Affaire n° : IT-05-87-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
30 septembre 2005

LE PROCUREUR

c/

MILAN MILUTINOVIC
NIKOLA SAINOVIC
DRAGOLJUB OJDANIC
NEBOJSA PAVKOVIC
VLADIMIR LAZAREVIC
VLASTIMIR ÐORÐEVIC
SRETEN LUKIC

**CONFIDENTIEL**

__________________________________________________________

DECISION RELATIVE A LA MISE EN LIBERTE PROVISOIRE DE NEBOJSA PAVKOVIC

__________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Thomas Hannis
Mme Christina Moeller
Mme Carolyn Edgerton
M. Chester Stamp

Ambassade de Serbie-et-Monténégro

Les Conseils des Accusés :

MM. Eugine O’Sullivan et Slobodan Zecevic pour Milan Milutinovic
MM. Tomislav Visnjic et Peter Robinson pour Dragoljub Ojdanic
MM. Toma Fila et Vladimir Petrovic pour Nikola Šainovic
MM. John Ackerman et Aleksander Aleksic pour Nebojsa Pavkovic
M. Mihaljo Bakrac pour Vladimir Lazarevic
M. Theodore Scudder pour Sreten Lukic

LA PRÉSENTE CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis  1991 (le « Tribunal international »),

VU la demande de mise en liberté provisoire déposée à titre confidentiel le 10 juin 2005 (Motion for Provisional Release, la « Demande »), par laquelle la Défense demande que Nebojsa Pavkovic (« l’Accusé ») soit mis en liberté provisoire dans l’attente de son procès et informe la Chambre qu’elle est prête à faire un exposé complémentaire et à présenter des éléments de preuve,

VU la réponse déposée le 24 juin 2005 (Prosecution’s Response to Nebojsa Pavkovic’s Motion for Provisional Release with Annexes A and B, la « Réponse  »), par laquelle l’Accusation s’oppose à la Demande, arguant que l’Accusé ne se représentera pas s’il est libéré, et demande, en application de l’article 65 E) du Règlement, que la Chambre surseoit à la libération de l’Accusé dans l’attente d’un acte d’appel si elle fait droit à la Demande,

ATTENDU qu’aux termes du paragraphe B) de l’article 65 (« Mise en liberté provisoire ») du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international ( le « Règlement »), il appartient à l’accusé qui demande la liberté provisoire de convaincre la Chambre sur deux points, à savoir 1) qu’il comparaîtra au procès, et 2) que, s’il est libéré, il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne1,

ATTENDU que rien ne porte à croire que, s’il est libéré, l’Accusé mettra en danger une victime, un témoin ou toute autre personne et que la Chambre a estimé précédemment qu’il y avait lieu de déterminer si la première condition posée par l’article était remplie2,

ATTENDU que la Chambre a estimé qu’elle pourrait avoir besoin d’un complément d’information sur la question de la comparution de l’Accusé s’il est libéré et en particulier sur les conditions de sa reddition au Tribunal, et qu’elle a dans cette optique prévu une audience sur le sujet le 23 août 20053,

ATTENDU que les principaux arguments présentés par la Défense dans la Demande et à l’audience du 23 août 2005 peuvent être ainsi résumés :

1) L’Accusé s’est livré de son plein gré au Tribunal international trois jours après que l’acte d’accusation établi à son encontre lui eut été signifié par le tribunal de district de Belgrade. De fait, cela prouve qu’il respectera toutes les ordonnances de la Chambre de première instance sans exception4  ;

2) Les garanties offertes par les autorités de la République de Serbie et de la République de Serbie-et-Monténégro peuvent être jugées fiables compte tenu du nombre considérable de redditions permises par les autorités de Serbie5  ;

3) L’Accusé a montré qu’il coopérait largement avec le Tribunal international puisqu’il a accepté d’être interrogé par le Bureau du Procureur avant même d’avoir reçu la moindre pièce jointe à l’acte d’accusation établi contre lui ; cela montre en outre qu’il entend continuer à coopérer avec l’Accusation en se tenant à la disposition de celle-ci pendant toute la procédure en l’espèce6 ;

ATTENDU que les objections de l’Accusation à la libération provisoire de l’Accusé, telles qu’elles ont été exposées dans la Réponse et à l’audience du 23  août 2005, peuvent être ainsi résumées :

1) L’acte d’accusation a été confirmé par le Juge O-Gon Kwon le 2 octobre 2003 et il est demeuré confidentiel jusqu’au 20 octobre 2003 ; à cette date, un mandat d’arrêt a été délivré et rendu public. Or l’Accusé ne s’est livré au Tribunal international que le 25 avril 2005 et il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pu le faire avant 7 ;

2) L’Accusé savait qu’il était visé par un acte d’accusation et un mandat d’arrêt puisque, à maintes reprises, il a fait en public des déclarations véhémentes à ce sujet, lesquelles ont été reprises dans plusieurs articles de presse, ce qui témoigne de son hostilité et de son agressivité envers le Tribunal international8  ;

