Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 14 novembre 2006

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 [Le témoin dépose par vidéoconférence]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 20.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour. Avant que de commencer avec

7 l'audition du témoin suivant, je voudrais faire savoir que la Chambre de

8 première instance a été saisie d'une requête à des fins de certification.

9 Il s'agit d'une question urgente. Je ne sais pas si l'Accusation est en

10 position de fournir une réponse rapide aujourd'hui.

11 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, cela dépend. Cela

12 dépend si nous allons continuer à fonctionner avec le témoin.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, nous allons continuer avec le

14 témoin.

15 M. WHITING : [interprétation] Dans ce cas, je ne peux pas faire deux choses

16 à la fois. Je peux fournir ma réponse certainement tôt demain matin. Si

17 cela est bon pour vous - mais je vois que l'on fait non de la tête.

18 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Non, c'est trop tard.

19 M. WHITING : [interprétation] Et bien, je ne peux pas écrire une réponse

20 pendant que je suis en train de contre-interroger.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, je le comprends.

22 M. WHITING : [interprétation] Je peux le faire après l'audience, et peut-

23 être cela ne nous prendra-t-il pas trop de temps. Je vais rester ici et je

24 vais l'envoyer dès que je l'aurai finie.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous ne pouvez pas vous fier à l'un

26 quelconque de vos collègues de l'équipe ?

27 M. WHITING : [interprétation] Oui, je suppose que cela pourrait être le

28 cas. Si les Juges de la Chambre veulent obtenir une réponse dès

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1 aujourd'hui, nous allons le faire. Je vais prier M. Black de quitter le

2 prétoire pour s'en occuper. Je m'excuse de ne pas l'avoir auparavant;

3 j'aurais dû le faire tout de suite. Mme Hanne Walker est quelqu'un qui nous

4 a aidés. Nous aimerions qu'elle siège avec nous dans le prétoire. C'est la

5 raison pour laquelle elle est d'ailleurs ici.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bienvenu dans la salle d'audience.

7 Peut-être pourriez-vous tout de suite rédiger la réponse et remettre à plus

8 tard votre présence dans le prétoire.

9 M. WHITING : [interprétation] M. Black va s'excuser et je vais lui demander

10 de s'en aller rédiger cette réponse. Il est 14 heures 30 à présent.

11 J'espère que cela pourrait être fait avant 4 heures. Si ce n'est pas le

12 cas, ce sera un peu plus tard, mais toujours est-il que cela se fera

13 aujourd'hui.

14 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous en remercie et nous apprécions

15 l'effort que vous vous avez investi. Nous allons donc procéder à la

16 décision qui devra être rendue à des fins de certification dès aujourd'hui.

17 M. WHITING : [interprétation] Je comprends.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

19 Maître Milovancevic, à vous.

20 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

21 La Défense tient à informer les Juges de la Chambre de première instance du

22 fait que nous allons suspendre la présentation de nos éléments de preuve à

23 décharge jusqu'à ce que la question du statut de l'expert ne soit tranchée.

24 Nous avons deux rapports d'expert, l'un est un expert en matière de droit

25 international, c'est Mme Smilja Avramov. Nous nous trouvons dans une

26 situation extrêmement dramatique pour la Défense, à notre avis. Parce que,

27 en termes simples, la façon dont on a autorisé la présentation du rapport

28 d'expert du Pr Avramov a dépossédé la Défense de ses moyens de présentation

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1 de preuve à décharge suivant certains chefs d'accusation figurant à l'acte.

2 Je me réfère notamment aux chefs 18 et 20 de l'acte d'accusation. Il est

3 question --

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Milovancevic, comme nous vous

5 l'avons dit, cette argumentation, vous devez la coucher sur papier. Point

6 n'est nécessaire de le faire verbalement. Parce que, si vous voulez que

7 nous nous penchions sur les raisons de savoir pourquoi le rapport a été

8 expurgé de la façon dont cela a été fait, nous ne pourrons pas nous pencher

9 si cela n'est pas présenté de façon appropriée par écrit. Alors, je vais

10 dire quelque chose au sujet de vos deux phrases introductives. Je ne suis

11 pas tout à fait certain du fait de savoir si ce que vous voulez dire par

12 suspension de la présentation des éléments à décharge, parce que vous avez

13 l'intention d'interjeter appel. Et au cas où cet appel serait couronné de

14 succès, vous auriez l'intention de citer le témoin à comparaître pour

15 témoigner en pleine mesure. Maintenant, nous devrions continuer avec la

16 décision de cette Chambre de première instance. Bien entendu, si vous

17 n'êtes pas d'accord avec la décision prise par la Chambre de première

18 instance, chose que vous avez le droit de faire, vous pouvez interjeter

19 appel auprès de la Chambre d'appel, et au cas où celle-ci fournirait un

20 remède juridique qui serait à votre avantage, vous seriez à même de

21 résoudre la situation qui est survenue au niveau de cette Chambre de

22 première instance. Maintenant je voudrais vous laisser entendre de vous

23 repencher sur la nécessité de citer le témoin suivant afin que nous

24 puissions continuer avec notre travail.

25 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je vous remercie

26 et j'ai bien compris ce que vous venez de dire. Je suis parfaitement

27 conscient du rôle qui est le mien, notamment lorsque l'on tient compte du

28 principe de l'efficacité de la procédure. Ce que j'ai voulu dire ce n'était

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1 pas une tentative de présenter une argumentation concernant les opinions

2 qui sont les nôtres; je voulais juste vous avancer les raisons pour

3 lesquelles la Défense a pris la position qu'elle a prise. Le rapport

4 d'expert du Pr Avramov a vu expurger la conclusion, ce qui constitue la

5 substance même de ses constatations.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Milovancevic, je m'excuse.

7 Comme je vous l'ai déjà dit, dans la mesure où la Chambre d'appel viendrait

8 en aide à votre équipe et autoriserait le versement de ces conclusions, il

9 sera procédé à l'examen de cette partie-là de son témoignage. Pour le

10 moment la Chambre de première instance a rendu une décision particulière,

11 et nous aimerions continuer conformément à la décision de la Chambre de

12 première instance. Vous ne pouvez pas avoir les deux. Vous ne pouvez pas

13 interjeter appel et dire : Je m'excuse, en attendant je ne peux pas

14 participer à la procédure, mais j'en termine avec la présentation de mes

15 éléments de preuve. Si vous mettez un terme à la présentation de vos

16 éléments à décharge, cela est terminé. On peut alors attendre la décision

17 de la Chambre d'appel, mais vous ne pouvez pas faire du chantage vis-à-vis

18 de la Chambre de première instance, parce que c'est précisément ce que vous

19 êtes en train de faire.

20 [Le conseil de la Défense se concerte]

21 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais

22 aux Juges de la Chambre une pause de 15 minutes à des fins de consultation

23 de l'équipe de la Défense avec la participation de M. Martic.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous allons lever l'audience et nous

25 allons reprendre à trois heures quart.

26 --- La pause est prise à 14 heures 30.

27 --- La pause est terminée à 14 heures 49.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Milovancevic ?

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1 M. MILOVANCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, suite aux consultations

2 que nous avons eues, je tiens à fournir aux Juges de la Chambre une

3 information qui se conformera à la suggestion des Juges de la Chambre pour

4 poursuivre avec nos activités pour ce qui est de la partie du rapport

5 d'expert de Mme Avramov que les Juges de la Chambre ont autorisé à faire

6 verser par la décision rendue. Je tiens également à présenter une autre

7 remarque afin que vous compreniez bien la position de la Défense. Notre

8 intention n'a nullement été de faire du chantage vis-à-vis de la Chambre de

9 première instance ni de la Chambre d'appel. Mais nous avons estimé que par

10 l'expurgation qui a été faite du texte du rapport d'expert est de nature à

11 détruire la conception, à saborder la conception de la Défense, de l'équipe

12 de la Défense. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté la toute

13 première des positions que nous avons avancées. Nous avons donc accepté

14 votre suggestion, compte tenu du fait que la procédure de l'obtention d'une

15 réponse de la part du Procureur est en cours, que cela se fait de façon

16 urgente. Aussi, allons-nous poursuivre nos activités mais en ne laissant,

17 bien entendu, que ces parties du rapport d'expert du Pr Avramov pour ce qui

18 est de la médiation de la Communauté européenne et de la reconnaissance ont

19 constitué une réponse directe aux allégations de ce qui figure au chef 68.

20 Bien que ces faits et ces sujets soient avancés à l'acte d'accusation par

21 l'Accusation, pour ce qui est des fondements de l'acte d'accusation, nous

22 avons été privés de la possibilité de traiter de ces points-là. C'est la

23 raison pour laquelle nous avons avancé les problèmes que cela suscitait au

24 niveau de la Défense. Je ne voudrais pas vous faire perdre davantage de

25 temps sur ce point, mais je tiens à dire que

26 M. Nikola Perovic, le co-conseil de l'équipe de la Défense, se chargera de

27 conduire l'interrogatoire du Pr Avramov.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Milovancevic. Nous

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1 avons perdu beaucoup de temps. J'espère que nous allons pouvoir en terminer

2 avec ce témoin dans les délais de temps imparti. Maître Perovic, à vous.

3 M. PEROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je cite à comparaître

4 en guise de témoin de Défense et d'expert de l'équipe de la Défense, le Pr

5 Smilja Avramov.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Perovic.

7 [Le témoin dépose par vidéoconférence]

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'aimerais que le témoin nous donne

9 lecture de sa déclaration solennelle.

10 Est-ce que quelqu'un est là-bas pour aider le témoin ?

11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Oui.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'entends le bruit de votre voix, mais

13 je ne vois pas votre visage. Maintenant ça va mieux.

14 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Nous n'avons aucun son.

15 L'INTERPRÈTE : Le Greffier demande au témoin de donner lecture de la

16 déclaration solennelle.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

18 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

19 LE TÉMOIN: Smilja Avramov [Assermentée]

20 [Le témoin dépose par vidéoconférence]

21 [Le témoin répond par l'interprète]

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Grand merci, Madame. Vous pouvez vous

23 rasseoir.

24 A vous, Maître Perovic.

25 M. PEROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

26 Interrogatoire principal par M. Perovic :

27 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Avramov.

28 R. Bonjour.

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1 Q. Est-ce que vous m'entendez bien ?

2 R. Très bien.

3 Q. Parfait. Avant de commencer à vous poser des questions concernant votre

4 rapport d'expert, je voudrais vous demander de nous donner l'essentiel de

5 votre biographie. Je vous aiderai à le faire. Vous êtes née en 1918, n'est-

6 ce pas ?

7 R. Oui.

8 Q. Vous êtes née où ?

9 R. A Pakrac. C'est la Croatie d'aujourd'hui.

10 Q. Vous avez terminé des études supérieures à un lycée ?

11 R. J'ai fait un lycée classique, ensuite des études à la faculté de droit

12 à Vienne et à Zagreb. Mes études de troisième cycle, je les ai terminées à

13 Londres chez le Pr Swertzenberger [phon] en défendant ma thèse de doctorat

14 les normes de la loi internationale sur le plan économique, et mon doctorat

15 en matière de sciences ès droit, je l'ai obtenu à Belgrade, étant donné que

16 j'ai défendu ma thèse de doctorat : relation entre --

17 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas entendu.

18 R. J'ai publié une dizaine de livres et d'études scientifiques.

19 Q. Vous êtes professeur de la faculté de droit à Belgrade et vous êtes à

20 la retraite, n'est-ce pas ?

21 R. Oui.

22 Q. Combien de temps avez-vous passé en cette qualité-là à la faculté de

23 droit et à l'université de Belgrade ?

24 R. Trente-neuf ans. Entre-temps, j'ai également enseigné dans de

25 nombreuses facultés du pays et à l'étranger; Japon, Amérique, Angleterre,

26 Londres, et cetera.

27 Q. Avez-vous été membre de certaines associations internationales ?

28 R. Oui. J'ai été présidente de l'Association yougoslave du droit

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1 international. En 1980, j'ai été élue présidente du "International Law

2 Association." En plus, j'ai été présidente de la Conférence internationale

3 de la Paix et du désarmement entre 1968 et 1978. J'ai été membre de

4 plusieurs autres associations et organisations, mais plutôt

5 professionnelles.

6 Q. Excusez-moi, je n'ai pas branché mon micro. Avez-vous des

7 reconnaissances nationales et internationales pour le travail que vous avez

8 effectué ?

9 R. Oui, je me suis vu décerner la plus haute reconnaissance de mérite sur

10 le plan national, à savoir la médaille Dositej Obradovic. Cela m'a été

11 décerné pour toutes mes activités scientifiques et pédagogiques.

12 Q. Merci. Madame Avramov, veuillez m'indiquer, vous êtes à la retraite et

13 vous faites quoi ?

14 R. Je fais du droit international de nos jours encore. Je n'arrête pas de

15 publier beaucoup d'articles et de livres. J'ai publié, depuis mon départ à

16 la retraite, cinq ou -- non, six livres au total. Mes ouvrages les plus

17 récents sont plus ou moins consacrés à des problèmes d'actualité.

18 Q. Merci.

19 R. Auparavant, cela avait été plutôt philosophique et juridique. J'ai

20 également publié un manuel en matière de droit international, qui a été

21 réédité 19 fois et qui est encore utilisé de nos jours à la totalité des

22 universités en Serbie ainsi qu'à l'extérieur de la Serbie.

23 Q. Merci.

24 R. On a traduit mon livre, Le génocide en Yougoslavie, à la lumière du

25 droit international.

26 Q. Merci, Madame Avramov. Il me semble que ceci constitue une présentation

27 suffisamment exhaustive de vos activités. Dans votre rapport d'expert, vous

28 avez constaté que la Yougoslavie a été créée en 1918 dans le cadre de

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1 l'ordre établi par la Conférence de Versailles, le traité de Versailles et

2 partant des victoires militaires et politiques du royaume de Serbie qui

3 était le seul Etat souverain sur ce territoire, et c'était le seul allié

4 des forces alliées. Ensuite, après la guerre, cet Etat fédéral est

5 transformé dans le cadre d'une révolution socialiste en Etat socialiste,

6 n'est-ce pas ?

7 R. Oui.

8 Q. Quelle a été la position constitutionnelle des unités fédérales, ou

9 plutôt de l'Etat fédéral constitué de républiques fédératives les

10 constituant ?

11 R. La position des unités fédérales en Yougoslavie ne se différencie en

12 rien de la position des unités fédérales de tous les autres Etats fédéraux.

13 Cela signifie que sur le plan local, ces unités disposaient d'une grande

14 autonomie mais aucune ingérence ou aucune attribution en matière de

15 relations internationales et de droit international. En d'autres termes, ce

16 que je voulais dire, c'est que le seul intervenant en matière de droit

17 international et des relations internationales, c'était la République

18 socialiste fédérative de Yougoslavie, qui était la seule à avoir les

19 attributs cruciaux de la souveraineté internationale, et elle était la

20 seule à pouvoir être représentée au niveau des organisations

21 internationales. Il y avait des missions diplomatiques et consulaires qui

22 étaient celles de la fédération. La fédération était la seule à pouvoir

23 signer des traités internationaux et à recourir à l'usage de la force.

24 Ces déterminantes principales étaient détenues par la fédération. A

25 ce titre-là, la République socialiste fédérative de Yougoslavie,

26 indépendamment des modifications socio-économiques qui sont survenues à

27 l'occasion de la révolution, ont permis à cet Etat de préserver un statut

28 unique d'Etat, à savoir d'intervenant unique en matière de droit

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1 international. Je tiens à préciser un autre élément qui devrait être d'une

2 importance cruciale, à savoir que les changements révolutionnaires survenus

3 au niveau de la Yougoslavie n'ont pas influé sur le statut en matière de

4 droit international de la Yougoslavie, parce qu'à la conférence de Jalta,

5 trois grands hommes d'Etat ont officiellement et par écrit confirmé la

6 continuité de l'Etat yougoslave qui avait, auparavant, été un royaume et

7 qui est, par la suite, devenu une Yougoslavie socialiste.

8 Q. Merci. Donc, la Yougoslavie au niveau de la communauté internationale a

9 fait figure de seul et unique intervenant en matière de droit

10 international; est-ce c'est ce que l'on pourrait dire ?

11 R. C'est exact.

12 Q. Merci. Au niveau de la constitution de la RSFY, dans sa partie

13 introductive qui a un caractère déclaratif, il est fait état du droit à

14 l'autodétermination pour ce qui est des républiques membres de la

15 fédération. Est-ce que ce droit à l'autodétermination englobe le droit à la

16 sécession ? Est-ce que ce sont là deux notions qui constituent synonymes ?

17 R. La plupart des théoriciens, notamment au niveau des Nations Unies, à

18 plusieurs reprises, il a été souligné à plusieurs reprises que la notion

19 d'autodétermination sur le plan des notions doit être dissociée de la

20 notion du droit à la sécession d'un Etat. Ce sont là deux catégories

21 juridiques différentes. L'autodétermination est une catégorie de droit, la

22 sécession est une catégorie politique.

23 Dans la plupart des éléments de la doctrine du droit international, cela

24 n'a jamais été reconnu comme étant une relation de droit pour ce qui est de

25 la création d'un Etat nouveau. Cela a été reconnu au niveau de la doctrine

26 soviétique et cela a été la conséquence de l'enseignement léninien [phon]

27 qui laissait entendre que le droit à l'autodétermination sous-entendait le

28 droit à la sécession. Mais cela n'avait qu'un caractère idéologique étant

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1 donné que Lenine, à l'époque, dans cette notion, avait entrevu une façon,

2 une modalité visant à briser, à faire échouer les Etats impérialistes. Mais

3 la doctrine européenne et extra-européenne était fermement d'avis pour dire

4 que la sécession n'a aucun fondement juridique et ne constitue pas une

5 règle en matière de droit international. Et du reste, de nos jours encore,

6 il n'existe pas en matière de droit international, aucune loi qui

7 approuverait la sécession qui, en sa qualité de fondement juridique pour la

8 création d'Etat nouveau. Il n'y a pas que cela. Dans le système judiciaire

9 de la Cour pénale internationale, cela a été confirmé, non pas seulement

10 actuellement, mais cela a également été confirmé entre les deux guerres

11 mondiales du temps de la société des peuples.

12 Q. Est-ce que je vais me tromper si je dis que le droit à

13 l'autodétermination ne sous-entend pas automatiquement à un droit à la

14 sécession ?

15 R. Non.

16 Q. Je vous demanderais, Madame le Professeur, de parler un peu plus

17 lentement afin que les interprètes puissent interpréter vos propos.

18 R. Oui.

19 Q. Merci. Nous avons dit que ce principe d'autodétermination n'inclut pas

20 automatiquement un droit à la sécession, n'est-ce pas ?

21 R. C'est exact.

22 Q. Dans votre rapport, vous avez précisé que les actes de sécession de la

23 Slovénie et de la Croatie étaient constitutionnels et violents. Pourquoi

24 avez-vous pris cette position-là ?

