preuve devant la Chambre.

13 Cette procédure doit être observée à la fois par l'Accusation et la

14 Défense. Nous n'avons pas envisagé de verser ce document à ce moment

15 précis, je vous serais gré de respecter et de vous abstenir de demander à

16 la Chambre et continuer à répondre à mes questions.

17 Concernant la position de la Krajina serbe, est-ce qu'il est exact de

18 dire que vous, dans le gouvernement vous vous étiez basé sur l'hypothèse

19 que les Serbes ont toujours été un peuple qui formait un Etat jusqu'à la

20 nouvelle constitution qui avait été mise en place en 1991 ?

21 R. Oui. Ils étaient sur un pied d'égalité avec les Croates et j'ai

22 mentionné que les Serbes en Croatie avaient le statut d'Etat avant la

23 Serbie, avant le Monténégro. J'allais dire que, par une décision de

24 l'assemblée croate de 1990, les Serbes qui avaient la nationalité depuis si

25 longtemps et leurs propres tribunaux en Autriche --

26 Q. Je suis désolé de vous interrompre, Monsieur le Témoin, mais nous

27 devons nous souvenir de la contrainte de temps et nous avons beaucoup de

28 sujets à couvrir. Vous avez mentionné le fait que le gouvernement a essayé

Page 6147

1 de négocier, mais avez qui ? Pouvez-vous nous dire quelque chose à ce

2 sujet ? Avec qui ? Comment ? Et quelle était la teneur de ces discussions ?

3 R. Le gouvernement n'a jamais rejeté une quelconque proposition faite par

4 les médiateurs internationaux. Nous avons toujours accepté toutes leurs

5 propositions et négocié avec les Croates. Je peux vous en parler en

6 connaissance de cause, car j'étais principalement la personne qui préparait

7 ces discussions et ces négociations qui avaient lieu en Krajina, Genève,

8 New York pendant trois mois, Belgrade et ensuite, près d'Oslo en Norvège et

9 dans la partie orientale de la République serbe de la Krajina. Je peux vous

10 parler en détail de chacune de ces négociations si vous le souhaitez.

11 Q. Vous avez parlé d'Erdut. Pouvons-nous commencer par là ?

12 R. Je ne sais pas si je suis en droit de vous suggérer quelque chose, mais

13 Erdut, c'est le quatrième ou la cinquième réunion qui a eu lieu entre la

14 RSK et la Croatie.

15 Q. Nous allons procéder dans l'ordre.

16 R. Je suis désolé de répondre trop rapidement. Je m'en excuse auprès des

17 interprètes.

18 Lorsque je suis devenu ministre des Affaires étrangères, j'ai entendu

19 parler du fait que Thornberry avait proposé des négociations au moyen d'un

20 papier que le gouvernement croate avait émis à Zagreb. Ce document

21 contenait une proposition selon laquelle la Croatie proposait l'autonomie

22 serbe dans les districts de Knin et de Glina. Toutes les autres

23 municipalités devaient devenir partie de l'Etat croate, il n'y aurait que

24 ce statut d'autogestion ou d'autogouvernement que dans ces deux districts.

25 Bien entendu, ces deux districts formaient le tiers de la RSK et moins d'un

26 tiers de la population.

27 Le gouvernement de la RSK a rejeté cette proposition même avant que

28 je ne devienne ministre des Affaires étrangères. Ce n'était pas possible de

Page 6148

1 l'accepter.

2 Après que je fus nommé ministre, Thornberry a dit que les

3 négociations avec les délégations de la RSK et de l'Etat croate allaient

4 avoir lieu à New York, au mois de février, à savoir, juste après l'attaque

5 contre Ravni, Kotari, Peruca et Maslenica, le 22 janvier 1993, lorsque les

6 soldats croates ont tué, si je ne m'abuse pas, environ 700 hommes; un

7 certain nombre de soldats, quelques policiers mais surtout des civils.

8 Nous nous sommes rendus donc à New York, la délégation croate est

9 arrivée avec à sa tête Slavko Degoricija.

10 Q. Monsieur Jarcevic, pouvez-vous nous dire qui a organisé ce déplacement

11 à New York ? C'était M. Thornberry ? Qui formait la délégation de la RSK ?

12 R. Thornberry se trouvait à Belgrade, il nous a invités et c'est David

13 Owen et Cyrus Vance qui nous ont reçus à New York. Ces deux derniers

14 présidaient les négociations et ils étaient assistés par le ministre des

15 Affaires étrangères russes, Vitaly Churkin.

16 Q. Qui formait la délégation de la RSK ?

17 R. Cette délégation a été nommée par son président Goran Hadzdic, le

18 président de l'assemblée, aidez-moi avec son nom --

19 Q. Mile Paspalj ?

20 R. Oui, Mile Paspalj et moi-même. C'était nous trois qui étions à la tête

21 de la délégation de la RSK.

22 Q. Pour éviter toute ambiguïté, sur le compte rendu, vous avez mentionné

23 le nom de Goran Hadzic, le président.

24 R. Oui.

25 Q. Vous voulez dire le président de la République, Goran Hadzic ?

26 R. Oui, le président de la République de la Serbie de la Krajina.

27 Q. Qu'est-ce qui a eu lieu à New York ?

28 R. Là aussi c'est très curieux, mais on sait très peu de ce qui s'est

Page 6149

1 passé, à ce moment-là, même parmi les gens qui généralement suivent de très

2 près les événements politiques à l'intérieur, et à l'extérieur du pays. Les

3 Croates ont proposé l'autonomie simplement pour les deux districts. Bien

4 sûr, nous ne pouvions pas l'accepter. C'est ainsi que nos positions en

5 matière de négociations se sont trouvées très éloignées les unes des

6 autres. C'est pourquoi David Owen s'est aperçu qu'il ne pouvait pas y avoir

7 d'accord tel qu'il avait conçu, en tout cas, et il a dit que les deux

8 délégations pourraient continuer à Genève en mars et nous sommes revenus de

9 New York sans avoir abouti.

10 Q. Est-ce que j'ai bien compris que vous avez dit que rien n'avait abouti

11 à cause du fait que le côté croate proposait l'autonomie des Serbes

12 simplement pour deux districts, Knin et Glina ?

13 R. Oui, c'est exact. Ce sont ces deux districts-là qui comprennent 11

14 municipalités.

15 Q. Est-ce que ceci s'est produit au mois de février 1993 ? Quand est-ce

16 que les négociations ont-elles pu se poursuivre, si tel a été le cas ?

17 R. Nous avons continué à Genève au mois de mars. Les Croates, une fois de

18 plus, ont fait la même proposition et ont suggéré que les négociations se

19 déroulent dans le cadre du comité pour les minorités nationales. Cela

20 voulait dire qu'ils voulaient montrer à leur propre public interne et à la

21 communauté internationale que nous étions simplement une minorité nationale

22 et non pas une nation ayant un statut égal à celui des Croates. Les

23 négociations se sont déroulées à discuter de, si oui ou non, nous étions

24 une minorité.

25 En fin de compte, nous avons tiré la conclusion en même temps que le

26 vice-président de la conférence sur la Yougoslavie, Gert Ahrends, que nous

27 ne devions pas poursuivre nos pourparlers avec les Croates en tant que

28 représentants de la minorité nationale serbe. J'espère que ce document va

Page 6150

1 être présenté ici au moment opportun.

2 Nous avons continué à parler de la nation ayant un statut d'Etat dans

3 l'ancienne Croatie. Nous avons dit au revoir et nous nous sommes rencontrés

4 à nouveau au mois d'avril et de mai, mais il n'y a pas eu d'accord, à ces

5 deux occasions.

6 Q. Vous avez mentionné Genève et le mois de mars. Le mois de mars de

7 quelle année et quels étaient les membres de la délégation de la RSK à

8 Genève ?

9 R. J'ai dit que la délégation s'est rendue à New York au mois de févier,

10 ensuite au mois de mars nous nous sommes déplacés pour aller à Genève.

11 Q. Quelle année ?

12 R. 1993. Et la délégation comportait encore une fois le président de la

13 République de la RSK, Goran Hadzic, le président de l'assemblée Paspalj et

14 moi-même. De temps en temps, nous étions accompagnés par l'un ou l'autre

15 des ministres du gouvernement de la RSK.

16 Q. Vous avez expliqué que le principal obstacle à la poursuite de

17 véritables négociations était votre conception différente du statut de la

18 population serbe en Croatie. Les différences entre votre point de vue et

19 ceux des autorités croates, bien entendu. Cela a-t-il continué à être un

20 obstacle ? N'avez-vous jamais refusé des invitations de représentants

21 internationaux pour participer à des négociations ?

22 R. Non. Nous n'avons jamais refusé une telle proposition ou invitation.

23 Mais il est important de dire que nous avons toujours invoqué la décision

24 des Serbes, datant de 1945, lorsque le Congrès des Serbes à Zagreb --

25 d'ailleurs ce fut le sujet d'une thèse d'un professeur de science politique

26 à Zagreb, en 1989, deux ans avant le début de la guerre, et les Serbes ont

27 décidé à l'époque, cela a été partie de la constitution croate, que les

28 Serbes allaient maintenir leur territoire en Croatie tant que la Croatie

Page 6151

1 continue de faire partie de la Yougoslavie et lorsque la Croatie décidait

2 de partir de la Yougoslavie, elle ne pourrait pas emporter avec elle les

3 territoires ethniques serbes, en d'autres termes les territoires de la RSK.

4 Même les personnes qui travaillaient auprès des agences des Nations

5 Unies se rendaient compte de cette réalité. Même après Genève, ils ont

6 continué avec une description de nature très différente. Ils exerçaient une

7 pression sur le côté croate pour qu'il tienne compte de ces faits

8 historiques et de reconnaître les Serbes comme une nation justifiant d'un

9 Etat.

10 Donc, le 15 juillet 1993, à Erdut, dans la République serbe de la Krajina,

11 il y eu des nouvelles négociations, et des renforts sont venus, en

12 particulier le secrétaire d'Etat adjoint aux Etats-Unis, Charles Redman, et

13 le ministre adjoint des Affaires étrangères de la fédération, Vitaly

14 Churkin.

15 Q. Vous avez dit que ces renforts sont venus en personne de ces hauts

16 fonctionnaires; est-ce que vous pouvez nous dire qui faisait partie de la

17 délégation serbe et qui faisait partie de la délégation croate ?