3) Le Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro et le Gouvernement de Serbie se sont portés garants, mais des représentants de ces autorités ont déclaré à maintes reprises que celles-ci n’arrêteraient aucun accusé sous aucun prétexte. Aussi les garanties offertes ne devraient-elles pas être jugées entièrement fiables9  ;

4) Le témoignage de Zoran Stojkovic, Ministre de la justice de la République de Serbie, n’est pas fiable car il ne cadre pas avec la déposition que le témoin a faite durant une autre audience10 ;

5) L’Accusé était un haut dirigeant de la VJ, ce qui peut lui permettre, en cas de tentative d’évasion, d’utiliser des moyens que n’ont pas d’autres accusés11  ;

VU les garanties données par le Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro, transmises à l’appui de la Demande au Tribunal international le 17 juin 2005 par l’Ambassade de Serbie-et-Monténégro, dans lesquelles les autorités de Serbie-et- Monténégro assurent qu’elles respecteront toutes les ordonnances rendues par la Chambre de sorte que l’Accusé puisse se présenter à tout moment pour son procès devant le Tribunal international et prennent notamment les engagements suivants  :

1) Le Ministère de l’intérieur de Serbie et les services de renseignement de Serbie s’engagent à veiller à ce que l’Accusé se présente quotidiennement au poste de police le plus proche de son lieu de résidence et à ce que ces visites quotidiennes soient consignées dans un registre, et à soumettre tous les mois un rapport écrit confirmant que l’Accusé respecte les conditions du contrôle judiciaire, tout manquement de sa part devant être porté immédiatement à la connaissance du Tribunal international  ;

2) Le Ministère de l’intérieur de Serbie s’engage à procéder immédiatement à l’arrestation de l’Accusé s’il tente de fuir ou enfreint toute autre condition posée pour sa mise en liberté provisoire, et à en informer le Tribunal international afin que toutes les mesures nécessaires soient prises pour que l’Accusé soit transféré de nouveau au Tribunal international ;

ATTENDU qu’à partir du 2 octobre 2003, il était de notoriété publique qu’un acte d’accusation avait été établi contre l’Accusé, que celui-ci ne s’est livré au Tribunal international que le 25 avril 2005 et qu’il s’en est expliqué simplement en disant qu’il avait « changé d’avis12 »,

ATTENDU que, dans la déposition qu’il a faite en qualité de Ministre de la justice de la République de Serbie, M. Stojkovic a donné l’assurance que les autorités de Serbie honoreraient strictement la garantie de représentation qu’elles ont donnée si, une fois libéré, l’Accusé venait à manquer à ses obligations13,

ATTENDU que, examinant les demandes de mise en liberté provisoire présentées par d’autres accusés, la Chambre a estimé qu’il y avait lieu de prendre largement en compte dans sa décision des garanties similaires,

ATTENDU que le Gouvernement de Serbie, auquel appartient le ministre Stojkovic, s’est démarqué de la politique de son prédécesseur et a entrepris de coopérer plus largement avec le Tribunal international depuis son élection en mars 200414,

ATTENDU que, bien que l’Accusé n’ait avancé aucune raison convaincante pour expliquer pourquoi il ne s’était pas rendu avant le mois d’avril 2005, la Chambre a, au vu des garanties données par le Conseil de ministres de Serbie-et-Monténégro et par le Gouvernement de la République de Serbie, acquis la conviction que tout sera fait pour que l’Accusé se présente à son procès et qu’elle est de ce fait convaincue que, s’il est libéré, il se représentera,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 54 et 65 du Règlement,

FAIT DROIT à la Demande et ORDONNE :

1) que Nebojsa Pavkovic soit mis en liberté provisoire, sous réserve des conditions fixées dans l’Ordonnance de mise en liberté provisoire jointe à la présente Décision, et

2) qu’il soit sursis à la libération de Nebojsa Pavkovic dans l’attente d’un acte d’appel de l’Accusation, en application des paragraphes D), E), F) et G) de l’article  65 du Règlement.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Patrick Robinson

Le 30 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


ORDONNANCE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE DE NEBOJSA PAVKOVIC

1. Nebojsa Pavkovic (l’« Accusé ») sera conduit à l’aéroport de Schiphol (Pays-Bas ) par les autorités néerlandaises ;

2. À l’aéroport de Schiphol, l’Accusé sera remis à la garde d’un représentant des autorités de la Serbie-et-Monténégro qui aura été préalablement désigné conformément au paragraphe 2 a) [sic] ci-dessous, et qui l’escortera pendant tout le reste du trajet jusqu’en Serbie-et-Monténégro et à son lieu de résidence ;

3. À son retour, l’Accusé sera escorté par le même représentant des autorités de la Serbie-et-Monténégro, lequel le remettra à la garde des autorités néerlandaises à l’aéroport de Schiphol aux date et heure fixées par ordonnance de la Chambre de première instance. Les autorités néerlandaises reconduiront alors l’Accusé au quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye ;