25 R. En premier lieu, la sécession est mentionnée dans la constitution de

26 1974, et ceci, dans son avant-propos. Cela a été fait à titre déclaratif.

27 Mais dans la partie constitutionnelle, il est explicitement dit que les

28 frontières ne sauraient être modifiées que moyennant l'approbation de

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1 toutes les unités fédérales et des deux provinces autonomes. Par

2 conséquent, la sécession est un acte pluridimensionnel. Pour être accepté,

3 il ne faudrait pas que cela se fasse de façon unilatérale. En sa qualité

4 d'acte unilatéral, cela est contraire à la constitution ainsi qu'à la

5 charte des Nations Unies. Parce que, comme vous le savez parfaitement bien,

6 les Nations Unies n'ont pas reconnu la sécession de Chypre jusqu'à la date

7 d'aujourd'hui. Il n'y a que la Turquie qui l'a reconnue. Et vous savez

8 parfaitement bien comment ce processus de sécession a eu lieu au niveau du

9 Katanga au Congo, lorsque les Nations Unies ont catégoriquement jugé et

10 estimé que la sécession ne pourrait jamais être reconnue par les Nations

11 Unies. Ce sont là les propos du secrétaire général de l'époque, U Thant. Et

12 cela c'est vu confirmé dans plusieurs textes de résolutions que j'ai,

13 d'ailleurs, indiqués dans mon rapport.

14 Q. Je ne vais pas y revenir, mais en votre qualité de professeur en

15 matière de droit international de longue date, avez-vous des exemples de

16 sécession qui aurait été reconnue internationalement ?

17 R. Non. C'était la pratique de Hitler. Qui, sous la pression de la

18 communauté internationale, ont vu des sécessions d'opérées et des annexions

19 par l'Allemagne. Mais après la guerre, cela a été supprimé. Une

20 reconnaissance unilatérale de toutes sécessions par la communauté

21 internationale n'a pas été confirmée dans la pratique, mis à part ce qui

22 s'est produit sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. D'où cela constituera-

23 t-il et constitue de nos jours déjà est l'objet d'étude de longue haleine

24 et, bien entendu, de bons nombres de critiques.

25 Q. Madame Avramov, comment expliquez-vous justement ce fait-là, à savoir

26 que dans ce cas-là, il a été fait les recours à des précédents pour ce qui

27 est de la Croatie et de la Slovénie ? Pourquoi la communauté internationale

28 a-t-elle renoncé à ses principes les plus élémentaires ?

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1 R. Attendez. Je ne vous ai pas encore répondu pour dire pourquoi cela a

2 été violent. Parce que les préparatifs en vue de la sécession se sont

3 déroulés au fil de plusieurs années avant que la sécession ne survienne, et

4 ceci s'est fait sur deux voies; sur un plan intérieur et sur un plan

5 international. Pour ce qui est de ces éléments-là, une grande partie du

6 travail a été faite par l'émigration croate qui était très bien organisée

7 et qui, en 1990, procède à un retour en force dans le pays. Quand je parle

8 de l'émigration, je parle de l'émigration qui date de la Deuxième Guerre

9 mondiale. Parce que, comme vous le savez, il avait été créé un Etat

10 indépendant croate sous l'égide du Reich allemand, à savoir c'était une

11 création nazie. C'est là que, au retour dans le pays et avec la création du

12 HDZ, à savoir de ce rassemblement démocratique croate, il a été du fait du

13 système pluraliste mis en place au premier congrès du HDZ, souligné que

14 l'objectif de la Croatie était en fait un retour à ses positions

15 historiques. Franjo Tudjman, en parlant de position historique de la

16 Croatie, a parlé de frontières allant jusqu'à Zemun, à savoir le statut qui

17 avait été celui de la Croatie sous l'occupation nazie. Mis à part ce fait-

18 là, avant qu'il n'y ait sécession, il y a eu armement et création de forces

19 paramilitaires au sein de la Croatie même, au sujet de quoi vous avez bon

20 nombre de documents, et il y a eu également des attaques isolées à

21 l'encontre de la population serbe. Ce que je veux dire, c'est que cette

22 entrée en matière quant à la sécession et la sécession même se sont

23 produites en parallèle avec la perpétration d'actes terroristes, toute une

24 série d'actes terroristes.

25 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je pense que le témoin expert est

26 entré dans un segment qui sort de son domaine d'expertise.

27 M. PEROVIC : [interprétation] Je ne reçois pas l'interprétation en B/C/S.

28 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je voudrais poser une question. Je

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1 m'excuse de vous interrompre, Maître Perovic, mais j'aimerais parler de ce

2 sujet pendant que c'est encore tout frais.

3 M. PEROVIC : [interprétation] Madame le Juge, je n'ai pas d'interprétation

4 en B/C/S, je ne sais pas si le témoin a entendu ce que vous venez de dire.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai entendu.

6 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Vous m'avez déjà bien entendue,

7 Madame le Témoin, Madame Avramov ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je vous ai entendue.

9 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je voudrais vous poser plusieurs

10 questions. Excusez-moi d'intervenir dès à présent. Vous avez mentionné

11 l'article 5 de la constitution, n'est-ce pas ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

13 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Vous avez également soulevé la

14 question ou le sujet qui y est mentionné, à savoir qu'il ne pourrait y

15 avoir sécession qu'avec le consentement de toutes les unités fédérales ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

17 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Corrigez-moi si je me trompe. Vous

18 avez fait une distinction entre la modification des frontières et la

19 sécession. Parce qu'une modification de frontières signifie exactement

20 cela. Par exemple, au cas où la Bosnie-Herzégovine essaierait de modifier

21 ses frontières en s'emparant de territoires appartenant à des Etats voisins

22 ou si la Yougoslavie essayait de faire une expansion de l'un de ses

23 territoires pour s'emparer de territoires de pays voisins, il me semble que

24 c'est une question qui est tout à fait différente de la question relative à

25 la sécession. Pouvez-vous m'expliquer si vous êtes d'accord avec cette

26 affirmation et si oui, pourquoi ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne suis pas d'accord du tout. Je tiens

28 d'abord à vous dire que la force militaire de la Yougoslavie n'est jamais

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1 sortie à l'extérieur de ses frontières. Les frontières de l'Etat ont été

2 confirmées par des traités internationaux pluripartites dès après la

3 Première Guerre mondiale et reconfirmées après la Deuxième Guerre mondiale,

4 et se sont portées garantes. De ces frontières internationalement reconnues

5 viennent faire figure les forces alliées dont faisait partie la

6 Yougoslavie, à savoir le royaume de Serbie pendant la Première Guerre

7 mondiale. Cela c'est l'un des aspects du problème. D'autre part, la session

8 avait pour objectif la modification des frontières, ce que le président de

9 la Croatie, Tudjman ainsi que M. Kucan, président de la Slovénie, ont

10 explicitement déclaré, et chose qui a fait partie de l'acte de sécession où

11 ce fait-là se trouve être constaté.

12 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je pense que vous n'avez pas tout

13 à fait compris exactement là où je voulais en venir. Il me semble que

14 j'aimerais que vous commenciez par décrire le processus de sécession, donc

15 nous donner une bonne définition de la sécession. Ensuite, par contraste ou

16 en complément, vous pourriez ensuite décrire ce qu'est exactement une

17 modification des frontières en nous donnant la définition des deux

18 concepts.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Du point de vue de droit international, la

20 sécession est une action unilatérale par laquelle un pays, par la force,

21 tente de quitter la communauté de l'Etat fédéral et des unités constituées

22 d'une unité fédérale pour mettre en place son propre Etat. Ce qui est

23 contraire au droit international au vu de la charte qui garantit

24 l'intégrité territoriale de tous ses membres. Je tiens à vous rappeler,

25 Madame, que la Yougoslavie fait partie des peuples fondateurs des Nations

26 Unies et signataire de la charte atlantique en date de 1er janvier 1992

27 [comme interprété].

28 A San Francisco en 1945, il a été affirmé que les membres qui

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1 faisaient partie de la coalition de guerre des Nations Unies détenaient un

2 statut bien spécifique et que l'organisation avait des obligations morales

3 bien spécifiques par rapport à ce type de pays.

4 Pour ce qui est des frontières, les frontières représentent un acte légal

5 multilatéral. Elles ne peuvent pas être donc établies de façon unilatérale.

6 Il faut que les deux pays contigus se mettent d'accord pour et que ceci se

7 fasse sous un contrôle international. Je tiens à vous rappeler que les

8 traités qui déterminent les frontières de la Yougoslavie ont été des

9 traités multilatéraux qui n'ont jamais été remis en question ou remis en

10 cause par aucun des pays, que ce soit la France, le Royaume-Uni, l'USA, qui

11 étaient les garants de la mise en œuvre.

12 La détermination des frontières est un processus qui se fait en deux

13 étapes. Tout d'abord, il convient de déterminer les frontières par

14 application d'un acte juridique, ensuite les déterminer. Il s'agit ici de

15 trouver exactement quelle est la ligne séparatrice entre deux pays. Donc,

16 il y a une mise en œuvre à la fois multilatérale et une autre unilatérale.

17 M. PEROVIC : [interprétation] Puis-je poursuivre ?

18 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Tout à fait. Mais il semble que

19 l'on est en train de nous dire que l'on ne peut pas faire sécession de

20 façon unilatérale, parce que l'article 5 stipule qu'une modification de

21 frontières ne peut se faire qu'avec le consentement de toutes les unités

22 fédérales. Il s'agit de multilatéralisme et non d'unilatéralisme.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] En effet, tout à fait. C'est pour cela que la

24 Slovénie et la Croatie ont agi de façon illégale et de façon contraire à la

25 constitution de la charte des Nations Unies. Si vous me permettez de

26 poursuivre, je tiens à rajouter la chose suivante.

27 M. PEROVIC : [interprétation] Madame Avramov, pourriez-vous vous arrêter.

28 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Non, j'ai un peu de mal à vous

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1 suivre. Parce que le témoin ne semble pas dire qu'il y a une distinction

2 entre la sécession et la modification des frontières quand elle se base sur

3 ce principe. Je ne sais pas si vous pouvez m'aider.

4 M. WHITING : [interprétation] Je ne sais pas si cela pourrait vous aider,

5 mais la constitution a été versée au dossier. C'est la pièce 480. Si la

6 Chambre de première instance considère que c'est utile, elle peut très bien

7 le regarder, l'article 5.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Non, cela ne nous aidera pas, parce

9 que c'est l'interprétation que fait le témoin de l'article. Il semble que

10 le Juge Nosworthy est en train de dire quelque chose qui, disons, qui est

11 contradiction entre ce que nous dit le témoin au titre de l'article 5 de la

12 constitution de 1974 et ce qu'elle dit en définissant la sécession. Puisque

13 par le biais de la constitution, la sécession doit se faire avec le

14 consentement de toutes les unités fédérales. Or, par définition, la

15 sécession ne peut être qu'un acte unilatéral. Il y a contradiction entre

16 les deux thèses. J'espère que j'ai bien exposé ce que vous vouliez dire.

17 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Tout à fait.

18 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

19 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] De plus, il semblerait qu'une

20 modification des frontières n'aurait absolument rien à voir avec la

21 sécession.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Tout d'abord, parce que les

23 modifications des frontières pourraient être d'abord affecter les

24 frontières internes ou les frontières externes, alors que la sécession,

25 elle, ne consiste qu'en une rupture des liens avec le pays parent.

26 M. PEROVIC : [interprétation] Il me semble que le témoin va être tout à

27 fait capable de vous expliquer ceci très clairement.

28 Q. Madame Avramov, avez-vous bien compris ce dont ont parlé les Juges ?

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1 R. Oui.

2 Q. Pouvez-vous poursuivre.

3 R. Je tiens à vous dire que la fédération était un produit d'une

4 révolution, d'une révolution socialiste communiste. La constitution ainsi

5 que son système constitutionnel ont été établi en se basant sur le modèle

6 de la constitution soviétique. La sécession, comme je l'ai dit, était un

7 résultat qui était autorisé par le système staliniste, communiste ou

8 socialiste. La sécession était incluse dans la constitution de la RSFY. Il

9 n'y a pas de contradiction parce que du point de vue pour ce qui est du

10 droit international, puisque la sécession, normalement, n'est pas

11 autorisable en tant que catégorie constitutionnelle, mais elle peut être

12 basée sur l'idéologie et l'identité. En tant que termes d'idéologie, les

13 identités légales et internationales sont bien différentes. L'Europe, après

14 la Guerre froide, en tant que politique de principe, a adopté un statu quo

15 ante, c'est-à-dire qu'il fallait revenir à l'état des Etats avant la

16 révolution socialiste en Europe. C'est ce qui s'est passé absolument

17 partout sauf en Yougoslavie. Je pense que c'est pour cela qu'il y a

18 confusion ici, confusion qui a été provoquée par la communauté

19 internationale ou, plus exactement, d'ailleurs, par la Communauté

20 européenne.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous pouvez poursuivre, Monsieur

22 Milovancevic.

23 M. PEROVIC : [interprétation]

24 Q. Madame Avramov, nous avons parlé de la sécession slovane et croate

25 comme étant un moment absolument crucial et un carrefour le moment où la

26 guerre ou la crise en Yougoslavie est devenue une guerre civile. Pourquoi

27 croyez-vous cela ?

28 R. C'est bien naturel, parce qu'à l'époque il y avait une mauvaise

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1 utilisation de la Défense populaire générale. Les unités fédérales ont

2 déclaré les unités paramilitaires comme faisant partie de leur propre armée

3 régulière, ce qui a créé énormément de trouble, surtout parce qu'il y a eu

4 une série d'incidents, une série de conflits et de confrontations. Toutes

5 les forces sécessionnistes dans les endroits de Croatie habités par des

6 Serbes ont essayé de prendre le pouvoir de façon violente, par exemple, à

7 Plitvica, Pakrac ou dans d'autres endroits, ce qui a amené à des conflits

8 armés. Ces conflits armés se sont envenimés de façon géométrique avec

9 l'implication de mercenaires et de volontaires. C'est un aspect, bien sûr.

10 Il y a aussi le facteur international, puisque les choses auraient pu

11 être évitées à ce moment-là. Avant que la guerre n'explose totalement, en

12 juillet 1991, en Yougoslavie, la Communauté européenne a exigé que la JNA,

13 l'armée populaire de Yougoslavie, qui était le seul pouvoir légitime

14 militaire du pays, qui était une force multinationale à tous niveaux depuis

15 les supérieurs hiérarchiques jusqu'au terrain, devait rentrer dans leur

16 caserne, ce qui a, bien sûr, facilité la tâche des paramilitaires, qui ont

17 pu encore plus violemment rentrer dans le conflit. C'est la deuxième raison

18 pour laquelle la guerre civile s'est envenimée.

19 Q. Très bien. Merci de cette explication. Je tiens à vous demander encore

20 une autre question : en tant qu'experte du droit international et en tant

21 que juriste, pouvez-vous nous dire à quel moment est-ce que les conflits

22 ethnique et nationaliste adoptent ou acquièrent leur forme la plus

23 épouvantable, la plus cruelle ?

24 R. J'ai toujours compté sur des sources internationales et sur la

25 littérature. Je tiens ici à citer M. Horowitz, qui est un expert bien

26 connu, un théoricien américain qui analyse la situation politique

27 contemporaine, qui a analysé ce qui s'est passé en Yougoslavie, et qui a

28 dit le moment critique d'une sécession, quand la sécession risque de

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1 devenir une guerre, c'est quand l'un ou l'autre des camps tout d'un coup

2 reçoit le support de la communauté internationale ou d'une partie de la

3 communauté internationale. C'est absolument crucial, parce qu'avec la

4 proclamation de la sécession, l'Allemagne, dès juin, a demandé que l'on

5 reconnaisse la Slovénie et la Croatie. Le Vatican, de sa part aussi,

6 insistait pour qu'il y ait reconnaissance de ces deux entités. Je tiens à

7 vous rappeler ici que 11 membres de la Communauté européenne, à ce moment-

8 là, étaient absolument contre la reconnaissance de la sécession. Il n'y

9 avait qu'un pays qui était en faveur de cette reconnaissance et c'était

10 l'Allemagne.

11 Q. Merci. Maintenant, j'ai encore une dernière question en tant qu'expert

12 de droit international. Savez-vous, s'il vous plaît, si la dissociation est

13 un terme employé en matière de droit international ?

14 R. Non, ce n'est pas un terme employé dans ce contexte-là. La dissociation

15 est un terme sociologique. En terminologie juridique on ne l'emploie pas.

16 On peut, certes, l'utiliser pour expliquer certains événements, mais ce

17 n'est pas un concept de droit. Il n'est pas accepté en termes de droit.

18 Q. Du point de vue du droit international, ce terme n'a absolument aucun

19 sens ?

20 R. Oui, cela a été utilisé pourtant. Parce que Tudjman et Kucan l'ont bel

21 et bien utilisé en tant qu'euphémisme. Je tiens aussi à vous rappeler ici

22 d'un moment très important lorsque nous étions encore dans la dernière

23 étape des négociations. Entre unités fédérales, quand tous les présidents

24 des unités fédérales ont été invités à une réunion des négociations - je

25 crois qu'on était en avril ou en mai 1991 - à ce moment-là, Tudjman,

26 catégoriquement, a refusé tout compromis. La seule chose qu'il voulait,

27 c'était que la Croatie soit établie et soit créée en tant qu'Etat

28 indépendant avec recours à la force si nécessaire.

Page 11052

1 Q. Merci, Madame Avramov. J'en ai terminé avec mon interrogatoire

2 principal. Je vous remercie, Madame Avramov.

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Perovic. Peut-être le

4 moment est-il opportun pour prendre la pause. Nous allons lever la séance

5 et nous reprendrons à 4 heures. Merci.

6 --- L'audience est suspendue à 15 heures 30.

7 --- L'audience est reprise à 16 heures 01.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Whiting, c'est à vous.

9 M. WHITING : [interprétation] Merci. Je tiens à informer la Chambre de

10 première instance que nous avons déposé notre réponse qui a été tout

11 d'abord déposée, qui a aussi été envoyée par e-mail ainsi que par fax.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

13 M. WHITING : [interprétation] Je ne sais pas si le rapport du témoin a reçu

14 une cote. Je ne sais pas s'il convient de donner une cote.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je ne sais pas si ce document a reçu

16 une cote, et bien sûr, il convient de savoir si

17 M. Perovic souhaite verser cette pièce au dossier.

18 M. PEROVIC : [interprétation] Je vous remercie d'avoir attiré mon attention

19 sur ce point. En effet, j'aimerais verser le rapport de l'expert au

20 dossier. Il conviendrait de lui donner une cote.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Perovic. Ce rapport

22 sera versé au dossier. Il faudrait lui donner une cote.

23 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce 1019.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Monsieur Whiting, vous pouvez

25 poursuivre.