18 R. Cette réunion a été organisée par les représentants de la conférence

19 internationale sur l'ex-Yougoslavie. Je pense qu'à l'époque, c'était M.

20 Stoltenberg, qui avait déjà remplacé M. Vance. Puis, d'autre part, il y

21 avait M. Owen, et les autorités de deux superpuissances étaient censées

22 garantir ces négociations.

23 Q. Excusez-moi. Est-ce que vous pouvez nous dire qui faisait partie de la

24 délégation de la RSK et qui de la délégation de la Croatie ?

25 R. Les adjoints des ministres des Affaires étrangères de la Croatie et de

26 la Russie ont dit qu'il n'y aurait pas de discussions directes entre les

27 deux délégations, mais qu'ils allaient assister à la signature de l'accord

28 à Erdut, et ils allaient apporter le texte à la délégation croate à Zagreb

Page 6152

1 pour la signature. Avant cela, les deux délégations devaient se mettre

2 d'accord sur le texte proposé par la conférence internationale sur l'ex-

3 Yougoslavie.

4 Le chef de notre délégation était l'ingénieur Djordje Bjegovic, qui

5 était le premier ministre de la RSK, et j'étais son adjoint.

6 Q. Pourriez-vous nous dire si tout ceci a abouti à un texte de l'accord ?

7 Si oui, à quoi il ressemblait ?

8 R. Le texte a été accepté par nous et par la partie croate. La seule

9 condition imposée par le gouvernement de la RSK était que ceux qui le

10 signaient du côté croate soient du même rang que ceux qui l'ont signé au

11 nom de notre parti. Comme j'étais le ministre des Affaires étrangères et le

12 signataire de cet accord, les Croates ont accepté que leur ministre signe

13 lui aussi, et c'est le ministre du Commerce qui a signé cela au nom de la

14 Croatie, conformément à la proposition qui leur a été faite par l'adjoint

15 du secrétaire d'Etat des Etats-Unis. C'était leur première concession de ce

16 genre.

17 Pour ce qui est du contenu de l'accord, l'élément principal était contenu

18 dans le fait qu'après la signature de l'accord, les deux gouvernements

19 allaient établir les commissions chargées de la coopération dans toutes

20 sortes de domaines. Ces commissions étaient censées faire en sorte que la

21 RSK et la Croatie se retrouvent dans une situation d'Etat constitué de deux

22 cantons. Donc, nous étions conscients du fait que nous allions rester en

23 Bosnie-Herzégovine après les accords de Dayton, mais les premières

24 commissions étaient censées travailler sur la réintégration des services de

25 transport public, du commerce, de l'économie, de la culture, de

26 l'éducation, et cetera. Nous avons accepté cela et nous avons signé cet

27 accord, mais environ 20 jours après sa signature, et vous pouvez obtenir le

28 document, M. Boutros Boutros-Ghali a soumis un rapport au Conseil de

Page 6153

1 sécurité de l'ONU indiquant que l'accord d'Erdut allait aboutir à la paix

2 entre les Serbes et les Croates en Croatie et que nous étions à la

3 recherche d'une solution pacifique à la guerre de la Yougoslavie.

4 Q. Vous avez expliqué le contenu de cet accord en grand détail et vous

5 avez dit comment il avait été préparé. Quelle a été sa mise en œuvre et le

6 sort qui lui avait été réservé ?

7 R. Après cette réunion, le premier ministre de la RSK, M. Bjegovic, a

8 organisé des conditions qui étaient censées mettre en œuvre cet accord.

9 Après le rapport de M. Boutros Boutros-Ghali, soudainement Zagreb a fait

10 savoir que Tudjman avait déclaré publiquement qu'il n'acceptait pas

11 l'accord de Dayton et qu'il le considérait comme nul et non avenu.

12 Je souhaite ajouter également que les Nations Unies n'ont critiqué ni

13 Tudjman, ni le gouvernement croate en raison de cela.

14 Q. Lors de cette réunion à Erdut, est-ce que les représentants de la

15 Russie et des Etats-Unis ont garanti cet accord et sa mise en œuvre ?

16 R. M. Milovancevic, lorsque j'ai signé cet accord, Churkin et Redman se

17 tenaient derrière moi, et l'américain m'a dit : "M. Jarcevic, les Etats-

18 Unis et la Russie garantissent, fournissent leur garantie par rapport à cet

19 accord." On ne peut pas avoir de garantie plus importante que cela.

20 Il a dit à moi et bien sûr aussi au premier ministre, mais puisque

21 c'est moi qui le signait, lui il faisait ce genre de commentaire

22 immédiatement après que j'aie apposé ma signature. Il a dit : "Si la

23 Croatie viole cela," comme c'était d'ailleurs souvent le cas, Churkin et

24 Redman étaient tenus de faire respecter cet accord. Churkin a ajouté : "Si

25 par miracle ceci se produit, je viendrai d'abord à Knin, et ensuite à

26 Zagreb. Cet accord doit être mis en œuvre. Lorsque le président Tudjman a

27 déclaré cela, j'ai envoyé une télécopie à Churkin et à l'ambassade russe à

28 Belgrade. Ils n'ont pas répondu. Je lui ai envoyé une télécopie indiquant

Page 6154

1 que j'allais venir à Moscou pour que l'on s'explique au sujet de cet

2 accord.

3 Je suis arrivé à Moscou en avion, et lorsque je suis entré dans le

4 bâtiment du ministère des Affaires étrangères, on m'a informé du fait que

5 Churkin était parti pour Bruxelles ce jour-là. Le ministre des Affaires

6 étrangères qui lui a succédé par la suite, M. Ivanov, m'a reçu, et je suis

7 entré dans son bureau. Je lui ai demandé ce qui allait se faire après le

8 refus de la Croatie de respecter cet accord.

9 Imaginez-vous que M. Ivanov m'a dit de manière assez désagréable

10 qu'il n'allait dire aucun mot au sujet de cet accord et qu'il n'allait pas

11 expliquer la position de la Russie, et il m'a critiqué, d'ailleurs, du fait

12 que les Serbes n'arrivaient pas à vivre avec les Musulmans et les Croates.

13 Il m'a donné l'exemple de la Tchétchénie en disant que les Russes vivaient

14 très bien avec les Tchéchènes et qu'ils s'entendaient très bien avec les

15 Tchéchènes. Tout ce que j'ai eu l'occasion de dire, c'était : M. Ivanov,

16 vous avez des problèmes avec les Tchéchènes. Nous n'avons eu plus de temps

17 pour discuter de quoi que ce soit.

18 Q. Ai-je raison de conclure que cet accord n'a jamais été réalisé, jamais

19 mis en œuvre, puisque Tudjman l'avait refusé ?

20 R. Excusez-moi de répondre aussi vite. Dans une telle situation, les

21 représentants de la conférence internationale sur la Yougoslavie sont

22 arrivés de nouveau, M. Stoltenberg, son adjoint Knut Vollebaek, qui est

23 devenu par la suite le ministre des Affaires étrangères de la Norvège. Ils

24 nous ont proposé des discussions secrètes. Ils nous ont dit : "Vous voyez,

25 ces pourparlers n'ont pas abouti. Le gouvernement norvégien vous propose

26 d'avoir des discussions secrètes. On peut voyager en Norvège, et les

27 représentants du gouvernement croate garantissent qu'ils vont signer un

28 accord semblable à celui qui avait été signé à Erdut, qu'ils vont le faire

Page 6155

1 là-bas."

2 Q. Je vous interromps. Cet accord d'Erdut, il a été signé le 15 juillet

3 1993, et maintenant vous êtes en train de parler de l'initiative de M. Knut

4 Vollebaek. Ceci s'est produit à quel moment et qui faisait partie de la

5 délégation de la RSK ?

6 R. C'était en août et septembre. Knut Vollebaek était arrivé avant cette

7 proposition portant sur les négociations secrètes en Norvège. Il était à

8 Belgrade ce jour-là. C'était le 7 septembre 1993. Il a dit qu'il allait

9 apporter la proposition croate portant sur la solution pacifique à Knin. Il

10 a demandé au gouvernement de la Krajina de l'accepter. Djordje Bjegovic a

11 répondu en disant qu'il l'attendait à Knin.

12 Et le 9 mars --

13 Q. Pardon --

14 R. Pardon, le 9 septembre -- pardon, c'était le 8 septembre. Là,

15 c'est la date exacte.

16 Q. Quelle année ?

17 R. C'est le 8 septembre 1993. Knut Vollebaek est arrivé de Zagreb, il a

18 ouvert son dossier et il a commencé à lire le texte de la proposition

19 croate relative à l'accord. A ce moment-là, un officier de la Krajina est

20 entré en disant : "L'armée croate a attaqué la poche de Medak il y a une

21 heure."

22 Q. Comment a réagi la délégation serbe et que s'est-il passé ensuite ?

23 R. Le premier ministre Begovic a demandé à Knut Vollebaek qu'est-ce qui

24 s'est passé là. Les Croates nous envoient une proposition alors qu'ils ont

25 effectué une agression sur notre territoire. Bien sûr, Knut Vollebaek a

26 pris ses affaires, il est rentré à Zagreb, et en tant que représentant des

27 Nations Unies, il n'a dit pas un seul mot pour condamner la Croatie. Or,

28 vous savez ce qui s'est passé à la poche de Medak.

Page 6156

1 Q. Pourriez-vous nous dire ce que vous savez à ce sujet ?

2 R. Je sais, sur la base du rapport du général français Jean Cot, qui a

3 envoyé une copie de son rapport au gouvernement de la RSK. Et je l'ai

4 photocopié, je l'utilisais au sein du ministère des Affaires étrangères.

5 Voici ce qu'il a dit littéralement. Il a dit que 11 villages à Lika avaient

6 été rasés. Tous les civils capturés ont été tués. Tout le bétail, tous les

7 animaux ont été tués, y compris," il a dit littéralement, "les chats et les

8 chiens." Les chats et les chiens étaient pendus sur des arbres ou cloués

9 sur les portes.

10 Je pense qu'Agim Ceku, ledit premier ministre du Kosovo aujourd'hui,

11 et un général croate, le général Norac, étaient en charge de cette

12 opération.

13 Q. Savez-vous quelque chose au sujet des victimes au sein de la population

14 civile ?