4. Durant sa liberté provisoire, l’Accusé respectera les conditions suivantes, et les autorités de la Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie, notamment la police locale, veilleront au respect desdites conditions :

i) demeurer dans les limites de la municipalité de Belgrade ;

ii) remettre son passeport au Ministère de la justice ;

iii) se présenter chaque jour à la police de Belgrade, dans un poste de police désigné par le Ministère de la justice ;

iv) indiquer son adresse à Belgrade au Ministère de la justice et au Greffier du Tribunal international avant de quitter le quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye ;

v) consentir à ce que le Ministère de la justice s’assure de sa présence auprès de la police locale et que ledit Ministère ou une personne désignée par le Greffier du Tribunal international lui rende de temps à autre des visites inopinées ;

vi) s’abstenir de tout contact avec les coaccusés en l’espèce ;

vii) n’avoir aucun contact avec des victimes ou des témoins potentiels, ne pas exercer sur eux de pressions et ne pas s’ingérer dans la procédure ni entraver le cours de la justice ;

viii) ne pas évoquer le procès qui lui est fait avec qui que ce soit d’autre que ses conseils, et notamment avec les médias ;

ix) continuer à coopérer avec le Tribunal international ;

x) respecter strictement les conditions posées par les autorités de la Serbie-et -Monténégro et de la République de Serbie afin de leur permettre de s’acquitter des obligations qui découlent pour elles de la présente Ordonnance et des garanties qu’elles ont fournies ;

xi) se représenter devant le Tribunal international aux date et heure fixées par la Chambre de première instance ; et

xii) se conformer rigoureusement à toute nouvelle ordonnance de la Chambre de première instance modifiant les conditions de la liberté provisoire ou y mettant fin.

[La Chambre de première instance] INVITE les autorités de la Communauté d’États Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie à :

a) désigner un représentant des autorités de Serbie-et-Monténégro à la garde duquel l’Accusé sera remis et qui l’escortera de l’aéroport de Schiphol jusqu’en Serbie -et-Monténégro et jusqu’à son lieu de résidence, et à communiquer sans délai à la Chambre de première instance et au Greffier du Tribunal international l’identité dudit représentant ;

b) assurer la sécurité personnelle de l’Accusé durant sa liberté provisoire ;

c) prendre à leur charge tous les frais de transport de l’Accusé de l’aéroport de Schiphol à Belgrade, et vice-versa ;

d) prendre à leur charge tous les frais d’hébergement de l’Accusé durant sa liberté provisoire et les dépenses engagées pour assurer sa sécurité ;

e) à la demande de la Chambre de première instance ou des parties, faciliter la coopération et la communication entre les parties et veiller à ce que lesdites communications demeurent confidentielles ;

f) soumettre un rapport écrit à la Chambre de première instance tous les mois sur la manière dont l’Accusé respecte les termes de la présente Ordonnance ;

g) procéder immédiatement à l’arrestation et à l’incarcération de l’Accusé s’il enfreint l’une des conditions posées par la présente Ordonnance ; et

h) signaler immédiatement à la Chambre de première instance tout manquement aux conditions énoncées ci-dessus ;

DONNE INSTRUCTION au Greffier du Tribunal international de consulter le Ministère de la justice des Pays-Bas quant aux modalités pratiques de la mise en liberté de l’Accusé et de maintenir celui-ci en détention au quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye jusqu’à ce que la Chambre de première instance et le Greffier soient informés de l’identité du représentant désigné des autorités de Serbie-et-Monténégro, à la garde duquel l’Accusé doit être remis ; et

DEMANDE aux autorités de tous les États de transit :

a) d’assurer la garde de l’Accusé tant que celui-ci sera en transit à l’aéroport  ;

b) de procéder à l’arrestation et à l’incarcération de l’Accusé, en cas de tentative d’évasion, dans l’attente de son transfert au quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 30 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_______________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Milutinovic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision relative à la deuxième demande de mise en liberté provisoire, 14 avril 2005, par. 4 ; Le Procureur c/ Ojdanic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision relative à la quatrième demande de mise en liberté provisoire présentée par le général Ojdanic, 14 avril 2005, par. 6 ; Le Procureur c/ Sainovic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision relative à la troisième demande de mise en liberté provisoire de la Défense, 14 avril 2005, par. 5.
2 - Ordonnance fixant la date d’une audience consacrée à la demande de mise en liberté provisoire, 19 juillet 2005, p. 2.
3 - Ibidem.
4 - Demande, par. 8 à 10.
5 - Ibidem, par. 11 à 15.
6 - Ibid., par. 16 à 18.
7 - Réponse, par. 3 et 12 à 15.
8 - Ibidem, par. 12 et 14, et annexe A.
9 - Ibid., par. 16, et annexe B ; audience, CR, p. 7, 8, 23 et 24.
10 - Audience du 23 août 2005, compte rendu d’audience (« CR »), p. 3, 5 et 9 à 11 ; Le Procureur c/ Milunitovic, Ojdanic et Sainovic, affaire n° IT-99-37-PT, audience du 10 mars 2005, CR, p. 898 à 900.
11 - Réponse, par. 19.
12 - Audience du 23 août 2005, CR, p. 35.
13 - Audience du 23 août 2005, CR, p. 3 et 4.
14 - Audience du 23 août 2005, CR, p. 7 et 8.