26 M. WHITING : [interprétation] Merci.

27 Contre-interrogatoire par M. Whiting :

28 Q. [interprétation] Bon après-midi, Madame Avramov. Je m'appelle Alex

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1 Whiting. Je suis l'un des substituts en l'espèce. Est-ce que vous me

2 voyez ? Est-ce que vous me comprenez, s'il vous plaît ?

3 R. Oui. Tout à fait, je vous comprends.

4 Q. Bien. Nous avons une difficulté supplémentaire, puisqu'il y a une

5 liaison vidéo entre nous. Si à un moment quelconque que vous ne m'entendez

6 pas, vous ne me voyez pas, n'hésitez surtout pas à m'en faire part. Vous

7 êtes ici pour déposer au Tribunal en tant qu'expert juridique; c'est bien

8 cela, n'est-ce pas ?

9 R. Tout à fait.

10 Q. En tant que professeur de droit, en tant qu'expert juridique, sous

11 serment en l'espèce, est-il important pour vous d'être extrêmement précise

12 dans ce que vous avez rédigé dans votre rapport puisque ce rapport a été

13 versé au dossier ? Il convenait, bien sûr, que vous soyez extrêmement

14 précise dans vos propos, n'est-ce pas ?

15 R. J'ai rédigé ce rapport grâce à mes compétences, et dans ce rapport j'ai

16 relayé mes opinions, mes convictions. Bien sûr, toute ma déontologie

17 professionnelle a gouverné mon travail. Ce rapport est le produit de mes

18 convictions les plus profondes et de l'étude approfondie de tous ces sujets

19 que j'ai faite depuis longtemps puisque j'ai déjà publié un grand nombre

20 d'ouvrages portant sur ces domaines.

21 Q. Bien sûr. Mais je pense que la déontologie dont vous faisiez part

22 comprend, bien sûr, la précision et la prudence que vous devez

23 obligatoirement utiliser lors d'une rédaction d'un rapport sur un sujet

24 aussi pointu, n'est-ce pas ?

25 R. Bien sûr.

26 Q. Avant de vous poser des questions sur le rapport, je tiens à vous poser

27 quelques questions sur vos opinions à propos de ce Tribunal et sur,

28 principalement, la légalité même de ce Tribunal. En juin 1996, vous étiez

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1 l'une des 24 signataires d'une déclaration exigeant que le Tribunal de La

2 Haye récuse les accusations portées contre Radovan Karadzic; c'est bien

3 cela ?

4 R. Oui, en effet. Si vous me le permettez, j'aimerais le --

5 Q. Nous allons regarder cette déclaration puisque nous l'avons sous la

6 main. On pourrait l'afficher sur l'écran. Je pense que la Greffière qui est

7 à côté de vous pourra vous donner une copie papier de ce document. Il

8 s'agit de la pièce 0115-0593. Ce document est rédigé en plusieurs langues.

9 Bien sûr, il faudrait que vous regardiez la version en B/C/S, pour ce qui

10 est de la version anglaise --

11 R. Monsieur, si vous me le permettez, j'aimerais quand même m'exprimer.

12 Q. Je vais vous poser d'abord une question et vous pourrez répondre. Si

13 nous pouvions passer à la pièce 0115-0600, et si nous pouvions l'avoir à

14 l'écran. Nous sommes en train d'afficher la page correcte. Pendant que le

15 système électronique recherche la page, vous pouvez regarder le document en

16 B/C/S. Ce document papier que vous avez sous les yeux est-il bien le

17 document que vous avez signé en juin 1996 ?

18 R. Oui, c'est bien cela.

19 Q. Est-ce que vous maintenez toujours les opinions exprimées dans cette

20 déclaration ?

21 R. Il me semble que oui. Oui, tout à fait. Cela dit, j'ai beaucoup de mal

22 à entendre.

23 Q. Pouvez-vous m'entendre maintenant, Madame ?

24 R. Oui, la liaison semble rétablie.

25 Q. Si vous ne pouvez pas m'entendre à un moment quelconque, il faut le

26 faire savoir.

27 R. Non, c'est juste que c'est très haché. J'entends juste la moitié de vos

28 phrases. La liaison n'est pas bonne et les conversions sont trop hachées

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1 pour être vraiment compréhensibles.

2 Q. J'essaie de parler pour voir si cela marche maintenant. Il semble que

3 cela marche. Nous allons essayer de poursuivre maintenant. Cela semble

4 marcher un peu mieux. Interrompez-moi si jamais il y a une mauvaise

5 liaison. Est-ce que les Juges de la Chambre ont bien la version anglaise de

6 ce document ?

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

8 M. WHITING : [interprétation] Parce que ce n'est pas sur mon écran. Cela

9 dit, ce n'est pas grave vu que j'ai une copie papier. Il s'agit de la pièce

10 01150600. Je crois que tout le monde maintenant a une copie, qu'elle soit

11 papier ou informatique sous les yeux ?

12 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je pense que nous l'avons tous.

13 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] C'est la page 8.

14 M. WHITING : [interprétation] Merci.

15 Q. Passons au paragraphe 2. Il est écrit : "Les tentatives d'exclure

16 Radovan Karadzic de la vie politique de la Republika Srpska lors de sa

17 période de stabilisation." J'imagine que dans ce contexte ce sont des

18 tentatives de l'exclure par le biais d'une accusation qui serait portée

19 contre lui par le Tribunal en vue, et ensuite d'une arrestation. Je

20 poursuis : "Mettre en œuvre l'accord de Dayton et le traité de Paris vise

21 directement à détruire les intérêts du peuple serbe et représente une

22 attaque contre les processus démocratiques."

23 Madame, vous croyiez cela à l'époque et est-ce que vous le croyez toujours

24 encore ?

25 R. Oui, tout à fait. Il ne faut pas oublier que M. Karadzic a participé au

26 processus complet depuis le premier jour. Je tiens à vous dire que j'étais

27 l'une des membres de l'équipe de négociations depuis 1991 jusqu'en 1993.

28 Q. Voulez-vous vous arrêter, s'il vous plaît, puisque vous avez répondu à

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1 ma question. Je voulais savoir si vous mainteniez toujours votre position

2 et vous avez dit oui. Il n'y a pas besoin que vous entriez dans les

3 détails. Passons maintenant au paragraphe 3, où vous dites la chose

4 suivante : "Les accusations criminelles portaient contre Radovan Karadzic,

5 président de la Republika Srpska, sous le prétexte de crimes de guerre,

6 n'est pas fondé par les faits." En tant que juriste, en tant que professeur

7 de droit, pensez-vous vraiment qu'il s'agit de propos très responsables ?

8 Est-ce une conduite responsable qu'avant même qu'il se passe quoi que ce

9 soit, de commencer à nier l'acte d'accusation en alléguant qu'il n'est pas

10 fondé sur des faits ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser le cours des choses

11 se faire et le procès avoir lieu ?

12 R. Monsieur, j'étais membre de l'équipe de négociations depuis le premier

13 jour, à partir de 1991 jusqu'à la fin de 1993. Pendant tout ce temps-là,

14 j'ai accumulé un grand nombre de documents. J'ai suivi toutes les

15 évolutions. J'étais au courant de ce qui se passait sur les territoires de

16 la RSK et de la Republika Srpska. J'en suis arrivée à ces conclusions grâce

17 à la connaissance que j'avais du terrain à l'époque. Je tiens à ajouter

18 encore une chose. J'ai publié un livre sur la destruction de la

19 Yougoslavie, où j'ai étayé et corroboré tout ce dont vous me parlez

20 aujourd'hui.

21 Q. Oui, mais, Madame, vous ne pouvez pas quand même être au courant

22 absolument de tous les faits qui pourraient être pertinents en l'espèce

23 dans l'acte d'accusation contre M. Karadzic, n'est-ce

24 pas ? Donc, votre déclaration selon laquelle les chefs qui reprochaient à

25 M. Karadzic ne sont pas basés sur des faits, pensez-vous que c'est

26 responsable --

27 M. PEROVIC : [interprétation] Je soulève une objection.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Perovic ?

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1 M. PEROVIC : [aucune interprétation]

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas ce que cela a à voir --

3 M. PEROVIC : [interprétation] Il faudrait que vous arrêtiez, Madame

4 Avramov, parce que j'ai une objection à faire par rapport à la pertinence

5 de la question qui vous est posée. Je ne vois absolument pas pourquoi votre

6 point de vue et votre opinion à propos d'une éventuelle culpabilité de M.

7 Karadzic aient à voir avec ce qui nous intéresse ici en l'espèce.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Whiting, qu'avez-vous à

9 dire ?

10 M. WHITING : [interprétation] Ce témoin a été citée en tant qu'expert

11 juridique pour exprimer des opinions juridiques. Je pense que l'Accusation

12 a tout à fait le droit de savoir quels sont les fondements de son opinion

13 juridique et de remettre en question la crédibilité du témoin en ce qui

14 concerne tout ceci. C'est exactement ce que je fais à l'heure actuelle.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Perovic, qu'avez-vous à

16 dire ?

17 M. PEROVIC : [interprétation] La seule vérité que vient de dire M. Whiting,

18 c'est qu'il est en effet en train d'essayer de remettre en question la

19 crédibilité de notre témoin. C'est tout ce qu'il a -- je maintiens, bien

20 sûr, mon objection sur le fait d'un manque de pertinence.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si vous acceptez qu'il est en train de

22 remettre en question la crédibilité du témoin, dans ce cas-là, Monsieur

23 Perovic, votre objection est rejetée, parce qu'il a tout à fait le droit.

24 Le parti qui contre-interroge a tout à fait le droit de procéder de la

25 sorte.

26 M. WHITING : [interprétation] Merci.

27 Q. Madame, voulez-vous répondre à ma question ? En tant que juriste, en

28 tant que professeur d'université, professeur de droit, est-il responsable

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1 de dire, avant même que le procès ait lieu, avant même que les faits aient

2 été pesés, est-il bien responsable de dire que les chefs d'accusation

3 reprochés à une personne ne sont pas étayés par des faits ? A votre avis,

4 est-ce tout à fait responsable de tenir des propos de la sorte ?

5 R. En tant qu'universitaire, j'ai étudié pendant des années les domaines

6 que vous avez commencé à examiner quand vous avez commencé à enquêter sur

7 l'affaire en l'espèce. En me basant sur mes connaissances de ce qui s'est

8 passé sur le terrain et la documentation que j'avais accumulée, j'en suis

9 arrivée à certaines conclusions. C'est n'est pas directement en

10 contradiction avec ce que vous dites. Parce que, comme je vous l'ai dit, je

11 faisais partie de l'équipe de négociations. J'étais un membre éminent de

12 cette équipe de négociations depuis 1991. J'ai aussi participé à la

13 conférence qui a aidé à établir ce Tribunal. Je ne sais pas si je l'ai

14 mentionné.

15 Q. Madame, quand vous faisiez partie de l'équipe de négociations, vous

16 représentiez la Serbie, vous étiez membre de l'équipe au nom de la Serbie,

17 n'est-ce pas ?

18 R. Oui.

19 Q. Au paragraphe 9 de ce document, vous dites la chose suivante : "Etant

20 donné l'illégalité du Tribunal de La Haye." Considérez-vous encore

21 aujourd'hui que le Tribunal de La Haye soit un tribunal illégal ?

22 R. Monsieur, j'ai écrit une étude que j'ai présentée lors d'une conférence

23 de droit international à Washington. Ma position qui était la mienne à

24 l'époque et qui l'est encore aujourd'hui, est que le Conseil de sécurité

25 n'a pas le mandat et le pouvoir de créer des entités internationales comme

26 ce Tribunal. Ceci ne pourrait être fait que grâce à un traité

27 international, comme -- qui a créé la CPI. Une résolution du Conseil de

28 sécurité ne suffit pas. Une résolution du Conseil de sécurité ne peut

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1 qu'établir des entités auxiliaires; elle ne peut pas aller plus loin. J'ai

2 publié cette étude, à la fois en serbe et en anglais. Tout cela n'est pas

3 nouveau.

4 Q. Madame, avez-vous connaissance de la moindre décision de ce Tribunal

5 qui traite justement du point dont vous parlez, c'est-à-dire de la légalité

6 ou l'illégalité ayant procédé à la création de ce Tribunal ?

7 R. Je ne peux pas vous répondre en ce moment. Je suivais tout ce qui s'est

8 passé. Mais à l'heure actuelle, je ne peux pas vraiment vous dire si je

9 connais absolument tout ce qui s'est passé récemment à propos du sujet que

10 vous venez de soulever.

11 Q. Vous êtes en train de nous dire que vous ne connaissez pas l'arrêt

12 Tadic du 2 octobre 1995, qui a pourtant été rendu avant que vous n'ayez

13 écrit ceci. Dans cet arrêt justement il était question de la légalité même,

14 qui avait procédé à la création de ce Tribunal ? Connaissez-vous cet

15 arrêt ?

16 R. Monsieur, j'ai ma propre liberté de penser, bien sûr, et j'ai ainsi le

17 droit d'avoir mon opinion d'expert qui peut, bien sûr, diverger de

18 l'opinion d'autres personnes ou de la vôtre, par exemple.

19 Q. Madame, vous n'avez pas répondu à ma question. Connaissez-vous la

20 teneur de l'arrêt Tadic ? Est-ce que vous le connaissez, oui ou non ?

21 R. Il y a très longtemps j'en ai pris connaissance. Je ne me souviens pas

22 des détails de l'affaire en l'espèce en ce moment, donc je ne voudrais pas

23 me prononcer sur la question.

24 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pourrait-on nous assurer, à savoir à

25 quel moment le témoin expert a rédigé cette étude et où elle a été

26 publiée ?

27 M. WHITING : [interprétation]

28 Q. Madame, est-ce vous avez été en mesure d'entendre cette question posée

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1 par le Juge Hoepfel. Pourriez-vous nous dire quand vous avez rédigé cette

2 étude, à quel moment et où elle a été publiée ?

3 R. J'ai écrit cette étude peu de temps après mon retour de New York.

4 C'était en 1995. Cette étude a d'abord été publiée en serbe dans la

5 publication de la faculté de droit de Belgrade, et c'est là que j'ai

6 présenté une analyse approfondie de la question. L'étude a été traduite par

7 la suite en anglais. Je pourrais certainement vous la faire parvenir si

8 vous êtes intéressé à la recevoir. Depuis, comme je vous ai dit, je l'ai

9 envoyée également à l'Association américaine du droit international,

10 association dont j'étais membre.

11 Q. Madame, vous nous avez dit que vous avez rédigé cette étude en 1995,

12 mais à quel moment est-ce qu'elle a été publiée ?

13 R. En 1995. C'est à ce moment-là qu'elle a été publiée pour la première

14 fois.

15 Q. Vous souvenez-vous à quel époque en 1995, quand plutôt ?

16 R. Je crois que c'était vers le milieu de 1995, mais je ne pourrais pas

17 vous donner la date exacte.

18 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Monsieur Whiting, son étude a été

19 rédigée avant l'arrêt Tadic.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Permettez-moi de vous dire que j'ai écrit un

21 très grand nombre d'articles après celui-là.

22 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai posé cette

23 question, car le témoin nous a affirmé aujourd'hui qu'elle maintient encore

24 cette opinion.

25 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Très bien. Professeur, permettez-moi

26 de vous poser la question suivante : est-ce que vous avez rédigé cette

27 étude ou ces questions sur la légitimité du Tribunal également après, ou

28 est-ce que, si oui, seulement sur la base de ce que l'arrêt Tadic

Page 11061

1 contient ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je me suis basée sur mes propres opinions,

3 oui.

4 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Très bien. Merci. Monsieur Whiting,

5 vous pouvez poursuivre.

6 M. WHITING : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.

7 Q. Madame, en réalité la question que je souhaitais vous poser sur ce

8 sujet, la question qui m'intéresse en réalité, est de savoir si vous avez

9 pris connaissance de l'arrêt Tadic ?

10 R. Il y a bien longtemps, oui. J'en ai pris connaissance il y a très

11 longtemps.

12 Q. Vous souvenez-vous de l'arrêt Tadic et est-ce que vous vous souvenez

13 quelles étaient vos opinions et quel était le raisonnement de cette

14 affaire ?

15 R. Monsieur, je ne voudrais pas parler de ces choses sur des conjectures.

16 Je souhaiterais avoir la décision devant moi si vous voulez que je vous

17 donne mes opinions. Je ne peux pas me fier à ma mémoire. Un avocat ne peut

18 pas répondre aux questions posées de cette façon-là devant le Tribunal. Un

19 juriste ne peut pas répondre de cette façon-là.

20 Q. Très bien. Merci.

21 M. WHITING : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait demander le

22 versement au dossier de ce document ?

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Attribuez une cote, je vous prie, au

24 document.

25 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Très bien. Le document portera la cote

26 1020.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur Whiting,

28 c'est à vous.

Page 11062

1 M. WHITING : [interprétation] Je vous remercie.

2 Q. Madame, je souhaiterais vous présenter un autre document que vous avez

3 d'ailleurs rédigé en 1996. C'est un document qui porte la cote 034133 -- ou

4 plutôt 3433 [comme interprété]. Mme la Greffière vous fournira un

5 exemplaire en B/C/S. Nous l'avons en anglais, mais je crois que vous

6 devriez l'avoir en B/C/S. Le document porte le titre "Modèles de la

7 serbitude [comme interprété]." Est-ce que vous avez le document devant

8 vous ?

9 R. Permettez-moi de vous dire immédiatement, Monsieur, que le même

10 document m'a été montré à l'époque où j'ai témoigné dans l'affaire contre

11 l'ancien président, M. Milosevic. Permettez-moi de vous dire que l'on m'a

12 montré ce document à ce moment-là et j'ai été étonnée à l'époque. Je n'ai

13 jamais rédigé de tels articles. Ce qui est écrit ici, ce que ce document

14 contient, c'est un discours que j'ai prononcé devant l'Association des

15 écrivains littéraires de Belgrade sur la question du Tribunal et des

16 procédures au Tribunal. Ce discours a été traduit. On a retiré des extraits

17 de ce discours. J'ignore qui l'a enregistré et qui a rédigé ces propos.

18 Q. Madame, dans l'affaire Milosevic, vous avez examiné ces documents, vous

19 les avez relus et vous avez déposé en disant que vous maintenez encore les

20 opinions contenues dans ce document, qu'il reflète vos opinions.

21 R. Oui, tout à fait. Mais pas sous la forme d'un article qui aurait, de

22 façon alléguée, été publié avec cet intitulé, avec ce titre.

23 Q. Très bien. Appelons ce document allocution. Dans le premier article,

24 vous dites que l'ouverture du bureau de ce Tribunal de la Haye, ci-appelé -

25 en fait, c'était en 1996, n'est-ce pas ? Est-ce que vous vous souvenez

26 d'avoir prononcé ce discours en ces dates-là ?

27 R. Oui, je crois que oui.

28 Q. Dans ce discours, vous dites que, "vous percevez ceci comme une autre

Page 11063

1 offense contre l'honneur du peuple serbe et de la science du droit, et vous

2 dites au troisième paragraphe que, "le fondement de ce Tribunal est, en

3 fait, génocidaire et anti-Serbe et que l'existence du Tribunal crée de

4 l'amertume auprès des intellectuels." Est-ce que vous pourriez nous

5 expliquer, Madame, de quelle façon est-ce que le Tribunal est génocidaire ?