15 R. Vous savez, mes documents avaient été repris par la police serbe du

16 ministère en 1996, et j'avais cette information. Je pense que plus de 80

17 Serbes ont été tués dans ces 11 villages, et bien sûr, ceux qui ont réussi

18 à fuir et survivre ont survécu seulement grâce au fait que les troupes

19 croates ne les avaient pas trouvés dans les forêts.

20 Q. Merci. Est-ce qu'à ce moment-là, lorsque M. Knut Vollebaek est venu

21 avec ces propositions croates émanant de Zagreb, est-ce que vous

22 connaissiez le contenu de ces propositions ou est-ce que tout ceci s'est

23 passé avant ?

24 R. Je n'ai jamais appris quel était le contenu de la proposition, car M.

25 Vollebaek l'a reprise et il est parti à Zagreb.

26 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire, M. Jarcevic, si suite à cela, les

27 négociations ont repris ? Est-ce qu'il y a eu d'autres tentatives visant à

28 trouver une solution paisible ?

Page 6157

1 R. Oui. Encore une fois, c'était par le biais de Knut Vollebaek. Comme je

2 l'ai déjà dit tout à l'heure, il nous proposait des négociations secrètes

3 en Norvège, et nous avons accepté cela.

4 Q. Monsieur Jarcevic, lorsque vous dites "nous avons accepté cela," de qui

5 parlez-vous ?

6 R. Je parle au nom du gouvernement de la RSK.

7 Q. A quel moment ces négociations ont-elles eu lieu et qui faisait partie

8 de la délégation de la République de Krajina serbe ?

9 R. C'était Goran Hadzic, le président de la RSK, qui était à la tête de la

10 délégation. J'étais le numéro deux au sein de cette délégation. Ensuite, il

11 y avait le ministre de la Défense, l'amiral Milan Rakic, aussi, puis le

12 ministre de la Justice, Radomir Kuzet. C'était le sommet de la délégation

13 de la RSK, et l'interprète était Bore Bozic, même si un témoin dans le

14 procès Milosevic a parlé d'une personne tout à fait différente. Mais

15 c'était Bore Bozic. Je ne sais pas si ceci est important pour la Chambre de

16 première instance.

17 Le chef de la délégation croate était Hrvoje Sarinic, qui était le chef du

18 cabinet de M. Tudjman, et il était en même temps le chef chargé de la

19 sécurité de l'Etat de Croatie. Son deuxième titre que je viens de

20 mentionner est important, compte tenu de ce qui s'est passé au cours des

21 deux jours de négociations.

22 Q. Monsieur Jarcevic, est-ce que vous pouvez nous dire à quel moment les

23 négociations ont eu lieu ?

24 R. C'était le 2 novembre 1993, à un endroit qui se trouvait à 60

25 kilomètres d'Oslo. Excusez-moi, j'ai oublié le nom de cet endroit, mais ce

26 nom figure dans les documents.

27 Q. Est-ce que ces négociations étaient publiques ou est-ce que la

28 discrétion était totale ?

Page 6158

1 R. Les négociations étaient totalement secrètes, et croyez-moi qu'aucun

2 journaliste, ni à Belgrade, ni en Krajina, ni à Zagreb, ni en Norvège n'a

3 obtenu des données indiquant que les négociations étaient en cours.

4 Q. Pourriez-vous nous dire quel était le contenu de la proposition et si

5 un accord a été trouvé ?

6 R. Oui. Knut Vollebaek était à la tête de cela. C'est lui qui avait

7 proposé le projet d'accord, et ceci a été accepté à la fois par nous et par

8 les Croates. Le 3 novembre, je crois, vers 22 heures, nous nous sommes mis

9 d'accord pour signer l'accord le lendemain à 8 heures du matin. Vollebaek a

10 dit qu'à ce moment-là, il allait réunir les journalistes étrangers et

11 venant de notre pays qui se trouvent à Oslo et qu'ils allaient assister à

12 cette cérémonie. Puis, il a dit que la télévision d'Etat norvégienne allait

13 assister à cela aussi. Que s'est-il passé ensuite, je vais vous le dire --

14 Q. Excusez-moi de vous interrompre, mais avant de nous dire ce qui s'est

15 passé ensuite, dites-nous quel était l'essentiel de l'accord.

16 R. Ceci ressemblait à l'accord d'Erdut. D'après cet accord, les

17 commissions étaient censées se mettre d'accord au sujet de l'unification de

18 toutes sortes d'activités telles que les transports, le commerce,

19 l'économie, et par la suite, l'éducation, la culture, et cetera. Donc, sur

20 les bases de cet accord, les commissions, comme je l'ai dit, étaient

21 censées créer un système à deux cantons en Croatie, conformément à la

22 manière dont la Bosnie a été constituée par la suite. Je suppose qu'à

23 Dayton, ils tenaient compte de ces intentions relatives à la Croatie qui

24 n'ont pas abouti, mais heureusement, elles ont fini par aboutir, s'agissant

25 de la Bosnie-Herzégovine.

26 Q. Vous dites qu'il s'agissait d'un système à deux cantons. Est-ce que

27 cela veut dire qu'un accord de base a été conclu lors de ces négociations,

28 indiquant que la République de Krajina serbe de l'époque devait faire

Page 6159

1 partie de la Croatie en tant que canton et que ceci devait être un Etat ?

2 R. Il y aurait un Etat avec deux cantons, si ces accords avaient été

3 respectés et si les commissions avaient fini leur travail.

4 Q. Permettez-moi de vous poser une autre question. Une telle proposition a

5 été avancée, et vous dites que vous, au nom de la délégation serbe, vous

6 l'avez acceptée et que le camp croate l'a acceptée aussi; est-ce exact ?

7 R. A Oslo, nous l'avons acceptée et nous nous sommes mis d'accord pour la

8 signer le 4 novembre à 8 heures du matin, en présence de tous les

9 journalistes.

10 Q. Nous aurons une pause à midi. Dites-moi simplement, s'il vous plaît, la

11 date exacte.

12 R. C'était le 4 novembre.

13 Q. De quelle année ?

14 R. 1993.

15 Q. Le 4 novembre 1993 à Oslo ?

16 R. C'était à 80 kilomètres d'Oslo. Excusez-moi, mais j'ai oublié le nom de

17 cette petite ville ou de ce village. Je ne me souviens plus exactement.

18 Q. Merci.

19 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, peut-être que le

20 moment est opportun pour faire une pause ?

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, effectivement. Merci beaucoup.

22 Nous allons prendre une pause et revenir à midi et demi.

23 --- L'audience est suspendue à 12 heures 00.

24 --- L'audience est reprise à 12 heures 32.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Milovancevic, vous pouvez

26 poursuivre.

27 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

28 Q. Monsieur Jarcevic, avant la pause, nous avons parlé des négociations

Page 6160

1 tenues à un endroit situé près d'Oslo en 1993. Vous avez expliqué que la

2 délégation de la RSK et celle de la Croatie à la tête de laquelle se

3 trouvait M. Sarinic avaient accepté l'accord concernant l'organisation

4 cantonale de la Croatie. Est-ce que cet accord a été signé lors de la

5 conférence de presse le lendemain comme c'était prévu ?

6 R. Je souhaiterais ajouter que le terme "cantonal" ne figurait nulle part

7 dans l'accord. Toutefois, en conformité avec l'accord conclu au niveau

8 européen, ce sont les commissions qui étaient censées s'occuper de cette

9 question. Le canton des Serbes devait avoir un statut d'égalité avec le

10 canton des Croates. Mais ce n'était pas explicite. Les commissions étaient

11 censées se charger de ce travail, et il était naturel de s'attendre aux

12 résultats une fois que tout ce qui touchait au commerce et aux autres

13 domaines serait fusionné.

14 Mais ce qui s'est passé, c'est que les gens de Zagreb nous ont remis

15 une lettre du président de la Croatie, M. Tudjman, à 10 heures 30. Cette

16 lettre était adressée à tous les chefs d'Etat, et le président Tudjman

17 insistait sur le fait que les Croates ne signeraient aucun accord avec les

18 insurgés serbes, ce qui signifiait que l'accord provisoire que nous devions

19 signer le lendemain a été déclaré nul et non avenu. Lorsque nous avons reçu

20 la lettre du président de la Croatie, la délégation croate ne l'avait pas

21 encore reçue. Je me trouvais dans une situation très délicate, car on nous

22 accusait toujours de ne pas faire preuve d'esprit de coopération, et nous

23 avons tout de suite compris que la conférence de presse qui devait se tenir

24 le lendemain n'aurait plus lieu et que les gens penseraient que c'étaient

25 les Serbes qui ne voulaient pas signer l'accord.

26 Donc, j'avais cette lettre entre les mains, Knut Vollebaek n'en

27 n'avait pas encore connaissance, et j'ai appelé mon bureau à Belgrade qui

28 était ouvert 24 heures sur 24. J'ai dicté à un collaborateur la déclaration

Page 6161

1 qui devait être transmise aux agences de presse. J'ai informé M. Knut

2 Vollebaek que l'accord qui devait être signé par les deux délégations le

3 lendemain n'avait plus lieu d'être. Bien entendu, les Croates ont

4 finalement reçu cette lettre. Je ne sais pas s'ils en ont informé Vollebaek

5 ou non. Toujours est-il que les journalistes qui nous accompagnaient sur le

6 chemin du retour ont informé le public du fait que le président de la

7 Croatie, M. Tudjman, avait annulé l'accord.

8 Le lendemain, le jour où nous étions censés signer l'accord, le chef

9 de la délégation croate a sorti de son dossier la lettre en question et a

10 commencé à en donner lecture. Notre ministre de la Justice l'a interrompu

11 et a dit : "M. Sarinic, ne lisez pas cette lettre. Nous l'avons." Et il a

12 sorti de son dossier un exemplaire de cette même lettre. Sarinic a été

13 surpris et a demandé où il avait obtenu cette lettre. Notre ministre de la

14 Justice a répondu : "Nous avons des amis à Zagreb et nous l'avons reçue."

15 Tout cela était très surprenant. Vollebaek a été surpris de tout cela. Le

16 lendemain, Vollebaek a appris qu'il y avait eu des fuites du côté serbe, et

17 ce qui avait été annoncé par Sarinic allait se concrétiser.