6 R. Monsieur, je ne suis pas tout à fait certaine de ce mot génocidaire. Je

7 ne sais pas si j'ai jamais vraiment prononcé ce mot dans le cadre de mon

8 allocution originale. Ce mot a peut-être été inséré. Permettez-moi de vous

9 dire que, effectivement, l'établissement de ce Tribunal a causé beaucoup de

10 ressentiment auprès des avocats de ce pays et auprès de moi-même en tant

11 qu'expert en droit international. Nous estimons qu'il s'agit d'une

12 discrimination contre le peuple serbe. Il y a eu 220 experts internationaux

13 --

14 Q. [aucune interprétation]

15 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

16 L'INTERPRÈTE : L'interprète dit qu'il est absolument impossible

17 d'interpréter.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] -- c'est à ce moment-là que le Tribunal a été

19 établi --

20 M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

21 LE TÉMOIN : [interprétation] -- et cela a créé au démantèlement forcé d'un

22 tout petit Etat tel la Yougoslavie. J'ai soulevé cette question auprès de

23 la communauté internationale pour dire, par exemple, les crimes qui ont eu

24 lieu au Cambodge, au Vietnam, en Corée et dans beaucoup d'autres pays lors

25 de conflits internationaux. Mais aucun de ces conflits n'a fait l'objet

26 d'un Tribunal. Cela n'a eu lieu que dans le cas de la Yougoslavie. Pour ce

27 qui me concerne en tant que juriste, cela me paraît être une discrimination

28 d'un peuple dont je suis membre.

Page 11064

1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Docteur Avramov, est-ce que cela veut

2 dire - je ne sais pas si on m'entends, je n'arrive pas à le voir ?

3 M. WHITING : [interprétation] On vous entend.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame Avramov, vous saviez, lorsque

5 le Procureur vous pose une question et vous demande d'arrêter, il faut vous

6 arrêter. Car si vous parlez, nous ne pouvons pas vous entendre. Nous

7 n'entendons que des sons qui ne sont pas enregistrés, nous n'entendons pas

8 ce que vous dites. Vos propos ne sont donc pas enregistrés. C'est comme une

9 pluie sur un sol infertile. Je ne sais pas si vous comprenez.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela ne dépend pas de moi; cela dépend de --

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame, écoutez-moi. Permettez-moi de

12 vous dire que cela dépend également de ce que vous entendez, c'est-à-dire

13 que lorsque le Procureur souhaite obtenir de plus amples renseignements

14 outre l'information que vous lui avez fournie dans le cadre de votre

15 réponse, il vous demandait d'expliciter, alors vous pouvez le faire. Mais

16 si l'on vous pose une question et on s'attend à vous de donner une réponse

17 courte, à ce moment-là, il faut le faire. Si plus tard vous souhaitez

18 approfondir le sujet, vous pouvez attendre pour que l'on vous pose une

19 question et l'on vous demande d'expliciter. Je ne sais pas si vous me

20 comprenez ? Merci.

21 M. WHITING : [interprétation] Merci.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Whiting.

23 M. WHITING : [interprétation] Madame, pour répéter, si vous m'entendez

24 dire arrêter, si vous voyez ma main, je vous demanderais d'arrêter à ce

25 moment-là afin que nous puissions poursuivre.

26 Q. Permettez-moi de me concentrer sur le mot "génocidaire" qui apparaît

27 ici. Lorsqu'on vous a montré ce document dans l'affaire Milosevic, vous

28 aviez eu l'occasion de lire le document pendant la soirée, vous en aviez

Page 11065

1 pris connaissance et vous aviez dit lors de votre déposition que vous

2 maintenez les propos qui figurent dans le document. Mais il y a quelques

3 instants vous nous dites que vous n'avez pas dit que ce Tribunal est

4 génocidaire. Est-ce que c'est faux ? Est-ce que c'est cela que vous nous

5 dites ?

6 R. Je crois que ce mot a été inséré.

7 Q. Mais ce n'est pas quelque chose que vous avez dit soit dans l'affaire

8 Milosevic ou lorsque je vous ai demandé si vous maintenez encore vos

9 propos.

10 R. Je maintiens ce qui figure dans le texte, donc l'ensemble du texte est

11 le mien. Mais ceci ne semble pas correspondre logiquement dans le texte. Il

12 me semble que ce mot a été inséré.

13 Q. Donc, tout ce qui figure dans le texte est précis ou correspond à ce

14 que vous avez dit outre le mot génocidaire. Est-ce c'est cela que vous nous

15 dites, Madame ?

16 R. Je crois que ce mot a été inséré par la suite.

17 Q. Vous n'aviez pas remarqué cela lorsque vous avez pris connaissance de

18 ce document lors de l'affaire Milosevic ? Cela ne vous a pas du tout

19 étonnée comme étant un mot quelque peu dramatique à l'époque ? Vous ne

20 l'avez pas remarqué ?

21 R. Non, je n'avais pas remarqué ce mot.

22 Q. A l'exception de ce mot, le document correspond à la vérité, à ce que

23 vous avez dit, et vous maintenez ce que vous avez dit à l'époque; est-ce

24 que c'est exact ?

25 R. Je ne comprends pas. Je n'ai pas tout à fait bien saisi votre question.

26 Q. Outre ce mot-là, le mot "génocidaire," vous estimez que ce document

27 reflète vos opinions et que c'est un document qui correspond à ce que vous

28 aviez dit; est-ce que c'est exact ?

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1 R. C'est tout à fait exact. Je vous ai expliqué d'ailleurs pourquoi.

2 Q. Je suis désolé, Madame. Merci. Lorsque vous dites - et je fais

3 référence à la fin du 4e paragraphe --

4 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pourrait-on parler du

5 troisième paragraphe ? Vous avez choisi un mot qui est absurde en toute

6 évidence, mais c'est quelque chose que nous également entendu dire d'un

7 témoin. On peut tout également lire ici que l'on appelle ce Tribunal comme

8 étant un Tribunal anti-Serbe. Je demanderais au

9 Pr Avramov de nous dire si elle maintient encore cette opinion-là, et si

10 oui, Madame, est-ce que vous savez qu'il s'agit d'un Tribunal pénal qui

11 traite de la responsabilité pénale individuelle des accusés ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] 90 % des personnes emmenées devant ce Tribunal

13 sont Serbes. Le seul président d'Etat de tous les Etats qui se sont

14 démantelés, c'était le président serbe qui a été emmené devant ce Tribunal.

15 Mais le président de Croatie ou de Slovénie, ces deux présidents, devraient

16 avoir une responsabilité pénale beaucoup plus grande, mais ils n'ont pas

17 été traduits devant ce Tribunal.

18 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Je vous remercie. Désolé de vous

19 avoir interrompue. Veuillez poursuivre.

20 M. WHITING : [interprétation]

21 Q. En fait, quatrième [comme interprété] paragraphe en anglais, vous dites

22 juste après avoir dit que vous étiez choquée en tant que membre du peuple

23 serbe lorsqu'un acte d'accusation a été émis contre le président -- contre

24 Mladic et Karadzic, les deux personnalités les plus grandes dans l'histoire

25 récente serbe, vous avez dit, "Je perçois l'attaque contre eux comme étant

26 une attaque contre le peuple serbe." Est-ce que c'est bien votre opinion ?

27 Est-ce que vous maintenez encore cette position ?

28 R. D'une certaine façon, oui, car je connais ces deux personnes

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1 personnellement en tant que membres de la délégation serbe. J'ai coopéré

2 fréquemment avec ces personnes. Je suis tout à fait au courant de leur

3 travail. Nous avons publié cinq ou six livres de documents serbes ainsi

4 qu'en anglais. Je ne sais pas si vous avez ces livres, ces ouvrages. La

5 commission qui a publié ces ouvrages s'appelle la commission chargée de la

6 vérité. Elle a publié l'ensemble des documents qui ont trait aux activités

7 du général Mladic ainsi qu'aux activités de M. Karadzic lorsque ils étaient

8 au poste qu'ils occupaient au sein de la Republika Srpska.

9 Q. Lorsque vous avez dit que le président Karadzic et le général Mladic

10 étaient les deux personnalités les plus importantes dans l'histoire récente

11 serbe - c'est ce que vous avez dit il y a juste quelques instants - qu'est-

12 ce que vous pensez de la non volonté de ces deux personnes de venir devant

13 ce Tribunal ?

14 R. Monsieur, ces questions sont des questions diamétralement opposées

15 l'une à l'autre et n'ont rien à voir avec l'une et l'autre.

16 Q. Mais c'est une seule question. La question est la

17 suivante : l'opinion que vous avez exprimée en 1996 concernant le général

18 Mladic et le président Karadzic, est-ce que votre opinion a jamais changé,

19 car ces deux personnes n'ont pas montré la volonté de venir devant le

20 Tribunal pour faire face à la justice et aux chefs d'accusation qui pèsent

21 contre eux ?

22 R. La question est fort simple. Il est vrai, j'ai cessé d'avoir tout

23 contact avec ces deux personnes. J'ignore ce qu'ils ont fait après les

24 accords de Dayton.

25 Q. Ce n'est pas une réponse à ma question. Ma question est à savoir, est-

26 ce que l'opinion que vous vous étiez forgée de ces deux personnes, est-ce

27 que cette opinion est changée eu égard à leur non désir ou manque de

28 volonté de se présenter devant le Tribunal de La Haye ?

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1 R. C'est une position personnelle qui est la leur et je ne peux pas

2 analyser leur opposition. Je ne peux pas vous donner de jugement sur la

3 personnalité d'une personne sur la base de ceci. C'est une prise de

4 position personnelle, tout comme Bin Laden a également une prise de

5 position, enfin une prise personnelle, un point de vue personnel de la

6 situation.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Docteur Avramov, je vous demanderais

8 de vous en tenir qu'aux questions et de ne répondre qu'aux questions qui

9 vous ont posé de la façon la plus précise que possible. On ne vous demande

10 pas de juger qui que ce soit; mais on vous demande si vos points de vue

11 tels qu'ils sont exprimés dans ce document qui date de 1996, si vos

12 opinions, vos points de vue ont changé eu égard au fait que ces deux

13 personnes ne se sont pas présentées à La Haye pour faire face aux

14 accusations qui pèsent contre eux ? Cela n'a rien à voir avec eux. Je ne

15 vous demande pas d'exprimer leur point de vue personnel; mais j'aimerais

16 savoir si votre point de vue quant à eux a changé. Est-ce que vous avez un

17 point de vue sur cela ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur, j'ai été convoquée de me présenter

19 devant ce Tribunal en tant que témoin expert dans l'affaire contre M.

20 Martic. Si vous souhaiteriez commencer une procédure contre M. Karadzic,

21 l'on me demanderait de venir témoigner sur cela. Mais je voudrais m'en

22 tenir qu'au sujet qui nous intéresse, qu'au sujet pour lequel j'ai été

23 convoquée de déposer. Je ne veux pas mélanger les affaires de M. Mladic et

24 de M. Karadzic avec l'affaire de M. Martic. Permettez-moi de vous dire

25 immédiatement, si les procédures sont entamées contre M. Karadzic et contre

26 M. Mladic, vous pouvez m'appeler en tant que témoin expert et je vous

27 donnerai mon opinion volontiers. Mais maintenant, aujourd'hui, nous parlons

28 de M. Martic.

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1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Permettez-moi de vous arrêter, Madame.

2 M. Mladic et M. Karadzic ne sont pas ici. Aucun procès n'a été entamé

3 contre eux. Aujourd'hui, nous vous avons demandé de nous donner votre

4 opinion sur eux. Si vous ne souhaitez pas le faire, vous n'êtes pas

5 obligée. Personne ne suggère, personne ne semble dire que --

6 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez-moi et répondez, je vous prie.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne veux pas parler des sujets qui ne nous

9 occupent pas, qui ne sont pas au cœur du sujet de l'affaire en l'espèce.

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vais demander que l'on note au

11 compte rendu d'audience que vous ne souhaitez pas répondre à cette

12 question. Très bien. Poursuivez, je vous prie, Monsieur Whiting.

13 M. WHITING : [interprétation]

14 Q. Madame, je ne sais pas si vous comprenez --

15 R. Permettez-moi, je vous prie, de dire que l'on consigne au compte rendu

16 d'audience que je ne souhaite pas parler des questions qui n'ont rien à

17 voir avec le sujet pour lequel j'ai été convoquée de déposer devant ce

18 Tribunal. Je souhaiterais que le compte rendu d'audience fasse état de

19 cela.

20 Q. Madame, étant donné que vous êtes un témoin expert et que vous avez

21 déjà déposé devant ce Tribunal sur les questions relatives au droit

22 international, les sujets sur lesquels on vous pose des questions, les

23 questions qui vous sont posées sur ces sujets-là sont des questions dont

24 peuvent décider les avocats de ce Tribunal ainsi que les Juges. Ce n'est

25 pas au témoin de décider des questions qu'ils entendront. Vous devez sans

26 doute comprendre cela, n'est-ce pas, Madame, en tant que juriste?

27 R. Oui, tout à fait. Oui, mais je connais la pratique dans les tribunaux.

28 Je sais qu'il ne faut pas dépasser les limites de l'affaire en l'espèce. Il

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1 n'est pas permis de parler de choses qui ne font pas l'objet de l'affaire.

2 Q. Madame, c'est aux Juges de décider de cela. Si les Juges estiment que

3 les parties excèdent, dépassent les limites permises par ce Tribunal, les

4 Juges nous arrêtent. Jusqu'à ce que les Juges n'interviennent pas, c'est

5 votre obligation en tant que témoin de répondre aux questions qui vous sont

6 posées. Je ne sais pas si vous me comprenez ?

7 R. Mais j'ai également le droit en tant que témoin expert de comparaître

8 ou ne pas comparaître en tant que témoin expert. Il est une chose de

9 comparaître en qualité de témoin ou en qualité de témoin expert. Lorsque

10 l'on convoque un témoin expert, il faut avoir un accord explicite et

11 personnel.

12 Q. Je peux vous dire, Madame, que conformément aux Règlements de votre

13 déposition il n'y a absolument aucune différence quant aux dépositions d'un

14 témoin expert ou d'un autre témoin. Si vous ne souhaitez pas déposer, à ce

15 moment-là, il faut prendre une décision, à savoir si vous serez convoquée

16 et si l'on vous entendra, et cetera. Mais il ne vous est pas permis de

17 choisir quelles sont les questions auxquelles vous souhaitez répondre et

18 quelles sont les questions auxquelles vous ne voulez pas répondre. Je ne

19 sais pas si vous me comprenez ?

20 M. PEROVIC : [aucune interprétation]

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Perovic ?

22 M. PEROVIC : [interprétation] Objection.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends, mais je ne peux pas vous

24 comprendre en tant qu'avocat. Je comprends votre question, je comprends ce

25 que vous êtes en train de dire, mais permettez-moi de vous dire que cette

26 logique dans la profession juridique n'est pas quelque chose que je

27 comprends.

28 M. PEROVIC : [interprétation] Madame Avramov, un instant, je vous prie. Je

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1 souhaiterais dire quelque chose. Je ne sais pas si je pourrais formuler mon

2 opinion en tant qu'objection, mais je voudrais dire que je suis préoccupé

3 par quelque chose. Nous arrivons à la fin de notre deuxième section et mon

4 éminent confrère de l'Accusation n'a pas posé une seule question concernant

5 le témoignage de ce témoin expert. En fait, je ne sais pas si c'est une

6 objection, mais il faudrait peut-être simplement attirer l'attention de mon

7 éminent confrère sur cette question.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Perovic. Si

9 votre éminent confrère ne parle pas du contenu du document, c'est son choix

10 à lui, c'est à sa discrétion. Nous verrons ce qu'il en fera.

11 M. WHITING : [interprétation] Merci.

12 Q. Madame, je vais maintenant vous poser une dernière question puisque

13 nous avons maintenant parlé de la procédure. Je souhaiterais vous donner

14 une dernière occasion de répondre à ma question qui est la suivante : est-

15 ce que vos opinions que vous avez exprimées concernant M. Karadzic et le

16 général Mladic, dans ce document que vous avez rédigé ou dans ce discours

17 que vous avez prononcé en 1996, vos opinions ont-elles changé eu égard au

18 fait que ces deux personnes ont refusé de comparaître devant ce Tribunal

19 pour répondre ou pour se présenter devant ce Tribunal ? Est-ce que cela

20 change vos opinions ?

21 R. J'ai répondu de façon très limpide. Il s'agit d'un choix personnel de

22 la personne qui choisit de ne pas se présenter. Ce n'est pas au public

23 d'émettre des opinions là-dessus.

24 Q. Je vais considérer votre réponse comme étant une non réponse à la

25 question qui vous a été posée.

26 M. WHITING : [interprétation] Pourrait-on demander le versement de ce

27 document au dossier.

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, faites.

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1 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document portera la cote 1021.

2 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

3 M. WHITING : [interprétation] Merci.

4 Q. Madame, je souhaiterais maintenant aborder quelque chose d'autre, une

5 autre question. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais pourrait-on

6 prendre la pièce 03279758. C'est un document qui date de 1997, et qui

7 réitère d'une certaine façon la déclaration originale selon laquelle on

8 demande que les chefs d'accusation qui ont été emmenés contre le général

9 Mladic soient révoqués. Maintenant, j'aimerais que ce document contre

10 Radovan Karadzic soit retiré. Est-ce que vous vous souvenez que cette

11 déclaration a été réitérée en 1997, que vous étiez l'une des signataires et

12 que votre signature a fait partie de 60 signatures qui figurent dans ce

13 document ? Vous êtes au numéro 33.

14 R. Oui, tout à fait, je me rappelle très bien de ceci. Il n'y a pas eu

15 seulement ce document; il y a eu plusieurs documents. Je peux vous dire que

16 j'ai signé au moins dix documents de ce type. Je dois également vous dire

17 qu'il y avait une centaine de documents qui ont été signés par les

18 juristes, les experts juridiques ou les avocats en Serbie, et que c'est

19 quelque chose qui est encore en cours. Ces efforts sont encore déployés à

20 ce jour.

21 Q. Madame, vous avez effectivement signé cette déclaration, n'est-ce pas,

22 en 1997 ?

23 R. Oui.

24 Q. Est-ce que vous maintenez encore ce qui a été exprimé dans cette

25 déclaration ? Est-ce que vous le maintenez aujourd'hui ?

26 R. Probablement que oui. Je devrais d'abord en prendre connaissance, mais

27 je crois que je maintiendrais tout ce qui est dit ici. Je crois que c'est

28 encore actuel.

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1 M. WHITING : [interprétation] Pourrait-on demander le versement de ce

2 document au dossier ?

3 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Certainement. La cote, je vous prie.

4 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Juge, ce document portera

5 la cote 1022.

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

7 M. WHITING : [interprétation] Merci.

8 Q. Maintenant, je souhaiterais que l'on passe à votre rapport. Est-ce que

9 vous avez votre rapport sous les yeux, Madame ? Vous avez ce rapport sous

10 les yeux, Madame ?

11 R. Oui.

12 Q. Bien. Je me propose de parler de la première partie qui est intitulée,

13 La Yougoslavie et le droit international. Dans la première partie que nous

14 avons examiné aujourd'hui, vous avez déclaré que la fédération avait le

15 droit exclusif de vaquer à tout ce qui concernait les affaires étrangères,

16 n'est-ce pas ?

17 R. Exact.

18 Q. En fait, dans la réalité, n'avez-vous pensé, même avant 1991, qu'il n'y

19 a pas eu une politique étrangère unique en Yougoslavie et que toutes les

20 républiques avaient eu une conduite de leurs politiques étrangères à

21 elles ? En avez-vous parlé dans votre livre qui était intitulé, "Contrôle à

22 l'égard de la politique étrangère" ?

23 R. Vous avez tout à fait raison. J'ai été profondément préoccupée. A

24 l'époque, je faisais partie de ce conseil juridique du ministère des

25 Affaires étrangères. A bien des reprises j'ai indiqué qu'il y avait des

26 abus qui survenaient au niveau de certaines républiques, et je les

27 présentais devant les instances les plus éminentes pour parler des dangers

28 menaçant l'intégrité et l'unité future de l'Etat. J'ai même rédigé ce livre

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1 intitulé, "Contrôle de la politique étrangère," en adressant cela au

2 ministère des Affaires étrangères et en lui reprochant de ne pas exercer un

3 contrôle plein et entier. Je ne sais pas si cela avait été fortuit ou si

4 une attention insuffisante y a été consacrée. J'ai indiqué également qu'il

5 était fort probable, étant donné que la Yougoslavie était un état du parti,

6 avec une dictature du parti, le dernier des mots revenait au forum du

7 parti, chose que je contestais.

8 Q. Madame, Madame, s'agissant de ce livre ou de ce pamphlet que vous avez

9 rédigé, "Contrôle à l'égard de la politique étrangère," c'est une chose qui

10 a été rédigée avant 1991, n'est-ce pas ?

11 R. Oui, oui. Je pense que cela a été publié en 1987. Je n'arrive pas à

12 m'en souvenir exactement.

13 Q. Bien. Dans votre témoignage au cours de l'affaire contre

14 M. Milosevic, vous avez dit - et je peux vous montrer la partie du compte

15 rendu d'audience, mais je préfère vous en donner lecture. Il s'agit de la

16 pièce 243 [comme interprété] dans l'affaire Milosevic. Je voudrais vous

17 demander si vous maintenez ces déclarations. Vous y avez dit, je cite :

18 "J'ai rédigé ce livre intitulé 'Contrôle à l'égard de la politique

19 étrangère' où j'ai souligné que nous n'exercions aucun contrôle vis-à-vis

20 de la politique étrangère, que nous n'avions pas une politique étrangère

21 cohérente et que cette politique étrangère se ramifiait au niveau de six

22 unités fédérales." C'est ce que vous avez dit. Est-ce que vous maintenez ?

23 R. Oui. Cela l'avait été. Oui, je le maintiens. J'ai prévenu de ces périls

24 en donnant des exemples de la politique antiétatique qui conduisait au

25 démantèlement de l'Etat.

26 Q. Bien. En outre, vous y avez dit autre chose et je vais vous demander si

27 vous le maintenez. Je me réfère notamment, à la page suivante du compte

28 rendu d'audience Milosevic, page 32 404. Je cite : "Je dois dire que la

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1 Yougoslavie se trouvait, en quelque sorte, en état de crise depuis 1945

2 jusqu'en 1990. D'une certaine façon, la Yougoslavie était très souvent au

3 bord d'une guerre civile. La cause se trouvait au niveau des résistances et

4 des protestations qui se manifestaient." Est-ce que vous maintenez ce

5 témoignage de l'affaire Milosevic ?

6 R. Oui. Je crois l'avoir même étoffé davantage en fournissant des détails

7 dans un article qui sera publié dans le livre que je suis en train de

8 préparer. Si cela vous intéresse, il y est question des différentes phases

9 traversées par la Yougoslavie.

10 Q. Je crois que nous pouvons rester là. Merci. Nous pourrions maintenant

11 passer à la section suivante de votre rapport intitulé : "Sécession de la

12 Slovénie et de la Croatie à la lumière du droit international et du droit

13 interne -- ou du droit national."

14 Dans votre témoignage d'aujourd'hui ainsi que dans cette partie de votre

15 rapport, vous indiquez que la constitution yougoslave de 1974 a fourni un

16 droit à l'autodétermination au peuple -- le droit à la sécession au peuple

17 et non pas aux républiques ?

18 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Excusez-moi. Monsieur Whiting,

19 veuillez nous donner une indication du paragraphe ou de la partie.

20 M. WHITING : [interprétation] Il s'agit du deuxième paragraphe de cette

21 partie, Madame le Juge, notamment de la dernière phrase.

22 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Merci beaucoup.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous voulez que je réponde ?

24 M. WHITING : [interprétation]

25 Q. Je voudrais que vous nous confirmiez que c'est bien ce que vous avez

26 dit dans votre rapport. Si vous le voulez, vous pouvez vous pencher sur le

27 deuxième paragraphe de ce passage, à savoir que la constitution yougoslave

28 donnait le droit à l'autodétermination au peuple et non pas aux

Page 11077

1 républiques ?

2 R. L'autodétermination n'est pas un principe territorial; c'est un droit

3 subjectif du peuple. Cela relève des droits substantiels des peuples.

4 Q. Qu'est-ce que cela signifie au juste ?

5 R. Je crois que tout juriste sait ce qui constitue le droit suggestif d'un

6 peuple qui est le titulaire d'une souveraineté vis-à-vis d'un territoire

7 qui n'est qu'un élément, qui ne constitue que l'objet de l'existence d'un

8 Etat. C'est l'un des éléments.

9 Q. Est-ce que vous pourriez expliquer avec davantage de détails ?

10 Qu'entendez-vous exactement par droit subjectif du peuple qui est le

11 titulaire de la subjectivité ? Que signifie pour vous l'autodétermination ?

12 Si ce n'est pas une question territoriale, de quoi s'agit-il ?

13 R. C'est le droit d'un peuple d'exprimer sa volonté vis-à-vis d'une

14 question déterminée. Par exemple, un système d'administration ou alors vis-

15 à-vis d'un régime ou alors encore -- cela, sous réserve d'être précisé,

16 devrait pouvoir se rapporter à un territoire, mais il ne pourrait y avoir

17 d'autodétermination de lié uniquement au territoire. L'autodétermination, à

18 savoir la sécession, se trouvait à faire l'objet dans la constitution, à

19 faire l'objet d'autodétermination du peuple. On sait ce que c'est que

20 l'autodétermination d'un "peuple" et on sait ce que c'est que les unités

21 fédérales en leur qualité de segments territoriaux alors que les frontières

22 intérieures sont susceptibles d'être modifiées. C'est tout à fait

23 élémentaire.

24 Q. Je ne sais pas si je vous ai bien compris. Veuillez écouter ma

25 question. Vous êtes en train de nous dire que l'autodétermination se ramène

26 à l'expression de droit politique et civique au sein d'une société. Est-ce

27 que c'est là une bonne définition de l'autodétermination du peuple ?

28 R. Oui.

Page 11078

1 Q. Dites-nous, n'est-il pas exact de dire qu'à l'époque il y a eu un

2 litige qui s'étire à nos jours et qui était celui de savoir si en

3 application de la constitution de 1974, les républiques avaient le droit à

4 la sécession ? Je sais que vous n'en pensez pas ainsi, mais il y a des gens

5 qui disent qu'en application de la constitution de 1974 les républiques

6 avaient le droit à la sécession, n'est-ce pas ? Je crois que cela a été

7 contesté. Bien que vous ne soyez pas d'accord avec ce fait, il y a eu des

8 gens qui avaient affirmé le contraire, n'est-ce pas ?

9 R. Monsieur, cela était affirmé et je ne le conteste pas. Je dirais qu'ils

10 ont eu raison. Ils ont dit que cela est un droit qui découlait de la

11 révolution socialiste. Par conséquent, leur identité juridique d'un Etat

12 était prouvée sur des fondements idéologiques et non pas sur des principes

13 du droit international. Vous savez bien que l'identité idéologique et

14 l'identité en matière de droit international ce ne sont pas du tout les

15 mêmes catégories.

16 Q. Madame, je ne parle pas à présent du droit international; je parle de la

17 constitution de 1974. Penchons-nous sur cette constitution. Il s'agit de la

18 pièce à conviction 480. Cela est versé au dossier. Je crois que la

19 Greffière, le représentant du greffe, qui se trouve à vos côtés, peut vous

20 le fournir. Je vous prie de vous pencher sur la page qui porte 0229-4922.

21 En anglais ce sera le 00460862. J'aimerais que vous vous penchiez sur

22 l'article numéro 1 de cette constitution. Est-ce que les Juges de la

23 Chambre disposent de ce texte ? Je l'ai en copie papier. Je ne sais pas si

24 c'est déjà sur les moniteurs.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quelle pièce avez-vous dit ?

26 M. WHITING : [interprétation] 0862. C'est la page 31 sur la pagination

27 interne.

28 Q. Je m'excuse pour ce retard, Madame. J'essaie de faire en sorte que tout

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1 un chacun puisse disposer de ce texte sur les écrans.

2 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Vous avez dit pages 234, 235 ?

3 M. WHITING : [interprétation] Sur la pagination interne, cela devrait être

4 la page 31.

5 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Bien. Mais au niveau du document ?

6 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Monsieur Whiting, est-ce que vous

7 parlez de la pagination interne au 31, ensuite il faudrait se référer au

8 numéro principal 00460864 ?

9 M. WHITING : [interprétation] Non, non. Les deux derniers numéros c'est 62.

10 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Alors, le 62, ce devrait être la page

11 interne numéro 29. C'est la première partie de la constitution de la

12 République socialiste --

13 M. WHITING : [interprétation] Oui, c'est la partie 1.

14 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Article 1.

15 M. WHITING : [interprétation] Vous l'avez sur le 64 ?

16 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] J'ai cela à la page 29 au niveau de

17 la documentation interne et il y a un numéro 862 qui prête à confusion,

18 mais c'est la page interne numéro 29.

19 M. WHITING : [interprétation] Fort bien.

20 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pour ce qui est du livre, c'est la

21 page 31.

22 M. WHITING : [interprétation] Il y a eu confusion. Maintenant je vois que

23 c'est sur les moniteurs.

24 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Donc c'est la page interne du

25 document 230 ou 231 ? Parce que je crois que vous avez dit page 29 --

26 [La Chambre de première instance se concerte]

27 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] -- alors moi je suis en page 29 et

28 on dit 230 puis 231.

Page 11080

1 M. LE JUGE MOLOTO : [Hors micro]

2 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Nous avons trois paginations

3 différentes au sujet du même document.

4 M. WHITING : [interprétation] Oui, cela prête à confusion.

5 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Oui, mais nous sommes en train

6 d'apprendre et nous sommes en train de prendre connaissance de la

7 constitution yougoslave, fort bien d'ailleurs.

8 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je crois que vous pouvez

9 continuer.

10 M. WHITING : [interprétation] Merci, Madame le Juge.

11 Q. Madame, je voudrais que nous nous penchions sur cet article numéro 1.

12 Il y est dit : "La République socialiste fédérative de Yougoslavie est un

13 Etat fédéral de républiques socialistes qui en font partie ainsi que des

14 provinces socialistes de Vojvodine et du Kosovo." Donc, des personnes qui

15 avaient des points de vue différents au sujet de la constitution avaient

16 justement fait référence à cette disposition-là en disant que la République

17 socialiste fédérative de Yougoslavie était un Etat de peuples et

18 républiques qui s'étaient associés sur des bases volontaires, et si ces

19 républiques avaient procédé à une association volontaire, cela signifiait

20 que, de façon volontaire, elles pourraient procéder à un sécession. Je sais

21 bien que vous êtes dans le désaccord, mais n'est-il pas vrai de dire que

22 cette argumentation a été avancée et que c'est cette disposition-là de la

23 constitution qui a été évoquée ?

24 R. Monsieur, cet article démontre que c'était un Etat du parti. C'était un

25 Etat à parti unique, un Etat idéologiquement fondé sur --

26 Q. Madame, il me faut vous interrompre. Je comprends quelle est votre

27 position à vous. Point n'est de besoin de nous la répéter. Ma question est

28 celle-ci : est-ce que d'autres personnes ont estimé que partant de cet

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1 article-ci ainsi que d'autres articles encore, mais surtout partant de cet

2 article-ci, les républiques pouvaient, de leur pleine volonté, procéder à

3 la sécession vis-à-vis de RSFY ? Est-ce que des personnes sont venues

4 présenter ce type d'argumentation à l'époque et aujourd'hui également ?

5 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Si vous parlez de certaines

6 personnes, peut-être pourrais-je demander à Mme le Professeur de nous dire

7 s'il y a eu d'autres experts en matière de droit constitutionnel qui

8 avaient ce type de point de vue ?

9 M. WHITING : [interprétation] Si elle le sait.

10 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Justement. Je voudrais que nous ayons

11 les noms de ces experts.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voulais dire que nous, les juristes, avions

13 une position pratiquement monolithique, mais que l'Etat, ou plutôt le parti

14 qui dirigeait l'Etat avait des opinions divergentes. Ce sont les dogmes et

15 les idées du parti qui ne pouvaient pas s'intégrer à chaque fois dans les

16 normes du droit international ainsi que dans ce qui constituait les

17 principes du droit international. Et c'est là, Messieurs, qu'il y a eu

18 divergence, avec la fin de cet Etat du parti et le démantèlement de la

19 Yougoslavie que nous arrivons sur un terrain juridique. Il me semble que

20 nous devons débattre et raisonner en qualité de juristes et non plus en

21 tant que membres de tel ou tel autre parti. Je vais vous dire qu'un juriste

22 notoirement connu aux Etats-Unis a rédigé un article assez exhaustif - je

23 regrette de ne pas l'avoir - où il termine son exposé avec une question :

24 est-ce que la communauté internationale, à savoir les Etats-Unis et l'Union

25 européenne, se font figure d'héritiers testamentaires de Josip Broz Tito et

26 de la révolution socialiste ? Pourquoi est-ce que ce sont des principes du

27 parti qui sont appliqués de nos jours encore pour ce qui est de la solution

28 des problèmes existant au niveau de la Yougoslavie ?

Page 11082

1 M. WHITING : [interprétation]

2 Q. Madame, permettez-moi de vous poser une question très directe et

3 particulière. Avez-vous connaissance d'un autre juriste académicien qui

4 aurait des points de vue divergents et qui aurait affirmé que la république

5 avait le droit à la sécession en application de cette constitution de la

6 RSFY de 1974 ? Si vous n'en connaissez aucun dites-le-nous, mais si vous en

7 connaissez certains, dites-nous de qui il s'agit.

8 R. Cela a été avancé au cours des négociations par des juristes qui

9 représentaient les délégations slovènes et croates. Entre eux il y avait le

10 Pr Degen, ensuite Separovic - laissez-moi me souvenir - quoique lui il

11 était du domaine pénal, mais il a également avancé cette position-là, cette

12 opinion-là. Cela a été avancé, pour l'essentiel, par ceux qui se

13 prononçaient en faveur de la sécession à tout prix.

14 Q. Les gens qui ont avancé ce type de position, se référaient-ils

15 également à l'article 3 qui, en version anglaise, se trouve à la page

16 suivante ? Cela se trouve sur la même page dans la version B/C/S. On y dit

17 que les républiques socialistes sont des Etats basés sur la souveraineté du

18 peuple et sur l'autogestion de la classe ouvrière, en laissant entendre de

19 la sorte que les républiques avaient des propriétés d'un Etat ou d'Etat

20 différent. Est-ce qu'ils se sont fondés sur ces dispositions en avançant un

21 argument aux termes de quoi les républiques avaient le droit à la

22 sécession ?

23 R. Cet article est de nature déclarative, parce que cela constitue une

24 dérogation vis-à-vis des autres articles de la constitution ou en

25 application de quoi le jus representationis, le jus legationis et jus

26 tractatum, sans lesquels il ne saurait y avoir d'Etat. Ce sont les trois

27 éléments de la souveraineté. Personne, aucune des républiques n'avait ces

28 qualités-là.

Page 11083

1 Q. Madame, je comprends que c'est votre opinion. Vous l'avez déjà et c'est

2 dans votre rapport. Je vous demande si ceux qui avaient défendu le droit à

3 la sécession de la république en avançant que cela a été prévu par la

4 constitution, est-il vrai de dire que ces gens-là s'étaient fondés sur cet

5 article-là ? Que ce soit correct ou incorrect de votre point de vue, c'est

6 une autre chose, mais est-ce qu'ils s'étaient référés à cet article pour

7 avancer leur argumentation ?

8 R. Il est certain qu'il y a eu des confrontations à l'occasion de ces

9 négociations auxquelles j'ai participé. S'agissant de cet article-là, nous

10 avons riposté ou répliqué en avançant l'article 5, qui disait qu'il ne

11 pouvait pas y avoir -- mais que cela devait constituer l'objet ou le

12 résultat d'un processus parlementaire.

13 M. WHITING : [interprétation] Madame, Madame, arrêtez-vous. Cela va durer

14 terriblement longtemps si vous continuez à parler en même temps que moi.

15 L'article 5 est également versé au dossier tout comme vos positions à ce

16 sujet. Nul besoin n'est de nous en parler une fois de plus.

17 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Monsieur Whiting, peut-être

18 pourrions-nous demander aux interprètes de cesser leur interprétation

19 lorsque vous demandez au Pr de s'arrêter et qu'elle ne s'arrête pas. Nous

20 pouvons demander tout simplement aux interprètes de s'arrêter eux-mêmes.

21 M. WHITING : [interprétation] Bien, moi, cela m'arrange.

22 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je crois que le Juge Moloto est en

23 train de faire un non de sa tête.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] [Hors micro]

25 M. WHITING : [interprétation] Je crois que les interprètes vont avoir

26 besoin de ligne directrice bien plus claire. Si les Juges de la Chambre

27 estiment qu'ils s'arrêtent --

28 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je suis en train de me demander quel

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1 va en être le résultat, parce que Mme va continuer à parler; elle va

2 continuer à parler pour toujours.

3 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Peut-être le témoin devrait prendre

4 connaissance du fait que nous ne la comprenons pas. Du moins, je ne

5 comprends pas lorsqu'il y a des interruptions. Je crois que le Président

6 l'a déjà expliqué, n'est-ce pas ? Veuillez le garder à l'esprit, Madame.