18 Sarinic a déclaré que M. Tudjman, étant le président de la Croatie,

19 ne pouvait pas poursuivre les négociations ni signer l'accord. Je ne sais

20 pas ce que le chef de la délégation croate a dit aux journalistes, car à ce

21 moment-là, nous étions déjà en route pour l'aéroport.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que je peux vous

23 interrompre, s'il vous plaît ? Monsieur Jarcevic, vous avez déclaré que les

24 commissions étaient censées mettre en œuvre l'accord et que le terme

25 "cantonal" ne figurait nulle part dans l'accord. Quelle était la teneur de

26 cet accord ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous pouvez retrouver cet accord.

28 L'Accusation et la Défense en disposent, mais je l'ai également dans mes

Page 6162

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14 intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des

15 versions anglaise et française

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28

Page 6163

1 archives personnelles.

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Inutile de me renvoyer vers

3 l'Accusation. Je demande des éclaircissements au sujet de votre déposition.

4 Que savez-vous au sujet de la teneur de cet accord ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci beaucoup. Je suis désolé de ce

6 malentendu. Il était prévu dans cet accord que la paix serait restaurée

7 entre les deux parties. Ni la RSK ni la Croatie n'étaient mentionnées. On

8 ne voulait pas heurter la fierté des Croates, car la Croatie n'avait jamais

9 voulu reconnaître la République serbe de Krajina.

10 Entre autres, l'accord d'Erdut prévoyait que les armes lourdes

11 seraient gardées en sécurité grâce à un système de double clé par les

12 forces des Nations Unies. C'était déjà le cas à l'époque. Les armes lourdes

13 croates devaient également être éloignées à une distance de dix kilomètres

14 de la frontière avec la RSK, donc c'étaient les éléments principaux de

15 l'accord en question.

16 En vertu de cet accord, il n'était pas possible de poursuivre le conflit

17 militaire.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup. Vous pouvez

19 poursuivre, Maître Milovancevic.

20 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

21 Q. La conférence de presse que vous avez évoquée, était-elle le fruit des

22 tentatives visant à conclure un accord ? Il n'y a pas eu de pourparlers

23 après cela ?

24 R. Je vous ai expliqué la raison de cela : le président de la Croatie a

25 empêché à sa délégation de signer cet accord.

26 Q. Après cela, y a-t-il eu d'autres tentatives visant à trouver une

27 solution pacifique à la crise qui se déroulait dans cette région, par le

28 biais d'un accord ?

Page 6164

1 R. Merci. Il est peut-être intéressant de noter qu'après cet échec, M.

2 Vollebaek s'est fâché contre moi. Il m'a dit : "Vous gâchez ma carrière,

3 car vous avez informé les médias." Je lui ai demandé pourquoi il n'était

4 pas en colère contre la Croatie, car c'étaient les Croates qui avaient

5 refusé de signer l'accord. Il n'a rien dit à ce sujet. Mais par la suite,

6 c'est lui qui a été à l'initiative de nouvelles négociations. Notre

7 gouvernement, une fois de plus, a accepté sa proposition. Sa proposition

8 était que ces négociations devaient se dérouler à Belgrade, dans l'une des

9 villas que possédait le gouvernement de la République fédérale de

10 Yougoslavie, à la suite d'une proposition faite par M. Milosevic. C'était

11 dans le village de Dobanovci, non loin de Belgrade.

12 Nous nous sommes rencontrés au mois de décembre, mais ce n'était pas

13 là la dernière tentative pour conclure un accord entre la Croatie et la

14 RSK. Je peux vous décrire les autres tentatives, si cela vous intéresse.

15 Q. Je fais une pause pour les interprètes. Vous dites qu'après l'échec

16 d'Oslo, M. Knut Vollebaek a proposé de nouvelles négociations. A qui a-t-il

17 proposé cela ? Au gouvernement de la RSK ? Pouvez-vous nous dire également

18 qui a pris part aux négociations de Dobanovci en décembre 1993 ? Qui

19 faisait partie de la délégation croate et qui faisait partie de votre

20 délégation ?

21 R. Le mois de décembre 1993 est une période intéressante. En effet, des

22 élections devaient se tenir en République serbe de Krajina. Il s'agissait

23 des avant-dernières négociations au cours desquelles ce gouvernement de la

24 RSK devait participer. Notre délégation était là encore dirigée par Goran

25 Hadzic, et c'est Hrvoje Sarinic qui était à la tête de la délégation

26 croate, tout comme en Norvège. C'était au mois de décembre. Je ne me

27 souviens pas de la date exacte. Je sais que c'était juste avant les

28 élections législatives et présidentielles en RSK.

Page 6165

1 Q. Pouvez-vous nous dire ce dont on a parlé à l'occasion de ces

2 négociations ? Est-ce qu'on a conclu un accord ?

3 R. J'ai participé à ces négociations. Là encore, j'étais accompagné du

4 ministre de la Justice, Radomir Kuzet. Goran Hadzic dirigeait notre

5 délégation, c'était le président de la République serbe de Krajina.

6 Une fois de plus, Knut Vollebaek a proposé un accord provisoire, un

7 projet d'accord. Nous avons accepté le libellé de cet accord. Nous n'avions

8 aucune objection à soulever, si ce n'est que nous avons insisté pour que

9 les nôtres ne soient pas considérés comme une minorité nationale. Les

10 Croates souhaitaient l'inverse. Cependant, les Croates ont cédé, et juste

11 avant la signature de l'accord, le chef de la délégation croate a pris la

12 parole, M. Sarinic s'est exprimé. Il a saisi l'occasion pour parler d'une

13 ligne de démarcation bien définie entre la RSK et la Croatie. Certains

14 secteurs considérés par les Croates comme des territoires croates se

15 trouvaient dans la zone rose de la RSK. Initialement, les Croates étaient

16 d'accord avec cela.

17 Le 8 septembre 1993 et le 22 janvier 1993, ils ont convenu que la

18 police de la RSK et la police des Nations Unies patrouilleraient dans cette

19 région. Mais M. Sarinic a soudain déclaré qu'il n'était pas d'accord avec

20 cette ligne de démarcation à Ravni Kotari, car un verger et une grande

21 propriété agricole ne pouvaient pas se trouver sur le territoire de la

22 Krajina. L'un des membres de notre délégation a dit que tout cela était

23 propriété d'Etat désormais, mais qu'avant la guerre, c'étaient des biens

24 privés serbes. Sarinic a répondu : "Certes, mais je n'ai pas reçu

25 l'autorisation de mon gouvernement pour céder cette région à la Krajina. Il

26 me faut consulter de nouveau les membres de mon gouvernement à ce sujet."

27 C'est ainsi que se sont achevés ces pourparlers.

28 Q. Monsieur Jarcevic, pourriez-vous nous dire en quelques mots quelle

Page 6166

1 était l'essence de cet accord ? Qu'étiez-vous censés signer ? Sur quoi vous

2 vous êtes mis d'accord en décembre 1993 avec la partie adverse ?

3 R. Comme je l'ai dit en réponse à une question posée par les Juges de la

4 Chambre de première instance, il s'agissait avant tout d'empêcher la

5 reprise des hostilités. Il était question de démarcation, du retrait des

6 armes lourdes qui devaient être éloignées à une distance de dix kilomètres

7 de la frontière, et les armes lourdes croates devaient être placées sous le

8 contrôle des Nations Unies. C'était là notre objectif principal. Nous avons

9 réussi à l'inclure dans tous les accords, tous les projets d'accord jusqu'à

10 ce moment-là. Chacun de ces accords prévoyait que les commissions oeuvrent

11 de façon à fusionner les activités dans les deux Etats. Mais les

12 pourparlers ne se sont pas arrêtés là. Il y a eu trois autres réunions par

13 la suite qui ont eu lieu ou qui ont été évitées, si on peut le dire ainsi.

14 Q. Après l'échec de ces négociations du mois de décembre, quand est-ce que

15 les négociations suivantes ont eu lieu ?

16 R. Les négociations suivantes ont été proposées par Knut Vollebaek. Il a

17 déclaré que nous organiserions ces pourparlers à l'ambassade de la

18 Fédération russe à Zagreb. Nous avons exprimé notre accord comme toujours,

19 puis le 22 mars, nous nous sommes rendus à Zagreb. Nous étions sur le point

20 de signer cet accord à l'ambassade russe de Zagreb lorsque soudain, il y a

21 eu un désaccord concernant la ligne de démarcation. Nous avons suspendu les

22 pourparlers. Nous avons fixé de nouvelles négociations qui devaient se

23 tenir le 28 mars, une fois encore à l'ambassade russe de Zagreb. Charles

24 Redman et Vitaly Churkin étaient présents là encore et ils étaient censés

25 exercer une pression sur les Croates pour qu'ils finissent par signer

26 l'accord.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre.

28 N'était-ce pas le 22 et le 28 mars 1994 ? Est-ce que nous sommes en train

Page 6167

1 de parler de l'année 1994 ? Merci.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Exactement. C'était au cours des derniers

3 jours de mes fonctions de ministre des Affaires étrangères. L'amiral Rakic

4 était à la tête de la délégation. J'étais le numéro deux de la délégation,

5 le général Mile Novakovic était le numéro trois.

6 M. MILOVANCEVIC : [interprétation]

7 Q. C'était le 22, le 23 et le 28 mars 1993. Est-ce que vous parlez de

8 l'accord de Zagreb que nous connaissons tous --

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le témoin a parlé du 22 et du 28. Il

10 n'a pas parlé du 23. 22 et 28 mars 1994.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

12 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Oui, c'est exact. Excusez-moi, Monsieur

13 le Président. J'ai fait une erreur, je ne voulais pas semer la confusion.

14 Il est question de nombreuses dates ici.

15 Q. C'était en mars 1994, n'est-ce pas, l'année est importante.

16 R. Oui. L'accord a été signé le 29.

17 Q. A ce moment-là, les élections présidentielles et les élections

18 législatives en RSK avaient peut-être déjà eu lieu. Qui était le président

19 de la RSK à l'époque ?

20 R. Au deuxième tour, c'est M. Milan Martic qui a gagné contre M. Milan

21 Babic. Il a accepté de se rendre à Zagreb, même s'il ne nous était pas

22 facile de nous rendre vers des régions où 400 000 Serbes avaient été

23 expulsés.

24 Q. Quel était l'objectif de l'accord de Zagreb ? Vous avez parlé de la

25 séparation des forces entre autres ?