7 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Madame, peut-être avez-vous un

8 problème d'audition ? Est-ce que vous entendez bien ? Parce que si vous

9 entendez bien, bien entendu, il n'y a aucune raison ou aucune excuse de ne

10 pas s'arrêter. Peut-être vous devriez prendre en considération ce que le

11 conseil de l'Accusation vous demande --

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a des coupures, par exemple, à présent.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ces interruptions, c'est parce que

14 vous êtes en train de parler en même temps que le Juge, les Juges.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non.

16 M. WHITING : [interprétation] Je crois que l'heure est venue de faire une

17 pause.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, en effet. Nous allons faire une

19 pause et revenir à six heures moins quart.

20 --- L'audience est suspendue à 17 heures 15.

21 --- L'audience est reprise à 17 heures 46.

22

23

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Avant de reprendre, avant de

25 vous rendre la parole, Monsieur Whiting, la Chambre de première instance

26 demande à la greffière qui se trouve à côté du témoin, de façon déplacée,

27 de bien demander au témoin de s'arrêter de parler quand on lui demande de

28 parler. Si elle refuse de s'arrêter de parler, la greffière à côté d'elle

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1 devra lui éteindre son micro.

2 M. WHITING : [interprétation] Merci.

3 Q. Madame, nous étions en train de parler de sécession. N'est-il pas vrai

4 de dire que la Croatie et la Slovénie n'ont pas obtenu leur indépendance

5 par le biais d'une sécession, mais suite à la désintégration, à la

6 dissolution de la RSFY ?

7 R. A mon avis, il n'y a pas eu de dissolution. La Yougoslavie a été

8 démantelée par la force par le biais d'un soulèvement, tout d'abord en

9 Slovénie, puis qui s'est étendu à la Croatie, et qui a reçu un soutien de

10 l'étranger. A partir de ce moment-là, la Yougoslavie a été brisée, et ce,

11 par la force. Donc, je ne suis pas d'accord. Il n'y avait pas de

12 dissolution.

13 Q. Vous n'êtes quand même pas d'accord pour dire que la commission

14 Badinter, dans son opinion numéro 1, a conclu en

15 décembre 1991 que la Croatie et la Slovénie n'avaient pas fait sécession,

16 mais qu'il y avait eu dissolution ou désintégration de la RSFY ? C'est la

17 conclusion de la commission Badinter. Vous pouvez nous dire si vous êtes

18 d'accord avec moi pour dire que c'était bel et bien cette conclusion.

19 R. C'était en effet la conclusion de la commission Badinter. Nous

20 avons immédiatement fait une réclamation par écrit suite à cette

21 publication parce que nous n'étions pas d'accord avec l'opinion de

22 Badinter, et nous ne sommes pas d'accord, d'ailleurs.

23 Q. Si l'on pouvait regarder cette opinion. C'est la pièce 01171654

24 de la version anglaise. Pour ce qui est de la version en B/C/S, celle que

25 vous avez, il s'agit de la pièce 03089137.

26 La question qui est prise en compte et sur laquelle nous avons une

27 opinion, dans ce document publié le 7 décembre 1991 de la commission

28 Badinter, est de savoir si les républiques avaient fait sécession ou s'il y

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1 avait eu désintégration de la RSFY. Dans cette opinion, après avoir étudié

2 différents points, la conclusion est qu'il y a eu désintégration. C'est

3 bien ce qui est écrit dans le document, n'est-ce pas ?

4 R. Non. Ce n'est pas, à mon avis, la vérité, surtout qu'il y avait des

5 combats en cours sur le territoire de la Yougoslavie. Il n'y avait pas une

6 once d'accord entre les parties, jamais.

7 Q. Oui, je comprends bien que c'est votre opinion, mais la commission

8 Badinter, elle, dans son opinion, a bel et bien déclaré qu'il ne s'agissait

9 pas d'une sécession, mais qu'il s'agissait d'une désintégration de la RSFY.

10 C'est la conclusion qui se trouve à la fin du paragraphe 3 de ce document.

11 C'est bel et bien l'opinion de cette commission ?

12 R. Oui, c'est leur opinion qui est totalement opposée à ce qui est vraiment

13 passé, contradictoire avec ce qui s'est vraiment passé. Regardez les

14 décisions prises par la Croatie et la Slovénie. Il est explicitement écrit

15 qu'il s'agissait d'une sécession.

16 M. WHITING : [interprétation] Ce document pourrait-il être versé au

17 dossier.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il faudrait le verser au dossier et

19 lui donner une cote.

20 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce numéro

21 1023.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Pendant que nous en sommes aux

23 pièces, le document précédent qui est la constitution de 1974 est déjà

24 versé au dossier, il me semble.

25 M. WHITING : [interprétation] En effet.

26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

27 M. WHITING : [interprétation] Merci.

28 Q. Serez-vous d'accord avec moi si je vous dis la chose suivante : quelle

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1 que ce soit la façon dont la Croatie a obtenu son indépendance, que ce soit

2 par des biais légaux ou des biais illégaux, vous êtes quand même d'accord

3 avec moi pour dire que cela n'a rien à voir avec le fait que des crimes de

4 guerre ou des crimes contre l'humanité auraient pu être commis au cours du

5 conflit ? Vous êtes d'accord avec moi pour dire qu'il s'agit quand même de

6 deux problèmes et de deux points parfaitement distincts ?

7 R. Vous pouvez répéter la question ?

8 Q. Vous êtes d'accord avec moi quand je dis la chose

9 suivante : quelle que soit la façon dont la Croatie a obtenu son

10 indépendance, puisque vous dites que c'est par le biais d'une sécession

11 illégale, la commission Badinter dit que c'est par le biais d'une

12 désintégration, que ce soit légal ou illégal au titre de la loi de l'ex-

13 Yougoslavie, vous êtes quand même d'accord avec moi pour dire que tout ceci

14 n'a absolument rien à voir avec le fait que des crimes contre l'humanité et

15 des crimes de guerre ont bel et bien pu être commis au cours du conflit ?

16 R. Pas tout à fait, parce que cet acte justement est le plus grand des

17 crimes; c'est un crime contre la paix, un crime qui a été commis par le

18 biais de la désintégration de la Yougoslavie. Le crime contre la paix a été

19 qualifié comme étant le plus grave crime possible par le procès Nuremberg.

20 Or, c'était ce qui a fait commencer la guerre, avec tout ce qui s'en est

21 suivi.

22 Q. [aucune interprétation]

23 R. Hiérarchiquement, le pire des crimes est le crime contre la paix, qui

24 est commis en faisant sécession.

25 Q. Très bien. Mettons cela de côté. Cela dit, vous seriez d'accord avec

26 moi pour dire que si au cours du conflit qui s'en est suivi entre la

27 Croatie et les forces serbes il y a bel et bien eu des crimes de commis

28 contre l'humanité ou les crimes de guerre, dans ce cas, à savoir comment à

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1 commencer le conflit et qui est responsable du départ du conflit, à savoir

2 si c'est une sécession légale ou non, finalement cela n'a absolument aucun

3 poids ?

4 R. Non, absolument pas.

5 Q. Comment ?

6 R. Vous avez un film qui a été diffusé en Autriche récemment, où des

7 patrouilles de gardes frontières, des membres de la JNA, ont été tués d'un

8 coup de feu dans la nuque, et ce, sur ordre du président Kucan. Ce sont les

9 premiers crimes qui ont été commis. Ils ont été commis en même temps que ce

10 crime contre la paix. On ne peut pas laisser tomber le lien de causalité

11 quand on parle de crimes, le cas de cause et effet.

12 Q. [aucune interprétation]

13 R. Je suis d'accord avec vous, cela dit, bien sûr, qu'il y a bel et bien

14 eu des crimes de commis lors des opérations de guerre.

15 Q. Je pose la question différemment dans ce cas-là. Au cours du conflit au

16 cours de 1991, disons qu'un membre des forces serbes ait commis un crime

17 contre l'humanité ou un crime de guerre contre, mettons, un civil croate,

18 cette personne ne peut pas employer pour sa défense le fait que la Croatie

19 a fait sécession de façon illégale parce que les deux choses n'ont rien à

20 voir. L'origine du conflit n'a rien à voir avec le fait que cette personne

21 ait ou non commis des crimes de guerre.

22 M. PEROVIC : [interprétation] Je soulève une objection, s'il vous plaît,

23 Monsieur le Président.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Allez-y, Monsieur Perovic.

25 M. PEROVIC : [interprétation] Cette question posée par mon éminent collègue

26 est basée sur une hypothèse. Je la considère, donc, inadmissible.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Whiting, qu'avez-vous à

28 répondre ?

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1 M. WHITING : [interprétation] Il me semble qu'avec un expert juridique il

2 est tout à fait possible et permis de poser des questions basées sur des

3 hypothèses.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Avez-vous des réponses, Monsieur

5 Perovic ?

6 M. PEROVIC : [interprétation] Il me semble qu'il n'y a aucune différence

7 entre des témoins et des témoins experts. A mon avis, les questions basées

8 sur des hypothèses ne sont possibles ni dans un cas ni dans l'autre.

9 [La Chambre de première instance se concerte]

10 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] L'objection est rejetée.

11 M. WHITING : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

12 Q. Madame le Témoin, est-ce que vous vous souvenez de ma question ou

13 devrais-je la répéter ?

14 R. Je préférerais que vous la répétiez.

15 Q. Très bien. Imaginons qu'un membre des forces serbes lors du conflit en

16 Croatie au cours de l'année 1991 commet un crime de guerre ou un crime

17 contre l'humanité contre un civil croate, l'origine même du conflit, la

18 façon dont le conflit a débuté, que ce soit par le biais d'une sécession de

19 la Croatie, sécession qui aurait été légale ou non légale, vous êtes

20 d'accord avec moi pour dire que ceci n'a absolument rien à voir avec la

21 détermination de la culpabilité de la personne qui a commis ce crime de

22 guerre ou ce crime contre l'humanité, n'est-ce pas ?

23 R. Non, non. C'est beaucoup plus complexe que ce que vous venez de me

24 poser. Souvenez-vous des dispositions de la constitution, car dans la

25 constitution, s'il y a agression contre la Yougoslavie en tant qu'Etat

26 souverain, toute personne a le droit de prendre des armes et de défendre la

27 souveraineté de l'Etat avec des armes. On pourrait en déduire que ce crime,

28 dans ce cas-là, n'est plus un crime, mais qu'il s'agit plutôt de défense du

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1 territoire, défense de la patrie.

2 Q. [aucune interprétation]

3 R. Souvenez-vous que nous étions quand même, nous travaillions avec une

4 Défense populaire généralisée à l'époque.

5 Q. Madame, vous êtes en train de modifier mon hypothèse de base, puisque

6 mon hypothèse de base c'est qu'un crime de guerre ou un crime contre

7 l'humanité a bel et bien été commis. Je suis en train de vous dire que

8 l'origine même du conflit, le camp responsable, que la sécession soit

9 légale ou non légale, je suis en train de vous dire que tout cela n'a

10 absolument rien, aucune conséquence sur le problème de détermination de la

11 culpabilité de la personne qui a commis le crime de guerre. Toutes ces

12 choses n'ont rien à voir.

13 R. Absolument pas.

14 Q. [aucune interprétation]

15 R. C'est totalement -- il y a énormément de pertinence en revanche.

16 Regardez, par exemple, quand une personne, n'importe qui, tue une autre

17 personne en légitime défense -- et ensuite on va soulever les circonstances

18 aggravantes ou circonstances atténuantes, parce que dans ce cas-là il y a

19 quelque chose d'autre. En loi, il n'y a jamais rien qui n'arrive à partir

20 de rien. Il y a toujours un lien de causalité qu'il faut déterminer pour

21 arriver à trouver la vérité.

22 Q. Très bien, mais je vais être encore plus explicite. Je vais rentrer

23 dans une hypothèse encore plus complexe.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je déteste vous faire cela, mais

25 j'aimerais comprendre quelque chose. Il me semble quand même quand on parle

26 de circonstances atténuantes ou circonstances aggravantes, c'est après la

27 détermination de la culpabilité. Pour ce qui est de la condamnation, le

28 fait que la sécession soit légale ou non n'a plus aucune pertinence,

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1 puisque les circonstances aggravantes ou les circonstances atténuantes

2 traitent bien plus de la détermination de la peine que de la détermination

3 de la culpabilité. Etes-vous d'accord avec moi là-dessus, Madame ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Pas tout à fait.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur Whiting,

6 vous pouvez poursuivre.

7 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Monsieur Whiting, j'aimerais quand

8 même poser une petite question au témoin avant de redonner la parole à M.

9 Whiting. Madame, vous nous avez dit que la question est plus complexe et

10 qu'il fallait prendre les armes dans le cadre de la Défense populaire

11 généralisée si la patrie était en danger, s'il fallait défendre la patrie.

12 Est-ce que vous êtes en train de nous dire que dans ces circonstances il

13 serait juste de tuer des civils qui n'étaient pas combattants, qui

14 n'étaient pas engagés dans une activité guerrière quelconque ? Est-ce que

15 vous iriez jusque-là ? Est-ce que vous pousseriez le principe aussi loin ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, on ne peut pas le faire, c'est

17 impossible. Parce que, au titre de la Défense populaire généralisée, il se

18 met à avoir une différence extrêmement étroite et très imperceptible entre

19 militaires, entre une personne en arme et un civil. Bien sûr, un crime

20 reste un crime. Mais dans le cadre de la Défense populaire généralisée, la

21 différence entre un civil qui prend les armes et un militaire qui prend les

22 armes n'existe pratiquement plus, en tout cas dans le cadre de notre propre

23 constitution.

24 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je vous ai posé une question dans

25 le cas d'un civil qui n'est pas dans ce cas-là, qui n'a pas d'arme, qui ne

26 combat pas, qui ne poursuit aucune activité guerrière, qui est juste un

27 civil et rien de plus. C'étaient les circonstances très précises que j'ai

28 indiquées. Donc, c'est dans ce cas-là que je vous demande de répondre.

Page 11092

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien évidemment, si je prenais un fusil et que

2 je tuais un civil, ce serait un crime. Mais il faut se remettre dans la

3 situation de 1991 où il y avait le chaos dans le pays, où les militaires

4 ont été renvoyés dans leurs casernes. Même les forces paramilitaires ont

5 commencé à se battre entre elles et à s'entretuer. C'était vraiment un état

6 parfaitement chaotique avec des tueries indiscriminées.

7 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Vous êtes d'accord avec moi pour

8 dire que quand on a le droit de prendre des armes, on a les droits de

9 défendre sa patrie dans le cadre de la Défense populaire généralisée, on

10 reste quand même sous la coupe des lois et coutumes de la guerre et toute

11 loi ayant à voir avec la conduite de la guerre ? On ne peut pas sortir de

12 ce cadre légal portant sur la guerre sans automatiquement quitter le cadre

13 légal et enfreindre la loi.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, dans un monde idéal ce serait parfait. Je

15 serais assez d'accord avec vous si nous parlions en termes de droit

16 positif.

17 Mme LE JUGE NOSWORTHY : [interprétation] Je vous remercie, Madame le

18 Professeur. Je redonne la parole à M. Whiting.

19 M. WHITING : [interprétation] Très bien. Je reprends.

20 Q. Je reprends mon hypothèse, je vais encore un peu plus loin. Nous avons

21 un scénario. Il y a un soldat serbe qui combat en Croatie en 1991, il prend

22 son arme, et délibérément, abat et tue un civil qui n'est en aucun cas

23 engagé au combat.

24 M. PEROVIC : [interprétation] Je soulève une objection, s'il vous plaît.

25 L'Accusation aurait-elle des informations que je n'ai pas, puisque qu'au

26 cours de mon interrogatoire principal, je n'ai utilisé que les passages du

27 rapport de l'expert, qui étaient autorisés, qui n'avaient pas été expurgés;

28 donc le statut légal international de la Yougoslavie et la sécession à la

Page 11093

1 lumière de la loi internationale et de la loi nationale. Les segments

2 portant sur les caractères rustiques et les détails ayant trait ou confirmé

3 ont été éliminés par la Chambre de première instance. Or, je vois que

4 l'Accusation est en train de poser des questions à ce propos. Alors, soit

5 il a des informations que je n'ai pas, soit il est en train de poser des

6 questions non pertinentes à ce témoin.

7 M. WHITING : [interprétation] Absolument pas. Puisque le but de ces

8 questions hypothétiques est d'explorer la pertinence des passages qui sont

9 versés au dossier et pour lesquels elle a déposé et qui porte sur la

10 sécession de la Croatie, sur l'illégalité de la sécession de la Croatie et

11 sur les implications de cette sécession illégale sur notre affaire. C'est

12 ce que je suis en train d'explorer à l'heure actuelle; la relation entre

13 cette opinion selon laquelle la sécession était illégale et les chefs

14 d'accusation à l'espèce.

15 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si j'ai bien compris, vous êtes en

16 train de voir si l'illégalité de la sécession peut être utilisée comme une

17 défense en cas d'accusation de crimes dans le cadre de votre hypothèse.

18 M. WHITING : [interprétation] Exactement, c'est là que j'allais en venir.

19 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et bien, Monsieur Perovic, avez-vous

20 une réponse ?

21 M. PEROVIC : [interprétation] Si la Chambre de première instance considère

22 que ceci n'a pas à voir avec les passages du rapport des experts qui ont

23 été expurgés, dans ce cas, je retire mon objection.

24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Perovic.

25 Monsieur Whiting.

26 M. WHITING : [interprétation] Je vous remercie.

27 Q. Je répète mon hypothèse pour avoir votre opinion là-dessus. Il s'agit

28 d'un soldat serbe qui serait combattant en Croatie en 1991, qui prend

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1 délibérément son arme et qui, délibérément, abat un civil, un civil qui

2 n'est absolument pas engagé dans les combats, d'aucune manière que ce soit.

3 Donc, ce soldat ne peut pas utiliser pour sa cause, pour se défendre, le

4 fait que la sécession de la Croatie était illégale. Cela ne lui permettrait

5 pas de se défendre de cette accusation de crimes contre l'humanité ou de

6 crimes de guerre.

7 R. Monsieur, au lieu de questions hypothétiques, je préférerais que l'on

8 examine les faits et que l'on étudie le scénario de la sécession en tant

9 que tel et toutes les conséquences qui s'en sont suivies.

10 Q. Je vous arrête ici. Je vous demande juste de répondre à ma question. Ce

11 soldat qui est accusé de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité

12 peut-il utiliser pour sa défense --

13 R. Cela peut être pris en compte, bien sûr, dans la qualification légale

14 de l'acte, pour savoir s'il s'agissait d'un crime ou d'une défense de la

15 patrie, d'un acte de défense contre la patrie. C'est une distinction

16 extrêmement subtile. Cela demande énormément de prudence et des

17 délibérations aussi extrêmement prudentes.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous êtes une experte, Madame,

19 une experte juridique. Quelle serait votre opinion dans ce cas ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] J'allais vous présenter les faits qui

21 s'étaient déroulés à l'époque. Bien sûr, mon opinion découle de ces faits.