26 R. Avant tout, en fait je ne comprends pas votre question.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez d'abord

28 mentionner les nouveaux points mentionnés par M. Knut Vollebaek dans cet

Page 6168

1 accord ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est le premier accord qui a été signé avec

3 les Croates. C'est le premier accord qui n'a pas été déclaré nul et non

4 avenu après sa signature. Cet accord est resté en vigueur jusqu'à

5 l'occupation croate de la République serbe de Krajina. Le plus important,

6 c'est qu'il s'agissait d'éloigner les armes croates à une distance de 10

7 kilomètres de la frontière séparant la Krajina de la Croatie. Ces armes,

8 tout comme les armes serbes, devaient être placées sous le contrôle des

9 Nations Unies.

10 L'accord prévoyait également la poursuite des négociations entre les deux

11 parties, et impliquer la mise en place de commission chargée de s'occuper

12 de la circulation du commerce, de l'économie, et cetera. C'était la

13 conclusion d'un processus entamé à Erdut, le 15 juillet 1993. Il s'agissait

14 de créer un Etat composé de deux cantons ou de deux communautés ethniques

15 aspirant à devenir un Etat.

16 M. MILOVANCEVIC : [aucune interprétation] Devons-nous prendre une courte

17 pause ? Nous pouvons donc poursuivre ? Merci.

18 Q. Monsieur Jarcevic, le 29 mars 1994, la délégation de la République

19 serbe de Krajina et celle de la République de Croatie se sont rencontrées à

20 l'ambassade de la fédération russe à Zagreb et ont signé l'accord appelé

21 accord de Zagreb. Est-ce de cela que nous parlons ?

22 R. Oui. Si cela vous intéresse, je précise que nous avons réussi à

23 supprimer certains passages du texte. C'est la raison pour laquelle

24 l'accord a été signé le 29 et non pas le 28. Il était prévu que cet accord

25 se fonde sur la Résolution des Nations Unies. Mais grâce à Churkin et à

26 Redman, nous avons réussi à faire supprimer cette phrase car les

27 résolutions étaient contraires à l'esprit du plan Vance. Le plan Vance

28 prévoyait que l'on ne préjuge pas d'une solution politique alors que de

Page 6169

1 nombreuses résolutions considéraient la Krajina comme faisant partie

2 intégrante de la Croatie. Par conséquent, cette référence à la résolution a

3 été supprimée sur l'instance de Redman et de Churkin, qui ont écouté notre

4 proposition.

5 Q. Merci. S'agissant de la mise en œuvre de l'accord de Zagreb, était-il

6 prévu que les deux parties constituent des commissions à différents niveaux

7 pour mettre en œuvre l'accord en question ? A-t-on prévu la création de

8 telles commissions ?

9 R. Oui. Ces commissions ont commencé à fonctionner mais à l'époque, je

10 n'étais plus ministre des Affaires étrangères et je n'ai pas participé au

11 travail de ces commissions. Toutefois, ces commissions ont accompli des

12 résultats manifestes. On pensait que tout se passerait bien sans que l'on

13 ait recours aux armes.

14 Vous vous rappellerez peut-être que la route qui traversait la

15 Slavonie occidentale a été ouverte sur le territoire de la RSK. Il

16 s'agissait d'une route qui reliait la capitale croate de Zagreb aux parties

17 orientales de l'Etat croate.

18 Q. Monsieur Jarcevic, savez-vous si les autorités de la RSK agissaient

19 conformément aux discussions de l'accord de Zagreb, si leurs unités, leurs

20 armements, leurs chars, et cetera, ont été éloignés à la distance prévue

21 par l'accord ?

22 R. Oui. Cela a été mis en œuvre. Je sais que les officiers de la FORPRONU

23 disaient qu'ils avaient contraints les Croates à faire de même.

24 Q. Merci. Vous avez parlé, il y a quelques instants, du fait que vous

25 n'aviez pas participé au travail de ces comités, car vous n'étiez plus

26 ministre des Affaires étrangères. Pouvez-vous nous dire le pourquoi de

27 cette situation, pourquoi vous n'étiez plus ministre des Affaires

28 étrangères et ce que vous avez fait par la suite ?

Page 6170

1 R. Si je ne m'abuse pas, c'était en fin avril 1994 que j'ai quitté mes

2 fonctions. En tant que ministre des affaires étrangères, je suis resté

3 pendant quelques jours pour la passation de pouvoir vis-à-vis de mon

4 successeur, le Dr Milan Babic.

5 Lorsque j'ai voulu retourner à mon poste en Yougoslavie, Milan

6 Martic, le président, m'a demandé de rester dans son gouvernement pour

7 m'occuper des Affaires étrangères, l'assister dans ses contacts avec les

8 Nations Unies et les Etats membres des Nations Unies. J'ai informé le

9 ministère de la Yougoslavie par lettre et ils ont approuvé le fait qu'il y

10 ait une extension de mon travail dans la RSK de façon à ce que je sois

11 transféré au niveau du gouvernement de M. Martic dans une autre zone de

12 Belgrade, à savoir, autre que là où se trouvait le ministère des Affaires

13 étrangères.

14 Q. Concernant votre dernière réponse, vous avez dit que vous avez informé

15 les autorités de la Yougoslavie et qu'ils avaient approuvé que le fait que

16 vous continuez à travailler en Krajina, mais lorsque vous avez démarré

17 votre témoignage aujourd'hui, vous avez dit que vous étiez en train

18 simplement de régulariser votre statut en termes d'emploi. Que voulait dire

19 cette autorisation comme vous le dites. Je vous pose la question

20 directement : est-ce que cela veut dire que votre emploi en Yougoslavie

21 était resté en suspend alors que vous continuez à remplir vos nouvelles

22 fonctions ?

23 R. Oui, selon les mêmes conditions qu'auparavant.

24 Q. Merci. Vous avez dit que vous étiez d'accord pour devenir conseiller de

25 M. Milan Martic. Vous avez dit que vous ne le connaissiez pas avant de

26 devenir ministre des Affaires étrangères de la RSK. Vous l'avez connu

27 pendant les réunions du gouvernement et pendant le déroulement de vos

28 activités en tant que ministre des Affaires étrangères. Quelle fut votre

Page 6171

1 attitude vis-à-vis de lui en tant que personne et qu'est-ce qui a fait que

2 vous avez accepté sa proposition ?

3 R. M. Milan Martic était un homme particulièrement honorable. Il n'a

4 jamais utilisé son bureau pour s'enrichir, pour obtenir des privilèges et

5 il n'a jamais exprimé de haine vis-à-vis d'un quelconque groupe ethnique ou

6 une quelconque confession. Je partageais ses points de vue et c'est de ce

7 fait que nous avons pu très bien nous entendre.

8 Q. Est-ce que c'est à cause de cela que vous avez accepté de devenir son

9 conseiller en matière d'affaires étrangères ?

10 R. J'ai eu l'occasion de prendre en charge l'une des ambassades de la

11 RFSY, mais la situation dans laquelle se trouvait une partie du peuple

12 serbe en Croatie et en Bosnie-Herzégovine ne m'a pas permis de mettre ma

13 carrière personnelle devant les besoins de mon peuple en péril. Je sais que

14 je ne suis peut-être pas la personne la plus apte, mais je savais que

15 j'avais des contacts dans tous les pays du monde, que j'avais acquis en

16 tant que ministre des Affaires étrangères, et il aurait fallu pour une

17 autre personne, au moins six mois pour établir des contacts comparables.

18 Pour clarifier, je vais vous dire qu'en tant que ministre des Affaires

19 étrangères, j'avais environ 70 bénévoles, à la fois serbes et étrangers,

20 qui distribuaient nos documents depuis l'Amérique jusqu'à la Russie, en

21 France, en Angleterre, les Pays-Bas, l'Australie, pratiquement tous les

22 pays importants du monde. Dans de telles circonstances, évidemment, je ne

23 pouvais pas ne pas accepter la proposition du président.

24 Q. Merci. La dernière chose que vous avez mentionnée, M. Jarcevic, c'était

25 le fait que le 29 avril 1994, l'accord de Zagreb a été signé. Néanmoins, la

26 vie devait continuer. Quelles furent vos activités par la suite ? Avez-vous

27 rencontré des problèmes dans votre nouveau poste en tant que conseiller du

28 président de la République, relatifs à la Bosnie et à Bihac ?

Page 6172

1 R. En 1994, et c'était symptomatique des Balkans, un groupe ethnique a

2 tendance facilement à se mettre en désaccord avec un autre groupe ou un

3 groupe religieux, ou un parti politique vis-à-vis d'un autre parti

4 politique, et bien entendu, ceci avait toujours quelque chose à voir avec

5 les intérêts des grandes puissances en Europe et dans l'Asie proche.

6 Quelque chose s'est produit qui ne s'était produit à ce moment-là. Les

7 Musulmans se sont divisés en deux clans politiques et ont connu des

8 désaccords. Ceci s'est produits dans la zone qui était appelée Bihac et il

9 faut que la Chambre sache que là, en 1941, l'armée croate avait massacré ou

10 jeté dans des fosses 16 500 Serbes orthodoxes, de façon à ce que ce

11 territoire, pendant cette guerre plus récente, était surtout habité par des

12 Musulmans. Il y avait quelques catholiques et un certain nombre

13 d'orthodoxes.

14 Environ 40 000 personnes ont été expulsées de leur maison par l'armée

15 d'Alija Izetbegovic, à savoir, le président de la Fédération musulmane

16 croate de Bosnie-Herzégovine.

17 C'est à ce moment-là que M. Martic a fait preuve d'une très grande

18 noblesse, car ces Musulmans voulaient se rendre en Croatie en traversant le

19 territoire de la RSK en pensant que la Croatie était son alliée. Cependant,

20 l'armée croate avait amené des armes lourdes et ont dirigé leurs

21 mitrailleuses et n'ont pas permis à ceux-ci de quitter la Krajina et se

22 rendre en Croatie. C'est dans cette situation difficile, à un moment où la

23 RSK était isolée et que la République de Yougoslavie subissait des

24 sanctions, nous avons dû nous occuper de 45 000 personnes en RSK. Il

25 fallait les habiller, les nourrir, les chauffer. Le président Martic a

26 donné l'ordre selon lequel toutes les réserves de la RSK devaient être

27 dirigées vers la zone de Kordun en RSK, où ces personnes arrivaient. Et

28 s'il y avait des aides, si les Hongrois ou d'autres envoyaient de l'aide,

Page 6173

1 toute cette aide devait être envoyée aux Musulmans.