22 Je ne sais pas si vous m'autorisez; oui ou non.

23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] On vous demande votre opinion à propos

24 de l'hypothèse qui vous a été présentée. Il convient de répondre aux

25 questions qui vous sont posées bien plus que de formuler vos propres

26 questions et trouver vos propres réponses.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je quand même faire ce que je voulais, et

28 à la place de l'hypothèse substituer des faits ?

Page 11095

1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Absolument pas. Vous devez faire ce

2 que l'on vous demande. Ici, on n'est pas là pour faire ce que l'on veut, on

3 est là pour faire ce que l'on vous demande. En tout cas, en tant que témoin

4 à ce Tribunal, c'est ce qui est attendu de vous.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans ce cas-là, je pense que j'ai répondu.

6 J'ai répondu qu'il s'agit d'un problème de qualification, à savoir ce qui

7 est exactement un crime de guerre et ce qui est une défense de la patrie

8 dans le cadre de la Défense populaire généralisée. C'est une question très

9 spécifique qui doit être explorée, et il convient, bien sûr, d'étudier en

10 détail toutes les circonstances qui entourent ce fait.

11 M. WHITING : [interprétation]

12 Q. Vous êtes en train de nous dire, Madame, que dans ce type de

13 circonstances, un soldat pourrait exécuter. Parce que finalement, c'est la

14 description exacte de ce dont on parlait. On pourrait exécuter un civil et

15 cette exécution ne serait pas considérée comme un crime de guerre ou un

16 crime contre l'humanité, parce que ce serait un acte commis dans le cadre

17 de la défense de la patrie; c'est bien cela ?

18 R. Si le civil avait un fusil en main et était combattant, donc en

19 position de combattant, la situation est bien différente que si on a un

20 civil sans arme, si c'était un civil sans arme, parce que là il s'agit bel

21 et bien d'un crime de guerre.

22 Q. On ne peut pas utiliser comme défense que la sécession était illégale

23 et que c'est la Croatie qui avait commencé la guerre, n'est-ce pas ? On ne

24 peut pas utiliser cet argument dans le cadre de la défense ?

25 R. Non. Mais le lien de cause à effet doit être établi au départ. C'est ce

26 lien de cause à effet qui permet d'étayer la qualification légale, la

27 qualification juridique.

28 Q. Je suis désolé mais je ne vous comprends pas là. La question est

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1 pourtant simple. Un soldat - délibérément je parle ici d'un soldat serbe -

2 qui exécute un civil, il n'y a aucun doute, c'est bel et bien un civil,

3 c'est quelqu'un qui n'était engagé dans aucun combat. Donc, le Serbe peut-

4 il déclarer qu'étant donné que la Croatie avait déclaré son indépendance de

5 façon illégale et avait commencé le conflit, il ne s'agissait pas d'un

6 crime de guerre ? En fait, ce n'est pas un argument juridique valable,

7 n'est-ce pas ?

8 R. J'ai dit que je pensais qu'il s'agissait d'un crime de guerre, mais on

9 ne peut pas exclure le fait que c'est une conséquence d'une situation

10 générale prévalente. Le fait qu'il y ait des ordres généraux, le fait qu'il

11 y ait des règlements de compte par le biais d'armes à feu, puisqu'à ce

12 moment-là on tombe dans des situations où la violence chaotique existe des

13 deux camps, dans les deux camps.

14 Q. Je pense que vous êtes en train de modifier mon hypothèse. Je vais

15 passer à autre chose.

16 Etes-vous d'accord avec moi, Madame, quand je vous dis qu'à l'été

17 1991, voire même plus tôt, tout le monde en Yougoslavie avait plus ou moins

18 bien compris que la Yougoslavie ne resterait pas intacte et que ce pays

19 allait vers la désintégration d'une manière ou d'une autre ?

20 R. Oui, c'est le cap que prenaient les choses, c'est vrai. Mais la guerre

21 aurait pu être évitée et le résultat aurait pu être tout à fait différent

22 que ce qui est arrivé. La cause principale de tout cela a été

23 l'interdiction d'autoriser l'Etat de Yougoslavie à l'autodéfense et à se

24 défendre légitimement, avec l'ordre qui a été donné de renvoyer les

25 militaires dans les casernes pendant que les paramilitaires, en revanche,

26 eux étaient totalement libérés et ont pu faire ce qu'ils voulaient. C'était

27 une chose. La deuxième chose, c'est que le président de la présidence de

28 l'époque, M. Mesic, avait devoir de préserver l'intégrité de son territoire

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1 et de résoudre les conflits de façon pacifique. Or, il ne l'a pas fait, et

2 ainsi, ce qui est arrivé est arrivé.

3 Q. Très bien. Passons maintenant à votre rapport, page 4, note de pied de

4 page 9. Vous citez un article de Joseph Nye. C'est un article qui était

5 dans le Washington Post.

6 Q. Très bien. Maintenant pour ce qui est de votre rapport en page 4, note

7 de pied de page 9, il s'agit d'une citation d'un article de Joseph Nye.

8 L'article vient du Washington Post. Vous le citez et vous dites : "La

9 sécession n'est pas une catégorie légale ou une règle de droit

10 international." Vous voyez cette citation dans votre rapport ?

11 R. Oui.

12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] A quelle page ?

13 M. WHITING : [interprétation] C'est page 4, Monsieur le Président, page 4

14 du rapport.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi. Il s'agit d'une déclaration du

16 secrétaire général U Thant. Cette déclaration est de M. U Thant.

17 M. WHITING : [interprétation]

18 Q. Je suis désolé, le paragraphe où on parle de Joseph Nye qui est

19 professeur à Harvard ? C'est de ce paragraphe dont je parle. Vous le

20 voyez ?

21 R. Oui.

22 Q. Donc, vous voyez. Je le cite. A la dernière phrase de ce paragraphe

23 vous dites en citant cette personne, donc M. Nye, et je cite : "La

24 sécession n'est pas une catégorie juridique ou une règle de droit

25 international." Vous voyez cela ?

26 R. Oui.

27 Q. Maintenant, je voudrais que vous regardiez cet article. Il s'agit de

28 06050150.

Page 11098

1 Madame, le greffier est en train de chercher cet article. Je pense

2 que vous l'avez lu en anglais, n'est-ce pas ? C'était publié en anglais

3 dans le Washington Post. Donc, je pense que vous l'avez lu en anglais dans

4 le texte. Avez-vous entendu ma question ? Il s'agit d'un article du

5 Washington Post de Joseph Nye. Je voudrais savoir si vous l'avez lu dans le

6 texte en anglais, dans la version originale ? Madame, s'il vous plaît ?

7 Madame, pouvez-vous entendre mes questions, s'il vous plaît ?

8 R. Non.

9 Q. Pouvez-vous m'entendre maintenant ?

10 R. Je vous entends.

11 Q. Avez-vous lu cet article dans le texte dans sa version originale en

12 anglais ?

13 R. Oui, si j'ai eu ce journal en main je l'ai très certainement lu en

14 anglais.

15 Q. Donc, vous l'avez lu en anglais ?

16 R. Oui.

17 Q. Pouvez-vous me montrer où se trouve cette phrase que vous avez citée

18 dans l'article, le fait que la sécession n'est pas une catégorie juridique

19 ou une règle de droit international ? Pourriez-vous le trouver ?

20 R. Je ne sais pas s'il s'agit de l'article que j'avais dans le journal. Je

21 n'avais pas l'article sous cette forme. J'avais le quotidien en main.

22 J'étais aux Etats-Unis à l'époque.

23 Q. Pourtant vous citez un article, et ici il s'agit exactement de la même

24 date, la même publication, même auteur, et cetera. Donc, c'est le même

25 article, il est juste présenté différemment que la version que vous avez

26 lue dans le journal, dans le Washington Post. J'aimerais que vous me

27 montriez exactement où vous avez trouvé cette phrase que vous avez citée.

28 R. Je vous le répète, ce que vous me montrez n'est pas ce que j'avais en

Page 11099

1 ma main. J'avais le journal en main.

2 Q. Le fait est que cette phrase n'existe pas dans cet article.

3 R. Peut-être ce n'est pas dans celui-là, mais c'est dans celui que j'ai

4 bel et bien lu.

5 Q. Madame, le 4 octobre, l'Accusation a demandé à la Défense de nous

6 fournir toutes les sources que vous aviez citées dans votre rapport. Cette

7 demande vous a-t-elle été communiquée ? L'équipe de la Défense vous a-t-

8 elle demandé de fournir toutes les sources que vous avez citées dans votre

9 rapport ?

10 R. Oui. J'ai donné tout ce que j'avais à l'époque. J'ai essayé de tout

11 trouver. Je dois vous dire que l'an dernier il y a eu un incendie dans mon

12 appartement, et la moitié de ma bibliothèque a brûlé, toute une pièce.

13 Q. Certes.

14 R. Un grand nombre de manuscrits sont partis en fumée.

15 Q. Quand vous avez écrit ce rapport, vous aviez le journal sous les yeux

16 pour en tirer la citation ?

17 R. Oui. Il me semble que oui.

18 Q. S'agit-il d'une des pièces que vous avez bel et bien fournie à la

19 Défense quand ils vous ont demandé vos sources ?

20 R. Non. Je n'ai rien donné à la Défense parce que mes documents ne sont

21 pas très bien classés. A l'heure actuelle, ils sont un peu mal rangés, si

22 je puis dire. Mais je leur ai dit où ils pourraient trouver ces sources.

23 Q. Quand la Défense vous a demandé vos sources, leur avez-vous donné la

24 moindre de ces sources ?

25 R. Non.

26 Q. Madame, vous --

27 R. Je n'ai rien donné parce que j'avais l'impression --

28 Q. Vous pensiez quoi ? Vous ne les avez pas données à la Défense pour

Page 11100

1 quelle raison ?

2 R. Il me semblait que c'étaient des choses si bien connues et connues de

3 tous, surtout des avocats, enfin de toute la profession juridique, de vous

4 autres, qu'il était tout à fait superflu de les fournir.

5 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, pourriez-vous verser

6 ce document au dossier ?

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ce document est versé au dossier. Il

8 faut lui donner une cote.

9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, ceci sera la

10 pièce 1024.

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'ai quelques questions à poser au

12 témoin. Madame, vous êtes un témoin expert et vous avez été témoin expert

13 plusieurs fois, pas uniquement dans cette affaire, donc vous saviez, quand

14 vous avez rédigé votre rapport, qu'il fallait l'étayer de vos sources; vous

15 le saviez ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La première fois que quoi ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois que je me retrouve

19 devant ce Tribunal en qualité d'expert, et il me semble que ces évidences,

20 ces choses qui sont parfaitement connues de tous, surtout de la profession

21 juridique, et n'ont pas besoin d'être accompagnées de leurs sources.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame, vous comprenez bien que des

23 articles de journaux ne sont pas forcément connus de toute la profession

24 juridique, n'est-ce pas ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Dans une certaine mesure.

26 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Dans ce cas, vous saviez que ce

27 n'était pas connu de tous, et cela dit, vous avez quand même cité cette

28 pièce. Donc, il fallait que vous conserviez cette source pour que vous

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1 puissiez étayer votre opinion. C'est la seule façon que l'autre camp puisse

2 bel et bien vérifier vos sources et vérifier la fiabilité même de votre

3 opinion. Vous le saviez, n'est-ce pas ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que je vous ai déjà dit clairement,

5 Monsieur, que mon appartement a brûlé et que malheureusement la moitié de

6 tous les documents que j'avais et tous les livres ont brûlé.

7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] A quel moment ce feu a-t-il eu lieu ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a quelques mois.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez nous donner

10 la date exacte de cet incendie ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était le 2 septembre. C'est à ce moment-là

12 que j'ai eu ce feu.

13 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le 2 septembre de quelle année ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, pas de cette année. Le mois de septembre

15 de l'année dernière.

16 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quand avez-vous rédigé ce rapport,

17 Madame ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai rédigé ce rapport après cet incendie.

19 Mais je répète : un très grand nombre de documents de référence avait

20 brûlé, donc il m'était bien difficile de m'y référer. Je n'ai pas été en

21 mesure jusqu'à maintenant de tout classifier.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Lorsque vous avez écrit ce rapport,

23 vous aviez, bien sûr, un exemplaire de ce journal, de cet article, n'est-ce

24 pas ? Vous venez de nous dire cela --

25 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai rédigé ce rapport en me basant sur mon

26 travail précédent, donc la réponse est oui.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ma question est la suivante : vous

28 venez de dire au Procureur que lorsque vous avez écrit ce rapport vous

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1 aviez en votre possession un exemplaire de cet article, n'est-ce pas ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] J'avais ce rapport - il s'agit d'un extrait

3 tiré d'un ouvrage volumineux que je vais publier. Je travaille sur cet

4 ouvrage depuis deux ans déjà.

5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Veuillez, je vous prie, répondre à ma

6 question, Madame.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

8 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Alors, répondez à ma question, je vous

9 prie.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

11 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je dis que vous avez admis au

12 Procureur, il y a deux minutes, que lorsque vous avez rédigé ce rapport

13 vous aviez en votre possession un exemplaire de cet article; est-ce exact ?

14 Vous souvenez-vous de cela ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, lorsque j'écrivais ce rapport, je l'avais

16 devant moi, sous les yeux.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Selon votre témoignage, vous avez

18 rédigé ce rapport après l'incendie.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Mais cela fait déjà deux ans que je

20 travaille sur un livre que je suis en train d'écrire, et cela fait partie

21 du tout.

22 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame, écoutez-moi, je vous prie. Le

23 Procureur vous a demandé de leur remettre vos documents de base, vos

24 documents qui vous ont servi de source. Est-ce que vous vous souvenez qu'il

25 vous ait posé cette question ?

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et pourquoi donc --

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais j'ai répondu que oui.

Page 11103

1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pourquoi est-ce que vous n'avez pas

2 remis ce document au Procureur ? Si la raison pour laquelle vous lui avez

3 remis ce document ? Parce que le document n'avait pas brûlé dans

4 l'incendie, n'est-ce pas ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais répéter ce que j'ai dit, Monsieur le

6 Président : cela fait déjà deux ans que je travaille à la rédaction d'un

7 livre, et ce livre est presque tout à fait terminé, et ce rapport a été

8 tiré de cet ouvrage volumineux.

9 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Madame, vous nous avez dit que vous

10 avez écrit ce rapport après le feu qui a eu lieu dans votre appartement et

11 vous nous avez dit qu'à ce moment-là, vous aviez un exemplaire de ce

12 journal. Le conseil vous a demandé de leur remettre vos documents. Le

13 conseil de la Défense vous a demandé de leur remettre un exemplaire.

14 Pourquoi vous ne l'avez pas fait ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai estimé que ce n'était pas nécessaire de

16 ce faire. Je réponds à votre question, et c'est ainsi que je réponds. Je

17 croyais, j'étais convaincue que pour ce qui est de la teneur de ce rapport,

18 qu'il ne m'était pas nécessaire de fournir les sources elles-mêmes, car ces

19 sources sont tellement notoires que n'importe quel avocat serait au courant

20 de cela.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais l'équipe de la Défense vous a

22 demandé de leur communiquer ce document, et vous avez accepté, en répondant

23 à ma question, que les articles de journaux sont des articles notoires et

24 que chaque avocat a certainement eu connaissance de cela.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsqu'un témoin expert exprime ses opinions

26 dans un article de journal, cela a un certain poids.

27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Lorsqu'un autre expert souhaite

28 s'appuyer ou analyser cette opinion, cet autre expert doit avoir accès à la

Page 11104

1 source, au document. Dans le cas en l'espèce, c'est vous cet autre témoin

2 expert. Je vois que vous opinez du chef. Dites-nous, est-ce que vous êtes

3 d'accord avec moi ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] De nouveau, je vais répéter ce que j'ai dit.

5 M. PEROVIC : [interprétation] Monsieur le Président ?

6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

7 M. PEROVIC : [interprétation] Avec votre permission, j'ai peut-être un

8 élément d'information qui pourrait vous venir en aide. Sur l'écran, je peux

9 voir que le texte montré par le Procureur est tourné à la page 23, c'est

10 tout du moins ce que j'ai à l'écran. Dans son rapport d'expert, le témoin

11 nous dit qu'il s'agit de Joseph Nye et de son article intitulé

12 "L'autodétermination," tiré du Washington Post du 15 décembre 1992, pages

13 17 à 23. C'est ce qui figure au bas de la page en B/C/S. Je ne suis pas

14 tout à fait certain si le Procureur a montré l'ensemble de l'article ou

15 souhaitait-il peut-être simplement s'en tenir à ce qui figure à la page 23.

16 C'est peut-être cela qui a pu mener à ce malentendu.

17 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je ne vais plus insister auprès du

18 témoin quant aux questions que je lui ai posées.

19 M. WHITING : [interprétation] Merci. Il est vrai que c'est ce qui se trouve

20 entre 17 et 23, et que le document est tourné à la

21 page 23. Mais à la lecture de l'article, nous pouvons apercevoir qu'il

22 s'agit d'un ensemble d'articles. Il est tout à fait clair qu'il ne s'agit

23 pas simplement de l'extrait de l'article. L'article est là au complet. Mais

24 en réalité, si le témoin nous avait fourni la source, nous n'aurions pas eu

25 ce problème. C'est ceci que nous avons exploré il y a quelques instants.

26 Mais nous estimons qu'il s'agit de l'article complet, et la citation du

27 témoin ne figure pas dans l'article.

28 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Peut-on peut-être demander au témoin

Page 11105

1 de nous fournir de plus amples explications ? Professeur, est-ce que vous

2 pouvez m'entendre ? Est-ce que vous vous souvenez avoir eu cet article

3 entre les mains, Joseph S Nye junior, "Le piège de l'autodétermination,"

4 tiré du Washington Post en date du 15 décembre 1992 ? Est-ce qu'il s'agit

5 d'un article qui est contenu sur une page ? Est-ce que c'est cela

6 l'extrait ? Est-ce qu'il s'agit d'un article court, contenu sur une page ou

7 s'agissait-il de quelque chose de plus volumineux qui pourrait couvrir

8 peut-être sept pages ? Est-ce que vous vous souvenez de cela ? S'agit-il

9 d'un article de sept pages ou contenu sur une page ? Je vous pose cette

10 question, car à ce moment-là, nous pourrons peut-être explorer la question

11 plus en profondeur.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Si je me souviens bien - vous pouvez bien sûr

13 comprendre qu'il est bien difficile de se rappeler de cela - mais je crois

14 qu'il s'agissait d'un article qui - vous savez comment c'est avec ces

15 journaux, cela commence sur une page et ensuite la fin de l'article se

16 trouve sur une autre page. Par exemple, le début de l'article peut

17 commencer sur la première page, ensuite l'article se poursuit sur les pages

18 suivantes, donc je crois que c'était le cas concernant cet article-ci. Je

19 ne me souviens pas toutefois. Prenez-le comme vous voulez. Mais je crois

20 que je voulais simplement étoffer ou parler de la déclaration d'U Thant. Je

21 crois que sa déclaration à lui est d'une importance fondamentale.

22 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci.

23 M. WHITING : [interprétation] Je vous remercie.

24 Q. Maintenant, à la page 5 du rapport - il s'agit de la page 5 en B/C/S

25 également - il y a un paragraphe qui commence par les mots suivants : "La

26 Croatie a pris le même chemin." Est-ce que vous voyez ceci ?

27 R. Oui.

28 Q. Plus loin, on peut lire : "Le Sabor de la République de Croatie a

Page 11106

1 adopté la constitution stipulant que 'la République de Croatie a été

2 établie en tant qu'Etat national du peuple croate.'" Voyez-vous cette

3 phrase ? Madame, je n'ai pas encore vu votre réponse. Je crois que vous

4 avez répondu, mais je ne suis pas tout à fait certain que vous ayez répondu

5 clairement. Est-ce que vous voyez cette phrase-là dans votre rapport ?

6 R. Oui, oui.

7 Q. Maintenant, il ne s'agit pas d'une citation verbatim, car la citation

8 ne s'arrête pas là, après "le peuple croate". En réalité, ce que vous aviez

9 dit est plus long, n'est-ce pas ?

10 R. Oui. Mais j'ai trouvé que ce n'est que cette phrase-là qui était

11 pertinente.

12 Q. Madame, vous mettez un point et vous fermez les guillemets. Ne pensez-

13 vous pas que cela induit le lecteur en erreur, croyant que la phrase se

14 termine ici et qu'il ne s'agit pas de quelque chose qui est tiré d'une

15 phrase plus longue ? Vous n'avez pas mis trois points indiquant que la

16 phrase se poursuivait.

17 R. Il s'agit d'une erreur de frappe.

18 Q. Est-ce que vous vous rappelez du reste de la phrase ?

19 R. Je n'ai pas emmené la constitution croate avec moi.

20 Q. Bien, juste à côté, le monsieur qui est à côté de vous, vous remettra

21 la constitution croate. Elle porte la cote 910 et fait partie de nos

22 éléments de preuve. Je vous demanderais de prendre la page qui est énumérée

23 de la façon suivante : 00873839; c'est un numéro qui figure en haut de la

24 page. En anglais, il s'agit du numéro ERN-00084402. Cette pièce porte la

25 cote 910 et elle est versée au dossier comme élément de preuve. Je ne sais

26 pas si nous l'avons à l'écran; je vais attendre que le document soit

27 présenté sur l'écran.

28 En anglais, j'aimerais qu'on se concentre sur la colonne de droite, qui

Page 11107

1 commence avec les mots "en procédant avec les faits historiques énumérés

2 ci-après." La phrase est assez longue, je vais vous donner la citation du

3 reste de la phrase du témoin. Voilà ce qu'on lit : "La république de

4 Croatie est établie en tant qu'Etat national de la nation croate," c'est à

5 ce moment-là que vous avez mis un point. Mais, la phrase se poursuit comme

6 suit : "ainsi que l'état de membres d'autres nations et de minorités qui

7 sont des citoyens serbes ou slovènes, tcheks, italiens, hongrois, juifs et

8 autres, à qui l'on garantit l'équité et l'égalité avec les citoyens de

9 nationalité croate ainsi que la réalisation des droits ethniques

10 conformément aux normes démocratiques de l'Organisation des Nations Unies

11 et des pays libres du monde."

12 Maintenant, Madame, il ne s'agissait pas d'une erreur de frappe. Vous avez

13 intentionnellement omis de citer le reste de la phrase.

14 R. Non, Monsieur, pas du tout. Je n'ai pas les faits, mais c'est une

15 erreur. Ce n'est pas moi qui ai tapé ce document. C'est quelqu'un d'autre

16 qui l'a tapé pour moi. Je voulais démontrer par ceci ce que vous --

17 Q. Madame, je vous arrête. Je vous demande d'écouter ma question. N'est-il

18 pas exact que vous nous avez dit au début du contre-interrogatoire, que

19 votre éthique de travail est d'être précise et de faire attention dans

20 votre travail. N'aviez-vous pas remarqué que vous aviez seulement cité une

21 partie d'une très longue phrase, que vous n'aviez pas cité la phrase

22 complète ?

23 R. Non. Parce qu'on se sert normalement de citations lorsque l'on veut

24 présenter un point de vue, en arriver à expliquer quelque chose. Je voulais

25 m'assurer en employant la constitution comme exemple de l'état, et je

26 voulais prouver qu'il s'agissait d'une sécession et non pas d'une

27 dissociation. C'est la raison pour laquelle j'ai estimé que c'était

28 suffisant. Je n'avais pas parlé de la nature de l'Etat, j'ai simplement

Page 11108

1 parlé de la création de l'Etat.

2 Q. Mais, Madame, la partie que vous avez citée ne parle pas de la

3 sécession, d'une dissociation. En omettant de terminer la phrase, n'est-ce

4 pas que ce que vous avez cité ici peut traduire en erreur, peut porter

5 confusion ?

6 R. Non, pas du tout. Je ne crois pas que cela peut porter confusion,

7 induire le lecteur en erreur. Ce que je vous ai dit, et je le maintiens,

8 c'est que j'ai voulu parler de la création d'un Etat croate, il ne

9 s'agissait pas ici d'une dissociation, mais bien d'une sécession, d'un acte

10 unilatéral. C'est pourquoi je n'ai pas estimé nécessaire de présenter toute

11 la citation. Selon moi, le rapport d'expert devait être très bref, court,

12 le plus court possible.

13 Q. Madame, je vais passer à un autre sujet. A la page cinq de votre

14 rapport, et ce, à la fin du paragraphe que nous avons examiné, vous avez

15 parlé de la déclaration sur la souveraineté de la république de Slovénie et

16 de la constitution croate dans le référendum. Dans la dernière phrase, vous

17 dites : "Dans les deux cas, ces promulgations unilatérales de contenu

18 identique ont représenté une violation flagrante de la constitution de la

19 SFRY et de la Charte des Nations Unies." Je souhaiterais maintenant que

20 l'on parle de la Charte des Nations Unies. Pourriez-vous nous dire

21 maintenant à quel article avez-vous plus tôt fait référence ? Ceci

22 constitue une violation flagrante de quel article de la Charte des Nations

23 Unies ?

24 R. Monsieur, je vous ai déjà dit au tout début que le seul sujet, le seul

25 membre de l'organisation nationale était la SFRY, la République socialiste

26 fédérative de Yougoslavie. A l'article 2, je crois que la Charte garantit à

27 tous les Etats membres une indépendance territoriale et politique. La

28 sécession est une violation flagrante de la partie de la Charte qui donne

Page 11109

1 ces garanties à ses membres. Ce n'était que la Yougoslavie en tant que

2 membre d'une organisation internationale et non pas ces unités fédératives

3 constitutives.

4 Q. A l'article 2 section 4, je crois que vous avez sans doute fait

5 référence à cette section-là. Dans cette section, on peut lire, et je cite

6 : "Tous les membres doivent s'abstenir lors des informations

7 internationales d'employer la menace de force contre l'intégrité

8 territoriale et l'indépendance politique de tout Etat ou de tout autre

9 manière qui ne sont pas conformes aux normes des Nations Unies".

10 Maintenant, vous parlez des états qui agissent de façon internationale,

11 mais cela ne s'applique pas, n'est-ce pas, à la situation selon laquelle

12 les déclarations et la souveraineté de la République de Slovénie et de

13 Croatie n'est pas constitutionnelle ?

14 R. Absolument. Cela est tout à fait illogique, je vous ai dit.

15 Q. Pourquoi ?

16 R. Je suis en train de vous dire que c'est notoirement connu. Vous allez

17 prendre la liste des membres des Nations Unies, vous n'allez pas y trouver

18 la Croatie et la Slovénie. Vous allez y trouver la RSFY, qui est l'un des

19 Etats fondateurs et l'un des signataires de la Charte atlantique ou plutôt

20 la Charte des Nations Unies.

21 Q. Madame, Madame --

22 R. -- ne serait être interprétée ou il serait erroné de l'interpréter de

23 façon isolée. Mais, nous pouvons analyser certains articles de façon

24 séparée. Je pense qu'il faut plutôt les prendre dans leur ensemble. Il ne

25 saurait être procédé à une dissociation vis-à-vis des documents.

26 Q. Est-ce que vous pouvez me dire --

27 R. -- qui ont conduit à la création des Nations Unies. Vous savez quels

28 sont les articles qui ont donné lieu à de tels aboutissements.

Page 11110

1 Q. Pouvez-vous me citer l'un quelconque de ces articles de la Charte des

2 Nations Unies, mis à part celui dont j'ai donné lecture. J'ai donné lecture

3 de l'article 2, section 4, qui parle de violation flagrante de la Charte

4 des Nations Unies, du fait de la proclamation faite par la Slovénie ou la

5 Croatie. C'est vous qui l'avez rédigé dans votre rapport, Madame.

6 R. Mais, je le maintiens. Ecoutez, je vous en prie. Aux yeux de tout homme

7 de droit, cela est une chose qu'il n'est point nécessaire de prouver. La

8 Charte garantit l'intégrité territoriale à l'égard de tous ses membres et

9 le seul des membres des Nations Unies était la République fédérative

10 socialiste de Yougoslavie. Trouvez-moi l'article contraire qui se

11 référerait à ce qui s'applique aux unités fédérales ou prenez quelque autre

12 état fédéral que ce soit, prenez la pratique des Etats-Unis d'Amérique.

13 Q. Madame, restons-en, je vous prie, à la Charte des Nations Unies. Etes-

14 vous à même de me citer ou ne l'êtes-vous pas de me citer un autre article

15 qui, comme vous le dites, garantirait l'intégrité territoriale de ces Etats

16 membres ?

17 R. Bien sûr, je pourrais me référer au chapitre 7, et en tirer bien des

18 éléments. Mais je ne veux pas citer par cœur parce que je n'ai pas sous la

19 main le texte de la Charte elle-même. Mais je me souviens qu'à la première

20 année des études à Viennes, mon professeur m'a bien précisé --

21 Q. S'il vous plaît, essayez de vous en souvenir de certains de ces

22 chapitres.

23 R. Prenez le chapitre 7, en entier, pour ce qui est des garantis fournis,

24 et cela se rapporte plus particulièrement aux mesures coercitives. Prenez

25 le chapitre 1 de la Charte, vous allez le voir. Je n'ai pas ici ce texte

26 pour vous en donner lecture et je ne veux pas citer de façon erronée parce

27 que je n'ai pas le texte, et je ne pense pas que nous soyons ici à un

28 examen. Nous sommes en train de parler sur un sujet, c'est une conversation

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1 entre juristes qui devraient connaître ces choses-là ou qui connaissent ces

2 choses-là ou devraient les connaître.

3 Q. Madame, je ne suis pas en train de vous soumettre à un examen. Ce que

4 j'essaie de faire c'est de comprendre sur quoi se fondent les allégations

5 que vous avancez dans votre rapport. Comme il n'y a pas de note de bas de

6 page pour ce qui est de cette phrase concrète, la seule façon de

7 l'apprendre, c'est de vous poser des questions à ce sujet. Me comprenez-

8 vous ? Alors, en page 6 de votre rapport, vous déclarez --

9 R. Non, je ne peux pas --

10 Q. Que disiez-vous ? Vous ne pouviez pas quoi ?

11 R. Je n'arrive pas à comprendre que vous puissiez poser ce type de

12 question lorsqu'il s'agit de la Charte des Nations Unies. C'est quelque

13 chose de notoirement connu pour tout juriste quel qu'il soit.

14 Q. Bien. Passons à la page 6, je vous prie. Vous dites, et je crois que

15 cela devrait également être la page 6 de la version B/C/S. Vous y parlez de

16 l'accord en huit points établis entre Kucan et Tudjman.

17 R. Oui, c'est cela.

18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quelle page est-ce en anglais ?

19 M. WHITING : [interprétation] En version anglaise, il s'agit de la page 6,

20 premier paragraphe.

21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

22 M. WHITING : [interprétation]

23 Q. Alors, j'aimerais que vous vous penchiez sur l'article qui figure dans

24 un document, le document est le R0292668. Le greffe doit certainement

25 l'avoir pour vous. Malheureusement, s'agissant de cet article, je n'en ai

26 qu'une version anglaise. Il s'agit d'un article publié par Tanjug, un

27 journal de Belgrade, daté du 13 février 1991.

28 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Il s'agit d'une agence de presse,

Page 11112

1 comme on l'a déjà dit, Tanjug.

2 M. WHITING : [interprétation] Je pensais que c'était l'un et l'autre.

3 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Il s'agit d'une agence de presse.

4 M. WHITING : [interprétation] Ce n'est pas une maison d'édition ?

5 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Certes.

6 M. WHITING : [interprétation] Bien, on va réajuster le tir.

7 Q. Madame le Professeur, vous connaissez Tanjug, n'est-ce pas ?

8 R. Oui, bien sûr.

9 Q. Merci, Monsieur le Juge. Alors, au premier paragraphe il est dit :

10 "Dans une déclaration spéciale faite en ce jour, le secrétariat fédéral à

11 la Défense nationale a nié certaines des affirmations publiées dans un

12 article dans un journal de Ljubljana et intitulé. Accord sloveno-croate sur

13 une défense conjointe, et auparavant, cela a été publié dans un bulletin de

14 guerre croate dans le journal Globus de Zagreb. On dit que cela a été

15 repris de là."

16 L'article explique qu'à une réunion -- au troisième paragraphe, il est fait

17 état de cette déclaration conjointe adoptée le 22 janvier, et là je passe

18 au quatrième paragraphe, où il est dit : "qu'au cas où il y aurait recours

19 aux forces armées, à savoir à l'armée populaire yougoslave, la JNA, aux

20 fins d'entraver la prise de mesures légitimes de la part des gouvernements

21 des républiques, la présidence de la République de Slovénie et le président

22 de la République de Croatie prendront des mesures coordonnées dans le cadre

23 de leurs attributions constitutionnelles." Au paragraphe suivant, il est

24 dit : "qu'il s'agit de mesures qui feront l'objet de certaines décisions au

25 cas où il y aurait intervention armée de la part de la JNA."

26 Alors, est-ce que cela est cohérent ou est-ce que c'est ainsi que vous avez

27 compris l'accord auquel vous vous référez dans votre rapport ? Est-ce que

28 c'est à cela que vous faites référence ?

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1 R. Bien sûr.

2 Q. Madame, je ne suis pas sûr d'avoir bien entendu votre réponse.

3 R. Je vous ai déjà dit que j'ai fait partie de cette équipe chargée des

4 négociations. Nous avions obtenu le texte de ces accords par le biais des

5 services de Renseignements. Le texte de cet accord, vous pouvez le

6 retrouver dans votre documentation, cela a été produit à l'occasion du

7 procès de M. Milosevic. En ma qualité de membre de cette délégation,

8 j'avais le texte de l'accord en main. Vous devez certainement savoir que

9 les parties se sont servies de tout coup fourré, notamment dans les

10 premiers débuts des activités armées entre l'armée légale qui était la JNA

11 et les forces paramilitaires. La Slovénie ainsi que la Croatie, par tous

12 les moyens en niant les documents adoptés pour prouver leur légalité ou

13 leur légitimé, se servaient de tout cela. Mais je dirais que cela existait

14 et existe encore. Ce texte, vous pouvez le retrouver, je ne l'ai pas sur

15 moi mais je suis certaine que vous serez à même de retrouver cela dans

16 votre documentation s'agissant des pièces qui ont été produites lors du

17 procès du feu président Milosevic.

18 Q. Mais s'agissant de vos souvenirs, est-ce que ceci correspond à ce que

19 vous avez gardé en mémoire au sujet de la teneur dudit accord ?

20 R. Tout à fait. Pour ce qui est des dénégations avancées par la Slovénie

21 et la Croatie, ce n'est pas limité à cela seulement.

22 Q. Merci. Cela suffit.

23 M. WHITING : [interprétation] J'aimerais que ce document soit également

24 versé au dossier.

25 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ce document sera versé au dossier.

26 Donnez-lui une cote.

27 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame et Monsieur le Président, ce

28 serait la pièce à conviction 1025.

Page 11114

1 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

2 M. WHITING : [interprétation] Je crois que l'heure est arrivée de lever

3 l'audience.

4 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, merci, Monsieur Whiting. Juste

5 une ou deux questions administratives ou peut-être pourrions-nous dire au

6 revoir au témoin d'abord ?

7 Madame, nous en sommes arrivés à la fin de la journée d'aujourd'hui.

8 La Chambre n'en a pas terminé avec les questions pour vous, Madame le

9 Docteur, ce qui fait que nous remettons le tout à demain. Cela sera le

10 mercredi, 15 novembre à 2 heures et quart. Je voudrais que vous vous

11 rendiez disponible à 2 heures et quart de l'après-midi au même endroit.

12 Vous êtes libre de vous en aller. Je vous dis à demain à 2 heures et quart.

13 Merci, d'être venue.

14 Le Juge Hoepfel m'a demandé précisément de m'assurer du fait que les

15 parties aient bien connaissance du fait que le vendredi, 17, l'audience

16 aura lieu dans la matinée, et non pas l'après-midi, donc le matin à 9

17 heures. Merci.

18 Ceci étant fait, les Juges de la Chambre de première instance voudraient

19 rendre une décision verbale suite à la demande présentée aujourd'hui par la

20 Défense requérant de la part des Juges de la Chambre de première instance

21 une certification à des fins d'interjection d'appel. Les Juges de la

22 Chambre ont été saisis par la Défense aujourd'hui pour ce qui est d'une

23 certification d'un appel interlocutoire concernant cette décision rendue

24 pour l'expert Smilja Avramov datée du 9 novembre. La Chambre a pris bonnes

25 notes des arguments présentés par la Défense dans cette requête et la

26 Chambre de première instance prend notes également des arguments présentés

27 par l'Accusation présentés aujourd'hui.

28 En application de l'article 73(B), la Chambre de première instance estime

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1 que l'expurgation du rapport implique une question qui risquerait de porter

2 atteinte de façon significative sur une bonne conduite et une conduite

3 rapide et équitable de la procédure et son issu.

4 Deuxièmement, après avoir pris en considération cette question, nous

5 estimons qu'une décision rapide rendue par la Chambre d'appel pourra faire

6 avancer de façon matérielle la procédure.

7 La Chambre estime que le premier élément de l'article n'a pas été respecté.

8 La Chambre de première instance estime que compte tenu de la phase dans

9 laquelle se trouve le procès, la solution de la Chambre d'appel ne risque

10 pas de contribuer dans une grande mesure à l'issue de ce procès. A cet

11 égard, nous estimons que la Défense avait été saisie d'une demande de

12 présenter ce rapport immédiatement après les vacances d'été, à savoir le 14

13 août.

14 L'audience est levée.

15 --- L'audience est levée à 19 heures 07 et reprendra le mercredi 15

16 novembre 2006, à 14 heures 15.

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