2 Q. Vous avez parlé de 45 000 Musulmans provenant de ce qu'on appelait la

3 poche de Bihac. Est-ce que cette région on l'appelle également la Cazin

4 Krajina ? C'est de cela dont vous parliez ?

5 R. Oui, c'était la Cazin Krajina. Le groupe politique musulman refusait de

6 faire partie de la Bosnie-Herzégovine musulmane et croate qui était dirigée

7 par Alija Izetbegovic. Ils ont déclarés leur propre république sous le nom

8 que vous venez de mentionner, Cazinska Krajina.

9 Q. Pouvez-vous nous expliquer si Alija Izetbegovic, si l'armée de celui-

10 ci, à savoir, l'armée du président musulman de la Confédération bosniaque

11 et croate, est-ce qu'ils ont été expulsés de leur propre population

12 musulmane parce qu'ils ont désobéi. C'est de cela dont il s'agissait ?

13 R. Oui. C'est ce que nous avons dit. Vous l'avez dit dans votre question

14 et je l'ai dit dans ma réponse.

15 Q. Est-ce que c'était conformément à des ordres de M. Martic que ces

16 personnes ont reçu de l'assistance ? Est-ce qu'ils ont véritablement reçu

17 cette assistance ?

18 R. Oui. Ces ordres ont été suivis et c'est grâce à cela que ces personnes

19 ont pu survivre. On leur a donné également toute sorte d'assistance

20 médicale. Il y avait des médecins venant de France, d'Angleterre et ils

21 peuvent témoigner des soins qui leur ont été apportés par les

22 professionnels de la médecine dans la Krajina et du fait que tout a été

23 fait pour empêcher des épidémies et contenir les maladies.

24 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire si après l'accord de Zagreb, qui

25 envisageait la séparation des forces armées et des distances à respecter,

26 est-ce que les négociations se sont poursuivies concernant la solution

27 politique, et quand ?

28 R. Oui, en juin 1994, un représentant de la Grande-Bretagne s'est

Page 6174

1 présenté. Maintenant, c'étaient les Britanniques qui proposaient que ce

2 serait eux qui assureraient la paix si on était d'accord pour des

3 négociations secrètes avec les Croates dans un lieu proche de Londres. La

4 proposition a été faite par une organisation humanitaire dirigée par

5 quelqu'un qui s'appelait Smith. Je ne me souviens pas de son prénom. Il

6 était chargé d'une école dans une organisation humanitaire en Grande-

7 Bretagne. Le message nous a été passé par un certain nombre de Serbes qui

8 étaient citoyens britanniques. On nous avait dit que ceci avait été fait en

9 accord avec le ministère des Affaires étrangères britannique.

10 Quand cette proposition a abouti sur mon bureau, j'en ai informé le

11 président Milan Martic et il a immédiatement approuvé en disant que je

12 devrais m'y rendre pour participer aux négociations avec la Croatie et

13 qu'il en informerait le gouvernement, et que le gouvernement approuverait

14 le fait que je sois la personne qui participe à ces négociations.

15 J'ai consulté à Belgrade l'ambassadeur britannique qui s'en est

16 référé à son ministère, et il m'a dit qu'il me donnerait un visa afin de

17 pouvoir me rendre en Grande-Bretagne. Il m'a informé que la délégation

18 croate également allait s'y rendre.

19 Juste avant de partir, les Britanniques m'ont dit que les Croates

20 hésitaient, mais que le ministère des Affaires étrangères de Sa Majesté

21 allait faire tout ce qui était dans son pouvoir pour encourager les Croates

22 à envoyer leur délégation.

23 C'est ainsi que je me suis rendu à Londres et qu'on m'a reçu dans un

24 château appelé le château de Cromwell, qui se trouve à environ 60 milles de

25 Londres. Je ne me souviens pas de l'endroit précisément, mais quelqu'un de

26 britannique ici doit connaître ce lieu, quelque chose comme Hupton [phon].

27 En tout cas, j'ai attendu pendant six jours que la délégation croate se

28 présente, mais ce ne fut jamais le cas. On m'a reçu au ministère des

Page 6175

1 Affaires étrangères britannique, et dans mon livre, vous trouverez une

2 lettre que je leur ai envoyée, les remerciant de leur hospitalité. Je leur

3 ai demandé s'ils pouvaient faire quelque chose pour au moins faire des --

4 pour réprimander le gouvernement et le président de la Croatie, mais ils

5 n'ont pas répondu à ma question. Ils ont dit qu'ils étaient désolés de

6 l'échec de cette tentative de faire rencontrer les deux délégations en

7 Grande-Bretagne.

8 Q. Monsieur Jarcevic, cet accord de Zagreb du 29 mars 1994 portait sur la

9 cessation des hostilités et la séparation des forces militaires. Il

10 s'agissait d'un accord militaire.

11 Après le mois de juin 1994, y a-t-il eu d'autres tentatives de

12 normalisation des relations destinées à éviter la guerre ?

13 R. Merci de votre question. C'est curieux de voir que dans cet accord dont

14 il était censé être question en Grande-Bretagne, les Britanniques étaient

15 très spécifiques. Sa rédaction n'était pas du tout, comme auparavant, très

16 générale, en laissant au comité les soins de faire le travail plus tard.

17 Dans cet accord-là formulé par les Britanniques, il était précisé

18 exactement qui allait avoir quel ministère, comment cela allait

19 fonctionner. J'ai publié toutes ces données dans mon travail.

20 Donc, si les Croates avaient décidé d'appuyer cet accord, et c'est peut-

21 être la raison pour laquelle ils ne l'ont pas fait, d'ailleurs, cela aurait

22 eu force obligatoire, parce que les différentes phases et mesures à prendre

23 par les Croates et par les Serbes étaient détaillées, et les départements

24 étaient très strictement divisés entre les deux.

25 Q. Monsieur Jarcevic, il y a des éléments écrits qui démontrent qu'au mois

26 de novembre et au début du mois de décembre 1994, il y a eu un certain

27 nombre d'accords économiques. Etes-vous au courant ?

28 R. Je n'ai pas participé à ces négociations. Celles-ci étaient traitées

Page 6176

1 par le gouvernement de M. Mikulic. Le ministre des Affaires étrangères à

2 l'époque était M. Milan Babic et le troisième ministre était M. Vojinovic.

3 Mais je sais que cette autoroute entre la Croatie et la Krajina a été

4 ouverte en grande pompe, et M. Tanjga, qui était ministre pour le côté

5 croate et qui était recteur de l'université, a utilisé cette autoroute afin

6 de se rendre à Okucani.

7 Q. Vous parlez de la mise en œuvre d'un accord qui visait à normaliser les

8 relations économiques en 1994 ?

9 R. Bien, oui. Chaque nouvel accord se basait sur le précédent qui avait

10 été signé; celui-ci, par conséquent, se basait sur l'accord de Zagreb qui

11 devait être le point de départ des événements suivants.

12 Q. Au début du mois de janvier 1995, un plan appelé le plan

13 Z-4 a été mentionné. Est-ce que vous savez quelque chose à propos de ce

14 plan ?

15 R. Notre service de renseignement était efficace, tout comme il l'avait

16 été en Norvège. Depuis New York, nous avons reçu un projet de l'accord qui

17 devait être amené par M. Galbraith, l'ambassadeur américain, plus tard. Je

18 l'ai envoyé à M. Martic avant que n'arrive l'ambassadeur américain à Knin.

19 J'ai été étonné de voir qu'il s'agissait du même plan que les Croates nous

20 avait déjà proposé plusieurs fois en 1992, avant que je ne fasse partie du

21 gouvernement. Ensuite, en janvier, à New York, puis ensuite, mars en avril

22 et mai à Genève, et après à Erdut, ils avaient arrêté de présenter ce plan.

23 Ensuite, il y a eu la tentative de Londres et l'accord de Zagreb. Cela est

24 apparu à nouveau à travers l'intermédiaire de l'ambassadeur américain, mais

25 la seule différence étant, par rapport aux précédents, que désormais il

26 portait un nom mystérieux : Z-4.

27 Q. Que voulait dire Z-4 ?

28 R. Bien, cela voulait dire Zagreb. L'un des diplomates honnêtes

Page 6177

1 britanniques dont le nom m'échappe nous a souvent mis en garde contre ce

2 qui se préparait dans les résolutions contre la Krajina et il nous a mis en

3 garde à cette occasion du fait qu'il y avait un plan qui allait être

4 proposé qui était très défavorable pour les Serbes de la Krajina. Il nous a

5 conseillé de néanmoins négocier, car on allait se trouver sous le feu des

6 rampes et cela allait nous donner une occasion de nous montrer et dire les

7 choses que nous avions envie de dire. Il nous a dit : "Vous allez avoir

8 l'occasion de dire que vous aviez le statut d'Etat à l'époque de l'Autriche

9 et que vous avez décidé de rejoindre l'Etat de la Yougoslavie de votre

10 propre gré."

11 Q. Que proposait ce plan ?

12 R. Je vous l'ai déjà dit. Nous l'avons reçu de New York. L'un des

13 américains l'a remis à l'un de nos représentants, et cela nous a été

14 apporté. J'ai dit que j'avais été étonné, car il s'agissait du même plan

15 que la Croatie nous avait proposé quatre fois; autonomie seulement à Knin

16 et à Glina. Toutes les autres régions, à savoir, les deux tiers de la

17 Croatie, allaient automatiquement revenir à la Croatie sans droits

18 particuliers pour les Serbes.

19 Q. Concernant les régions de Knin et Glina que vous mentionnez et le plan

20 Z-4, qu'envisageait ce plan pour ces régions ? Est-ce que celui-ci

21 proposait certains avantages ou privilèges ?

22 R. Merci pour cette question. C'était l'une des principales tentatives

23 d'essayer de piéger les Serbes de Krajina. C'était une supercherie de

24 première taille. Cela a été très bien empaqueté, si on peut dire, et cela

25 disait que la Krajina aurait ses propres ministères, son président, son

26 argent, ses coutumes, son héraut et des représentants des organes de la

27 Croatie. C'était très attrayant et c'est de cela dont la presse en Serbie-

28 et-Monténégro parlait. Etant donné cette supercherie, tout le monde a

Page 6178

1 reproché aux Serbes de Krajina leur comportement, disant qu'en dépit de ces

2 bonnes conditions, ils ne voulaient néanmoins pas signer l'accord, mais

3 personne n'a dit que toutes ces choses-là ne s'appliquaient qu'à deux

4 régions simplement.

5 Q. Quand vous dites que cela s'appliquait à deux régions, combien de

6 municipalités étaient-elles concernées ? Quelle partie du territoire de la

7 Krajina ?

8 R. Un tiers du territoire; je l'ai déjà dit aujourd'hui. Un tiers du

9 territoire, mais moins d'un tiers de la population, parce que la partie

10 orientale qui était automatiquement incluse en Croatie, à savoir, la

11 Slavonie occidentale, était la partie la plus peuplée. Donc, il s'agissait

12 de 11 municipalités proches de ces deux villes, alors que les municipalités

13 croates, après 1991, étaient beaucoup plus petites dans l'Etat collectif de

14 la Yougoslavie.

15 Q. Je voudrais vous poser une question sans pour autant tirer des

16 conclusions. Est-ce que vous avez trouvé que ce plan vous était extrêmement

17 défavorable ?

18 R. Non seulement celui-ci était défavorable, c'était une véritable

19 insolence que de proposer ce plan pour la quatrième ou cinquième fois, avec

20 des conditions si défavorables, tout en le présentant comme une façon de

21 sauver le peuple serbe. Je me demande toujours pourquoi, aux Nations Unies,

22 ils ont osé offrir ce plan au peuple serbe.

23 Q. Est-ce que l'approche de M. Martic était semblable à la vôtre vis-à-vis

24 de ce plan ?

25 R. Je peux vous dire que la situation dans laquelle M. Martic s'est

26 retrouvé était bien plus difficile par rapport à la mienne. Sa situation

27 était grave, car le président Tudjman menaçait de congédier les forces des

28 Nations Unies et de les écarter du territoire croate. Stoltenberg, qui

Page 6179

1 était l'un des coprésidents, a dit à moi et à M. Martic à Belgrade que le

2 statut des forces de l'ONU en Krajina allait changer et que ces forces

3 n'allaient plus être les forces de protection. Le président s'est confronté

4 tout à coup au fait que la Croatie, même formellement parlant, n'allait

5 plus considérer la Krajina comme un territoire protégé par cette

6 organisation mondiale.

7 Q. Dans cette procédure, nous avons entendu plusieurs témoins qui ont

8 déposé au sujet du fait --

9 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Excusez-moi, Maître Milovancevic.

10 Avant que vous ne poursuiviez, je souhaite aborder une question.

11 Vous avez dit que M. Martic était plus déchiré que vous, alors que vous

12 n'avez pas dit concrètement parlant que vous étiez déchiré. Vous avez dit

13 comment vous vous sentiez à l'égard de ce nouveau plan. Mais qu'a fait ou

14 dit M. Martic à l'époque au sujet de ce plan qui vous pousse à dire qu'il

15 était déchiré ? Je ne vous comprends pas, là. Veuillez l'expliquer de

16 manière supplémentaire.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Madame le Juge, je comprends que vous ne

18 m'ayez pas compris et que peu de personnes comprennent la situation qui

19 prévalait à l'époque. M. Milan Martic était le président d'un Etat, d'un

20 Etat suffoqué, d'un Etat qui a perdu un grand nombre de membres de sa

21 population, car il n'était pas possible de vivre sous les sanctions. La

22 plupart des familles essayaient de se sauver. Beaucoup d'entre eux sont

23 partis en Serbie ou dans des pays tiers. Je pense que par rapport à l'année

24 1992, je pense que la population de la République de Krajina serbe s'est

25 vue divisée par deux, donc même militairement elle ne pouvait pas

26 s'opposer.

27 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre,

28 mais la question qui vous a été posée par Me Milovancevic était de savoir

Page 6180

1 quelle était la position de M. Martic par rapport à ce plan, ce qu'il

2 essayait d'obtenir de vous et comment vous compreniez l'attitude et

3 l'approche de Martic vis-à-vis de cela. Je pense que vous pourriez répondre

4 cette question d'une manière plus directe. Veuillez essayer de le faire,

5 car ceci est important pour nous. Essayez de le dire pour que ce soit

6 consigné au compte rendu d'audience.

7 Nous parlons de M. Martic et de son approche du plan. Vous avez

8 mentionné qu'il avait été déchiré. Cela peut être un point de départ, mais

9 vous devez nous dire quelle a été sa réaction à ce plan, comment il l'avait

10 perçu, comment il a réagi à ce plan. Veuillez nous dire les éléments

11 concernant lui, le concernant, mais non pas concernant les circonstances

12 historiques. Nous comprenons tous cela. Veuillez poursuivre votre

13 déposition et nous répondre à ce qui nous intéresse.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est très simple. Le président Martic

15 s'était vu confronter au fait que les troupes des Nations Unies n'allaient

16 plus être des troupes de protection. Il a demandé à l'ambassadeur américain

17 de faire en sorte que le plan fasse l'objet des discussions seulement après

18 le renouvellement de la FORPRONU, du mandat de la FORPRONU par le Conseil

19 de sécurité, suivant les mêmes termes et conformément au plan Vance. Il l'a

20 supplié de ne pas négocier avant ce moment, mais seulement après la

21 confirmation de la part des Nations Unies concernant ce qui avait été

22 envisagé par le plan Vance. C'est là que le conflit a éclaté. Cette

23 proposition du président Martic a été interprétée de manière erronée et

24 malveillante.

25 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Pourquoi dites-vous cela ?

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Je le dis, car il ne fallait même pas

27 proposer ce plan. Il avait été proposé quatre fois auparavant, je l'ai dit;

28 en 1992 à Knin, à New York en février 1993, à Genève pendant trois mois, et

Page 6181

1 là, c'était la cinquième fois que l'ambassadeur américain le proposait,

2 alors qu'il comportait des conditions humiliantes.

3 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci beaucoup. Merci, Maître

4 Milovancevic.

5 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci à vous, Madame le Juge.

6 Q. Monsieur Jarcevic, vous avez expliqué tout à l'heure, en répondant aux

7 questions de la Juge Nosworthy, que le mandat de la FORPRONU allait être

8 terminé. Est-ce que vous pouvez nous dire qui allait mettre fin au mandat

9 de la FORPRONU, et si oui, est-ce que vous pouvez nous dire si ceci a eu

10 lieu effectivement ou est-ce que le mandat a été prorogé ?

11 R. Tout d'abord, je dois dire que ceci s'est fait suite à la demande des

12 autorités croates. Normalement, au bout du mandat de la FORPRONU, ce mandat

13 était renouvelé à chaque fois pour six mois. Mais à chaque fois, à la fin

14 d'un mandat, les autorités croates exerçaient la pression pour que l'on

15 mette fin au mandat de l'ONU. Je ne sais pas si cette fois-ci, sous la

16 pression de la Croatie ou peut-être d'autres membres des Nations Unies, le

17 mandat de la FORPRONU a été changé. Elle ne s'appelait plus les forces de

18 protection, mais quelque chose comme les forces de l'ONU chargées du

19 rétablissement de la confiance. Je crois qu'il s'appelait UNCRO; UNCRO

20 représente l'abréviation indiquant l'Etat croate, la Croatie, conformément

21 à ce que l'on voit sur les plaques d'immatriculation croates encore

22 aujourd'hui.

23 Q. Vous venez de nous dire que M. Martic avait demandé à l'ambassadeur

24 américain, M. Galbraith, de ne pas lancer de discussions sur le plan avant

25 le renouvellement du mandat des forces de l'ONU. Vous dites que cette

26 demande a été interprétée de manière malveillante et erronée par la suite.

27 Qui l'a interprétée ainsi, s'il vous plaît ?

28 R. Tous les médias, à la fois en Yougoslavie et à l'étranger, ont qualifié

Page 6182

1 cela de l'entêtement des Serbes de Krajina, alors que personne n'a

2 mentionné ce dont j'ai parlé aujourd'hui, qu'au cours de toutes ces

3 négociations menées au préalable, les Serbes de Krajina avaient accepté

4 tous les termes qui n'ont jamais abouti, en raison du refus des Croates de

5 signer quoi que ce soit. Partout dans le monde, ceci a été interprété

6 ainsi, et les chefs d'Etat et les journalistes écrivent encore aujourd'hui

7 que c'étaient les Serbes de Krajina qui ne souhaitaient pas la paix.

8 Q. Est-ce qu'ils souhaitaient la paix, eux ?

9 R. Maître Milovancevic, je pense que j'ai déjà répondu à cette question.

10 Vous pouvez imaginer à quoi cela ressemblait lorsque les Croates ont même

11 prêté une sourde oreille à l'invitation lancée par le ministère des

12 Affaires étrangères d'un Etat aussi puissant que la Grande-Bretagne, alors

13 que j'étais là-bas pendant cinq jours, en train de les attendre.

14 Q. Je suppose que votre réponse est oui. Le refus de Martic de prendre en

15 considération ce plan avant le renouvellement du mandat des forces de

16 l'ONU, est-ce que c'était un rejet définitif ou simplement en fonction du

17 règlement de cette autre question ? Je pense que vous avez déjà répondu à

18 une partie de cette question.

19 R. Martic ne faisait que demander de ne pas changer le mandat des forces

20 de l'ONU. Les trois parties avaient déjà signé le plan, y compris la

21 Krajina, et le président de l'assemblée l'a signé au nom de la Krajina. La

22 Yougoslavie l'a signé aussi. Il était tout à fait normal que les trois

23 parties soutiennent ce plan.

24 Q. Merci. En mars 1995, le Conseil de sécurité de l'ONU a émis une

25 nouvelle résolution qui changeait le mandat des forces du maintien de

26 l'ordre, du maintien de la paix. Cette force y est restée, sur le

27 territoire de la Krajina.

28 R. Oui, mais les Croates ont dit à leurs interlocuteurs dans d'autres pays

Page 6183

1 et à leur propre public que ces forces ne protégeaient plus la population

2 serbe. D'ailleurs, d'après leur nom, c'était vraiment le cas, ce qui

3 voulait dire que ce territoire n'était plus placé sous la protection des

4 Nations Unies et que les Croates étaient en mesure d'effectuer une

5 agression sur ce territoire. Comme je l'ai dit dès le début, les Croates

6 avaient placé les Serbes dans une situation hors la loi, et maintenant les

7 Serbes étaient même hors la loi sur le plan international.

8 Q. Monsieur Jarcevic, ce nouveau nom, UNCRO, s'appliquait à la mission de

9 l'ONU, et l'UNCRO a pris un nouveau rôle sur le territoire des zones

10 préalablement protégées. Après cela, est-ce que le plan Z-4 a été

11 ressuscité ? Car maintenant, la condition de M. Martic était remplie, est-

12 ce que ce plan a été soumis aux Croates ?

13 R. Maître Milovancevic, je pense que vous faites une erreur. La demande de

14 M. Martic n'a pas été retenue et les forces ont obtenu un autre rôle. Ils

15 n'avaient plus de rôle de protection.

16 Q. Merci. Malgré cela, est-ce que ce plan a été proposé de nouveau ou

17 pas ?

18 R. Je ne sais pas si le plan Z-4 a encore été proposé, mais je sais qu'il

19 a été utilisé en tant que moyen de propagande à l'encontre du gouvernement

20 et du président de la RSK. Les journalistes en Serbie étaient les fers de

21 lance dans cela.

22 Q. A la mi-mars 1995, lorsque l'accord de Zagreb sur la séparation des

23 forces et la cessation des hostilités était en vigueur, le Conseil de

24 sécurité a émis une résolution ou une décision, plutôt, portant sur le

25 nouveau de ces forces, des forces de l'ONU. Est-ce que vous vous souvenez

26 si la Croatie a attaqué ce territoire ? Est-ce que vous vous souvenez quand

27 c'était le cas en 1995 ?

28 R. Ceci était un signal pour les Croates, indiquant que les forces de

Page 6184

1 l'ONU ne protégeaient plus ce territoire. Et moi, en tant que ministre, je

2 faisais souvent des commentaires au sujet du fait que de manière

3 impertinente, par le biais de leurs ambassades à New York et d'autres

4 organes de sécurité, ils appelaient toujours le plan Vance le plan Z-4, le

5 plan Vance. Nous avons demandé aux officiers de l'ONU et au Conseil de

6 sécurité de défendre leur document de telles attaques croates, mais ils

7 n'ont jamais répondu.

8 Q. Nous allons maintenant parler de l'année 1992, des questions que vous

9 avez déjà mentionnées. Il s'agit des activités des forces armées croates

10 dans la région de Kupres. Donc les forces croates étaient actives en

11 Bosnie-Herzégovine, dans la région de Kupres. Vous avez dit que c'était en

12 avril.

13 R. C'était le 3 avril.

14 Q. Est-ce que mis à part cette région-là, les forces croates ont agi

15 ailleurs en Bosnie-Herzégovine ?

16 R. Cela, c'est un véritable précédent inouï. Les forces croates, les

17 forces de l'Etat de Croatie formellement connues par le Vatican et

18 l'Allemagne avant d'autres pays ont fait irruption sur le territoire de la

19 Bosnie-Herzégovine dans la région de Kupres, au nord de la Bosnie-

20 Herzégovine. C'est dans la région dans laquelle je suis né moi-même. Il

21 s'agissait là des forces croates régulières qui ont attaqué avec leurs

22 chars, leur artillerie et toutes sortes d'armes. Je vous ai dit que nous

23 nous attendions à cette attaque, donc nous avons évacué la plupart des

24 Serbes en Bosnie-Herzégovine. Mais les civils serbes ont beaucoup souffert

25 dans cette région. Par exemple, les forces croates ont violé des Serbes,

26 des jeunes filles serbes devant leurs parents, et ensuite ils les ont

27 massacrées, toutes. Ceci a été montré une fois à la télévision de Belgrade,

28 mais plus jamais. Par exemple, il y avait un massacre connu dans le village

Page 6185

1 de Sijekovac et ailleurs, et ensuite, les forces croates ont coupé la route

2 vers Posavina, de sorte que certaines parties de la Republika Srpska et de

3 la République de la Krajina serbe se sont trouvées isolées et désespérées.

4 Ils étaient isolés par les forces agressives croates.

5 Q. Lorsque vous parlez du fait que toutes les communications ont été

6 coupées en Bosanska Posavina, est-ce que vous parlez de ce qu'on appelle en

7 général le couloir ?

8 R. Oui. Je ne sais pas qui a inventé ce terme, comme s'il s'agissait d'un

9 couloir qui traversait un territoire étranger, alors que ce territoire, le

10 territoire de la Posavina, était peuplé par les Serbes, et ils y sont

11 majoritaires malgré le fait qu'au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les

12 Serbes de cette région avaient péri dans le camp de concentration de

13 Jasenovac, qui a été constitué conformément aux lois croates de 1941,

14 mettant les Juifs et les Serbes hors la loi.

15 Q. Est-ce que ce que vous êtes en train de dire signifie que les forces

16 régulières croates avaient abandonné le territoire de la Croatie reconnu

17 par certains pays et sont entrées sur le territoire de la Bosnie pour

18 s'emparer d'une région à majorité serbe ? C'est ce que vous dites ?

19 R. Oui. Il est surprenant de noter que les Nations Unies et leurs membres

20 n'ont pas condamné la Croatie en raison de cette agression, alors que ceci

21 a provoqué par la suite d'autres massacres. Les Serbes n'ont pas provoqué

22 la guerre en Bosnie-Herzégovine ni en Croatie, d'ailleurs.

23 Q. Monsieur Jarcevic, vous êtes devenu ministre des Affaires étrangères de

24 la RSK fin octobre 1992. Nous avons déjà mentionné la situation qui

25 prévalait en Bosnie, dans les villages qui se trouvaient le long de la

26 frontière croate, au nord. Est-ce qu'il y a eu des conflits avec les forces

27 croates ? Là, veuillez me le dire non pas seulement sur la base de ce que

28 vous avez lu dans la presse, mais est-ce qu'il en était question lors des

Page 6186

1 sessions du gouvernement, lorsque vous êtes devenu son membre ?

2 R. Lorsque je suis devenu membre du gouvernement, je vous ai déjà dit que

3 j'avais passé en revue les documents portant sur les événements de l'année

4 1990, lorsque la Croatie s'apprêtait a faire sécession de la Yougoslavie et

5 ne souhaitait pas le faire conformément à la constitution de la Yougoslavie

6 selon laquelle chaque république avait la possible de sortir de la

7 Yougoslavie. Il s'agissait là d'une constitution communiste, mais croyez-

8 moi, aucun autre Etat n'a de telles dispositions permettant à ses

9 composantes de sortir de la fédération. Donc, c'était prévu, mais compte

10 tenu du fait que les Serbes avaient le droit de constituer leur propre

11 Etat. Ils étaient un peuple constitutif au sein de la Croatie. Ils savaient

12 que pour ce faire, ils avaient besoin de l'accord de la communauté serbe,

13 car en vertu de la constitution, les deux parties devaient être d'accord

14 pour qu'une république puisse sortir de la fédération. C'est la raison pour

15 laquelle les Croates ne pouvaient pas s'emparer de la terre serbe et sortir

16 de la Yougoslavie de manière paisible. C'est la raison pour laquelle ils

17 ont commencé la guerre et commencé les persécutions des Serbes en 1990.

18 En ce qui concerne le corridor de Kupres au sujet duquel vous m'avez posé

19 votre question, ceci faisait partie de cette sécession forcée de la

20 Yougoslavie, lorsque les Croates se sont emparés des terres serbes et

21 lorsqu'ils ont expulsé la population serbe.

22 Q. Dans le compte rendu d'audience, il a été écrit en anglais que les

23 Croates ne pouvaient pas quitter la Yougoslavie, car la partie croate

24 n'allait pas donner son accord. Vous voulez dire serbe ?

25 R. Oui, la partie serbe, car la Croatie était un Etat comportant deux

26 nations.

27 Q. Vous êtes en train d'essayer de nous dire qu'afin de quitter la

28 Yougoslavie, la Croatie, d'après la constitution en vigueur à l'époque,

Page 6187

1 avait besoin de l'accord à la fois du peuple serbe et du peule croate de

2 Croatie ?

3 R. Oui, tout à fait, et ils avaient besoin de l'accord des cinq autres

4 républiques également.

5 Q. Merci. Ma question est beaucoup plus directe. Avant la pause, je

6 souhaite vous demander, sur la base des documents que vous avez pu passer

7 en revue en tant que nouveau ministre des Affaires étrangères et sur la

8 base de votre participation aux sessions de cabinet, est-ce que vous avez

9 appris ce qui se passait dans le couloir et pourquoi les forces serbes ont

10 dû combattre là-bas ?

11 R. Maître Milovancevic, il y avait des incidents affreux. A Banja Luka,

12 par exemple, il y a eu treize bébés nés de manière prématurée. A l'époque,

13 les femmes serbes donnaient naissance souvent de manière prématurée à cause

14 du stress. Ces femmes avaient été expulsées de la Bosnie centrale ou des

15 villes croates. Ces enfants ne pouvaient pas survivre sans oxygène.

16 Imaginez-vous la chose suivante : le Conseil de sécurité a reçu une requête

17 demandant d'acheminer de l'oxygène par avion, de faire exception à leur

18 dispositif. Imaginez-vous que le Conseil de sécurité a refusé. Tous les

19 bébés sont morts, sauf un de ces enfants est mort cette année, car son

20 organisme était très faible.

21 Un ami, un de mes amis à Knin avait eu une greffe de rein qui lui avait été

22 cédé par son propre frère et il devait aller à Belgrade afin de recevoir de

23 l'aide médicale pour son rein, et il ne pouvait pas traverser ce couloir.

24 Donc, en raison de cela, son rein a pourri, et il est dépendant de la

25 dialyse depuis 15 ans.

26 En tant que ministre des Affaires étrangères, j'ai envoyé une lettre

27 au Conseil de sécurité en leur demandant d'ériger un monument devant le

28 palais de l'ONU, un monument qui serait conforme à l'image créée par un de

Page 6188

1 nos artistes qui a peint un ange avec 12 bébés morts. J'ai demandé que de

2 telles tragédies ne se répètent jamais. C'était cela, les conséquences de

3 la fermeture de ce couloir.

4 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci. Je pense que le moment est

5 opportun pour lever l'audience.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Nous allons lever l'audience et

7 reprendre demain matin à 9 h 00.

8 --- L'audience est levée à 13 heures 46 et reprendra le jeudi 13 juillet

9 2006, à 9 heures 20.

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28